Vers une meilleure compréhension des stratégies d’implantation des produits de terroir en GMS
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
2017, n° 2. varia - Auteurs : Touiti (Takoi), Dekhili (Sihem)
- Pages : 143 à 171
- Revue : Systèmes alimentaires
Vers une meilleure compréhension
des stratégies d’implantation
des produits de terroir en GMS
Takoi Touiti
et Sihem Dekhili
Université de Strasbourg
Introduction
Face à la mondialisation de la production et aux différentes crises alimentaires survenues ces dernières années, les consommateurs sont de plus en plus à la recherche d’informations sur la provenance des produits (Feldmann et Hamm, 2015). Par conséquent, nombreux sont les consommateurs qui se sont tournés vers les produits alimentaires de terroir (cf. encadré), entrainant ainsi une croissance de ce marché en Europe (Lenglet, 2014).
La commercialisation des produits de terroir est restée durant plusieurs années limitée à la vente sur les marchés et dans les fermes. Cependant, depuis 2006, les grandes et moyennes surfaces (GMS) ont noué des partenariats avec les producteurs locaux et les PME pour développer l’assortiment des produits de terroir dans les rayons. En France, par exemple, plus de 1 000 marques déposées ont intégré le terme « terroir » en 2012 (Lenglet, 2014).
D’un point de vue académique, plusieurs travaux en marketing ont exploré les motivations d’achat des produits de terroir (Lenglet, 2014). Certains auteurs se sont intéressés à l’étude des effets de l’origine 144géographique sur la qualité perçue (Dekhili, 2010), sur la préférence (Van Ittersum et al., 2003) ou encore sur l’évaluation globale des produits (Gabriel et Urien, 2006). Si une large littérature sur les produits de terroir a étudié le comportement des consommateurs, il n’y a encore que peu de travaux menés sur la distribution de ces produits (Albertini et al., 2011). En marketing, les quelques rares recherches portées sur la distribution des produits de terroir ont montré que leur valorisation en GMS contribuait à améliorer la légitimité territoriale de l’enseigne (Beylier et al., 2012). La question de l’aménagement des lieux de vente des produits de terroir a été complètement négligée, alors que les distributeurs sont de plus en plus confrontés au choix difficile de l’implantation des différentes catégories de produits de terroir (Geismar et al., 2015) et aux problèmes d’intégration de l’offre régionale dans leurs stratégies (Albertini et al., 2011). À notre connaissance, seule une étude (De Ferran et al., 2014), appliquée au cas des produits équitables, a examiné empiriquement les choix d’implantation des distributeurs.
En outre, la commercialisation des produits de terroir en GMS semble aujourd’hui s’essouffler. En effet, une baisse des ventes a été enregistrée depuis 2009, et la part de la GMS a accusé une perte de 0.4 % en 2013 par rapport à 2012 au profit des autres circuits de distribution (vente directe à la ferme et vente sur Internet) (INAO, 2014).
Dans cette recherche exploratoire, nous étendons la réflexion sur les stratégies d’implantation en magasin aux produits de terroir en adoptant une approche inter-catégorielle, les clés d’entrée pour ces produits étant différentes de celles des produits responsables. En effet, si les critères de choix se résument surtout au respect des travailleurs dans le cas des produits équitables et au respect de l’environnement dans le cas des produits biologiques, ils couvrent en plus la satisfaction du sentiment régional dans le cas des produits de terroir (Dion et al., 2010). Mais les produits de terroir et les produits biologiques couvrent, tous deux, les mêmes dimensions de la qualité : minimale (générique), consensuelle (spécifiée) et spécifique (identification de l’origine géographique). Les qualités attribuées à ces produits sont assez proches et s’orientent souvent vers la qualité liée à la sécurité alimentaire, les bienfaits santé et la qualité organoleptique (Raiffaud, 2010). Aussi les produits de terroir ainsi que les produits biologiques constituent-ils un levier d’action pour construire un avantage concurrentiel pour les distributeurs (Fort et Fort, 2006).
145Notre objectif est d’apporter une meilleure compréhension des stratégies d’implantation des produits de terroir en GMS. Plus particulièrement, il s’agit d’identifier les types d’implantations adoptées par les enseignes, leurs objectifs, déterminants et contraintes.
En pratique, la majorité des enseignes de la GMS n’adoptent pas de stratégies de distribution spécifiques aux produits de terroir et considèrent tous les produits typiques, en lien avec un lieu géographique (produits de terroir, produits régionaux, produits locaux) comme une seule offre à laquelle elles appliquent souvent les mêmes stratégies d’implantation (cf. fig. 1). Pour cette raison, et au vu de la nature exploratoire de notre recherche, nous considèrerons pour la suite de notre étude les produits de terroir affichant une indication géographique1 ainsi que les produits, non certifiés, mais reconnus dans leur lieu de production par un savoir-faire et/ou par une recette traditionnelle et artisanale. De plus, toutes les catégories des produits de terroir commercialisés en GMS seront prises en compte.
Notre contribution dans cet article peut se décliner sur deux plans.
–Sur le plan théorique, notre recherche apporte un éclairage sur les différentes stratégies d’implantation des distributeurs et contribue ainsi à pallier le manque de travaux en marketing dans ce domaine.
–Sur un plan opérationnel, ce travail offre aux manageurs un certain nombre de leviers permettant de mieux agencer les produits de terroir en GMS. Il fournit des pistes d’action qui pourront aider les enseignes à redynamiser leurs ventes.
