La race chez Montaigne
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne Montaigne outre-Manche
2022 – 1, n° 74. varia - Auteur : Kenny (Neil)
- Pages : 93 à 107
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
LA RACE CHEZ MONTAIGNE1
À notre époque, où la critique littéraire prend conscience du rôle jusqu’ici souvent esquivé qu’a joué la racisation (au sens d’assignation des personnes à des « races ») dans la culture occidentale pré-moderne, comment comprendre la race chez Montaigne ? La question s’impose à propos de cet auteur qui marque à lui seul une étape essentielle dans la pensée occidentale sur la violence du colonialisme, ainsi que sur ce que nous appelons aujourd’hui la diversité ethnique2. Même la pratique de l’esclavage qui allait devenir, peu après la vie de Montaigne, le tournant que l’on connaît dans l’histoire du racisme occidental, n’était sans doute pas entièrement inconnue au maire de Bordeaux. En effet, même si le système français esclavagiste du commerce triangulaire n’est véritablement en place qu’à partir des années 16303, et même si la vente d’esclaves était défendue sur le sol français en général et à Bordeaux en particulier du vivant de Montaigne4, des esclaves d’origines diverses étaient 94cependant déjà transportés régulièrement dans des navires passant par ce grand port atlantique5.
Or, ce n’est ni dans le port de Bordeaux ni chez les Tupinambá évoqués au chapitre « Des cannibales » que l’on peut retrouver les conceptions montaigniennes de la « race », conceptions dont les liens avec le « Nouveau Monde » et l’esclavage, s’ils relèvent du domaine de la potentialité plutôt que de l’actualité, n’en sont pas moins importants.
Où chercher alors la « race » dans les Essais ? Nous choisissons de nous centrer sur l’usage que Montaigne fait de ce terme pour en découvrir les contours et la portée. Cette démarche n’est certainement pas la seule possible. Nous pourrions également détacher le mot du concept et chercher ce dernier. Ce genre d’approche, plus conceptualiste, a réussi ces dernières années à faire avancer sensiblement l’histoire pré-moderne de l’idée de race6. La question du rapport entre les conceptions « modernes » ou « phénotypiques » de la race qui se sont développées surtout à partir de la fin du xviie siècle (avec Bernier, Linné, Blumenbach et d’autres) et leur riche pré-histoire médiévale et renaissante est en effet trop complexe pour ne se prêter qu’à une seule méthode.
Commençons néanmoins avec trois constats que nous offre d’emblée une approche philologique. Tout d’abord, Montaigne se préoccupe beaucoup de la « race » : il utilise ce terme 26 fois dans les Essais et 9 fois dans son Journal de voyage. Ainsi en parle-t-il encore plus que son contemporain William Shakespeare, dans les œuvres duquel des études ont montré la présence de ce terme (employé 18 fois)7.
Deuxième constat : Montaigne, comme Shakespeare, recourt ainsi souvent à un terme qui sonne encore assez nouveau à la fin du xvie siècle car, même s’il devient d’usage courant, il n’était attesté que depuis trois ou quatre générations8. On en trouve la première occurrence en français 95chez le chroniqueur franco-bourguignon Philippe de Commynes9, dont Montaigne possédait un exemplaire des Mémoires10. « Race » n’est pas un de ces termes qui, employé depuis des siècles en latin, venait d’être francisé (ou anglicisé) – il n’a pas, lorsque l’on commence à l’utiliser en français, ce premier degré de familiarité. Terme relativement nouveau et par là même élastique, ouvert à divers référents possibles, « race » n’est pas à l’époque aussi chargé d’histoire que les mots latins (genus, gens, natio, populus) et grecs (ethnos) qui occupent le même champ sémantique. Le terme de race semble d’ailleurs avoir puisé son origine non dans ce champ sémantique, mais dans celui de l’élevage des chevaux. En ancien français comme aujourd’hui, le haras est en effet le lieu où se pratique cet élevage, prenant son nom de l’ordre de se retourner (« Hara ! ») que l’on criait aux chevaux. De là le terme italien de razza, qui semble avoir donné lieu à son tour à rasse/race en moyen français. Ce n’est donc qu’après son émergence que le terme semble s’être associé au terme latin de ratio (au sens d’« espèce »), voire peut-être à celui de generatio11. Ces termes latins enrichissent le sens de « race » à force de donner l’impression d’en être les étymones, sans pourtant l’être réellement.
