Primitivismes transatlantiques Longfellow contre Whitman
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Le Primitivisme des avant-gardes littéraires
- Author: Rumeau (Delphine)
- Pages: 195 to 217
- Collection: Encounters, n° 595
- Series: Twentieth and twenty-first century literature, n° 46
Primitivismes transatlantiques
Longfellow contre Whitman
Le terme « primitivisme » ne concerne habituellement pas l’Amérique du milieu du xixe siècle1. Pourtant, la fascination de la « Renaissance américaine2 » pour le primitif3, qui est alors essentiellement celui de la Grèce archaïque, du monde biblique ou encore des épopées indiennes, présente beaucoup d’analogies avec celle de l’Europe un demi-siècle plus tard pour les peuples dits « primitifs » ou « sauvages ». Nous ferons donc un usage un peu plus extensif de la notion de primitivisme que celui qui lui est le plus souvent assigné dans un cadre temporel strict4, sans pour autant viser comme Ernst Gombrich une « préférence pour le primitif » transhistorique. Ce qui nous semble autoriser cette extension en amont de la notion est une continuité entre ces moments et ces lieux primitivistes. Nous proposons de mettre au jour cette continuité, 196tout en analysant quels infléchissements dans les idées et les pratiques primitivistes sont opérés au cours de ces circulations transatlantiques.
Pour le dire comme Philippe Dagen, le primitivisme suppose toujours « un écart5 » ou, pour reprendre cette fois une expression de l’historien de l’art Colin Rhodes, il constitue un « opérateur relationnel6 », qui repose sur la comparaison des degrés d’avancement de différentes cultures. À l’intérieur des approches comparatistes, les études postcoloniales ont récemment beaucoup contribué à la critique du primitivisme7. Le parcours transatlantique que nous allons suivre rencontre des questionnements d’ordre postcolonial, selon différentes modalités. Car si l’idée d’un primitif américain peut être associée à la culture autochtone (Native American), elle est parfois, au contraire, coupée de la référence au passé, et assume complètement sa modernité, comme point de départ radical : on le verra chez Walt Whitman, pour qui il ne s’agit pas de revendiquer une affinité avec les primitifs et de critiquer une certaine modernité – libérale, capitaliste – pour en instaurer une autre, qui reviendrait à un archaïsme, mais plutôt de postuler une modernité sans antécédent, une position originelle, autrement dit encore, de se déclarer primitif. On peut voir dans ce geste qui consiste, comme le dit Pascale Casanova, à « retourner en quelque sorte le sablier et se décréter créateur de la nouveauté8 », une stratégie postcoloniale, celle d’une nation qui cherche son indépendance littéraire après avoir conquis son indépendance politique9. Il ne s’agit pas pourtant de lisser toutes les situations postcoloniales et 197encore moins de rabattre les réponses primitivistes de la Renaissance de Harlem ou de la Négritude sur celles de la Renaissance américaine du milieu du xixe siècle. Il s’agit plutôt de montrer que le primitivisme littéraire européen a puisé à plusieurs sources et que la source américaine était intéressante car elle fournissait moins une image du primitif qu’un modèle possible de primitivisme, de geste conscient de lui-même dans l’effort pour retrouver une énergie primordiale. Ces primitivismes américains présentent, en outre, la particularité d’être très littéraires10. Nous retiendrons ici les exemples de Henry Wadsworth Longfellow, et surtout, de Walt Whitman.
Nous commencerons par établir une comparaison entre ces deux œuvres phares de « la Renaissance américaine », publiées la même année, en 1855, se réclamant toutes deux de l’épopée, The Song of Hiawatha (Le Chant de Hiawatha) de Longfellow, et Leaves of Grass (Feuilles d’herbe) de Whitman11. L’hypothèse est que ces deux œuvres répondent à une anxiété épique, mais aussi aux discours sur le primitif qui se sont élaborés en Europe, avec Vico puis essentiellement Hegel, informant l’idée même d’épopée, qui n’est plus le genre au sommet de la hiérarchie classique, mais plutôt un genre primitif, celui de l’expression originelle d’un peuple. Elles y répondent pourtant de manière tout à fait différente, celle de Longfellow correspondant à une idée romantique du primitif, celle de Whitman, dans une veine transcendantaliste, ouvrant la voie à un primitivisme moderne. Dans un deuxième temps, on verra que c’est l’Amérique elle-même qui apparaît comme primitive à l’Europe, non seulement les cultures autochtones, dont on sait toute l’importance pour la pensée du primitivisme12, mais aussi et surtout la poésie de ces mêmes Américains qui ont été fascinés par le primitif grec ou biblique – beaucoup plus celle de Whitman que celle de Longfellow. Ce dernier servira surtout ici de contrepoint, pour comprendre comment s’opère 198la bascule d’un primitivisme à l’autre et comment s’inverse le sens de circulation transatlantique, puisque c’est de l’Amérique vers l’Europe que se fait le mouvement au début du xxe siècle. Car l’étonnant est que la poésie de Whitman ait réussi son pari et ait de fait souvent été considérée comme primitive, et non déjà primitiviste. Comment Whitman a-t-il réussi ce tour de force ? Ou plutôt, car il y va sans doute davantage d’un enjeu de réception que d’une stratégie auctoriale à long terme : qu’ont retenu de Whitman les lecteurs européens en quête de primitif, quel modèle de poésie primitive Whitman leur a-t-il fourni ?
La Renaissance américaine :
des primitivismes poétiques ?
