Économie circulaire et univers agricole Camal Gallouj et Céline Viala, Paris, Éditions France Agricole, avril 2021, 341 p. (TerraAgro)
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
2022, n° 7. varia - Auteur : Cheriet (Foued)
- Pages : 349 à 354
- Revue : Systèmes alimentaires
Économie circulaire
et univers agricole
Camal Gallouj et Céline Viala, Paris, Éditions France Agricole, avril 2021, 341 p. (TerraAgro)
La Commission européenne a présenté le 30 mars 2022 un projet de règlement sur l’écoconception des produits durables visant à « mettre fin au modèle qui veut qu’un consommateur achète un produit, l’utilise, le détériore ou s’en lasse, puis le jette ». En France, le Salon international de l’agriculture (SIA) de 2019 avait mis en avant l’économie circulaire : biogaz, produits biosourcés, agroécologie, recyclage, proximité, coopération des acteurs au sein de filières territorialisées. L’impératif de la sobriété économique, les nombreux appels à consommer mieux et moins, les défis de la neutralité carbone en 2050 (Accord sur le climat de Paris de 2015) ont mis en lumière les enjeux de l’économie circulaire. L’ambition est clairement affichée : passer du « jeter mieux » (tri sélectif et recyclage) à une réflexion sur les systèmes de production et de consommation.
Dans le secteur agricole, et depuis quelques années déjà, les initiatives se multiplient. De plus en plus d’acteurs des territoires (exploitations, coopératives, institutions, associations) sont engagés dans des projets de responsabilité sociale et environnementale, d’autonomie énergétique (biogaz, méthanisation), de valorisation des flux de matières premières et d’optimisation de la gestion de l’eau et des territoires.
L’économie circulaire en agriculture est un ensemble d’engagements et constitue une réponse adaptée aux attentes des consommateurs : un renouvellement des modes de consommation, des demandes de garantie en matière de de proximité avec le produit et entre les producteurs, les consommateurs et les citoyens dans la gouvernance des systèmes économiques localisés (dispositifs d’échanges, Amap, etc.) (Dubuisson-Quellier, 2014). Fondamentalement, il s’agit de repenser les rapports aux objets-produits, aux autres, au temps, à l’espace et au monde. L’économie 350circulaire vise donc à préserver et restaurer le capital naturel, optimiser l’usage des ressources et limiter les externalités négatives (Ezvan, 2020).
Sur un plan conceptuel (Madelrieux et al., 2017), l’économie circulaire a comme « mission » de faire le lien entre économie et écologie des activités humaines. Les auteurs avaient déjà pointé la profusion des définitions, de concepts et de cadres d’analyse : économie, écologique, bio-économie, agroécologie, écologies circulaire, territoriale, institutionnelle. De nouveaux liens devraient se focaliser sur l’ancrage, la dépendance, et les empreintes. En termes d’ancrage territorial, plusieurs travaux se sont intéressés à des échelles méso-économiques (territoire, villes, région, etc.) afin de rendre compte des interactions entre les acteurs et les organisations, et montrer l’optimisation des flux (ressources, déchets, information, valeur, etc.). Par exemple, Ben Chedly et al., (2016) ont analysé le projet « Poeete » (polyculture, élevage à l’échelle des exploitations du territoire) pour montrer l’importance des coopérations entre les acteurs. Cette éco-ingénierie traduit le passage d’une biotechnique à des bio ressources… et enfin une bio économie.
De nombreux travaux sur l’économie circulaire en agriculture ont porté sur la gestion des déchets et des ressources et l’agriculture en milieu urbain. Ainsi, Aubry et Adoue (2018) signalaient que les flux agricoles et alimentaires dans les villes étaient fortement exogènes (moins de 2 % d’autonomie pour les centres urbains en France). Dans ce sens, des initiatives mises en place tentaient de valoriser les déchets (le déchet devient une ressource) à travers l’optimisation de la gestion de l’eau et de l’espace : recyclage du marc de café pour la production de champignons dans des sous-sols urbains abandonnés, recyclage de l’eau et élevage piscicole sur les toits, ou encore production maraichère dans des serres sur les toits des bureaux (Morel-Chevillet, 2018). Loin d’être anecdotiques, ces initiatives interrogent le rôle des institutions et des politiques publiques à différentes échelles territoriales sur des enjeux importants en agriculture : les coproduits, la gestion des ressources et les questions de gaspillage alimentaire (Renaud, 2019).