Cela nous amène au troisième constat offert par une approche philologique : Montaigne, comme ses contemporains, emploie généralement le terme ailleurs que là où l’attendrait un lecteur moderne (ce qui ne revient pas à dire que l’usage du terme n’a rien à voir avec ses sens modernes). Sous la plume de Montaigne, les Tupinambá du Brésil (qu’évoque sans les nommer le chapitre « Des cannibales »), les Aztèques et les Incas (évoqués à leur tour dans « Des coches ») ne sont pas des races, mais plutôt des « nations » et (plus rarement) des « peuples12 ». Le choix de termes est significatif. Évitant le terme poly96sémique et nouveau de race, Montaigne insère les peuples américains dans le cadre conceptuel offert par l’Antiquité, celui des nationes qui sont en dehors, et très éloignés, de la France de Montaigne comme de la Rome de Cicéron. Ce dernier réserve en effet le terme de natio surtout aux peuples lointains et barbares13. Si Montaigne inverse le concept de barbarie (en discutant des « cannibales »), le terme ancien de « nation » lui sert donc à situer ces peuples américains dans un espace très lointain, dans « cet autre monde14 », alors que le terme de « race » désigne pour Montaigne surtout ce qui est bien plus proche et plus familier, appartenant à son propre monde.
Que désigne alors le terme de « race » sous la plume de Montaigne ? Le plus souvent, des groupes humains dans sa propre société, et souvent (mais pas toujours) des élites. Plus précisément, ce terme renvoie souvent en réalité à l’acte de désigner ces groupes comme tels. Pour Montaigne, utiliser le terme de race, c’est désigner moins un classement que la tentative d’instituer un classement – ou encore c’est mettre en question une telle tentative, comme nous le verrons. Les individus que l’on essaie ainsi de classer et de rassembler sont liés souvent (mais pas toujours) par le sang et la filiation. Ainsi les races sont-elles souvent des lignées, des regroupements transgénérationnels, dont certains sont identifiables non seulement par leur patronyme mais aussi par d’autres marques distinctives (n’incluant pas dans ce contexte la couleur de leur peau15). Il est toutefois important de souligner que ce sens de « lignée héréditaire » n’est pas le seul que prend le mot « race » dans les Essais, pas plus que dans d’autres textes de l’époque. L’utilité de ce terme semble résider justement dans sa polysémie, saturé qu’il est de connotations (sang, hérédité, 97génération16, distinction, noblesse, élevage animal17) auxquelles il ne se cantonne pourtant pas.
Cette polysémie se rencontre chez de nombreux auteurs de l’époque, à commencer par Shakespeare18, et n’est certainement pas l’apanage de Montaigne. Mais ce qui semble pourtant assez caractéristique de Montaigne est une certaine mise en question de l’acte de classement que suppose l’identification d’une race. Ce genre de mise en question sera souvent absent de l’histoire ultérieure et moderne de la notion de race, caractérisée au contraire par de nombreuses théories affirmatives.
Certes, Montaigne lui-même est capable d’être très affirmatif à l’égard de la race. S’il entoure cette notion de certains doutes, c’est d’ailleurs dans le contexte plus large de ses propres affirmations. Il affiche par exemple sa propre appartenance à une « race fameuse en preud’homie, & d’un tres-bon père19 » – l’importance de cette espèce de revendication pour l’identité sociale de l’auteur des Essais a été très bien établie par les travaux de Jean Balsamo, Warren Boutcher et Philippe Desan20. Mais dans le contexte même de cette affirmation très nette de sa race, sans mettre en question le quoi de la race, Montaigne met tout de même en question le comment, ainsi que l’ont souligné récemment Warren Boutcher et Isabelle Moreau21. Car, dans le chapitre en question, l’affirmation de 98son appartenance à une « race fameuse en preud’homie » est motivée par la recherche d’une marque spécifique qui distinguerait cette race, c’est-à-dire la famille de Montaigne. Cette marque distinctive serait-elle l’aversion pour la cruauté qu’il aurait héritée de son père ? Il s’agit d’une variante originale sur le topos du trait distinctif qui serait commun à une race noble, topos dont Brantôme fournit d’autres exemples, plus orthodoxes, quand il décrit les Guise comme particulièrement violents, les Valois comme particulièrement amoureux, et ainsi de suite22. Quel est pourtant le mécanisme par lequel ce trait commun s’est transmis à travers la race, de père en fils ?
je ne sais s’il a écoulé en moi partie de ses humeurs, ou bien si les exemples domestiques et la bonne institution de mon enfance y ont insensiblement aidé : ou si je suis autrement ainsi né, […]. Je les ai [sc. la plupart des vices], dis-je, en horreur d’une opinion si naturelle et si mienne, que ce mesme instinct et impression que j’en ai apporté de la nourrice, je l’ai conservé sans qu’aucunes occasions me l’aient su faire altérer23.
Le mécanisme en question est-il la propagation séminale telle qu’elle a été théorisée par Aristote, Galien, et Hippocrate24 ? Ou bien s’agit-il d’une coutume familiale, plutôt que d’une nature ? Ou encore, à comprendre le terme de nourrice au sens littéral, s’agirait-il même d’un choix familial avisé concernant la nourrice, et son lait25 ?