Épos et primitivisme
La « Renaissance américaine » a été fascinée par l’idée du primitif, en particulier celle d’un aède primitif, idée qui, comme le rappelle Gombrich à propos d’Homère, a marqué une étape importante dans le développement d’un primitivisme littéraire13. La référence majeure de Longfellow est le Kalevala finlandais, compilation de poèmes oraux recueillis par Elias Lönnrot et publiés en 1835 (date à laquelle Longfellow a séjourné en Suède et pris connaissance de ces textes, en traduction). Pour Whitman, il ne s’agit pas seulement d’épopées « nationales » qui allient l’idée du primitif à celle d’une création populaire, mais aussi de grands textes sacrés. Ses références principales sont La Bible, les livres sacrés d’Inde, Homère (surtout l’Iliade, plus originelle que l’Odyssée) et Ossian. Dans un texte en prose, il revient sur les lectures qui ont marqué sa jeunesse, dans une liste qui s’apparente à un canon de poésie primitive :
there, in the presence of outdoor influences, I went over thoroughly the Old and New Testaments, and absorb ’ d (probably to better advantage for me than in any library or indoor room—it makes such difference where you read,) Shakspere [sic], Ossian, 199the best translated versions I could get of Homer, Eschylus, Sophocles, the old German Nibelungen, the ancient Hindoo poems, and one or two other masterpieces, Dante’s among them. […] (I have wonder’d since why I was not overwhelm’d by those mighty masters. Likely because I read them, as described, in the full presence of Nature, under the sun, with the far-spreading landscape and vistas, or the sea rolling in.)14
« Là, sous l’influence du dehors, je lisais intégralement l’Ancien et le Nouveau Testaments, et j’absorbais (sans doute mieux que si j’avais été dans une bibliothèque ou enfermé dans une pièce quelconque – cela change tout, l’endroit où on lit) Shakespeare, Ossian, les meilleures traductions disponibles d’Homère, d’Eschyle, de Sophocle, les anciennes légendes allemandes des Nibelungen, les anciens poèmes hindous, et un ou deux autres chefs-d’œuvre, parmi lesquels Dante. […] (Depuis, je me suis demandé pourquoi je n’ai pas été accablé par le poids de ces maîtres. Sans doute parce que je les ai lus, comme je viens de l’expliquer, dans la présence pleine de la Nature, sous le soleil, devant un paysage s’étendant loin à l’horizon, ou la mer qui s’avançait.) »
Il s’agit de lire et en même temps d’éprouver les éléments, de contempler le paysage et d’ouvrir les portes de la bibliothèque pour réconcilier le livre et la Nature. Autrement dit, les primitifs sont assimilés sans difficulté et surtout sans générer d’« angoisse de l’influence », pour reprendre l’expression d’Harold Bloom. Un témoignage de John Townsend Trowbridge confirme ces lectures en plein air, en restreignant la liste à Homère et à Ossian, que Whitman lisait « les joues pleines d’air salé », à haute voix, s’adressant aux vents et aux vagues15. Il s’agit donc de retrouver vigueur et énergie créatrice, que les textes peuvent insuffler, s’ils sont lus dans les conditions adéquates : à l’extérieur et mis en voix.
Si les références de Longfellow et de Whitman ne se superposent pas exactement, c’est surtout l’usage qu’ils font de l’idée d’épopée primitive et de ses réalisations européennes qui diffère. Longfellow fabrique le primitif, à la manière de James McPherson éditant les œuvres d’Ossian, agençant les techniques et les thèmes primitifs. Au contraire, Whitman mime le primitif, en fait un geste investi de manière prospective et utopique. Cet investissement débouche sur ce que l’on pourra effectivement appeler primitivisme plutôt que représentations du primitif. Pour reprendre les catégories que propose Ben Etherington dans son ouvrage, 200le primitivisme de Longfellow est plutôt un « philo-primitivisme », qui est d’ordre thématique ; au contraire, le primitivisme de Whitman est déjà un « primitivisme véhément » (« emphatic primitivism »), qui veut réanimer par l’art ce qui subsiste de primitif en l’homme et voit dans la littérature le matériau qui peut rendre manifeste cette rémanence16.
Longfellow et le « philo-primitivisme »
Dans The Song ofHiawatha, Longfellow représente les autochtones et relaie leurs récits, les exploits guerriers et les amours de leur chef. Il s’est appuyé sur les écrits ethnographiques de Henry Schoolcraft mais aussi sur l’autobiographie d’un Amérindien Obijwé. À ce « philo-primitivisme » assez typique du xviiie siècle et du début du xixe siècle (Chateaubriand, Fenimore Cooper), Longfellow ajoute toutefois des éléments plus littéraires, puisqu’il transpose le modèle ossianique d’une poésie orale, transmise par un aède, pour raconter la légende. Il emprunte des éléments précis au Kalevala finlandais, dont il reprend le mètre (le tétramètre trochaïque, qui n’est pas courant en anglais, en tout cas pas pour un poème long). Le primitif de Longfellow est véritablement fabriqué, intégrant tous les termes qui lui sont associés dans les discours européens contemporains (épopée, oralité, chant), pour une représentation de « l’autre », « l’indien » qui est à la fois proche (géographiquement) et lointain (culturellement et historiquement).
Whitman et le « primitivisme véhément »
Ce que propose Whitman est tout autre. Il s’agit de chercher à retrouver l’attitude du primitif, à revenir au moment de l’origine de la sensation et de l’art, plutôt que d’imiter un style. Si nous pensons avec Ben Etherington qu’il n’est pas opératoire d’assigner la source du primitivisme à tel ou tel penseur, comme s’il fallait percer la coque esthétique pour y trouver l’idée primitiviste qu’elle contient (alors que le primitivisme est de nature esthétique)17, il faut pourtant souligner que le primitif chez Whitman a davantage à voir avec le transcendantalisme qu’avec les conceptions romantiques de l’épopée. Sans entrer dans un sujet qui déborde très largement le cadre de cette étude, rappelons l’importance de 201la pensée d’Emerson pour les auteurs de cette génération, ou du moins les affinités profondes entre cette philosophie (qui est aussi une écriture) et cette littérature (qui énonce beaucoup d’idées). Emerson expose au début de Nature (1836) la nécessité d’un rapport direct et immédiat à la nature, rejetant les filtres de la tradition, du passé, pour constater que « le soleil brille ici aussi » ; dans Self-Reliance (1841), l’apologie de « l’impression spontanée » s’ancre dans celle des figures de l’enfant et du « sauvage » (« savage ») plein de la force « aborigène » qui fait défaut à l’homme blanc et semble anticiper la typologie primitiviste du début du xxe siècle. Le terme de « primitive » est important chez Thoreau, désignant par exemple les forêts qui sont le meilleur terrain pour les poètes à venir, comme elles l’ont été pour Homère ; le terme est associé de manière privilégiée à celui de « wild » (ou « wildness »), et l’on peut lire dans Walking cette déclaration programmatique : In literature it is only the wild that attracts us18.