146
Définitions des notions de « terroir » Un terroir est « un système au sein duquel s’établissent des interactions complexes entre un ensemble de facteurs humains (techniques, usages collectifs), une production agricole et un milieu physique (territoire). Le terroir est valorisé par un produit auquel il confère une originalité (typicité) » (INAO, 2002). Un produit alimentaire de terroir est « un aliment dont l’identité est fondée sur le lien au lieu. Ce lien au lieu peut reposer sur des composants spécifiques du milieu physique (géologie, climat, relief), sur un savoir-faire particulier (système de production, de transformation) ou sur un savoir-faire singulier (commercialisation qui véhicule souvent une image à caractère régional) » (Giraud, 1997). Selon Fort et Fort (2006), trois dimensions caractérisent les produits de terroir à savoir : « l’origine de la matière première » qui est la caractéristique exigée dans les indications géographiques comme l’AOC et l’AOP ; « l’origine régionale ou locale de la recette ou du savoir-faire » qui constitue le lien avec le lieu, souvent basé sur l’histoire et la culture spécifique à une région ; « l’histoire de l’entreprise et du chef d’entreprise » ayant acquis un savoir-faire et une réputation depuis plusieurs années. Mais le produit alimentaire de terroir est souvent confondu avec d’autres notions proches telles que les produits régionaux ou encore les produits locaux. Il est important de souligner que la bi-dimensionnalité (facteur humain et naturel) semble commune aux produits d’origine et aux produits de terroir (Lenglet, 2014). Mais la congruence produit-terroir est requise par le consommateur qui perçoit la différenciation des terroirs par leur typicité et légitimité à fabriquer le produit (Trognon et al., 1999). En ce sens, Bérard et Marchenay (2004) associent la notion de « produit de terroir » à un lieu de fabrication. Ainsi, l’historique du produit, la transmission d’un savoir-faire et l’exécution de la production dans une communauté semblent constituer une spécificité des produits de terroir. Toutefois, dans le cas des produits régionaux, le lien avec la région peut être plus ou moins « lâche » au sens de Albertini et al. (2005). Le produit de terroir devrait également être distingué des produits locaux : tous les deux partagent la même caractéristique de l’origine géographique, mais la spécificité du produit local réside dans la proximité géographique entre producteurs et consommateurs (Merle et Piotrowski, 2012). |
Type |
Stratégie de marquage |
Assortiments en magasin |
Produits |
Indication géographique |
AOP, IGP, STG, CCP |
Marque commerciale |
Bridel Terroir, Tomme du Beaujolais, Riz long de Camargue |
|
MDD terroir |
Reflets de France, Nos régions |
|
Produits régionaux |
Marque commerciale |
Lentillon de la Champagne, |
Marques collectives régionales |
Saveurs en Or, Gourmandie, Nutrition méditerranéenne en Provence, Le panier de Bourgogne, Bravo l’Auvergne, Savourez l’Alsace – Produit du Terroir |
|
Marques régionales |
Saveurs d’ici, U d’Alsace, |
|
Produits locaux |
Marque commerciale |
Produit en Bretagne, Saumon fumé de l’Atlantique Maison Peneau |
Fig. 1 – Caractérisation de l’offre des produits liés
à un lieu géographique en GMS.
1. Les stratégies d’implantation
des produits en magasin
L’organisation de l’offre dans les points de vente alimentaires est restée depuis plusieurs années sensiblement la même dans l’agencement des GMS alors que les comportements d’achat des consommateurs ont considérablement changé (Mouton et Paris, 2012). Dans le cas des produits d’origine, la valorisation des marques régionales contribue à un ancrage régional de l’enseigne et permet d’instaurer une relation de confiance avec les consommateurs (Albertini et al., 2011). Mais, faut-il répartir ces produits partout dans le magasin ou leur réserver des espaces dédiés ? Dans la littérature, rares sont les recherches académiques qui se sont intéressées à l’implantation des produits en magasin. À notre connaissance, seuls les travaux d’Albertini et al. (2011) et De Ferran 148et al. (2014) ont abordé ce sujet dans le cas des produits régionaux et équitables.
Certains chercheurs ont souligné la complexité du choix d’implantation dans le cas de ces produits spécifiques (Van Herpen et Van Nierop, 2012). En effet, les produits biologiques et équitables renvoient à des motivations d’achat diverses. En outre, Albertini et al. (2011) ont évoqué les difficultés de l’intégration des marques régionales dans l’assortiment des GMS, qui consistent essentiellement en la faible demande locale et l’assortiment imposé dans le cas des enseignes centralisées. Pourtant, le choix d’implantation est déterminant, car il impacte directement l’accessibilité et la facilité d’achat des produits (Bouzaabia et al., 2013).
Ainsi, Albertini et al. (2011) suggèrent de valoriser l’offre des marques régionales en magasin à travers une implantation dans un univers spécifique, conjuguée à la production d’une expérience d’achat gratifiante pour le consommateur. En ce sens, Lachaize et Lemarignier (2015) soutiennent l’idée d’un « merchandising régional ». Les auteurs soulignent la nécessité d’une théâtralisation spécifique aux produits régionaux avec des règles propres, typiques dans les couleurs, l’ambiance et le mobilier. De plus, Mouton et Paris (2012) indiquent que la constitution d’un espace dédié permet également de traiter la problématique de l’intégration des références secondaires dans l’assortiment du magasin. La majorité des enseignes favorise la mise en place d’assortiments autour des marques nationales leaders pour la contribution au chiffre d’affaires de la catégorie, des MMD classiques et thématiques pour la rentabilité et des produits premiers prix pour les volumes. Dans un tel contexte, l’accès des marques régionales aux rayons gérés dans une logique catégorielle reste limité.
L’implantation par univers spécifique est celle qui contribue le plus, selon Albertini et al. (2011), à la valorisation de l’offre régionale. Elle permet de mieux répondre aux attentes des consommateurs et de générer des ventes additionnelles. Dans le cas des produits équitables, cette stratégie d’implantation permet d’accroître l’accessibilité en magasin et la facilité d’achat (De Ferran et al., 2014). En ce sens, Van Herpen et Van Nierop (2012) estiment que le regroupement des produits dans un seul endroit peut accroître l’identification de l’élément responsable comme un attribut pertinent. En effet, lorsque les produits biologiques et/ou équitables forment un « bloc », les consommateurs peuvent les remarquer plus facilement. Par ailleurs, Albertini et al. (2011) indiquent que la double 149implantation permet également d’assurer une visibilité de l’offre régionale, en créant un effet de masse et de surprise. Cependant, l’implantation directe de l’assortiment dans le rayon génère une faible visibilité. Cette dernière implantation répond seulement à une logique de ravitaillement du consommateur dont le besoin d’achat au niveau de la catégorie de produit est prépondérant par rapport à l’attente en matière régionale. En droite ligne de cette idée, De Ferran et al. (2014) ont confirmé que l’implantation des produits équitables dans leurs catégories de produits d’appartenance nuisait fortement à leur accessibilité en magasin et freinait ainsi leurs achats tant pour les non-acheteurs que pour les acheteurs occasionnels de produits équitables. Les produits équitables ne peuvent pas être considérés comme une alternative aux produits conventionnels d’autant plus que leur prix élevé reste le frein majeur à leur achat (Dekhili, 2016).
