Bargaining and contesting the new organisation of working time in an automobile plant
- Publication type: Journal article
- Journal: Socio-économie du travail
2019 – 2, n° 6. Tant de capital, temps de travail ? - Author: Carbonell (Juan Sebastian)
- Pages: 91 to 118
- Journal: Social Economy of Labor
Négocier et contester
la nouvelle organisation
du temps de travail
dans une usine automobile
Juan Sebastian Carbonell
Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne
et Centre Maurice Halbwachs
Introduction
La compétitivité de l’industrie française fait l’objet d’une politique gouvernementale active depuis le début de la crise économique de 2008 (Sauviat et Serfati, 2013)1. Ainsi, le rapport Gallois (2012) remis au Premier ministre le 5 novembre 2012 défend, d’une part, une baisse des cotisations sociales des entreprises, et de l’autre, un renforcement de la compétitivité de l’industrie. De même, depuis la signature de l’Accord national interprofessionnel sur la compétitivité des entreprises et la sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013, des « accords de maintien de l’emploi » (appelés également « accords de compétitivité ») peuvent être négociés dans des entreprises en difficulté, à l’image de Sevelnord en 2012, de la Française de Mécanique, ou de Renault en 2013. Appelés désormais « accords de performance collective » depuis les ordonnances du 22 septembre 2017, ces accords modifient, entre autres, l’organisation du 92temps de travail des salariés, dans le but de rétablir les marges de profit des entreprises (Freyssinet, 2013). Comme le soulignent Élodie Béthoux et al. (2015), ils impliquent que les salariés réalisent des concessions en échange d’un engagement de la part de l’employeur soit de maintenir l’emploi ou un niveau de production, soit de ne pas fermer de sites, au moins pendant quelques années. Il s’agit là de l’exemple d’une « négociation à coût nul » pour les employeurs (Freyssinet, 2011, p. 48).
C’est le cas du groupe PSA, où deux accords de compétitivité ont été signés en octobre 2013 et en juillet 2016 entre la majorité des organisations syndicales représentatives et la direction de l’entreprise, appelés respectivement Nouveau contrat social (NCS) et Nouvel élan pour la croissance (NEC). Ces accords ont été présentés comme nécessaires à la survie du groupe après la dégradation de la situation économique de ce dernier en 2012. Au comité central d’entreprise qui se réunit le 12 juillet à Paris, la direction de PSA annonce un plan social majeur qui prévoit la fermeture de l’usine d’Aulnay-sous-Bois, une suppression de 1 400 emplois à PSA-La Janais, dans la banlieue de Rennes, de même que la suppression de 3 600 emplois supplémentaires sur l’ensemble des sites français. Les discours alarmistes dans la presse2, ainsi que le « rapport Sartorius » remis au gouvernement le 11 septembre 2012, contribuent à imposer dans les esprits la nécessité de la négociation d’un accord de compétitivité, donc à faire des choix « douloureux » mais « nécessaires » (Sartorius et Serris, 2012). Cependant, contre une lecture « événementielle » de la crise du groupe PSA, celle-ci doit être comprise dans la « restructuration permanente » (Bouquin, 2006 ; Lomba, 2018) de l’industrie automobile. En outre, il faut rappeler à la suite de certains travaux (Fligstein et Shin, 2007), le lien entre financiarisation des groupes industriels, sous-investissement et réduction des effectifs. Comme le montre Michel Freyssinet (2009), les problèmes auxquels est confronté le groupe PSA pendant la période 2012-2013 ne datent pas d’hier : la distribution de dividendes aux actionnaires avant et pendant la crise aurait privé le groupe de ressources financières précieuses pendant la crise3.
93Enfin, les mesures introduites par les accords de compétitivité peuvent aussi être comprises dans le cadre plus général de la mise en concurrence des usines françaises avec les sites de production à bas coût dans d’autres pays. Pour certains auteurs (Jürgens et Krzywdzinski, 2009), l’intégration de plusieurs pays d’Europe de l’Est à l’Union Européenne pourrait provoquer une « race to the bottom » des salaires et des conditions de travail. Il en est de même au niveau des relations professionnelles, où les pays de l’Est apparaissent comme des laboratoires de formes renouvelées de « dialogue social » (Delteil et Dieuaide, 2010). En témoignent des propos de représentants syndicaux et de tracts qui dénoncent la mise en concurrence des usines du groupe PSA en Europe, mais aussi en France, dans l’attribution des nouveaux modèles de véhicules4.
Une nouvelle organisation du temps de travail est au cœur des accords de compétitivité de PSA. D’un côté, un dispositif appelé overtime est mis en place afin d’ajuster la production à la demande, non pas d’une semaine sur l’autre, ni d’un cycle de production à un autre, mais en temps réel (Carbonell, 2018). De l’autre, les deux accords se placent dans la continuité de celui sur les 35 heures à PSA, dont le but est d’organiser le temps de travail sur l’année en le rendant plus flexible, sans pour autant avoir recours à une réduction de la masse salariale ou à des délocalisations. Que font ces dispositifs à l’organisation du temps de travail et quelles appropriations et contestations suscitent-ils ? Nous démontrerons dans cet article que ces modifications renforcent une nouvelle norme temporelle (Bouffartigue, 2012) en raison de la flexibilité et de la disponibilité temporelle accrue (Devetter, 2006) pour les ouvriers de PSA. Nous nous appuyons sur une enquête de terrain menée entre 2013 et 2017 sur les conséquences de la crise économique de 2008 auprès des ouvriers de l’usine PSA à Mulhouse, le deuxième site du groupe quant aux effectifs ouvriers. Notre accès au terrain a été facilité par deux responsables syndicaux, l’un à la CGT, l’autre à la CFDT. Nous avons réalisé une cinquantaine d’entretiens ethnographiques, souvent répétés, avec des ouvriers, syndiqués et non syndiqués, de l’atelier montage et ferrage de l’usine. Nous mobilisons aussi des documents internes à l’entreprise 94(bilans sociaux, comptes-rendus CHSCT, etc.) et des archives syndicales de la CGT et de la CFDT depuis 2012.
Nous verrons tout d’abord comment ces accords et leur négociation s’inscrivent dans l’histoire récente du temps de travail en France. Nous allons détailler ensuite comment ces dispositifs transforment l’organisation du temps de travail à PSA-Mulhouse. Enfin, nous nous attarderons sur les possibles aménagements et contestations individuelles et collectives mises en œuvre par les ouvriers du site mulhousien.
I. Négocier le temps de travail après la crise
I.1. La mise en crise du temps industriel
Pour Paul Bouffartigue, une « norme temporelle de travail » est une manière de faire, d’être et de penser qui sert de référence dans l’organisation du temps de travail dans les sociétés. Cette approche des normes va au-delà des simples définitions juridiques. En ce sens, elle inclut une dimension de prescription et de légitimité, tout en étant le résultat d’un compromis – le plus souvent instable et contradictoire entre les parties qui définissent la norme. De la même manière, la dimension vécue et pratique d’une norme temporelle est centrale pour l’analyse. Le régime temporel fordiste, autrefois dominant – caractérisé par la régularité et la prévisibilité des horaires, ainsi que par la séparation étanche avec d’autres temps (temps de repos, temps pour soi, temps pour les autres) et une reconnaissance monétaire du travail à des horaires atypiques –, est entré en crise depuis une quarantaine d’années. Cependant, l’érosion statistique de la norme fordienne n’a pas eu pour conséquence l’émergence d’un nouveau régime temporel hégémonique, mais plutôt l’apparition une diversité de situations à l’égard du temps. On peut parler à ce titre d’un « temps de travail en miettes » (Freyssinet, 1997), ou d’un « éclatement du temps de travail » (Thoemmes, 2000). Plusieurs travaux s’accordent pour situer le moment de basculement entre les lois Auroux de 1982 et les lois Aubry de 1998 et 2000. La réduction du temps de travail mise en place par ces dernières est d’une nature différente de celle des décennies précédentes. Auparavant la réduction 95du temps de travail était une contrepartie aux gains de productivité du travail, or les 35 heures ont été présentées principalement comme un outil de lutte contre le chômage et comme un moyen d’aménager le temps de travail visant à améliorer la compétitivité des entreprises.