On retrouve à une plus grande échelle la même d’interrogation sur les mécanismes de la race, et notamment sur la transmission d’un trait commun et distinctif, dans un autre chapitre, « De la ressemblance des enfans aux peres ». Ici encore, le questionnement se limite au comment de la race plutôt que de s’étendre au quoi. Il s’agit de la transmission de deux traits, dont le premier, la colique et la pierre dont ont souffert père et fils, est attendu alors que le deuxième, la méfiance 99envers les médecins que partagerait Montaigne avec trois générations de prédécesseurs masculins, est plus surprenant dans la mesure où il relève du comportement plutôt que de la physiologie. Ce n’est pas de la réalité de cette transmission que Montaigne doute, mais seulement de son mécanisme. Sans affirmer aussi formellement que dans notre exemple précédent (celui de son aversion pour la cruauté) le fait qu’il considère cette transmission comme une question de race, il l’affirme néanmoins, en incluant dans la même discussion le fait qu’« À Thèbes il y avait une race qui portait dès le ventre de la mère la forme d’un fer de lance26 ».
Ailleurs dans les Essais, la mise en question partielle de la race prend d’autres formes que cette incertitude quant aux mécanismes de la transmission. Montaigne, continuant à affirmer la réelle existence de la race comme entité socio-héréditaire, indique néanmoins à plusieurs reprises que cette réalité n’est que partielle, c’est-à-dire qu’elle est dépassée par une autre, celle de la singularité de l’individu, en son autonomie, et en son for intérieur. Sans remplacer la race, ces éléments sont parfois présentés comme étant plus profonds et plus importants. Ainsi par exemple la race englobe-t-elle le mariage mais non l’amour : « L’usage et intérêt du mariage touche notre race, bien loin par-delà nous27 ». Certes, il est banal à l’époque d’envisager le rapport entre les individus et la communauté familiale comme une source de tensions, par lesquelles les individus cherchent à se ménager une part de liberté28. Mais Montaigne pousse très loin cette incapacité de la race à rendre compte entièrement de ce que nous sommes, et de qui nous sommes. Par rapport à la complexité morale, psychologique, et même sociale d’une personne, les informations qui relèvent de la race ne fournissent qu’une image superficielle et somme toute inadéquate, même pour qui ne cherche qu’à connaître son voisin : « De nos voisins, nous ne nous contentons pas d’en savoir la race, les parentèles et les alliances29 ». Se juger soi-même d’après sa supposée race est une entreprise tout aussi superficielle, parfois même douteuse, qui serait une affaire (typiquement française) de vanité :
100Il y a tant de liberté en ces mutations, que de mon temps je n’ai vu personne élevé par la fortune à quelque grandeur extraordinaire, à qui on n’ait attaché incontinent des titres généalogiques, nouveaux et ignorés à son père, et qu’on n’ait enté en quelque illustre tige : Et de bonne fortune les plus obscures familles sont plus idoines à falsification. Combien avons-nous de gentilshommes en France qui sont de Royale race selon leurs comptes ? plus, ce crois-je, que d’autres30.
La race peut être complètement inventée dans certains cas, ou seulement à moitié :
Encore hier je fus à même de voir un homme d’entendement et gentil personnage se moquant aussi plaisamment que justement de l’inepte façon d’un autre qui rompt la tête à tout le monde de ses généalogies et alliances plus de moitié fausses (ceux-là se jettent plus volontiers sur tels sots propos qui ont leurs qualités plus douteuses et moins sûres). Et lui, s’il eût reculé sur soi, se fût trouvé non guère moins intempérant et ennuyeux à semer et faire valoir les prérogatives de la race de sa femme. – Ô importune présomption, de laquelle la femme se voit armée par les mains de son mari même31 !
Dans le cas du premier vanteur, certains éléments généalogiques sont inventés, mais d’autres sont vrais ; dans le cas du deuxième, il est possible que tous soient vrais, mais c’est la vantardise qui est critiquée. Autrement dit, le doute et l’incertitude sont intrinsèques au classement social qu’est la race, et non accidentels. Aussi incertain que soit ce classement, il est pourtant indispensable dans le monde contingent et imparfait qui est celui des interactions sociales. Quel autre critère pourrait par exemple prendre les rois pour juger à qui attribuer des charges ou des commissions ?
Il faut qu’ils nous trient par conjecture, et à tâtons : par la race, les richesses, la doctrine, la voix du peuple – très faibles argumens. Qui pourrait trouver moyen qu’on en pût juger par justice, et choisir les hommes par raison, établirait de ce seul trait une parfaite forme de police32.
Ainsi la race joue-t-elle pour Montaigne un rôle dans ce que nous appellerions aujourd’hui le profilage qu’opèrent les puissants, qui est peu fiable mais, faute de mieux, incontournable. Ce profilage occulte non 101seulement la singularité morale et psychologique de l’individu, mais aussi certains éléments de sa singularité sociale, comme par exemple la lignée précise à laquelle appartient l’individu en question :
J’ai vu le Roi Henry second ne pouvoir jamais nommer à droit un gentil-homme de ce quartier de Gascogne, et, à une fille de la Reine, il fut lui-même d’avis de donner le nom général de la race, parce que celui de la maison paternelle lui sembla trop revers33.
