Transmettre l’histoire de Floire et Blanchefleur en France au XVIe siècle Positionnement sur le marché éditorial et stratégies de publication
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2019 – 2, n° 38. varia - Auteurs : Burg (Gaëlle), Réach-Ngô (Anne)
- Pages : 319 à 349
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
TRANSMETTRE L’HISTOIRE DE FLOIRE
ET BLANCHEFLEUR EN FRANCE AU XVIe SIÈCLE
Positionnement sur le marché éditorial
et stratégies de publication
Le développement en prose française des récits d’armes et d’amour impliquant deux protagonistes qui subissent les affres de la passion amoureuse connaît un succès certain en France au cours des années 1530, alors que se renouvelle progressivement le corpus des récits chevaleresques et qu’apparaît ce que l’on nomme, par opposition aux romans médiévaux, les « nouveaux romans ». Dans le même temps, voient le jour des récits qualifiés de « sentimentaux1 », nés du vaste courant de circulation et de traduction européennes de textes2, dont le transfert culturel vise à affirmer la supériorité ou du moins l’illustration des qualités de la langue française. C’est dans ce contexte qu’il convient d’examiner, à douze ans d’intervalle, l’arrivée dans l’espace francophone de deux versions distinctes de l’histoire médiévale de Floire et Blanchefleur, via deux traditions européennes distinctes. La première, qui vient d’Italie, offre aux lecteurs français, en 1542, la traduction entreprise par Adrien Sevin du récit boccacien connu en 320Italie sous le titre de Philocolo3, qui donne lieu à de nombreuses éditions à Venise tout au long du xvie siècle. Cette version, dont la traduction prend appui sur la publication vénitienne de 15384, connaît trois éditions différentes, exclusivement parisiennes, en 1542, 1555 et 1575, sous le titre de Philocope5. L’autre histoire de Floire et Blanchefleur parue en langue française au xvie siècle vient d’Espagne, dans la traduction que donne Jacques Vincent d’un récit anonyme rédigé et publié dès la fin du xve siècle6, La Historia de los dos enamorados Flores y Blancaflor. Selon Patricia Grieve, cette version espagnole se rattache en outre à la dérivation italienne du conte7. La première édition française de cette traduction paraît en 1554 à Paris chez Michel Fezendat, sous le titre de L’Histoire amoureuse de Flores et Blanchefleur s’amye8, et connaît plusieurs rééditions, à Lyon, Rouen et Anvers9 en 1561, 1570, 1596, 1597 et 1606. Les deux éditions princeps de ces traductions paraissent avec un privilège10, ce qui témoigne de l’enjeu 321économique et culturel que représentent de telles entreprises de traduction ainsi que de l’importance de leur positionnement au sein d’un marché éditorial en pleine reconfiguration.
Les deux versions de Floire et Blanchefleur, mises à la disposition des lecteurs francophones au cours des mêmes décennies, répondent à des attentes littéraires et éditoriales qui mettent au jour, comme Pascale Mounier a pu l’étudier dans son ouvrage consacré au Roman humaniste11, la plasticité générique du récit long et les ressorts de son adaptation au goût du temps. Si les deux ouvrages attestent l’existence de deux canaux de diffusion de l’histoire de Floire et Blanchefleur auprès du public français, engageant des marchés éditoriaux, des publics voire des visées et pratiques de lecture différentes, on constate que les projets éditoriaux sont tous deux emblématiques des formes d’intertextualité et d’échanges culturels, sur fond de concurrence éditoriale, qui gouvernent le renouvellement du récit long au xvie siècle. La confrontation des dispositifs éditoriaux de ces deux traductions permet dès lors de se demander dans quelle mesure le développement d’une culture de l’imprimé vient renouveler les modalités d’accès aux textes, le statut des récits hérités et la portée politique et socio-culturelle de l’acculturation linguistique propre aux grandes entreprises de traduction en langue française de ces décennies.
On retracera dans un premier temps le contexte de publication des éditions princeps du Philocope et de L’Histoire amoureuse, afin de resituer la parution de ces ouvrages dans les dynamiques propres auxquelles ils participent. On examinera alors les formes d’adaptation péritextuelles de ces éditions afin d’identifier la singularité des lectures qu’elles proposent de l’histoire de Floire et Blanchefleur. On étudiera enfin les reconfigurations génériques qu’introduisent les différentes mises en livre et les dispositifs de diffusion de ces deux versions du célèbre récit.
322PROJETS ÉDITORIAUX ET CONTEXTES DE PUBLICATION
Fig. 1 – Page de titre, Le Philocope de Messire Jehan Boccace Florentin,
Paris, Denis Janot, 1542. © Gallica.
Fig. 2 – Page de titre, L’histoire amoureuse de Flores et Blanchefleur s’amye,
Michel Fezandat, Paris, 1554. © University of Virginia Library.
La parution des deux versions de l’histoire de Floire et Blanchefleur (fig. 1 et 2), respectivement en 1542 et 1554, s’inscrit dans le contexte national français des traductions de l’italien et de l’espagnol qui connaissent un grand succès dans la première partie du siècle. Elles contribuent à l’essor d’un type de récit en prose, le récit sentimental, qui n’existe pas en France avant les années 1530. Les deux traductions rendent compte, dans leur mise en livre, de l’influence de cette tension nouvelle qui traverse la prose narrative, entre « nouveau roman » et « récit sentimental ».
La première publication d’une version de Floire et Blanchefleur sur le sol français en 1542 résulte de l’entreprise conjointe de l’imprimeur-libraire parisien Denis Janot, dont l’atelier parisien a grandement contribué à la commande et à la diffusion de nombreuses traductions italiennes, notamment de textes boccaciens12, et du traducteur Adrien Sevin, secrétaire de l’ambassadeur de France à Rome, gentilhomme de la maison de Monsieur Gié13.
L’édition princeps de la traduction de l’espagnol signée de la plume de Jacques Vincent14, aumônier du comte d’Enghien Jean de Bourbon et secrétaire de l’évêque du Puy en Velay, paraît pour la première fois à Paris chez Michel Fezandat15 en 1554. À la différence de Denis Janot, 325l’imprimeur-libraire Michel Fezandat, actif entre 1538 et 1566, n’a pas publié d’autres récits longs en langue vulgaire, à l’exception du Tiers livre et du Quart livre de Rabelais en 1552. Sa production est principalement composée d’ouvrages en latin (écrits religieux, littérature classique, traités, etc.). En revanche, tout comme Denis Janot, l’imprimeur-libraire s’est spécialisé, dans les années 1540, dans l’édition de traductions en français16.
Le contexte de publication au sein duquel paraissent ces deux ouvrages est tout à fait représentatif d’une dynamique de publication « en réseau17 ». La parution de ces traductions nouvelles vise à alimenter un marché en plein développement, où les ouvrages se font écho les uns aux autres. Les péritextes mentionnent en effet le succès, la médiocrité ou l’échec de telle ou telle parution. Des références intertextuelles explicites et implicites viennent encore nourrir ces échanges constants qui reflètent l’évolution de la mode littéraire et les goûts du temps.
Rappelons ainsi que Denis Janot est le premier à faire paraître en 1538 un récit sentimental, les Angoysses douloureuses qui procedent d’amours, qui ne soit pas le produit d’une traduction de l’espagnol ou de l’italien mais se revendique de la plume d’une femme-auteur qui écrit « nativement » en langue française. En réalité, l’ouvrage peut être considéré comme une anthologie romancée des meilleures pages traduites de la littérature sentimentale européenne qui s’est développée plus tôt en Espagne et en Italie18, et dont fait partie la Complaincte tres piteuse de Flamette à son amy Pamphile19 de Boccace, que Janot réédite en 3261542. La publication du Philocope chez Denis Janot en 1542 ne peut également être dissociée de la parution, l’année qui précède, toujours chez Janot, du premier livre d’Amadis de Gaule, à qui il emprunte ses illustrations20. Un tel contexte de publication lie implicitement le Philocope de 1542 à divers narrations et traités qui, par l’entremise de la fiction narrative, traitent de la question amoureuse. Cela concourt à le faire participer à des questions d’actualité qui nourrissent les attentes du lectorat, en quête de nouveauté sur la question. Déjà en italien, l’extraction des Treize demandes d’amour21 produite à partir du quatrième livre du Philocolo témoignait de la diversité des usages et des types d’écrits qui peuvent provenir de la lecture et du réemploi d’un premier texte, à des fins différentes. Denis Janot, en contribuant au lancement et au succès de ce type de récits, a bien conscience de l’intérêt commercial qui consiste à publier à la fois des fictions narratives et des modèles rhétoriques, perspective double qui pourra expliquer un certain nombre de choix de mise en livre du Philocope, sur lesquels nous reviendrons par la suite.