Pour Annette Jobert (2010), l’épisode des 35 heures laisse place à partir de 2002 à toute une série de lois qui cherchent désormais à assouplir les 35 heures, sinon à les remettre en cause. Une des particularités de ce mouvement, qui s’est confirmé depuis la loi El Khomri et les ordonnances du 22 septembre 2017, est le poids accru du cadre de l’entreprise dans la détermination du régime temporel de travail : « La négociation d’entreprise, dans un contexte d’augmentation du chômage et de faiblesse des organisations syndicales, et en l’absence d’un encadrement législatif et conventionnel conséquent, apparaît à beaucoup comme un instrument qui désormais profite très largement aux employeurs, un outil “d’autorégulation” de l’entreprise » (Jobert, 2010, p. 373). Constat partagé par Jérôme Pélisse (2008), pour qui « on sort en quelque sorte d’un cycle d’assouplissement du droit du travail qui passait par la négociation collective et l’existence de contreparties jugées suffisantes car collectives, pour aller vers une technique de modification du droit qui renforce la prérogative de l’employeur et le lien de dépendance individuel, affaiblissant la portée collective des règles du travail ».
La crise du groupe PSA se déroule dans un contexte de renforcement d’une législation qui a tendance à favoriser la négociation collective et à la décentraliser au niveau de l’entreprise (Bloch-London et Pélisse, 2008 ; Pélisse, 2009). L’ANI de janvier 2013 vise en effet à « donner aux entreprises les moyens de s’adapter aux problèmes conjoncturels » (ANI, p. 149) en favorisant la négociation d’« accords de maintien de l’emploi » portant sur le salaire, l’emploi et le temps de travail. Il s’opère alors un changement d’ordre qualitatif dans les représentations des syndicalistes, car la négociation collective – qui était synonyme d’amélioration des conditions de travail ou d’augmentation des salaires – implique, depuis plusieurs années, de demander des « sacrifices » aux collectifs de travail dans le but de « préserver l’emploi ». De sorte que les exigences en matière de temps de travail se font en échange d’un emploi stable. Les accords de compétitivité signés en France dans l’industrie depuis 2012 s’inscrivent dans cette nouvelle logique caractérisée par un échange inégal entre employeurs et employés autour de l’emploi. Ainsi, pour Béthoux 96et al. (2015), « l’existence d’un débat sur l’emploi dans l’entreprise est aujourd’hui largement acquise, reconnue et le plus souvent recherchée par les représentants des salariés » (p. 95).
De ce mouvement il ne ressort pas tant une augmentation qu’une flexibilisation du temps de travail comprise comme une « remise en cause de la stabilité des repères temporels » (Thoemmes, 2000, p. 58). Cette dernière s’attache à introduire de l’irrégularité et à normaliser les horaires « atypiques » (travail le samedi, le dimanche, les jours fériés, etc.). Pour Paul Bouffartigue (2012), nous serions passés dans les années 2000 du « travailler moins pour travailler tous » au « travailler plus pour gagner plus ». Avec les transformations de la négociation sur le temps de travail depuis le début de la crise économique de 2008, nous pouvons ajouter que nous sommes désormais entrés dans une logique de « travailler plus pour garder son emploi ». On peut alors dire que pour les secteurs d’activité où la précarité est généralisée et qui sont concernés par une hétéronomie de leur norme temporelle, les contreparties, qu’il s’agisse de l’emploi ou du salaire, sont en général absentes. Ce n’est pas le cas de l’industrie automobile où la question des contreparties est au centre de la négociation autour de la nouvelle norme temporelle.
I.2. Une flexibilité sans contreparties ?
La mise en avant par l’entreprise de facteurs objectivant la crise du groupe PSA, ainsi que la création d’un cadre législatif favorisant la négociation d’accords de compétitivité en 2013, ont contribué à imposer l’idée qu’il était nécessaire de négocier le premier accord de compétitivité, le Nouveau contrat social. L’entreprise annonce dès septembre 2013 un ensemble de mesures majeures qu’elle souhaite faire figurer dans le NCS. On y trouve la baisse, voire la suppression pure et simple de plusieurs primes (prime d’évolution, prime d’aléas de carrière, prime de rentrée, etc.). À ceci s’ajoute la baisse de la majoration de nuit ou du samedi (de 50 % à 25 %), la mise en place de l’overtime et une plus grande flexibilité du temps de travail sur l’année. Plusieurs syndicats répondent à cette annonce par un appel au débrayage dans toutes les usines du groupe pour le 11 septembre, jour de la dixième réunion de négociation5. La 97CFTC de l’usine PSA-Mulhouse, peu habituée à appeler à la grève, décide de se joindre au mouvement. Seuls la CFE-CGC et FO n’appellent pas au débrayage6. Le 11 septembre 2013, autour de 900 ouvriers sur les 7 400 du site débrayent sur les trois équipes (matin, après-midi et soir), ce qui est le plus grand mouvement de grève depuis 1989.
Suite à ce débrayage, la direction du groupe PSA décide de revenir sur certaines de ses propositions. Ainsi, la prime de rentrée et la prime de nuit sont maintenues sans changement. Les autres primes sont revues à la baisse, intégrées dans le salaire, ou leurs modalités d’attribution sont modifiées. Cependant, les mesures qui visent à réviser le temps de travail sont maintenues. Lors de l’avant-dernière réunion de négociation, PSA présente des « contreparties » aux syndicats. Dans ses engagements, on trouve la promesse de produire un million de véhicules par an en France, de ne pas fermer d’usines avant 2016, de lancer un nouveau modèle dans les usines terminales (usines d’assemblage), d’investir 1,5 milliard d’euros sur trois ans et de maintenir 75 % des activités R&D du groupe en France. Début octobre 2013, après 13 séances de négociation, la CGT et la CFDT font savoir qu’elles ne signeront pas le NCS. Ces deux refus n’empêchent pas le NCS d’être adopté le 24 octobre après la signature de la CFTC, la CGC-CFE, FO et le SIA. L’argumentaire avancé par les syndicats signataires pour justifier cette prise de position est de deux ordres : la situation de l’entreprise est jugée suffisamment grave pour qu’ils considèrent qu’« une restructuration est indispensable » et les mesures de l’accord sont jugées « supportables » pour les salariés7.
Pour les syndicats qui refusent de signer le NCS, celui-ci n’apporte aucune véritable « contrepartie » à la suppression ou baisse de primes, ainsi qu’à la nouvelle flexibilité du temps de travail exigée. C’est ainsi que l’exprime dans un entretien de septembre 2013 Denis, ouvrier au ferrage et secrétaire de la CFDT PSA-Mulhouse jusqu’en 2014 :
L’overtime passe assez mal. Ça leur fait peur effectivement [aux salariés]. Bon, aujourd’hui on finit à 20h30, les gens tiennent à ces horaires-là. Si on repousse dix minutes, voire une demi-heure la fin de poste, ça va pas passer 98bien. Après, les heures seront payées dans le mois en heures supplémentaires. Il y a aussi cet aspect-là des choses. Certains accepteront, mais ceux qui sont à attendre [les bus] qu’ils arrivent pendant dix minutes, ils auront du mal à l’accepter. Ça c’est clair.
