Combiner politiques agricoles et alimentaires pour répondre aux défis du Pacte vert
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Systèmes alimentaires / Food Systems
2021, n° 6. varia - Auteurs : Détang-Dessendre (Cécile), Guyomard (Hervé), Réquillart (Vincent), Soler (Louis-Georges), Bureau (Jean-Christophe), Chatellier (Vincent), Dupraz (Pierre), Jacquet (Florence), Reboud (Xavier), Tysebaert (Margot)
- Pages : 265 à 277
- Revue : Systèmes alimentaires
Combiner politiques
agricoles et alimentaires
pour répondre aux défis du Pacte vert
Cécile Détang-Dessendre
UMR CESAER, INRAE
Hervé Guyomard
SDAR, INRAE
Vincent Réquillart
Toulouse School of Economics, INRAE
Louis-Georges Soler
Aliss, INRAE
Jean-Christophe Bureau
Économie Publique, AgroParisTech, INRAE
Vincent Chatellier
SMART-LERECO, INRAE
Pierre Dupraz
SMART-LERECO, INRAE
266Florence Jacquet
UMR MOISA, INRAE
Xavier Reboud
UMR Agroécologie, INRAE
Margot Tysebaert
Économie Publique, AgroParisTech, INRAE
Introduction
Le Pacte vert a l’ambition de donner un nouveau souffle au projet européen. C’est « l’occasion de mettre résolument l’Europe sur une nouvelle voie, celle d’une croissance durable et inclusive », et de faire de cette zone « le premier continent neutre pour le climat » (Commission européenne, 2019).
Dans ce cadre, les stratégies relatives au climat, à la biodiversité et « de la ferme à la table » pourraient avoir une incidence forte sur les systèmes agricoles et alimentaires européens. Ces stratégies se concrétisent notamment par des objectifs quantitatifs ambitieux en termes de réduction des émissions agricoles de gaz à effet de serre (GES) et des usages d’intrants chimiques (pesticides, engrais et antimicrobiens), de développement de l’agriculture biologique, d’accroissement des éléments fixes du paysage et des aires protégées en faveur de la biodiversité hébergée, et de réduction des pertes et gaspillages. Les tendances actuelles montrent que, à l’exception possible des usages d’antibiotiques en élevage, ces objectifs seront très difficiles à atteindre sans transformations profondes des systèmes agricoles et alimentaires européens (Guyomard, Bureau et al., 2020).
De façon à encourager ces transformations qui visent au développement de systèmes agricoles et alimentaires moins émetteurs de GES et plus respectueux de l’environnement, de la biodiversité et de la santé, le Pacte vert propose un ensemble d’actions organisé autour de trois 267catégories de leviers : le changement des modes de production agricole, dans une perspective agroécologique et donc d’une certaine désintensification ; le développement de la bioéconomie circulaire dans les filières et la réduction des pertes et gaspillages ; et l’adoption de régimes alimentaires sains et durables.
Cette contribution est centrée sur la production agricole et la consommation alimentaire ainsi que leurs interactions1. Dans une première section, nous décrivons les mesures qui favoriseraient les transformations requises des systèmes agricoles et alimentaires, en insistant sur la nécessaire complémentarité des mesures ciblées sur l’offre et la demande. Dans une deuxième section, nous analysons comment ces mesures à l’offre et à la demande interagissent via les prix en examinant d’abord les impacts sur les usages agricoles des terres, puis les répercussions possibles sur les revenus agricoles et les dépenses alimentaires des ménages.