N’oublions pas que l’incertitude et le flou qui entourent la notion de race lorsqu’il est question des autres n’empêchent pas Montaigne d’essayer de lui prêter davantage de solidité lorsqu’il l’applique à lui-même, soit dans un registre épidictique (pour louer la race d’une de ses protectrices34), soit pour se mettre lui-même en avant, et cela même quand il affiche une certaine modestie à l’égard de son propre nom. Car Montaigne déconstruit moins la notion de race quand elle s’applique à lui-même (lui permettant d’appuyer ses propres revendications sociales) que quand elle s’applique à autrui :
Premièrement je n’ai point de nom qui soit assez mien : de deux que j’ai, l’un est commun à toute ma race, voire encore à d’autres. Il y a une famille à Paris et à Montpellier, qui se surnomme Montaigne : une autre en Bretagne, et en Saintonge, de la Montaigne. Le remuement d’une seule syllabe mêlera nos fusées, de façon que j’aurai part à leur gloire, et eux, à l’aventure, à ma honte : Et si, les miens se sont autrefois surnommés Eyquem, surnom qui touche encore une maison connue en Angleterre35.
Ce passage approfondit d’une part la dimension fragile de la race, dans la mesure où la pierre angulaire de celle-ci – à savoir le nom propre du clan – peut facilement se confondre avec d’autres. Mais Montaigne brouille également ici les pistes pour amplifier l’envergure de sa propre race. En effet, présenter le nom de Montaigne comme celui de sa race, voire de « toute [sa] race », donne l’impression que celle-ci est vaste et ancienne, alors que le changement de nom qu’il admet ne remonte en fait qu’à un siècle, c’est-à-dire à l’achat de la seigneurie de Montaigne 102en 1477 par l’arrière-grand-père, Raymon Eyquem36. Sous la modestie apparente de ce passage se profile donc en réalité une mise en valeur de cette race des Montaigne.
Ainsi l’effet de miroir illustré plus haut – avec l’exemple de celui qui se vante de sa race tout en critiquant la vantardise d’autrui sur le même sujet – s’applique également à Montaigne lui-même, comme l’a remarqué d’ailleurs Guez de Balzac une soixantaine d’années après la mort de Montaigne. Balzac ironise ainsi dans un dialogue rapporté :
Mais vous souuient-il, Monsieur, du manquement qu’y trouua ce Galant-homme, qui estoit de nostre conuersation, & qui eust bien voulu que Montaigne, estant luy-mesme son Historien, n’eust pas oublié qu’il auoit esté Conseiller au Parlement de Bordeaux. Il nous disoit ce Galant-homme, qu’il soupçonnoit quelque dessein en cette omission, et que Montaigne auoit peut-estre apprehendé, que cet article de Robe-longue, fist tort à l’espée de ses Predecesseurs, & à la noblesse de sa Maison. Nous ne fusmes pas de ce sentiment, ni vous, ni moy, & soustinsmes que cette pensée ne pouuoit estre venuë à Monsieur de Montaigne, qui voyoit de ses propres yeux que Monsieur de Foix, nommé à l’Archeuesché de Thoulouze, estoit Conseiller au Parlement de Paris.
I’adiouste à ce propos vne chose qui ne fut point ditte, de feu Malherbe, & iugez de là combien il se piquoit de noblesse. Sans ce grand exemple de Monsieur de Foix, Malherbe ne se fust iamais resolu à traitter pour son Fils d’vn Office de Conseiller au Parlement de Prouence. Ses Amis luy representerent en cette occasion, qu’apres vn Gentil-homme Parent des Rois, & Allié de toutes les Maisons Souueraines de l’Europe, le Fils d’vn Gentil-homme de Caën, quoy que de la Race de ceux qui suiuirent en Angleterre Guillaume le Conquerant, pouuoit sans scrupule exercer vne Charge de Conseiller.
Mais pour reuenir à Montaigne, soit dessein, soit oubli, qui nous priue de cette partie de sa Vie, i’ay tousjours bien de la peine à m’en consoler. Il nous eust dit mille choses plaisantes de ce qu’il auoit remarqué au Palais ; de l’humeur des Iuges ; de la misere des Plaideurs ; des artifices, & des stratagemes de la Chicane. Apres tout i’eusse bien mieux aymé qu’il nous eust conté des nouuelles de son Clerc, qui ne s’appelloit point en ce temps là Secretaire, que de son Page.
N’est-ce pas en effet se moquer des gens, de faire sçauoir au Monde qu’il auoit vn Page37.
103Balzac critique (sur un ton nuancé) la manière dont Montaigne revendiquerait, tout comme Malherbe, une race prestigieuse, notamment en taisant l’existence de son clerc, alors qu’il accentue celle de son page. Cette lecture du xviie siècle renforce la dualité de la notion de race telle qu’elle est traitée par Montaigne : parfois plus solide, plus légitime, lorsqu’il s’agit de soi-même, mais bien plus floue et discutable lorsqu’il s’agit d’autrui.