Denis refuse que son syndicat signe le NCS car celui-ci fait perdre aux salariés des primes importantes, acquises de haute lutte lors de conflits collectifs, et instaure une nouvelle organisation du travail qui désorganise les vieilles habitudes ouvrières. Ce refus est d’autant plus justifié à ses yeux que les changements introduits apparaissent comme « définitifs ».
Début 2016, des négociations reprennent en vue de la signature d’un autre accord de compétitivité, le Nouvel élan pour la croissance. Cet accord se place dans la continuité du précédent, dans la mesure où il reconduit et approfondit la plupart des mesures du NCS de 2013. Or les négociations sur le NEC ont lieu dans un contexte économique différent. L’entreprise connaît un lent redressement après la période de crise de 2013-2014 (Grosset, 2016). En effet, le groupe PSA a progressivement renoué avec les profits suite au plan « Back in the race » qui est une des déclinaisons du NCS. Les ventes de PSA repartent à la hausse dès 2014 (+5,4 % dans le monde, dont +7 % en Europe)8, ce qui se concrétise ensuite par un dépassement des objectifs initiaux de 2015. Cette conjoncture n’est pas sans effet sur les stratégies syndicales à l’égard de la récente flexibilité du temps de travail. Élodie Béthoux, Anette Jobert et Alina Surubaru (2014) distinguent une démarche syndicale dans l’urgence et une action syndicale dans l’anticipation. L’urgence place clairement les équipes syndicales dans une position défavorable et défensive, où les menaces sur l’emploi font que les marges de manœuvre s’annoncent étroites. La négociation dans l’urgence peut encourager une démarche contestataire, comme cela a été le cas en 2013. A contrario, une démarche d’anticipation dans un contexte économique favorable à l’entreprise facilite des négociations qui aboutissent à des concertations. Les marges de manœuvre sont plus larges et il est possible de négocier des contreparties en échange de la signature d’un accord.
99Ainsi, lorsque l’usine PSA-Mulhouse connaît un surcroit de commandes de Peugeot 2008 au cours de l’année 2016, la CFDT profite de cette situation pour demander des contreparties monétaires à une flexibilité accrue du temps de travail contenue dans le NEC, notamment le paiement d’un samedi sur trois travaillé en modulation, en échange de sa signature du nouvel accord. C’est ce que formule en entretien Patrick, devenu secrétaire de la CFDT PSA-Mulhouse à partir de 2014. Il n’est pas question ici de revenir à un état précédent de la norme temporelle, mais d’inclure le paiement d’un samedi travaillé sur trois :
Pour le NEC, on a dit à la direction : « Si vous voulez que la CFDT s’intègre dans le NEC, on a des incontournables ». On n’est pas utopiques non plus. On n’a pas dit : « On veut le retour des acquis ». Ça on sait que… Demander du rêve, c’est comme ça, c’est difficile, hein. Ça on l’a pas demandé. On a dit : « On veut un paiement par étapes [des samedis] » (…) « Si on s’engage dans le NEC, ça aussi doit être mis sur la balance ». Donc, c’est ce qu’on a avancé tout doucement. C’était pas gagné et après, au bout du bout, on a eu des acquis. Notamment le [paiement] d’un [samedi] sur trois, une vraie idée CFDT, ils l’ont mis.
En diminuant la majoration du travail les samedis après la signature du NCS, la disponibilité temporelle exigée par l’entreprise, traduite par le fait de devoir travailler plus de samedis sans que ceux-ci soient rémunérés, avait peu de légitimité aux yeux des salariés. L’argument du maintien de l’emploi a permis d’éviter qu’elle apparaisse comme une flexibilité sans contreparties. Seulement une progressive sortie de crise du groupe PSA a autorisé les syndicats à négocier des contreparties financières autour du travail du samedi, sans que celles-ci représentent un retour à la norme précédente. Nous avons vu dans cette partie comment les accords de compétitivité négociés par PSA et les organisations syndicales se placent dans le cadre des mesures visant à modifier les normes temporelles de travail. Nous allons voir maintenant comment ces accords se traduisent concrètement en une nouvelle organisation du temps de travail à PSA-Mulhouse.
100II. La réorganisation du temps de travail
au cœur des mesures de compétitivité
II.1. La flexibilisation du temps de travail quotidien
Organiser le travail c’est organiser le temps de travail et les capacités des salariés (Linhart, 2005). Autrement dit, la gestion du temps de travail constitue un « élément central de l’organisation des activités professionnelles » (Thoemmes, 2000, p. 2), ce qui a pour conséquence de mettre le temps de travail au centre de l’activité de négociation en entreprise. Le NCS affirme que « l’organisation actuelle du travail n’est pas en totale adéquation avec l’activité et les besoins réels » de l’entreprise (p. 19). En ce sens, l’accord met au centre de la « flexibilité industrielle » deux nouveaux dispositifs : l’overtime et la modulation collective. D’un côté, l’entreprise vise à adapter le temps de travail journalier des ouvriers en fonction des « aléas de production » (pannes, problèmes avec les fournisseurs, etc.) afin d’atteindre les programmes de production. De l’autre, elle cherche à réajuster les « séances de travail » (c’est-dire les journées de travail) au caractère « saisonnier » du marché automobile, ainsi qu’aux surcroits de commandes de voitures.
Les études sur les temporalités du travail ont peu traité de la journée de travail et de ses variations. Seuls quelques rares travaux ont été consacrés au temps de pause, ses usages et ses significations sociales (Boisard, 2006 ; Bozon et Lemel, 1990 ; Hatzfeld, 2002). Une des raisons tient sûrement au fait que le cadre temporel dominant s’est déplacé progressivement pendant le xxe siècle de la journée de travail à la semaine, puis à l’année (Marchand et Thélot, 1997). Néanmoins, il est apparu au fil des entretiens avec les ouvriers de PSA-Mulhouse que le dispositif d’overtime était au centre des inquiétudes des enquêtés. Celui-ci a commencé à être mis en place en 2014, puis son usage s’est généralisé les années suivantes au point que, pendant certaines périodes, les salariés font de l’overtime tous les jours de la semaine.
