De vive voix Reviviscences modernistes du « conteur »
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Le Primitivisme des avant-gardes littéraires
- Author: Sermier (Émilien)
- Pages: 73 to 91
- Collection: Encounters, n° 595
- Series: Twentieth and twenty-first century literature, n° 46
De vive voix
Reviviscences modernistes du « conteur »
J’ai la faiblesse de me croire un grand talent de conteur1.
Apollinaire
À rebours d’une modernité ayant déconnecté la narration de toute oralité au profit de ce qu’Alain Vaillant appelle la « littérature-texte2 », bien des poètes modernistes renouent avec des formes de « littérature-discours », plus vivantes et plus incarnées. Contre Flaubert, contre les narrations impersonnelles et contre les littératures dont la valeur se mesure à la seule beauté sculpturale de la phrase écrite, des écrivains comme Pierre Albert-Birot, Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Max Jacob, Pierre Mac Orlan, Victor Segalen ou encore Jules Supervielle entendent réinsuffler de la « vie » dans la narration – tout particulièrement en régénérant la figure du conteur.
Figure immémoriale dont Walter Benjamin déplorera la disparition à l’ère des temps modernes (on y reviendra, bien sûr), le conteur est au centre de maintes productions modernistes. Grands lecteurs des Mille et une nuits, les écrivains non seulement font valoir dans leurs fictions toute une série de figures à la parole envoûtante ou spectaculaire – aèdes, troubadours, enchanteurs, bonimenteurs, griots, récitants maoris ou « conteurs de guitounes3 » –, mais eux-mêmes se font à leur tour conteurs dans leurs écrits. Parallèlement à leur intérêt pour la chanson ou 74la romance en poésie, ils renouent en prose avec des formes anciennes et populaires – le conte (pour enfants), l’épopée, la geste médiévale – dont ils reprennent volontiers des procédés énonciatifs et scénographiques.
De tels ressourcements narratifs n’entrent-ils pas, dès lors, en convergence avec les sensibilités primitivistes des auteurs ? On verra qu’il existe plusieurs corrélations entre ces éléments formels et les thématiques primitivistes, associés à tout un faisceau de valeurs similaires. Isabelle Krzywkowski l’avait d’ailleurs bien perçu, en se référant au contexte des années 1910-1920 : « l’une des conséquences des réflexions sur le “primitif” est qu’elle permet d’intégrer des formes d’arts jusqu’alors non reconnues », à l’image des arts populaires ou oraux qui offrent des « formes d’expression plus spontanées4 ». C’est donc dans le sillage de ses travaux formels et ceux d’Henri Meschonnic que nous observerons comment certains écrivains modernistes recyclent des traditions narratives éloignées dans le temps (ou dans l’espace) pour revivifier les formes du récit, à l’instar d’Albert-Birot recherchant le « souffle » des « premiers hommes » dans Grabinoulor. Soyons plus précis encore : nous montrerons de quelles manières tous ces écrivains-conteurs élaborent des récits, non pas forcément oralisés, mais bien plutôt vocalisés.
Du conte : récits
avec « qualité d’enfance supposée »
Tout commence, souvent, par le conte. À l’orée de leur carrière en prose, Apollinaire, Cendrars ou Max Jacob s’illustrent par l’édition de quelques contes. Non pas des textes tels qu’en a vu fleurir le xixe siècle littéraire, qui prennent souvent l’allure de nouvelles fantastiques menées à la première personne du singulier (c’est pourtant le cas, parfois, chez Apollinaire). Mais plutôt des contes de type merveilleux et légendaire, ancrés dans des traditions orales et populaires, proches de ceux pour enfants. Les sensibilités primitivistes de l’époque ont en ce sens naturellement porté les écrivains vers ce type de récit, qui recèle nombre de 75valeurs alors recherchées par les artistes – « l’étrangeté, l’exotisme, une qualité d’enfance supposée, un mystère5 », selon les mots de Meschonnic – tout en permettant un travail sur la voix narrative.
L’ère coloniale a sans nul doute favorisé l’intérêt des artistes pour les contes étrangers, issus de civilisations elles-mêmes perçues comme mythiques et primordiales. En témoigne bien l’énigmatique tableau de Paul Gauguin, Contes barbares (1902), dont on ne sait trop si le titre fonctionne de manière thématique ou rhématique : ne semble-t-il pas assimiler une scène de la vie en Polynésie à l’univers originel et fabuleux d’un conte mythologique ? C’est cependant avec nostalgie que Gauguin représente ici une sorte de paradis perdu, comme l’a noté Philippe Dagen6, en figurant une conversation entre une Marquisienne et une sorte de Bouddha androgyne, écoutée par un Occidental aux allures diaboliques. Autrement dit, à la fois en tant que genre narratif et en tant qu’objet ethnologique, le conte apparaît doublement « primitif ». L’exemple littéraire le plus net, à cet égard, est sans nul doute celui de Blaise Cendrars : son premier véritable livre publié est une Anthologie nègre (aux Éditions de la Sirène en 1921), qui rassemble plusieurs contes venus d’Afrique. L’écrivain, dans sa préface, présente d’abord ces textes en tant qu’objets culturels :
J’ai reproduit ces contes tels que les missionnaires et les explorateurs nous les ont rapportés en Europe et tels qu’ils les ont publiés. […] L’étude des langues et de la littérature des races primitives est une des connaissances les plus indispensables à l’histoire de l’esprit humain7.
