Au premier plan, en arrière-plan La singularité de Montaigne « en une saison si gastée »
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne Montaigne outre-Manche
2022 – 1, n° 74. varia - Auteur : Patterson (Jonathan)
- Pages : 75 à 92
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
AU PREMIER PLAN, EN ARRIÈRE-PLAN
La singularité de Montaigne
« en une saison si gastée »
Il existe toujours une forte disposition dans la critique littéraire à vouloir affirmer l’originalité de Montaigne. Mais c’est parfois aussi un leurre. Plus on découvre le contexte des Essais – contexte au sens plus large, d’où il ressort que les frontières sont toujours à repousser – et plus on voit que l’exceptionnalité de Montaigne est, elle aussi, toujours susceptible de nuances. Nombreux sont les ouvrages démontrant cette propension. J’en cite deux : d’un côté, le Montaigne : une biographie politique (2014) de Philippe Desan1, qui nous offre un Montaigne « ni candide ni transparent » en étudiant de près les pratiques politiques et sociales de la fin de la Renaissance ; et, d’un tout autre cru, l’ouvrage Montaigne in Transit (2016)2 réunissant quatorze travaux qui mettent l’accent sur la genèse, la production, la diffusion et la réception des Essais. Reprenant les mots de Montaigne dans la postface de cet ouvrage, Ian Maclean nous encourage à lire les Essais à travers une « veuë oblique », et c’est ce que je vais faire ici.
Pour commencer, je reprends la question formulée par les biographes récents de Montaigne, Philippe Desan et Katherine Almquist : et si les Essais de Montaigne nous incitaient à le chercher hors de sa vie privée, dans ses milieux professionnels, et plus largement dans l’habitus qui l’entoure des ordres, clans, familles, clientèles et corps constitués3 ? Ce Montaigne-là n’aurait pas de trop grande « particularité » ; il serait plutôt un être difficile à cerner au plus près. Certes, cette démarche-là 76des biographes, par laquelle Montaigne se déplace du premier plan de la singularité littéraire-intellectuelle à l’arrière-plan de la collectivité sociale, a ses mérites pour l’étude historique de l’essayiste. Mais je veux adapter les approches biographiques de Desan et d’Almquist pour revenir à une lecture des Essais sous le prisme de mes travaux précédents sur Montaigne. Deux études portent sur l’argent, la noblesse, et surtout les vices qui s’y ajoutent – l’avarice et la vilenie – dans le siècle de Montaigne4. Dans la première étude, Montaigne est au premier plan, c’est-à-dire que je l’ai vu, par le biais des Essais, comme un exemple atypique et exceptionnellement sophistiqué des discours moraux et sociaux sur l’avarice à la Renaissance. Dans la deuxième étude, Montaigne est en arrière-plan : pour cerner le vilain, pour comprendre les formes de la vilenie et de l’avilissement dans un sens littéraire et juridique, j’ai fait référence aux Essais, mais je me suis orienté davantage vers d’autres sources qui exercent un rôle plus prépondérant.
Je souhaiterais maintenant revenir sur cette question de la singularité de Montaigne concernant la formulation de son éthos noble dans les Essais. C’est ici une étude de plusieurs exemples témoignant des problèmes de la noblesse qui pesaient lourdement sur notre essayiste, et d’où l’on peut esquisser un double postulat : la singularité de Montaigne s’exprime par des formes ambiguës qui laissent à croire que cette singularité tend à se dissiper au moment de son énonciation. Montaigne au premier plan, Montaigne en arrière-plan ; et ainsi le texte montaignien ne fait que gagner en complexité à mesure que nous le lisons en filigrane dans ce « livre consubstantiel à son autheur ».