En un sens, Balzac retourne contre Montaigne le point souligné par ce dernier et qui était le point de départ de notre propos : utiliser le terme de race c’est désigner moins un classement que la tentative d’en créer un, voire même la mise en question de cette tentative. Les exemples cités permettent d’ajouter un autre élément à cette caractérisation de la race, élément que Montaigne partage avec ces contemporains : utiliser le terme de race c’est aussi évoquer plus ou moins directement un cadre épidictique, que ce soit pour confirmer ou infirmer ce dernier. Classer par la race, c’est louer ou blâmer, ou bien mettre en question le projet même de louer ou de blâmer. Ce n’est en tout cas pas un geste neutre ou purement taxonomique. Quand le geste est appliqué à un tiers, il implique d’ailleurs non seulement la personne louée ou blâmée mais aussi celui même qui loue ou qui blâme, qui est implicitement désigné comme inférieur ou supérieur, ou en tout cas comme étant impliqué dans le même cadre hiérarchique que la personne dont il parle. Dans les contextes énonciatifs où on la rencontre, la notion de race est donc profondément relationnelle plutôt que simplement descriptive. Souvent c’est plus ou moins explicitement à partir de sa propre race que l’on en désigne d’autres.
C’est ce qui crée un léger ton de condescendance, voire peut-être d’ironie38, lorsque Montaigne discute de races (au sens plus général de groupes sociaux) qui sont situées au-dessous de lui dans la hiérarchie sociale. Son parcours sceptique de la religion ancienne comprend par exemple l’observation suivante : « à chaque race d’artisans un dieu39 ». Il note ailleurs, à la suite d’Osorio, la proscription de l’inter-mariage entre divers groupes sociaux dans la ville de Kozhikode en Inde (« Ne peut une de race cordonnière épouser un charpentier40 »). On aurait tort 104de considérer ces mentions de races d’extraction plus modeste comme n’ayant pas de rapport avec le sens plus habituel de « race noble ». Car cette « race cordonnière » est définie en partie, tout comme la race générale de la noblesse, par rapport aux règles sociales qui régissent le mariage et la procréation, cette fois pour des raisons de transmission des savoir-faire et des biens (« fortune ») plutôt que pour des raisons d’hérédité et de sang. Si d’ailleurs Montaigne évoque cette proscription des unions entre divers groupes artisans, c’est pour faire la même démonstration que celle qu’il fait à propos des races nobles, c’est-à-dire de l’inadéquation entre d’une part la race et le mariage et d’autre part l’individu et ses propres désirs intimes.
Si Montaigne désigne les artisans comme autant de races, c’est à partir d’une position qui, quoique bien supérieure à la leur, est située dans le même cadre, et de ce fait dans la même hiérarchie sociale que celle qu’ils habitent, c’est-à-dire celle du royaume de France. Cette étroite association entre race et royaume peut même aller jusqu’à une quasi-identification entre les deux lorsque la notion de race s’étend au peuple français tout entier. Ainsi les premiers rois français étaient-ils « Les Rois de nostre première race41 ». Lorsque la notion de race s’étend de cette manière aux frontières du royaume et au-delà, bien qu’un lecteur moderne attende peut-être que la notion continue alors à s’étendre aux peuples du monde entier, en fait elle commence à perdre son souffle. Au-delà de l’épicentre de la race qu’est la hiérarchie sociale de la France n’apparaissent en effet dans les Essais que deux autres races, celles des Juifs42 et des Ottomans43. Mobilisant ainsi l’un des critères de « race » les plus récurrents à l’époque, celui de la religion44, Montaigne semble désigner ces deux groupes comme « races » justement parce que, s’ils se situent largement en dehors du royaume de France, ils ont cependant des rapports de contiguïté et même d’intériorité (dans le cas des Juifs) avec le royaume français, appartenant au même « monde » que lui 105plutôt qu’à un « autre », comme les peuples américains. Ce rapport de proximité relative est particulièrement fort pour Montaigne dans le cas des Juifs, étant donné son propre héritage juif probable (qu’il passe sous silence) du côté de sa mère45. Dans le cas des Ottomans, la proximité relative, sous-tendue par les conflits et les échanges diplomatiques et culturels du xvie siècle, relève d’une longue habitude de rivalité que prolonge Montaigne en décrivant la « race » des Ottomans d’abord comme supérieure (« la race Ottomane, la première race du monde en fortune guerrière46 ») et ensuite comme inférieure aux Français (« Soliman, de la race des Ottomans, race peu soigneuse de l’observance des promesses et paches47 »), mais en tout cas dans un rapport hiérarchique et comparatif avec eux, c’est-à-dire évaluée en bien comme en mal à partir de son concurrent, qui serait la race chrétienne française.
Si, au-delà du royaume de France, il ne reste autrement dans les Essais qu’une seule race, celle de l’humanité elle-même, elle aussi est pensée par Montaigne à partir de ses propres références de la « race », la race française et la race noble :
On demandait à Socrates d’où il était, il ne répondit pas « d’Athènes », mais « du monde ». Lui, qui avait son imagination plus pleine et plus étendue, embrassait l’univers comme sa ville : jetait ses connaissances, sa société et ses affections à tout le genre humain : Non pas comme nous, qui ne regardons que sous nous. Quand les vignes gèlent en mon village, mon prêtre en argumente l’ire de Dieu sur la race humaine, et juge que la pépie en tienne déjà les Cannibales48.