1. Agir de façon complémentaire et synergique
à l’offre et à la demande
1.1. La politique agricole commune (PAC) comme levier
de la transition agro-écologique promue par le Pacte vert
Le Pacte vert fait le pari d’une transformation profonde des systèmes agricoles reposant sur les principes de l’agroécologie, soit une baisse des intrants de synthèse dont les fonctions seraient remplacées par le renforcement des processus biologiques à l’œuvre dans les agro-écosystèmes. Il n’exclut pas les gains d’efficacité que pourrait apporter l’agriculture de précision, mais reste vague sur les bénéfices que pourrait fournir la sélection génétique, notamment dès lors qu’elle est basée sur des techniques contestées par une partie au moins de la société européenne. Il est plus affirmatif dans sa volonté de soustraire certaines surfaces, au titre 268des aires protégées et des éléments fixes du paysage, pour un objectif de préservation de la biodiversité.
Le levier de l’agroécologie peut induire des bénéfices environnementaux significatifs, en particulier en matière de biodiversité (Le Roux et al., 2008). L’impact attendu sur le changement climatique est plus ambigu dans la mesure où la réduction des émissions brutes de protoxyde d’azote liée à des usages d’engrais de synthèse et l’accroissement de la séquestration du carbone dans les sols et la biomasse agricoles (via la couverture des sols, le maintien des prairies permanentes ou encore le développement de l’agroforesterie) pourraient être contrebalancés par une augmentation des terres agricoles pour faire face à la diminution des rendements et à la nécessité d’en réserver une plus grande part à des usages non productifs.
La future PAC, toujours en cours de négociation à l’heure où nous écrivons cette note, peut être mise à profit pour mieux servir les objectifs du Pacte vert. Trois dispositifs principaux visent des objectifs climatiques et environnementaux : (i) dans le 1er pilier totalement financé par l’UE, les aides directes de soutien des revenus agricoles, qui représentent la plus grande part du budget, seraient conditionnées au respect de la législation et à la mise en œuvre de pratiques favorables à l’environnement ; (ii) dans le 1er pilier également, le nouvel outil de l’éco-régime permettrait de verser des aides additionnelles en contrepartie de la mise en œuvre de pratiques vertueuses sur le plan climatique et environnemental allant au-delà des exigences minimales de la conditionnalité ; (iii) enfin, dans le 2e pilier cofinancé par les États membres, les mesures agro-environnementales et climatiques seraient quasiment inchangées. Pour que la future PAC soit à la hauteur de l’ambition du Pacte vert pour l’agriculture, il apparaît nécessaire (Guyomard, Bureau et al., 2020) de :
–renforcer les critères de la conditionnalité, leur contrôle et les sanctions en cas de non-respect ;
–développer des éco-régimes ambitieux ciblés sur les biens publics globaux que sont le climat et la biodiversité, complétés par des mesures permettant de rémunérer les agriculteurs les plus économes en matière d’émissions de GES et d’usage d’intrants chimiques ;
–sanctuariser trois enveloppes budgétaires, dans les éco-régimes, au titre de la lutte contre le changement climatique et de la protection 269–de la biodiversité en consacrant à chaque objectif 20 % du budget du 1er pilier et, dans le 2e pilier, en réservant 35 % de son budget à des actions ciblées sur l’environnement. Un transfert du 1er pilier vers le 2e est à considérer pour renforcer le déploiement des mesures agro-environnementales favorable à la transition agroécologique ;
–enfin, améliorer le modèle de gouvernance de la PAC, notamment en incluant dans les plans stratégiques nationaux des objectifs quantifiés légalement contraignants cohérents avec ceux du Pacte vert à l’échelle européenne.
1.2. Des politiques alimentaires pour atteindre
les objectifs climatiques et de santé
À elles seules, cependant, les actions sur l’offre agricole ne permettront pas de réduire suffisamment les émissions de GES des systèmes agricoles et alimentaires. Le développement de pratiques agro-écologiques peut avoir des impacts favorables sur la santé grâce à une meilleure maîtrise des flux de contaminants dans les sols, l’eau et l’air. Pour autant, ces pratiques ne suffiront pas à faire face aux enjeux de santé posés par l’accroissement de l’obésité et des maladies chroniques associées (diabète de type 2, maladies cardio-vasculaires, certains cancers, etc.). Pour répondre aux enjeux climatiques et de santé, il faut également agir sur les consommations alimentaires.