Chez Whitman, comme chez Emerson et chez Thoreau, le primitif est à la portée de chacun, qui peut en s’exerçant retrouver un rapport originel et immédiat au monde. Cette puissance individuelle coïncide avec celle des États-Unis, puisque c’est aussi le monde américain que Whitman qualifie toujours de « nouveau » : « I strike up for a New World » dit le poème « Starting from Paumanok19 ». L’imaginaire adamique est également très puissant, notamment dans la section du recueil « Children of Adam ». « There was never more inception than there is now » dit un vers de « Song of Myself20 » : « maintenant », c’est le temps du commencement infini, pour la nation comme pour l’individu. Si cette idée n’est pas propre à Whitman, la conjonction de l’adamisme américain et de la capacité du sujet à lui-même toujours reprendre à neuf est en revanche remarquablement mise en œuvre dans sa poésie. Parmi les multiples exemples d’expression de cette convergence figure le début d’un poème de 1856, « Spontaneous me », qui rassemble tous les éléments constitutifs de ce que l’on peut appeler un style primitiviste américain :
202Spontaneous me, Nature,
The loving day, the mounting sun, the friend I am happy with,
The arm of my friend hanging idly over my shoulder,
The hillside whiten ’ d with blossoms of the mountain ash,
The same late in autumn, the hues of red, yellow, drab, purple, and light and dark green,
The rich coverlet of the grass, animals and birds, the private untrimm ’ d bank, the primitive apples, the pebble-stones,
Beautiful dripping fragments, the negligent list of one after another as I happen to call them to me or think of them 21 .
« Mon moi spontané, la Nature,
Le jour aimant, le soleil ascendant, l’ami avec qui je suis heureux,
Le bras de mon ami qui repose tranquillement sur mon épaule,
Le coteau blanchi par les fleurs de sorbier,
Le même coteau l’automne, les teintes de rouge, de jaune, de brun-gris, de pourpre, de vert clair et foncé,
La riche couverture de l’herbe, les animaux et les oiseaux, le talus sauvage et caché, les pommes primitives, les galets,
De beaux fragments qui perlent, la liste désinvolte des uns et des autres, au gré du moment où je les convoque ou pense à eux. »
L’adjectif « spontané » peut être mis en facteur commun du « moi » et de la « nature », qui sont juxtaposés. Cet adjectif gouverne de fait l’écriture de la séquence, nominale et énumérative, liste « négligente », sans ordre apparent, des splendides « fragments ». On note l’apparition de l’adjectif « primitive » pour qualifier les pommes, qui semblent encore renvoyer à l’Éden – « Spontaneous me » va effectivement intégrer l’ensemble « Children of Adam ». Le corps et la sexualité, autres aspects majeurs de cette poésie, prennent une place de plus en plus importante dans le poème. Le vers libre, que Whitman inaugure pour la poésie de langue anglaise, constitue le medium de cette spontanéité du sujet, dont il peut faire entendre le « cri ». Ce cri, projeté sur les toits du monde à la fin de « Song of Myself » – « I sound my barbaric yawp over the roofs of the world22 » – sera au cœur des lectures primitivistes de Whitman en Europe.
À l’impératif épique que ressent une jeune nation répondent donc les œuvres de Longfellow et de Whitman, toutes deux nourries par les discours européens sur l’épopée comme genre primitif, très différentes 203pourtant, l’une transposant les pratiques européennes de la première moitié du xixe siècle, entre collecte et invention d’une tradition orale, l’autre déplaçant radicalement le temps de l’épopée, d’un passé légendaire à un présent originel, et déplaçant l’énonciation, vers la première personne du singulier, dont l’expression sera « spontanée ».
Vers l’Europe : transferts primitivistes
La réception de ces œuvres en Europe n’est pas exactement synchrone : comme aux États-Unis, The Song of Hiawatha jouit immédiatement d’une grande popularité, qui s’étiole au xxe siècle, alors que la poésie de Whitman, d’abord peu audible, connaît un succès plus tardif, qui prend le relais de celui de Longfellow. Ce décalage accentue encore le schisme entre les deux types de primitivisme que représentent les deux poètes : la dimension thématique, ethnographique, est au cœur de la réception de Longfellow, alors que le primitivisme « véhément » de Whitman est en phase avec les modernités et avant-gardes européennes, qui le reçoivent à la lumière de leurs propres conceptions et s’en nourrissent en retour.
La réception de Hiawatha : ethnographie, conte et folklore
Le succès de Longfellow a été immense aux États-Unis, notable également en Europe – The Song of Hiawatha a par exemple fait l’objet d’une recension enthousiaste dans La Revue des Deux Mondes dès 185723 et a été traduit très rapidement en français. Le poème a inspiré beaucoup d’œuvres picturales et musicales, en particulier La Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. Cette réception créatrice est toutefois relativement circonscrite à la deuxième moitié du xixe siècle. Au xxe siècle, c’est essentiellement comme classique de la littérature jeunesse que le poème est considéré, ce qui accentue encore la dimension « philo-primitiviste », voire folklorique, de ce poème.
204Le cas de la réception russe en est assez emblématique24. The Song of Hiawatha a été partiellement traduit par Dimitri Mikhalovski, d’abord en revue, puis en recueil en 1890. Le titre Gajavata est précédé de la mention « livre pour enfants » et suivi de l’indication « Un conte sur la vie des Indiens nord-américains ». La préface reprend ces éléments du paratexte et procure des informations sur ces « tribus » (« plemeni »), ces « sauvages » (« dikarki »), en particulier sur leur habitat, leurs vêtements, leurs pratiques du scalp25. C’est cette édition que lira l’écrivain Ivan Bounine dans son enfance ; il commettra ensuite sa propre traduction, qui paraît en 1903 pour la version finale et sera toujours rééditée au cours du xxe siècle26. Dans sa première préface, Bounine insiste sur deux éléments qui participent du « primitif » chez Longfellow : la « beauté des forêts vierges et des prairies », et le « caractère entier des habitants primitifs » (« pervobytnyx ljudej »). Mikhalovski comme Bounine ont conservé le tétramètre trochaïque employé par Longfellow. Ce mètre est plutôt associé en russe à la romance, à la chanson populaire, mais aussi aux comptines enfantines – celles-là même qui ont beaucoup retenu l’attention de Stravinsky27.
Les illustrations qui accompagnent ces éditions russes de Hiawatha renforcent également la dimension « philo-primitiviste ». Les premières, pour l’édition de Mikhalovksi en 1890, sont des œuvres de Nikolaï Karazine, peintre de scènes de batailles. Elles sont le plus souvent associées au texte sur une même page, mais s’apparentent parfois davantage à des planches, qui appuient alors, comme Mikhalovski dans la préface, sur l’aspect ethnographique, représentant les « sauvages » avec tous leurs attributs. La traduction de Bounine accueille, pour sa part, des reproductions des célèbres huiles en noir et blanc de Frederic Remington, 205qui illustrent le texte aux États-Unis depuis 1891. Ces images visent le réalisme documentaire.
