Cinéma « primitif », muse poétique Une dynamique primitiviste entre poètes et films au début du xxe siècle
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Le Primitivisme des avant-gardes littéraires
- Author: Magnenat (Nadejda)
- Pages: 93 to 119
- Collection: Encounters, n° 595
- Series: Twentieth and twenty-first century literature, n° 46
Cinéma « primitif », muse poétique
Une dynamique primitiviste entre poètes
et films au début du xxe siècle
[T]rouver un moyen de diffracter l’enquête critique et faire advenir des motifs variables mais plus adéquats à la diversité du monde1.
Déplacer la ligne de tension primitiviste
« Avant d’être l’histoire des rapports entre les artistes modernes et les arts dits “primitifs”, le primitivisme est l’histoire de l’invention des arts primitifs2 » écrit Jean-Luc Aka-Evy. L’historien de l’art insiste, de fait, sur la construction socio-historique de la notion de primitivisme. Si son étude porte sur le processus de modification des jugements portés sur les objets d’art et artefacts non européens par le discours occidental, elle encourage aussi plus largement à prendre en compte les points de vue par lesquels la notion s’est constituée et continue de se constituer, autant dans la perspective des acteurs, « les artistes modernes », que chez ceux qui écrivent leur histoire et analysent leurs œuvres. Cette conscience réflexive rejoint, en un sens, la définition que proposait Robert Goldwater pour parler du primitivisme des avant-gardes picturales du début du xxe siècle, en le considérant comme une 94« attitude productive d’art3 » plutôt que de vouloir désigner une forme esthétique figée. La notion de primitivisme peut donc se concevoir comme une dynamique de ressourcement de valeurs esthétiques qui repose sur des jugements culturels, des principes de classements historiquement et conventionnellement situés. Cette dynamique peut s’observer dans d’autres relations artistiques, partout où s’affirment des jugements de goûts et une attention, susceptibles de modifier la conduite conventionnelle d’un art. Et, lorsque les fétiches d’Afrique ou d’Océanie entrent en scène dans l’histoire de la peinture moderne à Paris, une autre dynamique primitiviste a pu se jouer entre des artistes en quête de nouvelles sources d’inspiration et l’apparition du cinéma des premiers temps.
J’aimerai ainsi déplacer l’observation, dans une perspective diachronique et synchronique, vers une ligne de crête qui, plutôt que de prendre appui sur des artefacts venus d’« Ailleurs », prend ancrage des tensions internes de la culture occidentale entre « haute » et « basse » culture, entre une poésie créée par un cénacle restreint d’individus cultivés – en quête de ressourcement esthétique au seuil du xxe siècle – et les débuts du « cinéma », une forme d’expression non encore légitimée comme art, non institutionnalisée4, nouveau médium se confondant ou s’associant aux autres spectacles et médias de son temps5. Ce « cinéma primitif » comme il fut couramment désigné (et comme il continue à l’être parfois, j’y reviendrai), destiné le plus souvent à divertir les foules, avait peut-être de quoi rivaliser en termes de fascination et d’étrangeté avec les collections du Trocadéro.
Les poètes modernistes de la « nouvelle bohème6 » parisienne, qui ont fortement œuvré au renouvellement de la poésie dans la première 95décennie du xxe siècle et qui furent surtout connus pour leur proximité avec les peintres modernes, ont manifesté un intérêt marqué pour le cinéma, voire ont directement participé à cet « art nouveau7 » à partir de la fin des années 1910. Ainsi, Guillaume Apollinaire s’était mis à écrire des scénarios pendant la guerre, Blaise Cendrars réalisait un film en Italie après avoir été l’assistant d’Abel Gance, Max Jacob publiait Cinématoma8… Mais durant la période dite des « premiers temps » du cinéma, entre 1895 et 1915 à peu près, ces poètes ont paradoxalement très peu laissé de traces de leur intérêt pour ces nouveaux spectacles, alors qu’ils cherchaient dans la même période des conduites esthétiques innovantes. Ces « précurseurs » du surréalisme firent cependant partie de la génération ayant côtoyé de près la « naissance » de cet art, comme l’écrira bien plus tard Pierre Reverdy, né en 1889 :
Le cinéma, je l’ai vu naître dans le ruisseau – devant la foule débandée dans le soir torride, irrespirable, l’écran insinué entre les feuillages durs des platanes, comme un piège à papillons nocturnes – mais bientôt répugnant comme un papier à mouches qui captait sous le rayon lumineux fascinant les buveurs de demis et les mangeurs de glaces. Mais entre le piège et les buveurs, il y avait, dans le ruisseau et débordant un peu sur le trottoir la populace – hurlante, dans le délire de la joie, de la chaleur et de sa propre odeur affolante, dans les délices de la gratuité9.
Aux lecteurs du premier numéro de la revue Minotaure en 1933, Reverdy proposait ainsi « quelques gravats particuliers à [s]on adolescence, parmi les décombres informes et déjà presque froids de [s]a mémoire », à savoir le cinéma tel qu’il se souvenait de l’avoir vu autour de 1905, année de ses seize ans. La description évoque l’origine foraine et festive des premières projections de cinéma, mais Reverdy lui donne une allure sensiblement mythique, en forçant le trait de ce qu’il considère comme les bas-fonds de la société. Tel le « ruisseau » des rues qui se déverse dans les égouts, métaphore des vulgarités censées émaner du bas peuple, les images des premières projections semblent nées littéralement de la « populace ». Si la description de Reverdy s’apparente à celle 96d’une projection en plein air, une nuit d’été sous les arbres, le poète lui donne les accents d’une bacchanale. Tout semble concourir à susciter les sens du public, qui communie et s’abandonne aux « délices de la gratuité ». L’expérience dépasserait ainsi ce qu’on pourrait attendre des divertissements mercantiles pour accéder à une « gratuité » de l’ordre de la nature et de la symbiose, née de cette lumière focalisée. Car la cause de ce « délire » et de cette « joie » provient d’un « rayon lumineux fascinant », par lequel les buveurs et les mangeurs sont « capté[s] », tels des insectes pris au piège.
Qu’il soit « piège à papillons nocturnes » ou « répugnant […] papier à mouches », la métaphore du piège est puissante, employée pour qualifier l’attrait vraisemblablement irrépressible provoqué par l’écran illuminé. Et dans cette description, le poète se réserve une place d’observateur, hors d’atteinte, sans laisser paraître qu’il partageait peut-être, trente ans auparavant, les rangs de ces insectes « buveurs » et « mangeurs » et qu’il a pu lui aussi tomber dans les filets (ou la glu) de ces images animées. L’écran, lieu focal de l’attraction, est « insinué entre les feuillages durs des platanes », comme pour souligner le trouble qu’a pu provoquer la vision de ces images animées : des enregistrements reproduisant la nature – donnant l’illusion du naturel, mais pourtant non naturels –, sourdant littéralement d’entre les feuilles des arbres et illuminant pour ainsi dire la foule.