LE GÉNÉRAL DANS LA SINGULARITÉ :
« ENVIRON COMME UN HOMME GEHENNÉ D’AVARICE »
Une analyse sociale et historique nous rappellera que Montaigne vivait à une époque foncièrement hiérarchique où l’on croit que les « ordres » 77les plus élevés de la société possèdent une espèce de « dignité » liée à leur fonction publique (que ce soit guerrière, sacerdotale ou judiciaire), et que cette dignité n’est donc pas universelle au genre humain5. Ces mentalités hiérarchiques, Montaigne vit à travers elles, il est prêt à les articuler quand il lui convient de le faire, et néanmoins, il n’est pas non plus borné par elles. S’il revendique la dignitas du noble militaire, il n’abandonne jamais sa fonction civile (après sa carrière à la magistrature il sera maire et négociateur diplomatique6). Il joue de ces identités différentes dans ses Essais, elles ne sont nullement figées, et elles autorisent une sorte de désinvolture intellectuelle lorsqu’il s’agit d’exprimer la valeur de la vie noble – la vera nobilitas – la vie d’un gentilhomme qui sait ce qu’il doit à la chose publique sans se laisser dominer par elle. Il vit à l’aise grâce à sa seigneurie en Périgord, il peut se claquemurer dans sa « librairie », ou alors, s’il le souhaite, il peut voyager en France et à travers l’Europe. Pourtant, sa liberté ne va pas de soi. Les Essais démontrent à quel point ses diverses formes de vie noble sont menacées, soit par ses propres faiblesses, soit par des forces extérieures.
Ses rapports à l’argent en sont une illustration nette. Fait rare au xvie siècle, et encore plus étonnant pour un gentilhomme, Montaigne est prêt à admettre qu’il a vécu une période avaricieuse de sa vie où ses dépenses furent trop restreintes – et il veut avouer en divers lieux comment il s’en est sorti7. Il se félicite de se voir « desfaict de cette folie si commune aux vieux8 » ; il affirme sa prédilection pour des échanges modérés avec autrui ; quant aux voyages, il se permet des dépenses considérables, « ayant accoustumé d’y estre avec equippage non nécessaire seulement, mais aussi honneste » (III, 9, 993). L’avarice en son entièreté, pourtant, ne le quittera jamais ; Montaigne se trouvera de temps à autre dans des circonstances où il va admettre la possibilité d’une avarice revenue sous une forme atténuée mais encore injurieuse. Premier cas de figure : depuis 78longtemps Montaigne avait convoité l’honneur du collier de l’Ordre de Saint-Michel, nous rappelle-t-il dans son « Apologie de Raimond de Sebonde » ; la Fortune répondit en avilissant l’ordre, nombreux seront les nouveaux initiés, et il ne sera qu’un anonyme du troupeau (II, 12, 612). Montaigne en arrière-plan : il sera considérablement gêné par cette perte de prestige. Désormais, le collier perd sa singularité honorifique ; il ne représente plus pour lui qu’une « insupportable commodité », et pour qualifier son désappointement Montaigne se considère comme un nouveau Midas, incapable de désavouer ses prières9.
Ironie épatante et d’une tournure comique sans doute, mais elle recèle une vérité discernable à travers les Essais : selon Montaigne, celui qui veut préserver une attitude « noble » face aux richesses et aux honneurs non-pécuniaires, quelles que soient leurs formes, doit se faire l’objet d’un examen constant. Autrement, sa dignité et son image publique risquent d’être atteintes. Mais au-delà du profil public, obliquement et par des intertextes latins, notre essayiste nous montre sa vulnérabilité face aux approches insidieuses de l’avarice. Deuxième cas de figure : voyons comment il peine à garder son sang-froid face à une grave perte financière qui s’est produite lors du siège de Castillon en 1586. Le duc de Mayenne lance ses troupes dans la Guyenne, la violence se répand et elle déborde sur les terres de Montaigne. Pillages, vendange détruite, pertes d’environ 6.000 livres : le bilan est certainement lourd pour notre essayiste. Il ne le sait que trop bien :
Tant y a que de ce qui m’advint lors, un ambitieux s’en fust pendu : si eust faict un avaritieux. Je n’ay soing quelconque d’acquerir.
Sit mihi quod nunc est etiam minus, ut mihi uiuam
Quod superest æui, si quid superesse uolent dii.
Mais les pertes qui me viennent par l’injure d’autruy, soit larrecin, soit violence, me pincent, environ comme un homme malade et gehenné d’avarice. (III, 12, 1091)
Voilà un bel exemple de ce que George Hoffmann a noté plus généralement, à savoir le fait que l’écriture des Essais vienne à maturité non dans la prospérité paysanne mais dans des conditions austères10. La singularité véridique de Montaigne dans cet exemple consiste à vouloir se consoler 79en rationalisant son infortune, et ensuite à ébranler ce qui serait, à vrai dire, une fausse consolation. La citation d’Horace (Epîtres, I, xviii, 107-108) est une prière d’un homme content de survivre avec moins qu’auparavant, mais cette piété stoïque est fragilisée immédiatement par une confession de souffrance quasiment pathologique – « environ comme un homme malade et gehenné d’avarice ». L’avarice suscite encore une douleur psychosomatique chez Montaigne ; il n’en est pas tout à fait guéri par le bon ménagement de sa volonté11. Montaigne doit l’accepter, même si le sens modal12 d’environ comme laisse supposer que l’image stéréotypique de l’avare inquiet ne se superpose pas complètement à la forme maîtresse de notre auteur. Et pourtant, nul ne peut nier que dans ce passage tardif des Essais, Montaigne finit par se rapprocher des types avaricieux plus qu’il n’ose l’admettre ailleurs.