Cependant, si le poème a joui d’un grand succès populaire, le caractère fabriqué du primitif en a été immédiatement relevé. Dans une reprise mineure de la querelle ossianique, beaucoup de commentateurs ont mis en doute les sources de l’écrivain et souligné les parentés de Hiawatha avec le Kalevala – que Longfellow assume, mais comme une coïncidence primitive, et non comme une transposition. Le poète symboliste Constantin Balmont accorde sa préférence à Whitman et à Poe, et estime qu’il manque précisément à Longfellow la « force primitive » (« nedostaet pervobytnoj sily28 »). C’est toutefois Korneï Tchoukovski qui formule la critique la plus féroce de ce primitivisme fabriqué. Il souligne l’imitation du Kalevala, mais, surtout, il voit « la bourgeoisie anglaise » sous ces « Indiens trop poétiques » et juge que « l’odeur des forêts » ressemble un peu trop à celle « d’un bon pudding » (« napominaet zapax xorošego pudinga29 »). Pour Tchoukovski, ce poème n’a ni la sauvagerie, ni la « primitivité » de l’Amérique (« ni eë dikost’ ni eë pervobytnost’ »). Le primitif tel qu’il est construit chez Longfellow – un dispositif, une thématique, un vers très régulier – ne génère en effet pas d’œuvres primitivistes, ni en poésie ni dans les arts visuels.
La réception de Whitman : nouvel Adam, nouvel Attila
Il en va tout autrement pour Whitman, qui est au cœur du primitivisme poétique européen du début du xxe siècle. Son succès est un peu plus tardif que celui de Longfellow : il commence vers 1885, avec un « pic » en Grande-Bretagne à la fin du xixe siècle, en Europe continentale plutôt entre 1907 (date de la première traduction intégrale en italien) et 1914, mais les traductions, anthologies et commentaires abondent jusqu’au début des années 1920. Ce décalage est essentiel : Whitman est d’abord reçu dans une période de crise de la « civilisation », qu’il pourra régénérer par sa « vigueur primitive » et qui fournira un possible antidote en France ou en Russie à une poésie symboliste en crise, puis dans le moment primitiviste des avant-gardes européennes, que l’on associe à la découverte de l’art africain et de l’art océanien, mais qui, pour le 206versant littéraire, regardent aussi vers l’Amérique. Parmi ces lectures de Whitman en primitif30, nous chercherons à établir une typologie, à identifier des dénominateurs communs mais aussi des variantes qui pourraient sembler contradictoires mais dont la co-existence est pourtant une caractéristique du primitivisme.
Des traits récurrents du primitif américain
au sein d’une nébuleuse d’associations
C’est un panorama éclectique qu’offrent les déclinaisons du Whitman primitif européen. En Grande-Bretagne, Whitman sera essentiellement un « Grec primitif », un antidote à ce que l’historien de l’art John Addington Symonds appelle, après Matthew Arnold « l’hébraïsme31 ». Pour D. H. Lawrence encore, Whitman est un « Grec32 » (il s’agit d’un Grec archaïque et non classique). En France, Whitman est surtout invité à liquider une culture latine exsangue – c’est le grand thème de son traducteur français Léon Bazalgette. Il en va de même dans ces propos du poète Jean Richepin en 1919 : « C’est une littérature qui ne ressemble en rien à notre culture gréco-latine, où la raison, la critique, ordonnent et composent tout33. » Mais le primitif whitmanien est aussi bien associé au monde biblique (en particulier en Espagne ou en Italie) ou à l’Inde, comme chez Paul Desjardins, qui affirme en 1892 voir dans cette poésie « des hymnes brahmaniques d’une puissance incomparable, d’une puissance de forêt vierge34 ».
Les déclinaisons du primitif pour caractériser Whitman sont variées, apparemment contradictoires. Elles peuvent l’être au sein d’un même 207horizon culturel et parfois sous la plume d’un même penseur ou écrivain. On lira, par exemple, ces notes des Cahiers bleus de Maeterlinck, dans lesquelles il semble que tous les primitifs se rencontrent : Whitman incarne « l’opaque germination d’un nouveau monde germanique », le « scalde et le Scandinave transplanté en Amérique35 », il est « rêve d’Adam », ou « Homère du nouveau monde36 ». Pourtant, on peut retenir de ces Cahiers deux idées importantes qui sont récurrentes dans l’idée d’un « primitif américain », et qui fonctionnent comme dénominateurs communs.
D’une part, Maeterlinck associe l’idée d’éloignement géographique à celle de distance temporelle. Or, c’est l’avenir qui nous est donné à apprécier dans le primitif whitmanien, et non le passé :
L’impression d’Amérique de Whitman – quelque chose de bois blanc, neuf, avec des Quakers en habit noir, des mécaniques, du commerce, du trafic, de la vapeur, du barbare, du sauvage à plaines et mer, de profondes forêts autour : nous la voyons nous stagnants et presque désintéressés, avec l’intérêt d’un peuple qui n’est pas notre contemporain, avec le même intérêt, dans l’avenir ici, que pour les Égyptiens ou les carthaginois dans le passé, et la même sensation de définitif, d’entier, d’existant à part une fois pour toutes, de détaché, l’entourage d’art, et l’effet de cadre, que la mémoire, mais une mémoire prospective ici, comme toujours37.
D’autre part, il s’agit d’une poésie de l’ébauche, de « l’inéclos », répète Maeterlinck :
Whitman, donnant cette énorme, glauque et belle sensation d’ébauche, et d’énormément embryonnaire comme les mondes, qu’ont les œuvres trop grandes pour nous et d’une sève antédiluvienne, comme le Jugement dernier de Michel-ange (sic) par exemple […]38.
L’œuvre cherche à dessiner un avenir, en saisissant un monde « embryonnaire » – un terme présent chez Whitman39.
Si cette idée d’un primitif prospectif associé à une poétique de l’inachevé, ou de l’ébauche, constitue un élément de définition stable 208et partagé du primitif américain, celui-ci se scinde pourtant en deux grandes tendances : d’une part un primitif adamique, plutôt lyrique, et d’autre part un primitif « barbare », plus directement associé aux avant-gardes. Le « primitif barbare » pourrait sembler un oxymore : le barbare ne détruit-il pas ce que le primitif a construit ? Ce serait vouloir retrouver une logique chronologique qui n’est pas celle du primitivisme, pour lequel l’énergie – de la destruction comme de la construction – constitue une valeur absolue. Plutôt que d’oxymore, on parlera de tension créatrice, caractéristique des ambiguïtés d’un primitif moderne, qui peut difficilement faire l’économie d’une phase critique. C’est même ce seul deuxième versant « barbare » que l’histoire littéraire retiendra comme associé au « primitivisme ».
