Pastoralisme(s): Sahel, Maghreb et Europe du sud Khadija Ait-Alhayane (Pierre Donadieu), Paris, L'Harmattan, 2016, 234 p.
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
2017, n° 2. varia - Auteur : Donadieu (Pierre)
- Pages : 289 à 293
- Revue : Systèmes alimentaires
Pastoralisme(s) : Sahel,
Maghreb et Europe du sud
Khadija Ait-Alhayane,
Paris, L’Harmattan, 2016, 234 p.
Pierre Donadieu
École nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille
Les ouvrages de synthèse sur les mondes de l’élevage sur parcours sont rares car l’exercice est difficile. Celui de Khadija Ait Alhayane, géographe et consultante internationale, compare, à partir d’exemples, trois régions du monde dont l’économie agricole est marquée par les activités pastorales : le sud de la France, le Maroc et le Mali.
Car le pastoralisme n’est ni mort ni moribond dans ces pays. Au contraire, il résiste, persiste, se transforme et retrouve parfois une vitalité surprenante quand les contextes culturels, politiques et économiques s’y prêtent.
Des contextes variables d’élevage
Dans la première partie de l’ouvrage, l’accent est d’abord mis sur le renouvellement de la ruralité dans les trois régions : la généralisation de la culture urbaine et l’atténuation de la distinction entre l’urbain et le rural. Deux campagnes apparaissent : l’une, européenne, sous peuplée mais de plus en plus attractive au nord de la Méditerranée, et l’autre, au sud, de moins en moins peuplée et souvent délaissée par les pouvoirs publics.
Puis sont définis les facteurs écologiques et démographiques déterminant les activités d’élevage dans l’espace rural. Leur évolution est 290étroitement liée à celles des ressources des pâturages souvent surexploitées au sud et abandonnées au nord. Le contraste entre ces deux pôles géographiques se traduit dans les stratégies des éleveurs qui divergent et parfois s’opposent selon les régions.
Est soulignée également la résilience remarquable des écosystèmes, arides notamment, et des élevages pastoraux ou semi-pastoraux qui en dépendent. Car le savoir pratique des éleveurs leur permet de penser la préservation des ressources fourragères comme biens nécessaires à la communauté à condition que les règles communautaires existent et soient adaptées aux milieux exploités. Fondamentale, la mobilité des troupeaux apparaît, au Nord et au Sud, comme une condition vitale de l’existence des éleveurs.
Le Sahel pastoral :
entre persistance et fragilité
Dans cette région, la dépossession des droits collectifs se révèle dans la remise en cause des performances de l’élevage extensif et semi-extensif et dans le rétrécissement continu du patrimoine commun de pâturage. La désorganisation institutionnelle et juridique porte également préjudice au foncier pastoral.
Dans la région de Koulikoro, le district urbain de Bamako exerce une forte concurrence sur les ressources fourragères et pénalise la mobilité des éleveurs. Dans la région de Ségou où le milieu naturel, riche, est convoité, les conflits entre agriculteurs et éleveurs transhumants sont récurrents, notamment dans la zone administrée par l’Office du Niger où les pâturages sont menacés.
Dans ces deux régions, le périmètre transfrontalier, enclavé, reste peu équipé et vulnérable aux pathologies animales. Les rapports entre éleveurs locaux et étrangers se tendent en raison de la raréfaction des ressources fourragères. Cependant, malgré ces contraintes, le pastoralisme persiste et alimente l’économie locale. Sans doute parce que les solidarités ancestrales persistent et que les ressources saisonnières en pâturage peuvent ainsi être exploitées sans trop de préjudices pour leur pérennité. Mais souvent, il s’agit de stratégies de survie.
291Le Maghreb pastoral :
entre tradition et modernité
Au Maghreb, la disparition des sociétés pastorales traditionnelles semble inéluctable. Le foncier collectif est disqualifié au profit de la privatisation des terres jugée davantage compatible avec la modernisation économique et sociale.
Au Maroc, dans les régions désertiques du Tafilalet, les secteurs agricoles productifs sont largement favorisés dans les oasis alors que l’élevage extensif est ignoré. Son maintien à proximité des oasis semble sérieusement compromis. Dans la région steppique de l’Oriental, zone d’élevage par excellence, l’insuffisance des pâturages ne permet plus d’assurer l’alimentation des troupeaux. L’organisation traditionnelle se disloque et les usages changent (motorisation, sédentarisation et alimentation complémentaire des troupeaux). L’aide publique bénéficie surtout aux élevages importants alors que les petits éleveurs sont abandonnés à leur sort.
Au Maroc, le pastoralisme persiste au prix de la précarité mais aussi grâce à la modernisation des pratiques. D’un côté, de nouvelles perspectives émergent, notamment la reconnaissance des fonctions et services écosystémiques de l’élevage mobile dans les milieux arides et montagnards. D’un autre côté, la modernisation technique et administrative semble écarter le système pastoral coutumier. Peu d’éleveurs mobiles maîtrisent les nouvelles technologies de l’information ou l’évolution des réglementations. Ce qui est en jeu concerne autant l’autonomie alimentaire des pays du Maghreb que les modes de vie et de production agricole fondés sur l’adaptation à l’incertitude.