UNE NOBLESSE AVILIE ?
LE PROBLÈME DES NOMS ET DES TITRES
Les souvenirs de ses graves pertes financières le « pincent » encore. Elles nous sensibilisent à une gêne que l’on voit à travers les Essais, un embarras par lequel l’essayiste se montre irrité et parfois troublé par les multiples formes d’avilissement qui risquent de ternir sa réputation et celle de la noblesse française plus généralement. Ici il est question d’un discours qui porte un regard critique sur les attributs immatériels dont se vantent régulièrement les nobles : noms et titres. Pour Montaigne, ces attributs immatériels de la noblesse n’ont pas plus de stabilité et de durabilité que les marques matérielles que nous avons déjà évoquées (principalement les terres et l’argent).
Qu’est-ce qu’un nom ? Le chapitre 46 du premier livre (« Des noms ») aborde cette question cratylique d’une façon assez drôle, par une « galimafrée de divers articles » inspirés de sources diverses : Rabelais, Folengo, Juvénal, Jean Bouchet. Avoir bon nom, c’est avoir une belle réputation 80– et pourtant ce n’est souvent pas le cas. Les deux ne vont pas toujours de pair. À travers une disposition qui parodie le style judiciaire (la formule « item… item…. item » rappelle le Testament de Villon), Montaigne se fait un répertoire de noms dont l’usage est « une chose legere » ou « rude » pour enfin découvrir un fondement peu solide à la gloire aristocratique13 :
c’est un vilain usage et de très-mauvaise consequence en nostre France, d’appeller chacun par le nom de sa terre et Seigneurie, et la chose du monde, qui faict plus mesler et mescognoistre les races. (I, 46, 298)
La pratique de s’appeler par le nom de terre était bien établie dans les mœurs et dans l’imaginaire littéraire de l’époque14. Pour Ingrid de Smet, c’est un bon moyen de distinguer les notables d’une même « race » (famille) sans dénigrer la distinction des personnes impliquées. Ainsi le poète Jean Passerat peut-il saluer l’amour fraternel (pietas) que manifestait Monsieur d’Aimeri (Jacques-Auguste de Thou, sieur d’Émeri) à l’égard du feu Monsieur de Bon-œil (son frère Jean, sieur de Bonœil, qui mourut en 157915). Est-ce là un « vilain usage » qui obscurcit l’origine des races ? Il n’en est pas certain, malgré les propos de notre essayiste qui se méfierait sans doute d’un tel usage du nom terrien suggérant une « tige » de noblesse plus ancienne qu’elle ne l’est. En tous cas on pourrait bien se demander comment Montaigne se positionne par rapport à sa propre appellation nobiliaire – il est malgré tout issu d’une race jeune.
Peut-être considérait-il de Montaigne comme un nom plutôt patronymique que terrien, comme le suggère Jean Balsamo : pour ce dernier, l’auteur des Essais, en méconnaissant les races, ne pense probablement pas à son propre cas mais plutôt à ses frères cadets, connus sous les noms d’Arsac, de Mattecoulon, de Saint-Martin et non plus sous celui d’Eyquem, ni même de Montaigne16. Quoi qu’il en soit, notre essayiste n’oubliera jamais que la singularité de son nom n’est jamais sans reproche, ni non plus que son nom n’est pas à lui seul :
81Il y a une famille à Paris et à Montpelier qui se surnomme Montaigne ; une autre en Bretaigne, et en Xaintonge, de la Montaigne. Le remuement d’une seule syllabe, meslera noz fusées, de façon que j’auray part à leur gloire, et eux à l’advanture à ma honte : et si, les miens se sont autresfois surnommez Eyquem, surnom qui touche encore une maison cogneue en Angleterre. (II, 16, 664-665)
Le nom patronymique lui suggère la mixité régionale des Montaigne, et donc la mixité de la réputation qu’ils partagent qu’ils le veuillent ou non. Le simple fait d’être Montaigne ne suffira pas pour un écrivain à la recherche de son unicité.