Le récent ouvrage de Camal Gallouj1 et Céline Viala2 apporte une réelle contribution sur l’économie circulaire en milieu agricole et rural. 351Loin de toute position dogmatique, il s’agit d’un travail de questionnement sur la place de l’économie circulaire par rapport à d’autres alternatives, avant de la ré-interroger au vu des spécificités des terrains d’application. Les auteurs portent ainsi un regard argumenté et documenté pour répondre à la question « Comment nourrir les hommes, créer de la valeur et préserver les ressources ? ». En revenant sur les fondements théoriques de l’économie circulaire et les évolutions de la société postindustrielle, et sur les ancrages territoriaux des activités économiques agricoles ou en milieu rural, ils inscrivent leur réflexion dans une démarche de questionnement itératif à la fois sur les modèles à adopter, les dynamiques entrepreneuriales et d’innovation en action et sur les actions collectives et les politiques publiques à mettre en œuvre.
Cet ouvrage, original voire unique en termes de terrain d’application, vient compléter d’autres travaux portant sur l’économie circulaire (Aurez et Georgeault, 2019 ; Gallaud et Laperche, 2016 ; Sauvé et al., 2016). Tout au long des 340 pages regroupées en 10 chapitres, le lecteur pourra apprécier la multitude d’exemples et d’applications, les nombreuses présentations (encadrés) de cas d’entreprises et d’organisations, la centaine de tableaux de synthèse et de figures, ainsi que l’appui sur des statistiques nationales et internationales actualisées. Dans un style accessible, l’ouvrage est abondamment illustré. Les auteurs réussissent le pari d’une approche holistique et pragmatique de l’économie circulaire.
Dans un premier chapitre, les auteurs retracent les grandes étapes des mutations sociétales contemporaine et situent la place de l’agriculture (en « filigrane », selon les auteurs) : l’évolution vers la société post industrielle ; les risques-incertitudes et la complexité de la société néo-industrielle et, enfin, l’économie de services et l’agriculture numérique. Le second chapitre revient sur les notions clés (définitions, origine et fondements théoriques) de l’économie circulaire. Selon les auteurs, le concept est plus flou encore (« des fondements sans fondement ? », selon l’expression des auteurs), lorsqu’il s’agit de l’appliquer à l’univers agricole avec de nombreux référentiels : économie régénérative, écologie industrielle, bio-mimétisme, économie bleue et économie circulaire. Une analyse critique est également portée sur l’opposition entre linéarité et circularité. Le troisième chapitre revient sur les piliers et domaines d’action de l’économie circulaire en les inscrivant dans une lecture d’offre des acteurs, de comportement des consommateurs, à travers notamment la question du recyclage et la gestion des déchets.
352Le questionnement autour de l’économie circulaire et les univers agricoles débute au chapitre 4, en abordant la question de la place de l’économie circulaire dans le passage de l’agriculture intensive aux agricultures « autrement » (raisonnée, durable, bio paysanne, agroécologie, etc.). Au-delà de l’opposition de ces deux grands modèles, les auteurs poussent la réflexion pour interroger le rôle de l’agriculture circulaire parmi ces agricultures alternatives. Quelles complémentarités ? Quels risques de concurrence et… de redondances ? Quels cheminements vers une bioéconomie circulaire ? Dans le chapitre 5, les auteurs tentent de répondre à ces questionnements à travers des illustrations pratiques visant à comprendre le poids de cette agriculture circulaire, entre expérimentations intégrées et pratiques isolées. Plusieurs exemples sont ainsi présentés (modèles intégrés Organic-Vallée et parc agroindustriel autour de Saules dans le Luragais ; pratiques émergentes en univers agricole – méthanisation multi-partenariale dans le Pays de Fougères, filière laine à Saugues près de Tourcoing, circuit court dans le Bassin de Thau). Ce chapitre est conclu par une analyse de l’agriculture circulaire tout au long de la filière (industrie, commerce et distribution).
Les 4 chapitres suivants développent chacun une thématique agricole importante : la proximité et les circuits courts pour le chapitre 6 ; les promesses de l’agriculture urbaine pour le chapitre 7 ; la question des déchets, du gaspillage et des co-produits, de l’agriculture énergétique et la méthanisation dans le chapitre 8 ; les innovations (technologiques, servicielles, organisationnelles, sociales et territoriales) dans le chapitre 9. Pour chacune de ces 4 thématiques, et à travers de nombreuses illustrations, est questionné la place de l’économie circulaire.
Les auteurs concluent leur ouvrage par un chapitre portant sur l’action publique. En s’inspirant de l’exemple des Pays-Bas, ils dressent une véritable feuille de route de l’agriculture circulaire en détaillant le rôle du gouvernement et des politiques publiques territoriales pour aller vers une véritable culture de circularité agricole, au-delà de la simple réglementation, des actions incitatrices ou des programmes pilotes.