Contrairement à l’implantation dans un élément dédié, les deux derniers types d’implantation (double implantation et implantation dans la catégorie des produits d’appartenance) se prêtentpeu à une théâtralisation efficace en magasin.
Compte tenu de la complexité du choix d’implantation des produits d’origine géographique et de la diversité de produits sous marque « terroir », il semble important de s’interroger sur les pratiques d’implantation des différentes catégories des produits de terroir en magasin et sur leurs déterminants.
2. Approche méthodologique
Outre l’observation non participante (des visites d’enseignes qui avaient pour but de collecter des données préliminaires sur les produits de terroir commercialisés et sur les pratiques d’implantation), nous avons interviewé un échantillon de professionnels de la distribution. 62 personnes réparties sur toute la France ont été contactées. Après plusieurs relances par mail, téléphone et contact direct dans les enseignes, 17 ont accepté de répondre à notre requête.
Afin d’obtenir les entretiens les plus riches possible, nous avons veillé à ce que l’échantillon des professionnels interrogés (fig. 2) soit le plus diversifié possible en variant la fonction, l’enseigne et la zone géographique. Ainsi, 150des entretiens semi-directifs en face à face ont été réalisés entre juin 2015 et février 2016 auprès de responsables occupant diverses fonctions concernées par la décision d’implantation des produits alimentaires en magasin : directeur marketing, directeur du merchandising, directeur du magasin, acheteur, chef de rayon, fournisseur, responsable régional des magasins, responsable qualité, dans des enseignes appartenant à des formules de distribution variées (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité). L’enquête a été conduite dans différentes villes françaises (Strasbourg, Paris, Nice, Saint-Étienne, Metz, Joux-la-Ville et Troyes), couvrant ainsi des régions ayant une identité culturelle forte (exemple de l’Alsace) et d’autres ayant un capital territoire (Chamard et al., 2013) moindre (exemple de l’Île-de-France).
Lors de notre enquête, nous avons mobilisé un guide d’entretien, construit à partir de la revue de littérature et des visites sur le terrain lors de la phase d’observation. Il a essentiellement pour objectifs d’identifier les stratégies d’implantation des produits de terroir, de préciser les objectifs de l’implantation en magasin, d’explorer les déterminants et les contraintes liés au choix de l’implantation ainsi que de définir les acteurs de la prise de décision. Les répondants ont surtout été interrogés sur le mode d’implantation des produits de terroir dans leurs magasins, sur les critères justifiant ce choix, les avantages et inconvénients associés au type d’implantation adopté, et sur la logique du positionnement de ces produits par rapport aux produits conventionnels d’une part et aux produits biologiquesd’autre part. Par ailleurs, les professionnels ont été questionnés sur les acteurs impliqués dans la décision de l’implantation des produits de terroir, sur leurs différentes activités de collaboration avec les partenaires et sur les exigences de ces derniers en matière d’implantation.
Les entretiens ont débuté par une phase introductive qui avait pour rôle de clarifier ce que les professionnels entendent par « produits de terroir », en leur demandant de préciser les catégories et marques de produits de terroir développées dans leurs enseignes, et de se prononcer sur la question de la certification et sur les stratégies de développement de ces produits. Les interviews ont duré une heure en moyenne chacun et ont été enregistrés puis intégralement retranscrits. Au total, près de 200 pages de matériaux ont été récoltées et un travail d’analyse thématique (Bardin, 2013) a été effectué manuellement. La structure de la grille d’analyse a été construite sur la base des thèmes relevés dans la littérature sur l’allocation d’espace et a été amendée à chaque lecture.
151
Fonction des répondants |
Enseigne |
Lieu d’enquête |
Acheteur |
Siège Cora |
Paris |
Chef de rayon épicerie salée |
Hypermarché Carrefour |
Troyes |
Chef de rayon produits frais |
Hypermarché Casino |
Troyes |
Responsable magasin |
Hypermarché Casino |
Troyes |
Responsable régional |
Magasin de proximité Casino |
Troyes |
Responsable marketing |
Siège Cora |
Paris |
Responsable qualité |
Siège Casino |
Saint-Étienne |
Chef de rayon produits frais |
Hypermarché Leclerc |
Strasbourg |
Chef de rayon épicerie salée |
Hypermarché Carrefour |
Troyes |
Fournisseur des produits de terroir « Tour des Terroirs » |
Joux-La-Ville |
|
Chef de rayon épicerie salée |
Hypermarché Auchan |
Strasbourg |
Gérant du magasin |
Carrefour City |
Strasbourg |
Responsable merchandising |
Magasin de proximité Casino |
Troyes |
Responsable d’études |
Metz |
|
Manageur produits frais |
Simply |
Strasbourg |
Chef de rayon épicerie salée |
Supermarché U express |
Nice |
Gérant du magasin |
Supermarché U express |
Strasbourg |
Fig. 2 – Échantillon des professionnels interrogés.
3. Implantation des produits
de terroir en magasin
L’analyse catégorielle des réponses a fait ressortir 856 idées qui se rapportent aux stratégies d’implantation des produits de terroir en GMS. Elles se regroupent en sept thèmes (voir fig. 3) : 1) l’univers des produits de terroir ; 2) la catégorisation de l’offre terroir en grande surface ; 3) les types de stratégies d’implantation adoptées ; 4) les objectifs 152de l’implantation ; 5) les déterminants et 6) les décideurs clés du choix de l’implantation des produits de terroir ; et enfin 7) les contraintes de l’implantation de ces produits en GMS.