Mais qu’en est-il du livre qui porte son nom ? Avant de reprendre les célèbres propos sur la consubstantialité (II, 18), regardons d’un peu plus près l’objet du livre lui-même. Comme l’a montré Philippe Desan, le nom de Montaigne revêt une importance particulière dans le titre de la première édition des Essais (1580) et pareillement dans toutes les éditions parues du vivant de l’essayiste17. Il insiste fermement sur l’importance de son nom et, encore plus, de ses titres :
ESSAIS
DE MESSIRE
michel seigneur
de montaigne,
chevalier de l’ordre
du Roy, & Gentil-homme ordi-
naire de sa Chambre
(Reproduction du titre de la première édition des Essais, Bordeaux :
Simon Millanges, 1580)
Le livre annonce donc l’avènement d’un penseur éminent, d’un écrivain qui se délecte des atours de sa noblesse : messire, seigneur, chevalier, gentilhomme18. Cependant, cette harmonie des titres instanciée dans le titre même des Essais sera bientôt brisée par une mise en page introduite dans la première édition parisienne (1588). Montaigne s’étonna lorsqu’il découvrit que son imprimeur, Abel l’Angelier, avait fait abréger les titres courants : « Essais de M. de Monta. » Ce raccourcissement – voire 82avilissement – de Montaigne serait tout à fait inadmissible pour notre auteur. Il laisse des instructions pour rectifier la faute sur son fameux Exemplaire de Bordeaux. Il y stipule que désormais les titres courants porteront son nom entier, et, pour éviter toute ambiguïté, il précise la manière dont son nom devra paraître sur les premiers recto et verso : « Essais de michel de / montaigne liv.1 ». Suivant les remarques de Philippe Desan19, on pourrait dire que cette préoccupation du nom imprimé dans toute sa noblesse représente un modus operandi pour mettre au premier plan un auteur cherchant à dépasser son identité régionale. À son sens, les éditions parisiennes des Essais devaient jouer un rôle capital pour faire connaître Michel de Montaigne par son « estre universel » (III, 2, 845) sur le marché littéraire et intellectuel de la nation.
Mais il est aussi question de promouvoir le statut de la famille Montaigne à l’échelle régionale et nationale. À ce niveau-là, notre essayiste est loin d’être le seul à mettre en œuvre ce que Neil Kenny appelle une « stratégie familiale » du livre. Parmi les contemporains des Montaigne on pourrait citer les Vauquelin : le sieur de la Fresnaye va choisir le mode horatien pour tirer l’attention sur ses écrits, en maintenant, comme Montaigne, une apparence de vie privée à la fois exclusive et séduisante20. Vauquelin de la Fresnaye suit la pratique de son père (tout comme l’avait fait Horace aux Satires I.4) d’observer les vices d’autrui et il encourage les siens à échanger des commérages avec lui21. « La race Vauqueline » (c’est-à-dire le poète, ses fils, son oncle, ses cousins) se présente comme le gardien de la satire ; Vauquelin avait longuement réfléchi à la présentation de son œuvre imprimée qu’il envisage « parfaire pour passer jusqu’aux derniers neveux22 », et cette entreprise familiale constitue, pour N. Kenny, une variation poétique sur le topos « domestique et privé » qui permet à Montaigne (ayant un statut social comparable à celui de Vauquelin de la Fresnaye) de faire imprimer ses Essais avec une préface vouée « à la commodité particuliere » de ses parents et amis. Montaigne avait-il connaissance de la stratégie familiale du livre des Vauquelin ? On ne saurait le dire, mais en tout 83cas notre essayiste se rend compte que pour se distinguer, pour mettre sa singularité au premier plan du marché littéraire, il va falloir effectuer des variations encore plus remarquables sur sa propre stratégie familiale.
LA CONSUBSTANTIALITÉ MENSONGÈRE
Pour voir ces innovations, allons au chapitre 18 du deuxième livre (« Du desmentir »). La première partie de ce chapitre insiste de nouveau sur la destination domestique du livre des Essais : « C’est pour le coin d’une librairie, et pour en amuser un voisin, un parent, un amy qui aura plaisir à me racointer et repratiquer en cett’image » (II, 18, 702-703). Cette image d’un tout petit nombre de proches redécouvrant l’essayiste dans son livre, on peut la mettre en doute car une lecture assidue montrera que le « dessein » du chapitre reflète encore le statut d’un livre en transition23 : un texte qui passe du cercle restreint de son auteur à un usage tangible au domaine public, empruntant les « utils » de l’imprimerie pour être largement lu, diffusé et discuté24.