Les contributions de l’ouvrage sont indéniables, notamment pour restituer les expériences réussies en milieu agricole. Néanmoins, il aurait été pertinent d’aborder les critiques de l’économie circulaire. Certains auteurs ont fait cet exercice (Corvellec et al., 2021). En examinant une centaine de contributions académiques, ils suggèrent une 353synthèse des critiques adressées à l’économie circulaire, à la fois sur les plans théoriques (définitions multiples, concepts peu précis, cadres théoriques éloignés), et celui des finalités (mesure et réplicabilité des effets sociaux et environnementaux). Des questions restent donc posées quant à la généralisation de ce modèle (acceptation, transformation des institutions, adaptation des modèles) et de son échelle d’application (territoires, échanges, produits). Cette remise en cause peut suggérer des pistes futures de réflexion sur la pertinence des modèles d’économie circulaire spécifiquement en milieu agricole.
Pour ceux qui s’intéressent aux enjeux agricoles et aux modèles alternatifs, aux chercheurs qui souhaiteraient approfondir leurs analyses, aux citoyens engagés voulant apprendre davantage sur les autres possibilités agricoles, cet ouvrage est un véritable plaidoyer pour une agriculture circulaire respectueuse des ressources, des hommes et des territoires. Cet ouvrage est à ne pas douter, une référence incontournable : à lire sans attendre !
Foued Cheriet
Institut Agro Montpellier, UMR MoISA
354Références bibliographiques
Aubry C., Adoue C., 2018, « Agricultures urbaines et économie circulaire », VertigO, en ligne, hors série no 31, [https://doi.org/10.4000/vertigo.21594, consulté le 15 juin 2022].
Ben Chedly H., Brunschwig G., Veysset P., Pierret P., Astier M., Goron J.-P., Chapuis D., 2016, « Le concept d’économie circulaire au service des systèmes agricoles comme levier d’optimisation du fonctionnement d’un groupe d’exploitations au niveau d’un territoire », École des chercheurs-acteurs du PSDR, Toulouse, novembre.
Corvellec H., Stowell A.F., Johansson N., 2021, “Critiques of the circular economy”, Journal of Ecological Industry[https://doi.org/10.1111/jiec.13187, consulté en ligne le 22 juin 2022].
Dubuisson-Quellier S., 2014, « Les engagements et les attentes des consommateurs au regard des nouveaux modes de consommation : des opportunités pour l’économie circulaire », Annales des Mines, vol. 4, no 76, p. 28-32.
Ezvan C., 2020, « Promesses et défis de l’économie circulaire », SER, série ‘Études’, no 4270, avril, p. 41-51.
Madelrieux S., Buclet N., Lescoat P., Morine M., 2017, « Écologie et économie des interactions entre filières agricoles et territoires : quels concepts et cadre d’analyse ? », Cahiers Agricultures, vol. 26, no 2, p. 24-34.
Morel-Chevillet G., 2018, « L’économie circulaire : une source d’innovation pour les agriculteurs urbains », VertigO, en ligne, hors-série no 31, [https://doi.org/10.4000/vertigo.21753, consulté le 15 juin 2022].
Renaud B., 2019, « Les coproduits de l’industrie agroalimentaire au regard des politiques publiques : bioéconomie, économie circulaire, gaspillage alimentaire, » in Le Démeter (collectif), Paris Iris Éditions, p. 277-296.
Autres ouvrages sur la même thématique
Aurez V., Georgeault L., 2019, Économie circulaire : système économique et finitude des ressources, Louvain, De Boeck, 573 p.
Gallaud D., Laperche B., 2016, Économie circulaire et développement durable : écologie industrielle et circuits courts, London, ISTE Éditions, 152 p.
Sauvé S., Normandin D., McDonald M., 2016, L’économie circulaire : une transition incontournable, Presses de l’Université de Montréal, 19 p.
1 Camal Gallouj est professeur de sciences de gestion à l’Université Sorbonne Paris Nord et directeur de recherche à HEC Maroc. Il est aussi propriétaire d’une petite exploitation dans le rif marocain où il applique les principes d’agroécologie et d’économie circulaire.
2 Céline Viala est maîtresse de conférences à l’Université Paris Sorbonne (Laboratoire CERN-CNRS) et directrice de Dream Takeoff, premier e-incubateur/accélérateur collaboratif européen.
- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN : 978-2-406-14229-4
- EAN : 9782406142294
- ISSN : 2555-0411
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14229-4.p.0349
- Éditeur : Éditions Classiques Garnier
- Mise en ligne : 16/11/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français