Thèmes (en % par rapport à la masse totale des idées) |
Catégories (en % par rapport |
Sous catégories (en % par rapport |
Univers des produits de terroir (2 %) |
Associations liées aux produits de terroir (54 %) |
|
Certification des produits |
||
Qualité (9 %) |
||
Origine géographique (8 %) |
||
Catégorisation |
MDD de terroir (69 %) |
|
Marque régionale et locale (31 %) |
||
Types de stratégies d’implantation des produits de terroir en magasin (16 %) |
L’implantation dans |
|
L’implantation dans leur catégorie d’appartenance (36 %) |
||
La double implantation (13 %) |
||
Objectifs de l’implantation en magasin (21 %) |
Accessibilité (26 %) |
Mettre en avant le produit (54 %) |
Trouver rapidement le produit (40 %) |
||
Valoriser le produit (6 %) |
||
Visibilité (18 %) |
||
Modification du comportement d’achat (18 %) |
Au niveau de tous les consommateurs (18 %) |
|
Cas des acheteurs réguliers (35 %) |
||
Cas des acheteurs occasionnels (15 %) |
||
Cas des non-acheteurs (32 %) |
||
Performance du magasin (15 %) |
Chiffre d’affaires (26 %) |
|
Ventes par pied carré (52 %) |
||
Bénéfices bruts par pied carré (22 %) |
||
153
Objectifs (suite) |
Facilité d’achat (12 %) |
Permettre de mieux choisir entre les produits (43 %) |
Donner envie d’acheter |
||
Commodité (14 %) |
||
Satisfaction du consommateur (3 %) |
||
Renforcement de l’image |
||
Différenciation par rapport aux autres enseignes (2 %) |
||
Déterminants du choix de l’implantation en magasin (29 %) |
L’assortiment potentiel |
Quantité des produits (45 %) |
Cohérence entre produits (33 %) |
||
Rapport qualité-prix (12 %) |
||
Catégorie du produit (10 %) |
||
Les tendances du marché (21 %) |
La demande du client (80 %) |
|
L’évolution de l’assortiment (20 %) |
||
Implantation géographique |
Région à forte identité culturelle (61 %) |
|
Région à fort potentiel touristique (39 %) |
||
La surface disponible |
||
La rentabilité du produit (12 %) |
||
Les clés d’entrée du magasin (7 %) |
Clé d’entrée produit (67 %) |
|
Clé d’entrée marque (22 %) |
||
Clé d’entrée variété (11 %) |
||
La saison (7 %) |
||
Le parcours client (5 %) |
||
154
Décideurs du choix de l’implantation (21 %) |
Les distributeurs (51 %) |
Le plan d’implantation / planogramme (73 %) |
Des études consommateurs (16 %) |
||
Les « merch » du magasin (11 %) |
||
La coopération entre producteurs et GMS (43 %) |
Mise en complémentarité |
|
Opérations de communication auprès des consommateurs (PLVi, ILVii) (36 %) |
||
Réflexion sur le positionnement de l’offre (choix de segments et de linéaires) (17 %) |
||
Les fabricants (6 %) |
Des études fournies par |
|
Des modèles développés |
||
Contraintes de l’implantation (9 %) |
Contraintes des distributeurs à développer un assortiment spécifique (46 %) |
Enseignes d’indépendants (58 %) |
Enseignes intégrées (42 %) |
||
Contraintes physiques (34 %) |
||
Contraintes de coûts (15 %) |
Rotation de produits (91 %) |
|
Matériel supplémentaire (9 %) |
||
Contraintes de sécurité (5 %) |
i. Publicité sur le lieu de vente.
ii. Information sur le lieu de vente.
Fig. 3 – Implantation des produits de terroir en magasin.
Lors des entretiens, nous avons remarqué que certains professionnels interrogés (chefs de rayon, responsables magasin, fournisseurs) utilisent d’une façon interchangeable les termes de « produit de terroir » et « produit régional ». Ce constat est différent dans le cas des professionnels des sièges (responsables marketing, acheteurs, responsables qualité) 155qui distinguent un produit régional et un produit de terroir par deux dimensions : la présence ou non d’une certification et l’étendue de la commercialisation du produit (échelle nationale et/ou régionale). Selon ces derniers, un produit de terroir est spécifique à un lieu géographique. Ce lien est souvent attesté par une appellation d’origine exigeant le respect de cahiers des charges et une reconnaissance institutionnelle telle que l’AOP, l’IGP et la CCP. De plus, les produits de terroir sont diffusés partout à l’échelle nationale. En revanche, le produit régional n’est généralement pas soumis à une réglementation et est souvent commercialisé dans sa seule région de production.
L’implantation des produits de terroir en magasin fait intervenir trois types d’acteurs qui sont la petite et moyenne entreprise (PME) régionale, l’enseigne et le magasin. Les PME réalisent des études de marché et utilisent des modèles d’optimisation d’espace comme Assortman2 pour promouvoir le développement de leurs catégories en magasin. Les distributeurs utilisent de leur côté des outils d’aide à l’agencement des magasins comme Apollo et Spaceman3, des plans d’implantation et des études shopper.
Les discours récoltés indiquent que l’enseigne peut collaborer avec la PME pour une meilleure implantation des produits de terroir. La collaboration concerne premièrement les processus organisationnels, notamment la logistique. Les PME régionales peuvent fournir aux distributeurs du personnel, du mobilier, des affiches ainsi que des recommandations d’implantation. Deuxièmement, l’enseigne et la PME peuvent mettre en commun des efforts de communication auprès des consommateurs, par exemple de la publicité et de l’information sur le lieu de vente. Troisièmement, la collaboration peut concerner la réflexion sur le positionnement de l’offre, surtout le choix du segment et du linéaire en GMS.
En interrogeant les répondants sur l’implantation des produits de terroir en GMS, trois types de stratégies émergent. Tout d’abord, les professionnels interrogés citent l’implantation dans un élément dédié :
156Les produits de terroir sont implantés dans ce qu’on appelle un espace dédié à ces produits-là, dans un univers spécifique (chef de rayon épicerie, hypermarché Casino, Troyes).
Ensuite, ils indiquent l’implantation dans la catégorie des produits d’appartenance :
On va implanter les produits de terroir dans la famille, on ne fait pas d’univers proprement dit terroir, on va dispatcher un petit peu dans tout le magasin (gérant du magasin Carrefour City, Strasbourg).
Puis, avec une moindre importance, ils soulignent l’existence de la double implantation des produits de terroir :
On peut les double implanter en fait, c’est-à-dire qu’on les a dans un espace dédié pour ce qui est des lentilles par exemple, et il y a aussi dans le rayon des lentilles (chef de rayon épicerie, hypermarché Carrefour, Troyes).
Les trois stratégies d’implantation sont approfondies dans ce qui suit en analysant les objectifs, déterminants et contraintes liés à chaque type d’implantation. L’analyse prend en considération la stratégie de marquage4, le format du magasin et la catégorie des produits (cf. annexe 1 pour une synthèse des résultats obtenus).