Mais l’intérêt n’est évidemment pas que documentaire : à l’image de Picasso ou de Derain se réappropriant des fétiches africains, Cendrars s’empare de contes issus des colonies pour les manipuler et les transformer à sa manière en objets artistiques. Car en éditant, en réagençant et même en retouchant un matériau africain, il s’en fait à sa manière le ré-énonciateur créatif, et même plus : comme l’a bien montré Christine Le Quellec Cottier8, il assume en quelque sorte le rôle du « griot » des 76traditions de l’Afrique de l’Ouest, à savoir celui d’un récitant dépositaire d’histoires orales et d’une mémoire communautaire – une sorte de rhapsode africain.
Reste que c’est surtout avec ses Petits Contes nègres pour les enfants des blancs (1928) que Cendrars réécrit plus largement des contes africains, dont il accentue souvent la dimension oralisante. Tout se passe en effet comme s’il s’agissait de recréer, à l’écrit et dans l’espace du livre, la parole vive des conteurs. Parmi divers procédés employés pour créer un effet d’oralité (répétitions, interrogations, listes), l’un des plus marquants relève sans doute de la disposition typographique – comme dans cet extrait du conte « Le Vent », qui met en avant un protagoniste non humain au sein d’un décor élémentaire :
Et il [le vent] se met en colère et ravage tout, les plantations et le reste, et il fait très peur aux hommes enfermés dans le village. Quand il a réussi à renverser la grande paillote du chef, il est content et remonte très haut en l’air.
On dit alors qu’il plane.
L’eau se ride à peine.
Avez-vous remarqué que le vent n’a pas d’ombre, même pas quand il rôde tout autour du soleil, en plein midi ?
C’est bien un magicien.
C’est pourquoi il est changeant.
C’est le fils de la Lune et du Soleil9.
On le voit : cette prose ô combien élastique réduit souvent le paragraphe à l’unité de la phrase, donnant lieu à toute une série de « phrasagraphes10 », pour reprendre le joli néologisme d’Emmanuel Rubio. Or, cette expressivité typographique est loin d’être anodine, tant elle contribue avec les reprises anaphoriques (« C’est ») à inscrire un rythme, un phrasé, une voix et, pour tout dire, un corps dans le texte. Un tel exemple confirme dès lors pleinement les réflexions d’Henri Meschonnic, pour qui « l’oralité » – qui n’est pas le « parlé » – désigne « l’intégration du corps et de la voix dans le discours » ; elle met « du corps dans le langage11 » 77en donnant l’impression d’une « présence ». Or, Meschonnic s’élevait justement contre l’idée d’« un modernisme » qui serait « désoralisé » en raison de ses « recherches graphiques » : au contraire, « une poétique de la typographie, et du visuel, loin d’être étrangère à l’oralité, peut montrer la relation entre l’oral et le visuel12 ». Car le rythme n’est pas qu’une question d’ouïe, mais aussi de vue ; et ces « rythmes visualisés » rendent ici palpable et tangible la trace de l’énonciateur-conteur. C’est donc par un moyen essentiellement textuel, et même livresque, que Cendrars parvient ici à produire un effet de voix.
On trouve aussi des effets de voix, quoique sur un tout autre ton, chez Max Jacob – qui a pour sa part toujours valorisé les formes d’expression « naïve ». À l’en croire, en effet, « le lyrisme à l’état pur se trouve dans quelques romances populaires et dans les contes d’enfants13 ». Dès ses débuts, l’écrivain a ainsi exploré le genre du conte, en particulier dans son petit conte médiévisant pour enfant, « Histoire du roi Kaboul 1er et du marmiton Gauwain », paru en 1904 chez Picard et Kaan dans une collection intitulée « Bibliothèque d’éducation récréative ». Si, comme l’avait bien relevé Gabriel Bounoure, la prose de Max Jacob ne fuit rien tant que « l’immobilité du roman écrit14 », l’écrivain traite ici le discours narratif comme une parole impromptue voire improvisante. À l’encontre du paradigme de la « littérature-texte », son écriture affiche une allure étonnamment capricante :
À partir de ce jour-là, Gauwain travailla, travailla, travailla tant et tant, tant et tant qu’il connut toutes les recettes par cœur et en inventa plusieurs autres, de sorte qu’il était le meilleur cuisinier du monde […]. François, qui avait seize ans et qui étudiait tous les soirs la chimie et la botanique alimentaires, avait composé avec de l’anis, du sucre, de l’orange, des acides et du serpolet de Hongrie une poudre blanche qui devait donner aux desserts un goût délicieux, et dont il désirait éprouver la force15.
Le récit se déroule comme s’il s’écrivait en quelque sorte à haute voix. Or, cette écriture sautillante et faussement ingénue, Max Jacob l’a 78consciemment cherchée : « Je n’ai jamais poli mon style et regratté les que, les qui et les virgules comme je le fis pour ce conte que je voulais parfait16. » Autrement dit, l’idéal du style « parfait » se situe ici aux antipodes de celui que pouvait prôner un Flaubert – qui ne tolérerait évidemment pas ces répétitions et ce trop-plein de subordonnées.
À l’instar de Cendrars, Max Jacob présente sa prose comme un « conte pour enfant ». On peut évidemment se demander dans quelle mesure ces récits sont véritablement adressés à des enfants. Cette catégorie de récit témoigne du moins de l’attrait des modernistes pour toute « qualité d’enfance supposée » (Meschonnic), tout en renvoyant à un contexte de lecture orale et partagée, destinée à des auditeurs ne sachant pas forcément lire – bien plus qu’à la lecture silencieuse et solitaire des adultes. Tout se passe en effet comme si, à partir du conte pour enfants et à partir de leurs scénographies énonciatives, les écrivains entendaient renouer avec un type de narration plus vivante, plus transitive et relationnelle, plus joueuse aussi, tout en subvertissant au passage la « grande » littérature-texte.