Quand la traduction de la version espagnole paraît en 1554, le contexte éditorial a changé et les ouvrages précédemment cités ne font plus autant l’actualité. D’autres traductions ont vu le jour et l’influence espagnole s’est répandue comme un pendant complémentaire mais aussi concurrentiel de l’influence italienne. Le développement du marché de la narration longue, de même que l’importance d’une offre diversifiée, viennent renouveler les attentes du lectorat français. Ainsi, lorsqu’il propose une première édition de la version espagnole de Floire et Blanchefleur, Michel Fezandat introduit-il une parenté explicite avec un autre récit qu’il publie 327dans le même volume : La Complainte que fait un amant contre amour et sa dame de Juan de Seguera. Cette articulation de deux textes en un même ouvrage est loin d’être anodine, comme le montre la mise en regard des deux pages de titre (fig. 3 et 4).
Le titre de l’ouvrage de Juan de Segura mettant en jeu des termes indéfinis et génériques (« la complainte », « un amant », « sa dame »), on pourrait imaginer que la mention « Avec… » désigne une pièce de l’histoire de Floire et Blanchefleur particulièrement mise en avant sur la page de titre, comme cela était le cas dans d’autres ouvrages de l’époque. Il ne s’agit que d’un effet d’affichage, puisque la présentation de l’ouvrage en deux parties lève rapidement l’ambiguïté : la partie du livre consacrée à la Complainte dispose de sa propre page de titre à la suite de L’Histoire amoureuse, qui poursuit toutefois la numérotation des pages. Le texte comprend également un péritexte séparé, du même auteur que la préface de L’Histoire amoureuse, Pierre Trédéhan, qui s’adresse au traducteur, le même Jacques Vincent. Le privilège, demandé par le traducteur Jacques Vincent, montre bien que l’enjeu de cette double édition tient à la nouveauté de la traduction des deux textes plus qu’à l’une ou l’autre histoire, qui se rejoignent par la thématique amoureuse.
328Fig. 3 – Page de titre de L’histoire amoureuse de Flores et Blanchefleur s’amye, Michel Fezandat, Paris, 1554. © University of Virginia Library.
329Fig. 4 – Page de titre de La Complainte que fait un amant contre amour et sa dame, Michel Fezandat, Paris, 1554. © University of Virginia Library.
330L’association des deux récits au sein d’un même ouvrage, annoncés ensemble sur la page de titre initiale, contribue ainsi à distinguer radicalement le projet éditorial du Philocope de celui de L’Histoire amoureuse, en mettant l’accent sur l’auctorialité du traducteur, Jacques Vincent, qui justifie en partie la réunion des deux écrits. En outre, on peut se demander si, une fois identifiée, l’association ne vise pas à assurer la vente du récit de Floire et Blanchefleur, qui se trouve de fait associé à une nouveauté littéraire, alors que le récit avait connu une nouvelle actualité éditoriale sur le sol français quelques années auparavant, avec la diffusion du Philocope dont l’auteur, Boccace, constituait un argument de vente bien difficile à concurrencer.
APPROPRIATIONS
ET DIFFÉRENCIATIONS PÉRITEXTUELLES
Dans le cas des deux propositions éditoriales du Philocope et de L’Histoire amoureuse, une première acculturation significative réside ainsi dans l’association plus ou moins étroite de l’histoire de Floire et Blanchefleur à un réseau de livres européens qui paraissent dans le même temps, étroitement lié à la tradition boccacienne dans le cas du Philocope, rattaché plus directement aux nouveautés espagnoles dans le cas de L’Histoire amoureuse. L’introduction du récit sur le sol français se manifeste également dans le renouvellement des péritextes, à la fois titulaire et préfaciel, produisant des déplacements d’accent qui diffèrent selon le texte-source traduit. Concernant le titre de l’ouvrage, si dans les deux cas les versions françaises respectent la construction syntaxique et les principales mentions qui figurent au titre des éditions-sources, certaines modifications témoignent d’un repositionnement générique opéré lors de la traduction. Boccace avait procédé à l’élection d’un terme synthétique, le « Philocolo » ou « Philopono22 », qui devient dans 331la version de 1538 qui sert de source à Adrien Sevin, « Philocopo », et explique la traduction française en « Philocope23 ». Au-delà de l’instabilité titulaire que concourent à produire les différentes rééditions, on peut noter l’efficacité d’un tel titre qui place en second plan les protagonistes et témoigne de l’auctorialité du geste boccacien. La transmission du Philocope ne s’affranchit pas, tout au long des éditions du xvie siècle, de cette empreinte boccacienne.
Autre modification d’importance, le traducteur du Philocopo, ou l’imprimeur qui a sans doute commandité la traduction, met l’accent sur le terme « Histoire », qui ne figurait pas sur la page de titre de l’édition vénitienne source de 1538 (fig. 5). Le sous-titre « Contenant l’histoire de Fleury et Blanchefleur » a ainsi été ajouté lors de la mise en livre française et met clairement en valeur, tout comme le faisait le rédacteur de la version espagnole de L’Histoire amoureuse, le terme d’« Histoire ». Or si ce terme va avoir, au cours de la deuxième partie du xvie siècle, une fortune nouvelle avec le développement des recueils de récits brefs qui s’intitulent Histoires (à la fois avec les « histoires récréatives », puis avec la veine des « histoires tragiques »), il renvoie encore, dans la première partie du siècle, aux récits chevaleresques en prose issus du fonds médiéval qui retracent les aventures de Baudouin, Gérard d’Euphrate, Gérard de Roussilon, Gérard de Nevers, du noble chevalier Berinus, de Renaut de Montauban, Gyron le Courtois, Huon de Bordeaux, Isaïe le Triste, Richard sans peur etc. Il en est de même de quelques rares duos, comme Valentin et Orson, Milles et Amys, trios comme Roland, Regnault et Royer ou fratries plus importantes, comme les quatre filz Aymon. Tous ces personnages deviennent les protagonistes héroïques d’une « histoire », qui donne cohérence à la suite d’aventures et de péripéties qui traversent leur vie.
332Fig. 5 – Page de titre, Il Philocopo di Messer Giovanni Boccacio in fino a qui falsamente detto Philocolo diligentente da Messer Tizzone Gaetano du Posi Revisto, Venezia,
per Bernardino Bindoni, 1538. © Bibliothèque Mazarine.
Le terme « histoire » se distingue donc radicalement de l’emploi titulaire du mot « vie » qui apparaissait à l’incipit du texte italien et aurait pu être emprunté pour la page de titre24. Il est bien traduit à ce même passage du livre, mais n’est pas davantage valorisé. Cela s’explique par le fait que, dans le corpus des productions imprimées françaises de la première partie du xvie siècle25, le terme « Vie », en emploi titulaire, est réservé pour l’essentiel à Jésus-Christ, aux Saints, aux Pères de l’Église, à quelques empereurs de l’Antiquité. Il n’est employé, à l’époque incunable, que pour Robert le diable, Till Ulenspiegel et Merlin, puis pour le chevalier Bayard et Loyson dans les années 1520. Enfin Gargantua, qui sous le titre de La Grande et merveilleuse vie du trespuissant et redoublté roy de Gargantua, en 1528, rompt avec la tradition et joue avec les conventions génériques de la chronique. Le Philocope, selon Adrien Sevin et Denis Janot, devient ainsi une « Histoire », ce qu’il n’était pas en tant que tel chez Boccace.