[J]’affirme qu’en inscrivant les premiers mots et dès le titre je prétendais prononcer le plus grand éloge du cinéma10.
« L’art du ruisseau » de Reverdy commence par cette confidence, avant que le poète ne déboute ce qu’est devenu ce « fils du peuple » en 1933, « le plus monstrueux des parvenus », en toute logique, le comparant aux jeux du cirque romain. Pour autant, sa naissance n’en fut que plus extraordinaire : « Aucun souci d’art ne fut à sa source ni aux lèvres qui aussitôt avidement s’y abreuvèrent11 ». Le cinéma semble alors être né de rien, telle une source qui aurait soudain jailli pour l’humanité, contenant une potentialité inouïe d’expressivité, que Reverdy aurait vu éclore dans toute sa force primitive, précisément, si l’on convoque la 97valeur étymologique positive du terme, désignant ce qui vient en premier, au commencement, à l’échelle des manifestations du vivant. La description que le poète fait de cette « naissance », sa syntaxe alambiquée, s’apparente au chaos primordial, lieu de rencontre des éléments et des pulsions, où les extrêmes se touchent, où la beauté et la joie peuvent se mélanger à la laideur la plus crasse, dans une confusion des sens propre à susciter d’intenses émotions. Les premiers spectacles du cinéma ont donc bien fasciné Reverdy. Et si le poète n’a pas revendiqué explicitement l’influence de cet « art du ruisseau » sur le sien, Philippe Ortel a montré que son œuvre poétique y avait été assurément perméable12. Le poème « Galeries », publié en 1917 dans Nord-Sud, en est un exemple éloquent. L’incipit met en scène toute la puissance primitive que ce spectacle avait pu contenir jadis pour le jeune poète, en le rejouant par la poésie :
Un entonnoir immense où se tordait la nuit
Des lambeaux s’échappaient par moments
Des lueurs qui allaient s’éteindre bien plus loin
Tout était pâle
L’aube
Le soleil naissant
Une boule à peine ronde
Le reflet du monde
sur l’écran13
Les deux premières strophes du poème laissent deviner des éléments du dispositif du cinéma (l’« entonnoir » que forme le faisceau du projecteur, « l’écran »). Ceux-ci sont pris dans l’évocation du passage de la nuit au jour, sur le mode d’un récit des origines : quelques phrases nominales à l’imparfait, décalées typographiquement, décrivent un espace infini, impersonnel et hors du temps où « [t]out » est encore « pâle ». Puis une autre unité ramassée de vers lui fait suite, de courtes propositions nominales cette fois embrayées énonciativement au présent, qui marquent l’arrivée du « soleil naissant », pris dans un jeu de rimes croisées. Ce commencement de jour est le commencement du « reflet du monde ». L’incipit fait ainsi événement,en jouant une forme de recréation 98mythique, par l’évocation du dispositif de projection comme début d’un monde autre. Dans une perspective synchronique, parce que les poèmes continuent d’être lus, l’actualisation énonciative du texte (en tant qu’événement) pourrait donc être susceptible de faire ressentir au lecteur une même dynamique primitiviste, « productrice d’art », qui rejoindrait celle-là même ayant présidé à la création du poème.
La « bande à Picasso » côtoyait sans doute fréquemment le cinématographe14. Ce nouveau médium était en effet présent un peu partout dans le milieu des divertissements, partageant les programmes des cabarets, cirques, théâtres et music-halls de Paris, avant que des lieux dédiés – les salles de cinéma – commencent de proliférer vers 1907. Si Apollinaire y fait référence dès 1905 dans ses écrits, il n’atteste qu’en 1910 (sous pseudonyme), qu’il avait « coutume d’aller voir ce spectacle moderne par excellence », « en compagnie des gens de [s]on quartier15 ». André Salmon, acquis aux causes avant-gardistes de cette période16, dit s’y être aussi laissé entraîner, même s’il ne goûtait guère à ce « cinéma si primitif d’alors17 », écrira-t-il plus tard dans ses mémoires. Il se souvient être « demeur[é] stupide devant l’apparent plaisir manifesté par Max [Jacob] à la contemplation de ces mélos absurdes transposés pour la lanterne magique18 ». Ceci dit, « pas besoin d’admirer pour croire19 », ajoutait-il. Quant à Max Jacob, si le Christ en personne lui est apparu dans une salle de cinéma, en 1914, le poète n’a pas non 99plus disserté sur sa fréquentation des films avant la fin des années dix20. Pourtant, la concomitance de dates entre la gestation d’une poétique moderniste et l’apparition de plus en plus prégnante des films dans le marché du divertissement suggère une relation de coprésence qu’il s’agit d’investiguer, dès lors que cette nouvelle bohème, se revendiquant comme telle, était immanquablement confrontée – et de manière inédite – aux films des premiers temps. Je propose alors d’étayer ce réseau de relations esthétiques au tournant du xxe siècle à Paris, à partir de ses premiers balbutiements, dans une perspective primitiviste, puisque tout porte à croire que c’est parce que les films qui constituaient ce spectacle moderne furent à la fois méprisables et sources d’émerveillement (« spectacle stupide21 », « idiot mais merveilleux22 », « absurde […] si primitif23 » …) qu’ils ont pu fonctionner comme un ressourcement.
100Cinéma « primitif »
Si les catégories sont instables, il s’agit de les prendre sur le fait24.
Lorsque Reverdy décrit le souvenir qu’il garde du cinéma des premiers temps, ce dernier a pu donc prendre les caractéristiques d’une source primitive d’art, au sens d’un jaillissement brut d’expressivité, qui convoque la valeur positive du terme « primitif ». Mais tout se passe comme si cette primitivité engageait aussi avec elle l’entourage de cette source vive : les spectateurs sont « populace » et s’époumonent dans le « ruisseau ». Par le choix de ces mots, dépréciatif pour l’un, ambivalent pour l’autre (un ruisseau certes, mais charriant les détritus), Reverdy fait ressortir toute la tension des rapports culturels engendrée par des préjugés de classe : ces « buveurs » en plein « délires », qui suent leur « propre odeur affolante », peuvent être perçus comme vulgaires, grossiers, non éduqués, primitifs, au sens connoté du terme, selon une axiologie normative et policée de l’art ou de la culture considérés comme un raffinement. La description de Reverdy évoque donc le public populaire du cinéma des premiers temps, qui semble imprégné de puissance primitive par la grâce du cinéma, ce dernier étant tout entier condensé dans un seul « rayon lumineux fascinant ».