Figure du primitif 1 : Adam (Claudel)
D’une part, Whitman réincarne Adam, figure de l’enfance de l’humanité, d’une perception et d’une expression sans filtre. Cette poésie adamique est en premier lieu une poésie de la nomination : le poète découvre le monde autour de lui et le nomme, comme l’enfant. C’est par exemple ce qu’écrit Ossip Mandelstam (au demeurant lui-même éloigné de la tentation primitiviste) :
Америка, истратив свой филологический запас, свезенный из Европы, как бы ошалела и призадумалась — и вдруг завела свою собственную филологию, откуда-то выкопала Уитмэна, и он, как новый Адам, стал давать имена вещам, дал образец первобытной, номенклатурной поэзии, под стать самому Гомеру 40 .
« L’Amérique ayant épuisé sa réserve philologique importée d’Europe a comme perdu la tête ; elle hésitait, et soudain elle fonda sa propre philologie, sortit Whitman on ne sait d’où et ce nouvel Adam se mit à donner des noms aux choses, nous offrit un modèle de poésie primitive, de poésie nomenclature qui vaut celle d’Homère. »
Une variante de l’imaginaire adamique est l’imaginaire naturel qui fait de Whitman un arbre ou une forêt. Constantin Balmont, poète symboliste qui a traduit et commenté Whitman, reprend par exemple 209à John Addington Symonds l’image d’un Whitman en arbre primordial et le compare à Yggdrasil41.
La nomination a pour corollaire le caractère accumulatif dans cette poésie, qui recense tout ce qui se présente devant les yeux. Pour Miguel de Unamuno, Whitman est un grand représentant du « chant adamique », qui est l’essence même de la poésie, et qui se caractérise par l’ivresse de la nomination : « cuando la lírica se sublima y espiritualiza acaba en meras enumeraciones, en suspirar nombres queridos42 ». C’est précisément Unamuno qui traduit le premier en espagnol un poème de Whitman, « Salut au monde », en 1906. L’affinité entre les deux poètes passe par cette posture du salut et de l’énumération qui est louange – comme chez Claudel, lui-même lecteur enthousiaste de Whitman43.
À partir de ce deuxième élément de caractérisation (l’énumération, le catalogue), se déploient deux commentaires très différents : certains, comme Unamuno, sont sensibles à l’harmonie de ce chant adamique. Un exemple de cette lecture se trouve sous la plume d’un critique italien, Pasquale Jannacone, qui, en 1898, a consacré une assez longue étude aux « formes rythmiques » de Whitman dans des entrées du type « Raffronto tra le forme poetiche di Walt Whitman e le forme delle poesie primitive44 » : ce sont les répétitions et les parallélismes qui l’intéressent, en tant que manifestations de poésie primitive, comme la poésie biblique ou celle de Pindare. Jannacone fournit un exemple frappant de lecture naïve du primitif whitmanien. Il estime en effet que l’art américain recommence des formes primitives car l’art et la société font système, et que le Nouveau Monde est peuplé par des primitifs produisant nécessairement un art primitif :
La forma poetica di Walt Whitman s ’ accosta più all ’ antica che alla moderna – Ragione di ciò : Il funzionamento del pensiero di Walt Whitman è simile a quello dei popoli 210 primitivi – Tutta la sua opera ha, oltre questo, molti altri caratteri comuni con la poesia primitiva – Il Nuovo Mondo, come ha riprodotto forme economiche e sociali, ha riprodotto le forme primitive dell ’ Arte 45 .
« La forme poétique de Walt Whitman s’approche plus de l’ancienne que de la moderne – la raison en est : le fonctionnement de pensée de Walt Whitman est similaire à celui des peuples primitifs – toute son œuvre montre, plus généralement, de nombreux traits communs avec la poésie primitive – comme il a reproduit des formes économiques et sociales, le Nouveau Monde a reproduit les formes primitives de l’Art. »
Mais plus qu’aux répétitions, beaucoup de lecteurs sont sensibles à l’absence d’ordre dans cette poésie, à son caractère « spontané » pour reprendre l’adjectif de Whitman (même si cet effet de spontanéité est le fruit d’un travail). Les énumérations qu’Unamuno place du côté du spirituel, de l’harmonie, représentent pour d’autres des expériences beaucoup plus chaotiques. On lira ici avec intérêt le commentaire du philosophe George Santayana, qui reprend la comparaison adamique dans un texte intitulé « la poésie du barbarisme » :
We find the swarms of men and objects rendered as they might strike the retina in a sort of waking dream. It is the most sincere possible confession of the lowest—I mean the most primitive—type of perception. All ancient poets are sophisticated in comparison and give proof of longer intellectual and moral training. Walt Whitman has gone back to the innocent style of Adam, when the animals filed before him one by one and he called each of them by its name 46 .
« Nous trouvons les essaims d’hommes et d’objets restitués tels qu’ils ont dû frapper la rétine dans une sorte de rêve éveillé. C’est l’aveu le plus sincère qui soit de la forme la plus élémentaire de perception – je veux dire la plus primitive. Tous les anciens poètes sont sophistiqués en comparaison et témoignent d’un entraînement intellectuel et moral plus long. Walt Whitman est retourné au style innocent d’Adam, lorsque les animaux défilaient devant lui un par un et qu’il appelait chacun par son nom. »
Or si Santayana fait tenir ensemble adamique et barbare, on observe le plus souvent une divergence entre les deux branches.
211Figure du primitif 2 : Attila (Maïakovski)
Pour le primitivisme « barbariste », il s’agit moins de composer une poésie nominale et énumérative que de retrouver le cri de Whitman, son célèbre « barbaric yawp ». Il faut ici noter que le cri est une thématique chez Whitman, mais sans réelle traduction poétique. Alors que l’énumération est bien un trait saillant de sa poésie, le cri est plus programmatique, et c’est chez plusieurs poètes européens du début du xxe siècle qu’il se réalise, dans le rythme ou l’onomatopée.
Álvaro de Campos, l’hétéronyme sensationniste, whitmanien, de Fernando Pessoa, en est un représentant majeur. On lira en particulier la grande ode qu’il consacre en 1915 à Whitman, « Saudação a Walt Whitman », « Salut à Walt Whitman ». La posture du « salut » n’est pas ici la même que celle d’Unamuno ou de Claudel. Il s’agit d’abord d’absorber la force de libération de Whitman :
Minha senha ? Walt Whitman ! [ … ]
Sim – eu, franzino e civilizado, meto dentro as portas,
Porque neste momento não sou franzino nem civilizado,
Sou EU, um universo pensante de carne e osso, querendo passar,
E que há-de pasar por força, porque quando quero pasar sou Deus 47 !