Stratégie 1 : L’implantation dans un élément dédié
La plupart des responsables des GMS qui proposent une offre large de catégories de produits régionaux privilégient une implantation dans un élément dédié, c’est souvent le cas des super et hypermarchés, en particulier dans les régions touristiques et à fortes identités culturelles comme l’Alsace et la Lorraine. D’après les professionnels interviewés, les produits implantés dans un élément dédié concernent en particulier les produits issus de la région ; les produits d’appellation d’origine ne font pas l’objet de cette stratégie d’implantation. On peut noter ici l’exemple des magasins de Troyes qui ont implanté dans un élément dédié des produits issus de la région de Bourgogne (la gamme Tour des Terroirs : 157biscuit de Bourgogne, pain d’épices, terrine bourguignonne, miel de Bourgogne…) et de Champagne-Ardenne (pain d’épice de Reims, biscuit rose de Reims, gâteau mollet des Ardennes, lentillon de Champagne, miel de Champagne…).
À Auchan Strasbourg, le chef de rayon épicerie salée a souligné l’importance de la création d’un univers autour de la spécialité régionale pour valoriser l’Alsace. Il a indiqué que l’hypermarché avait un projet en cours pour la création d’une boutique pour les produits de terroir frais. Leclerc Strasbourg privilégie aussi cette stratégie d’implantation :
On a vraiment voulu faire un espace dédié aux produits de terroir à l’entrée du magasin et ne pas les remettre dans le rayon (chef de rayon des produits frais, hypermarché Leclerc, Strasbourg),
et cela afin d’accroître la visibilité des produits d’origine géographique en magasin, augmenter leur vente, satisfaire la demande des clients locaux et celle des touristes, et renforcer l’image de l’enseigne en tant qu’acteur de proximité :
Quand les gens tombent sur des produits de terroir, ça montre une certaine image comme quoi nous sommes attachés aux produits de la région.
En ce sens, le responsable marketing Cora a noté que le regroupement des produits régionaux dans un élément dédié permet de montrer leur soutien aux producteurs locaux et un réel ancrage dans la région. Dans cet hypermarché, le chef de rayon condense les produits régionaux à l’entrée du magasin pour les mettre en avant, les valoriser et les rendre plus accessibles aux clients :
Les produits régionaux sont placés à l’entrée du magasin pour que les clients trouvent ce qu’ils recherchent.
Dans la même lignée, les hypermarchés Casino pratiquent l’implantation des produits régionaux dans un élément dédié. Cette stratégie d’implantation est élargie par l’enseigne à d’autres produits spécifiques comme les produits biologiques, ethniques et diététiques, à travers une tête de gondole ou un élément spécifique sur une gondole basse, et cela afin de créer un « effet de gamme » pour ces produits. En effet, cette stratégie d’implantation permet de valoriser la largeur de l’offre et de 158faciliter les achats des consommateurs réguliers de produits typiques. Pour les professionnels de ces magasins, l’accroissement de la visibilité de l’offre peut engendrer des achats d’impulsion.
Par ailleurs, l’implantation dans un élément dédié semble faciliter l’identification de l’offre notamment pour les clients non habitués au magasin :
Même un touriste, il vient en vacances dans un coin, il sait que la spécialité c’est ça (responsable qualité, siège Casino, Saint-Étienne).
Au-delà des hypermarchés, ce type d’implantation peut parfois être appliqué dans des supermarchés. C’est le cas de Simply Strasbourg qui vise à travers cette implantation à répondre à la demande des clients qui cherchent les produits de leur région, et qui prend en compte le facteur de la saisonnalité :
En été, on met en avant la tarte flambée, on utilise le thème et les saisons, la choucroute ne se vend pas en été, mais se vend en hiver (manageur des produits frais, Simply, Strasbourg).
Les déterminants du choix de la stratégie d’implantation dans un élément dédié sont surtout l’implantation géographique du magasin et la typologie des consommateurs. Selon l’acheteur Cora, l’espace dédié est souvent adopté par des magasins implantés dans des endroits à fort potentiel touristique comme l’Alsace et cela afin d’attirer les touristes, alors que pour les clients réguliers, l’implantation dans la catégorie d’appartenance est privilégiée : l’impact touristique peut modifier éventuellement le type d’implantation. Le cas du magasin d’Auxerre, une région peu touristique, confirme cette idée puisque les produits de terroir sont automatiquement implantés dans la catégorie d’appartenance :
On implante surtout par rapport à la spécificité de la région, touristique ou non, culturelle ou non (responsable d’études, Metz).
Mais la stratégie d’implantation dans un univers dédié représente une contrainte particulièrement dans le cas des produits de terroir haut de gamme commercialisés à des prix élevés ou encore dans le cas des régions qui ne bénéficient pas d’une identité culturelle forte, à cause de la faible 159rotation des produits. Ainsi, l’incohérence de l’univers « régional » qui est due au nombre réduit de l’assortiment des produits de terroir et le manque de flexibilité au niveau de l’implantation des marques de terroir nationales (MDD de terroir et marque de terroir commercialisée à l’échelle nationale) constituent une contrainte à une implantation dans un univers dédié. En effet, dans le cas des enseignes intégrées telles que Carrefour, Auchan et Casino, les responsables des magasins ont le choix de l’implantation seulement dans le cas des produits spécifiques à leurs régions. L’implantation des marques de terroir nationales est imposée aux magasins par le siège et se fait dans la famille d’origine.
Stratégie 2 : L’implantation dans la catégorie
des produits d’appartenance
Le chef de rayon épicerie salée de l’hypermarché Carrefour Troyes indique que cette stratégie d’implantation est en particulier adaptée aux produits frais en raison du coût du matériel réfrigéré supplémentaire qu’implique l’implantation dans un élément dédié. En revanche, pour l’épicerie, l’implantation dans un élément dédié est tout à fait possible parce qu’il s’agit de produits secs :
Le frais c’est un problème parce qu’il faut du froid, il faut un matériel supplémentaire alors que l’épicerie, vous pouvez l’installer où vous avez de la place.
À Carrefour City Strasbourg, l’implantation dans la catégorie des produits d’appartenance est privilégiée pour recruter de nouveaux acheteurs de produits de terroir parmi les acheteurs des catégories des produits d’appartenance. En particulier, le distributeur a pour objectif de faire connaitre la MDD terroir « Reflets de France » et de la positionner comme une alternative aux produits conventionnels par unité de besoin. De même, l’acheteur Cora indique que l’enseigne adopte cette stratégie d’implantation dans le but de faire connaitre sa propre marque « Patrimoine gourmand ».