Or ces connotations suscitées par le concept de « primitif » traversent l’historiographie du cinéma. Si le concept innerva les théories traitant de la psychologie du spectateur ou de la sémiologie du cinéma, en prolongement des premiers travaux « scientifiques » de l’Institut de filmologie25, le terme « primitif » a longtemps été associé au cinéma des premiers temps, sans précautions particulières, par les historiens du cinéma. Ce n’est que vers la fin des années 1980 qu’il fut remis en question, 101notamment par Tom Gunning, qui proposait son abolition pure et simple, au profit de termes plus neutres tels que « Early cinema » ou « cinéma des premiers temps » pour les francophones. Ces dénominations font à peu près consensus aujourd’hui, mais cette substitution lexicale fit l’objet de débats, quant à savoir ce que l’on perdait à rejeter le mot « primitif ».
Tom Gunning déploya une série d’arguments26 pour montrer que les connotations négatives du terme engendraient une vision erronée de cette période. D’une part, les premiers spectateurs n’étaient pas si crédules qu’on avait bien voulu le penser (le poncif des spectateurs effrayés, sortant de la salle à l’Entrée du train en gare de la Ciotat avait fait long feu). Ils baignaient au contraire dans une culture du divertissement déjà imprégnée d’illusions visuelles, à l’exemple des spectacles de magie ou de lanternes magiques. Gunning pointait, d’autre part, les préjugés formels attachés à ces premiers films, analysés le plus souvent en fonction d’un « manque », par opposition à une complexité ultérieure, dans une perspective téléologique de l’histoire du cinéma27. Gunning suggérait aussi bien que l’usage du terme « primitif » avait contribué à alimenter, à l’inverse, une conception idéalisée des premiers films, en les chargeant d’une aura de pureté et d’innocence, signifiée en termes de perte28. Rien de naïf pourtant, dans les trucages de Méliès, par exemple, qui furent exécutés pour être précisément dissimulés derrière une théâtralité intentionnelle, comme l’a démontré, avec d’autres, l’historien29.
En soulignant cette constante adresse frontale des premiers films, l’historien proposa de leur appliquer le concept eisensteinien d’attraction30, par opposition à la narration, au centre des films de fiction ultérieurs qui 102se sont progressivement imposés en norme, par le principe du montage notamment. Si l’attraction interpelle le spectateur, la narration créerait au contraire une absorption du spectateur dans la fiction. Ce couple conceptuel fit fortune dans le champ des études sur le cinéma, faisant écho à la dichotomie proposée par Noël Burch entre Mode de Représentation Primitif (MRP) et Mode de Représentation Institutionnel (MRI), qui souligne aussi une coupure historique et formelle, en termes d’effets sur le spectateur. Malgré le réquisitoire de Gunning contre le mot « primitif », Burch persista cependant à garder le terme et il s’en est expliqué dans une note de bas de page de La Lucarne de l’infini :
Je tiens à justifier l’emploi que je continue de faire de ce terme [« primitif »], discrédité dans d’autres disciplines en raison de la charge ethnocentrique qu’il porte. Ce cinéma est bel est bien primitif, d’abord au sens de « premier », « originel », mais aussi au sens de « fruste », « grossier » selon toutes les normes qui sont devenues les nôtres dans les pays industrialisés qui en sont seuls responsables. L’emploi de ce terme n’offense personne, vivant ou mort31…
Sans s’arrêter à cette perspective diachronique, Burch a pu suggérer que ce « mode primitif » pouvait recouper les traits et les qualités d’une contre-culture au mode dominant du cinéma institutionnalisé, en faisant correspondre les caractéristiques de ces premiers films à celles de films expérimentaux ultérieurs32. Mais l’historien semble revenu de cette hypothèse et en minimise la portée :
j’ai cessé de voir dans le cinéma primitif un « bon objet » sous prétexte que l’on y trouve d’innombrables préfigurations des refus que le modernisme opposera plus tard à la représentation classique, lisible. Ces préfigurations ne sont évidemment pas fortuites : il est normal que les obstacles qui dans la « préhistoire » de l’Institution s’opposaient à l’éclosion de la vision classique, réapparaissent dans les travaux de créateurs qui cherchent, implicitement ou explicitement, à renverser, à dénaturaliser cette vision. Mais rêver le cinéma primitif comme un paradis perdu, refuser de voir dans l’émergence du M.R.I. un progrès objectif, c’est flirter avec l’obscurantisme33.
103Burch concède cependant dans le même ouvrage que le « système primitif » a pu produire « des petits chefs-d’œuvre », voire atteindre « une certaine perfection archaïque », jusqu’à pointer une « poésie étrange » née d’une « altérité primitive », précisément :
Mais on trouve aussi d’autres films fort différents, où cette altérité primitive est source d’une poésie étrange, bien à elle, irréductible aux codes des arts populaires de l’époque ni a fortiori à une quelconque démarche moderniste « avant la lettre34 ».
Burch cite en exemple quelques titres de films en les décrivant brièvement, mais l’étrangeté de cette « poésie » n’est définie que par quelques impressions d’ensemble : « poésie visuelle » ; « récit ouvert et non-centré au possible », « sorte de haïku surgi des usines Pathé35 ». En gardant le mot primitif, Burch semble préserver, dès lors, une sorte d’ouverture vers l’inconnu, par l’usage d’un lexique anthropologique, qui postule un « système primitif », jusqu’à la formulation d’une « altérité primitive ».
Cette ouverture n’est pas sans rappeler les premières réserves historiographiques des années 1980 qui justifiaient l’emploi du terme primitif par un détour du côté de l’histoire de l’art, à l’exemple de l’historienne du cinéma, Kristin Thompson (je traduis) :
Bien que j’utilise ce terme [primitif] en raison de son acceptation répandue, je préfère penser aux films primitifs dans le sens où l’on parle d’art primitif, qu’il soit produit par des cultures natives (par exemple, la sculpture sur ivoire des Esquimaux [Esquimo ivory carving]) ou par des individus sans formation (par exemple, Henri Rousseau)36.
Les précautions de Thompson, visant une valorisation artistique, ouvrent un horizon définitionnel tout aussi instable. En effet, selon quels critères (formels ?, contextuels ?) l’art sophistiqué des autochtones de l’Arctique et celui non moins réfléchi du Douanier Rousseau, seraient de l’« art primitif » ? Une solution fut de remplacer la notion de primitif par celle 104d’altérité, pour définir toute expression esthétique, hors de la norme à partir de laquelle on se situe.
