Sources d’opportunités mobilisées lors d’une expérience entrepreneuriale
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
2021, n° 6. varia - Auteur : Rivenet (Nathalie)
- Pages : 143 à 166
- Revue : Systèmes alimentaires
Sources d’opportunités mobilisées lors d’une expérience entrepreneuriale
Nathalie Rivenet
Université du Littoral Côte d’Opale
Introduction
« Être agriculteur demain ne se prévoit pas, mais se prépare dès à présent, avec un goût pour l’avenir et la multidisciplinarité » (Abis et Brun, 2020). La préparation au métier d’agriculteur nécessite de développer des compétences entrepreneuriales. Une des compétences entrepreneuriales est l’exploitation d’opportunités (Brenet et al, 2017).
Selon les contextes, les opportunités seront découvertes et/ou construites. Notre contexte est particulier, il concerne l’enseignement et l’entrepreneuriat agricoles. Les étudiants de la licence faisant l’objet de notre étude sont nombreux (en moyenne 80 %) à avoir un projet d’installation en exploitations agricoles. Le module d’entrepreneuriat doit les aider dans leur projet et aussi les mettre en garde contre une rentabilité financière non soutenable. La pédagogie mise en place leur permet de rencontrer des agriculteurs et de tester des projets de diversification qu’ils pourront éventuellement reproduire lors de leur installation.
Notre question de recherche porte sur les sources mobilisées par les étudiants lors d’une expérience entrepreneuriale dans le domaine agricole. Les différentes sources d’opportunités ont bien été analysées, mais sans mettre en évidence les sources privilégiées par un public particulier, notamment ici, les étudiants, futurs agriculteurs. Cette 144recherche ambitionne d’apporter des renseignements sur les sources mobilisées par les étudiants.
Notre article est organisé autour de six points. Le premier point est consacré au cadre théorique de notre recherche et à la construction d’une grille d’analyse des sources d’opportunités. Notre deuxième point analyse le contexte particulier de l’enseignement de l’entrepreneuriat agricole. Notre méthodologie est exposée dans un troisième point. Il s’agit d’une recherche exploratoire basée sur les réponses à un questionnaire et des entretiens individuels. Nos constatations sont répertoriées dans un quatrième point. Le cinquième point aborde les apports théoriques et pédagogiques. Nous terminons notre propos sur les perspectives et les limites de notre étude.
1. La poursuite d’opportunités comme un processus
Le paradigme de l’opportunité entrepreneuriale trouve son origine avec l’article fondateur de Shane et Venkataraman (2000). Ces auteurs ont refondé le champ de l’entrepreneuriat dans une perspective gestionnaire autour de « l’analyse académique de la façon dont sont découvertes, créées et exploitées, les opportunités de mettre sur le marché de nouveaux biens et services, par qui et avec quelles conséquences » (Shane et Venkataraman, 2000, p. 218). L’exploitation d’opportunités s’inscrit dans un processus de perception et de construction d’opportunités.
1.1. Le processus entrepreneurial
Le processus entrepreneurial consiste à identifier, évaluer et exploiter les opportunités. L’approche processuelle est adaptée pour inclure la dynamique des interactions (Davidson, 2015). L’interaction implique que les individus vont poursuivre différents types d’opportunités dans ce processus entrepreneurial. Le déclenchement du processus vient, soit de la vision de l’entrepreneur qui conduit à la recherche d’opportunités, soit de la perception d’opportunités (Degeorge et Magakian, 2013). Ce processus peut être causal ou effectual. Sarasvathy (2001) définit la causation comme le processus de prise de décision qui est centré sur ce 145qui devrait être fait avec des buts prédéterminés et des moyens possibles. La logique effectuale se focalise en premier lieu sur les moyens disponibles. L’étudiant, dans une situation d’exercice pédagogique, travaille en groupe, change le contenu du projet et découvre « chemin faisant » d’autres opportunités. Il sera influencé par son environnement. Il sera amené à découvrir et à construire des opportunités au cours du processus.
1.2. La perception d’opportunités
L’opportunité existe avant d’être découverte par des entrepreneurs vigilants. Ces entrepreneurs ont les compétences pour l’exploiter (Kirzner, 1973). La perception de l’opportunité dépend de l’expérience acquise, de la recherche d’information et de la vigilance entrepreneuriale. La perception d’opportunités signifie rassembler des ressources disparates (Alvarez et al., 2013)
L’expérience diffère suivant l’origine de l’individu, ici des agriculteurs entrepreneurs. L’expérience acquise de génération en génération se transmet dans un cadre familial. Les futurs agriculteurs entrepreneurs, issus du milieu agricole, bénéficient de cette expérience. Les expériences antérieures de démarrage peuvent avoir un impact sur la propension des individus à découvrir ou à créer des opportunités (Smith et al., 2019).
Les informations acquises constituent la deuxième source de perception des opportunités. L’enseignement à l’université donne accès à des savoirs. L’information préalable est nécessaire à l’identification d’opportunités entrepreneuriales. Cette information relève des besoins des marchés, des produits et des technologies disponibles et des problèmes vécus par les consommateurs.
