Food safety standards and territorialized food systems
- Publication type: Journal article
- Journal: Systèmes alimentaires / Food Systems
2018, n° 3. varia - Author: Leclercq (Morgane)
- Pages: 139 to 159
- Journal: Food systems
Normes sanitaires et systèmes alimentaires territorialisés
Morgane Leclercq
Faculté de droit, Université Laval (Québec)
Les normes sanitaires internationales jouent un rôle significatif dans le processus de renforcement des systèmes nationaux de contrôle des produits alimentaires (FAO et OMS, 2018). Élaborées par le Codex Alimentarius pour devenir des normes de référence conformes à la fois aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et aux connaissances scientifiques liées à la protection de la santé du consommateur, ces normes pénètrent aisément les droits nationaux en devenant de facto une base scientifique et légale pour élaborer des cadres réglementaires relatifs à la salubrité des produits alimentaires. Ce développement de la normalisation sanitaire permet aux États de contrôler la salubrité des aliments vendus sur leurs marchés ; mais il fait aussi peser un risque économique, social et culturel sur les systèmes alimentaires territorialisés dont les procédures de production, transformation et vente ne se conforment pas aux normes établies. Outre leurs avantages pour les consommateurs, les normes sanitaires peuvent bien sûr bénéficier aux petits producteurs. Elles leur permettent parfois d’avoir un accès facilité à des informations utiles pour assurer la sécurité sanitaire de leurs produits ou pour ouvrir leur marché à l’international. Toutefois, les normes sanitaires internationales deviennent aussi des normes techniques nationales imposant d’importants investissements et impliquant une longue mise en œuvre.
Miriam est productrice de fromage de chèvre dans les Cévennes. Elle transforme 10 litres de lait par jour et vend, de façon informelle, 140quelques fromages à ses voisins. Cette vente directe ne lui permettant pas d’écouler son stock de lait, elle souhaite élargir sa clientèle. Elle pense à vendre ses fromages sur le petit marché de sa commune et à mettre une pancarte au bord de la route pour guider d’éventuels nouveaux clients. Pour concrétiser son projet, elle s’informe et découvre que les services de contrôle français lui imposent de mettre ses installations aux normes et d’établir un plan de maîtrise sanitaire. Miriam a-t-elle les connaissances et les moyens économiques et humains de respecter ces exigences ? Pourra-t-elle raisonnablement financer le lave-main à commande non manuelle exigé pour poursuivre son activité, et ce sans augmenter considérablement le prix de ses fromages ? Acceptera-t-elle de réaliser des travaux pour séparer sa plonge et sa table d’égouttage ? L’objectif de cette productrice de fromage de chèvre n’est ni le commerce à grande échelle ni même l’augmentation de sa production de lait : elle souhaite continuer son activité en établissant de nouvelles relations monétaires avec son voisinage. Les contrôles sanitaires français qui s’imposent à elles sont conformes aux prescriptions des textes du Codex Alimentarius, mais ne correspondent pas aux ambitions personnelles et professionnelles de cette productrice qui, aux dires de ses voisins, produit pourtant un très bon fromage local.
Les normes sanitaires internationales engendrent des lois, des règlements, des guides de bonnes pratiques et des contrôles sanitaires qui impactent les modes de production alimentaire nationaux. Il est difficile de recenser et de généraliser les incompatibilités qui peuvent ou pourraient exister entre normes sanitaires et systèmes alimentaires territorialisés. Ces recherches nécessitent de multiples études de cas, sur des systèmes alimentaires et sanitaires variés, ainsi que des méthodes d’analyse à plusieurs échelles spatiales qui sont encore peu développées en droit de la sécurité alimentaire. Grâce à un deuxième exemple, tiré des travaux de Parent et Desjardins, nous comprendrons toutefois que les normes sanitaires peuvent également impacter le développement de certaines communautés autochtones. Cette démonstration clôturera nos propos relatifs au bien-fondé des idées proposées dans l’article.
Le système alimentaire territorialisé des autochtones du Nunavik repose traditionnellement sur des pratiques de chasse et pêche et sur la consommation et le commerce régional des produits et sous-produits de ces activités. Aujourd’hui, les projets d’installation de serres hydroponiques 141se multiplient dans le Nord québécois et le régime alimentaire des Inuits évolue vers un régime fondé sur la consommation de fruits et légumes. Il demeure toutefois largement basé sur la consommation de gibier. Or, la transformation du gibier par les autochtones du Nunavik ne respecte pas les normes du Recommended International Code of Hygienic – Practice for Game (Desjardins et Parent, 2003). Ce texte impose que les établissements pour gibier soient conçus, construits et équipés afin que toutes les pièces soient équipées d’installations adéquates pour se laver les mains, d’un système d’évacuation des eaux usées à branchement direct sur l’égout et de robinets qui ne peuvent être actionnés à la main. Ces règles, formulées sur la base des réalités industrielles de grands producteurs alimentaires, sont très éloignées des possibilités qu’offrent les conditions économiques et climatiques du Nord québécois (Desjardins et Parent, 2003). En adoptant les normes du Codex Alimentarius pour réguler leur marché, sans comprendre ceux qui en seront exclus, le Canada désavantage des Inuits dont la production alimente non seulement les habitants de leurs communautés, mais aussi le tissu social et culturel de leur société.