Dans le cas de la version issue de l’espagnol, le traducteur, Jacques Vincent, n’est pas à l’initiative du terme « Histoire », qui reprend le mot espagnol Historia figurant dans le titre original : La Historia de los dos enamorados Flores y Blancaflor, rey y reyna de España y emperadores de Roma26. Pour autant, le traducteur procède à une modification dans l’emploi de ce terme, plus discrète qu’une substitution, mais tout aussi significative. Le titre devient en effet L’histoire amoureuse de Flores et Blanchefleur s’amye, Avec la complainte que fait un Amant, contre Amour et sa Dame. Le tout mis d’Espagnol en François, Par maitre Jaques Vincent, Aumonier de monsieur le Conte d’Anguien. En passant d’une « histoire des amoureux Flores et Blanchefleur » à une « histoire amoureuse », Jacques Vincent inscrit sa traduction dans une autre veine narrative, celle des récits sentimentaux. On trouve par exemple cette indication de registre dans le titre, des Contes amoureux de Jeanne Flore (1531), l’une des premières créations françaises héritières des histoires amoureuses italiennes et espagnoles, qui ont participé à la constitution progressive du récit sentimental. Il 334insiste encore sur la thématique amoureuse avec l’apposition « s’amye », que l’on retrouve également dans une rubrique légèrement modifiée par rapport à la version espagnole : « De como el capitan metio a Flores en el cuevano para que tuuiesse lugar de hablar con la linda Blancaflor. » qui devient « Comme le capitaine feit mettre Flores dans la corbeille, affin qu’il eust commodité de pouvoir parler à Blanchefleur s’amye. » (chapitre xv).
L’orientation titulaire des deux traductions concourt ainsi à inscrire le récit dans la vogue nouvelle des premiers récits sentimentaux27, mais aussi à rappeler son appartenance à la tradition médiévale du récit courtois, soulignant la parenté qui lie l’« histoire » de Floire et Blanchefleur aux couples éponymes dont la passion donne lieu à une « histoire », tels L’histoire delectable et recreative de deux parfaits amans et L’histoire de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne. La mise en perspective de l’histoire à la lumière du récit tragique d’autres couples légendaires est encore renforcée dans l’épître d’Adrien Sevin qui introduit le récit en évoquant un autre couple, Halquadrich et Burglipha28, tirée de la Guiletta de Luigi Da Porto, écrite en 1524 et publiée en 1530, dont la traduction dans la dédicace d’Adrien Sevin à Claude de Rohan, comtesse de Saint-Aignan, constituera le premier ancêtre en langue française de l’histoire de Romeo et Juliette rapportée par Bandello, puis Shakespeare. Par cette filiation, le couple de Floire et Blanchefleur rejoint la famille de Pyrame et Thisbé des Métamorphoses d’Ovide, ce qui confirme une orientation déjà présente dans certaines versions précédentes de l’histoire de Floire et Blanchefleur, où les amants lisent Ovide.
Les stratégies péritextuelles engagées dans les pièces liminaires, quant à elles, diffèrent sensiblement d’une version française à l’autre. Dans la version issue de l’espagnol, le prologue et les pièces liminaires, ajoutés dans la traduction française, inscrivent le récit dans la tradition médiévale et courtoise. Dans son épître initiale, Jacques Vincent déploie les topoï traditionnels des prologues de romans de chevalerie : du divertissement (« participant de choses plaisantes », « l’esprit humain peult recevoir contentement ») à la dédicace (« vertueux Seigneur », « continuer vostre amitié envers celuy, qui a perpetuité vous veult demourer treshumble 335serviteur »), en passant par le labeur (« travailler mon esprit quelque espace de temps »). Mais on y trouve surtout en bonne place la thématique amoureuse, qu’elle soit abordée suivant une perspective didactique :
Je vous prie penser qu’en semblables affaires, celuy se peut reputer heureux, qui est exempt de passion, et langueur : Ce que je treuve impossible : Car ce cruel dieu des amans qui s’est autrefois bandé contre la Déesse Venus, sa mere, est en coutume paier en semblable monnoie, ceux qui voluntairement prennent plaisir obeir à ses loix. Lesquelles n’aiant en contennement et mépris, j’ay mis en lumiere ce que vous presente. […] Vous avertissant, que le discours de ces deux Amants, nous faict cognoistre avec quelle obligation, ceux qui aspirent donner fin à leur peine, doivent estre constans, et user de vertu : laquelle rend immortel à la posterité, celuy qui s’estudie la suivre.
ou à travers la référence aux Anciens :
Et si aucun s’avance, et prent la hardiesse me desestimer pour m’estre amusé sur ceste histoire fabuleuse : Je feray mon rempart de l’Art d’aimer, ecrit par Ovide, et des confabulations amoureuses, composées par Seneque : Et pensant en eux, donray allegement à mon esprit : Car encore qu’ilz fussent sages, ingenieux, et subtilz : si n’avoient ilz la jouissance d’un plus grand privilege que moy29.
Dans l’épître dédicatoire d’Adrien Sevin, c’est davantage l’enjeu de l’italianité qui est mis en valeur, le nom de Boccace passant au premier plan et reléguant au second plan les protagonistes et l’histoire elle-même, avant que celle-ci ne finisse par être remise en lumière avec l’adjonction finale de la « moderne nouvelle » d’Halquadrich et Burglipha. L’histoire de Floire et Blanchefleur y apparaît comme un parangon de la transmission de la culture italienne en France, ce dont témoigne le recours à de nombreux lieux communs. Pour autant, ce n’est pas tant le traducteur qui s’y trouve valorisé, que la figure même de Boccace.
Dans L’Histoire amoureuse, l’entreprise de traduction est clairement valorisée dans les pièces liminaires, et ce par l’insertion de textes pris en charge par des tiers30. Après le prologue, se trouvent en effet insérés une ode (fol. 4r-8r), un sonnet (fol. 8v) et une « Eglogue faittes à l’immitation de la seconde de Virgille » (fol. 45r-47r) par Pierre Tredehan. Outre les 336références à plusieurs « nouveaux romans » (Amadis, Palmerin d’Angleterre et le Roland amoureux31), le poète y rappelle la politique de promotion de la langue française32 et ne manque pas de louer, comme dans les paratextes des livres d’Amadis, le style du traducteur :
Fais que ta plume qui tonne
De son sucré styl’, etonne
Le superbe Castillan :
Comme ta frase allechante
(Qui de Rolland l’amour chante)
Etonna l’Italien33.
On notera toutefois qu’il mentionne aussi, à la fin de l’ode, le personnage de Blanchefleur, au côté du traducteur, deux figures chargées de rehausser les couleurs de la vertu et de la langue française :
L’amour, dont Blanchefleur use
Se montrant si vertueuse,
Presente nous à noz yeux :
Pendant que ta docte veine
Qui du doux Nectar est pleine,
Nous prepare quelque mieux (fol. 8r).
La valorisation du travail du traducteur est davantage mise en valeur dans l’édition de 1555 du Philocope, notamment avec l’adjonction d’autres pièces liminaires qui disparaissent de l’édition de 157534. Dans ces textes préfaciels, le lien à Boccace du texte est toujours nettement souligné mais le traducteur est aussi présenté comme un médiateur chargé de rendre 337accessible et de valoriser les écrits boccaciens, comme en témoignent les expressions « la fleur de tous ceulx [les termes] qu’il à faictz », ou encore « Les bons propos de riche invention » qui peuvent servir d’« exercice joyeulx » et de « recreation » aux lecteurs. S’il s’agit bien de lieux communs de la rhétorique péritextuelle, se construit également un ethos du traducteur qui met en balance les qualités de la langue française et celle de Boccace.