Au moment de l’enquête, trois équipes travaillent dans les ateliers de production de PSA-Mulhouse. Deux équipes alternent le travail une semaine le matin et une semaine l’après-midi dans des horaires de doublage, tandis qu’une troisième équipe travaille pendant la nuit. Le 101rythme de travail garde en principe une unité importante sur toutes les usines terminales (emboutissage, ferrage, peinture et montage), néanmoins cette unité se voit progressivement brisée par l’introduction de l’overtime à l’usine. En France, c’est d’abord Toyota qui a mis en place le dispositif dans son usine d’Onnaing en 2001. La direction du site peut exiger de ses salariés quelques dizaines de minutes de travail de plus en moyenne chaque jour en fin de poste, avec un délai de prévenance de plusieurs jours. Le dispositif a ensuite été introduit dans les usines PSA par le Nouveau contrat social : il peut modifier la durée quotidienne de travail effectif de dix à vingt minutes selon la tournée. Dans le NCS, il est pensé ouvertement en complément à la modulation collective ou aux heures supplémentaires habituelles (NCS, p. 20). Lorsque l’overtime est annoncé en tournée du matin à PSA-Mulhouse, celui-ci a lieu à 11 heures pendant la pause casse-croûte (celle-ci est réduite de 31 à 21 minutes). S’il a lieu en tournée de l’après-midi, celui-ci se déroule en fin de poste, à 20h32 : la journée de travail est prolongée de dix minutes. Enfin, s’il a lieu en tournée de nuit, il a lieu à 3h54 et il dure 20 minutes. De telles formes d’extension de la journée de travail ont déjà été décrites par d’autres travaux. Ainsi, le journaliste Satoshi Kamata affirme dans son récit du travail aux usines Toyota dans les années 1970 au Japon avoir fait à plusieurs reprises des heures supplémentaires en fin de poste (Kamata, 2008, p. 34, 39, 40 et 54). De même, Terry L. Besser (1996) décrit aussi des rallongements horaires dans une usine Toyota dans le Kentucky, aux États-Unis, dans les années 1990. Il s’agit néanmoins d’une nouveauté dans les usines de l’industrie automobile en France. Enfin, dix minutes de travail supplémentaires sur une journée peuvent sembler négligeables. Cependant, la plupart des enquêtés s’accordent pour affirmer que le dispositif, parce qu’il est perçu comme un temps sans valeur pour les ouvriers, et parce qu’il se place dans le contexte d’une intensification du travail, fait l’objet d’un grand mécontentement.
Comme le montrent Armelle Gorgeu et René Mathieu (2005), le transfert d’une partie de la production à des sous-traitants et à des fournisseurs s’est fait dans le cadre de la mise en place d’une organisation de livraison en juste-à-temps. Les impératifs de la production conditionnent donc le temps de la production, puisqu’« une défaillance d’un des équipementiers qui dépasserait [le temps de livraison] peut arrêter la ligne de montage du constructeur » (Idem, p. 177). Le constructeur 102exerce donc une pression temporelle importante sur le fournisseur. La principale nouveauté de l’overtime tient au fait que le dispositif cherche à ajuster la production du constructeur au marché en temps réel : si les programmes de production journaliers ne sont pas atteints pour une quelconque raison, l’overtime peut être déclenché. De plus, à un moment où la vitesse de chaîne correspond plus ou moins à une voiture par minute, dix voitures peuvent être construites pendant l’overtime. Ce dispositif a été présenté comme un moyen de garantir la production journalière et de mieux répondre à une variation non planifiée de la production.
Dans un processus qui renforce la fragmentation des temps de travail à l’usine, l’overtime peut concerner un seul atelier, voire un seul secteur. C’est l’inquiétude qui est exprimée par Halim, délégué CFDT au ferrage, lors d’un entretien collectif au local syndical au mois de février 2017. Pour lui, l’overtime peut avoir des conséquences sur le nombre de bus assurés par l’entreprise :
L’overtime ça peut juste être un secteur. Ça peut vraiment être un secteur, donc dix personnes. Les autres s’en vont, et de ce fait là, ils ont décalé les bus pour tout le monde. Tout le monde est impacté par ça si tu veux. Donc c’est vrai que du coup les gens, en après-midi, il y a 50 % de moins de gens qui prennent les bus.
En effet, en raison de l’enclavement de l’usine dans une forêt, entre deux autoroutes et un chemin de fer, à six kilomètres de Mulhouse, les ouvriers dépendent fortement des « cars Peugeot » ou de leur voiture personnelle. Ils sont plus dépendants encore de l’organisation du temps de travail et d’un éventuel rallongement horaire.
C’est ce que rapporte aussi Mohamed, ouvrier en habillage caisse et militant CFDT au montage. Dans cet extrait, il explique que certains secteurs sont plus affectés par l’overtime que d’autres, ce qui provoque chez lui un sentiment de honte lorsqu’il passe devant les salariés du secteur montage voiture qui continuent de travailler :
Dans le montage même, c’est toujours les mêmes secteurs. Je veux dire, les gens qui sont en MV [montage voiture] par exemple, je donne un exemple classique. Nous, en moyenne dans mon équipe [en habillage caisses], on va faire, allez, trois overtime dans la semaine, biens placés ou mal placés ça c’est une autre discussion, mais trois ou quatre overtime. MV, si nous on fait un overtime, juste un, on peut être sûr quasiment que toute la semaine en passant on les croise quoi. Quand on est de l’après-midi l’overtime est à 20h32. Nous 103on part, et je te dis les gens ils sont comme ça (Il fait un geste pour signifier l’exaspération)…
Comme nous l’avons rappelé, une des principales conséquences de l’introduction de l’overtime est la réduction du temps de pause des ouvriers. Les pauses ne sont pas seulement des moments de récupération des forces physiques, elles sont notamment des moments où les liens se nouent et où les groupes informels se constituent. C’est ce que mettent en avant Michel Bozon et Yannick Lemel (1990) lorsqu’ils approchent le temps informel au travail comme un temps « qui ne découle pas strictement des exigences de la coopération professionnelle » (p. 106). Ils donnent alors l’exemple de la parole au travail : « Les discussions non professionnelles entre collègues jouent un rôle important et méconnu de ciment du groupe » (Idem). C’est ce que rapporte notamment Christian, ouvrier au montage et militant CGT. Il exprime dans l’extrait d’entretien suivant la manière dont l’overtime intègre du temps hors travail, soit pendant la pause, soit en fin de poste, dans le temps de travail et renforce la disponibilité temporelle, provoquant du mécontentement chez les ouvriers :
Le soir [l’annonce] c’est avant 18h, parfois ils arrivent à 18h pile et ils nous disent il y aura overtime, ou alors ils prononcent l’overtime et ils viennent un quart d’heure avant et il y a pas overtime. (…) Le soir pareil, quand il y a les gens qui ont les bus et qui finissent à 20h42, quand il y avait le système 2, il y en a qui travaillaient loin, les anciens je sais même pas comment ils faisaient pour courir au bus. Combien de gens j’ai vu louper le bus à cause de l’overtime. Il y a eu des gros loupés. Pareil, le repas de midi c’est quand même sacré, ils nous ont détruit les self, on n’a pratiquement plus de moyens de restauration corrects et en plus on n’a plus le droit d’avoir du temps pour manger. Et la seule remarque qu’on nous fait c’est : « Vous n’avez qu’à ne pas être fumeur ». Faut plus être fumeur parce que Peugeot a décidé qu’on n’avait que 20 minutes. Ça c’est empiéter sur notre vie personnelle, je l’appelle comme ça.
Les organisations syndicales se sont saisies de cette question et du mécontentent des salariés dès que le dispositif a été mis en place début 2014. La CGT a été la première à dénoncer le dispositif dans une série de tracts, à travers une pétition contre l’overtime, puis par des appels à débrayer au mois de mars 2014. Voyant que la question des horaires de travail était au cœur des inquiétudes des salariés, les autres syndicats (CFDT et CFTC principalement) ont emboîté le pas et ont également 104produit des tracts dénonçant l’usage « abusif » du dispositif. Comme nous le verrons dans la troisième partie, ce dispositif, désormais généralisé dans l’industrie automobile et présenté comme une aubaine par les constructeurs, fragilise organisationnellement la production par la disponibilité temporelle qu’il exige. Il produit une situation pénible et contraignante pour les salariés, exposés à l’imprévisibilité des horaires de travail (Carbonell, 2018). En outre, ces effets se voient redoublés par le système de la modulation horaire.