Compte tenu des impacts que peuvent engendrer les normes sanitaires sur les systèmes alimentaires territorialisés, il importe de s’interroger sur la manière dont celles-ci pourraient mieux prendre en compte les réalités économiques, environnementales, sociales et culturelles locales. Le Codex Alimentarius prévoit dans son manuel de procédure que ses travaux priorisent l’établissement de normes fondées sur des problèmes ou des questions qui ont dimension internationale, ou sur des produits au potentiel commercial important et dont le volume de production, de consommation et d’échange est conséquent (Codex Alimentarius, 2016). L’élaboration des normes sanitaires au sein du Codex Alimentarius suit donc une procédure qui fait une large place aux considérations liées aux méthodes de production des entreprises dont l’objectif premier est de faire du commerce à l’échelle internationale (Desjardins et Parent, 2003).
Cette ligne directrice qui organise les dynamiques réglementaires du Codex Alimentarius ne permet pas de prendre en compte les systèmes alimentaires territorialisés (SAT). Défini comme un « ensemble de filières agroalimentaires localisées dans un espace géographique de dimension régionale et coordonnées par une gouvernance territoriale » (Rastoin, 2015), le système alimentaire territorialisé n’est pas une priorité du Codex 142Alimentarius. À l’inverse, nous pensons que cette entité est l’organisation la plus développée à ce jour pour traiter les problèmes sanitaires que peuvent connaître les systèmes alimentaires. Le Codex Alimentarius travaille depuis 55 ans, embauche les meilleurs experts internationaux et dispose de moyens humains et économiques pour traiter des problèmes complexes. De plus, cette entité a la possibilité de créer, pour les besoins de ses travaux, des synergies avec ses organisations mères que sont l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé). Ce sont autant d’atouts qui en font, pour nous, une entité désignée pour renforcer les capacités sanitaires des SAT.
Les mécanismes de droit assurant le maintien et le développement des SAT sont encore peu étudiés par les chercheurs. Dans cette étude, nous participerons à ces réflexions en analysant plus précisément les moyens juridiques par lesquels les caractéristiques particulières des SAT pourraient être mieux prises en compte dans les procédures du Codex Alimentarius. Nous verrons que la protection juridique des SAT implique une meilleure prise en compte de facteurs interdisciplinaires (1) et une meilleure représentativité des acteurs locaux (2).
1. La diversité des facteurs à prendre en compte
pour élaborer des normes sanitaires adaptées
aux systèmes alimentaires territorialisés
À l’heure actuelle, les facteurs qui sont pris en compte pour élaborer les normes sanitaires du Codex Alimentarius sont essentiellement scientifiques (1.1). En fait, les facteurs non scientifiques ont une place secondaire assez fragile au sein de cet organe international (1.2). Admettre l’utilisation d’autres facteurs liés à la sécurité alimentaire et aux SAT pose des difficultés théoriques et pratiques. Il est cependant indispensable de les résoudre pour que le Codex Alimentarius devienne une entité assurant la sécurité sanitaire des produits alimentaires dans le respect de la diversité des modes de production existant à travers le monde (1.3).
1431.1. L ’ actuelle prise en compte des données scientifiques
Les principes de travail pour l ’ analyse des risques destinés à être appliqués dans le cadre du Codex Alimentarius énoncent que l’évaluation des risques, sur laquelle s’appuient la procédure ultérieure d’analyse des risques et la décision d’élaborer ou de réviser toute norme sanitaire, « doit être fondée sur toutes les données scientifiques disponibles » (Codex Alimentarius, 2016). Plus significativement, les Déclarations de principes concernant le rôle de la science dans la prise de décisions du Codex et les autres facteurs à prendre en considération expliquent que « les normes alimentaires, directives et autres recommandations du Codex Alimentarius doivent reposer sur une analyse et sur des preuves scientifiques objectives, après un examen approfondi de toutes les données pertinentes, de façon que les normes garantissent la qualité et la sécurité des approvisionnements alimentaires » (Codex Alimentarius, 2016). Ainsi, l’ensemble de la procédure d’élaboration d’une norme internationale sanitaire par le Codex Alimentarius prend appui sur des données scientifiques.
Cette place dont bénéficie la science au sein du Codex Alimentarius concorde avec l’objectif de sécurité sanitaire des produits alimentaires, les connaissances scientifiques concernant les micro-organismes et les substances chimiques qui provoquent les maladies d’origine alimentaire permettant véritablement de limiter certains risques sanitaires. Les contaminants physico-chimiques qui peuvent être ajoutés à la denrée alimentaire lors de sa production, sa fabrication, sa transformation, sa préparation, son traitement, son conditionnement, son emballage, son transport ou son stockage doivent être connus et maitrisés afin d’assurer la santé des consommateurs. De plus, les données scientifiques sont en principe objectives et vérifiables, ce qui correspond à des atouts indéniables lorsqu’il s’agit de prendre une décision influençant un grand nombre d’États.