« Mon mot de passe ? Walt Whitman ! […]
Oui – moi frêle et civilisé, j’enfoncerai les portes,
Parce qu’en ce moment je ne suis ni frêle ni civilisé,
Je suis MOI, un univers pensant en chair et en os, voulant passer, je suis Dieu ! »
Le poème conjugue l’interjection dionysiaque – « evohé ! » – et la variation sensationniste sur les « parole in libertà » futuristes : « Meu velho Walt, meu grande Camarada, evohé ! / Pertenço à tua orgia bàquica de sensoçoês-em libertade48. » Il invite à la danse au son du tam-tam, convergence cette fois d’orphisme et d’un primitivisme d’inspiration plus africaine : « Dança conmigo, Walt, lá do outro mundo, esta fúria, / Salta conmigo neste batuque que esbarra com os astros49. » C’est en effet d’une récupération « d’énergie » 212qu’il s’agit ici : « Deixa-me tirar a gravata e desabotoar o colarinho. / Não se pode ter muita energia com a civilização à roda do pescoço50… » En termes poétiques, ce refus de la « civilisation » se traduit par des juxtapositions et un effacement des chevilles syntaxiques :
Por isso é a ti que endereço
Meus versos soltos, meus versos pulos, meus versos espasmos,
Os meus versos-ataques-histéricos 51 .
« C’est pour cela que c’est à toi que j’adresse
Mes vers sauts, mes vers bonds, mes vers-spasmes
Mes vers-attaques-hystéries. »
Les exclamations nominales ponctuent tout le poème, ainsi que les interjections (« Hé-lá-á-á-á-á-á-á » au début du poème, « Pum pum pum » à la fin). Il y a bien chez Campos une actualisation plus barbare du primitif, qui tire le poème du côté de l’interjection et du cri.
Un autre exemple de lecture « barbare » de Whitman est celle des avant-gardes russes. Il existe certes en Russie un primitivisme moins « véhément », qui exprime une aspiration au primitif, sans forcément l’associer à une recherche formelle – c’est le cas dans la poésie d’Igor Severianine, qui a, au demeurant, consacré un sonnet à Whitman52. Cependant, c’est surtout dans la poésie futuriste que la référence à Whitman est saillante. Korneï Tchoukovski53, qui prend le relais de Balmont comme traducteur de Whitman, en fait même un précurseur des futuristes. Ainsi dès 1913, dans un article intitulé « La poésie du futur. Le premier futuriste », il évoque les Huns pour saluer la charge iconoclaste de Whitman, sa violence et son audace : « La vieille poésie est mise en bière » (« v grob »)54. Tchoukovski a aussi régulièrement souligné 213l’influence de Whitman sur Khlebnikov et surtout sur Maïakovski. Si l’on peut penser qu’il exagère quelque peu cette influence, il est vrai que l’on trouve plusieurs mentions de Whitman chez Khlebnikov (qui évoque son crâne de « Néanderthal55 »), et que Maïakovski s’est beaucoup intéressé à Whitman et à la manière dont il était traduit56. Relevons ici que, comme Campos, Maïakovski a été très sensible au cri whitmanien. Un passage de L’Homme (Čelovek, 1918) rappelle explicitement le « barbaric yawp », qui intervient au moment d’une comparaison avec un faucon (« spotted hawk »), à la fin de « Song of Myself » :
Покоится в нем у меня
прекрасный
красный язык .
« О-го-го » могу –
зальется высоко, высоко .
« О-ГО-ГО » могу –
и – охоты поэта сокол –
голос
мягко сойдет на низы 57 .
« Se trouve en moi / une magnifique, / langue rouge. ‘Oh-oh-oh’ je peux – / Elle jaillira très haut, très haut : / ‘OH-OH-OH !’je peux – / puis – faucon du poète en chasse – / ma voix / doucement descendra. »
Maïakovski joue sur le double sens de « langue » (« jazik »), à la fois organe et langage. Il convertit le mot « yawp » en sons, dont la puissance est signifiée par la typographie : il actualise ainsi sonorement et visuellement le cri de Whitman.
La réception de Whitman en primitif révèle donc une alternative : entre harmonie de la poésie nominale, de l’émerveillement énumératif, et raucité du cri, désordre de la perception immédiate, se dégagent 214deux conceptions assez différentes de ce que peut recouvrir une poésie primitiviste. Whitman a si bien réussi son pari, sa stratégie a fonctionné si efficacement que le primitif à l’œuvre dans sa poésie a souvent été perçu au premier degré. Bien sûr, il ne s’agissait pas de fabriquer le primitif comme chez Longfellow, mais de retrouver un esprit primitif. Il s’agissait néanmoins en effet de retrouver, dans un mouvement conscient de soi. Or très rares sont les commentaires qui observent cette part de réflexivité, autrement dit qui voient en Whitman un primitiviste plutôt qu’un primitif. La lecture de Cesare Pavese58 fait à cet égard exception :
Egli non fece il poema primitivo che sognava, ma il poema di questo suo sogno. Non riuscí negli assurdi di creare una poesia adatta al mondo democratico e repubblicano e ai caratteri della nuova terra scoperta – poiché la poesia è una sola – ma passando la vita a ripetere in vario modo questo disegno, egli di questo disegno fece poesia, la poesia dello scoprire un mondo nuovo nella storia e del cantarlo. Per scrivere insomma l ’ apparente paradosso, egli fece poesia del far poesia 59 .
« Il n’a pas fait le poème primitif dont il rêvait, mais le poème de ce rêve à lui. Il n’a pas réussi l’entreprise absurde de créer une poésie adaptée au monde démocratique et républicain, et aux caractères de la nouvelle terre découverte – puisque qu’il n’y a qu’une poésie – mais en passant sa vie à répéter diversement ce projet, il a transformé ce projet en poésie, la poésie de la découverte d’un monde nouveau dans l’histoire et la poésie du chant de ce monde. Pour écrire en somme cet apparent paradoxe, il a fait la poésie du faire de la poésie. »
Le « poème primitif » de Whitman est un projet, qui n’existe que dans une écriture programmatique et consciente d’elle-même. Pour Pavese, « rêver le primitif », c’est être primitiviste.