Le concept de vigilance entrepreneuriale introduit par Kirzner (1973) joue un rôle clé dans le processus de détection d’opportunités d’affaires à côté de l’expérience et de l’information. La vigilance est un concept important permettant d’expliquer la propension de certains individus à identifier des opportunités. Cette vigilance est liée aux autres sources identifiées précédemment. Ardichvili et al. (2003) expliquent que les connaissances antérieures et certains traits de personnalité ont un impact sur les réseaux sociaux. Ceux-ci ont, à leur tour, des répercussions sur la vigilance entrepreneuriale et sur les processus clés. Tang et al. (2012) ont représenté la vigilance entrepreneuriale autour de trois dimensions : la veille, la capacité à faire des associations et des connexions entre les 146informations, et celle d’évaluer et de juger les opportunités. Ils se sont inspirés des travaux de Kirzer et de ceux de l’approche cognitiviste. Les opportunités sont des occurrences naturelles (Degeorge et Messeghem, 2016). Elles émergent d’un choc exogène (Kirzner, 1973).
Deux catégories fondamentales de facteurs ont une influence sur la possibilité de reconnaître les opportunités. L’une est liée au fait que les individus doivent posséder les informations nécessaires pour identifier une opportunité ; l’autre au fait que les individus doivent avoir les propriétés cognitives nécessaires pour exploiter l’information (Shane et Venkataraman, 2000).
1.3. La construction d’opportunités
L’émergence des opportunités peut être considérée dans une perspective constructiviste (Sarasvathy, 2001). La logique constructiviste soutient que l’opportunité se construit sur le long terme. L’opportunité ne peut être identifiée uniquement par un individu vigilant (Degeorge et Messeghem, 2016). Les opportunités sont développées, formées, créées par des individus à travers des processus d’apprentissage et de créativité à partir de leur capital social. Bourdieu (1980) définit ce capital comme un stock de ressources actuelles ou potentielles. Ce stock est lié à la possession d’un réseau durable de relations, plus ou moins institutionnalisées, d’interconnaissances et d’interactions. Le capital social est un stock, il demande donc une activation pour en disposer. Dans le cadre de l’expérience entrepreneuriale, nous aurons à distinguer à la fois le capital social de l’étudiant et celui du groupe d’étudiants ainsi que le flux d’information provenant du groupe en interne, mais aussi en externe par la rencontre, notamment, avec d’autres entrepreneurs. Les idées des entrepreneurs pour de nouvelles entreprises émergent à travers un dialogue qui provient de conversations, de pensées et d’interactions (Smith et al., 2019). Le principal avantage d’un réseau social pour la découverte d’opportunités est la création d’un flux d’informations. Le processus d’identification d’opportunités « collectif » permet d’éviter certaines contraintes associées à la recherche individuelle d’informations (Tremblay et Carrier, 2006).
Le processus de créativité, concrétisé avec des ateliers d’idéation, va amorcer la construction d’opportunités. La construction de l’opportunité dépend de l’imagination de l’entrepreneur. Cette imagination est facilitée 147par les sollicitations du groupe. En agissant, les entrepreneurs créent des opportunités qui n’auraient pas pu être connues sans leurs actions. Les activités et les processus d’un entrepreneur sur le marché sont de véritables sources de nouvelles opportunités (Alvarez et al., 2013). La pédagogie de l’action devrait provoquer l’apparition et la construction d’opportunités. Cette source d’opportunité par l’action est difficile à isoler. Nous ne l’avons pas retenue pour l’élaboration de notre grille, nous estimons qu’elle est réelle et qu’elle se retrouve dans les autres sources. La pédagogie du projet met en avant l’action. L’action n’est pas déclenchée par une intention. Elle est imposée, elle agit sur la perception et la construction d’opportunité. Le tableau 1 reprend notre grille.
2. Le contexte
L’originalité de notre travail réside dans le choix du contexte. Ce contexte est celui d’une expérience entrepreneuriale avec des étudiants futurs agriculteurs.
2.1. Une expérience entrepreneuriale
L’entrepreneuriat est un phénomène socio-politico-économique et requiert des compétences acquises par apprentissage et/ou processus de socialisation. Nous considérons que l’entrepreneuriat est une compétence qui s’acquiert. Cette compétence est transversale, elle s’intéresse au développement personnel et à l’intégration sur le marché du travail en tant que salarié ou en tant que travailleur indépendant. Apprendre aux étudiants à reconnaître et à construire des opportunités fait partie des objectifs de l’enseignement de l’entrepreneuriat. Dans le référentiel de compétences « Pépite skills », l’émergence de l’opportunité entrepreneuriale est la deuxième phase des quatre phases retenues par les auteurs pour l’évaluation des compétences entrepreneuriales (Brenet et al., 2017). Le bénéfice pour l’étudiant résidera soit dans l’acquisition de compétences pour lancer son activité (Education about Entrepreneurship), soit dans le développement personnel (Education througt Entrepreneuship) ou les deux à la fois (Education for Entrepreneurship). L’opportunité est 148au cœur de cet apprentissage, l’enseignant doit mettre à disposition les outils (visites, échanges, travail en groupe) pour permettre aux étudiants d’élaborer leur projet. Des facteurs externes (entourage des étudiants, expériences passées) viennent compléter ces outils.