Toutefois, accorder une place trop importante à la science comporte aussi des dangers. D’abord, on peut reprocher à l’expertise scientifique de ne pas être toujours tout à fait indépendante. Les experts chargés de l’évaluation des risques au sein du Codex Alimentarius doivent être choisis de manière transparente en fonction de leur compétence, de leur expérience et de leur indépendance vis-à-vis des intérêts en jeu (Codex Alimentarius, 2016). Cependant,la précision des questions posées aux 144experts dans le cadre de la sécurité sanitaire des aliments suppose qu’il existe un lien étroit entre l’expert et son domaine de compétence. Or, cette proximité laisse présager que les experts ont déjà une position bien établie sur les questions soulevées. Cela est particulièrement sensible dans le domaine des normes sanitaires dans la mesure où l’avis qui sera émis par les experts aura des implications économiques, sociales, culturelles, voire éthiques, importantes. De plus, le financement des experts peut être problématique pour la préservation de leur indépendance. Bien que ceux-ci soient tenus par une obligation d’objectivité à l’égard du public, ils sont effectivement mandatés par des acteurs privés et publics (Ngo, 2006).
En second lieu, il faut bien constater que les données scientifiques sur lesquelles s’appuient la procédure d’évaluation des risques du Codex Alimentarius gagneraient elles-mêmes à se diversifier, par le biais d’une approche intégrée prenant en compte les conséquences et le champ d’application des normes sanitaires. Ces données pourraient, avec bénéfice, inclure la protection des sols et de la diversité agricole, dont les scientifiques s’accordent à dire qu’elle permet une résilience de la production alimentaire et une meilleure sécurité sanitaire des systèmes alimentaires (ANSES, 2014). Elles pourraient encore prendre davantage en compte les modifications des régimes alimentaires qui posent aujourd’hui des problèmes d’obésité, de diabète et de maladies cardio-vasculaires (entre autres). Cela correspondrait d’ailleurs aux objectifs stratégiques de la commission et notamment à celui de déterminer de façon proactive les enjeux émergents en matière de nutrition (Codex Alimentarius, 2014). Cela serait également en accord avec l’approche multisectorielle de l’OMS “One Health”. Celle-ci promeut en effet une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé en soulignant que la santé humaine, la santé animale, la santé végétale et la santé de l’écosystème ne font qu’un.
Certaines procédures du Codex Alimentarius visent à limiter les effets négatifs d’une vision unidimensionnelle. Par exemple, la procédure de sélection des experts permet la présence d’experts de provenance géographique et de disciplines scientifiques relativement variées et, par là même, la présence d’interprétations et de sensibilités divergentes. De même, le fait que l’étape de l’évaluation et l’étape de la gestion des risques soient distinctes est encore un avantage pour une prise en compte de données plurielles. Cette séparation permet que d’autres éléments 145soient pris en compte lors de la phase de la gestion des risques, les seules connaissances scientifiques ne permettant pas de se positionner sur des normes juridiques aux implications multiples. Toutefois, cette prise en compte d’autres considérations n’est pas encadrée convenablement par les procédures du Codex Alimentarius. Une interdisciplinarité avouée, permettant un pluralisme des points de vue et des disciplines, paraît ainsi une solution plus salutaire pour l’avenir.
1.2. L ’ actuelle prise en compte
de facteurs autres que la science
La question de la prise en compte des autres facteurs légitimes au sein du Codex Alimentarius a émergé au début des années 1990. Cinq ans plus tard, en 1995, la Commission déclara que, « en élaborant des normes alimentaires et en prenant des décisions à leur sujet, le Codex Alimentarius[devait] tenir dûment compte, le cas échéant, d’autres facteurs légitimes ayant une importance pour la protection de la santé des consommateurs et la promotion de pratiques loyales dans le commerce des denrées alimentaires » (Codex Alimentarius, 1995). En 1997, cette disposition fut intégrée dans le manuel de procédure du Codex Alimentarius et la commission recommanda au comité du Codex sur les principes généraux de clarifier la définition des autres « facteurs légitimes ». Quelle est la teneur de ces facteurs et dans quelle mesure peuvent-ils être pris en compte lors du processus de prise de décision ?
Si le principe de l’utilisation d’autres facteurs fut unanimement accepté, les États ne réussirent pas à se mettre d’accord sur les éléments pouvant constituer ces facteurs et aucune liste indicative ne fut établie. En 2001, la Commission du Codex estime simplement que « d’autres facteurs légitimes entrant en ligne de compte dans la protection de la santé et les pratiques commerciales loyales peuvent être recensés lors du processus de gestion des risques, et [que] les responsables de la gestion des risques devraient indiquer dans quelle mesure ces facteurs influent sur la sélection des options de gestion des risques et sur l’élaboration des normes, directives et textes apparentés » (Codex Alimentarius, 2001). La commission identifia également des critères généraux pour juger si un facteur précis pouvait ou non être pris en considération. Ces critères sont aujourd’hui les suivants : le facteur ne doit pas porter atteinte au fondement scientifique de l’analyse des risques, il doit être dûment 146étayé, il doit être justifié au cas d’espèce, il ne doit pas créer d’obstacles injustifiés au commerce, il ne doit pas avoir un impact négatif sur les pays en développement et il doit être acceptable à l’échelle mondiale ou à l’échelle régionale dans le cas des normes et des textes apparentés régionaux (Codex Alimentarius, 2016).