Le topos socratique qui sert ici de cadre à l’observation concernant le curé de village présente la « race humaine » comme une entité qui ne surgit qu’aux extrémités de la pensée, qu’il s’agisse d’une pensée exceptionnelle (et cosmopolite dans le cas de Socrate) ou hyperbolique (et bornée dans le cas du prêtre). Si le prêtre présente les « Cannibales » comme les candidats les plus difficilement assimilables à cette catégorie assez neuve qu’est la race humaine49, c’est cette même distance énorme – qui les sépare de la 106hiérarchie sociale française (et des voisins de cette dernière) – qui amène Montaigne à les traiter de nations plutôt que de races.
Autrement dit, Montaigne ne fournit dans les Essais nulle théorie ou système des races, que ce soit à l’intérieur de « la race humaine » ou à l’intérieur de la France, qui constitue pour lui comme pour ses contemporains la scène principale sur laquelle se joue le drame de la race. Nonobstant cette absence d’une théorie ou d’un système, Montaigne s’intéresse profondément à ce qu’il appelle la race, ce qui n’est guère surprenant chez un auteur obsédé par la question de savoir si l’on peut classer les humains et les soumettre à des typologies, étant donné leur dissimilitude radicale, comme par la question de savoir si un Européen peut comprendre d’autres cultures. La place de la race dans ces questions plus larges est ambivalente dans les Essais. Montaigne accorde à la race un rôle superficiel, opaque, mais somme toute incontournable dans les efforts faits par les Français de se juger les uns les autres ; par ailleurs la race dépasse un peu ce cadre, en s’appliquant aussi à ceux qui sont contigus au monde de Montaigne, voire à l’humanité, sans pour autant englober fermement la totalité des cultures, même celles qui étaient connues à l’époque par les Européens.
Le rapport du concept de race à ces avatars qui allaient se développer surtout un siècle plus tard relève donc de la potentialité. Il n’en est pas moins significatif50. Car la notion de race léguée par Montaigne et ses contemporains aux générations suivantes est un outil à penser qui comprend déjà au moins deux éléments qui seront capitaux pour les théories raciales ultérieures : d’abord, le fait que l’identification de la race n’est pas neutre mais comprend souvent un jugement de valeur désignant le groupe en question comme supérieur ou inférieur à d’autres ; deuxièmement, l’association étroite de la race au sang et à l’hérédité (quoique pas encore chez Montaigne à la couleur de la peau). 107Cet héritage ne fait certainement pas de Montaigne un apologiste du racisme occidental moderne. La question de sa propre attitude envers le colonialisme et l’altérité culturelle est complexe et plus vaste, en allant de la dénonciation des conquistadores à sa fantaisie d’une conquête plus douce qu’auraient faite les Anciens si eux ils avaient découvert l’Amérique (tout cela rien que dans « Des coches »). Il convient d’ailleurs de souligner que la « race » est souvent chez Montaigne une question plutôt qu’une réponse, une désignation du désir humain de classer les autres plutôt qu’un acte de classer en lui-même. De plus, fidèle à sa critique habituelle de la tendance humaine à se prendre soi-même pour modèle de référence, Montaigne met en valeur le rôle de la première personne, de celui qui classe, dans la désignation d’un tiers comme appartenant à telle ou telle race, alors que des théories « scientifiques » ultérieures estompent souvent cette première personne, voulant faire de la race non une notion franchement relationnelle mais une réalité objective, une structure naturelle dont l’existence ne dépendrait pas des relations humaines. Cependant, aussi grande que soit la distance qui sépare la race montaignienne de celle qui allait nourrir plus tard le colonialisme et l’esclavage atlantique, certains éléments dans les Essais comme dans d’autres textes de son époque avaient la potentialité, à l’insu de leurs auteurs, d’être transformés en outils pour répartir l’espèce humaine en une hiérarchie de races, de manière à justifier la subjugation des unes par les autres.
Neil Kenny
All Souls College, Oxford
1 Je suis redevable à Jonathan Patterson d’avoir organisé une séance autour de la question de la race au congrès de la Renaissance Society of America (2021) qui a fourni l’occasion d’une première discussion des arguments présentés ici. Je remercie également Morgane Muscat et Emiliano Ferrari pour leurs relectures attentives de cet article.
2 La notion d’ethnicité, quoiqu’utilisée parfois dans les sciences sociales comme préférable à celle de race, est elle-même une construction sociale tout autant que cette dernière, comme l’a noté Robert Bartlett (« Medieval and Modern Concepts of Race and Ethnicity », Journal of Medieval and Early Modern Studies, t. 31, no 1, 2001, p. 39–56). Toujours est-il que la notion d’ethnos (banale par exemple dans les Politiques d’Aristote) est bien plus ancienne que celle de race.