2.2. L’entrepreneuriat agricole
La typologie des agriculteurs élaborée par Lagarde (2004) montre l’existence de trois visions du métier d’agriculteur : une vision agronomique classique, une vision agricole officielle (diversification) et une vision entrepreneuriale. Les deux premières visions restent prépondérantes. Les institutions accompagnant les agriculteurs (chambres d’agriculture, conseillers de gestion) orientent les agriculteurs vers des projets prédéterminés. Les spécificités de l’exploitation agricole et la personnalité de l’entrepreneur ne sont pas prises en compte.
Par conséquent, les logiques institutionnelles éloignent les individus des activités nécessaires au processus de création, ce qui réduit la motivation à s’aventurer sur un marché ou un territoire nouveau ou inconnu (Smitt et al., 2019). La prégnance des institutions en agriculture limite les sources d’opportunités. La dimension entrepreneuriale est nécessaire à la croissance et à la pérennité de l’exploitation. Les compétences d’opportunités sont importantes pour les agriculteurs (de Wolf et al., 2007).
À côté de la prégnance des institutions et de la nécessité de développer des compétences entrepreneuriales se trouve une autre particularité du contexte agricole : l’intention entrepreneuriale des futurs agriculteurs. L’analyse de l’intention entrepreneuriale chez les agriculteurs montre, de la part des jeunes futurs installés, une volonté de poursuivre l’entreprise familiale et la passion pour l’agriculture. Les jeunes futurs agriculteurs ont une intention forte malgré les difficultés du métier.
Le changement de paradigme économique de l’entreprise agricole démontre la nécessité de considérer les caractéristiques entrepreneuriales des jeunes se destinant à la fonction d’agriculteur. Les fluctuations des marchés, les modifications des systèmes de production et de vente génèrent des approches nouvelles du métier. L’exploitation agricole est devenue une véritable entreprise (ou micro-entreprise). Les exploitants se qualifiaient avant tout de paysans et non d’entrepreneurs. Ceci n’est plus vrai (de Wolf et al., 2007). La production agricole n’est plus qu’un 149des objectifs de l’exploitation agricole parmi d’autres. Dans un contexte d’évolution de la politique agricole commune (PAC), des négociations de l’organisation mondiale du commerce (OMC), de la qualité et la sécurité alimentaire, de l’impact environnemental, de la relation à l’animal et de la demande des consommateurs en circuits courts, les agriculteurs doivent s’adapter.
La nécessité de diversification est très présente dans les discours politiques. Cette diversification nécessite de l’innovation ; elle est nécessaire à la pérennité de certaines exploitations. La pérennité de l’exploitation agricole est difficile à maintenir, pour notamment trois raisons :
–la faible valorisation financière du travail des agriculteurs,
–le partage de la valeur ajoutée qui n’est pas équitable entre les différents acteurs de la filière agricole,
–le prix très élevé des successions des exploitations agricoles.
Pour assurer la pérennité de l’exploitation malgré les raisons indiquées, les futurs installés devront exploiter davantage de sources d’opportunités. Un entraînement en amont de l’installation à la perception et à la construction d’opportunités est l’objectif du module d’entrepreneuriat (Whiting, 1988 ; Ward, 2004 ; Carrier, 2008 ; ou encore Fillis et Rentschler, 2010).
3. La méthodologie
Pour répondre à notre question de recherche : « Quelles sont les sources d’opportunités mobilisées par les étudiants, futurs entrepreneurs dans l’agriculture ? », nous avons construit une grille (tableau 1) en reprenant les sources identifiées dans notre revue de littérature. Les entretiens avec les 22 étudiants nous ont permis de compléter notre analyse des différentes sources d’opportunités mobilisées.
150Fig. 1 – De la création d’une grille à son analyse.
Source : Auteur.
3.1. Une recherche-action de type ingénierique
Les étudiants participent à un concours d’innovation. Ils développent des compétences. Nous nous sommes attardés sur la compétence « perception et construction d’opportunités ».
Les dimensions de subjectivité et de complexité nous conduisent à privilégier une approche méthodologique qualitative. Les méthodes qualitatives sont adaptées dans l’approche des mécanismes sociaux et dans la contextualisation des comportements. Selon Dumez (2016, p. 13), « une distinction doit être faite entre la situation telle que la vivent les acteurs et la situation telle qu’elle est vue par le chercheur. Les deux doivent être mises en tension et c’est de cette tension que naît l’analyse ». L’analyse des entretiens, complétée de nos observations et interventions permet cette mise en tension. L’unité d’analyse est forgée par le récit, l’interprétation et le comportement de l’étudiant. Ces éléments justifient notre démarche qualitative.
L’originalité de notre recherche réside dans la construction d’une grille. C’est une recherche-action de type ingénierique avec la création d’un outil. Cette grille recense les sources d’opportunités établies par les théories sur l’opportunité. Pendant l’année universitaire, l’observation des étudiants a permis l’intervention régulière auprès des étudiants afin d’élargir leurs sources d’opportunités et/ou de faire prendre conscience aux étudiants des sources d’opportunités qu’ils avaient mobilisées. Ce travail réflexif avec les étudiants s’est fait à chaque étape clé du projet, 151comme la recherche d’informations, le brainstorming en début d’année, les visites d’exploitations innovantes ou encore la rencontre avec le parrain. En effet, lors de l’expérience entrepreneuriale, les étudiants sont parrainés par un agriculteur. Les échanges avec le parrain sont une source d’opportunités. L’objectif n’était pas uniquement de constater des comportements, mais d’agir sur ces comportements. La dimension instrumentale est importante et l’implication des acteurs y est plus forte que dans une recherche-action classique. La recherche de type ingénierique adopte un positionnement épistémologique constructiviste. Elle contribue à l’amélioration des pratiques en mettant en place des outils. Nous assumons notre influence sur l’expérience entrepreneuriale et nous renonçons à notre neutralité.