Une évolution des régimes alimentaires peut viser des gains nutritionnels et environnementaux, notamment climatiques (Pérignon et al., 2017). D’une part, une consommation plus importante de fruits et légumes et de produits céréaliers complets et la réduction des apports en sel, sucre et gras sont en mesure de réduire la prévalence de l’obésité et du surpoids et l’incidence de maladies chroniques liées. D’autre part, la substitution de protéines animales par des protéines d’origine végétale et, d’une manière plus générale, la réduction de la consommation de produits animaux, notamment issus de gros ruminants, pourraient conduire à une baisse des émissions directes de GES liées aux chaînes alimentaires. En outre, la libération de terres aujourd’hui utilisées pour nourrir les animaux d’élevage pourrait, au moins pour partie, compenser l’accroissement de la demande de terres induit par le déploiement de pratiques agro-écologiques et l’augmentation des surfaces spécifiquement consacrées à la protection de l’environnement.
270L’évolution des régimes alimentaires dans le sens esquissé ci-dessus devrait être soutenue par une politique alimentaire volontariste. Les outils mobilisables visent, d’une part, à mieux informer le consommateur via notamment l’éducation, des campagnes d’information ou un étiquetage nutritionnel et environnemental et, d’autre part, à modifier l’environnement alimentaire par la modification de la qualité de l’offre et des actions sur les prix incluant taxes et subventions (Guyomard et al., 2018).
Il faut souligner qu’il n’y a pas aujourd’hui de réelle politique alimentaire coordonnée à l’échelle européenne. Les politiques nutritionnelles sont essentiellement nationales, les coûts de santé étant supportés par les contribuables de chaque État membre et du fait de l’hétérogénéité des préférences alimentaires des consommateurs selon les pays. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de mesures concernant des recommandations alimentaires intégrant les enjeux nutritionnels et environnementaux pourraient être définies au niveau européen et ensuite déclinées par pays en prenant en compte les spécificités nationales. Dans le domaine de la définition d’une politique alimentaire commune cohérente avec la PAC, tout reste à construire en s’appuyant sur les politiques nationales.
2. Tenir compte des effets induits des actions
et des politiques à l’offre et à la demande
Si politiques agricoles et alimentaires doivent être envisagées de façon complémentaire au regard des objectifs du Pacte vert, leur mise en cohérence n’est pas simple. Comment favoriser l’adoption de pratiques de production plus vertueuses, mais aussi plus coûteuses, sans effets négatifs sur les revenus des producteurs comme sur les dépenses des consommateurs ? Pour répondre à ces questions il faut cerner comment les actions sur l’offre et sur la demande interagissent et peuvent engendrer des effets indésirables qu’il convient d’anticiper pour les corriger.
2712.1. Pacte vert, usages agricoles des terres
et « fuites de pollutions »
La transformation de l’agriculture européenne esquissée dans le cadre d’une PAC compatible avec les ambitions du Pacte vert s’inscrit dans une logique de désintensification. Ce processus devrait induire une baisse de la production agricole européenne et une augmentation des coûts unitaires de production, au moins à court terme, le temps de la conversion des systèmes vers des systèmes plus autonomes et économes (Coquil et al., 2018 ; Guillier et al., 2020) favorisant la réduction des coûts de production. La rémunération des efforts des agriculteurs peut-elle être assurée uniquement par le paiement des services environnementaux, ou ces efforts se traduiront-ils également par des prix agricoles et alimentaires plus élevés ?
La réponse à cette question dépend en premier lieu de l’existence d’une disposition à payer plus élevée de la part des consommateurs européens pour des produits issus de l’agroécologie. Cette disposition pourrait être favorisée par des actions sur la demande mettant en avant les efforts des producteurs via, par exemple, un étiquetage environnemental. Néanmoins, à court terme, ce levier ne pourra concerner qu’une fraction des consommateurs.