Jacques Aumont s’appuie ainsi sur les théories de l’art, dans son « plaidoyer pour le primitif37 » à l’intention des historiens et théoriciens du cinéma des premiers temps. Il revient sur cette volonté de bannir un mot « dont après tout l’histoire est intéressante », en examinant « quelques avantages de l’idée de primitif dans le cinéma des premiers temps38 ». Aumont s’appuie sur ce qu’il considère comme la valeur absolue du terme primitif, en laissant de côté sa valeur relative, à savoir ce qui devient primitif par rapport à un évolutionnisme forcément douteux. En cela, Aumont tente de cerner ce qui a valeur de primitivité dans ces films des premiers temps, en termes de densité historique, apportée par des enjeux réellement nouveaux de figuration. Aumont suggère, en effet, de s’intéresser aux films en eux-mêmes, plutôt qu’au dispositif de projection, particulièrement étudié pour définir cette période du cinéma en terme d’attraction. Le théoricien suggère que la notion empêche de voir ce qui se joue d’autre, dans les films eux-mêmes. Et d’interroger la valeur figurative d’une image, a fortiori celle des images des premiers films, parce que « le primitif est le moment du questionnement le plus dense, donc de l’invention la plus nourrie ».
Aumont propose de s’intéresser aux films du « cinéma primitif » comme Georges Bataille s’interrogeait devant les parois des grottes de Lascaux, à savoir comme un « lieu d’art » qui suscite certes des questions légitimes de connaissance (de représentation, de fabrication, de provenance, etc.) mais, ajoute Aumont, « à un autre niveau, plus profond ou plus superficiel – vous en déciderez – il y a cette autre question : qu’est-ce que cela nous permet de voir ? ou simplement qu’est-ce que cela figure39 ? »
105Le poète au cabaret
Il faut des histoires concrètes pour qu’un concept, quel qu’il soit, prenne vie40.
En 1905, l’usine Pathé de Vincennes développe douze kilomètres de pellicule par jour41, ce qui représente plus de sept heures de rubans perforés qui apparaissent journellement sur le marché. Si les salles de cinéma n’existent pas encore, nombre de vues animées font partie des programmes des lieux de divertissements existants. Le « maillage intermédial42 » est si dense qu’André Gaudreault insiste sur le fait que les films pouvaient se confondre avec leur contenu. Un numéro de cirque, un numéro de magie, ou un numéro de danse pouvait ainsi être littéralement un film projeté, inséré dans le flux des performances scéniques ou dans celui d’autres projections de films.
Au même moment à Paris, de jeunes poètes revendiquaient leur intérêt pour l’esthétique des divertissements populaires. Ainsi les music-halls apparaissent comme un lieu de ressourcement pour le groupe qui s’était constitué autour de Guillaume Apollinaire et la revue du Festin d’Ésope, si l’on en croit Henry Delormel qui en fait l’éloge dans son « Essai immoraliste » paru en avril 1905 :
Nous sommes quelques-uns à partager aujourd’hui ces sentiments [d’immoralisme], à rendre aussi l’hommage qui leur est dû aux Music-Halls, dont l’art n’est nullement vulgaire, car un esprit subtil sait y voir le monde des formes, des lignes et des couleurs, discerner le génie mathématique dans le pas des danseuses43.
Si Delormel veut réhabiliter dans son texte les « courtisanes » de ces lieux, l’extrait montre aussi que l’ami d’Apollinaire est capable d’abstraction 106esthétique, en sus du plaisir vénal que le spectacle suggère. Dans Les Lettres modernes, autre revue fulgurante44,les jeunes poètes que sont André Salmon, Guillaume Apollinaire et Max Jacob qui se réclament explicitement de « bohémianisme », à la recherche de « frissons nouveaux45 », n’évoquent à première vue pas les projections de films qui devaient pourtant parsemer les programmes de ces lieux dits « immoraux ». Seuls deux alexandrins liminaires du poème d’André Salmon « Le Poète au Cabaret46 », paru dans cette revue, semblent évoquer une expérience similaire :
La danse des bandits et des épileptiques
S’allonge à la clarté des lampes électriques47
Ces vers sont ensuite repris en ouverture du dernier quatrain. Je fais l’hypothèse qu’ils font référence au médium cinématographique, du moins la présence « électrique » de ces trépidations « épileptiques » y fait beaucoup penser, puisque l’ensemble du spectacle semble en outre engagé dans un mouvement plus fondamental d’étirement : cette danse à plusieurs personnages « s’allonge », en effet, dans tous les sens du terme, à la fois spatialement et temporellement, en pleine lumière, « à la clarté des lampes ».
Si le « style épileptique48 » est à la mode dans les performances scéniques des artistes de cabarets et de music-halls, dès le dernier quart du xixe siècle, celui-ci se prolonge précisément par les films des premiers temps, jusqu’en 1907 au moins, comme le suggère Rae Beth Gordon. Et si l’usage de la lumière électrique est une technique d’éclairage de scène qui s’est généralisée sans attendre le cinéma, les vers de Salmon emploient cette source pour mettre en branle littéralement la danse. Ce sont à la fois les danseurs effrayants et leurs ombres qui semblent convoqués implicitement par le poème. Il ne s’agit alors plus de la description d’un événement contingent, mais d’une étrangeté de la vision, 107entretenue peut-être par l’expérience spectatorielle de Salmon. En cela, ces vers présenteraient l’énonciation d’une perception visuelle qui commence tout juste de médiatiser les images du monde, rejoignant le nouveau « paradigme cinématographique49 » de ce tournant du xxe siècle.
Que dit ce poème, qui sera dédié à Guillaume Apollinaire à sa parution en recueil ? Il évoque l’angoisse mélancolique d’un sujet lyrique, poète parmi d’autres au cabaret, happé par le présent de la « noce », et sous influence de cette envoûtante « clarté » électrique, assimilée à celle de la lune. Le poème est composé d’alexandrins à la césure classique, disposés en neuf quatrains, le plus souvent à rimes plates. Le jeu régulier des vers crée un rythme monotone, voire anesthésiant : le contraire, en somme, d’une perception nerveuse ou hystérique. La première moitié du poème évoque de manière impersonnelle et avec dérision les poètes des cabarets, les « rêveurs » qui « griffonnent d’affreux vers », pour combattre l’ennui, qui sont « ivres » et « las de tant souffrir ». La deuxième partie fait surgir la présence d’un sujet lyrique (« Or je suis sans génie et je ne suis pas ivre ») qui se distingue de ce monde interlope, mais qui va s’y incorporer progressivement (le « je » se transforme en « on », puis se pronominalise à la première personne du pluriel « nos / nous »). Si le sujet lyrique a « refusé la paix sans obtenir la gloire », il voudrait à présent « dormir ». « Mais ce soir c’est la noce, amis, ohé ! ohé ! ». La compagnie est confortable, la « chaleur » du cabaret, sa « bonne odeur », l’oblige à rester éveillé, à remettre sa fuite à plus tard, même si « un jour prochain » le poète sait qu’il « s’enfuira » vers un imaginaire plus propice pour créer, dans une nature où les bois, singulièrement, sont « sourds » et présentés comme un « palais d’ombre », partageant ainsi l’isotopie du médium cinématographique, en tant qu’images silencieuses, dont l’apparent statisme (un « palais ») contraste de manière saisissante avec l’évocation des danses effrayantes du premier et du dernier quatrain.