3.2. Le matériau de recherche
La promotion concernée par notre étude se compose de vingt-deux étudiants, quatorze filles et huit garçons que nous noterons de F1 à F14 et de G1 à G8 pour garder l’anonymat. Parmi eux, dix-huit ont un projet de création d’entreprise en agriculture. Les étudiants participent au concours des mini-entreprises. Ils créent leur entreprise sur l’année universitaire. En début d’année universitaire, des groupes sont constitués de quatre ou de cinq étudiants. Les groupes sont mixtes. Ils définissent un thème ensemble en fonction de leur envie ou de leurs connaissances. Ensuite, ils choisissent un parrain agriculteur qui va les accompagner durant l’année. Les étudiants consacrent deux demi-journées par semaine à leur projet. Aucune aide financière n’est accordée. En revanche, sur présentation d’une facture, les frais, dans la limite de 250 € par projet, sont remboursés par l’université. Cinq projets ont été développés qui ont pour thématique :
–un steak végétal,
–une pâte à tartiner à l’huile d’argan,
–une préparation fromagère avec des légumes,
–une box allégée en sucre,
–une box-goûter avec des produits de la ferme.
Ces projets sont innovants. L’entrepreneuriat ne s’accompagne pas nécessairement d’innovation. En revanche, l’innovation mobilise des 152sources d’opportunités étendues. Cette expérience de concours se prête à l’exercice de mobilisation des sources d’opportunités. L’innovation est un attendu du concours et permet aux futurs agriculteurs de sortir du schéma classique d’agriculteurs producteurs.
La grille a été complétée par les étudiants trois mois après le début de l’expérience entrepreneuriale. À ce stade, les étudiants ont défini leur projet, choisi leur parrain et débuté les études et tests. Pour chacun des items, il a été demandé aux vingt-deux étudiants de compléter par le chiffre 0, 1, 2 ou 3. Le chiffre 0 correspond à une source de création ou de construction non mobilisée ; le chiffre 1 à une source faiblement mobilisée ; le chiffre 2 à une source moyennement mobilisée et le chiffre 3 à une source fortement mobilisée. L’intérêt de cette grille est qu’elle est facilement compréhensible par les étudiants, rapide à compléter et aisément exploitable.
Tab. 1 – Présentation de la grille issue de la revue de littérature.
1.1 Expérience antérieure (perception d’opportunités) |
1.2 Recherche d’informations sur les marchés (perception d’opportunités) |
1.3 Recherche d’informations sur les produits (perception d’opportunités) |
1.4 Recherche d’informations sur les problèmes des consommateurs (perception d’opportunités) |
1.5 Vigilance entrepreneuriale (perception d’opportunités) |
2.1 Interactions, rencontres avec d’autres entrepreneurs (construction d’opportunités) |
2.2 Interactions, rencontres avec les membres du groupe (construction d’opportunités) |
2.3 Créativité, brainstorming (construction d’opportunités) |
Source : Auteur.
La méthodologie en recherche qualitative nécessite de multiplier les sources d’information. Les entretiens avec chacun des étudiants nous ont permis, de vérifier la bonne compréhension des items et de questionner les étudiants sur cette expérience entrepreneuriale. Le guide d’entretien contient 3 parties :
153–la motivation,
–l’existence d’une opportunité,
–la valorisation de l’expérience.
Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits afin d’être analysés. L’analyse s’est faite de façon manuelle ; nous avons d’abord déterminé des catégories, ensuite codé et enfin interprété. L’interprétation consiste à prendre appui sur les éléments mis au jour par la catégorisation pour fonder une lecture à la fois originale et objective du corpus étudié. Les entretiens de 40 minutes à une heure concernent les 18 étudiants qui ont un projet d’installation. Pour les 4 autres, les entretiens servant à vérifier les réponses aux questionnaires ont duré une quinzaine de minutes.
4. La présentation des résultats
Le recueil du matériau empirique s’est fait en deux temps : tout d’abord, le retour du questionnaire complété par les vingt-deux étudiants et, ensuite, les entretiens. Nous analyserons dans un premier temps les questionnaires en nous appuyant sur la première partie des entretiens. Les étudiants devaient amener les preuves qu’ils avaient mobilisé telle ou telle source d’opportunités. Dans un deuxième temps, nous analyserons la deuxième partie des entretiens. L’expérience entrepreneuriale a été présentée comme la possibilité de réaliser un test d’une diversification possible. Nous avons choisi d’interroger uniquement les 18 étudiants ayant manifesté l’intention d’entreprendre.
4.1. La mobilisation des sources d’opportunités
Le questionnaire a été proposé aux étudiants trois mois après le début de l’expérience entrepreneuriale. Pour chaque source (de 1.1 à 2.3), l’étudiant a mentionné le degré de mobilisation.
154Tab. 2 – Résultats de la grille complétée par les 22 étudiants.