C’est sur cette étonnante réussite whitmanienne et sur la fortune de cette lecture du poète américain que nous voudrions insister en conclusion. Il est frappant que l’intérêt pour Whitman décline en Europe en même temps que celui pour le primitif. La périodisation primitiviste définie par Philippe Dagen correspond ainsi peu ou prou à celle de la whitmania. On pourra bien sûr y voir une tautologie que l’on rencontre souvent dans 215les études de réception : puisque l’heure est au primitivisme, il n’est rien d’étonnant à ce que Whitman soit lu comme un primitif. Mais la tautologie n’en est plus une dès lors que l’on comprend qu’il s’agit bien plutôt d’une dialectique : Whitman est lu comme un primitif, mais il fournit en retour un modèle de poésie primitive moderne. Le vers libre, associé à l’énumération, tantôt sur le mode adamique, répétitif, tantôt sur le mode barbare, spontané et rauque, est en dernière analyse la grande invention primitiviste de Whitman. Le sens de circulation du primitivisme s’est inversé : à partir des idées européennes sur l’épopée primitive, Longfellow et Whitman ont proposé des poésies américaines qui jouent cette carte du primitif. Mais là où l’épopée de Longfellow marque une sorte de point culminant du primitivisme romantique, Whitman ouvre de nouvelles perspectives pour un primitivisme moderne et spécifiquement poétique.
Delphine Rumeau
Université Grenoble-Alpes
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1 Michael Bell, auteur de l’un des rares études sur le « primitivisme littéraire » inclut toutefois Melville dans son corpus d’études (Primitivism. A Critical Idiom, Londres, Methuen, 1972). De même l’étude de James Baird sur Moby Dick se concentre-t-elle sur la « nostalgie du primitif » (Ishmael, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1956).
2 Francis Otto Matthiessen, American Renaissance. Art and Expression in the Age of Emerson and Whitman, Oxford, Oxford University Press, 1941. Comme le « primitivisme », la « Renaissance américaine » est une étiquette donnée rétrospectivement à un moment de l’histoire des idées, en l’occurrence surtout de l’histoire littéraire. Matthiessen borne assez strictement la période (1850-1855), mais ces délimitations sont l’objet de débats.
3 Nous reprenons l’usage des italiques que propose Philippe Dagen pour employer ce terme dans son ouvrage Primitivismes, une invention moderne, Paris, Gallimard, 2019, comme signe de distance critique.
4 C’est l’un des enjeux importants de la question : s’agit-il de considérer un phénomène récurrent de l’histoire de l’art occidental (Ernst Gombrich, La Préférence pour le primitif, Épisodes d’une histoire du goût et de l’art en Occident[2002], trad. D. Lablanche, Paris, Phaidon, 2004) ou de circonscrire un phénomène historiquement situé : la fin du xixe siècle et le début du xxe, c’est-à-dire l’apogée du colonialisme (Philippe Dagen, Primitivismes, une invention moderne, op. cit.) et du capitalisme (Ben Etherington, Literary Primitivism, Stanford, Stanford University Press, 2017) ?
5 C’est ce qui unifie pour Philippe Dagen tous les modes du primitivisme, entre les peuples tenus pour « sauvages », les préhistoriques, les enfants, les fous, les populations européennes non encore affectées par le progrès (Primitivismes, p. 14.)
6 Colin Rhodes, Primitivism and Modern Art, Londres, Thames & Hudson, 1994, p. 13 (« relational operator »).
7 L’ouvrage de Ben Etherington sur le primitivisme littéraire paru en 2018 est représentatif de cet apport, tout en prenant le contre-pied des principales critiques postcoloniales à l’endroit du primitivisme. En effet, Etherington dégage, en effet, le primitivisme d’une accusation qui lui a souvent été faite par les études postcoloniales (l’idée qu’il relèverait de l’appropriation culturelle) pour en faire un instrument de critique politique et économique, un opérateur d’utopie.
8 Pascale Casanova, La République mondiale des lettres (1999), Paris, Points/Seuil, 2008, p. 346.
9 Nous nous permettons de renvoyer à un texte où nous développons cette question : Delphine Rumeau, « Postcolonial et transatlantique. De quelques épopées nord-américaines au xixe siècle », Épopées postcoloniales. Poétiques transatlantiques, Inès Cazalas et Delphine Rumeau (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 47-63.
10 Le primitivisme littéraire est plus difficile à penser lorsqu’il n’est pas lié à un primitivisme pictural. C’est une remarque que fait d’emblée Gombrich dans La Préférence pour le primitif : le terme de « primitif » désigne généralement les stades précoces de domaines ayant connu d’importants changements, des inventions techniques majeures au cours de l’histoire. Or ce genre d’invention n’a pas d’équivalent dans l’art poétique.
11 En 1855, il s’agit de la première édition de Leaves of Grass, qui contient seulement douze poèmes, et qui sera amenée à de considérables extensions.
12 Le livre de Philippe Dagen,Primitivismes, op. cit., débute sur les écrits d’Aby Warburg sur les danses des Hopis et Mopis.
13 Ernst Gombrich, La Préférence pour le primitif. Épisodes d’une histoire du goût et de l’art en Occident, op. cit., p. 58.
14 Walt Whitman, Poetry and Prose, New York, Library of America, 1996, p. 665. Je traduis.
15 John TownsendTrowbridge, « Reminiscences of Walt Whitman » (Atlantic Monthly, février 1902), Whitman in His Own Time, Joel Myerson (dir.), Detroit, Omnigraphics, 1991, p. 172.
16 Ben Etherington, Literary Primitivism, op. cit., p. 14.
17 Ibid., p. 53.
18 Henry David Thoreau, « Walking », The Atlantic, juin 1862 : « En littérature, seul le sauvage nous attire ».
19 Walt Whitman, « Starting from Paumanok » [1860], Leaves of Grass, New York, Norton, 2007 [basé sur l’édition définitive de 1891-1892], p. 15. « Je fais commencer un Nouveau Monde » (je traduis).
20 « Song of Myself » [1855], ibid., p. 27 : « Il n’y a jamais eu plus de commencement que maintenant » (je traduis).
21 « Spontaneous me » [1856], ibid., p. 89.
22 « Je fais résonner mon cri barbare sur les toits du monde ».
23 Émile Montégut, « Poésie américaine. Une légende des Prairies, de Henry Wadsworth Longfellow », Revue des Deux Mondes, t. 9, 1er juin 1857.
24 Pour une analyse plus détaillée de la réception russe de Longfellow (et de Whitman), nous nous permettons de renvoyer à Delphine Rumeau, « Primitif américain et primitivisme russe. Deux cas de réception (Longfellow, Whitman) », Slavica Occitania, no 53, 2021, p. 249-275.
25 Dimitri L. Mixalovksi, « Predislovie », Gajavata, Skazka iz žizni severoamerikanskix indejcev, Genri Longfello [Hiawatha. Conte de la vie des Indiens nord-américains], trad. D. L. Mixalovski, Saint-Pétersbourg, Tipo. Suvorina, 1890, p. vi.