MISEs EN LIVRE ET CATÉGORISATION GÉNÉRIQUE
Les principales caractéristiques des deux traductions issues de l’italien et de l’espagnol de l’histoire de Floire et Blanchefleur mettent en valeur la récurrence de procédés interprétatifs de mise en livre (énoncés titulaires, textes préfaciels, positionnement au sein d’un marché par publication en réseaux) qui situent les deux versions de l’œuvre dans un paysage générique en pleine évolution. Certains choix peuvent également témoigner de transformations formelles et structurelles présentes dans les éditions qui précèdent et suivent les interprétations éditoriales de Janot, pour le Philocope, et de Fezandat, pour L’Histoire amoureuse.
La structuration du récit boccacien dans la version que donne Denis Janot de la traduction d’Adrien Sevin rend compte d’une réorientation générique du texte qui remet en jeu l’équilibre entre narration et exemplarité stylistique. Les remaniements formels, notamment l’insertion des illustrations, des marginalia et des titres de section, contribuent à la fois à une dramatisation de la narration, en soulignant les temps forts de la diégèse, et à une lecture pré-anthologique du récit, en isolant et en désignant les séquences discursives qui ponctuent l’histoire de Floire et Blanchefleur.
Prenons pour exemple la structure du livre II du Philocope, très clairement dessinée en étapes qui sont autant de passages obligés du récit d’armes et d’amour : le livre s’ouvre sur la naissance des deux protagonistes, se poursuit avec l’apparition de l’amour, la découverte par les parents des dangers d’une mésalliance, la séparation des amants, la trahison de Blanchefleur par le roi et sa condamnation, l’intervention anonyme de Floire qui la sauve du bûcher et s’achève sur le départ du héros qui confie à nouveau Blanchefleur à son père. Si l’on envisage de manière synoptique la présentation matérielle 338de ce livre, de l’édition italienne de 1538 à celle, française, de 1542 qui paraît chez Denis Janot, le contraste est frappant. Dans l’édition italienne de 1538 qui a servi de point de départ à la traduction de Sevin, le texte se présente de manière continue en pavés, avec de rares retraits qui séparent des séquences de plusieurs pages qui ne peuvent, du fait de leur longueur, être considérées à proprement dit comme des sections bien dessinées. Dans l’édition française de 1542, le texte se compose de séquences bien dessinées, découpées suivant deux types de procédés distincts : d’une part, les illustrations, qui sont significatives pour le lectorat parisien de l’époque puisqu’elles sont empruntées au modèle de l’Amadis de Gaule ; d’autre part, les sauts de ligne délimitant de grandes unités textuelles, suivant un procédé encore relativement rare dans les écrits de cette époque et qui introduisent une respiration nouvelle au sein du récit (fig. 6).
Fig. 6 – Représentation synoptique du deuxième chapitre du Philocope,
dans la version française de 1542. © Gallica.
Si le premier procédé de l’illustration n’est pas nouveau, il est transformé par cette mise en espace du texte que rehausse encore le recours au grand format, l’in-folio, qui distingue l’édition du Philocope de celle du Premier livre d’Amadis de Gaule. Dans le Philocope, la division en unités des chapitres répond ainsi à la fois à des procédés narratifs de ponctuation du récit et à des procédés rhétoriques d’identification des discours adressés et des discours intérieurs, qui favorisent une lecture par morceaux. Ainsi, dans les premières pages du deuxième livre, les retraits de l’édition italienne sont simplement repris dans les premières séquences du texte traduit, jusqu’à ce que la naissance de l’amour soit mise en valeur par l’insertion d’une image qui suspend le récit et introduit une nouvelle séquence textuelle, suivant une interruption significative qui ne figurait pas dans l’édition italienne. Il en est de même lorsque Blanchefleur s’adresse à Floire dont elle a appris le départ imminent, l’image et l’interruption du récit soulignant l’attaque de la complainte de l’amante, dont le seul indice initial se situait, dans la version italienne, dans l’interjection « O », clairement mise en valeur par la place laissée à la lettrine ou à la lettre d’attente dans l’édition de 1542.
La structuration du récit en unités n’était pourtant pas absente de certaines éditions italiennes. En effet, contrairement aux éditions de 1527, 1530 et 1538, à la structure très linéaire, une édition plus ancienne, datée de 1514, comprenait déjà des unités textuelles dotées d’énoncés titulaires clairement identifiables. Cette mise en chapitres segmentait les livres en un grand nombre d’unités numérotées dont les titres, introduits par le terme « Comme », à quelques exceptions près, désignaient les différentes étapes de l’intrigue. Cette édition proposait une mise en livre proche de la tradition incunable (caractère gothique, répartition du texte sur deux colonnes, présence de fleurons au début des titres de chapitres). Tous ces dispositifs contribuaient à inscrire le récit, comme le faisaient certaines éditions de L’Histoire amoureuse, dans la tradition des récits chevaleresques qui voient le jour au cours des premières décennies de l’imprimé.
La reconfiguration des unités textuelles introduite par Janot lors de la première édition française du Philocope témoigne de l’intervention d’une voix énonciative nouvelle qui accompagne le lecteur dans son parcours, notamment par l’entremise des marginalia qui interviennent visuellement et sémantiquement dans l’économie narrative et discursive de l’histoire. Les formules nominales des marginalia, particulièrement nombreuses, transforment la nature des commentaires en indications de lecture de deux 340natures : d’une part, des énoncés annoncent et résument les principales étapes du récit, faits narratifs et types de discours, comme le faisaient les titres de chapitres ; d’autre part, certaines annotations renvoient aux figures mythologiques, autorités littéraires et autres références, mettant en valeur au sein du récit une certaine forme d’érudition. Les marginalia ont ainsi une double fonction : celle d’une table des matières, favorisant une lecture narrative de l’histoire des deux amants, et celle d’un index des références, qui redonne une dimension exemplaire au récit en l’inscrivant dans une longue tradition de textes référencés, illustrant des situations topiques. La présence de marginalia contribue à une segmentation plus fine du texte qui met l’accent sur une lecture rhétorique et stylistique. Ainsi, les marginalia du deuxième livre du Philocope mettent en relief les « response », « interrogation », « remonstrance », « replique », « enseignemens » et plus précisément « enseignements militaires », « persuasion », « louenges », « reconfort », « prieres », « defenses », « confort », « regretz » et « piteux regrets » à plusieurs reprises, « consolation », « parolles » et « piteuses parolles », « vœux », « oraison », « sentence », « conseil », « deliberation », « promesse », « opinion », « discours », « songe », « apparition », « harengue », « devis », « confession », suivant des termes qui caractérisent aussi précisément que possible les types de discours prononcés par les personnages. Cela contribue à raffermir la composition diégétique de l’histoire, en mettant en avant le rôle des personnages, actants principaux et secondaires, dans la conduite du récit. L’histoire de Floire et Blanchefleur selon Sevin et Janot témoigne ainsi, dans ce deuxième livre, des rapports d’autorité qui se manifestent dans les postures discursives des personnages, comme le montre l’importance des temps d’échange entre les amants, entre Floire et son père le roi, entre le roi et la reine, ainsi que les discours des seigneurs qui tiennent lieu de spectateurs lors de la condamnation de Blanchefleur35.
341Cette orientation contribue à faire de ces récits un réservoir d’exemples visant à illustrer un ensemble de situations amoureuses où se trouvent enseignés les comportements et plus encore les discours à adopter (déploration, harangue, promesse, complainte, etc.). On retrouve de telles désignations discursives pour justifier la sélection des passages qui composent les recueils de morceaux choisis, tel le Trésor des Amadis publié en 1559 dont le sous-titre précise : « Le thresor des douze livres D’amadis de Gaule, Assavoir les Harengues, Concions, Epistres, Complaintes, & autres choses les plus excellentes & dignes du lecteur François36 ». On note également parmi les marginalia du Philocope la mention régulière de « Belle sentence », qui témoigne d’une incitation à la cueillette de la belle formule, selon la pratique courante des recueils de lieux communs et cahiers de florilège. Des éditions italiennes aux éditions françaises du Philocope, le métadiscours des intitulés péritextuels favorise une lecture fragmentaire, centrée sur les discours, qui contribue à faire des personnages des archétypes et de leurs discours des modèles stylistiques, annonçant la veine des secrétaires amoureux et trésors de bien dire qui connaîtront un grand succès à partir des années 1560-1580.