Perception d’opportunités |
Construction d’opportunités |
|||||||
Nature de la source |
1.1 |
1.2 |
1.3 |
1.4 |
1.5 |
2.1 |
2.2 |
2.3 |
Source fortement mobilisée |
8 |
5 |
8 |
5 |
4 |
2 |
13 |
5 |
Source moyennement mobilisée |
6 |
13 |
12 |
12 |
15 |
2 |
3 |
11 |
Source faiblement mobilisée |
6 |
4 |
2 |
5 |
3 |
12 |
6 |
6 |
Source non mobilisée |
2 |
0 |
0 |
0 |
0 |
6 |
0 |
0 |
Source : Auteur.
L’item le plus cité dans les sources de perception d’opportunités est la recherche d’information sur les produits (1.3). Cette recherche d’information a été le point de départ de la démarche entrepreneuriale menée par les étudiants. Les étudiants ont privilégié une recherche sur des produits faisant sens pour eux. Les groupes ayant travaillé sur la box-goûter et la préparation fromagère étaient constitués exclusivement d’enfants d’agriculteurs ; leur objectif, à travers le projet, était de valoriser les produits de la ferme. Cette volonté faisait sens aussi par rapport à leur projet professionnel. Ils ont conscience que la performance financière de l’exploitation passera par une diversification. L’expérience entrepreneuriale a été pour ces étudiants l’occasion de tester une diversification possible. À plusieurs reprises, ils ont exprimé la volonté de travailler sur la valorisation du lait. Ce sont des étudiants passionnés par l’élevage bovin. Cette passion a été un moteur durant l’année universitaire. L’investissement en temps et en énergie a été important. Il a été valorisé par une place de deuxième au concours régional des mini-entreprises pour le groupe ayant travaillé sur la box-goûter. Certes, la passion pour une production végétale ou un élevage donne du sens au projet et mobilise de l’énergie, mais elle ne garantit pas une rentabilité financière.
155Le deuxième item relatif à la perception d’opportunités, le plus cité, est la vigilance entrepreneuriale (1.5), suivi de près de la recherche d’informations sur les marchés (1.2) et sur les problèmes des consommateurs (1.4). Les deux groupes ayant travaillé sur la box allégée et le steak végétal ont privilégié une démarche d’observation des tendances. Les étudiants de ces deux groupes ont expliqué leur démarche en évoquant une stratégie consistant à s’orienter vers des produits dont la demande est en forte progression. Ces deux groupes étaient composés de deux tiers d’enfants d’agriculteurs, moins que les deux premiers groupes. Une étudiante faisant partie du groupe travaillant sur le steak végétal a demandé avec insistance d’intégrer le groupe travaillant sur la box-goûter en arguant que même si elle pensait que le steak végétal était un produit intéressant et prometteur en termes de demande, ce produit consistait en une alternative à la viande. Étant passionnée par l’élevage, le projet ne faisait pas sens pour elle, elle n’imaginait pas pouvoir s’investir dans ce projet de steak végétal.
Dans la grille proposée aux étudiants, les trois derniers items concernent la construction d’opportunités. L’item le plus mobilisé évoque les interactions, rencontres avec les membres du groupe (2.2). Les projets se sont construits à partir des interactions dans le groupe. Ces résultats rejoignent ceux de Alvarez et al (2013) : les entrepreneurs s’appuient sur l’adhésion des liens sociaux d’autres acteurs engagés conformément à la logique constructionniste. Le groupe ayant travaillé sur la pâte à tartiner à base d’huile d’argan était composé de cinq personnes, dont deux Marocains. Ils ont voulu créer un produit mélangeant les deux cultures : la compote de pommes comme produit local et les connaissances sur l’huile d’argan apportées par les Marocains.
4.2. Les preuves de la mobilisation
des sources d’opportunités et leur transférabilité
Dans un premier temps, nous avons questionné les 22 étudiants (14 filles : F1 à F14 et 8 garçons : G1 à G8) sur les sources mobilisées pendant l’expérience entrepreneuriale afin de vérifier les réponses au questionnaire. Ensuite nous avons interrogé les étudiants ayant un projet d’installation. Le guide d’entretien se compose de trois parties pour ces étudiants, soit 18 étudiants. Notre tableau reprend les réponses aux questions pour les 18 étudiants futurs agriculteurs.
156Tab. 3 – Occurrences constatées lors des entretiens.
Éléments du guide d’entretien |
Thèmes repris des verbatim |
Occurrence |
Motivation |
Passion Passion pour l’élevage Passion pour le milieu agricole Passion pour l’équitation Passion pour le maraichage Avoir des responsabilités Changer les pratiques |
10/18 6/10 2/10 1/10 1/10 6/18 2/18 |
Existence d’une opportunité ? |
Le projet ne correspond pas à une opportunité Le projet correspond à une opportunité : – valorisation du patrimoine familial – exporter du Maroc vers la France |
10/18 8/18 6/8 2/8 |
Valorisation de l’expérience |
Cette expérience sera utile pour : – la commercialisation des produits – travailler en équipe – la gestion d’un budget – les contacts noués |
16/18 8/16 5/16 4/16 1/16 |
Source : Auteur.