Cette atmosphère d’ennui et de déliquescence, dont le point de fuite est une promesse vers un ailleurs sans paroles, est ainsi enserrée par le mouvement premier et final de ces ombres dansantes des alexandrins encadrants le poème. Cette redondance crée de fait un effet de circularité, mimant l’influence obsédante de l’astre nocturne sur le sujet lyrique, dont la mélancolie est révélée aux derniers vers :
108Et je souffre l’amour de tes rayons obliques
Lune, fardeau cruel au cœur des lunatiques50
Si l’évangile désigne précisément le lunatique comme personne atteinte d’épilepsie, donc possédée par le démon, il n’empêche que la clarté tout « électrique » qui fait naître ces ombres dansantes, suggère que l’inspiration poétique en est à présent tributaire. La danse ne se voit que parce qu’elle se distord temporellement et spatialement. Les ombres dansantes sont « sœurs » de la lune, elle-même « vivant péché du cadavre nocturne ». L’oxymore ne laisse présager qu’une fantomatique impression. Le médium cinématographique – si on s’accorde sur sa présence latente – n’est ainsi montré que dans son inquiétante étrangeté. Ainsi, le poème de Salmon fait vivre électriquement des figures de chairs et d’ombres dont la danse n’offre qu’une lancinante mélodie de fond. Elle entrave le sujet lyrique, incarné dans la figure du « poète », dans sa fuite vers un imaginaire tout autant imprégné d’ombres. Le sujet lyrique semble ainsi bloqué au présent de cette danse qui tourne inlassablement, parce que, dit-il : « nos culs ont besoin du velours des tavernes ». La grossièreté sonne comme un couperet à l’encontre des faiblesses de la volonté du poète, mais désigne aussi l’assignation du corps à se tenir immobile, en spectateur, dans le moment présent, tout en espérant rejoindre un jour ces « bois sourds, palais d’ombre […] dont les chemins nous mettent des fleurs aux doigts ».
Cette analyse ouvre des enjeux esthétiques particulièrement intéressants pour appréhender les premiers recueils poétiques de Salmon, Poèmes et Fééries, que Michel Décaudin considérait comme porteurs du « premier signe d’une métamorphose de l’expression poétique plus riche de conséquences que toutes les réformes jusqu’alors élaborées51 », une métamorphose que nous pourrions notamment déceler dans un rapport singulier au présent, « hanté par les images52 ». Dans Fééries, par exemple, il s’agirait ainsi de prendre au sérieux les conclusions de ce « triste époux », que ses « épouses mortes » reviennent hanter. Les « vo[yant] […] danser en rond / Des bouquets aux cheveux, les seins 109hors du corsage, / Poussant de petits cris lubriques et sauvages », l’époux malheureux gémit : « Que je suis faible, et qu’elles sont méchantes ! ». Ce Barbe bleue lyrique saura pourtant en rire, en les hissant au statut de muses poétiques :
Mais je crois que cela m’amuse
Je suis heureux à ma façon,
Ces mortes sont
D’aimables muses
Qui m’enseignent bien des chansons
Vagues et légères comme Elles
[…]53
Danse d’apaches
Le site de la Library of Congress met désormais à disposition de tous, gratuitement, de nombreux films des premiers temps, restaurés puis numérisés, dans un format relativement léger pour qu’ils puissent être visionnés facilement sur tous types d’application. Ces vues animées sont accompagnées de notices faisant état des connaissances, souvent lacunaires, de leurs conditions de production et de diffusion. Il en est ainsi du film intitulé ATough dance54 (danse « brutale »), produit en 1902 par l’American Mutoscope & Biograph Company. Il s’agit d’une performance filmée au studio new-yorkais de la Biograph, peut-être en extérieur sur les toits de l’immeuble, qui met en scène la danse de « Kid Foley et Sailor Lil, qui prétendaient être les champions de cette danse populaire du Bowery55 », quartier mal famé de la ville.
Le film, silencieux, propose quarante secondes en plan fixe de l’enregistrement d’une danse brutale et vive, dont le motif narratif – la dispute de couple – se retrouvait en effet dans de nombreuses autres danses pratiquées par les milieux populaires de l’époque. Cette 110performance rappelle la célèbre « danse apache », qui se pratiquait à Paris dès le début du xxe siècle56. Les passions sont théâtralisées, mêlant rudesse et sensualité. La narration passe par l’expressivité des corps tout entiers, sans que les visages ne jouent de rôle princeps (car on les devine à peine dans ce format numérique), par les mouvements et les attitudes du corps, qui figurent parfois des postures animales (les bras ballants le long du corps, le dos voûté, la façon de s’agripper, …). La brutalité des gestes et la tension corporelle qui en découle (les regards, la gifle, les mains agrippées, la chute et la roulade finale à terre), n’a, semble-t-il, rien perdu de son attrait spectaculaire et déploie parfaitement l’intensité de ce rapport de force, mené de manière horizontale, la femme étant l’égale de l’homme dans ce corps à corps. Ce rapport de force est, par ailleurs, exacerbé encore par le mouvement continu de la danse : une sorte de valse agressive à deux, rythmée par la réunion des deux corps qui fusionnent, puis se séparent à nouveau, dans un jeu de contraction et d’expansion, dont l’amplitude est dictée par une chorégraphie sophistiquée que la sobriété du décor ne fait qu’accentuer.
Ce film est par ailleurs caractéristique du premier cinéma par sa dimension intermédiale, étant constitué d’un seul plan, qui « enregistre » une autre performance artistique (on peut le définir en tant qu’assemblage de médiums, à savoir un médium imbriqué dans un autre médium). Les conditions de réception de ce film et de ses copies, mises en circulation à partir de 1902, relèvent par contre d’une pragmatique spectatorielle qu’il est impossible de reconstituer autrement que par les discours de l’époque et ceux des historiens s’y référant. Le film faisait bien sûr partie d’un spectacle d’une autre dimension (selon le lieu, le programme, le type d’accompagnement, silencieux ou sonore) avec des conditions techniques de projection bien différentes d’une image pixellisée à basse résolution comme celle que propose le site 111de la Library of Congress. Il nous manque ainsi le cône lumineux qui projette la pellicule argentique sur un écran blanc, la fumée des pipes qui le rendent visible, l’espace de la salle, la musique, la compagnie des bonimenteurs, des spectatrices, des spectateurs… S’il est donc illusoire de penser reconstituer les conditions précises de sa diffusion, ce visionnement pixellisé en constitue néanmoins une trace effective. Il peut ainsi nous éclairer partiellement sur l’expérience poétique de Salmon évoquant ces ombres dansantes, tout en permettant d’identifier quelques traits d’une esthétique toujours actualisable pour un spectateur du xxie siècle visionnant ces images en mouvement, déliées de leur contexte historique, mais qu’il a sans doute la capacité de relier esthétiquement, par une attention particulière à son pouvoir de figuration, comme l’a suggéré Jacques Aumont dans son « Plaidoyer pour le primitif » :
Il faudrait donc simplement tâcher de considérer le cinéma primitif comme un champ d’images, un dépôt d’invention figurative, un corps d’images singulières qui échappent, ou devraient échapper, à toute réduction par le discursif57.