Dans son fameux « Au lecteur », Montaigne s’empare des métaphores artistiques pour articuler son projet. « C’est moy que je peins », dit-il, et voici le paterfamilias se (re)présentant à ses parents et amis en « sa forme naïfve » avec tous ses défauts esquissés au vif. Au fur et à mesure que nous traversons les Essais, pourtant, cette « peinture » de l’essayiste s’affaiblit ; et à ce stade de « Du desmentir », notre auteur avoue que sa silhouette est décidément fade, il lui faut des « couleurs plus nettes » que les siennes premières (II, 18, 703). On a trop souvent tendance à écarter ce moment de stérilité artistique dans lequel va naître un mouvement affirmatif vers la consubstantialité de l’auteur et son livre 84(ibid., 703-704). Mais il ne faut pas minimiser le fait que cette révélation de la singularité du sujet va de pair avec un aveu de son manque de ressources internes, une interrogation sur ses frivoles pertes de temps, et – qui pis est – une divulgation de sa capacité de mentir. « Nostre verité de maintenant, ce n’est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à autruy » (ibid., 705), et à ce propos Montaigne nous refuse la certitude que son discours soit l’exception qui confirme la règle.
Ce qui est plus certain c’est que Montaigne invite à croire que son éthos noble est susceptible de comporter des fêlures. Nous n’avons pas affaire à un rare et fameux personnage qui rappelle les hommes illustres de l’antiquité (II, 18, 702). Au contraire, ce sont certaines particularités d’une « vie basse, et sans lustre » (III, 2, 845) qu’esquisse ce chapitre « Du desmentir ». Voilà le paradoxe central de ce chapitre : en montrant ces traits de bassesse, Montaigne se considère comme capable d’évaluer les bornes de la vera nobilitas25. Comme bien d’autres de son époque, et non seulement en France26, Montaigne s’intéresse à des situations où un mode de vie noble est soumis à des pressions qui risquent de l’avilir. Une des plus fortes (et aussi forte que les impulsions avaricieuses) est l’action de mentir. Montaigne a déjà dénoncé au chapitre 9 du premier livre des Essais « ceux qui disent contre ce qu’ils sçavent » (« Des menteurs », 57). Dans « Du desmentir », l’essayiste entame une réflexion plus sinueuse vers le mentir, en passant d’abord par des considérations plus générales.
Que doivent faire les nobles ? S’essayer, écrire de soi-même, est-ce vraiment une activité digne d’un homme noble, si celui-ci n’est pas un guerrier de grandeur extraordinaire ou un grand homme d’état ? L’essayiste qui se veut noble en plusieurs sens (comme nous l’avons déjà remarqué) doit s’interroger sur la légitimité de son entreprise, même deux fois : « ay-je perdu mon temps, de m’estre entretenu tant d’heures oisives […] ? Ay-je perdu mon temps, de m’estre rendu compte de moy, si continuellement ; si curieusement ? » (II, 18, 703-704). Ses réflexions qui suivent transforment le dessin de l’essai en un « registre de durée » 85capable d’imposer de l’ordre et donc de la discipline à son auteur qui reconnaît sa tendance à se laisser facilement distraire. Une telle mise en ordre serait juste pour un gentilhomme qui veut que sa dignité soit indissociable de sa manière d’écrire, mais non sans tournures ironiques, comme nous le verrons par la suite.
Au début du chapitre 18, Montaigne recherche une forme de simplicité qu’il découvre par le biais d’un intertexte : les Regrets de Joachim Du Bellay. Ce dernier, cité avec Pierre de Ronsard au chapitre précédant (« De la presumption ») comme auteurs « gueres esloignez de la perfection ancienne » (II, 18, 700), revient d’une façon indirecte. Du Bellay avait commencé ses Regrets par un aveu franc :
Je me plains à mes vers, si j’ay quelque regret :
Je me ris avec eulx, je leur dy mon secret,
Comme estans de mon cœur les plus seurs secrétaires.
Aussi ne veulx-je tant les pigner & friser,
Et de plus braves noms ne les veulx desguiser
Que de papiers journaulx, ou bien de commentaires27.