Dans la première partie concernant les motivations pour l’installation, le thème de la passion pour l’agriculture est le plus cité, notamment la passion pour l’élevage. Baron (2008) explique que les affects influencent l’amorçage de l’opportunité. L’identification de souvenirs spécifiques ou d’associations en rapport avec l’humeur de l’individu et ses passions influencent les processus cognitifs de base et certains éléments clés du processus entrepreneurial comme l’identification d’opportunités. L’envie d’être son propre patron, d’avoir des responsabilités, de travailler pour soi est un thème cité comme motivation première par six étudiants sur dix-huit. F8 désire travailler pour elle et savoir pourquoi elle se lève le matin.
Dix étudiants sur dix-huit considèrent que leur installation sur l’exploitation familiale ne correspond pas à une exploitation d’opportunité. L’enseignement de l’émergence d’une opportunité, comme nécessité de pérennité de l’exploitation agricole, est à privilégier (de Wolf et al., 2007). La première opportunité énoncée est celle de profiter de la possibilité de 157reprendre l’exploitation familiale. G2 évoque la possession de terres et de bâtiments agricoles dans la famille. Quatre étudiants sont marocains et désirent reprendre l’installation familiale au Maroc. Leur venue en France a permis de mieux comprendre les attentes des consommateurs français, ils se sont rendu compte de l’existence d’opportunités d’exporter, notamment des agrumes bio en France. Les étudiants ont également évoqué les subventions agricoles. Pour F3, l’attribution des subventions est une opportunité :
J’ai une amie qui a développé un élevage de poules pondeuses plein air, elle m’a expliqué que son projet a été subventionné à 40 %.
La troisième partie du guide d’entretien traite de la possible valorisation de l’expérience entrepreneuriale. La quasi-totalité des étudiants (seize sur dix-huit) pense que l’expérience leur sera utile. Ils considèrent avoir acquis des compétences pour la commercialisation d’une production, pour le travail en équipe et la gestion d’un budget. Un étudiant a évoqué les contacts qu’il a pu nouer au cours de cette expérience. Deux étudiants estiment que cette expérience ne leur sera pas profitable pour leur projet. Pour l’étudiant G1, « il parait difficile d’organiser [son] projet autour de cela ». Cette expérience lui a été difficile à vivre : une mauvaise ambiance s’est instaurée dans le groupe. Pour un autre étudiant, G3, il n’est pas possible d’établir de rapport avec l’installation et de profiter de l’expérience : son projet est de développer un élevage. En revanche, pour F7 qui a un projet de diversification sur l’exploitation, l’expérience a permis d’accroitre ses compétences en commercialisation, ce qu’il souligne en disant « [qu’il s’était] fixé comme objectif de vendre au moins quinze box avant la date du concours, et [qu’il a] réalisé que faire connaître et vendre son produit n’est pas évident. Il ne suffit pas de produire un bon produit ». La transférabilité est conditionnée par une expérience réalisée dans de bonnes conditions et un lien entre l’expérience et le projet d’installation.
1585. La discussion des résultats :
les apports théoriques et pédagogiques
L’analyse des résultats nous conduit à constater que des éléments théoriques que nous avions exposés se confirment. Le réseau social permet la création d’un flux d’informations (Smith et al., 2019). Ce réseau permet l’apparition d’opportunités. Le travail en groupe a permis la construction d’un réseau. Les interactions ont été nombreuses et déterminantes pour l’élaboration des projets. Les entretiens ont mis en évidence deux points sur lesquels nous reviendrons plus en détail, à savoir la passion comme vecteur de motivation et d’exploitation d’opportunités et la mise en évidence d’une démarche effectuale. Nous terminerons par les apports pédagogiques d’accompagnement.
5.1. La passion comme motivation pour leur projet
Nous avons choisi de débuter nos entretiens en abordant la motivation pour la reprise d’exploitation. Il s’agit d’un exercice de réflexivité intéressant pour les étudiants. Dix étudiants sur dix-huit ont mentionné que l’objectif de leur installation n’était pas d’exploiter une opportunité, mais d’assouvir leur passion. La passion de l’entrepreneur et ses différents types d’objets (passion d’entreprendre, passion professionnelle) viennent questionner les recherches classiques et renforcer les recherches sur l’accompagnement. La passion facilite la perception et la construction d’opportunités (Baron, 2008). Nous avions évoqué la passion comme moteur dans l’émergence de l’opportunité, nos résultats le confirment. La passion pour les activités agricoles motive et facilite la recherche et la construction d’opportunités.
5.2. La co-construction d’opportunités
dans une démarche effectuale
La passion suit une démarche causale : le but recherché est de vivre de sa passion. Cependant, nos résultats montrent également une démarche effectuale. Les étudiants adoptent une démarche effectuale pour le concours qu’ils pourront reproduire lors de leur installation. Les cinq principes de l’effectuation (Sarasvathy, 2001) sont :
159–1) Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Il est demandé aux étudiants de déterminer les moyens à leur disposition pour démarrer leur projet sans demander une participation financière d’un tiers. L’approche effectuale cherche ce qui peut être fait avec les moyens donnés.
Au début, nous ne savions pas vers quel projet aller, nous avons fait des recherches, réfléchi et nous nous sommes basés sur nos expériences personnelles (F5).
Cette approche peut être intéressante en entrepreneuriat agricole où chaque exploitation et chaque entrepreneur ont des ressources propres.
–2) Raisonnement en perte acceptable. La perte est connue à l’avance, le risque est maitrisé.