3 Voir Christopher L. Miller, The French Atlantic Triangle : Literature and Culture of the Slave Trade, Durham, Duke University Press, 2008, p. 17-19.
4 Voir Filip Batselé, Liberty, Slavery and the Law in Early Modern Western Europe : « omnes homines aut liberi sunt aut servi », Cham, Springer, 2020, p. 75-87 ; Robin Blackburn, « The Old World Background to European Colonial Slavery », William and Mary Quarterly, 3e série, t. 54, no 1, janvier 1997, p. 65-102, aux p. 88-89 ; Brion David Davis, The Problem of Slavery in Western Culture, Oxford, Oxford University Press, 1966, p. 111-114 ; Henry Heller, « Bodin on Slavery and Primitive Accumulation », The Sixteenth Century Journal, t. 25, no 1, 1994, p. 53-65 ; Brett Rushworth, Bonds of Alliance : Indigenous and Atlantic Slaveries in New France, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2012, p. 78-83.
5 Voir F. Batselé, Liberty, op. cit., p. 81-83 ; B. Rushworth, Bonds, op. cit., p. 81-82.
6 Voir par exemple Geraldine Heng, The Invention of Race in the European Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 2018 ; Ania Loomba et Jonathan Burton, Race in Early Modern England : A Documentary Companion, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2007.
7 Voir Ania Loomba, Shakespeare, Race, and Colonialism, Oxford, Oxford University Press, 2002, et pour une étude plus large, Kim F. Hall, Things of Darkness : Economies of Race and Gender in Early Modern England, Cornell, Cornell University Press, 1996.
8 Sur l’histoire du terme, voir Ivan Hannaford, Race : The History of an Idea in the West, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996, p. 4-6 ; Oxford English Dictionary Online www.oed.com [consulté le 28/09/2021] ; Walther von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch <https://apps.atilf.fr/lecteurFEW> [consulté le 28/09/2021] ; et surtout Anatoly Liberman, « The Oxford Etymologist looks at Race, Class and Sex (but not Gender), or, Beating a Willing Horse », <https://blog.oup.com/2009/04/race-2/> [entrée du 22/04/2009 consultée le 28/09/2021].
9 Voir Arlette Jouanna, Ordre social : mythes et hiérarchies dans la France du xvie siècle, Paris, Hachette, 1977, p. 43.
10 Voir Paul Nelles, « Stocking a Library : Montaigne, the Market, and the Diffusion of Print », dans Neil Kenny et Philip Ford (dir.), La Librairie de Montaigne, Cambridge, Cambridge French Colloquia, 2012, p. 1-24 à la p. 5 ; Philippe Desan, « Les Essais sur vingt ans : remarques sur le travail de Montaigne », dans N. Kenny et P. Ford (dir.), La Librairie, op. cit., p. 201-213, à la p. 204.
11 Pour cette séquence, voir surtout A. Liberman, « The Oxford Etymologist ».
12 Voir par exemple Michel de Montaigne, Essais, 3 tomes, éd. André Tournon, Paris, Imprimerie nationale, 1998, I, 31 (343, 345 bis, 349), III, 6 (196, 198, 199, 200 bis).
13 Voir Charlton T. Lewis et Charles Short, A Latin Dictionary < http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus:text:1999.04.0059 [consulté le 28/09/2021] >, « natio », II, B.
14 I, 31, 339. Voir aussi III, 6, 197 (« Notre monde vient d’en trouver un autre »).
15 Montaigne renvoie dans « Des coches » à des différences de « forme » et de « contenance », sans spécifier ces dernières, et cela du point de vue des indigènes, à qui les Européens apparaissent comme « des gens barbus, divers en langage, religion, en forme et en contenance » (III, 6, 198). Sur le rôle de la couleur de la peau comme un élément parmi d’autres dans les classifications raciales pré-modernes et européennes, voir R. Bartlett, « Medieval », art. cité, p. 41 ; K. Brown, Native Americans and Early Modern Concepts of Race, Londres, Routledge, 1999, p. 84-86 ; K. Hall, Things, op. cit. ; G Heng, The Invention, op. cit. ; A. Loomba, Shakespeare, op. cit., p. 6.
16 L’une des dénotations de « race » à l’époque de Montaigne est même celle d’« une génération » : voir Michel de Montaigne, Journal de voyage, éd. François Rigolot, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 13 (« nobles de quatre races du costé de pere et de mere »).
17 Sur tous ces sens, voir A. Jouanna, Ordre social, op. cit. Pour le dernier mentionné, voir Essais, II, 19, 541 (« la race des bœufs »).