La commodité est un autre objectif qui a été souvent cité pour justifier le choix d’une telle stratégie :
Notre but est de simplifier le parcours client dans le magasin en organisant les implantations par familles, par groupes de familles (chef de rayon épicerie salée, hypermarché Carrefour, Strasbourg).
160L’implantation dans la catégorie des produits d’appartenance permet au consommateur de garder son circuit habituel et limite la perte de temps induite par la recherche de produits dans un autre endroit du magasin. De plus, ce type d’implantation offre au consommateur la possibilité de comparer plus facilement entre les produits. Le témoignage du responsable marketing de Cora est en ce sens intéressant. L’enseigne a été amenée à changer sa stratégie d’implantation au fil du temps. Au départ, lors du lancement des produits de terroir, Cora a opté pour une implantation dans un élément dédié en espérant plus de lisibilité de l’offre auprès des consommateurs. Mais l’enseigne s’est rapidement rendu compte que la clé d’entrée des consommateurs restait le produit, c’est-à-dire l’unité de besoin, et a décidé de situer les produits de terroir dans leurs catégories de produits, permettant ainsi au consommateur de découvrir au même endroit l’ensemble de l’offre disponible du produit.
Dans le même sens, le magasin U express opte pour l’implantation des produits de terroir dans la catégorie des produits d’appartenance pour recruter de nouveaux consommateurs de produits de terroir et créer ainsi une dynamique favorable à l’ensemble de la famille des produits :
C’est pour séduire les clients, lorsqu’ils vont acheter un produit conventionnel, ils vont tomber sur l’autre à côté, c’est pour faire connaitre le produit de terroir (gérant du magasin, supermarché U express, Strasbourg).
Souvent, l’allocation de l’espace pour les produits de terroir se fait sur la base d’un arbitrage qui prend en compte l’existence en magasin d’autres produits spécifiques comme l’offre biologique. Selon le responsable du magasin Carrefour City, le nombre des consommateurs des produits de terroir reste faible si on le compare à celui des consommateurs des produits biologiques. Il se limite souvent à des voyageurs qui ont gardé des souvenirs des endroits visités ou à certains consommateurs très attachés aux produits de leurs régions, contrairement à un marché de produits biologiques en plein essor. Par conséquent, et face à la contrainte d’espace, le magasin Carrefour City et le magasin U express ne consacrent pas d’éléments dédiés pour les produits de terroir et préfèrent les accorder aux produits biologiques :
Pour le produit bio, ça fait des années et des années qu’on le travaille et qu’il y a une clientèle qui va directement au rayon alors que les produits de terroir, 161s’ils ne sont pas dans le même endroit, les clients ne vont pas les acheter (gérant du magasin, supermarché U express, Strasbourg).
Ainsi, l’enseigne Casino varie sa stratégie d’implantation selon le format du magasin. En effet, dans les magasins de proximité, l’enseigne pratique l’implantation des produits de terroir dans la catégorie d’appartenance à cause de la taille réduite du magasin et de la limitation de l’assortiment. Selon le responsable merchandising Casino, cette stratégie ne permet pas de mettre en valeur les produits de terroir même si certains magasins apposent des leaflets5 sur ces produits. Pour contourner cette contrainte, l’enseigne a recours à la technologie d’eye-tracking pour attirer l’attention du consommateur sur les produits de terroir et augmenter leur visibilité. Cette technologie s’appuie sur l’étude du comportement oculaire des clients. Elle aide les distributeurs dans le référencement des produits et la mise en avant des informations permettant aux consommateurs de trouver les produits qu’ils recherchent au niveau des rayons.
Stratégie 3 : La double implantation
La double implantation est préconisée surtout dans le cas des produits de terroir à forte rotation et seulement durant des périodes courtes (exemple des promotions). Elle dépend également de la demande des clients, de l’emplacement géographique du magasin et de sa taille. Ainsi, faute d’espace, il est peu courant de pratiquer la double implantation dans les magasins de proximité. Selon le responsable merchandising des magasins Casino, le principal déterminant du choix de la double implantation est en lien avec la demande client. Celle-ci s’accroît souvent pendant la période des fêtes – Pâques et Toussaint, par exemple – marquée par un pic d’activité pour les produits de terroir notamment dans les régions ayant une forte identité culturelle. Il s’agit d’occasions où les consommateurs achètent des produits typiques pour leur propre consommation, mais aussi pour les offrir.
À Carrefour Troyes, la double implantation concerne certains produits qui ont une forte rotation comme les lentilles. Selon le chef de rayon épicerie salée du magasin, l’objectif de la double implantation 162est de mieux faire connaitre les produits régionaux et d’accroître leurs ventes :
C’est la demande client, il y a des produits vraiment spécifiques locaux, les lentilles on ne se dit pas tout de suite que c’est un produit local, ce qui fait qu’il n’y a pas une recherche du client pour ce produit-là, mais s’il voit dans le rayon habituel qu’il y a des produits de la région, il achètera (chef de rayon épicerie salée, hypermarché Carrefour, Troyes).
En comparaison avec les produits biologiques, les produits de terroir dans leur globalité semblent moins se prêter à la double implantation. En effet, selon le responsable marketing de Cora Paris, les produits biologiques bénéficient d’une lisibilité plus forte aux yeux des consommateurs et des distributeurs. Il est par conséquent plus facile de construire un univers bio cohérent qu’un univers terroir cohérent. En outre, les produits biologiques bénéficient d’une rotation extrêmement élevée et peuvent constituer une clé d’entrée pour les consommateurs, ce qui n’est pas le cas des produits de terroir.
Les professionnels interrogés insistent en revanche sur le fait qu’une telle stratégie d’implantation suppose la gestion de deux linéaires plutôt qu’un seul pour les mêmes produits et peut induire des coûts supplémentaires. La contrainte s’explique par une lourdeur sur le plan logistique. De plus, dans le cas des régions à faible identité culturelle, l’assortiment des produits de terroir est réduit, ce qui contraint la mise en place de la double implantation :
Comme on n’est pas une région avec un terroir très développé, ça se limite quand même à une dizaine de produits (chef de rayon épicerie salée, supermarché U express, Nice).