Nous n’avons pas créé réellement, nous n’avions pas peur de ‘nous rater’, nous n’avions pas notre argent en jeu (F14).
Ce principe s’applique naturellement dans le contexte de l’expérience entrepreneuriale. Il peut être formateur lors de l’installation, afin de minimiser le risque.
–3) Patchwork. Les étudiants s’intéressent à la création de partenariats afin de « co-construire » le projet. La démarche entrepreneuriale consiste à assembler un patchwork avec les parties prenantes, sans que l’on puisse dire à l’avance avec qui le patchwork sera créé. Les étudiants testent des partenariats.
Au fur et à mesure des différentes rencontres que nous avons eues (portes ouvertes, Hackathon, discussions avec notre parrain), nous avons rencontré des personnes qui nous ont aidés pour notre projet (G7).
Cette compétence de co-construction leur servira lorsqu’ils seront entrepreneurs.
–4) La limonade. Les étudiants accueillent les surprises favorablement et en tirent parti. Ils démarrent sur une idée et continuent sur une autre à la suite d’une observation fortuite, d’une suggestion d’un client ou d’un accident. La surprise peut venir d’une rencontre :
Nous sommes allées voir des agriculteurs, on ne les connaissait pas, c’est intéressant de voir autrement (F3).
160L’objectif est de laisser aux étudiants la possibilité de se tromper, d’apprendre de leur erreur et rebondir sur un autre projet. Le droit à l’erreur est, en revanche, plus difficile à mettre en œuvre lorsque l’installation a nécessité d’importants investissements. Cet apprentissage de l’erreur doit pouvoir aider les futurs installés lorsqu’ils seront confrontés à des difficultés.
–5) Le pilote dans l’avion. Dans la démarche entrepreneuriale, l’action est privilégiée à l’analyse. L’action est source d’apprentissage et de transformation de l’environnement. Action, transformation et cognition sont étroitement liées. La pédagogie de l’action est favorisée ; les étudiants doivent réaliser des ventes réelles. La confrontation au terrain est un exercice formateur pour les futurs agriculteurs.
Nous sommes partis sur un biscuit avec des produits laitiers, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas très innovant. De fil en aiguille, nous avons regroupé nos idées et nous avons trouvé notre concept (F10).
Les prévisions de chiffre d’affaires et de résultat effectuées, lors du montage des dossiers d’installations, peuvent s’avérer différentes du chiffre d’affaires et du résultat réels dans un environnement incertain. L’action est une véritable source de nouvelles opportunités (Alvarez et al., 2013). L’environnement est particulièrement incertain en entrepreneuriat agricole où s’ajoutent, de façon prégnante, des conditions climatiques parfois difficiles. Savoir gérer dans l’action, modifier le plan de vol, est une compétence intéressante pour l’entrepreneur agriculteur.
La démarche effectuale se représente comme une spirale d’apprentissage vertueuse. Elle augmente progressivement la perception de compétence au fur et à mesure que les moyens et partenaires accessibles augmentent (Verzat et al, 2016).
L’émergence d’opportunités est une compétence entrepreneuriale suivant une logique causale et effectuale.
5.3. Les apports pédagogiques et d’accompagnement
Les deux axes du contexte pédagogique de la mini-entreprise sont l’autonomie et l’individualisation des compétences. Un certain nombre de ressources sont proposées aux étudiants comme la rencontre avec d’autres 161entrepreneurs, les ateliers d’idéation ou encore les sorties pédagogiques. Très peu de consignes sont données aux étudiants. Nous demandons aux étudiants d’être entrepreneurs de leur apprentissage entrepreneurial (Verzat et al, 2016). Le questionnaire nous renseigne sur le faible recours aux interactions avec les entrepreneurs comme source de perception d’opportunités. Les étudiants sont issus en majorité du milieu agricole, ils ont rencontré des entrepreneurs agriculteurs notamment leur parrain. Les rencontres avec les entrepreneurs proposées pendant la formation mériteraient d’être mieux préparées en amont afin d’être davantage profitables aux étudiants.
Les étudiants ont testé une forme de diversification, pas forcément adaptable à leur contexte de futur installé, mais ils ont pu constater l’importance de la communication ou de la commercialisation entre autres. Seize étudiants sur dix-huit pensent que cette expérience entrepreneuriale leur sera utile pour leur future installation. L’intérêt était aussi, grâce aux entretiens, de leur montrer que les opportunités peuvent être perçues, mais aussi construites, que vivre de sa passion est un beau projet, mais qu’il faut veiller aussi aux attentes du marché. Les entretiens ont été une source d’information pour alimenter notre recherche ; ils ont été, pour les étudiants, un exercice de réflexivité.
Suite aux entretiens, les étudiants ont également évoqué les subventions comme condition de rentabilité de leur projet. Les subventions agricoles pour l’installation (dotation jeunes agriculteurs – DJA) ou le financement partiel de projet de diversification (subvention pouvant atteindre 40 % de l’investissement) ne sont pas négligeables, plus importantes que dans d’autres secteurs. L’ajout d’un item dans notre questionnaire sur les subventions comme source d’opportunités nous semble nécessaire. Dans notre grille proposée dans le tableau 1, nous rajoutons, dans la catégorie « perception d’opportunités » un item 1.6 intitulé « recherche d’informations sur les subventions possibles ».