Le Codex Alimentarius n’a donc pas établi de liste de facteurs légitimes ou illégitimes pour prendre une décision et a repoussé l’analyse de ces facteurs à des circonstances d’espèce. Relevons cependant que différents facteurs ont été mentionnés lors des discussions interétatiques : les préoccupations légitimes des consommateurs, le bien-être animal, les pratiques commerciales frauduleuses ou déloyales, l’étiquetage ou encore des considérations éthiques et culturelles. De plus, le plan stratégique 2014-2019 du Codex Alimentarius indique que « la mondialisation prend de l’ampleur, la commission se doit […] d’être en mesure de réagir rapidement aux enjeux émergents en matière de sécurité sanitaire des aliments ainsi qu’à d’autres facteurs risquant d’influer sur celle-ci et sur les pratiques loyales du commerce alimentaire, par exemple les effets de mouvements des populations, les changements climatiques et les préoccupations pertinentes des consommateurs » (Codex Alimentarius, 2014).
Enfin, notons que deux autres facteurs sont aussi explicitement mentionnés dans le manuel de procédure du Codex Alimentarius. En premier lieu, les Principes de travail pour l’analyse des risques destinés à être appliqués dans le cadre du Codex Alimentarius prévoient que « la gestion des risques doit prendre en compte les processus de production, d’entreposage et de distribution concernés tout au long de la chaîne alimentaire, y compris les pratiques traditionnelles, les méthodes d’analyse, d’échantillonnage et d’inspection, la possibilité de l’application et du respect des dispositions et la prévalence d’effets négatifs spécifiques sur la santé » (Codex Alimentarius, 2016). De plus, les procédures du Codex Alimentarius prévoient que les États membres peuvent faire valoir « leurs observations sur tous les aspects de la norme, y compris ses incidences éventuelles sur les intérêts économiques » (Codex Alimentarius, 2016).
Les différentes mentions reprises ci-dessus renvoient à une certaine prise en compte de facteurs économiques, environnementaux, sociaux et culturels au sein du Codex Alimentarius. En promouvant ainsi, au cours de la procédure d’élaboration des normes sanitaires, des discussions intégrées, systémiques et unifiées le Codex Alimentarius147a admis l’importance des sciences sociales pour la prise de décision relative à la sécurité sanitaire des aliments. Cependant, aujourd’hui, cette ouverture reste limitée. L’acceptation – ou le refus – d’admission d’un facteur légitime est encore perçue comme une question intrinsèquement liée à la bonne justification des obstacles au commerce international. Ces discussions ne pourraient-elles pas plutôt aboutir à des mesures protectrices de la diversité des méthodes de production, d’entreposage et de distribution existant à travers le monde, ou à des considérations relatives au renforcement de capacités de systèmes alimentaires territorialisés ?
1.3. La sécurité alimentaire, un facteur à prendre
en compte pour élaborer des normes sanitaires
La sécurité sanitaire des produits est une composante du concept plus large de sécurité alimentaire (Duhaime et Godmaire, 2000). La sécurité sanitaire ne doit donc pas être analysée sans considération pour la diversité des méthodes de production agricole et alimentaire existant à travers le monde, dont on sait qu’elle est garante de l’accessibilité physique et économique des populations à une nourriture suffisante, nutritive et conforme à leurs préférences alimentaires (FAO, 1996). L’ambition d’intégrer les considérations d’ordre environnemental, économique, social et culturel de la diversité alimentaire dans les procédures d’élaboration des normes du Codex Alimentarius est donc intéressante, maisest-elle compatible avec les objectifs de cette entité, à savoir « protéger la santé des consommateurs et assurer des pratiques loyales dans le commerce alimentaire » ? Bien qu’il ait été créé par un programme conjoint de la FAO et de l’OMS, le Codex Alimentarius entretient un lien étroit avec les objectifs de l’OMC relatifs à la protection des relations commerciales internationales, ce qui rend délicate la réponse à notre question. Il est vrai qu’intégrer une multitude de considérations au sein du Codex Alimentarius risque de compliquer certaines procédures et certaines relations commerciales internationales. Pour autant, nous pensons que ce risque peut être maitrisé et qu’il ne doit pas entraver les discussions internationales relatives à la sécurité sanitaire des SAT. Nous proposons donc ci-dessous quelques réflexions allant dans le sens d’une intégration des considérations de la diversité alimentaire au sein du Codex Alimentarius.
148Certains auteurs militent pour qu’une méthode pluridisciplinaire soit instaurée dès la première étape d’élaboration des normes sanitaires. En ce sens, Philippe Kourislky et Geneviève Viney proposent d’organiser l’expertise scientifique en deux cercles interactifs mais distincts : le premier serait composé exclusivement d’experts pratiquant une analyse scientifique et technique, le second d’experts représentant le premier cercle, mais aussi d’économistes, d’acteurs sociaux et de représentants du public (Kourilsky et Viney, 2000). En guise de précaution à cette méthode, Mai-Ahn Ngo explique toutefois que « afin que la pluridisciplinarité soit totalement efficiente, il est […] essentiel que chaque expert présente clairement l’état de ses connaissances, mais également l’ensemble des données qui lui est inconnu ou inaccessible, ceci étant la seule manière d’appréhender des thèmes complexes » (Ngo, 2006). Organisation, exhaustivité et principe du contradictoire seraient ainsi les maitres mots pour mettre en place des procédures d’élaboration de normes qui correspondent davantage aux préoccupations contemporaines relatives à la sécurité alimentaire, et qui traduisent au mieux la complexité et l’interdépendance des questions alimentaires.