L’essor d’une telle lecture n’invalide toutefois pas l’orientation du récit suivant le goût récent des lecteurs de l’époque pour l’épaisseur narrative et psychologique qui prépare le renouveau du récit long au xviie siècle. Ainsi ces marginalia produisent dans le même temps des effets de mise en relief de la diégèse. Les formules introductives, maintenues dans le corps du texte et dédoublées dans l’espace des marges, soulignent ainsi certains effets de construction symétrique du texte, comme en témoignent par exemple au livre 2 les réactions successives des deux amants à l’annonce de leur séparation. La construction du récit devient visuelle, conférant une dimension spatiale à l’échange des répliques entre les personnages, également représentés sur les illustrations. Associée à d’autres procédés, la restructuration du récit concourt ainsi à produire des effets énonciatifs nouveaux, comme la mise en valeur des interventions d’auteur, qui trouve un écho tout particulier lorsqu’on songe au rôle de la figure boccacienne dans le succès du Philocope. En témoigne la mention marginale de « l’auteur » qui interpelle Floire dans son sommeil alors que Blanchefleur s’apprête à être exécutée, pour mesurer le relief qu’apporte au récit de tels choix de mise en livre. Les mises en livre 342qui suivent celle de Janot, en 1555 et 1575, en reviennent ensuite à une interprétation plus linéaire du récit, ce dont témoigne l’introduction d’une mise en chapitres plus serrée, dont les titres proviennent pour l’essentiel des marginalia introduites dans l’édition Janot en 1542.
Dans le cas de L’Histoire amoureuse, ce n’est pas tant l’édition princeps en français que les rééditions de l’œuvre, une fois introduite sur le sol français, qui assurent sa recatégorisation générique. En effet, la version issue de l’espagnol propose une transposition fidèle de l’ouvrage à destination d’un public français en quête d’histoires amoureuses et chevaleresques. Une comparaison avec la source espagnole montre ainsi une grande fidélité, de la part de Jacques Vincent, dans la traduction et le découpage interne37. On attend de lui rigueur et style dans la transposition38. Ainsi, les choix successifs de mise en livre de L’Histoire amoureuse visent à assurer la stabilité du modèle textuel et formel espagnol. Jacques Vincent a rigoureusement respecté sa source dans la structuration du livre en chapitres, qui ne comportent pas de paragraphes supplémentaires. Certes, l’édition princeps de L’Histoire amoureuse introduit une table des matières qui ne figurait pas dans l’édition espagnole, mais elle reprend toutefois les titres de chapitres de la source. Les successeurs de Fezandat ne modifient ni le texte, ni le péritexte, ni la structuration de l’édition princeps : la présentation matérielle a recours à des procédés similaires touchant la typographie (choix des caractères romains, utilisation de l’italique), la mise en page (disposition du texte en entonnoir pour certains titres, utilisation de différentes tailles de caractères, mise en relief du paratexte par l’utilisation de l’italique) et l’ornementation (absence d’illustration mais présence d’initiales ornées, de frises, de motifs floraux).
Ainsi, si l’édition princeps de L’Histoire amoureuse se rattache à plusieurs égards aux récits sentimentaux, l’édition anversoise, quant à elle, s’inscrit dans une production39 et un format de « nouveaux romans », à travers 343l’in-4 célébré par les imprimés parisiens d’Amadis dans les années 1540. Sa page de titre (fig. 7) allie classicisme et références chevaleresques : elle fait apparaître un grand cadre richement décoré de deux colonnes à la mode antique. Celles-ci figurent un homme à gauche et une femme à droite, tous deux vêtus à la romaine et symbolisant le couple d’amants. La référence chevaleresque transparaît à travers le casque et l’épée portés par le personnage masculin. Le haut du cadre est consacré, quant à lui, à des animaux et à des personnages merveilleux : faunes ailés et monstres marins annonçant la caractéristique fabuleuse et fictionnelle de l’histoire, autrement dit le genre romanesque en général. Cependant, Waesbergue ne fait figurer aucun bois génériquement marqué dans l’imprimé, bien qu’il en possède un stock important que l’on retrouve dans ses autres éditions de romans de chevalerie et jusque dans les imprimés anversois d’Amadis. La question de la réception générique de l’œuvre reste donc ouverte.
À Lyon, Benoît Rigaud a l’habitude de publier ses « nouveaux romans » et ses récits sentimentaux dans un format in-16, réservant l’in-8 ou l’in-4 aux « vieux romans ». Sans grande surprise, il choisit donc l’in-16 pour son édition lyonnaise de 1570, publiée au sein d’un corpus de récits sentimentaux40. Mais vingt-six ans plus tard, la seconde édition de 1596 affiche une page de titre génériquement marquée par une gravure chevaleresque (fig. 8). Trois chevaliers apparaissent en pied, au premier plan, armés de lances et de boucliers et vêtus à la romaine. L’un d’eux est représenté de dos, brandissant son bouclier. Pour parvenir à placer cette illustration dans un format très réduit, le libraire va jusqu’à amputer 344une partie du titre, qui ne mentionne plus le nom du traducteur41 (« Le tout mis d’Espagnol en Françoys »), à une époque où cette fonction est pourtant parvenue à une certaine reconnaissance42. D’une édition à l’autre, la réception du roman semble se préciser.
Enfin, les éditions de Raphaël du Petit Val à Rouen se démarquent des précédentes par le choix d’un format inhabituel et inédit pour un roman sentimental ou chevaleresque : l’in-12. L’imprimeur-libraire y a recours pour les œuvres romanesques qu’il publie au sein d’un corpus très diversifié de textes littéraires43. L’édition de 1606 marque un tournant au plan de l’interprétation générique : pour la première fois, l’association originelle avec La Complainte y est supprimée (fig. 9). Le roman, publié enfin seul, s’émancipe du récit sentimental de Juan de Segura qui en influençait immanquablement la réception générique et acquiert un statut indépendant. Ainsi, après un demi-siècle de rééditions, le texte n’a plus besoin de revendiquer une affiliation à l’une ou l’autre catégorie narrative, il devient une « histoire » parmi d’autres, inclassable et « bigarrée44 », à l’intérieur d’un champ narratif de plus en plus composite et en constante évolution.
345Fig. 7 – Page de titre, édition Jan van Waesberghen, Anvers, 1561.
© Biblioteca de Catalunya.
Fig. 8 – Page de titre, édition Benoît Rigaud, Lyon, 1596.
© Bibliothèque de Besançon.
Fig. 9 – Page de titre, édition Raphaël du Petit Val, Rouen, 1606.
© Bibliothèque nationale de France
Ainsi, la comparaison des deux dispositifs de transmission met en évidence des formes de réappropriation générique qui diffèrent radicalement d’un ouvrage à l’autre. Tandis que la mise en livre de la traduction de l’espagnol se caractérise par sa fidélité au modèle du texte-source, orientant la narration du côté de la veine romanesque qui se développe à la fin du xvie siècle, les choix de présentation du Philocope, et notamment sa restructuration en unités textuelles, rendent compte d’une conception plus discursive de l’histoire de Floire et Blanchefleur, au service d’une lecture pré-anthologique du récit.
Les deux récits, espagnols et italiens, ont connu aux xve et xvie siècles une forte diffusion dans leur langue d’origine sur les sols italien et espagnol. Ainsi, le Filocolo connaît un très grand nombre de rééditions à Venise (1472, 1481, 1488, 1497), Florence (1472, 1594), Milan (1476, 1478) et Naples (1478) tandis que l’Historia de los dos enamorados Flores y Blancaflor est largement diffusée entre 1512, voire dès la fin du xve siècle, selon Adolfo Bonilla y San Martin, et jusqu’en 1700 à travers une douzaine d’éditions45. La coexistence des deux traductions de l’ouvrage au cours des mêmes décennies peut s’expliquer par l’étendue du marché concerné par sa diffusion nouvelle. Si l’édition princeps et les rééditions du Philocope sont produites dans des centres éditoriaux parisiens (Janot en 1542, Boursette en 1555, L’Angelier en 1575), la traduction de Jacques Vincent publiée pour la première fois à Paris par Michel Fezandat en 1554 connaît une large diffusion tout au long du siècle grâce à plusieurs rééditions au sein de trois autres pôles de la production imprimée de l’époque : Anvers (Waesbergue en 1561), Lyon (Rigaud en 1570 et 1596) et Rouen (Petit Val en 1597 et 1606).