Comme une sorte de paradis perdu, et loin de tout archétype réaliste, le modèle du conte pour enfant va ainsi jusqu’à imprégner de manière plus ou moins amusée, ou plus ou moins nostalgique, certains romans des années 1910-1920. Car la figure du conteur n’est pas exclusive au genre du conte. C’est le cas chez Jules Supervielle, chez qui l’imaginaire merveilleux et les procédés énonciatifs du conte servent d’arrière-pays à de nombreux récits. Outre ses contes proprement dits (L’Enfant de la haute mer, 1931), le roman fabuleux qu’est L’Homme de la pampa (1923) – souvent qualifié par la critique de « conte17 » – joue avec les scénographies du conte pour enfant, tout en ancrant le récit dans la géographie sud-américaine et les « paysages originels18 » d’un écrivain né à Montevideo. D’emblée, en exergue du livre, Supervielle annonce : « J’ai écrit ce petit roman pour l’enfant que je fus et qui demande des histoires. Elles ne sont pas toujours de son âge ou du mien, ce qui est l’occasion de voyager l’un vers l’autre […]19 ». Quoi qu’il en soit, ce « voyage » à travers les âges se 79vérifie sur un plan narratif. Dans le souvenir des contes pour enfants ou des narrations de Shéhérazade, le roman a la particularité de progresser à coups de relances interrogatives qui entretiennent la curiosité et la tension narrative : « Pourquoi ses mains tremblaient-elles ainsi quand il la toucha [la valise] ? Et que pressentait-il ? Qu’y avait-il là-dedans ? Un brûle-parfums, peut-être20 ? » Mais ces questions intrigantes se révèlent par moments plus incongrues ; et, loin d’accentuer la part dramatique de l’histoire, elles participent alors au déploiement d’un lyrisme rêveur et chatoyant, faisant divaguer le discours loin de l’intrigue : « Ses premières années ne reposaient-elles pas aux vivaces frontières de sa mémoire dans un berceau gardé la nuit par la lune bleue des pampas et le jour par un couple de vanneaux aux cris si aigus qu’il les entendait encore21 ? » Ainsi, Supervielle mêle-t-il ingénuité enfantine et ingéniosité littéraire, en produisant un « petit roman » qui n’est effectivement pas toujours de « l’âge » d’un enfant, mais qui entend rappeler chez l’adulte la faculté d’émerveillement des premiers récits entendus.
En effet, le genre du conte – symboliquement très souvent relié à la notion d’enfance et diversement associé aux notions de primitif (Cendrars), de populaire (Jacob) ou d’originel (Supervielle) – sert-il de ressource voire de laboratoire narratif pour plusieurs poètes modernistes. Désireux de renouer avec l’ethos prestidigitateur des conteurs dont la parole envoûterait autant que l’histoire elle-même, ils prolongent également la veine « vocale » du conte dans leurs romans. Plusieurs textes, de fait, revivifient la figure du « récitant ».
80Figures de « récitant » :
des narrations vocales
Lorsqu’ils se font romanciers, les poètes modernistes gardent volontiers les modes énonciatifs du conte. À maintes reprises, dans leurs textes, le plan du discours l’emporte sur celui de l’histoire, tant la parole spectaculaire de l’énonciateur parasite et recouvre l’intrigue. Tout se passe comme si le fait de conter importait plus encore que celui de raconter. C’est le cas dans L’Or (1925) de Blaise Cendrars, qui se déroule sur une autre terre des commencements (l’Amérique de l’Ouest). Relisons, pour s’en convaincre, ce passage extrait des premières pages :
Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui, les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n’en disent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws, les trafiquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous parlent de l’Ouest, ne parlent en somme que de l’Ouest.
L’Ouest.
Mot mystérieux.
Qu’est-ce que l’Ouest22 ?
Le narrateur, qui joue un peu le rôle d’un bonisseur ici, se fait le porteur et le colporteur des récits du monde entier autour de l’Ouest. Il n’y a, cependant, aucun locuteur explicitement mis en scène. Et pourtant, il y a incontestablement une « présence » : celle-ci se manifeste non seulement par l’usage d’un présent actualisant, mais surtout par une série de listes nominales, de reprises et de retardements syntaxiques, de relances interrogatives, de rythmes typographiques qui donnent « corps » au discours. Par sa remarquable vigueur énonciative, l’écriture confère à la narration une verve proprement épique, de telle sorte que Cendrars apporte ainsi une profondeur légendaire à son roman biographique – lui-même ayant entendu au préalable « plusieurs versions orales23 » de la vie 81de Johan August Suter (dont celle de son oncle, comme s’en souviennent les lecteurs du Panama). Ainsi le roman ravive-t-il, par et dans l’écriture, la figure de celui que Cendrars appelle ailleurs le « récitant24 ».
Ce terme n’est pas anodin. Figure symbolique de la mémoire et de la reprise, le récitant est par définition lié à des traditions orales et ancestrales qu’il entretient et prolonge. De fait, il n’est pas hasardeux que cette figure soit thématiquement déjà au cœur des Immémoriaux (1907) de Victor Segalen. Souvenons-nous : dans ce roman qui relate la mort de la civilisation maorie au contact de missionnaires anglais imposant leurs « nouveaux parlers25 » en Polynésie, l’écrivain insiste sur la disparition des langues indigènes mais aussi de leurs récits mémoriels communs. Le protagoniste, Térii le Récitant, apparaît, en effet, comme l’héritier des grands « récits des Maîtres » que les colons condamnent à l’oubli. L’incipit du livre situe d’ailleurs le personnage dans une temporalité pré-coloniale et mythique :
Cette nuit là – comme tant d’autres nuits si nombreuses qu’on n’y pouvait songer sans une confusion – Térii le Récitant marchait, à pas mesurés, tout au long des parvis inviolables. L’heure était propice à répéter sans trêve, afin de n’en pas omettre un mot, les beaux parlers originels : où s’enferment, assurent les maîtres, l’éclosion des mondes, la naissance des étoiles, le façonnage des vivants, les ruts et les monstrueux labeurs des dieux Maori26.