Un moyen complémentaire à cette méthode serait de prévoir toutes les options de gestion des risques. L’un des objectifs du Codex Alimentarius est de « veiller à ce que tous les facteurs pertinents soient pleinement pris en compte au cours de l’exploration des options de gestion des risques qui présentent la même efficacité au regard de la protection de la santé des consommateurs » (Codex Alimentarius, 2014). De plus, le manuel de procédure vise « l’examen de toute la gamme d’options de gestion des risques » (Codex Alimentarius, 2016). Au premier abord, il semble donc que les procédures du Codex Alimentarius prévoient une étude de la pluralité d’options normatives possibles. Cependant, cet examen n’a pas pour but l’adoption de normes sanitaires autorisant la coexistence d’une diversité de méthodes de production et de transformation. L’objectif est plutôt d’« évaluer leurs avantages et inconvénients potentiels » et de choisir des « mesures qui ne sont pas plus restrictives pour le commerce que nécessaire » (Codex Alimentarius, 2016). En somme, le besoin d’options alternatives au sein des normes du Codex n’est actuellement pas une priorité, mais pourrait le devenir dans la mesure où les procédures d’élaboration des normes prévoient déjà une attention particulière pour différentes options de gestion des risques.
149Enfin, il serait certainement bienvenu de prévoir des moyens pour prévenir les risques liés à l’uniformisation des méthodes de production alimentaire, en accompagnant les États dans l’élaboration de normes sanitaires nationales correspondant non seulement aux besoins du commerce international, mais aussi aux réalités de leurs systèmes alimentaires territorialisés. L’article 2§2 de l’Accord SPS prévoit que les États « feront en sorte qu’une mesure sanitaire ne soit appliquée que dans la mesure du nécessaire pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux, qu’elle soit fondée sur des principes scientifiques et qu’elle ne soit pas maintenue sans preuve scientifique évidente ». Les marges de manœuvre des États qui souhaitent élaborer des législations sanitaires propres à leurs SAT sont donc limitées, d’autant que la santé et la vie des personnes et des animaux qui participent aux systèmes alimentaires territorialisés appellent des analyses scientifiques et sociales complexes et circonstanciées. En territorialisant son influence normative tout en mettant en valeur les compétences pluridisciplinaires de ses experts, le Codex Alimentarius pourrait participer aux efforts exigés des États d’élaborer des normes dont la preuve scientifique est établie.
2. La représentativité des acteurs locaux
au sein du Codex Alimentarius
Les préoccupations des représentants du secteur économique industriel sont, de manière prioritaire, prises en compte dans les procédures d’élaboration des normes sanitaires du Codex Alimentarius (2.1). Les intérêts des pays en développement, et notamment de leurs systèmes alimentaires traditionnels territorialisés, sont au contraire peu représentés (2.2). Penser des solutions pour donner une plus grande voix aux SAT est donc une entreprise d’ampleur dont la nécessité est réelle (2.3).
2.1. La prééminence des acteurs industriels
Seuls les membres des délégations nationales sont autorisés à participer pleinement aux sessions de la commission, et donc au processus normatif du Codex Alimentarius. Or, le choix de la composition de ces 150délégations relève de la compétence souveraine de chaque État qui désigne, pour chaque réunion du Codex Alimentarius, les structures qu’il considère concernées. Chaque gouvernement a donc la liberté de choisir les structures composant sa délégation nationale en fonction de leurs compétences ou de leurs intérêts au regard des points inscrits à l’ordre du jour, et rien ne permet d’assurer que les différents intérêts en présence soient équitablement représentés. Or, les États ne considèrent pas les acteurs des SAT comme des parties prenantes dont l’implication dans les travaux du Codex est nécessaire, dans la mesure où les SAT produisent des denrées alimentaires non destinées à l’exportation. En règle générale, les délégations nationales sont composées à la fois de représentants du gouvernement (ministres et hauts fonctionnaires nommés par leur gouvernement) et de représentants des professionnels et des consommateurs (représentants de l’industrie, organisations de consommateurs et instituts de recherche) ; la majorité des délégations privilégient tout de même le secteur de l’industrie et les parties prenantes ayant les moyens financiers et humains de prendre en charge leur participation.
Cette prééminence des intérêts de l’industrie agroalimentaire s’observe également dans l’enceinte du Codex Alimentarius, lorsque les délégations nationales s’associent pour adopter les normes les plus favorables aux intérêts économiques et commerciaux de leur groupe. Selon plusieurs observateurs, les comités régionaux du Codex peuvent s’apparenter à des enceintes « où se font jour des stratégies politico-commerciales de blocs – selon des alliances durables ou de circonstances – largement déconnectées de la science et de la technicité du sujet, pour exercer une influence déterminante au cours des négociations » (Thomé, 2006).
Les acteurs locaux peuvent en principe s’adresser aux comités nationaux du Codex et aux services centraux de liaison avec le Codex pour participer, au niveau national, aux travaux du Codex Alimentarius. Les comités nationaux du Codex et les services centraux de liaison avec le Codex ont en effet pour objectifs de renforcer la participation active des diverses parties prenantes aux activités du Codex, en plus defaciliter les relations entre la commission du Codex Alimentarius et les gouvernements. En théorie, ils doivent donc autoriser des organisations diverses, et notamment des organisations dans l’impossibilité de participer aux réunions internationales, à participer à la formulation des positions et réponses nationales aux propositions et à la politique du Codex. Cependant, là 151encore, le fonctionnement des comités nationaux du Codex et des services centraux de liaison avec le Codex varie en fonction des législations nationales, des structures et usages gouvernementaux de chacun des pays. De plus, la solution qui consiste à faire entendre sa voix auprès des structures nationales, si elle permet aux acteurs d’instaurer un dialogue avec des représentants gouvernementaux qui pourront s’avérer sensibles à leurs intérêts, n’autorise pas à participer au processus normatif au sein du Codex Alimentarius.