Cette circulation rappelle combien les échanges et les influences entre l’Italie, l’Espagne et la France marquent le contexte politique et littéraire du xvie siècle. C’est notamment grâce au rôle de la cour de Ferrare qu’un véritable réseau de circulation des œuvres d’un pays à l’autre se met en place. Ainsi, l’italien constitue parfois un intermédiaire dans la diffusion en France des textes espagnols : La Prison d’amour de 349Diego de San Pedro, par exemple, est traduit en français par François Dassy (1525) à partir de la version italienne de Lelio de Manfredi (1514) commanditée par Isabelle d’Este46. Floire et Blanchefleur atteste particulièrement cette dynamique littéraire entre les trois pays. Mais le cas français, qui présente sur le marché éditorial, au cours des mêmes décennies, deux lectures très différentes d’un même récit, souligne aussi le rôle essentiel des « passeurs de textes » que sont les traducteurs, illustrateurs et imprimeurs qui offrent aux lectorats des propositions interprétatives aux usages différenciés.
Gaëlle Burg
Université de Bâle
Anne Réach-Ngô
Université de Haute Alsace & IUF
1 Sur les récits sentimentaux en général, voir G. Reynier, Le Roman sentimental avant l’Astrée, Paris, Armand Colin, 1908 ; M. Thorel, Langue translative et fiction sentimentale (1525-1540) : renouvellement générique et stylistique de la prose narrative, thèse de doctorat dactylographiée, Lyon 3, 2006 ; V. Duché-Gavet, « Si du mont Pyrenée / N’eussent passé le haut fais… ». Les romans sentimentaux traduits de l’espagnol en France au xvie siècle, Paris, Champion, 2008. Sur les caractéristiques matérielles du récit sentimental, voir A. Réach-Ngô, L’Écriture éditoriale à la Renaissance. Genèse et promotion du récit sentimental français (1530-1560), Genève, Droz, 2013, p. 128-143 (« Innovations formelles et catégorisations génériques : effets de parenté des “nouveaux romans” sur la scène éditoriale parisienne »).
2 Sur cette question, voir notamment L. Guillerm, Sujet de l’écriture et traduction autour de 1540, Paris, Aux Amateurs de livres, 1988 ; Traduction et adaptation en France : à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, éd. C. Brucker, Paris, Champion, 1997 ; Traduire et adapter à la Renaissance, éd. D. de Courcelles, Paris, École des chartes, 1998 ; G. Dotoli, Traduire en français du Moyen âge au xxie siècle : théorie, pratique et philosophie de la traduction, Paris, Hermann, 2010, p. 63-94 (« Traduire au xvie siècle »).
3 Voir S. D’Amico, « La fortuna del “Filocolo” in Francia nel secolo xvi », Cahiers d’études italiennes, 8, 2008 (Boccace à la Renaissance), p. 195-207.
4 Nous avons consulté l’exemplaire de l’édition de 1538 conservé à la bibliothèque de l’Institut (8o 22296 A-1). Nous avons également consulté (le 13/10/2018) l’édition de 1530, disponible en ligne sur babel.hathitrust.org, qui la suit de près.
5 Pour l’édition de 1542, voir la notice du site des BVH, Rawles no 164, USTC no 37799. Pour l’édition de 1555, nous avons consulté l’exemplaire de la Bayerische Staatsbibliothek Res/P.o.it. 177 u, disponible sur Google Books, de même que l’édition de 1575 à travers l’exemplaire de la Bibliothèque de l’Université de Gand BHSL.RES.0941 (exemplaires consultés le 13 octobre 2018).
6 D’après A. Bonilla y San Martin (La Historia de los dos enamorados Flores y Blancaflor, éd. A. Bonilla y San Martin, Madrid, Ruiz Hermanos, 1916), on la trouve dans une douzaine d’éditions entre la fin du xve siècle et 1700. J.-C. Brunet identifie quant à lui l’édition de 1512, aujourd’hui non localisée ou perdue, comme étant la source de la traduction française de Jacques Vincent (Manuel du libraire et de l’amateur de livres, Paris, F. Didot, 1860-1865, vol. 2, p. 31-32).
7 La prose espagnole ne connaît donc pas la version de la Crónica de Flores y Blancaflor du manuscrit BN Madrid MS 7583 (fin xive siècle, début xve siècle). Voir P. Grieve, Floire & Blancheflor and the European Romance, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 22.
8 Nous avons consulté l’exemplaire conservé à la University of Virginia Library sous la cote Gordon 1554.H57, disponible en ligne (consulté le 16 octobre).
9 Anvers, Jan Waesbergue, 1561 (exemplaire consulté le 16 octobre, conservé à la Biblioteca de Catalunya de Barcelone sous la cote Bon. 8-II15.Enq, disponible en ligne sur archive.org) ; Lyon, Benoît Rigaud et François Durelle 1570 (Bibliothèque municipale de Dijon, 8274) et Benoît Rigaud 1596 (Bibliothèque municipale de Besançon, 244785) ; Rouen, Raphaël du Petit-Val, 1597 (Bibliothèque de l’Arsenal 8-BL-29602) et 1606 (Bibliothèque de l’Arsenal, 8-BL-20118). Notons que La Croix du Maine mentionne une édition de 1571 par Benoît Rigaud dont on ne trouve aucune autre trace (La Bibliotheque du sieur de la Croix du Maine, Paris, Abel l’Angelier, 1584, p. 197).
10 Dans le cas du Philocope, le privilège de 1542 précise : « Veue avons l’humble supplication de nostre bien aymé Jehan André libraire juré en nostre université de Paris. Contenant que puis peu de temps en ça il a faict traduire d’Italien en Françoys le Philocope de Jehan Boccace elegant Poete Florentin, Auquel est amplement declairé la tresexcellente histoire de Fleury filz du Roy d’Espaigne et de Blanchefleur la belle Romaine, Le tout divisé en sept livres esquelz plusieurs personnes pourront prendre recreation » (fol. a2r). Pour sa part, Jacques Vincent obtient le 6 septembre 1552 un privilège royal pour plusieurs traductions (voir A. Charon-Parent, Les Métiers du livre à Paris au xvie siècle (1535-1560), Genève, Droz, 1974, p. 112), dont L’Histoire amoureuse : « Il est permis de par le Roy, à maitre Jaques Vincent, de faire imprimer et exposer en vente, l’Histoire Amoureuse de Flores et Blanchefleur […]. Et son faittes inhibitions et deffences à tous Imprimeurs et Libraires […] de n’imprimer ne faire imprimer, vendre ou distribuer, ne faire vendre. Fors à l’imprimeur auquel ledit vincent en aura donné la charge et licence […]. » (fol. 95v).
11 P. Mounier, Le Roman humaniste. Un genre novateur français, 1532-1564, Paris, Champion, 2007.
12 H. Hauvette, Les plus anciennes traductions françaises de Boccace, Paris, Feret, 1909.
13 J. Balsamo, Les Rencontres des muses. Italianisme et anti-italianisme dans les lettres françaises de la fin du xvie siècle, Genève, Slatkine, 1992, note 1 de l’introduction, « La première génération des traducteurs […] ». Voir également P. Cifarelli, « L’atelier parigino di Denis Janot e le traduzioni dall’italiano : spigolature fra strategie editoriali e promozione della lingua vernacolare », Studi Francesi, 176, 2015, p. 295 ; S. Cappello, « Il “Discours sur les livres d’Amadis” di Michel Sevin (1548) », Il romanzo nella Francia del Rinascimento dall’eredità medievale all’Astrea. Atti del Convegno Internationale Gargnano (7-9 ottobre 1993), éd. E. Balmas, Fasano, Schena, 1996, p. 207-224.