Nous voici donc « comme jadis aux temps des beaux récits27 ». Tout au long du livre, le narrateur laisse d’ailleurs souvent la parole aux Maoris, afin de faire résonner leurs discours païens et leurs « récits originels28 », scandés dans une rhétorique cérémonielle et anaphorique29. Face à ces bribes de paroles déjà morcelées et dispersées par le récit, le narrateur reste donc relativement discret et impersonnel, évitant la posture envahissante des auteurs de récits « exotiques » pour tendre plutôt à une 82attitude « ethnologique30 » face aux discours d’autrui. Mais ce narrateur n’est pas totalement effacé, bien qu’il n’intervienne jamais à la première personne : par son goût des listes, des métaphores, des adverbes de relance (« Alors », « D’abord », « Puis ») et des épithètes homériques31, il s’apparente volontiers à un aède dont la parole, aux limites du chant, réinscrit une veine épique dans le cadre narratif, apte à exprimer les destins collectifs des Maoris.
Tous ces « récitants » n’apparaissent-ils pas, en fin de compte, comme des avatars de l’Erzähler tel que le décrira peu de temps après Walter Benjamin ? Ces entreprises narratives rejoignent du moins les réflexions ultérieures de l’essayiste allemand dans Der Erzähler, paru en 1936 et traduit généralement en français par « Le Conteur » plutôt que par « Le Narrateur ». De fait, là où le terme de « narrateur » désigne généralement une instance interne au discours, voire impersonnelle, celui de « conteur » se rapporte directement à celui qui énonce une histoire32. Or chez Walter Benjamin, le « conteur » a la particularité de désigner une figure historique, archaïque et primitive, que la modernité occidentale aurait totalement occultée. Sous le double coup de l’essor du roman à l’ère de l’imprimerie, et du triomphe de la technologie et de la reproductibilité industrielle, la faculté de transmettre et de partager des histoires aurait disparue – et, avec elle, l’aura du conteur. Car ces éléments auraient « éliminé le récit du domaine de la parole vivante » (« die Erzählung ganz allmählich aus dem Bereich der lebendigen Rede entrückt hat ») :
Le premier indice du processus qui devait aboutir au déclin du récit est l’apparition du roman au début des Temps modernes. […] Le roman se distingue de toutes les autres formes de prose littéraire – des contes, des légendes et même des nouvelles – en ce qu’il ne provient pas de la tradition orale, et n’y conduit pas davantage […] Le romancier, lui, s’est isolé. Le lieu de naissance du roman, c’est l’individu dans sa solitude […] Celui qui écoute une histoire se trouve en compagnie du conteur : même celui qui la lit partage cette compagnie. Le lecteur de roman, lui, est solitaire33.
83Dans une perspective socio-historique, Benjamin défend ainsi une esthétique et une éthique du récit, ancré dans l’oralité et la communauté, tout en dévalorisant le roman moderne et la lecture solitaire qui participeraient d’une individualisation générale, dans laquelle la relation et la communication seraient défaites. Plus qu’aucun autre, le roman réaliste du xixe siècle illustre cette thèse, et c’est d’ailleurs contre le Flaubert de L’Éducation sentimentale34 que Walter Benjamin promeut Nikolaï Leskov, dont les récits parviennent selon lui à réintégrer à l’écrit la figure de l’Erzähler. Il est vrai que les proses de Leskov relèvent d’un type de discours narratif particulier, le skaz (le « dit » ou le « conte oral », en russe), que les formalistes russes entreprennent justement de remettre à la surface dans les années 1920, que ce soit dans leurs textes théoriques (Boris Eichenbaum) ou leurs récits fictionnels (Alekseï Remizov, Mikhaïl Zochtchenko ou Isaac Babel), comme l’a bien rappelé Catherine Géry35. À partir d’un matériau fictionnel issu des cultures populaires et folkloriques, et dans une visée parfois assez nationale, le skaz se donne comme un récit conté, visant à créer une illusion de présence et à transformer le lecteur en un auditeur contemporain de l’acte d’énonciation.
On l’aura donc compris : dans le sillage de Segalen et bien avant le constat de Benjamin, mais dans un esprit moins nostalgique qu’euphorique, les modernistes français remettent au premier plan le « conteur » au sein même du roman, en forgeant des narrations incarnées et adressées à un lecteur-auditeur fictif. Quand bien même la lecture reste fatalement une activité solitaire, les dispositifs scénographiques de leurs récits tendent à en conjurer l’isolement par des effets de présences et d’interpellations. Dans le souvenir des contes, mais à l’heure également où les bonimenteurs de cinéma narrent les films muets et où les 84premiers enregistrements audio apparaissent36, et à la croisée ainsi du plus ancien et du plus moderne, tout se passe comme si la narration ne voulait pas rester lettre morte, comme si elle voulait faire oublier son statut de texte imprimé pour mimer la parole orale.
