Éditorial Contribuer à la connaissance des systèmes alimentaires pour mieux les orienter et les (re)construire
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
2016, n° 1. varia - Auteur : Rastoin (Jean-Louis)
- Pages : 13 à 17
- Revue : Systèmes alimentaires
Éditorial
Contribuer à la connaissance des systèmes alimentaires
pour mieux les orienter et les (re)construire
Jean-Louis Rastoin
Montpellier SupAgro,
UMR 1110 Moisa
Créée en juillet 2016, la revue « Systèmes alimentaires/Food Systems » (SAFS) est une revue scientifique à comité de lecture qui s’inscrit dans la continuité de la série « Systèmes agroalimentaires » de la revue « Économies et Sociétés » fondée en 1944 par François Perroux, professeur au collège de France, dans le cadre de l’Iséa (Institut supérieur d’économie appliquée), puis de l’Isméa (Institut supérieur de mathématiques et d’économie appliquée)1.
Cette série, qui a publié 37 numéros de 1962 à 2015, a été référencée jusqu’en 20152 dans les bases de données bibliographiques « Econlit » et « IBSS » qui font autorité dans le domaine des sciences sociales et – pour la série « Systèmes agroalimentaires » – dans la catégorie « stratégie » de la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion (Fnege), validée par la section 37 du CNRS dans la catégorie « Économie de l’agriculture, de l’environnement et de l’énergie » et par le HCERES (Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) français.
La série « Systèmes agroalimentaires » de la revue « Économies et Sociétés », animée par Jean-Louis Rastoin, a succédé, en 2000, à la série 14« Développement agro-alimentaire », dirigée par Louis Malassis, Pascal Byé, Jean-Claude Lebossé et Roland Pérez de 1990 à 1999, qui elle-même prenait le relais de « Progrès et agriculture », dite ‘AG’ (premier directeur : Michel Cépède, de 1962 à 1969, puis co-directeurs de 1970 à 1989 : Michel Cépède, Louis Malassis et Joseph Klatzmann).
La revue « Systèmes alimentaires/Food Systems » bénéficie du référencement FNEGE, CNRS et HCERES en 20163, au titre de l’ancienne série “AG/Système agroalimentaires”, avec demande de renouvellement pour 2017. Elle a pour ambition d’accueillir des auteurs de disciplines scientifiques variées (économie, gestion, sociologie, anthropologie, histoire, géographie, etc.) s’intéressant à un objet empirique commun, le système agroalimentaire, dans la perspective du progrès de la connaissance et de l’aide à la décision. Cette revue, éditée par les Classiques Garnier4 dans le cadre d’une nouvelle collection « Économies, gestion et sociétés » est publiée en format électronique et sur papier.
De nombreuses thématiques sont proposées aux chercheurs travaillant sur les systèmes alimentaires et leurs acteurs. On peut citer, à titre d’illustration : sécurité alimentaire et nutritionnelle, alimentation responsable et durable, configuration et modes de gouvernance des systèmes alimentaires, nouvelles fonctionnalités de l’agriculture, de l’industrie et de la distribution alimentaire, dynamiques de la consommation, itinéraires technologiques et analyse des cycles de vie des produits, prix des aliments, partage de la valeur dans les filières, marques, normes et signes de qualité, fonctionnement et régulation des marchés, intermédiation dans les filières, performances et durabilité des chaînes de valeur alimentaires globales et territorialisées, configurations stratégiques des entreprises, relations entre territoires et acteurs privés et publics, politique agricole, politique alimentaire, etc.5
En poursuivant le travail scientifique entamé voilà plus de 50 ans par l’école francophone d’économie agroalimentaire dont le professeur Louis 15Malassis a posé les fondements et à laquelle il a donné une dimension nationale et internationale, la revue SAFS embrasse un vaste et très prioritaire sujet – le système alimentaire.
Un système alimentaire est « la façon dont les hommes s’organisent dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture6 ». On peut également le définir comme un ensemble d’acteurs en interrelations orientés vers la satisfaction des besoins alimentaires d’une population. C’est aussi le résultat d’une très longue histoire remontant au néolithique, avec aujourd’hui une grande diversité de formes qui tend cependant à se réduire de façon accélérée sous l’influence hégémonique d’un modèle agroindustriel concentré, spécialisé, globalisé et financiarisé. Les comportements mimétiques des pays émergents font que ce modèle, construit et sophistiqué depuis environ un siècle dans les pays occidentaux, alimente aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale, tandis que 40 % de cette population reste dans un schéma traditionnel marqué par une faible productivité et une grande pauvreté, et 10 % dans des formes expérimentales que l’on pourrait qualifier de « post-modernes ».
Avec plus de la moitié des habitants de notre planète en situation de malnutrition par carence (environ 1,5 milliard) ou excès (également 1,5 milliard), soit au total 40 % de la population actuelle du globe et le lourd fardeau des maladies infectieuses et chroniques d’origine alimentaire qui l’accompagne, le bilan est celui d’un échec collectif aussi consternant que dramatique tant pour le système agroindustriel que pour le traditionnel. Des avancées ont été accomplies, notamment grâce au progrès scientifique et technologique, mais elles se heurtent aujourd’hui à de lourdes externalités négatives aggravées par la crise multiforme – sociale, économique et environnementale – que traverse le monde et les défis géopolitiques et climatiques redoutables à relever.