14 Voir les informations rassemblées par F. Montorsi dans L’Apport des traductions de l’italien dans la dynamique du récit de chevalerie (1490-1550), Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 240-245. La vie de cet homme de lettres est connue en grande partie grâce aux paratextes éditoriaux de ses traductions, dédiées à différents protecteurs. Parmi ses travaux, on compte plusieurs romans d’origine italienne et espagnole. D’abord, sa traduction du Roland amoureux de Boiardo, destinée à Diane de Poitiers, est publiée en trois volumes de 1549 à 1550 par Vivant Gaultherot et Étienne Groulleau. Puis en 1553, l’imprimeur-libraire Thibauld Payen publie sa traduction du Palmerin d’Angleterre, à l’attention de la même protectrice. Sa traduction de Floire et Blanchefleur s’adresse quant à elle au « très noble et vertueux seigneur René de Sanzay, seigneur de Sainct Marsault ».
15 Sur Michel Fezandat, voir P. Renouard, Répertoire des imprimeurs parisiens, libraires, fondeurs de caractères et correcteurs d’imprimerie depuis l’introduction de l’Imprimerie à Paris (1470) jusqu’à la fin du seizième siècle, Paris, M. J. Minard, 1965, p. 133 ; Histoire de l’édition française, éd. H.-J. Martin et R. Chartier, Paris, Promodis, 1982, vol. 1, p. 251. Sur les différentes publications de l’imprimeur-libraire, nous renvoyons à la base de données Data BNF (consultée le 13 octobre 2018).
16 On voit en effet Fezandat collaborer à plusieurs reprises avec d’autres traducteurs comme François Habert ou Jehan Lalemant.
17 M. Clément, « Co-élaborations à Lyon entre 1532 et 1542 : des interventions lyonnaises en réseau sur les “récits sentimentaux” ? », Réforme, Humanisme, Renaissance, 71, 2011, p. 35-44.
18 Voir A. Réach-Ngô, L’Écriture éditoriale à la Renaissance. Genèse et promotion du récit sentimental français (1530-1560), Genève, Droz, 2013.
19 Complaincte trespiteuse de Flamette à son amy Pamphile, translatée d’Italien en vulgaire Francoys, le tout reveu et corrigé. Nouvellement imprimée à Paris, Paris, Denis Janot, 1541, Bibliothèque de l’Arsenal, 8o BL 21045, Rawles no 50, USTC no 39109.
20 J.-M. Chatelain, « L’illustration d’Amadis de Gaule dans les éditions françaises du xvie siècle », Les Amadis en France au xvie siècle, éd. N. Cazauran, M. Bideaux, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2000, p. 41-52.
21 Treize elegantes demandes d’amours, premierement composées par le tresfaconde poete Jehan Bocace, et depuis translatées en Francoys : les quelles sont tresbien debatues, jugées et diffinies, ainsi que le lecteur pourra veoir par ce qui s’ensuit, Paris, Denis Janot, 1541, Bibliothèque de l’Arsenal, 8o BL 32714, Rawles no 136, USTC no 83766. Voir P. Rajna, « L’Episodio delle Questioni d’Amore nel Filocolo del Boccacio », Romania, 31, 1902, p. 28-32 ; V. Kirkham, « Reckoning with Boccaccio’s “Questioni d’amore” », Modern Language Notes, 89, 1974, p. 47-59 ; P. Cherchi, Andrea Cappellano, i trovatori e altri temi romanzi, Rome, Bulzoni, 1979, p. 210-217 ; L. Magaloli, « Timbro della prosa e motivi dell’arte nel Filocolo », Studi mediolatini e volgari, 6-7, 1959, p. 105-111.
22 E. H. Wilkins, The Invention of the Sonnet and Other Studies in Italian Literature, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1959, p. 139-145 (« Variations on the Name Philocolo »). Notons une certaine instabilité titulaire dans la désignation de l’ouvrage au fil des différentes éditions italiennes : Philocolo in lingua volgare tosca, Venise, Agostino Zani, 1514, USTC no 814764 ; Inamoramento di Florio et di Bianzafiore chiamato Philocolo, Venise, Bernardino I Viani, 1520, USTC no 814774 ; Il Philopono di messer Giovanni Boccaccio in fino a qui falsamente detto Philocolo, diligentemente da Tizzone Gaetano di Pofi rivisto, Venise, da Giacomo Penzio, 1527, USTC no 814750.
23 Titres de 1542 : Le Philocope de messire Jehan Boccace Florentin, contenant l’histoire de Fleury et Blanchefleur, divisé en sept livres traduictz d’italien en Francoys par Adrian Sevin gentilhomme de la maison de Monsieur de Gié ; 1555 : Le Philocope de Messire Jean Boccace Florentin. Contenant l’histoire de Fleury et Blanchefleur, divisé en sept livres. Et nouvellement imprimé ; 1575 : Le Philocope de Messire Jean Boccace florentin. Contenant l’histoire de Fleury et Blanchefleur, divisé en sept livres, traduits d’Italien en François, par Adrian Sevin, gentilhomme de la maison de monsieur de Gié.
24 « Comincia il libro chiamato Philocolo, il qual narra de la vita di Florio et di Biancofiore. » (Il Philocolo di Messer Giovanni Boccacio novamente corretto, Venise, 1530, Bayerische Staatsbibliothek, Res/P.o.it. 173, fol. 3r).
25 On notera qu’il n’en est pas de même dans d’autres espaces linguistiques, ce qui peut expliquer la traduction littérale du titre français à partir de l’ouvrage espagnol de M. Alemàn, Le gueux, ou la vie de Guzman d’Alfarache, Paris, Claude Preud’homme, 1538.
26 Ce titre est donné par Brunet qui décrit la première édition de 1512, aujourd’hui non localisée ou perdue (voir note 6). Notons que le titre de l’édition de 1604 est simplifié en Historia de Flores y Blancaflor.
27 Voir la lecture que donne G. Reynier du Philocope (Le Roman Sentimental avant l’Astrée, p. 47-49).
28 R. Morosini, « “Une moderne nouvelle” : Adrian Sevin’s Burglipha and Alquadrich (1542) and Boccaccio’s Philocope. Romeo and Juliet’s first trip abroad from Verona to France », Per civile conversazione. Scritti per Amedeo Quondam, éd. B. Alfonzetti, G. Baldassarri, E. Bellini, S. Costa, M. Santagata, Rome, Bulzoni, 2017, p. 801-814.
29 Fol. 2r-3v.
30 Les pièces liminaires, qui se développent à partir des années 1540 dans les « nouveaux romans », ont avant tout une fonction publicitaire et de prestige qui s’inscrit dans les réseaux de l’édition et du mécénat (elles sont écrites par des poètes de cour), ce qui leur retire toute objectivité.
31 « Tes Palmerins d’Angleterre » (fol. 6r) ; « Si la langue Castillane / Eust les beautez d’Oriane / D’Amadis les nobles faitz / Retenuz pour etre ornée » (fol. 5v) ; « Qui de Rolland l’amour chante » (fol. 8r).
32 « S’il est bon que l’on s’aplique / (Au los de la republique) / A notre langue augmenter, / Que sert sur la Greque Attique, / Et sur la Rommaine antique / Si long temps se tormenter ? / […] Celuy est fol qui s’eforce / D’oter la plus dure ecorce / Du Grec, du Latin : aussi / De toute langue etrangére / S’il n’ha volunté entière / D’enrichir la sienne ainsi. » (fol. 4v).
