Compte rendu du colloque international SDSC, Paris, 1er et 2 juin 2017 « Changements organisationnels et managériels dans le système alimentaire. Innovations et contractualisation »
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
2017, n° 2. varia - Auteur : Filippi (Maryline)
- Pages : 281 à 286
- Revue : Systèmes alimentaires
Compte rendu du colloque international SDSC, Paris,
1er et 2 juin 2017
« Changes in sustainable organization and food
sector management. Technical and organizational
innovations and contractualization »
« Changements organisationnels et managériels
dans le système alimentaire.
Innovations et contractualisation »
Maryline Filippi
Bordeaux Sciences Agro
La Chaire Sustainable Demand Supply Chain (SDSC) d’AgroParisTech et l’équipe Proximités de l’UMR INRA SAD-APT ont organisé, les 1er et 2 juin 2017 à Paris, un colloque international en anglais faisant le point des concepts et perspectives de la construction de filières agroalimentaires durables.
Créée il y a 5 ans, cette chaire, dirigée par Alain Chapdaniel et dédiée aux filières agroalimentaires durables, est issue d’un partenariat entre des enseignants-chercheurs d’AgroParisTech, la coopérative Terrena, et les entreprises System U, Avril et GS1. Son objet est de concevoir des filières associant les consommateurs avec une concertation collective entre les parties prenantes pour créer et répartir la valeur ajoutée à travers un dispositif novateur (la démarche SDSC). L’objectif de ce colloque était de confronter celui-ci aux dernières avancées en matière de recherche. Réunissant une centaine de participants, les débats ont porté sur la durabilité des filières agricoles et agroalimentaires, déclinée autour de quatre enjeux pour leur mise en œuvre. Le colloque a ainsi associé des 282conférences invitées et des communications scientifiques sélectionnées dans la communauté internationale autour des thématiques transversales suivantes : organisation des filières, innovation et développement territorial, contractualisation, numérique et des big data. Les demi-journées ont ainsi été ouvertes par une conférence invitée suivie d’un atelier plénier de présentation de communications sélectionnées afin de nourrir les débats entre les participants.
Chaque conférence a introduit les réflexions en soulignant les enjeux et perspectives pour les filières durables. La conférence du Pr Michael L. Cook, de l’université du Missouri, a abordé le rôle des coopératives agricoles dans la structuration des filières. André Torre, directeur de recherches INRA à l’UMR SAD-APT, a détaillé les nouvelles conditions de l’innovation territoriale dans la valorisation des filières et, enfin, Fanny Forgeau, co-fondatrice de Linkfluence, a présenté les enjeux des réseaux sociaux dans les relations entre les consommateurs et les parties prenantes. Chaque conférence a été suivie par les présentations des communications, approfondissant une dimension de la problématique, puis par un débat avec la salle. L’organisation de toutes les sessions en plénier a permis de discuter des différents points de vue et de partager les analyses pour favoriser la composition d’une communauté de recherche à l’international.
La constitution de filières agroalimentaires durables est un enjeu majeur pour l’agriculture et l’alimentation. L’urgence de réfléchir à la création de valeur et à sa meilleure répartition entre tous les maillons de la chaine s’impose, en raison de la crise profonde qui entraîne une diminution des exploitants agricoles, une perte de compétitivité sur les territoires au niveau local, mais aussi sur les marchés à l’international. Alors que les IAA étaient encore, il y a peu, un secteur premier dans la balance commerciale, la dégradation des positions de marché, amplifiée par les impacts de la volatilité des matières premières et du changement des outils de régulation européens, fragilise les exploitations. Cette crise conduit à des pertes d’emplois à l’aval et à une déstructuration de l’amont des filières. Faire le point sur les avancées en matière d’organisation des filières, sur les possibilités de contractualiser sans enfreindre les règles de la concurrence et analyser les impacts des blockchains et du numérique s’imposait donc pour identifier les méthodes et les outils mobilisables dans la résolution de ces problématiques.
283Plusieurs communications ont souligné l’importance de l’organisation à l’amont des filières. Ainsi, le rôle de leader des coopératives a été souligné dans la construction de filières durables ainsi que l’émergence des nouvelles formes de collaborations entre les compétiteurs pour manager les supply chains. Le Pr M. L. Cook invite à réfléchir aux spécificités des coopératives et aux raisons qui justifieraient leur place centrale dans leur capacité à survivre au sein des filières. Il rappelle que l’objectif des coopératives est d’optimiser les intérêts des associés coopérateurs. Créer une coopérative c’est faire face à une décision de propriétaires avec un processus de décision collectif. Pourquoi et comment décide-t-on d’investir les stades aval des filières ? Les associés coopérateurs se confrontent alors à différents types de problèmes survenant lors de choix stratégiques : investir, horizon des choix, passager clandestin sont autant de décisions essentielles pour structurer l’organisation coopérative et, par voie de conséquence, l’organisation des filières. Répondre à ces questions revient à rechercher les moyens de réinventer les coopératives pour conserver une cohérence entre les objectifs, la propriété, la gouvernance et la stratégie de ces entreprises. L’enjeu est alors d’instaurer ou de restaurer la confiance pour valider les choix stratégiques et rester en cohérence avec l’objectif de la coopérative. Mais jusqu’où aller dans la structuration de l’outil coopératif et de la filière pour créer de la valeur ? La longévité des coopératives est effectivement une caractéristique remarquable de ces entreprises. Si certains considèrent que la survie des coopératives s’opère au détriment de leurs associés coopérateurs, la recherche d’un prix plus rémunérateur et l’investissement à l’aval reposent en fait sur la confiance entre les membres au sein de la coopérative.