La France pastorale :
un renouveau sous conditions
Dans les régions sud-européennes des Causses et des Cévennes, l’élevage sur parcours s’est adapté en organisant ses filières de production et de commercialisation. Dans la région cévenole, les pratiques de transhumance sont devenues un patrimoine vivant doté d’un rituel festif et de la figure symbolique du berger mais le solde économique de l’élevage transhumant reste négatif. Alors que dans la formule caussenarde, les élevages modernisés se sont sédentarisés et spécialisés.
292L’élevage extensif du sud de la France hésite entre ambitions nouvelles et disgrâce. Il se stabilise, notamment au sein du parc naturel national Causses-Cévennes inscrit depuis 2011 au patrimoine mondial de l’Unesco en tant que « paysage culturel de l’agropastoralisme méditerranéen ». L’élevage pastoral y trouve sa place dans le cadre de nouvelles règles incluant le souci de la biodiversité et de l’agrotourisme. Dans ces régions montagneuses sous-peuplées, les logiques territoriales et d’élevage affrontent les enjeux de la présence des prédateurs sauvages. Le pastoralisme « à la française » pourrait apporter des réponses appropriées aux demandes de la société occidentale contemporaine.
Repenser le pastoralisme :
des voies possibles
Au-delà des héritages des politiques publiques, notamment pendant les périodes coloniales, sur quels fondements reconstruire un horizon de développement pour les élevages extensifs ?Le pastoralisme peut-il répondre au défi de la diversité des modes de production animale ?
En matière de production alimentaire, les politiques d’élevage en Europe visent de plus en plus des objectifs de qualité et de sécurité des aliments alors que le Sahel a recours à des élevages de plus en plus intensifs et hors-sol pour enrayer les famines récurrentes et que les élevages au Maghreb tournent, de la même façon, le dos à l’extensif. Restaurer et reconnaître l’intérêt économique des modalités pastorales extensives à semi-extensives, comme en Nouvelle-Zélande et dans les Causses français, est une voie possible de modernisation. Elle doit cependant résoudre des problèmes importants, notamment fonciers, si la conservation des pâturages collectifs est recherchée.
Une seconde voie consiste à concilier restauration de la biodiversité et rentabilité des élevages. En Europe du Sud, le pâturage protège les milieux ouverts contre l’invasion de la végétation ligneuse, conserve les biodiversités végétales et animales, et sa présence rassure et séduit les touristes et les habitants. Au Sahel et au Maghreb, l’éleveur n’est-il pas susceptible d’incarner une figure centrale de la gouvernance future des territoires pastoraux ? Où est-ce un projet prématuré ?
Dans ces deux perspectives, le statut juridique de la propriété foncière paraît central. Le pâturage collectif représente une forme de la propriété commune où les règles locales d’usage doivent faire référence 293à condition d’éviter la « tragédie des communs » engendrée par « les passagers clandestins », à condition aussi de coopérer et de reconstruire localement, autour de la ressource fourragère, la convergence d’intérêts communs que concrétisent les organisations professionnelles (comme en France), entre autres parties prenantes. C’est l’enjeu qu’a analysé, plus largement, la politologue et Prix Nobel d’économie Elinor Ostrom.
Khadija Ait Alhayane montre ainsi qu’il existe aujourd’hui des formes différentes de pratiques d’élevage extensif selon les cultures et les histoires régionales. Et que de nouvelles formes émergeront dans l’avenir sans éviter la disparition de celles qui n’auront pu s’adapter. Un point de vue darwinien qu’il faut nuancer au vu de la persistance des éleveurs dans les conditions les plus difficiles.
L’ouvrage n’a certes pu rendre compte de la diversité de toutes les situations pastorales au Sahel, au Maghreb et en Europe du sud : une ambition, difficile à tenir, qui laisse place à de nouvelles synthèses. On s’étonne cependant qu’une notion essentielle comme celle de résilience ne soit pas plus approfondie. Car si l’adaptation à l’incertitude est un trait caractéristique des éleveurs mobiles, est-ce une explication suffisante de leur persistance, qui souvent s’effondre ? Et surtout, comment faire abstraction du contexte des politiques publiques qui, en France, accompagnent la transformation des pratiques pastorales et, en Afrique, les oublient souvent ?
Original, l’ouvrage trouve sa place face à la rareté des études comparatives des sociétés pastorales sahéliennes, maghrébines et sud-européennes. Il contribue à une meilleure visibilité sociale de leurs démarches de production bien que leurs points communs et singuliers ne soient pas assez mis en évidence, en particulier dans le cadre des crises environnementales et sociales actuelles.
Il s’adresse à tous ceux qui souhaitent comprendre comment changent ou perdurent les usages pastoraux dans les trois territoires et, notamment, aux jeunes chercheurs qui se référent à la littérature francophone.
- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN : 978-2-406-07196-9
- EAN : 9782406071969
- ISSN : 2555-0411
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07196-9.p.0289
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/11/2017
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français