26 Genri Longfello, Pesn’ o Gajavate, trad. d’I. Bunin, Moscou, Knižnoe Delo, 1899 ; Saint-Pétersbourg, Znanie, 1903.
27 Voir : Maria Lupishko, « Grib-borovik or Charka-gorelka ? Stravinsky’s treatment of Russian folk trochaic tetrameter », Australian Slavonic and East European Studies, vol. 25 / 1-2 (2011), p. 1-37.
28 Konstantin Bal’mont, « Bunin, Longfello i Bajron », Vesy, 3, février 1904.
29 Kornej Čukovskij, « Longfello », Svobodnye mysli, 4 juin 1907.
30 Nous repartons pour ce faire d’un travail en partie déjà existant, une étude de la réception de Whitman en primitif (voir Delphine Rumeau, Fortunes de Walt Whitman, Enjeux d’une réception transatlantique, Paris, Classiques Garnier, 2019, partie 1, chapitre 1), mais en renversant la perspective : en étudiant la réception de Whitman en primitif, il s’agissait de comprendre ce que ces lectures nous disaient de Whitman, alors que l’enjeu est ici d’analyser ce qu’elles révèlent sur l’expression à la fois omniprésente, diffuse et confuse de « poésie primitive », au cours de la période qui nous occupe.
31 John Addington Symonds, Studies of Greek Poets, Londres, Smith, Elder, 1873.
32 D. H. Lawrence, « Whitman » [1921], Studies in Classic American Literature, New York, Thomas Seltzer Inc., 1923.
33 Jean Richepin, L’Âme américaine à travers quelques-uns de ses interprètes, Paris, Flammarion, 1920, p. 242. L’ouvrage réunit douze conférences prononcées en 1918 et 1919, dont deux sur Whitman.
34 Paul Desjardins, « Walt Whitman », Journal des débats, 4 avril 1892, p. 1.
35 Maurice Maerterlinck, Le Cahier bleu, Joanne Wieland Burston (éd.), Gand, Éditions de la Fondation Maurice Maeterlinck, 1977, p. 157.
36 Ibid., p. 150.
37 Ibid., p. 148 (feuillet 47).
38 Ibid., p. 155-156.
39 La démocratie elle-même est « in its embryo condition ». Walt Whitman, Prose Works, New York, NYU Press, 1964, t. II, p. 392.
40 Ossip Mandelstam, « O prirode slova » [1922], Sobraniesočinenij, Moscou, Art-Biznes-Tsentr, 1993, t. 1, p. 224-225 ; « De la nature du mot », De la poésie, trad. Christian Mouze, Paris, La Barque, 2013, p. 42.
41 Voir MartinBidney, « Leviathan, Yggdrasil, Earth-Titan, Eagle : Bal’mont’s Reimagining of Walt Whitman », The Slavic and East European Journal, vol. 34, no 2, 1990, p. 176-91.
42 « Quand la poésie lyrique se sublime et se spiritualise, elle aboutit à de pures énumérations, à soupirer les noms adorés. » (Miguel de Unamuno, « El canto adámico » [1906], El espejo de la muerte, Obras completas II, Madrid, Biblioteca Castro, 1995, p. 143).
43 Voir Paul Claudel, « Richard Wagner. Rêverie d’un poète français » [1934], Conversations, Œuvres en prose, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1957, ainsi qu’un texte justement intitulé « L’Enthousiasme » [1953], Contacts et Circonstances, Œuvres en prose, op. cit.
44 Pasquale Jannacone, La Poesia di Walt Whitman e l’evoluzione delle forme ritmiche, Turin, Roux Frassati & co, 1898, p. 10.
45 Ibid., p. 11.
46 George Santayana, « The Poetry of Barbarism », Interpretations of Poetry and Religion, New York, Scribner’s Sons, 1900, p. 178.
47 Fernando Pessoa (Álvaro de Campos), « Salut à Walt Whitman », Ode maritime et autres poèmes, trad. D. Touati et M. Chandeigne, Paris, Orphée / La Différence, 1990, p. 124-125.
48 « Mon vieux Walt, mon grand Camarade, évohé ! / J’appartiens à ton orgie bacchique de sensations-en-liberté » (Ibid., p. 122-123).
49 « Danse avec moi, Walt, cette furie, depuis l’autre monde, cette furie, / Saute avec moi au son de ce tam-tam qui se cogne aux astres » (Ibid., p. 126-127).
50 « Laisse-moi enlever ma cravate et déboutonner mon col. / On ne saurait avoir beaucoup d’énergie avec la civilisation autour du cou » (Ibid., p. 126-127).
51 Ibid., p. 128-129.
52 Là aussi, nous renvoyons pour plus de détails à Delphine Rumeau, « Primitif américain et primitivisme russe. Deux cas de réception (Longfellow, Whitman) », art. cité, p. 269-271.
53 Korneï Tchoukovski est le premier traducteur russe à avoir utilisé le vers libre. Ses lectures successives de Whitman reflètent les différentes inflexions primitivistes russes. Il s’agissait au début d’un prisme nietzschéen, qui fait de Whitman un Zarathoustra, « en plus rusé » (Korneï Tchoukovski, « Uot Uitmen. Ličnost’ i democratija v ego poèzii », Majak no 1, 1906).
54 Korneï Tchoukovski, « Poezija buduščego. Pervyj futurist », Russkoe Slovo, 5 juin 1913, voir : http://www.chukfamily.ru/kornei/prosa/kritika/pervyj-futurist (consulté le 04/03/ 2022)
55 Velimir Khlebnikov, Œuvres 1919-1922, trad. Yvan Mignot, Paris, Verdier, « Slovo », 2017, p. 534.
56 Sur Whitman et Maïakovski, voir Kornej Čukovskij, « Majakovski », Sobranie sočinenij, Sovremenniki, M., Terra-Knižnyj Klub, 2001, p. 232-235 ; Claire Cavanagh, « Whitman, Mayakovsky, and the Body Politic », Rereading Russian Poetry, Stephanie Sandler (dir.), New Haven, Yale University Press, 1999, p. 202-222 ; Delphine Rumeau, « Le self, le corps, la foule : communautés de Whitman et de Maïakovski », Communitas. Les Mots du commun et de la Communauté, Rémi Astruc (dir.), Versailles, RKI Press, 2021, p. 87-104.
57 Vladimir Maïakovski, Čelovek [1918], Izobrannoe, Moscou, Direkt-Media, 2014, p. 123.
58 Cesare a écrit son mémoire de laurea sur Whitman – à une date il est vrai plus tardive que la période qui nous occupe, en 1933.
59 Cesare Pavese, « Whitman », La Cultura, juin-sept. 1933, repris dans La letteratura americana e altri saggi, Turin, Einaudi, 1990, p. 131.
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