Il est donc indispensable d’adopter une vision prospective pour imaginer un futur alimentaire souhaitable. Le premier scénario est dit tendanciel. Il combine filières longues intensives, verticalisation de la production et recours à l’artificialisation et à la « personnalisation » des aliments en associant biotechnologies, génomique et big data, dans le cadre de firmes globales. Ce scénario se caractérise par la généralisation d’une gouvernance actionnariale par les marchés financiers de l’ensemble 16des acteurs du système agroindustriel et en particulier de l’agriculture (avec 5 millions d’entreprises agricoles capitalistes dans le monde en 2050 contre 500 millions d’exploitations agricoles familiales aujourd’hui). Pour des raisons dès aujourd’hui perceptibles – destruction massive d’emplois, réduction de la biodiversité et forte érosion des ressources naturelles que sont la terre et l’eau – ce scénario suscite de nombreuses réserves et appelle une autre vision du système alimentaire.
Le scénario alternatif est fondé sur un objectif d’alimentation responsable et durable et des filières courtes et équitables, à gouvernance territoriale. Selon le principe de la souveraineté alimentaire, les territoires (en France, les régions) ont vocation à augmenter leur auto-approvisionnement. Dans ce scénario, l’agriculture retrouve ses spécificités nourricières, sociales et environnementales sur la base d’exploitations agricoles familiales connectées à des TPE et PME agroalimentaires. Elle remplit ainsi son rôle dans le développement des espaces ruraux qui n’auraient pour avenir que la désertification en cas de disparition des activités agricoles. L’itinéraire technologique est celui de l’agroécologie, de l’éco-conception artisanale et industrielle, de la bioéconomie circulaire décentralisée et des réseaux numériques. Ainsi, au Nord comme au Sud, le développement de « systèmes alimentaires territorialisés » contribuerait à la santé des consommateurs, au bon usage des ressources naturelles et à l’emploi.
La réalité à une ou deux générations sera probablement faite d’un scénario hybride voyant cohabiter de manière plus ou moins conflictuelle deux schémas stratégiques d’inspirations différentes. D’une part émergera un système agroindustriel techniquement mieux adapté à l’approvisionnement de mégalopoles de plus en plus grandes et peuplées qui rassembleront, à l’horizon 2050, plus du quart de la population mondiale. Ce système, structuré par des hyperfirmes, activera des stratégies de domination par les investissements matériels et immatériels et les coûts. Il sera ajusté à la marge par des normes publiques prenant en compte les impératifs de durabilité, notamment en termes de santé publique. D’autre part devraient se développer – sur la base de stratégies de différenciation qualitative à ancrage territorial – des systèmes alimentaires de proximité, portés par de nouvelles aspirations des consommateurs et des citoyens et mis en place par des néo-entrepreneurs. Ces systèmes d’un troisième type pourraient constituer une solution pertinente pour les ¾ de l’humanité 17qui, en 2050, résideront en zone rurale, dans les espaces rurbains et dans des villes de moins d’un million d’habitants7. Entre le modèle agroindustriel et le modèle territorialisé prendront place de multiples formes intermédiaires dont la robustesse stratégique n’est pas assurée.
Une telle perspective s’inscrit dans un contexte de profonds changements des comportements des acteurs privés et publics, des politiques alimentaires des collectivités publiques et des coordinations internationales. Pour la communauté épistémique, il y a là un chantier stimulant sur lequel tous les chercheurs intéressés par la question alimentaire sont conviés… dans la perspective de publications originales dans la revue SAFS.
1 http://www.ismea.org
2 Les archives des séries AG et SAA de la revue « Économies et Sociétés », constituées grâce au soutien de l’Isméa et de l’Area sont accessibles sur le site de la chaire Unesco en alimentations du monde de Montpellier SupAgro : http://www.chaireunesco-adm.com/spip.php?rubrique120
3 Cf. CNRS, Section 37, 2016, Catégorisation des revues en Économie et gestion, Économie de l’agriculture, de l’environnement et de l’énergie, p. 4 https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=sites&srcid=ZGVmYXVsdGRvbWFpbnxzZWN0aW9uMzdjbnJzfGd4OjUxOGExZTJmN2E1YjYxM2I
4 https://www.classiques-garnier.com/editions/
5 Différents types de textes sont publiés, avec des modalités d’évaluation interne (par les membres du comité de rédaction) et externe sous anonymat en double aveugle (membres du comité de lecture), conformément au standard académique ambitionné par la série (Cf. détail dans l’appel à contribution figurant en fin de volume).
6 Malassis L., 1994, Nourrir les Hommes, Paris, Flammarion, 126 p. (Dominos).
7 Sources bibliographiques disponibles sous le lien : http://www.chaireunesco-adm.com/spip.php?page=recherche&recherche=rastoin
- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN : 978-2-406-06863-1
- EAN : 9782406068631
- ISSN : 2555-0411
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06863-1.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/05/2017
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Systèmes alimentaires, prospective, analyse stratégique, recherche scientifique