18 Voir A. Loomba, Shakespeare, op. cit., chap. 1.
19 II, 11, 154.
20 Voir par exemple Jean Balsamo, « “À plus d’un titre” : l’éthos noble des Essais aux Mémoires d’outre-tombe », Cahiers parisiens / Parisian notebooks, t. 6, 2010, p. 115-135 ; id., « Montaigne’s Noble Book : Book History and Biographical Criticism », Journal of Medieval and Early Modern Studies, t. 41, no 2, 2011, p. 417-434 ; id., « Montaigne et Pierre Eyquem : le meilleur des fils du meilleur des pères », Les Liens humains dans la littérature (xvie-xviie siècles), études réunies par Julia Chamard-Bergeron, Philippe Desan et Thomas Pavel, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 13-33 ; Warren Boutcher, The School of Montaigne in Early Modern Europe, 2 t., Oxford, Oxford University Press, 2017 ; Philippe Desan, Montaigne : une biographie politique, Paris, Odile Jacob, 2014.
21 Warren Boutcher, « “Noble Ambition” : New Social Literacies and Traditional Hierarchies in Early Modern European Literature and History », dans Neil Kenny (dir.), Literature, Learning, and Social Hierarchy in Early Modern Europe, Oxford, Oxford University Press, à paraître en 2022 ; Isabelle Moreau, La Paresse en héritage : Montaigne, Pascal, Bayle, Paris, Honoré Champion, 2019, p. 125-127.
22 Voir A. Jouanna, Ordre social, op. cit., p. 49-50 ; Neil Kenny, Born to Write : Literary Families and Social Hierarchy in Early Modern France, Oxford, Oxford University Press, 2021, p. 6.
23 II, 11, 154-155.
24 Par exemple dans le De generatione animalium d’Aristote. Voir David Ross, Aristotle, 6e édition, Londres et New York, Routledge, p. 112-116, et, plus généralement sur ces débats, A. Jouanna, Ordre social, op. cit., p. 39-48.
25 Le lien significatif avec un autre passage (« Mais le lait de ma nourrice a été Dieu merci médiocrement sain et tempéré, » III, 12, 418) a été signalé par I. Moreau, La Paresse, op. cit., p. 126.
26 II, 37, 679.
27 III, 5, 10.
28 Voir N. Kenny, Born to Write, op. cit., p. 40-41.
29 II, 17, 526.
30 I, 46, 442.
31 III, 8, 227-228.
32 III, 8, 232.
33 I, 46, 440.
34 Diane de Foix de Gurson, qui serait membre d’une « race lettrée », dont Montaigne cite aussi deux autres membres (I, 26, 259). Voir N. Kenny, Born to Write, op. cit., p. 7.
35 II, 16, 473.
36 Voir P. Desan, Montaigne, op. cit., p. 39.
37 Guez de Balzac, Les Entretiens de feu Monsieur de Balzac, Paris, Augustin Courbé, 1657, p. 242-244. Pour une analyse différente de ce passage, voir N. Kenny, « Que devient le statut social de Montaigne au xviiie siècle ? », dans Myrtille Méricam-Bourdet et Catherine Volpilhac-Auger (dir.), La Fabrique du xvie siècle au temps des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 225-245 aux p. 234-235.
38 Nous irions pourtant un peu moins loin qu’A. Jouanna lorsqu’elle interprète la locution montanienne de « race d’artisans » comme péjorative (Ordre social, op. cit., p. 46-48).
39 II, 12, 323.
40 III, 5, 113.
41 III, 6, 186.
42 Nous rejoignons ici A. Jouanna lorsqu’elle distingue entre la « race » des Juifs (traitée le plus souvent d’inférieure) et d’autre part les peuples plus lointains qui eux ne sont pas considérés comme des races (Ordre social, op. cit., p. 46-48). Voir aussi G. Heng, The Invention, op. cit., chap. 2.
43 Sur la racisation des Musulmans comme « Sarrasins » au moyen âge, voir G. Heng, The Invention, op. cit., chap. 4.
44 Sur le débat historiographique autour du poids à accorder à la religion dans la racisation à cette époque, voir A. Loomba, Shakespeare, op. cit., p. 2.
45 Voir P. Desan, Montaigne, op. cit., p. 44.
46 II, 21, 550.
47 II, 17, 507.
48 I, 26, 271-272.
49 Alors que l’expression humana gens remontait à l’antiquité, la traduction racisée de « race humaine » était vraisemblablement assez récente. L’équivalent anglais de « human race » ne remontait en effet qu’au milieu du xvie siècle d’après l’Oxford English Dictionary Online (« race », 3b) [consulté le 28/09/2021]. Une variante française, que l’on retrouve par exemple chez Desportes, est la « race des hommes » : voir Philippe Desportes, Cartels et masquarades ; épitaphes, éd. Victor E. Graham, Genève, Droz, 1958, p. 86-87.
50 Nos conclusions à propos de Montaigne cadrent ainsi plus ou moins avec celles proposées pour la période en général par Jean E. Feerick dans son Strangers in Blood : Relocating Race in the Renaissance, Toronto, University of Toronto Press, 2010, par exemple aux p. 8-9 : « For what early modern writers named and understood as race – a category proximate to that of rank – had deep, if oblique, connections to the later ideology. The clearing of this earlier ideology was, I suggest, an enabling condition of modern racial ideologies. »
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12975-2
- EAN : 9782406129752
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12975-2.p.0093
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/03/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : race, nation, hérédité, sang, famille