L’image du poète qui dialogue avec son texte servirait sans doute d’inspiration à Montaigne, qui va reprendre également le jeu paradoxal de publier sa vie intérieure sans ambages. Comme Du Bellay, il renonce à toute ambition de faire des « papiers journaux » ou bien des « Commentaires » qui relèvent de la grandeur d’un Alexandre, d’un Auguste, d’un Caton, d’un Sylla, ou d’un Brutus (II, 18, 702). Comme le poète des Regrets, il sait que ses écrits se caractérisent par son expérience des événements du temps, voire les « humeurs » et accidents divers de la vie quotidienne. Montaigne est à la recherche des formes aptes à comptabiliser les mouvements des humeurs dans le désordre de leur apparition, formes qui conviennent bien aux vicissitudes de son siècle28.
Pourtant, notre essayiste s’efforce d’assurer une présentation au moins partiellement cohérente du sujet. Il veut s’assurer une continuité moins éphémère que la simple relation journalière. Son « registre de durée », 86c’est-à-dire ses Essais, sera non seulement dépositaire de sa vie expérientielle et de ses secrets mais aussi de l’essence de sa forme publique émergente. Et cependant, les tournures ironiques sont toujours là :
Quantes-fois, estant marry de quelque action, que la civilité et la raison me prohiboient de reprendre à descouvert, m’en suis-je icy desgorgé, non sans dessein de publique instruction ! (II, 18, 704)
C’est alors une civilité compromise que Montaigne nous offre ici, savamment dissimulée parce qu’elle crée un espace flou pour le non-dit entre public et privé. S’exprimer par « publique instruction » aurait aux oreilles françaises du xvie siècle une résonance judiciaire en évoquant le déroulement d’un procès. On trouve à ce sujet une discussion importante chez Pierre Ayrault, auteur de L’Ordre, formalité et instruction judiciaire, ouvrage qui parut en 158829, la même année que l’édition Angelier des Essais. Ayrault note que si l’instruction d’un procès n’est pas faite en public, « l’innocent ne sera iamais plainement absous : ny le coupable puny trop iustement : il y aura tousjours quelque chose à redire30 ». Dans la pensée juridique d’Ayrault, c’est le témoignage « veu, faict & examiné en public » qui reçoit de l’approbation ; mais Montaigne ne veut pas que ses Essais témoignent de son identité de manière si ouverte. Il nie même que la consubstantialité de la pensée et du livre puisse être soumise à l’examen public, car, même sous forme imprimée, elle n’est pas accessible à tous comme un objet immobile : « Je ne dresse pas icy une statue à planter au carrefour d’une ville, ou dans une Église, ou place publique » (II, 18, 70231). En revanche, Montaigne estime toujours que ses Essais représentent sa capacité à se cacher aux yeux du public quand cela lui convient, sa façon de limiter sa projection de lui-même de sorte que le lecteur voit moins clairement l’essayiste qu’il ne croit. « Estant marry de quelque action », Montaigne ne nous dit plus rien sur les petites tracasseries qui l’embêtent ; pas de réaction agressive, si ce n’est de citer une nasarde poétique :
87Zon dessus l’œil, zon sur le groin,
Zon sur le dos du Sagoin. (II, 18, 704)
Et voici une citation tirée d’une célèbre querelle entre deux poètes (Clément Marot et François Sagon) dans les années 153032, une affaire décidément trop publique pour la génération des poètes qui les suivit. Montaigne, paraît-il, reste en arrière-plan : il nous invite à considérer la « farce » (pour reprendre le jugement de Joachim Du Bellay33) dans laquelle Marot et Sagon se tournent tous les deux vers les armes de la poésie avilissante pour affirmer leur supériorité. Ironiquement, en citant ces vers de Marot, Montaigne nous oriente vers une sorte d’instruction publique qui témoigne du développement absurde de cette querelle : Le Bancquet d’honneur (1537), poème dans lequel on voit Sagon comparaître devant un tribunal de poètes qui veulent à tout prix l’humilier34. Revenons aux Essais. On ne sait pas si Montaigne lisait d’autres poèmes de la querelle entre Marot et Sagon, mais à en juger par sa citation marotique il en avait des connaissances suffisantes : les insultes « s’impriment encore mieux en papier, qu’en la chair vive » (loc. cit.). Marot et Sagon s’accusèrent mutuellement d’avoir pillé des idées et des motifs poétiques des œuvres d’autrui. Montaigne à son tour se permet des petits larcins, « fripponer quelque chose », « pincer, par la teste, ou par les pieds, tantost un autheur, tantost un autre » (loc. cit.) pour insister sur la primauté de sa propre écriture. Ainsi peut-il se repositionner, par son fameux « stile comique et privé » (I, 40, 256) au premier plan de son ouvrage.