II.2. La flexibilisation du temps de travail sur l ’ année
Nous pouvons trouver les origines de la modulation collective telle qu’elle se pratique aujourd’hui à PSA dans l’Accord cadre sur l’amélioration de l’organisation et la durée du travail, la formation et l’emploi du 4 mars 1999, complété ensuite par plusieurs avenants, afin de mettre en place les 35 heures dans l’entreprise. Cet accord, signé par l’ensemble des organisations syndicales représentatives, à l’exception de la CGT, vise à « aborder le passage aux 35 heures dans un cadre plus large que celui défini par la loi » (Accord cadre, p. 4), de même qu’à annualiser le temps de travail. Il se place donc dans la perspective de flexibiliser le temps de travail sans pour autant avoir recours à une réduction de la masse salariale ou à des délocalisations. En outre, il rend possible l’organisation de cycles de travail de six jours, du lundi au samedi, pour les tournées du matin. Le samedi, « ombre profane du dimanche » (Verret, 1982, p. 112), a donc été désacralisé par PSA depuis plusieurs années. En effet, l’Accord cadre affirme que « le travail, dans le cadre de cycles à temps plein, pourra être organisé sur 3, 4, 5 ou 6 jours par semaine » (p. 10) et que « l’entreprise pourra faire varier l’horaire collectif à la hausse pour faire face à une augmentation de la demande ou à la baisse, pour s’ajuster à des diminutions conjoncturelles des besoins » (p. 13). Enfin, un avenant à l’Accord cadre négocié à Mulhouse met un place un système de travail d’un samedi travaillé toutes les huit semaines.
Cette modulation du temps de travail est modifiée lors de la mise en place du NCS en octobre 2013. L’accord s’appuie explicitement sur celui du 4 mars 1999 « créant des aménagements adaptés pour faire face aux enjeux et répondre aux ambitions actuelles et futures de l’entreprise » (NCS, p. 35). Le nouvel accord fixe alors le cadre dans 105lequel aura lieu la modulation par salarié, avec une « borne basse » de -5 jours (soit -35 heures), et une « borne haute » de +5 jours (soit +35 heures). C’est-à-dire que si un salarié travaille au-delà de cinq jours en modulation, ces heures seront payées en heures supplémentaires (c’est à dire à 125 %), ou converties en repos « à l’initiative du salarié ». À l’inverse, si son compteur est inférieur à -5 jours, en raison d’annulation de séances de travail, il sera en « activité partielle » et payé au titre de chômage technique. De plus, le NCS a aussi pour conséquence qu’à PSA-Mulhouse, tous les samedis sont travaillés en modulation pour les tournées du matin (c’est-à-dire deux samedis par mois pour une tournée en roulement). Le NEC de 2016 modifie la modulation collective en « créant une borne basse à -12 jours et une borne haute à +8 jours » (NEC, p. 6). Si un salarié chôme au-delà de 12 jours il passe en activité partielle et est donc payé à 90 % de son salaire par PSA. Cela constitue une protection réelle face aux aléas du marché, notamment en cas de baisse des commandes. Pourtant, il « doit » douze jours de travail à PSA pour que son compteur revienne à zéro. Pour qu’ensuite un samedi puisse être payé pleinement (payé à 125 %), un salarié dont le compteur est à zéro doit travailler huit samedis sans que ceux-ci soient payés.
La forte variabilité de la demande du marché automobile, variabilité accentuée depuis la crise économique de 2008, a justifié aux yeux de PSA la négociation de ces différents accords depuis la fin des années 1990 visant à flexibiliser le temps de travail dans l’entreprise. Ainsi, PSA affirme dans ces accords que le marché automobile présente un caractère saisonnier, avec des périodes de réduction de l’activité, suivies de périodes d’accroissement brusque des commandes. La « charge instantanée » (terme employé par PSA) des usines peut donc varier radicalement d’un mois à un autre. Devenue trop grande, l’incertitude de la demande deviendrait une des principales contraintes dans l’organisation du temps de travail. Un des buts des constructeurs est alors de réduire les coûts en évitant de devoir recourir à un stockage de véhicules. D’une part, ce stockage représente un coût financier, de l’autre, ces marchandises stockées ne correspondent pas à une demande à moyen terme et elles se trouvent immobilisées en attente d’écoulement.
L’overtime et la modulation ont donc pour finalité de rendre flexible et extensible le temps de travail des ouvriers devant des variations non planifiées de la production. Derrière les objectifs affichés par l’entreprise 106de réduction des coûts, de suppression de stocks, plusieurs travaux ont démontré pourtant que le système en juste-à-temps sur lequel s’appuient ces dispositifs est loin de contribuer à une adéquation parfaite entre la demande et la production. Comme le montre Tommaso Pardi (2005, 2009) à partir d’une étude sur l’usine Toyota à Valenciennes, les heures de travail supplémentaires font partie de la gestion normale de la production : « Le management utilise cette stratégie de façon délibérée et en permanence, en planifiant des volumes de production systématiquement supérieurs aux capacités de production, surtout en termes de contingents de main-d’œuvre, ce qui oblige les salariés soit à augmenter leur productivité, soit à travailler plus longtemps pour réaliser les objectifs journaliers de production » (Pardi, 2009, p. 55). Il n’y a rien d’étonnant à ce mécanisme, dans la mesure où un des principaux moyens pour faire travailler plus les ouvriers de PSA sans perturber l’organisation de la production est la variabilité des horaires. De même, comme le montrent des enquêtes européennes (Valeyre, 2006, 2007), les organisations en juste-à-temps sont une de celles où la flexibilité des horaires est la plus diffusée, avec une prédominance des pratiques de travail le samedi ou le dimanche. Dans le cas de PSA-Mulhouse, un des effets essentiels de l’organisation de cycles de travail sur six jours une fois toutes les deux semaines et de l’organisation de séances de travail certains jours fériés est la manifestation d’un sentiment aigu de fatigue chez les ouvriers enquêtés – tout particulièrement chez les salariés âgés et/ou avec des restrictions médicales. Cette situation a eu tendance à s’étendre pendant la durée du terrain en raison du vieillissement de la main-d’œuvre. Si les salariés âgés entre 45 et 54 ans représentaient 28,4 % des salariés du site en 2010, ils étaient 36 % en 2016 ; de même, les salariés âgés de 55 ans et plus représentaient 16,4 % des salariés du site en 2010 puis 19,9 % en 20169. L’emprise temporelle de la variabilité des horaires s’étend ainsi au hors travail, puisque le propre du sentiment de fatigue exprimé est qu’il ne se manifeste pas seulement pendant les heures de travail, mais surtout après. Il apparaît comme une « mauvaise fatigue » (Loriol, 2003) accumulée et qui ne peut pas être récupérée. Enfin, cette variabilité des horaires et ce surcroit de travail ont pour effet paradoxal de désorganiser la production par des attitudes de retrait (cf. infra).
107Les dispositifs décrits participent à l’intégration du temps hors travail (les pauses, les samedis, les dimanches ou les jours fériés) au temps de travail et renforcent la disponibilité temporelle des ouvriers. Tout se passe comme si le temps du marché primait sur le temps de la production, donc sur le temps des ouvriers. Les changements qu’ils introduisent correspondent à celles d’une période de crise économique, comme le montre Mélanie Roussel (2011) dans son étude sur le temps de travail des ouvriers de l’industrie textile de la Nièvre dans les années 1930. Quand la crise commence à se faire sentir dans la vallée de la Nièvre, le temps de travail est modifié selon les variations de la provision des matières premières. Le temps de travail hebdomadaire peut alors fluctuer considérablement, du simple au double, de 28 heures à 48 heures. Ainsi, dans la Nièvre dans les années 1930 comme à Mulhouse dans les années 2010, les conséquences de la flexibilisation du temps de travail ne se limitent pas aux seuls aspects organisationnels, mais ont aussi des effets sur les temporalités individuelles des salariés. Comme nous allons voir par la suite, l’emprise temporelle de l’entreprise n’est jamais totale, puisqu’elle se double toujours de contournements et d’oppositions.