Mais il faut ici établir une distinction. Car les récits d’Apollinaire, de Cendrars, de Jacob ou de Supervielle, tout comme le skaz, ne se confondent pas avec les « romans parlants » des années 1930, tels que les a mis en évidence Jérôme Meizoz37. Les romans de Poulaille, de Queneau ou de Céline développeront, en effet, une tout autre forme d’oralité. Pour mieux saisir cette différence, rappelons la distinction opérée par Gilles Philippe qui différencie efficacement « un paradigme oral », « dicté par le souci de rendre compte de la langue telle qu’elle se parle » (et qui correspond aux romans étudiés par Meizoz), et un « paradigme vocal », « justifié par la volonté de renouer avec la parole comme médium sonore38 ». Autant les romans oraux témoignent d’un souci socio-linguistique en intégrant des parlers argotiques, ouvriers, prolétariens ou paysans dans la prose littéraire (avec un travail philologique marqué sur la grammaire et le vocabulaire), autant les romans vocaux cherchent plutôt à créer un effet de présence en incorporant dans le discours les inflexions, les détours, les rebonds, les bredouillements, les mouvements d’une parole parlée, avec un travail sur l’énonciation et la scénographie. Or, les modernistes, dans les années 1910-1920, cherchent moins à écrire un « sociolecte » qu’une « voix », afin de retrouver les rythmes (Cendrars), les rebonds (Jacob), les divagations (Supervielle) d’une parole récitante.
85N’est-ce pas pour cela que les modernistes, en quête de vocalisation narrative, ont été si intéressés par deux genres pré-romanesques et pré-gutenbergiens – à savoir l’épopée et le récit de geste médiéval ? À l’instar du conte, en effet, ces deux formes narratives mettent en avant l’ethos du poète-conteur.
Épopées et gestes médiévales :
des narrations de poètes ?
On sait l’attrait de Pierre Albert-Birot pour les époques historiquement reculées (notamment médiévales39) en même temps que pour les inventions techniques de la modernité (phonographiques surtout). Auteur de « poèmes à crier et à danser », il est également l’auteur d’une vaste épopée, Grabinoulor : commencée dès 1918 et s’étendant finalement sur six « Livres » de plus de mille pages que l’auteur aura rédigées toute sa vie durant, Grabinoulor est une vaste fable dans laquelle le protagoniste éponyme traverse les temporalités et les espaces en toute décontraction, mais aussi les bibliothèques, rencontrant notamment Homère, Virgile ou les Chevaliers de la Table ronde. Les références les plus éloignées se mêlent et se croisent en toute fluidité. Or, pour composer cette fable narrative, Albert-Birot non seulement réactive un genre antique (l’épopée), mais il supprime aussi toute ponctuation afin de réinsuffler dans la narration un « souffle poétique ». Comme lui-même l’explique dans sa préface en se référant à des temps primordiaux, son enjeu est de retrouver en prose une puissance sensitive et organique que la modernité, toute rationnelle et cérébrale, aurait rejetée :
La ponctuation est une invention assez récente et que dans une certaine mesure on peut attribuer à une époque de décadence.
Les premiers hommes qui aient écrit n’ont pas éprouvé le besoin de faire cette invention parce que ces hommes étaient des poètes et que la poésie – qui elle ne raisonne pas – n’a aucun besoin de marquer les temps qui correspondent à 86l’opération graduelle du raisonnement […] (Ce que je viens de dire se rapporte bien entendu à des temps quasi préhistoriques ou protohistoriques).
En considérant les temps modernes je ne veux point rappeler les premiers livres imprimés qui ne portaient pas de signes de ponctuation40.
Réactivant ici le mythe d’un Éden perdu, Albert-Birot l’imagine habité par une humanité de poètes, la poésie étant présentée comme un état antédiluvien qui se serait peu à peu dégradé avec l’essor de la raison. On sait cependant que l’invention, ou du moins une certaine codification, de la ponctuation a lieu autour du iie siècle avant J.-C., et qu’elle nécessitera encore de nombreux siècles pour être systématisée (après Gutenberg encore). De telle sorte que, dans l’Antiquité grecque (et en partie romaine), les mots n’étaient pas même séparés par des blancs : si Albert-Birot n’a pas été jusqu’à renouer avec la scriptio continua, ce phénomène n’a pas manqué d’alerter un autre moderniste parmi les plus érudits de son temps, Charles-Albert Cingria, enthousiasmé par la prose non ponctuée de Grabinoulor, allant jusqu’à surenchérir : « c’est ce que devrait être l’écriture toujours, mais plus encore, et les mots ne devraient pas être séparés41. » Les mots restent cependant séparés, Albert-Birot sauvegardant ainsi le confort de lecture – et la possibilité d’une profération orale : l’auteur n’invite-t-il pas, dans sa préface, les lecteurs de Grabinoulor à lire « à haute voix », surtout à une période où les livres sont « généralement lus des yeux42 » ? La lecture par la bouche devient alors un nouvel horizon du texte, et l’on sait que l’ouvrage d’Albert-Birot fera l’objet de plusieurs lectures publiques dans le cadre des « dîners Grabinoulor » organisés dès les années 1930 par Jean Follain. Rejouant avec humour la tradition orale de l’épopée, son ouvrage réussira ainsi à recréer une communauté sous la forme de réunions aux allures de festins.
L’exemple de Grabinoulor montre surtout combien cette prose – qui a pu être reçue dès les années 1920 comme l’une des plus novatrices de son temps, appréhendée dans le sillage des poèmes déponctués d’Apollinaire – est en même temps pensée par son auteur à l’aune de références « préhistoriques ». Le plus ancien et le plus neuf trouvent alors 87à se rejoindre. Car la reviviscence de formules archaïques, loin de relever d’un geste rétrograde, devient au contraire constitutive de la modernité des œuvres. L’enjeu des auteurs est de ré-exploiter des modes d’expression marginalisés, afin de réinventer les traditions et les héritages littéraires au-delà des références canoniques. Bien des modernistes activent ainsi des formes de « survivances43 » pour régénérer de l’intérieur la littérature. C’est dans cette perspective qu’Albert-Birot considère par exemple le si insolite Voleur de Talan (1917) de Pierre Reverdy, roman poétique rédigé en vers libres : en se référant à une formule empruntée au Roman de Rou (xiie siècle), il rappelle l’origine versifiée des textes mis en « langage roman » et constate que « les œuvres de nos premiers poètes écrites en “patois de France” furent des romans44 », ce qui lui permet de rattacher le texte singulier de Reverdy aux origines médiévales du genre. On l’aura donc compris : tous ces ressourcements narratifs sont réalisés par des écrivains extrêmement érudits, désireux de s’inscrire dans le temps long de l’histoire littéraire et dans des lignées alternatives par rapport aux canons académiques. Même si cette érudition est affichée sur un mode désinvolte, les auteurs détiennent effectivement une importante culture, éclectique et hybride, qui sous-tend leurs expérimentations les plus subversives.