Les trois apports pédagogiques consistent à davantage préparer les rencontres avec les agriculteurs, à proposer des exercices de réflexivité pour mieux ancrer les compétences acquises et compléter la grille d’un item concernant l’opportunité d’obtenir des subventions. Ces apports peuvent être transférés pour l’amélioration des pratiques d’accompagnement des jeunes agriculteurs.
1626. Perspectives et limites
6.1. Perspectives
L’expérience entrepreneuriale proposée à l’université devrait permettre aux futurs agriculteurs de construire de nouvelles opportunités. Nous sommes partis d’un constat : les agriculteurs suivent les logiques institutionnelles ; ils découvrent davantage les opportunités qu’ils ne les créent. Nos résultats de recherche nous permettent d’avancer que lors d’une expérience entrepreneuriale menée dans un cadre universitaire, les opportunités sont à la fois découvertes et construites dans une démarche effectuale. Nous avons posé la question de la transférabilité des compétences acquises pour leur projet professionnel d’installation. Ils ont répondu que les compétences acquises leur seraient utiles. Les contextes de la mini-entreprise et de l’installation sont différents. Pour la mini-entreprise, il s’agit d’un travail en groupe avec un échec possible et formateur dans un contexte universitaire protecteur ; pour le projet de reprise d’exploitation, il s’agit d’une démarche individuelle avec des investissements importants. Les travaux de recherche après leur installation permettront de vérifier s’ils ont étendu leurs sources d’opportunités pour améliorer la performance de leur exploitation. Nous ne savons pas si la multiplication des sources d’opportunités est un facteur de performance pour les exploitations agricoles. Il a été démontré que la performance de l’entreprise à long terme repose plus sur sa capacité à construire, découvrir et exploiter des opportunités que sur sa seule capacité à maintenir un avantage concurrentiel sur ses produits (Chabaud et Messeghem, 2010). Si le transfert des compétences s’avère réalisé, cette expérience entrepreneuriale devrait améliorer la performance des exploitations agricoles. Les dix-huit étudiants ont pour projet de s’installer dans notre région, ce qui facilitera notre suivi lors de leur installation.
6.2. Limites
Le chercheur n’accède jamais à une objectivité totale. Nous avons identifié deux biais à notre recherche. Le premier a trait au fait que 163le chercheur baigne dans le milieu agricole depuis son enfance ; cette connaissance peut donner lieu à des préconceptions. Le deuxième est un biais de désirabilité ; le chercheur est également l’enseignant en entrepreneuriat, la personne qui évalue les étudiants. La posture d’enseignant permet une immersion dans l’accompagnement des étudiants pour le projet et donne accès à de nombreuses informations ainsi que la possibilité de valider les propos des étudiants. Il n’y a pas de biais liés au temps puisque nous avons vécu l’expérience. En effet, le recul biaise la mémoire.
Le recueil et l’analyse des données ne portent que sur une seule promotion d’étudiants. Nous avons bien conscience qu’il s’agit d’un petit échantillon (vingt-deux étudiants). La multiplication des sources d’information permet de valider cette recherche qualitative exploratoire. Notre recherche qualitative doit être considérée comme une première recherche pour faire progresser la théorie sur la formation des opportunités. La triangulation des données a été réalisée. Le questionnaire complété par les étudiants, les entretiens individuels, le suivi sur l’année universitaire, mais aussi le questionnement des parrains des projets de mini-entreprises, des autres enseignants, des membres du jury après les résultats ont permis cette triangulation des données. Le questionnaire établi sur la perception et la construction est un outil qui sera utilisé dans les années futures. Il constitue un retour d’information pour l’enseignant lui permettant d’aider l’étudiant à prendre conscience de sa démarche et à utiliser plusieurs sources de perception et de construction d’opportunités auxquelles il n’a pas eu forcément recours. Pour le chercheur, ce matériau de recherche, constitué par le retour des questionnaires, permettra de confirmer ou d’infirmer les résultats obtenus par la recherche exploratoire. Il pourrait être étendu à d’autres formations agricoles avec des résultats probablement différents en fonction du niveau d’études.
Conclusion
Cette expérience entrepreneuriale, menée dans le cadre de la participation au concours des mini-entreprises, développe des compétences 164entrepreneuriales. En effet, les étudiants ont identifié des sources d’opportunités variées. À notre question de recherche, nous avons répondu que les étudiants mobilisent à la fois des sources de perception et de construction d’opportunités. Cette démarche s’effectue suivant les principes de l’effectuation. L’apport, en termes d’outils, est la construction d’une grille, recensant les sources d’opportunités, compréhensible par les étudiants et adaptée au contexte agricole. Un des objectifs de notre recherche était de créer un support (une grille des sources d’opportunités) afin d’analyser les sources mobilisées et celles qui pourraient l’être. Le travail réflexif mené sur l’identification et la construction d’opportunités devrait permettre aux étudiants d’élargir leurs sources d’opportunités lors de leur projet d’installation. Ce probable transfert fera l’objet de recherches futures.
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- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN : 978-2-406-12705-5
- EAN : 9782406127055
- ISSN : 2555-0411
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12705-5.p.0143
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/01/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : perception d’opportunités entrepreneuriales, construction d’opportunités entrepreneuriales, expérience entrepreneuriale, entrepreneuriat agricole, démarche effectuale.