Dans ce contexte, l’augmentation des coûts de production pourrait accroître les importations européennes (Beckman et al., 2020), engendrant l’exportation de pollutions hors UE dès lors que les produits importés relèvent de systèmes de production moins respectueux du climat et de l’environnement et/ou requièrent la mise en culture de nouvelles terres prises sur des espaces naturels, la forêt ou les surfaces en herbe. Dans ce contexte, il apparaît légitime d’appliquer des mécanismes d’ajustement aux frontières à l’entrée dans l’UE et de mettre en place des mesures miroirs dans les accords internationaux. Ces mécanismes ne doivent pas être limités à la seule dimension carbone –comme le prévoit la Commission– mais être étendus à la biodiversité –ce qui, à ce jour du moins, n’est pas prévu par la Commission. Même pour le climat, il reste un gros effort à faire pour passer de l’intention aux actes.
Les pollutions par extension des usages agricoles des terres pourraient ne pas être limitées à l’étranger si les agriculteurs européens cherchent à « échapper » aux contraintes de la désintensification et de l’augmentation des aires protégées et des éléments fixes du paysage 272par un accroissement de leurs surfaces agricoles totales. Le mouvement de retournement des prairies pourra être évité en mobilisant la PAC, plus spécifiquement les contraintes de la conditionnalité relatives aux prairies permanentes et les incitations offertes par les éco-régimes qui rémunèreront les agriculteurs pour le maintien de prairies permanentes non labourées (objectif carbone) et diversifiées (objectif de protection de la biodiversité). Quant à la mise en culture de surfaces forestières, on cherchera à l’éviter en jouant sur la demande, plus spécifiquement en favorisant des régimes alimentaires européens in fine plus économes en terres (cf. infra).
2.2. Pacte vert, revenus agricoles
et dépenses alimentaires des ménages
Le processus de désintensification conduisant à une baisse globale de la production agricole européenne et à un accroissement des coûts unitaires de production affectera à la hausse les prix agricoles et alimentaires. Néanmoins, les évolutions des prix des différents biens ne seront pas homogènes et varieront en fonction des ampleurs des mouvements relatifs des offres et des demandes.
Si l’on distingue les produits en fonction de leur « qualité environnementale », il est probable que le prix des produits de qualité standard augmente sous le double effet d’une réduction de leur offre et d’un accroissement de leur qualité environnementale. Inversement, le prix des produits d’origine biologique, pour lesquels l’ambition du Pacte vert est de porter les surfaces correspondantes à 25 % en 2030, pourrait baisser si l’offre s’accroît à un rythme plus rapide que celui de la demande.
De même, l’évolution des régimes alimentaires affectera les prix agricoles et alimentaires de façon différente. Ainsi, un accroissement de la demande de fruits et légumes tirera plus fortement leurs prix à la hausse. Inversement, dans le cas de la viande bovine, une diminution de la demande résultant de l’évolution des préférences des consommateurs pousserait le prix des produits standard à la baisse. En retour, les éleveurs auraient alors deux options : adopter les modes de production agro-écologiques, mais ceci suppose que les incitations de la PAC soient significatives ; alternativement, s’orienter plus fortement vers l’export en tirant parti de la croissance mondiale de la demande de produits carnés, 273ce qui suppose des niveaux de compétitivité suffisants relativement aux autres pays exportateurs2.
D’autres éléments influeront également sur les niveaux de prix. Par exemple, la réduction des pertes et gaspillages, en induisant une diminution de la demande finale, est susceptible de tirer les prix vers le bas.