III. Des arrangements individuels
à défaut de mobilisations collectives ?
III.1. S’approprier des modifications du temps de travail
Comme le rappelle Danièle Linhart, le contrat de travail établit l’exclusivité de l’employeur quant à l’usage du temps de travail du salarié. Or, rappelle-t-elle, « le temps appartient aux salariés parce que ce sont eux qui le vivent, qui lui donnent sens, c’est par eux que cet usage transite, il se confond avec leur vie » (Linhart, 2005, p. 7). Nous avons constaté deux attitudes face aux nouveaux dispositifs d’organisation du temps de travail. D’une part, certains ouvriers cherchent à s’approprier positivement les conséquences du surcroit de travail produit par la modulation horaire. D’autre part, des formes individuelles et collectives de refus peuvent émerger face aux dispositifs.
108Malgré les contraintes temporelles imposées par les fortes variations de la production, des ouvriers peuvent s’approprier à leur manière les modifications introduites dans le temps de travail. On a constaté des « modalités de réappropriations des temps » (Bouffartigue, 2012, p. 22) ou une « appropriation des temporalités construites par les institutions ou les organisations » (Dubar, 2004, p. 122). De plus, les entretiens réalisés autour de cette question montrent que ces modalités correspondent aux propriétés sociales des ouvriers. Selon que l’on soit jeune, musulman ou militant syndical, les formes de réappropriation du temps de travail à PSA seront différentes.
À la fin du mois de mars 2017, la direction de PSA-Mulhouse annonce au comité d’entreprise une commande supplémentaire de 2 000 voitures Peugeot 2008 par rapport au programme initial de production. La direction décide alors d’organiser plusieurs samedis et dimanches travaillés avant l’été, de même que des séances de travail supplémentaires certains jours fériés (le 8 mai et le 25 mai, jour de l’ascension, par exemple). Aux yeux de certains ouvriers, ce surcroit de travail n’a pas que des conséquences négatives. Par exemple, des ouvriers au montage comme Mohamed peuvent profiter des samedis et des jours fériés travaillés afin de remplir leur compteur individuel pour ensuite refuser d’en faire. Ouvrier musulman, Mohamed craint surtout la période des fortes chaleurs pendant le Ramadan, il fait alors le choix d’accumuler des jours et des heures de travail « en plus » pour les échanger contre du non-travail pendant le mois de jeûne :
Après, les samedis je pense que [je vais venir travailler]. Alors, je vais peut-être choquer, parce que là hier on s’est battus vu qu’on a beaucoup de samedis, pour qu’un jour sur deux soit [au volontariat]. Ben, je pense que je vais venir, pour ceux qui sont pas [au volontariat]. Je vais plus venir pour remplir mon compteur. Je vais essayer de magouiller pour avancer sur mon compteur, mais je pense que le mois de mai va quand même permettre avec ces jours fériés-là de faire mes samedis, de faire la totale. Je pense pas que je vais avoir besoin de pas faire les samedis. C’est un calcul à faire pour chacun.
Le revers de la médaille des tentatives d’aménagement de ce surcroit de travail est l’individualisation des stratégies face à la modulation horaire et les samedis obligatoires. C’est-à-dire que si le chômage technique peut concerner tous les ouvriers d’un atelier (voire toute l’usine terminale, montage, ferrage, peinture), le compteur personnel et le système de 109modulation horaire concernent les ouvriers pris séparément. La fragmentation du temps de travail collectif et la mise en place d’un compteur pour chaque salarié entraînent ces calculs individuels, puisque comme le dit Mohamed, « c’est un calcul à faire pour chacun ». Néanmoins, d’autres critères peuvent jouer dans l’adoption d’attitudes personnelles vis-à-vis du temps de travail, et il existe des stratégies d’appropriation qui sont interdites à certaines catégories d’ouvriers. C’est le cas notamment des responsables syndicaux de la CGT. Dans l’extrait suivant, Luc, ouvrier au montage, embauché dans les années 1990, et représentant de la CGT au comité d’entreprise, explique qu’il refuse de se soumettre à la temporalité patronale en travaillant les jours fériés, notamment en raison de l’image qu’il doit donner de son engagement syndical auprès du reste des salariés. Ce refus est d’autant plus étonnant aux yeux de ses collègues qu’il se fait contre son intérêt matériel.
Si j’avais voulu travailler de nuit, ou les jours fériés par exemple, j’aurais fait 200 euros en une journée. Je fais deux journées comme ça, ça fait 400 euros. Les mecs ils se bagarraient [pour les faire] ! Les mecs ils m’envoyaient des SMS, d’autres tournées, parce qu’il y a qu’une tournée qui travaille, comme ça tu arrives à trouver du monde. Les mecs se bagarraient : « Tu viens pas au travail ? Je peux prendre ton poste ? » C’est pas qu’ils veulent travailler, mais ils voient l’argent qu’il y a au bout.
Ces deux enquêtés décrivent ici une des formes des « conduites de dépense » déjà relevées par la sociologie des classes populaires. D’après Olivier Schwartz, la « boulimie de travail est largement dictée par des contraintes économiques. Rien de tel que les bas salaires pour inculquer le goût des heures supplémentaires » (2012, p. 292). Par ailleurs, la politique de rigueur salariale de l’entreprise entamée dès février 2013 avec un gel des salaires10 peut favoriser ces conduites de dépense. Effectivement, si l’on compare pendant la période étudiée les rémunérations mensuelles moyennes des « agents professionnels de fabrication » (catégorie au plus bas dans la hiérarchie des salaires, correspondant au profil de la plupart de nos enquêtés travaillant au montage et au ferrage), on remarque que le salaire n’a pas progressé pendant cette période (2221 euros bruts en 2012 contre 2194 euros en 2016)11.
110D’autres critères, tel que le statut de l’emploi, peuvent entrer en jeu dans les appropriations des temps. C’est ce que laisse entendre Craig, jeune intérimaire au montage depuis 2014, en ce qui concerne la différence entre intérimaires et embauchés face aux nouveaux dispositifs. Pour lui, les intérimaires ne sont pas en position de négocier s’ils veulent faire de l’overtime ou travailler les jours fériés, c’est donc un « privilège » de négocier la récente organisation du temps de travail. Je l’interroge sur les débrayages ayant eu lieu en 2016 contre l’overtime et sa réaction face à ces mobilisations :
Après comme nous on est intérimaires et on a un contrat à renouveler, voilà on peut pas, on essaie de rester, on est entre l’enclume et le marteau. On peut ne pas se faire renouveler parce que voilà il a pas fait ceci… On n’a pas trop le choix. Parce que si on avait le choix, on demanderait ! On dirait pas (en criant) « overtime ! ». Ils diraient : « Écoute, est-ce que tu veux bien rester ? » (…). Les embauchés ont quand même certains privilèges quoi. Par exemple, le lundi [8 mai] on va travailler, c’est férié. Mais les embauchés choisissent. S’ils veulent venir, ils peuvent venir, s’ils veulent pas, ils restent chez eux. C’est une journée chômée payée. Nous on a pas trop le choix, nous on doit venir. Et là on va travailler deux jours fériés.