Des voix représentatives d’intérêts locaux peuvent encore être entendues par l’intermédiaire du statut d’observateurs auprès du Codex Alimentarius. Certaines organisations intergouvernementales onusiennes assistent aux travaux du Codex en qualité d’observateurs. Il en va de même pour des organisations internationales non onusiennes et pour des organisations non gouvernementales internationales. Les observateurs non étatiques accrédités auprès du Codex Alimentarius sont en fait très nombreux (219). Toutefois, ceux-ci ne disposent pas du droit de vote. De plus, à l’heure actuelle, ils représentent majoritairement des intérêts économiques (Lassalle-de-Salins, 2012) et rarement les intérêts des producteurs, des artisans-transformateurs et des consommateurs des SAT.
Bien que le Codex Alimentarius soit un prolongement de deux organisations internationales et bien qu’il ait lui-même une légitimité comparable à une organisation internationale, cette structure est donc perméable aux intérêts et groupes privés. Il est important que les intérêts en présence représentent davantage les préoccupations des consommateurs et de toutes les organisations sérieuses ayant pour mission la promotion d’une situation de sécurité alimentaire durable. Cela devra également se réaliser par une meilleure représentativité des pays en développement où les pratiques agricoles sont encore riches de diversité et de spécificités culturelles.
2.2. La participation des pays en développement
Dans les pays en développement coexiste, à côté d’un « sous-système tourné vers les classes moyennes et aisées des grandes métropoles urbaines et l’exportation », un « sous-système traditionnel, à l’âge agricole ou artisanal, qui concerne la majorité de l’espace rural » (Rastoin, 2009). Or, ce dernier sous-système regroupe une grande diversité de modèles alimentaires territorialisés qui reflètent et protègent la diversité biologique, 152agricole et alimentaire mondiale. Les pays en développement accueillant sur leur territoire des SAT diversifiés dont les méthodes de production plurielles participent à la sécurité alimentaire mondiale, il est indispensable que leur participation à l’élaboration des normes sanitaires soit effective et tournée vers la représentativité de ces systèmes particuliers.
Dans cet ordre d’idées, le Manuel de procédure duCodex Alimentarius impose que « les besoins et les situations des pays en développement [soient] spécifiquement identifiés et pris en compte par les organes responsables au cours des différentes étapes de l’analyse des risques » (Codex Alimentarius, 2016). De surcroit, les objectifs du Plan stratégique 2014-2019 duCodex Alimentarius accordent une attention particulière aux pays en développement. En particulier, l’un des sous-objectifs de ce plan prévoit que le Codex Alimentarius favorise « le recours aux initiatives de partenariat afin d’augmenter la participation concrète des pays en développement, par exemple en matière d’organisation conjointe de comités et de groupes de travail, incluant l’élaboration de documents d’orientation fondés sur les leçons retenues » (Codex Alimentarius, 2014). Cependant, malgré ces objectifs explicites, la participation des pays en développement au processus d’élaboration des normes sanitaires demeure loin d’être optimale.
Les règles de fonctionnement du Codex militent bien au profit d’une participation la plus large possible à ses activités. Ainsi, la participation aux travaux se fait dans la logique de l’égalité des membres, un membre équivalant à une voix (Codex Alimentarius, 2016). De plus, le consensus est privilégié (Codex Alimentarius, 2016). Néanmoins, l’absence de vote n’apporte pas la preuve d’une approbation effective et tous les États n’ont pas la même capacité à participer activement à la construction du consensus. À l’analyse, plusieurs obstacles sont donc érigés à la participation des pays en développement au sein du Codex Alimentarius.
Le règlement intérieur de la Commission duCodex Alimentarius prévoit que les frais de voyage (y compris une indemnité de séjour journalière) des membres du comité exécutif du Codex Alimentarius provenant des pays en développement soient comptabilisés dans les prévisions de dépenses du Codex (Codex Alimentarius, 2016). Toutefois, ces prévisions de dépenses ne comprennent pas les frais liés à la participation des délégations des membres de la commission aux sessions de la commission ou des organes subsidiaires (Codex Alimentarius, 2016). Si le montant 153de ces frais peut sembler pour certains États insignifiant au regard des enjeux en cause, il ne l’est pas pour d’autres. Cette charge qui pèse sur les pays en développement et les pays les moins avancés peut les contraindre à restreindre la participation de certaines délégations ou à limiter leur délégation à une représentation unique et symbolique. Or, un délégué ne peut accomplir valablement sa mission de faire valoir les droits et intérêts de son État en étant seul. Cela est d’autant plus vrai que plusieurs réunions de travail ou groupes de travail informels sont parfois organisées simultanément. Cette charge financière affaiblit donc la participation des États en développement et des pays les moins avancés aux réunions du Codex Alimentarius dont le nombre et la durée augmentent au fil des ans.