En témoigne l’attention que les lettrés non orthodoxes que sont Apollinaire et Cendrars ont pu porter aux récits de geste médiévaux, qu’ils ont découverts et lus en abondance à la Bibliothèque Mazarine à Paris. On sait que les deux poètes collaborent en 1913 pour jouer aux scribes : ils recopient et rééditent la Très plaisante et recreative hystoire du très preulx et vaillant chevalier Perceval le Galloys jadis chevalier de la Table Ronde lequel acheva les adventures de Sainct Graal, au temps du noble Roy Arthus, récit de chevalerie datant de la fin du xve siècle, et qui paraîtra en 1918 dans la « Nouvelle Bibliothèque Bleue » chez Payot et Cie45. Si 88les récits de geste médiévaux restent inséparables des notions de voix ou de performance, comme les travaux de Paul Zumthor l’ont naguère rappelé46, ce récit arthurien au « langage expressif et primesautier47 » met en scène une narration portée par un conteur-bonimenteur dès l’incipit, selon une formule topique :
Cy commence l’Hystoire recreative contenant les faictz et gestes du très preulx et vaillant Perceval le Galloys, chevalier de la Table ronde48.
De la copie à la réécriture, la frontière est mince : ne retrouve-t-on pas une annonce inaugurale comparable au début de L’Or de Cendrars ? « C’est ici que commence la merveilleuse histoire du Général Johan August Suter49. » Bien des histoires modernistes seront ainsi innervées de formules rappelant les incipit médiévaux, où l’effet de réel importe moins que l’effet de création : dans ces deux extraits, en effet, un fiat énonciatif s’affirme d’emblée avec un remarquable aplomb démiurgique – qui déjoue, au passage, l’artifice des incipit réalistes, dont Valéry puis Breton dénoncent à la même période l’arbitraire et la platitude, en s’en prenant à la fameuse marquise qui sortit à cinq heures.
Apollinaire réécrit quant à lui une partie d’un Lancelot du Lac (édité par Antoine Vérard en 1494) pour le premier chapitre du livre-bibliothèque qu’est L’Enchanteur pourrissant (paru en 1909 chez Kahnweiler, avec des gravures sur bois d’André Derain). Son incipit introduit cependant, au seuil du texte copié, une phrase liminaire subjectivant d’emblée la visée du discours – sous la forme d’un alexandrin : « Que deviendra mon cœur parmi ceux qui s’entr’aiment ? Il y eut jadis une demoiselle de grande beauté, fille d’un pauvre vavasseur50. » Cet incipit conjugue ainsi l’ethos lyrique d’un poète moderne à celui d’un conteur médiéval, refondus ensemble ici pour inscrire dans le flux discursif une seule 89voix, au frontière du récit et du chant. L’Enchanteur pourrissant mêle de la sorte naturellement poésie et narration, au-delà de la « rhétorique des genres » moderne qui exclurait le récit du domaine poétique51, mais dans le sillage plutôt des œuvres médiévales : Albert-Birot ne rappellera-t-il pas combien « les poésies du Moyen Âge » avaient « un caractère narratif52 » ? Ainsi la poésie, paradis perdu du récit, apparaît-elle à la fois comme la source et l’horizon de la narration, d’autant plus que la « voix » reste en fin de compte l’une des principales métonymies pour désigner le poète, comme Apollinaire le proclame lui-même :« je ne suis qu’un poète une voix53 ». Si effectivement, et comme l’a relevé plus généralement Jean-Pierre Martin, « la posture poétique n’a cessé d’être dominée par le culte de la voix54 », la figure du conteur représente dans l’esprit des modernistes un avatar spectaculaire du poète« qui invente » et « qui crée55 » – permettant aux auteurs de rester poètes, donc, même hors du poème.
Longtemps étouffée par la « littérature-texte » dominante du xixe siècle (malgré quelques entreprises romantiques qui déjà renouaient avec des modèles épiques mais dans une visée plus nationale – chez Hugo ou Lamartine notamment), la figure démiurgique et immémoriale du conteur sert de dénominateur commun à de nombreux récits modernistes. Que ceux-ci se donnent à lire comme des rééditions, des réénonciations ou des (ré)écritures, ils font valoir des narrations vocalisées, incarnées et transitives, qui déjà marquent un premier virage avant le « moment énonciatif56 » de la seconde moitié du siècle. C’est que les écrivains modernistes entendent redonner à la prose du mouvement et du naturel, du rythme (Cendrars), du souffle (Albert-Birot), de la spontanéité (Jacob), 90de l’ingénuité (Supervielle), destinant volontiers leurs textes à une lecture à haute voix. Par ailleurs, ancrant souvent leurs récits dans des espaces éloignés (Afrique, Uruguay ou Polynésie), et désireux de renouer avec les sources vives du récit en dehors des traditions canoniques, ces poètes se réfèrent à diverses périodes éloignées dans le temps (la préhistoire, l’Antiquité, le Moyen Âge) qui ont toutes en commun de renvoyer à un âge pré-gutenbergien – à des temps où le récit n’a pas encore été éliminé du « domaine de la parole vivante » (Benjamin). L’enjeu n’est évidemment pas de revenir à des pratiques archaïques dans un geste rétrograde, mais au contraire de repartir d’elles et d’activer leur survie pour en renouveler toute une série d’aspects et de potentialités que les temps modernes occidentaux auraient délaissés et entérinés depuis la Renaissance. Tout se passe en somme comme si, à l’image des peintres rompant avec les codes de la perspective inventés au Quattrocento, ces écrivains modernistes avaient à cœur de refonder et de réinventer, à leurs manières,une renaissance alternative.