Parce qu’il procure peu de profits matériels et symboliques aux yeux des ouvriers, l’overtime, contrairement à la modulation, donne moins lieu à des formes d’appropriation. Néanmoins, il peut faire l’objet de stratégies de contournement et de compromis informels entre les ouvriers et l’encadrement. Ainsi, Craig réussit à convaincre sa monitrice12 de le remplacer quelques minutes avant la pause pour que la réduction du temps de pause lorsqu’il y a overtime le matin ait le moins de répercussions possibles sur ses habitudes liées au repas. Si les autres enquêtés s’arrangent avec le système horaire, cherchant à se l’approprier, ici la posture de Craig, produite par une situation défavorable liée au statut d’intérimaire, montre plutôt la volonté de s’aménager un espace dans le nouvel ordre temporel à l’usine.
Parfois il m’arrive, bon, enfin, c’est pas très juste, de demander d’aller aux toilettes peut-être cinq minutes avant la pause. Si je trouve que la monitrice voilà elle est là et elle n’a pas beaucoup de choses à faire, je lui demande 111naturellement : « Écoute, je peux plus tenir… » C’est une petite astuce, mais bon : « Je peux plus tenir, il faut absolument que j’aille aux toilettes ». (…) Donc, voilà, elle accepte et donc je vais aux toilettes vite fait, je me lave dès que je rentre, c’est bon, c’est la pause et directement j’ai plus besoin de me taper deux minutes ou trois minutes (Rire).
Ces différents exemples montrent que des stratégies de réappropriations de l’organisation du temps de travail contenue dans le NCS et le NEC peuvent donc exister. Celles-ci sont néanmoins redevables des propriétés sociales des ouvriers et des relations entre salariés et encadrement. De la même manière, des formes d’oppositions aux récentes modifications du temps de travail peuvent se manifester à l’usine.
III.2. Oppositions et refus
Quels moyens sont à la disposition des salariés lorsqu’il s’agit de refuser le travail le samedi ou les jours fériés ? Pour les organisations syndicales du site, il est difficile, sinon impossible, d’organiser des grèves contre la modulation. Tout d’abord, précisément parce que les séances de travail en modulation ont lieu le samedi, les syndicats ont une difficulté particulière pour organiser des débrayages. Appeler à faire grève un samedi voudrait dire que les salariés doivent se déplacer à l’usine uniquement pour être présents pendant le débrayage. Ensuite, nous avons dit plus haut que ce dispositif favorise un processus de fragmentation de l’unité du temps de travail sur le site. Ceci encourage les stratégies individuelles qui prennent des formes classiques d’expression du mécontentement ouvrier telles que l’absentéisme ou le refus de faire les heures supplémentaires, au détriment de formes de contestation collectives.
Alberto, ouvrier au montage et militant à la CFDT, se présente lui-même comme un ouvrier atypique et comme un « jeune embauché chez Peugeot », même s’il a la cinquantaine. Comme beaucoup d’ouvriers à partir des années 2000, son entrée à PSA-Mulhouse se fait « par défaut », comme une chance à saisir dans le contexte d’un marché du travail difficile. Alberto cherchait un emploi avec des horaires fixes, ce qui est rare dans le bâtiment et dans certains métiers du tertiaire, où il a travaillé avant pendant de longues années. Connaissant les horaires flexibles qui peuvent être pratiqués dans le secteur tertiaire, il voit avec inquiétude les nouvelles exigences horaires chez PSA. Surtout, d’après lui, « la disponibilité qu’on nous demande n’est pas rémunérée ». Le volontariat 112pouvait jouir aux yeux de certains ouvriers d’une forme de légitimité, tandis que l’imposition d’un surcroit de travail sans contreparties apparaît comme une obligation insupportable. D’où la reprise par les salariés de l’expression « samedis gratuits » ou « samedis obligatoires » popularisée par la CGT. Voici comment Alberto décrit cette situation :
La direction te laisse plus le choix. Il y a plus le choix. Il faut que tout le monde soit là, point. C’est un peu le même système pour le travail du 8 mai, qui est un jour férié. Avant le chef aurait fait le tour de l’atelier en disant : « Est-ce que tu viens ? » Maintenant on part du principe que tout le monde vient et si quelqu’un veut pas venir, il faut qu’il aille faire la démarche d’aller voir le chef et lui dire : « Je viens pas ».
Ce qui était un choix devient un impératif par une sorte d’inversion de l’obligation et de la responsabilité. Si auparavant c’était à la direction de demander aux ouvriers de venir travailler un samedi ou un jour férié, c’est maintenant aux ouvriers de faire la demande à la direction de ne pas venir travailler. La question de la maîtrise des temps est au centre des stratégies des ouvriers. Elle nécessite d’abord un apprentissage, puis une adaptation à la nouvelle norme horaire. Comme le montre Alberto dans l’extrait suivant, cette adaptation peut se manifester ensuite sous la forme d’un pas de côté. Avoir recours aux arrêts maladies implique alors de refuser les « conduites de dépense ».
La modulation à la limite je l’ai acceptée parce que je vais en tirer des bénéfices. C’est-à-dire que je vais mettre de côté du temps, que je vais pouvoir récupérer à ma guise. On va pas pouvoir m’empêcher de prendre du temps, quand moi j’en aurai besoin. Il y a des gens qui refusent de venir, ou qui posent des congés systématiquement, c’est une pratique, ça je l’ai appris aussi. À partir du moment où tu as des RTT et que tu poses un congé un samedi, comme c’est du temps de travail déjà effectué, c’est pas comme si tu mettais un congé annuel. Donc, voilà, on fait avec le système et on essaie d’en tirer parti.
Ces attitudes de retrait se vérifient dans l’augmentation du taux d’absentéisme, toutes causes confondues, parmi l’effectif ouvrier à l’usine pendant la période étudiée. S’il était de 10,8 % en 2013, il grimpe à 16,7 % en 2016. On remarque qu’il progresse aussi parmi les employés, les techniciens et les agents de maîtrise de l’établissement, puisqu’il passe de 5,6 % à 9,5 % pendant la même période13.
113Pour d’autres ouvriers, le refus peut être plus frontal. Si Christian, ouvrier au montage et syndiqué à la CGT, refuse de travailler les samedis et les jours fériés, c’est parce que pour lui c’est une question de « dignité ». Il adhère à la CGT en 2002, peu de temps après son embauche à l’atelier peinture. Il tire une mauvaise expérience de ses premières années d’adhérent CGT, d’abord en raison des intimidations de son chef. Cette expérience va être déterminante dans le développement d’attitudes d’insubordination qu’il entretient à l’usine et que l’on peut retrouver dans son refus de l’overtime et du surcroit de travail les samedis et les jours fériés :
Personnellement moi je suis très content de savoir où je vais, je sais très bien que le samedi ils me verront pas. Malheureusement, les gens se sentent forcés, ils pensent toujours que, voilà, certains parce qu’ils sont délégués, certains parce qu’ils sont bien placés dans un syndicat, qu’ils peuvent pas le faire. Alors que tout le monde d’après la loi, quand on va au comité d’entreprise, on peut demander une autorisation d’absence. Maintenant il va y avoir des jours fériés qui seront travaillés, ils sont obligatoires les jours fériés, alors qu’il faut simplement demander une autorisation d’absence. Mais le chef dit aux gens : « Ah, mais qui je vais mettre à ta place ? Mais tu vois que ça te rapporte autant. Je sais pas comment je vais faire ». Ils s’auto-convainquent ensemble, automatiquement.