Jusqu’ici, à travers des rabaissements légèrement ironiques, cette présentation du livre consubstantiel à son auteur laisse paraître de petits indices montrant que son éthos de l’homme noble, franc et entièrement sincère, reste toujours en doute. Au milieu du chapitre 18, les menaces extérieures deviennent subitement un souci majeur :
Mais à qui croirons nous parlant de soy en une saison si gastée ? veu qu’il en est peu, ou point, à qui nous puissions croire parlants d’autruy, où il y a moins d’interest à mentir. (II, 18, 704)
88À partir d’ici, deux tendances contradictoires sont énoncées, et il incombe au lecteur de garder l’équilibre entre les deux. D’abord, par cette brusque interpellation, Montaigne incite son lecteur à se méfier de tout ce qu’il vient de lire ; c’est effectivement une invitation audacieuse à considérer la notion de la consubstantialité sous le signe de la fausseté. Deuxièmement, l’essayiste suggérera un peu plus loin (quoique faiblement) qu’on doit continuer de le croire puisqu’il vient d’amorcer une réflexion sérieuse sur le sujet d’omnis homo mendax. Rappelons que dans « Des menteurs », il n’exclut pas la possibilité qu’il se sauve d’un danger extrême par « une effrontée et solenne mensonge » (I, 9, 58-59) ; c’est là sans doute un indice de son inaptitude à mentir hors des circonstances les plus difficiles35. Mais ailleurs cette inaptitude est moins forte, notamment dans « Du desmentir ». Lisons ses remarques suivantes sur la dissimulation, à savoir : « Nostre verité maintenant, ce n’est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à autruy » (II, 18, 705). Montaigne appartient-il lui-même à ce « nous » ? On peut dire que oui, dans la mesure où il insiste sur la prévalence de l’autoprésentation pour attirer le regard d’autrui (« on s’y forme, on s’y façonne »), ce qui rappelle le façonnage, le faire, du livre des Essais. Dans l’acte du façonnement, de l’enregistrement de sa « fantaisie », il semble vouloir dire que sa sincérité est inéluctablement atteinte, ce qui poserait problème à l’éthos d’un gentilhomme honnête, pour qui la parole est le truchement de l’âme. D’un autre côté, pourtant, on pourrait lire les diverses évocations de « nous » dans une optique moraliste par laquelle notre essayiste vise à créer un regard plus distancié sur la dissimulation et le mentir, suggérant qu’il retient toujours sa capacité de s’exprimer plus ou moins sincèrement sur les mœurs de son temps. Vu sous cet angle-là, il est plus question de « nous » que de « moy » ; Montaigne ne serait donc non pas l’exception, le seul à dire la vérité, il est au contraire une voix parmi d’autres dénonçant les problèmes socio-politiques du mensonge.
Par ses inclinations humanistes Montaigne va exposer l’ampleur de son inquiétude sur le mentir jusqu’à la fin du chapitre. D’abord ce sont les anciens qui parlent avec lui de la déontologie : Pindare36, Platon37, 89Salvien de Marseille38, chacun montre que les régimes où la vérité n’est pas respectée par les citoyens ne perdureront pas – et la France, d’après Salvien, en est l’exemple par excellence ! Sans pour autant négliger les Français du cinquième siècle, c’est surtout le contexte social de sa propre époque – « si gastée », d’ailleurs – qui intéresse Montaigne, lorsqu’il poursuit son discours contre le mentir. Il compare les paroles dissimulées à la fausse monnaie dont l’usage et la circulation sont vivement dénoncés parmi ses contemporains, tels qu’Henri Estienne39. Plus généralement, en liant les accusations de mensonge à la couardise, Montaigne s’inscrit à la suite des théoriciens italiens du point d’honneur, Girolamo Muzio et Giambattista Possevino, pour qui le démenti consiste à répliquer à un adversaire demandant raison qu’il ment : cela était considéré comme l’injure la plus grave qu’un gentilhomme pût recevoir40. Alors pour Montaigne,
c’est un vilain vice, que le mentir ; et qu’un ancien peint bien honteusement, quand il dit, que c’est donner tesmoignage de mespriser Dieu, et quand et quand de craindre les hommes. (II, 18, 705)
Mentir : ce « vilain vice » fait écho au personnage proverbial du vilain fourbe qui renie Dieu dont parlaient les prédicateurs du xve siècle. On trouve de vives discussions chez Henri Estienne sur les blasphèmes de son âge41. À propos de la parole irréligieuse et du vilain serment, les résonances chez Montaigne sont multiples et il convient de relever les plus pertinentes quant à sa représentation du mensonge. D’abord, ici Montaigne fait allusion à son « ancien » préféré, Plutarque, dont la Vie de Lysandre n’est pas moins sévère à ce sujet : « car celui qui trompe son ennemi, moyennant la foi qu’il lui jure, donne à connoistre qu’il le craint, mais qu’il ne se soucie point de Dieu42 ». En ce qui concerne 90l’oubliance, voire le mépris de Dieu, le langage de Montaigne se rapproche également du discours de son contemporain, Jean de Caumont, auteur d’un traité bien répandu sur la noblesse. Pour Caumont,
C’est acte de vilain, mentir […] Il n’y a rien si contraire au noble que de mentir, que d’ombrager, que d’alterer la face des choses43.