Émilien Sermier
Université de Lausanne
91Bibliographie
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1 Guillaume Apollinaire, lettre du 23 août 1915, Lettres à Madeleine, Paris, Gallimard, « Folio », 2005, p. 147.
2 Alain Vaillant, La Crise de la littérature : romantisme et modernité, Paris, ELLUG, 2005, p. 20-21.
3 Pierre MacOrlan, La Clique du Café Brebis [1919], Le Rire jaune et autres textes, Paris, Sillage, 2008, p. 275-282.
4 Isabelle Krzywkowski, Le Temps et l’espace sont morts hier. Les années 1910-1920 : poésie et poétique de la première avant-garde, Paris, L’Improviste, 2006, p. 208.
5 Henri Meschonnic, « Le primitivisme vers la forme-sujet », Modernité modernité [1988], Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1994, p. 277.
6 Philippe Dagen, Le Peintre, le Poète, le Sauvage. Les voies du primitivisme dans l’art français, Paris, Flammarion, coll. « Champs Arts », 2010, p. 123-125.
7 Blaise Cendrars, « Notice », Anthologie nègre, TADA 10, Paris, Denoël, 2005, p. 420.
8 Christine Le QuellecCottier, « Cendrars, conteur “nègre” », Cendrars à l’établi (1917-1931), Claude Leroy (dir.), Paris, Non Lieu, 2009, p. 141-150.
9 Blaise Cendrars, « Le vent », Petits contes nègres pour les enfants des blancs, Paris, Denoël, TADA, t. 10, 2005, p. 420.
10 Emmanuel Rubio, « Le roman en archipel », Revue des Sciences Humaines : Réinventer le roman dans les années vingt, Myriam Boucharenc et Emmanuel Rubio (dir.), no 298, 2010, p. 19.
11 Henri Meschonnic, « Qu’entendez-vous par oralité ? », Langue française, no 56, décembre 1982, p. 18.
12 Ibid., p. 21.
13 Max Jacob, Conseils à un jeune poète, Œuvres, Paris, Gallimard, « Quarto », 2012, p. 1721.
14 Gabriel Bounoure, « Max Jacob, romancier », Intentions, no 18, septembre-octobre 1923, p. 18 [texte réédité dans Europe, no 1019, mars 2014, p. 90].
15 Max Jacob, « Histoire du roi Kaboul Ier et du marmiton Gauwain », Œuvres, op. cit., p. 120.
16 Cité par Robert Guiette dans La Vie de Max Jacob (Paris, Nizet, 1976, p. 64-65).
17 Voir : Benjamin Crémieux, « L’Homme de la pampa, par Jules Supervielle », La Nouvelle Revue Française, no 124, 1er janvier 1924, p. 119.
18 Voir : Antonio Rodriguez, Le Paysage originel, Paris, Hermann, 2022.
19 Il est au passage piquant de relever que le nom de l’écrivain est orthographié de manière fautive sur la couverture de l’édition originale en Jules Supervieille…
20 Jules Supervielle, L’Homme de la pampa [1923], Paris, Gallimard, « L’Imaginaire », 1978, p. 63.
21 Ibid., p. 11.
22 Blaise Cendrars, L’Or, Œuvres romanesques complètes, t. I, Christine Le Quellec Cottier (éd.), Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 2017, p. 391.
23 Blaise Cendrars, « Lettre ouverte à mes éditeurs Harper & Brothers » [4 mars 1927], Œuvres romanesques complètes, t. I, op. cit., p. 483.
24 Voir « L’Or. Projet d’adaptation radiophonique » [1938], ibid., p. 489.
25 Victor Segalen, Les Immémoriaux [1907], Œuvres, t. I, Christian Doumet, (éd.) Paris, Gallimard, « La Pléiade », 2020, p. 389.
26 Ibid., p. 243.
27 Ibid., p. 408.
28 Ibid., p. 328.
29 Ainsi l’un des premiers récits mentionnés commence par l’évocation d’une « série prodigieuse d’ancêtres » : « Dormait le chef Tavi du maraè Taütira, avec la femme Taürua, puis avec la femme Tuitéraï du maraè Papara : / De ceux-là naquit Tériitahia i Marama. / Dormait Tériitahia i Marama avec la femme Tétuaü Méritini du maraè Vaïrao : / De ceux-là naquit… » (Ibid., p. 246).
30 Dominique Combe, « Les Immémoriaux et la fiction de l’autre », Littérature, no 75, 1989, p. 42-56.
31 Voir à ce sujet les développements de Jean-François Louette dans sa « Notice » du roman de Segalen en Pléiade (op. cit., p. 932-936).
32 Voir l’explication liminaire du traducteur Maurice de Gandillac dans : Walter Benjamin, Œuvres, t. III, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2000.