Finalement, beaucoup d’États privilégient la participation aux réunions de la commission plutôt que leur présence au sein des comités, alors même que les discussions antérieures à la réunion de la commission ont une importance considérable sur la normalisation. Il est difficile pour des États qui n’ont pas participé aux négociations de se positionner précisément sur un texte puis de se prononcer en connaissance de cause sur l’acceptation d’une norme. Cela est d’autant plus difficile qu’aucun texte ne retrace les différentes phases et éléments de discussions qui ont pu avoir lieu lors du processus d’adoption d’une norme. De plus, il est assez improbable que des États à faibles revenus parviennent à éviter l’adoption de normes qui ont déjà été approuvées aux stades antérieurs, dans des comités subsidiaires. Les États en développement ou les pays les moins avancés qui n’ont pas participé aux premières étapes du consensus sont tentés par un positionnement marqué par l’appartenance ou l’opposition à un groupe (Thomas, 2004), sans considération exhaustive des conséquences que la norme peut avoir sur leurs productions nationales.
Pour remédier à cette situation, ont été envisagées des mesures de nature à favoriser une meilleure participation des pays en développement aux travaux du Codex et, partant, à l’élaboration de normes sanitaires. La réflexion s’est par exemple orientée vers le développement du travail par correspondance et vers une politique d’information. Surtout, en février 2003, fut annoncée la constitution d’un Fonds fiduciaire FAO/OMS à l’appui de la participation au Codex, remplacé depuis janvier 2016 et jusqu’en 2027 par le Fonds fiduciaire 2 (Codex Alimentarius, 2015). Alors que le premier fonds fiduciaire avait pour objectif d’élargir la 154participation au Codex des pays en développement, le Fonds fiduciaire 2 vise à promouvoir un engagement plus efficace de la part des pays en développement dans le système du Codex. Autrement dit, alors que le premier fonds visait à aider certains pays à participer physiquement aux réunions du Codex, le Fonds fiduciaire 2 a plutôt pour objectif d’aider les pays à se doter de capacités nationales fortes, solides et durables pour s’engager dans le Codex.
Le Fonds fiduciaire 2 est intimement lié à un outil de diagnostic pour l’évaluation de l’état du programme national du Codex qui fait une place à l’évaluation des mécanismes de consultation et au processus de consultation impliquant toutes les parties intéressées (FAO et OMS, 2016). Cependant, le personnel, les infrastructures, le matériel de bureau, les connexions internet, les incitations en vue de la participation aux réunions (et notamment aux réunions des comités nationaux du Codex) et les autres dépenses locales sont considérés comme des dépenses de fonctionnement habituelles qui ne peuvent pas être financées par le fonds. Il est donc improbable que l’aide financière accordée par ce fonds favorise une plus grande représentativité des intérêts locaux liés aux SAT, ce qui nécessiterait une volonté politique et des moyens économiques importants.
De plus, on peut redouter les conséquences pour les SAT d’une immixtion de personnel du Codex dans les structures administratives nationales et dans la mise en place d’un programme national du Codex. Le fonds fiduciaire est tourné tout comme le Codex vers une « meilleure utilisation possible des ressources nationales en vue de faire progresser les objectifs nationaux en termes de sécurité sanitaire et de commerce des produits alimentaires » (FAO et OMS, 2016), objectif qui fait peu de place aux SAT. Il est ainsi plausible que les aides prévues par le nouveau fonds fiduciaire participent encore à distendre les liens entre les procédures d’élaboration des normes sanitaires et les SAT.
2.3. Donner une voix
aux systèmes alimentaires territorialisés
Le Codex Alimentarius s’intéresse au commerce international des denrées alimentaires sans se préoccuper particulièrement des aliments produits, transformés, vendus et consommés au niveau local. Ses procédures ignorent largement les préoccupations des SAT, quand bien même les normes 155sanitaires élaborées deviendraient des normes de référence pouvant avoirdes impacts sur la diversité des modes de production alimentaire. De plus, la FAO et l’OMS semblent ignorer leur rôle s’agissant de prévenir les impacts négatifs que peuvent avoir les normes sanitaires sur les SAT. Ces impacts n’étant pas systématiquement étudiés, ils se révèlent avec le temps, au détriment d’une protection préventive des SAT pourtant nécessaire à la sécurité alimentaire mondiale. Dans ce contexte, une réforme d’ampleur interrogeant les fondements du Codex Alimentarius répondrait aux enjeux agricoles et alimentaires de notre temps. À défaut d’une telle réforme toutefois, ce sont les acteurs locaux et les ONG qui devront faire prendre conscience aux experts du Codex Alimentarius de la nécessité de concevoir la sécurité sanitaire des aliments de façon globale. En l’état actuel, cette sensibilisation pourra être réalisée par l’intermédiaire des comités nationaux du Codex et des services centraux de liaison avec le Codex, ou via le statut d’observateur auprès du Codex.
Comme expliqué précédemment, les États choisissent librement les procédures applicables dans leurs comités nationaux et leurs services centraux de liaison avec le Codex. Dès lors, ils peuvent y faire intervenir des représentants de toutes les parties prenantes, y compris des SAT. Cette initiative pourrait avoir une incidence considérable sur le Codex Alimentarius, mais elle a toutefois un coût financier important. Il s’agit pour l’État de reconnaître la diversité des modes de production agricole et alimentaire des SAT existant sur son territoire, de former des représentants des SAT dont les préoccupations premières sont par définition locales, de leur donner accès aux documents et à l’interprétation et de les faire participer de façon effective à des réunions. Les pays développés sont donc les plus à même d’utiliser ce moyen.