33 Fol. 8r.
34 Ces pièces sont au nombre de 5 dans l’édition de 1555 : le poème dédicatoire à Raymond Sac « A Messire Raymond Sac de la ville de Casey en la Conté de Pavie » (fol. aiir-aiiv) ; les distiques latins de Raymond Sac adressés à Adrien Sevin « Ad Adrianum Sevin de Magduno, Raymondus Saccus » (fol. aiiv) ; le dizain d’Herberay des Essarts « N. De Herberay Seigneur des Essars aux Lecteurs du Philocope de J. Boccace » (fol. aiiv-aiiir) ; le dizain « Aux lecteurs » (fol. aiiir) ; l’épître du translateur « A haulte, excellente et illustre dame, madame Claude de Rohan, Contesse de sainct Aignan, Adrian Sevin donne salut » (fol. aiiiv-aviiiv).
35 Ainsi la narration se trouve-t-elle structurée par l’insertion de marginalia dans l’édition de 1542 : Les complainctes de Blanchefleur apres avoir entendu les dessusdictz propos. // Adriane – Phedra – Brutus – Demophon – Philis – Aretusa – Hecuba – Medeager // Les complainctes de Fleury. // Le colloque de Fleury et Blanchefleur. // Dido – Eneas // Le reconfort de Fleury à s’amye Blanchefleur. // Apollo – Venus – Tratius – Amphion – Lethes interprete oubliance. // Les marginalia viennent souligner la structuration discursive de l’énoncé : « Cestes et assez d’aultres parolles disoit ladicte Blanchefleur en pleurant, et quelques fois baisant amoureusement son loyal amy Fleury, lequel ne se peult abstenir de larmoyer, et luy rompant son propos il dist », « Ce disant ilz pleuroyent assemblément, et se regardoyent l’ung l’aultre doulcement, et s’essuyoient souvent les larmes des clairs visaiges, ores avec les delicatz doigtz, puis de leurs riches robes ».
36 Paris, Étienne Groulleau, 1559.
37 Nous avons utilisé l’édition de Juan Gracian publiée à Alcalá de Henares en 1604, dont un exemplaire est conservé à la BnF sous la cote RES-Y2-828, disponible en ligne sur Gallica (consulté le 13/10/2018).
38 « Car un Traducteur, comment saurait-il mieux faire son devoir, sinon en approchant toujours le plus près qu’il serait possible de l’Auteur auquel il est sujet ? Puis, pensez quelle grandeur ce serait de voir une seconde Langue répondre à toute l’élégance de la première : et encore avoir la sienne propre. » (J. Peletier, Art poétique, Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. F. Goyet, Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 243).
39 L’imprimeur-libraire, actif entre 1555 et 1589, est connu pour avoir collaboré à l’édition anversoise des douze livres d’Amadis par Christophe Plantin en 1560. En outre, la même année que notre texte, il publie deux romans de chevalerie, Dom Florès de Grèce et Les Quatre fils Aymon, puis L’Histoire palladienne en 1562, Palmerin d’Olive en 1572 et Pierre de Provence en 1589. Sur cet imprimeur-libraire, voir A. M. Ledeboer, Het geslacht Van Waesberghe : eene bijdrage tot de geschiedenis der boekdrukkunst en van den boekhandel in Nederland, Rotterdam, 1859 ; L. Voet, J. Voet-Grisolle, The Plantin Press (1555-1589) : A Bibliography of the Works Printed and Published by Christopher Plantin at Antwerp and Leiden, Amsterdam, Van Hoeve, 1980-1983, 6 vol. ; A. Pettegree, M. Walsby, Netherlandish Books. Books Published in the Law Countries and Dutch Books Printed Abroad before 1601, Leiden-Boston, Brill, 2011.
40 Dans les années 1570, Benoît Rigaud s’intéresse particulièrement aux récits sentimentaux : la même année que notre texte, il publie, à nouveau en collaboration avec François Durelle, Le Chevalier Doré (réédité en 1577), un texte dont la réception éditoriale oscille également entre roman de chevalerie et récit sentimental (voir S. Cappello, « La double réception du Chevalier doré (Denis Janot, 1541 ; Denis de Harsy, 1542 ; Jean Bonfons, s.d.) », Studi francesi, 159, 2009, p. 535-548). L’année 1574 verra la publication de deux autres textes : les Comptes amoureux de Jeanne Flore et l’Histoire d’Aurélio et Isabelle, rééditée en 1582. Voir l’article de F. Montorsi, « La production éditoriale de Benoît Rigaud et son catalogue chevaleresque », Carte Romanze, 2/2, 2014, p. 371-392.
41 Ce titre simplifié sera repris par les deux éditions rouennaises.
42 Le nom de Jacques Vincent, qui par ailleurs est décédé depuis longtemps au moment de cette édition, reste tout de même mentionné dans le paratexte. Ainsi, cette réduction révélerait davantage la détermination du libraire à faire figurer une référence chevaleresque sur la page de titre.
43 Raphaël du Petit Val, actif de 1587 à 1613, s’est surtout distingué par son goût pour la poésie et le théâtre qui occupent une grande part de sa production éditoriale (88 éditions ou rééditions en poésie, 77 en théâtre et 28 pour les romans et contes). Ses deux éditions de Floire et Blancheflor s’inscrivent donc dans un corpus très diversifié d’œuvres littéraires, au sein duquel le texte constitue peut-être le représentant d’une catégorie générique spécifique. On peut tout de même relever en 1597, année de la publication de Floire et Blancheflor, un certain intérêt de l’imprimeur-libraire pour la thématique amoureuse. Il y publie en effet une série de textes qui, bien que de natures diverses, possèdent ce dénominateur commun : Les Amours de Pirame et Tisbee […] de Siméon-Guillaume de Laroque ; liii arrests d’amours donnez en la court et parquet de Cupido […] de Martial d’Auvergne ; Histoire veritable des infortunees et tragiques amours d’Hypolite et d’Isabelle […] de Jean du Meslier ; Les Affections de l’amour de P. […] mises de grec en francoys par Jehan Fournier de Parthenius de Nicee. En outre, en 1606, année de la réédition de notre texte, Raphaël du Petit Val publie également le célèbre texte satirique des Quinze joyes de mariage. Voir R. Arbour, « Raphaël du Petit Val de Rouen et l’édition des textes littéraires en France (1587-1613) », Revue française d’histoire du livre, 9, vol. 5, 1975, p. 87-141.
44 On a dit que le terme « histoire » connaît une fortune nouvelle dans la deuxième moitié du xvie siècle, notamment par sa référence à la catégorie des « histoires tragiques ». Le titre de l’édition rouennaise pourrait donc se charger lui aussi de cette connotation spécifique. Selon E. Ziercher, « Les histoires tragiques s’inscrivent pleinement dans le mouvement général des formes narratives de la seconde moitié du xvie siècle. Les récits sont alors de véritables laboratoires de formes. Ils construisent leur singularité formelle sur l’hybridation et se définissent d’abord comme des récits inclassables fonctionnant selon le principe de la bigarrure ». À l’intérieur de ce champ narratif en pleine effervescence, l’histoire tragique, dont les thèmes restent traditionnels, constitue une « passerelle entre récits brefs et récits longs, récits simples et récits complexes, nouvelles et romans ». On pourrait en dire autant de notre texte (E. Ziercher, « Histoires tragiques et formes narratives au xvie siècle », Réforme, Humanisme, Renaissance, 73, 2011, p. 18).
45 Arnao Guillem de Brocar, 1512 ; s.l., s.n., s.d., [1520] ; s.l., s.n., s.d., [1530] ; Séville, Cromberger, s.d. [1530] ; Séville, Cromberger, s.d. ; Burgos, F. de Junta, 1562 ; Burgos, F. de Junta, 1564 ; Alcala de Henares, J. Gracián, 1604 ; Séville, J. Cabezas, 1676 ; Séville, L. Martín Hermosilla, 1691 ; s.l., s.n., s.d., [1700]. Voir A. Bonilla y San Martin, La Historia de los dos enamorados Flores y Blancaflor.
46 Voir d’autres exemples dans l’ouvrage de V. Duché-Gavet, Les romans sentimentaux traduits de l’espagnol en France au xvie siècle, p. 68-71.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10454-4
- EAN : 9782406104544
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10454-4.p.0319
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/04/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Adrien Sevin, Jacques Vincent, traduction, édition, publics