Pour cerner ce supplément d’expression – à l’endroit d’un film « primitif » le plus simple qui soit (un plan fixe, un décor blanc sans profondeur) – spécifions ce que le médium cinématographique propose de plus que la vision de la seule performance scénique, indépendamment de leurs contextes respectifs de présentations. D’une part, ce supplément se loge dans les caractéristiques formelles de l’image, à savoir la bidimensionnalité donnée à la danse, restituée et cadrée en une image rectangulaire noir et blanc, d’une certaine qualité perceptuelle, dont la faible résolution numérique, ici, contribue à son abstraction formelle. D’autre part, ce supplément est donné par les caractéristiques de reproductibilité du médium, à savoir la possibilité de donner une autre existence à cette performance, effectuée il y a cent vingt ans, et pouvant se rejouer et se répliquer à l’identique sous nos yeux, indéfiniment.
Le film d’un seul plan fixe, cadre et donc pose l’attention sur la performance, dont les mouvements ne débordent pas des limites du champ, en la détachant littéralement du reste du monde, en la rendant visible. 112L’éclairage zénithal accentue le contraste de l’image en noir et blanc et transforme les danseurs en silhouettes, procédant d’une abstraction formelle, accentuée par le mouvement des tissus, le tournoiement et la fusion des corps. Cette indistinction, cette absence de détails figuratifs, créent un effet d’irréalité, redécoupant pour ainsi dire le réel d’une manière nouvelle, dans le déroulement du film au présent.
Pour peu qu’on lui prête une attention aussi intense qu’un poème de Salmon (décrypté, lui, par les protocoles de lecture d’une éducation littéraire), ce visionnement peut devenir sujet d’une expérience esthétique tout aussi signifiante. Celle-ci est secondée par notre savoir du statut documentaire et reproductible du film, susceptible d’ajouter un degré d’affect supplémentaire à l’expérience : l’émotion d’un passé surgissant au présent, une danse silencieuse, hissée en figure qui se joue pour n’importe qui, n’importe quand. Ainsi, les silhouettes aperçues sont des corps à la fois vrais, à la fois faux. Leur danse, rendue visible et célébrée en quelque sorte par l’image cinématographique, fait événement. La figuration de cette danse entre un homme et une femme, dont seuls les corps s’expriment, en silence, semble alors endosser les dimensions mythiques d’une origine. Ce serait là une lecture primitiviste, productrice d’art. Il serait donc à ce titre possible de hisser ce film au statut de poésie, par les pouvoirs d’un mode d’engagement qui ressemblerait à « l’enchantement » décrit par Rita Felski, à savoir une forme « d’absorption totale […] de plaisir intense et énigmatique », qu’il s’agirait de réhabiliter dans la conduite savante, en faisant se rejoindre une expérience esthétique jusque-là trop scindée et stratifiée socialement. Pour Felski, il faut prendre le chemin du lâcher prise :
Une fois que nous aurons fait face aux limites de la démystification en tant que méthode critique et idéal théorique, une fois que nous aurons renoncé au dogme moderne selon lequel nos vies devraient être complètement désenchantées, nous pourrons véritablement commencer à nous intéresser aux qualités affectives et absorbantes, sensuelles et somatiques de l’expérience esthétique58.
113Plutôt qu’une valorisation de la « basse » culture, en prétendant la hisser à la hauteur d’une hypothétique mesure esthétique, j’ai tenté de montrer ce qu’un film « primitif » propose de neuf et d’étrange, et qui concerne la sphère de la perception, comme de la vision.
Poésie du primitif
Il faut chercher la poésie là où nous ne la mettons pas, il faut la chercher partout59.
L’art « primitif », s’il peut prendre consistance à travers un objet tel que le film de cette Tough dance, est de fait une invention esthétique, au sens où l’analyse a permis de le construire et de le légitimer. Le terme « primitif » désigne alors les interprétations portées par un médium qui devient sujet de perception, mais non moins tributaire du régime de croyance de celle ou celui qui lui porte attention. Les connotations péjoratives du terme – dont il est impossible de se débarrasser – pourraient forcer l’usage de guillemets de modalisation, marquant l’expression d’une réserve, d’une mise à distance énonciative, mais qui fait porter au lecteur l’exigence d’un travail interprétatif, en dédouanant l’énonciateur de tout engagement. Peut-être faut-il dès lors s’engager sans guillemets, pour faire apparaître de front toute la tension que sa charge sémantique contient. Dire que cette Tough dance n’a rien de « primitif », au sens péjoratif du terme, oblitère d’une certaine façon toute sa richesse esthétique. S’il existe un avantage à désigner ce film comme primitif, c’est pour le reconnaître et lui donner voix, dans le jeu des valeurs qui ne cessent de mettre l’esthétique en tension.
114Alors que le poème de Salmon évoque l’étrangeté mortifère des ombres dansantes pour « le poète » de son temps, l’analyse des ombres figurées dans A Tough dance ouvre à des interprétations non moins étranges et enchantées, jamais éloignées d’une dynamique primitiviste, qui semble travailler constamment les relations. Si la muse prend d’ordinaire les traits d’une femme, ici elle est fille d’un « rayon lumineux fascinant » comme l’écrivait Reverdy : fascinant, du latin fascinare « faire des charmes, des enchantements60 ».
Nadejda Magnenat
Université de Lausanne,
Fonds national suisse
Annexe
Le Poète au Cabaret61
À Guillaume Apollinaire
La danse des bandits et des épileptiques
S’allonge à la clarté des lampes électriques –
Tes sœurs, pâle miroir des mauvaises fortunes,
Lune, vivant péché du cadavre nocturne.
Les rêveurs excellents boivent au cabaret,
Certains, rongés d’ennuis et de remords muets,
Honnis des filles et des valets harassés,
Griffonnent d’affreux vers sur le marbre glacé,
Hurlant en orphéon des couplets déshonnêtes,
Ivres, certains croient voir sur la ville en goguette,
Pour forcer à l’extase et la Belle et la Bête,
Le gibet triomphal promis au bon poète.