D’autre part, notons que les acteurs non étatiques peuvent, depuis 1965, être représentés au sein de la commission du Codex Alimentarius sous la catégorie formelle « d’observateurs ». Toutefois, toutes les structures n’ont pas la possibilité d’obtenir ce statut. Il est réservé en premier lieu aux organisations internationales non gouvernementales (OING) dotées d’un statut consultatif, d’un statut consultatif spécial ou d’un statut de liaison auprès de la FAO, ainsi qu’aux OING ayant établi des relations officielles avec l’OMS (Codex Alimentarius, 2016). D’autres organisations ont la possibilité d’obtenir le statut d’observateur si elles apportent une contribution importante à la réalisation des objectifs de la commission 156du Codex Alimentarius. Les directeurs généraux de l’OMS et de la FAO accordent alors ce statut avec une grande discrétion aux organisations représentatives du domaine spécialisé où elles exercent leurs activités qui « ont une structure et un champ d’activité de caractère international », qui « s’occupent de questions qui coïncident en partie ou en totalité avec le domaine d’activité de la commission », qui « ont des buts et des objectifs conformes aux statuts de la commission du Codex Alimentarius et/ou » qui « ont un organe directeur permanent, des représentants dûment habilités et une procédure leur permettant de communiquer avec leurs membres dans les différents pays » (Codex Alimentarius, 2016). Or, pour d’éventuelles structures représentant les intérêts alimentaires locaux, ces critères restreignent la possibilité de participer aux débats ayant lieu dans l’enceinte du Codex Alimentarius.
En pratique, le statut d’observateur est accordé à des organisations à caractère scientifique ou juridique, à des organisations professionnelles et à des organisations de consommateurs (Bizet, 2000).
Le réseau Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) ou l’Organisation des régions unies – Forum global d’associations de régions (ORU-FOGAR), qui ont pour mission de représenter les régions dans les forums internationaux dans le cadre de la construction d’une gouvernance mondiale, pourraient toutefois être des organisations adéquates pour représenter la voix des SAT au sein du Codex Alimentarius. Elles répondent en effet, selon nous, à l’ensemble des critères susmentionnés. Le statut d’observateur leur permettrait de soumettre des mémorandums et de participer aux débats, ce qui est intéressant bien que les conséquences attachées à ces prises de parole restent aléatoires, le statut n’accordant aucun droit de vote. Une fois une norme internationale adoptée, aucun mécanisme ne confère aux ONG le pouvoir de la remettre en cause. Autrement dit, les éventuels effets négatifs que peuvent avoir ces normes sur la sécurité alimentaire mondiale ne peuvent justifier aucune procédure de contestation. Toutefois, le CGLU et l’ORU-FOGAR pourraient participer à des réflexions plus ouvertes sur les normes sanitaires et les SAT.
Les normes sanitaires du Codex Alimentarius sont élaborées selon des procédures peu propices à la prise en compte des facteurs susceptibles de protéger la diversité des SAT existant à travers le monde. Les facteurs scientifiques disposent au sein du Codex d’une légitimité prioritaire, alors que la prise en compte d’autres facteurs que la science 157est considérée comme une réforme délicate qui pourrait entraver le commerce international. De surcroit, nous avons pu constater que les procédures d’élaboration des normes sanitaires du Codex Alimentarius rendent la participation des acteurs locaux aléatoire et conditionnée au financement étatique, ce qui ne permet pas aux pays en développement d’assurer la représentativité de leurs SAT.
L’analyse des procédures du Codex Alimentarius nous permet ainsi de conclure que la sécurité sanitaire des aliments est considérée dans cette entité comme un aspect isolé d’autres composantes de la sécurité alimentaire. À l’inverse, nous constatons que les composantes de la sécurité alimentaire sont interdépendantes et nous pensons que la législation relative à la sécurité sanitaire, en tant que composante du droit de la sécurité alimentaire, gagnerait à sortir de son champ strict d’application pour protéger non seulement la santé des consommateurs du commerce international, mais celle des consommateurs des SAT, la durabilité et la diversité de leurs agricultures et de leurs systèmes alimentaires. Selon nous, pour satisfaire les exigences de la sécurité alimentaire mondiale, le Codex Alimentarius doit élaborer ses normes en ayant une vision intégrée de l’ensemble des composantes de la sécurité alimentaire, ce qui implique une protection de la diversité agricole et alimentaire et une analyse rétrospective de son impact sur les réalités locales. Les normes sanitaires ne devraient pas aboutir à une harmonisation agricole et alimentaire qui aurait un impact négatif significatif sur la sécurité alimentaire mondiale.
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- CLIL theme: 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN: 978-2-406-08722-9
- EAN: 9782406087229
- ISSN: 2555-0411
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08722-9.p.0139
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-10-2018
- Periodicity: Annual
- Language: French
- Keyword: Food security, territorialized food system, food safety standard, agreement on the application of sanitary and phytosanitary measures, Codex Alimentarius, standardization, legitimate factors