4. Discussion
Dans leur distinction entre produits de terroir et produits régionaux, il est intéressant de noter que les professionnels interrogés associent souvent les produits régionaux à une zone de commercialisation limitée à la seule région de production. Ce résultat semble éloigné de ce que 163nous apprend la littérature à ce sujet. En effet, la commercialisation des produits régionaux peut se faire à différents niveaux stratégiques. Ainsi, une option consiste à commercialiser ces produits dans leurs lieux de production pour satisfaire le consommateur local. Une autre orientation possible vise à les commercialiser à l’échelle nationale et cela afin de faire connaitre plus largement le savoir-faire de la région. Cette dernière orientation est réalisable notamment dans le cas de PME avec un potentiel de développement important (Albertini et al., 2011).
Les résultats de notre recherche ont permis d’identifier les stratégies d’implantation des produits de terroir en GMS et d’apporter un éclairage nouveau sur les objectifs, déterminants et contraintes qui leur sont associés. Il ressort que l’implantation dans un espace dédié ou corner, l’implantation dans la famille du produit, et la double implantation sont les trois stratégies d’implantation appliquées en magasin. Ce résultat confirme les conclusions d’Albertini et al. (2011) qui ont relevé ces trois implantations possibles en magasin et, de plus, met en évidence les objectifs de chaque stratégie d’implantation. En effet, l’implantation dans un espace dédié contribue à assurer l’accessibilité, la visibilité ainsi que la facilité d’achat en magasin, notamment pour les consommateurs réguliers des produits de terroir. L’implantation des produits de terroir dans leurs catégories d’appartenance permet également de garantir la facilité d’achat, mais vise surtout les non-acheteurs des produits de terroir. Elle semble présenter un atout majeur, le lien avec la commodité qui a un effet positif sur l’expérience d’achat (Bouzaabia et al., 2013). Les clients dans ce cas ont plus de facilité à comparer entre les produits. La double implantation présente les avantages des deux autres types d’implantation (dans un élément dédié, dans la catégorie des produits) et contribue ainsi à renforcer la visibilité et l’accessibilité de l’offre terroir. Ces résultats vont dans le sens des conclusions de De Ferran et al. (2014) appliquées au cas des produits équitables et confortent les résultats obtenus par Van Herpen et al. (2012) confirmant que le regroupement des produits dans un « bloc » accroît leur visibilité, déterminant considéré comme crucial pour booster les ventes. D’autres chercheurs (Albertini et al., 2011) ont montré, par ailleurs, que la double implantation génère une réaction d’étonnement chez les consommateurs et favorise plus de visibilité au niveau de l’offre en comparaison avec les deux autres stratégies d’implantation. En revanche, la double implantation est très 164consommatrice de temps et présente souvent le risque d’une rupture des produits au niveau de l’un des deux rayons (Mouton et Paris, 2012).
En outre, les résultats de notre recherche indiquent que l’implantation dans un espace dédié conduit au renforcement de l’image de l’enseigne et de sa position concurrentielle. Ce constat conforte les travaux antérieurs (Beylier et al., 2012) qui ont souligné l’importance de l’intégration des marques régionales dans l’assortiment des magasins, en termes d’ancrage régional et de possibilités de différenciation. En ce sens, les travaux de Fort et Fort (2006) ont indiqué que la présence, dans les hypermarchés de la région, de produits de terroir fabriqués dans des entreprises à forte notoriété locale présentait l’avantage de fournir des leviers pour les ventes et d’offrir des marges de manœuvre sur les prix.
Les résultats de notre étude ont aussi permis d’identifier les déterminants du choix de l’implantation des produits de terroir en magasin. Il s’agit surtout des tendances du marché, de l’implantation géographique du magasin et de la surface disponible. Les distributeurs sont souvent amenés à s’adapter à la demande, surtout dans les régions avec une « carte alimentaire » spécifique et dans les régions touristiques, ce qui nécessite un emplacement spécifique de l’offre régionale en magasin (Albertini et al., 2011). L’allocation d’espace obéit à la fois à des critères quantitatifs comme la rotation et la rentabilité du produit et à des critères qualitatifs liés au comportement du consommateur comme les clés d’entrée, la typologie des acheteurs et l’évolution prévisible de l’offre et de la demande (Renaudin, 2010).
Les démarches développées par la grande distribution vont du simple fait de proposer un assortiment de produits locaux dans les linéaires à une offre de produits locaux clairement identifiée en magasin, voire à l’aménagement d’un espace de vente spécifique animé par des producteurs.
Recommandations, limites et perspectives
Les diverses contraintes liées aux stratégies d’implantation, identifiées dans cet article, peuvent réduire l’efficacité de l’agencement des produits de terroir en magasin ou encore amener les distributeurs à faire 165des choix peu adaptés par rapport au type des produits concernés, au format du magasin et au type de l’enseigne. Quelques préconisations managériales sont formulées pour permettre aux manageurs d’optimiser leurs choix d’implantation.
Stratégie 1 : L’implantation dans un élément dédié
Les enseignes implantées dans des régions peu connues par les produits typiques présentent souvent un univers « régional » souffrant d’incohérence au vu du nombre réduit de l’assortiment des produits de terroir. De la même façon, faute d’espace, les magasins de petite taille ne peuvent souvent pas profiter d’un « effet de gamme ». Pour accroître la visibilité et l’accessibilité de l’offre dans ces enseignes, il serait intéressant d’opter pour la commercialisation d’une gamme « terroir » qui offre un large choix de produits aux consommateurs. C’est ce que Tour des Terroirs, une entreprise spécialisée dans le commerce des produits régionaux sous la marque « Tour des Terroirs » devrait mettre en place. L’entreprise offre à la grande distribution des produits originaux et d’excellente qualité. Elle a fondé la biscuiterie de Bourgogne et fabrique également des terrines et des plats cuisinés. Il serait intéressant pour Tour des Terroirs de lancer une gamme variée et étendue, jusqu’à une quarantaine de références terroir, allant du frais à l’épicerie afin qu’elle puisse installer un corner dédié dans les hypermarchés de la région.
Par ailleurs, pour surmonter la contrainte des coûts supplémentaires liés à l’implantation des produits frais dans un univers dédié, les hypermarchés peuvent mettre en place un équipement permettant la réduction de la consommation d’énergie à l’instar de l’enseigne Système U de Toulouse qui a installé en 2016 un système d’économie d’énergie en utilisant des meubles froids fermés avec un éclairage en partie naturel, ce qui permet au final une économie d’énergie de 30 % en comparaison avec un magasin classique.