Un débat s’est focalisé autour de la notion d’organisation collective des filières pour renforcer les dispositifs de durabilité. La place des interprofessions comme lieu de concertation est ainsi apparue comme stratégique dans la mise en œuvre d’une vision commune permettant de gérer la continuité voire les discontinuités dans la gestion du temps. Alain Chapdaniel a discuté de la possibilité de disposer d’une contractualisation entre plusieurs partenaires. Le recours à des processus interactifs entre les membres et itératifs sur le recours à des prix fixés avec révision est une piste de réflexion pour proposer une contractualisation adéquate sans enfreinte à la concurrence.
284L’émergence de communautés de pratiques dans le Champagne comme dans le fromage Comté a été analysée comme une clé importante dans les nouvelles formes de management des filières durables. D’une part, Anne Rollet et Jacques Collin ont avancé l’hypothèse du besoin d’un consensus avec un pilote pour une éco-conception des filières. Le passage entre un leader de filière à une communauté de pratique relève d’une gestion plus collective et partagée du management, notamment pour les filières qui sont de plus en plus globalisées. Le système d’aide à la décision doit en conséquence lui aussi s’adapter pour un système plus ouvert et multi-décisionnel avec un partage de l’information collective. D’autre part, Philippe Jeanneaux et Alain Mélo ont souligné l’influence du capital social dans la mise en place de la filière AOP Comté et de l’action collective comme source de durabilité.
Depuis 10 ans, de nouvelles formes de concentration d’activités se développent en local. Le renouvellement du modèle d’affaires est lié à un écosystème de création de valeur externe à la firme en open innovation, dans les clusters avec intégration des dimensions environnementales, comme la gestion des déchets, voire en économie circulaire. André Torre insiste sur l’idée que les interactions sont cruciales dans les processus de durabilité des filières. Il existe de nouvelles formes d’innovation sur le territoire. Le crowdfunding, le crowdsourcing sont autant de réorganisations d’activités au plus proche des besoins individuels et collectifs des populations locales. Les notions de places virtuelles et temporaires conduisent alors à souligner les processus de gouvernance territoriale. La démocratie participative et l’implication des populations locales rendent compte de la diversité des parties prenantes et du rôle des interactions pour agir ensemble. Les conflits sont également des éléments moteurs dans les innovations territoriales pour conduire à l’émergence des nouvelles solutions. Production et gouvernance sont les deux moteurs du développement territorial dans une approche intégrative. Le territoire est le lien manquant entre la gouvernance dans la chaine de valeur et le management de la qualité. Il permet la réassurance entre les acheteurs par l’augmentation de la transparence et la communication avec des relations multi-niveaux. Nalini Rakotonandraina et Loïc Sauvée proposent une grille analytique des nouvelles territorialités. Ils montrent que l’émergence de nouveaux marchés basés sur la politique environnementale associée aux filières durables aux stades amont et 285aval, révèle de nouvelles formes de partenariat au niveau local. Cette idée rejoint celle de la rémunération des services environnementaux, comme la production d’énergie, concernant de nouvelles sources de revenu au niveau local pour les producteurs. Stéphanie Barral et Pierre Compère soulignent également la nécessité de mettre en œuvre des politiques publiques pour inciter et accompagner le développement de ces nouvelles formes d’organisation. L’exemple des filières de jeunes bovins rappelle l’importance de la complexité organisationnelle et de la nécessité d’une stratégie de labellisation en particulier aux points critiques de l’organisation de la filière. Le rôle des plateformes collectives comme nouvel outil pour l’approvisionnement local repose la question des innovations organisationnelles et institutionnelles. Simon Bavec en propose une typologie avec différents types de gouvernance à l’œuvre. Stefano Corsi étudie les coopératives agricoles de Lombardie pour analyser l’influence de leur taille sur leur performance. Gaëlle Petit complète les échanges en insistant sur le fait que la durabilité des filières revient à s’interroger sur la modélisation de la valeur dans ses impacts environnementaux, économiques et sociaux.
Fanny Forgeau pose les termes du débat sur le numérique et questionne son usage dans la recherche de nouveaux marchés, l’utilisation des big data, des plateformes et des réseaux sociaux révolutionnant le business modèle. Philippe Jeanneaux recherche l’origine des gains de productivités dans la révolution de l’agriculture digitale et le partage de la donnée. Il soulève ainsi la question de qui décide et qui contrôle l’usage de la donnée. Arnault Gombert, de la start-up Recoubra, montre comment les big data peuvent créer de la valeur sur la gestion des déchets. Enfin la blockchain et ses impacts en termes de qualité sont examinés par Stefano Volpi et Maxine Ropers via son utilisation pour le contrôle qualité des marques (nationales et distributeurs) sur l’amont, abordant l’importance de la connecting food comme actif stratégique.
Le concept de demande élargie et une répartition négociée entre les acteurs volontaires des filières durables ont été débattus au cours de ces deux jours. En particulier, l’importance de la contractualisation comme solution à la gestion du déséquilibre au sein des filières a été discutée dans l’optique de concilier durabilité et respect de la concurrence.
La richesse des débats et la qualité des conférences et des interventions ont permis d’aborder les différentes facettes de la problématique des 286filières agroalimentaires durables. Les conclusions ont rappelé la nécessité de poursuivre ces pistes de travail associant une pluridisciplinarité et le besoin de travaux théoriques et appliqués.
- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN : 978-2-406-07196-9
- EAN : 9782406071969
- ISSN : 2555-0411
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07196-9.p.0281
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/11/2017
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français