Comme une courtisane ourlant ses yeux de khol
Ils fardent leur génie aux flammes de l’alcool
Et, las de tant souffrir étant si mal payés,
Quelques-uns font des mots pour se désennuyer.
Or, je suis sans génie et je ne suis pas ivre,
L’alcool ne m’offre pas ses caresses de cuivre,
J’ai refusé la paix sans obtenir la gloire,
Je ne sais pas aimer et je ne sais plus boire !
Au moins, dormir un peu dans la bonne chaleur
Des pipes éruptant et dans la bonne odeur
Des boissons, sans songer à tout le mal qu’on fait
Au pauvre criminel ignorant du forfait.
116Dormir, dormir un peu ! mais ça n’est pas possible,
On gueule ici ! Oh ! fuir aux campagnes loisibles,
Se mêler aux complots des gueux dans les luzernes !…
Non ! nos culs ont besoin du velours des tavernes.
Pourtant je sais un jour prochain où je fuirai
Aux bois sourds, palais d’ombre où les chênes sont rois62
Et dont les chemins nous mettent des fleurs aux doigts,
Mais ce soir c’est la noce, amis, ohé ! ohé !
La danse des bandits et des épileptiques
S’allonge à la clarté des lampes électriques
Et je souffre l’amour de tes rayons obliques
Lune, fardeau cruel au cœur des lunatiques.
117Bibliographie
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1 Donna Haraway, « Le témoin modeste : diffractions féministes dans l’étude des sciences », Manifeste Cyborg et autres essais, Paris, Exils, 2016, p. 311.
2 Jean-Luc Aka-Evy, « De l’art primitif à l’art premier », Cahiers d’études africaines – Prélever, exhiber. La mise en musées, vol. 39, no 155-156, 1999, p. 564.
3 Robert Goldwater, Le Primitivisme dans l’art moderne [1938], Paris, Presses universitaires de France, 1988, p. 18.
4 Le « cinéma » tel que nous le connaissons communément aujourd’hui, avec pour norme le long-métrage de fiction, est le résultat d’une « institutionnalisation généralisée de pratiques cinématographiques à visée narrative », la période dite des « premiers temps » lui est antérieure et constitue aujourd’hui un champ de recherche spécifique, Domitor, association internationale de recherche sur le cinéma des premiers temps : https://domitor.org/fr/ (consulté le 07/06/2022).
5 Notons que ces tensions entre « haute » et « basse » culture ont existé de tout temps et ont donné lieu à des inspirations fécondes, sans attendre l’apparition du cinéma, notamment vers le dernier quart du xixe siècle, entre la poésie symboliste et les arts scéniques populaires. Ma réflexion s’inscrit dans leurs prolongements, tout en soulignant la singularité de ce premier cinéma en tant qu’il apparaît comme un nouveau médium.
6 Voir Michel Décaudin, La Crise des valeurs symboliques, vingt ans de poésie française, 1895-1914 [1960], Paris, Honoré Champion, 2013, p. 249.
7 Guillaume Apollinaire, « L’esprit nouveau et les poètes », Mercure de France, t. CXXX, no 491, 1er décembre 1918, p. 386.
8 Voir Nadja Cohen, Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930), Paris, Classiques Garnier, 2014.
9 Pierre Reverdy, « L’Art du ruisseau », Minotaure, no 1, 1er juin 1933, p. 1.
10 Idem.
11 Idem.
12 Voir Philippe Ortel, « L’envers du cinéma dans la poésie de Pierre Reverdy », Poésie et médias. xxe-xxie siècle, Céline Pardo et al. (dir.), Paris, Nouveau Monde éditions, 2012, p. 27-52.
13 Pierre Reverdy, « Galeries », Nord-Sud, no 10, décembre 1917, p. 13.
14 Jean-Paul Crespelle en fait du moins état dans un ouvrage construit à partir des témoignages des acteurs de l’époque, Jean-Paul Crespelle, La Vie quotidienne à Montmartre au temps de Picasso, 1900-1910, Paris, Hachette, 1978, p. 191.
15 L’article relate par ailleurs l’intérêt de l’auteur pour l’archivage des films à la Bibliothèque nationale en vue d’écrire un ouvrage intitulé : « Comment le déroulement à rebours des films cinématographiques influe sur les mœurs ». – Pascal Hédégat, « Le Cinéma à la Nationale », L’Intransigeant, no 10828, 1er mars 1910, p. 1-2, Transcription disponible dans l’Observatoire de la vie littéraire (OBVIL), HyperApollinaire : http://obvil.paris-sorbonne.fr/corpus/apollinaire/(consulté le 07/06/2022).
16 Maria Dario a pointé les revers de positionnements qui ont jalonné la trajectoire littéraire de Salmon, et notamment les distances qu’il prend avec les avant-gardes au début des années 1910, Voir : Maria Dario, « Gageures tenues et paris gagnés ? Jeux et enjeux de la poésie d’André Salmon dans l’avant-guerre », André Salmon, poète de l’Art vivant, Michèle Monte (dir.), Université du Sud Toulon-Var, 2009, p. 150-151.
17 André Salmon, Souvenirs sans fin, deuxième époque (1908-1920), Paris, Gallimard, 1956, p. 88.
18 Idem.
19 Ibid., p. 89.
20 Je me permets de renvoyer à mon article, « Max Jacob et le cinématographe », Les Cahiers Max Jacob, no 15/16, octobre 2015, p. 59-74.
21 Max Jacob, « Le Christ au Cinématographe », Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2011, p. 488.
22 « Le premier film est idiot, le second film est idiot, le troisième film… Enfin l’Amérique, espoir », écrivait Pierre Reverdy en 1918, dans « Cinématographe », Nord-Sud, octobre 1918, p. 8. Pour Blaise Cendrars, en 1925, « [l]e cinéma est une invention formidable ! Mais s’il a une influence sur moi, c’est surtout par ses premiers films, qui étaient idiots mais merveilleux. C’est là qu’il y avait véritablement une découverte, quelque chose de nouveau », « Interview de Blaise Cendrars sur le cinéma, par François et André Berge [1925] », Rencontres avec Blaise Cendrars 1925-1959, Claude Leroy (éd.), Paris, Non Lieu, 2007, p. 26.
23 André Salmon, Souvenirs sans fin, deuxième époque (1908-1920), op. cit., p. 88.
24 Anna LowenhauptTsing, Le Champignon de la fin du monde [2015], traduit de l’anglais par Philippe Pignard, Paris, La Découverte, 2017, p. 98.
25 Peter J. Bloom a pointé cette filiation en soulignant l’influence des thèses de Lucien Lévy-Bruhl sur l’hypothèse d’une « mentalité primitive » dans la constitution de l’institut. Voir Peter J. Bloom, « Refiguring the Primitive : Institutional Legacies of the Filmology Movement », Cinémas, vol. 19, no 2-3, printemps 2009, p. 169-182.