Dans les supermarchés et magasins de proximité, le distributeur peut installer des mobiliers réfrigérés à taille réduite permettant de répondre aux exigences des magasins du point de vue économie et espace. Dans cette optique, l’entreprise Epta Bonnet Névé a mis en place la gamme Aeria Up Open, des meubles semi-verticaux ouverts, à température positive qui permettent de mettre en valeur les produits 166frais dans les magasins. De plus, la flexibilité d’Aeria Up permet de contribuer à la théâtralisation du point de vente à travers la création de vitrines promotionnelles au look moderne, ce qui permet d’optimiser la présentation de la marchandise.
Stratégie 2 : L’implantation dans la catégorie
des produits d’appartenance
La stratégie d’implantation dans la catégorie des produits d’appartenance ne permet pas de mettre en valeur les produits de terroir. Pour dépasser cette contrainte et accroître en particulier la visibilité de l’offre des produits de terroir frais, il serait opportun que les magasins de proximité et supermarchés adoptent un balisage efficace avec des stickers ou des panneaux aimantés portant le logo « terroir » et apposés sur les lieux de référencement de l’assortiment. Un tel dispositif a été mis en place au Carrefour de La Ville-du-Bois, dans l’Essonne, depuis le 12 janvier 2015 dans le cas de l’offre sans gluten en surgelés. La mise en place d’un balisage spécifique permet aux consommateurs de repérer facilement la gamme de produits terroir.
Dans le cas des produits de terroir non frais, les magasins de petite taille ont tout intérêt à adopter le Shelf-Facer. Il s’agit d’un concept de carton prêt-à-vendre qui permet une visibilité ininterrompue des produits à l’avant du rayon. Dès qu’un article a été acheté, l’espace libéré à l’avant du rayon est immédiatement occupé par l’article suivant. Selon une étude réalisée par l’entreprise Smurfit Kappa en 2015, le Shelf-Facer accroît la visibilité des produits sur les rayons à hauteur de 50 %.
Stratégie 3 : La double implantation
La double implantation présente l’inconvénient lié à la gestion de deux linéaires et le risque de rupture de produits dans l’un et/ou l’autre des deux endroits. Les enseignes devraient ainsi renforcer les compétences dans la gestion des linéaires en profitant des apports des nouvelles technologies (digitalisation, Big Data, Machine Learning, etc.) qui offrent à ce titre des solutions essentielles. Le Machine Learning est un système d’intelligence artificielle utilisé dans le cadre du marketing digital pour faciliter les tâches difficiles de l’enseigne, et cela grâce à des moyens algorithmiques puissants. Ce système constitue un exemple particulièrement 167pertinent ici, car il est capable de cartographier, segmenter et regrouper des produits sur la base de critères discriminants tels que le type de produits et la visibilité marketing. De plus, il permet de préconiser le stock optimal qui prend en compte des historiques de ventes expliqués et re-contextualisés (Metivier, 2016).
Les résultats obtenus ont permis d’apporter une meilleure compréhension des stratégies d’implantation des produits de terroir en GMS et de formuler des préconisations pour améliorer l’agencement de ces produits en magasin et redynamiser leurs ventes. Cependant, cette recherche n’est pas exempte de limites. Tout d’abord, elle a considéré les produits de terroir dans leur globalité, sans distinction entre différentes catégories de produits et marques régionales. Les professionnels ont indiqué que les logiques d’implantation pouvaient varier d’un produit à un autre –spécificité des produits frais, par exemple. Il serait alors pertinent, lors de nouvelles recherches, de prendre en compte la catégorie de produits. Ensuite, cette recherche s’est limitée à l’avis des professionnels de la grande distribution. Pour mieux explorer les stratégies d’implantation des produits de terroir et mesurer leur efficacité en matière de visibilité et de facilité d’achat, par exemple, une voie prometteuse consiste à mener une étude expérimentale auprès des consommateurs. Enfin, nous estimons qu’une recherche focalisée sur la seule dimension cognitive serait très réductrice et qu’il convient d’intégrer la dimension émotionnelle en lien avec l’expérience d’achat des produits de terroir.
168Annexe
Différenciation des stratégies d’implantation
des produits de terroir : une synthèse des résultats obtenus
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1 Indications géographiques de type AOP (appellation d’origine protégée : signe européen qui désigne un produit dont les principales étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique et qui donne ses caractéristiques au produit), AOC (appellation d’origine contrôlée : désigne des produits répondant aux critères de l’AOP et protège la dénomination sur le territoire français), IGP (indication géographique protégée : ce signe identifie un produit agricole, brut ou transformé, dont la qualité, la réputation ou d’autres caractéristiques sont liées à l’origine géographique), CCP (certification de conformité de produit : atteste qu’une denrée alimentaire ou un produit agricole non alimentaire et non transformé est conforme à des caractéristiques spécifiques ou à des règles préalablement fixées portant notamment sur la fabrication, la transformation ou le conditionnement du produit), STG (spécialité traditionnelle garantie : correspond à un produit dont les qualités spécifiques sont liées à une composition, à des méthodes de fabrication ou de transformation fondées sur une tradition).
2 Il s’agit d’un modèle d’optimisation développé par les pénalistes comme Nielsen et qui permet de fournir des préconisations d’assortiment et d’allocation d’espace de la catégorie à la référence.
3 Ce sont des logiciels d’aide à l’agencement du magasin. Il s’agit d’interfaces graphiques qui réalisent des liens dynamiques entre les planogrammes réalisés pour les différentes familles de produits et le plan d’ensemble du magasin.
4 La stratégie de marquage permet la contribution de la marque à l’individualisation du produit d’une part, et à l’authentification de l’enseigne ou de l’entreprise d’autre part (Heilbrunn, 2014).
5 Leaflets : étiquettes de petite taille qui ont pour objectif de permettre aux consommateurs de repérer facilement les produits au niveau des rayons.
- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN : 978-2-406-07196-9
- EAN : 9782406071969
- ISSN : 2555-0411
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07196-9.p.0143
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/11/2017
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Produit de terroir, implantation des produits, accessibilité, facilité d’achat, merchandising