Au total, il est donc difficile d’évaluer l’ampleur des variations de prix qui résulteront de ces différents mécanismes d’ajustement. Un travail récent a évalué les impacts de la mise en œuvre des mesures agricoles du Pacte vert sur les revenus agricoles (Guyomard, Bureau et al., 2020). À prix constants, la baisse des revenus est la conséquence d’une diminution de la production non compensée par une baisse des charges variables. Les hausses de prix des produits agricoles qui seraient nécessaires pour maintenir les revenus agricoles sont de l’ordre de 5 à 9 % pour les productions végétales et de l’ordre de 10 à 15 % pour les productions animales. À importations constantes et sans changement des préférences des consommateurs, de telles variations de prix sont compatibles avec une demande pour les biens agricoles qui ne soit pas trop élastique, c’est-à-dire avec des élasticités prix de demande inférieures à 1 pour les produits animaux et à 1,5 voire 2 pour les produits végétaux. De façon générale, la demande alimentaire est considérée comme faiblement élastique, fréquemment inférieure à 1 en valeur absolue (Green et al., 2013), suggérant, dans ce cadre simplifié, la possibilité d’effets prix compensant les pertes de revenus. Cependant, comme exposé ci-dessus, de nombreux facteurs impacteront in fine les équilibres de prix, rendant difficile sans modélisation fine une évaluation des impacts sur les revenus des mesures du Green Deal.
A contrario, des consommateurs risquent de s’orienter vers des produits alimentaires de moindre qualité pour limiter l’impact de la hausse des prix en présence d’une contrainte budgétaire forte. Ainsi, même si la part des dépenses alimentaires dans le budget total des ménages européens 274décroit (d’environ 14 % à la fin des années 1990 à 13,2 % en 2015), elle reste élevée dans plusieurs États membres de l’est de l’UE (en particulier en Bulgarie, Croatie, Estonie, Lettonie, Lituanie et Roumanie) et dépasse 30 % pour les ménages les plus pauvres de ces six pays. Pour éviter que les augmentations des prix alimentaires ne creusent les inégalités sociales liées à l’alimentation, un soutien financier à la consommation alimentaire pour les populations les plus défavorisées s’impose. Les expérimentations de coupons alimentaires fléchés sur des produits sains, notamment les fruits et légumes, mettent en évidence les bénéfices de telles actions (Buscail et al., 2018). Cela étant, ces politiques ne peuvent s’adresser qu’à un nombre relativement restreint de consommateurs compte tenu de leur coût budgétaire.
Un dernier levier d’action réside dans l’évolution des régimes alimentaires. Suite aux augmentations de prix, les consommateurs pourraient, comme cela a pu être observé dans le cas des consommateurs de produits biologiques, modifier leur diète en consommant globalement plus de produits végétaux et moins de produits animaux. Ce double mouvement peut permettre de répondre aux enjeux de santé et environnementaux sans (trop) augmenter les dépenses alimentaires des ménages (Boizot-Szantai et al., 2017). Ceci pourrait néanmoins se traduire par des baisses de la satisfaction des consommateurs, dès lors que ces modifications de régime ne seraient pas induites par des évolutions de leurs préférences alimentaires. En outre, les possibles évolutions de prix alimentaires induites par les changements de régime (baisse des prix de la viande, hausse des prix des fruits et légumes) pourraient amoindrir les effets de ce levier d’action.
Au-delà des campagnes d’information ou de l’étiquetage des produits, faut-il alors introduire des signaux-prix de façon à inciter les consommateurs à tenir compte des impacts environnementaux et de santé de leurs choix alimentaires ? Les recherches économiques sur ce point tendent à répondre positivement (Springmann et al., 2020). On peut ainsi imaginer une modulation des taux de TVA ou l’introduction d’un schéma de subventionnement et de taxation des produits en fonction de leurs impacts sur l’environnement et la santé. La commande publique peut combiner l’ensemble des instruments décrits ci-dessus dans les restaurants scolaires et administratifs en subventionnant des menus plus sains et durables et en développant des actions d’éducation au goût 275et à la nutrition. Les mesures fiscales devraient être mises en œuvre de façon à être neutres fiscalement (dépenses des subventions financées par les recettes des taxes) afin de ne pas affecter, en moyenne, les dépenses des ménages consacrées à l’alimentation. La neutralité fiscale permet des transferts entre ménages, une partie de la collecte fiscale pouvant être utilisée pour soutenir la consommation des catégories les plus défavorisées.