26 Tom Gunning, « “Primitive” Cinema : A Frame-up ? Or the Trick’s on Us », Cinema Journal, vol. 28, no 2, 1989, p. 4.
27 Précisons aussi que ce débat s’inscrivait dans le prolongement du fameux symposium de l’International Federation of Film Archive (FIAF) de Brighton en 1978, qui donna lieu à la redécouverte de la richesse et de la valeur des films des premiers temps. Qualifié de « rupture épistémologique », ce congrès a permis de revisiter l’histoire du cinéma en évacuant toute téléologie, rétablissant ainsi la valeur singulière des premiers films. Voir André Gaudreault, Denis Simard, « Du cinéma primitif au cinéma… des premiers temps », Journal of Film Preservation, avril 1994, vol. 23, no 48, p. 58.
28 « its apparent reversal in the image of a cinema of a lost purity and innocence ». Tom Gunning, « “Primitive” Cinema : A Frame-up ? Or the Trick’s on Us », op. cit., p. 4.
29 Ibid., p. 5.
30 Tom Gunning, « Le Cinéma d’attraction : le film des premiers temps, son spectateur, et l’avant-garde », 1895, Mille huit cent quatre-vingt-quinze, no 50 [1986], 2006 : http://journals.openedition.org/1895/1242 (consulté le 17/12/2021).
31 Noël Burch, La Lucarne de l’infini, naissance du langage cinématographique, Paris, L’Harmattan, 2007 [1991], p. 8.
32 Noël Burch, « Primitivism and the Avant-Gardes : A dialectical Approach », Narrative, Apparatus, Ideology – A Film theory Reader, Philip Rosen (éd.), New York, Oxford, Columbia University Press, 1986, p. 483-506.
33 Noël Burch, La Lucarne de l’infini, op. cit., p. 214.
34 Ibid.
35 Ibid., p. 215-16.
36 Kristin Thompson, « Chapter 3 – The formulation of the classical style, 1909-28 », The classical Hollywood cinema, David Bordwell, Janet Staiger, Kristin Thompson (éd.), Londres, Routledge, 1985, p. 247.
37 Jacques Aumont, « Quand y a-t-il cinéma primitif ? ou Plaidoyer pour le primitif », Le cinéma au tournant du siècle, Cinema at the Turn of the Century, Claire DupréLaTour, André Gaudreault, Roberta Pearson (éd.), Québec/Lausanne, Éditions Nota bene / Éditions Payot, 1999, p. 17-32.
38 Ibid., p. 19.
39 Ibid., p. 27.
40 Anna LowenhauptTsing, op. cit., p. 168.
41 Martin Barnier, Laurent Jullier, Une brève histoire du cinéma (1895-2015), Paris, Fayard, 2017, p. 42.
42 André Gaudreault, op. cit., p. 112-113.
43 Henry Delormel, « Essais d’Immoralisme [ch. 1, Courtisanes modernes] », La Revue immoraliste, no 1, avril 1905, p. 2.
44 Comme Le Festin d’Ésope, Les Lettres modernes n’a qu’un numéro, en mai 1905.
45 Michel Décaudin, op. cit., p. 259.
46 Voir le poème en annexe, supra.
47 André Salmon, « Le Poète au Cabaret » [Les Lettres modernes, mai 1905, p. 11], Poèmes, Paris, Vers et prose, 1905, p. 29.
48 Rae Beth Gordon, De Charcot à Charlot : Mises en scène du corps pathologique, Rennes, PUR, 2013, p. 84.
49 François Albera, « Le paradigme cinématographique », 1895, Mille huit cent quatre-vingt-quinze, no 66, printemps 2012, p. 8-33.
50 André Salmon, « Le Poète au Cabaret », op. cit. Voir supra.
51 Michel Décaudin, op. cit., p. 262.
52 Jacqueline Gojard, « L’œuvre d’André Salmon ou la fable de l’Art vivant », André Salmon, poète de l’Art vivant, Michèle Monte (dir.), Université du Sud Toulon-Var, 2009, p. 28.
53 André Salmon, « Le triste époux et ses épouses mortes », Fééries, Paris, Vers et prose, 1907, p. 10.
54 Une copie du film est disponible en libre consultation sur le site de la Library of Congress : https://www.loc.gov/item/96520498/ (consulté le 07/06/2022).
55 Ibid. (je traduis).
56 L’origine de cette Tough dance américaine proviendrait d’une pratique hybride de diverses danses ethniques (afro-américaines, irlandaises, polonaises, italiennes, …) présentes à New York vers 1902. La fameuse « danse apache » parisienne, née d’une adaptation du cake walk, lui-même importé des États-Unis à la même période, partagerait donc une même filiation. Voir, : Christopher Tremewan Martin, How the waltz has won : towards a Waltz Aesthetic, Ph. D/Thèse, Université de Maryland, College Park, 2010, p. 109 : http://hdl.handle.net/1903/10752 (consulté le 07/06/2022) ; ainsi que Richard Powers, « The hidden story of the Apache dance », Université de Standford, 2012 : https://socialdance.stanford.edu/Syllabi/Apache1.htm (consulté le 07/06/2022).
57 Jacques Aumont, « Quand y a-t-il cinéma primitif ? ou Plaidoyer pour le primitif », op. cit., p. 27.
58 Rita Felski, Uses of Literature, Oxford, Blackwell Publishers, 2008, p. 76 : « Once we face up to the limits of demystification as a critical method and a theoretical ideal, once we relinquish the modern dogma that our lives should become thoroughly disenchanted, we can truly begin to engage the affective and absorptive, the sensuous and somatic qualities of aesthetic experience ». Je traduis.
59 Marcel Mauss, Manuel d’ethnographie, [1926], Chicoutimi, Édition électronique de l’Université du Québec et de la Bibliothèque Paul-Émile Boulet, 2002 : http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/manuel_ethnographie/manuel_tdm.html (consulté le 07/06/2022).
60 Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) : https://www.cnrtl.fr/definition/(consulté le 07/06/2022).
61 André Salmon, Poèmes, Paris, Vers et prose, 1905, p. 29-31 ; première publication dans Les Lettres Modernes, no 2, mai 1905, p. 11-16.
62 Ces deux vers étaient un peu différents dans la première publication en revue : « Pourtant je sais un jour prochain et m’enfuirai / Aux bois sourds, palais où les chênes sont rois ». Il s’agit peut-être de coquilles puisque la mesure métrique du second vers n’y était pas.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-15120-3
- EAN: 9782406151203
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15120-3.p.0093
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-20-2023
- Language: French
- Keyword: Poésie, cinéma des premiers temps, cinéma primitif, intermédialité, Reverdy, Salmon