Le travail du samedi et des jours fériés au volontariat a progressivement été remplacé par la responsabilisation des salariés, en vertu de laquelle les chefs font pression sur tous les ouvriers pour qu’ils viennent travailler, avec l’argument que, sans eux, la production ne sera pas assurée. Dans cet extrait d’entretien avec Christian, nous pouvons lire comment des attitudes de « sauvegarde de soi » n’impliquent pas de « prendre des jours » en ayant recours aux RTT, mais, dans le cas de Christian, de refuser de se mettre à la disposition du patron et de faire des samedis, donc refuser la responsabilisation des salariés inhérente au système de la modulation. Christian, qui reconnaît avoir travaillé au volontariat en contre-tournée, fait partie des rares ouvriers qui ont acquis par leur socialisation militante la capacité de se confronter à leur chef et de ne pas être victime du sentiment de responsabilisation. Toutefois, ces capacités restent inégalement distribuées, puisqu’elles dépendent de la rencontre entre une trajectoire au sein de l’entreprise et une trajectoire militante.
114Enfin, certains ouvriers se trouvent incapables de formuler des stratégies visant à s’approprier la temporalité du travail contenue dans les accords. Il s’agit le plus souvent des salariés âgés et/ou avec des restrictions médicales (souvent les deux). Lorsqu’ils sont âgés de plus de 57 ans, ils peuvent bénéficier d’une pré-retraite prévue dans le NCS. Pour ceux qui sont encore trop jeunes (mais déjà incapables de travailler dans les nouvelles conditions), ils sont poussés progressivement vers la porte de l’usine à travers des pressions incessantes des contremaîtres.
Conclusion
Dans cet article nous avons montré quelles sont les conséquences sur le temps de travail des accords d’entreprise négociés après la crise de 2008 dans les usines PSA en vue de redresser sa situation économique. Ces accords introduisent deux dispositifs qui ont pour objectif de contribuer à la compétitivité des usines PSA en France, en augmentant la flexibilité du temps de travail et la « disponibilité temporelle » (Devetter, 2006) des ouvriers. Tout d’abord, l’overtime permet une flexibilisation du temps de travail quotidien. Ensuite, les deux accords contribuent aussi à la flexibilisation du temps de travail sur l’année. Ces modifications de l’organisation du temps de travail n’ont été possibles que dans un contexte où la peur de la perte de l’emploi et des fermetures de sites autorise les directions des groupes industriels à demander des « sacrifices » à leurs salariés. Comme le rappelle Alain Supiot, le contrat de travail n’est qu’une abdication partielle de la liberté des salariés à l’autorité patronale : « Cette subordination, dit-il, est cantonnée aux temps et au lieu de l’exécution de la prestation de travail » (Supiot, 2011, p. 160). Dit autrement, le droit du travail est censé, entre autres, limiter l’emprise temporelle du patron sur la vie du salarié. Or, dans une configuration qui voit le temps de travail se flexibiliser à travers des accords collectifs, ces derniers accroissent la subordination des salariés à la temporalité patronale. En effet, celle-ci s’étend au temps hors travail (que ce soit le temps de pause, le week-end ou les jours fériés) en le transformant en un temps que l’entreprise peut s’approprier librement, donc en un temps 115effectivement travaillé selon les nécessités de la production. L’introduction de ces dispositifs qui rendent flexible et extensible le temps de travail à PSA renforce la disponibilité des ouvriers et constitue donc un changement de la « norme temporelle de travail » (Bouffartigue, 2012). Du reste, ces modifications contribuent au processus décrit par Jens Thoemmes (2000) sur l’érosion du temps industriel et l’émergence d’une nouvelle norme temporelle. Celle-ci apparaît chez PSA comme une flexibilité dont la principale contrepartie est la garantie de l’emploi – garantie à relativiser dans la mesure où les effectifs de l’établissement mulhousien ont baissé de 1 300 salariés entre juin 2013 et juin 2016 (passant de 7 600 à 6 300 entre ces deux dates).
Nous avons observé enfin que les ouvriers enquêtés n’étaient pas toujours désemparés devant les transformations de l’organisation du travail et la reconfiguration de la norme temporelle à l’usine, et qu’ils essaient tous de mettre en œuvre des stratégies d’aménagement ou d’appropriation des temporalités. Ces stratégies dépendent fortement des propriétés sociales des individus et de la position qu’ils occupent au sein de l’organisation productive. Beaucoup d’entre eux optent pour des conduites de dépense, cherchant à accumuler du travail pour ensuite l’échanger contre du non-travail. D’autres déploient des stratégies d’évitement, cherchant à contourner une exigence temporelle qui ne leur apporte rien. Toujours est-il que ces appropriations sont fortement contraintes par le contexte dans lequel elles ont lieu.
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1 Je tiens à remercier les membres du séminaire Pratiques, travail, organisation (PRATO), ainsi que les rapporteurs de la revue pour leurs remarques et suggestions sur ce texte.
2 « PSA Peugeot Citroën, une entreprise au pied du mur », Le Parisien, 7 juillet 2012 ; « PSA : les marchés s’interrogent sur la possibilité de défaut », Le Monde, 19 juillet 2012.
3 Entre 1999 et 2011, 3 milliards d’euros sont consacrés au rachat d’actions (Sartorius et Serris, 2012).
4 C’est ce que rapporte la CGT de l’usine PSA-Mulhouse dans un tract de janvier 2013, selon lequel l’attribution d’un nouveau véhicule utilitaire se ferait au site de Vigo en Espagne si les syndicats de Sevelnord ne signent pas l’accord de compétitivité. De même, les syndicalistes mettent aussi l’accent sur une mise en concurrence des usines françaises entre elles.
5 Tract CFDT PSA-Mulhouse, « Tous en grève le mercredi 11 septembre pendant une heure pour conserver nos acquis sociaux », septembre 2013 ; Tract CFTC PSA-Mulhouse, « Contrat social “compétitivité” 9e réunion : un grand retour en arrière ! ! ! », 6 septembre 2013.
6 Lors des élections de 2011 pour le comité d’entreprise, la CGT représentait 30,8 % des voix, la CFDT 20,7 %, l’Alliance qui regroupe FO, la CFTC et la CFE-CGC 43,1 %, SUD 2 % et l’UNSA 3,4 %.
7 Tract CFTC PSA-Mulhouse, « Contrat social : un Oui pour préserver l’avenir des sites en France… », 22 octobre 2013.
8 « Le plan “Back in the Race” très bien engagé. Progression des ventes au troisième trimestre », communiqué de PSA Peugeot Citroën, 22 octobre 2014.
9 Source : Bilan social de l’année 2010 et de l’année 2016.
10 « Négociations salariales 2013. Le Groupe doit maîtriser ses coûts salariaux », communiqué de PSA Peugeot Citroën, 20 avril 2013.
11 Source : bilans sociaux de 2014 et de l’année 2016.
12 Le poste de moniteur apparaît chez Peugeot au milieu des années 1980. Ni simple ouvrier, ni agent de maîtrise, il est chargé de la qualité du travail dans une équipe et n’a pas a priori de fonction disciplinaire (voir Durand et Hatzfeld, 2002, p. 87-91).
13 Source : Bilan social l’année 2014 et l’année 2016.
- CLIL theme: 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
- ISBN: 978-2-406-10053-9
- EAN: 9782406100539
- ISSN: 2555-039X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10053-9.p.0091
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-17-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: industry, automobile, PSA, working time, labour, competitivity