33 Walter Benjamin, « Le conteur » [1936], Œuvres, t. III, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2000, p. 120-121 et p. 138). Texte original : « Das früheste Anzeichen eines Prozesses, an dessen Abschluß der Niedergang der Erzählung steht, ist das Aufkommen des Romans zu Beginn der Neuzeit. […] Es hebt den Roman gegen alle übrigen Formen der Prosadichtung – Märchen, Sage, ja selbst Novelle – ab, daß er aus mündlicher Tradition weder kommt noch in sie eingeht. Vor allem aber gegen das Erzählen. […] Der Romancier hat sich abgeschieden. Die Geburtskammer des Romans ist das Individuum in seiner Einsamkeit […] Wer einer Geschichte zuhört, der ist in der Gesellschaft des Erzählers ; selbst wer liest, hat an dieser Gesellschaft teil. Der Leser eines Romans ist aber einsam. »
34 Tout flaubertien ne manquera, en effet, pas d’objecter qu’outre le « gueuloir » de l’auteur, certains de ses textes (Salammbô) peuvent contenir une veine épique. Rappelons d’ailleurs que Salammbô fut l’un des modèles de Segalen écrivant Les Immémoriaux.
35 Voir Catherine Géry, Leskov, le Conteur. Réflexions sur Nikolaï Leskov, Walter Benjamin et Boris Eichenbaum, Paris, Classiques Garnier, 2017.
36 Rappelons qu’en 1913 déjà Ferdinand Brunot grave les voix de grands écrivains (Apollinaire, Salmon) lisant leurs poèmes dans la collection « Aux Archives de la parole » pour Pathé. Voir également Serge Linarès, « “On veut de nouveaux sons” : poésie et oralité à l’orée du xxe siècle en France », La Poésie délivrée, Stéphane Hirschi et al. (dir.), Paris, Presses Universitaires de Paris Nanterre, 2017, p. 227-240.
37 Jérôme Meizoz, L’Âge du roman parlant (1919-1939), Écrivains, critiques, linguistes et pédagogues en débat [2001], préf. de Pierre Bourdieu, Genève, Droz, 2015. Que l’on nous permette de préciser que les lignes qui suivent synthétisent les développements que nous avons proposés dans Une Saison dans le roman. Explorations modernistes : d’Apollinaire à Supervielle (José Corti, 2022).
38 Gilles Philippe, « Langue littéraire et langue parlée », La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Gilles Philippe et Julien Piat (dir.),Paris, Fayard, 2009, p. 68. À cet égard, le cas de Charles Ferdinand Ramuz reste sans doute à part, tant il se situe aux frontières de ces deux catégories. Rappelons d’ailleurs que pour décrire la figure du narrateur-récitant de romans comme Passage du poète ou La Beauté sur la terre, la critique a volontiers évoqué la figure antique du coryphée.
39 Voir Nathalie Nabert, « Le palimpseste médiéval chez Pierre Albert-Birot », Pierre Albert-Birot, laboratoire de modernité, Madeleine Renouard (dir.), Paris, Jean-Michel Place, 1997, p. 191-196.
40 Pierre Albert-Birot, « La langue en barre », Les Six Livres de Grabinoulor, Paris, Jean-Michel Place, 1997, p. 962.
41 Lettre à Pierre Albert-Birot du 3 mai 1933 éditée dans Charles-Albert Cingria, Correspondance générale, t. IV : Lettres aux amis de France, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1979, p. 336.
42 Pierre Albert-Birot, « La langue en barre », op. cit., p. 961.
43 Sur la notion de « survivance », voir : Georges Didi-Huberman, L’Image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, « Paradoxe », 2002.
44 « Le Voleur de Talan de Pierre Reverdy », SIC no 23, novembre 1917, p. 3. Albert-Birot rappelle la formule du Roman de Rou : « Qui ceste estoire en romanz mist… »
45 La transcription, partiellement actualisée (dans sa ponctuation notamment), est adaptée au goût du jour, et les aventures de Gauvain sont supprimées. Voir les lignes que Cendrars consacre à cette aventure dans Bourlingueur (Œuvres autobiographiques complètes, t. II, Gallimard, « La Pléiade », 2013, p. 359). Si la couverture de l’ouvrage indique « publié par Apollinaire », Cendrars ajoutera à la main, sur son exemplaire : « et Blaise Cendrars ».
46 Paul Zumthor, La Lettre et la Voix. De la “littérature”médiévale, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1987, p. 307.
47 Guillaume Apollinaire, « Avertissement », Très plaisante et recreative hystoire du très preulx et vaillant chevalier Perceval le Galloys jadis chevalier de la Table Ronde lequel acheva les adventures de Sainct Graal, au temps du noble Roy Arthus, Paris, Librairie Payot & Cie, coll. « Nouvelle Bibliothèque Bleue », 1918, p. 7.
48 Guillaume Apollinaire, « Avertissement », op. cit., p. 7.
49 Blaise Cendrars, L’Or, op. cit., p. 387.
50 Apollinaire, L’Enchanteur pourrissant, Œuvres en prose complètes, t. I, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1977, p. 7.
51 Voir Dominique Combe, Poésie et récit : une rhétorique des genres, Paris : José Corti, 1989.
52 Pierre Albert-Birot, « Le Voleur de Talan de Pierre Reverdy », SIC no 23, novembre 1917, p. 3.
53 Apollinaire, Couleur du temps, acte II, scène 4, Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1956, p. 941.
54 Jean-Pierre Martin, La Bande-sonore. Beckett, Céline, Duras, Genet, Perec, Pinget, Queneau, Sarraute, Sartre, Paris, José Corti, 1998, p. 39.
55 Apollinaire, « L’Esprit nouveau et les poètes », Œuvres en prose complètes, t. II, op. cit., p. 950.
56 Voir l’histoire littéraire retracée notamment par Gilles Philippe dans Sujet, verbe, complément. Le moment grammatical de la littérature française : 1890-1940 (Gallimard, « Bibliothèque des idées », 2002).
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- ISSN: 2261-1851
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- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-20-2023
- Language: French
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