Conclusion
Le Pacte vert propose des changements majeurs pour l’agriculture et l’alimentation dans l’UE. Sa mise en œuvre passe par une modification profonde de la PAC et la mise en place d’une politique alimentaire ambitieuse. Globalement, il s’agit de réduire considérablement les impacts négatifs de l’agriculture et de l’alimentation sur l’environnement pris au sens large. Cet objectif de réduction des effets externes négatifs entrainera des baisses des volumes et des hausses des coûts, et donc des prix, qui affecteront les surplus des différents agents économiques. Le bien-fondé d’une telle ambition ne doit pas être évalué uniquement sur la base de son impact sur les productions, les échanges et les revenus agricoles, mais à l’aune d’une évaluation globale intégrant la baisse des atteintes négatives à l’environnement et à la santé dont les coûts importants sont trop souvent passés sous silence.
Terminons en notant que la généralisation à l’identique des mesures d’offre du Pacte vert à toutes les agricultures du monde n’est sans doute pas souhaitable. Dans les zones qui aujourd’hui souffrent davantage d’un déficit de fertilisation ou de protection efficace des cultures et des animaux que d’un excès, notamment en Afrique, la satisfaction des besoins alimentaires de la population qui sera en forte croissance sur les prochaines décennies requiert des augmentations importantes des rendements des cultures et des pâtures. Sinon, les risques d’extensions insupportables des surfaces cultivées et des prairies sont grands (Tibi et al., 2020), ainsi que ceux de ne pouvoir satisfaire ces besoins alimentaires et d’augmenter les situations d’insécurité alimentaire faute de disponibilités suffisantes.
276Références bibliographiques
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277Tibi A., Forslund A., Debaeke P., Guyomard H., Schmitt B. (coord.), Marajo-Petitzon E., Ben-Ari T., Bérard A., Bispo A., Durand J.-L., Faverdin P., Le Gouis J., Makowski D., Planton S., 2020, Place des agricultures du monde à l’horizon 2050 : entre enjeux climatiques et défis de la sécurité alimentaire, Paris, INRAE, rapport de synthèse.
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Springmann M., Clark M., Mason-D’Croz D., […] Willet W., 2018, “Options for keeping the food system within environmental limits”, Nature, 562, p. 519-525.
1 Nous ne développons pas ici les rôles que pourraient jouer les secteurs de la transformation et de la distribution pour favoriser le déploiement de pratiques agroécologiques et l’adoption de régimes sains et durables. Les politiques devraient ici cibler la qualité de l’offre alimentaire, la réduction des pertes et gaspillages et, de façon plus générale, la mise en œuvre des principes de la bioéconomie circulaire.
2 Le développement de marchés à l’export pourrait contrebalancer la réduction de la demande de viande sur les marchés domestiques et ainsi permettre un maintien des revenus des éleveurs européens. Ce développement à l’export pourrait néanmoins réduire les incitations à s’engager dans les démarches agroécologiques proposées par le Pacte vert. Notons que ceci reviendrait à importer dans l’Union européenne les pollutions associées à la consommation de viande d’autres pays. Pour évaluer l’impact environnemental global, il faudrait mettre en balance les qualités environnementales des productions européennes et celles des pays concurrents qui pourraient approvisionner les mêmes marchés à l’export.
- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN : 978-2-406-12705-5
- EAN : 9782406127055
- ISSN : 2555-0411
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12705-5.p.0265
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/01/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : pacte vert, PAC, système agricole, système alimentaire, interaction offre-demande.