À partir de cette remarque, Caumont va beaucoup plus loin dans l’identification des menteurs qu’il déteste. Avocat au baillage de Langres, puis au Parlement de Paris, il est membre de la Ligue parisienne et son traité représente une expression radicale de l’idéologie sociale de la Sainte Union. Pour lui, seuls les catholiques ligueurs ont le droit de s’appeler nobles ; en revanche, les « Politiques nouveaux » sont écorchés pour avoir détruit la noblesse française, « courans par hypocrisie les affaires, ne proposans rien de droict fil, faisans cheminer les Princes en fraude et tromperie44 ». L’identification de cette foule de menteurs reste finalement indécise, mais inclut sans doute des administrateurs non-adhérents à la Sainte Union45.
Montaigne, pour sa part, n’indique rien de la sorte sur la question des « politiques » ici au chapitre 1846. Par contre, il se peut qu’il y ait une allusion à une double actualité concernant la gravité du mensonge aux échelons les plus élevés de la société. Il s’agit de deux différends. D’une part, Montaigne semble rappeler le désaccord du duc de Nevers et de duc de Montpensier, affaire qui coïncide avec la parution des Essais en 1580, et dans laquelle Nevers accuse Montpensier d’être menteur et calomniateur47. D’autre part, il pourrait y avoir une allusion au soupçon de mensonge pesant longuement sur un ancien roi de France, 91François Ier ; ce dernier avait été accusé de ne pas avoir honoré sa parole donnée à son grand adversaire, Charles Quint ; en effet, dans les années 1520, François Ier avait refusé de lui céder le duché de Bourgogne et le Charolais, estimant que le traité de Madrid ratifié en 1526 était inexécutable)48. Que dire finalement des allusions à ces deux différends ? Si Montaigne avait prévu que ces allusions soient comprises, elles ne sont visibles que par des traces légères et générales. Certes, Montaigne sait combien nuisible à l’État peuvent être les querelles entre les grands, nourries par la dissimulation, la trahison, la déloyauté, le mensonge49. Son émerveillement devant « la liberté des invectives » des Romains (II, 18, 706) implique, obliquement et inversement, la sévérité relative du régime juridique en France à son époque50. Mais à la fin de « Du desmentir », au lieu de passer à l’analyse juridique, Montaigne préfère rester dans une posture de gentilhomme moraliste, amplifiant le langage du noble préoccupé par l’avilissement de la vera nobilitas qu’il voit auprès de la noblesse française. Celui qui lance des accusations mensongères, ou falsifie sa parole offense profondément Dieu et « trahit la societé publique » (II, 18, 705), et c’est à peu près tout.
« Du desmentir » s’épuise avec une promesse vague : « Quant aux divers usages de noz desmentirs, […] je remets à une autre-fois d’en dire ce que j’en sçay » (II, 18, 706). Et ainsi, l’apport personnel est de nouveau relégué en arrière-plan. En fin de compte, faut-il chercher un autre document qui dirait mieux les singularités de Montaigne sur ce sujet du mensonge ? Non. Ce texte n’a pas été mené à terme ; il ne sera 92pas consubstantiel à son auteur. Ce qui reste, ce parcours d’exemples que nous avons étudiés, n’aboutit pas à l’image classique du sujet montaignien, d’un Montaigne parlant librement de soi-même. Au lieu de cette parole nettement personnalisée, nous avons une parole partiellement obstruée du moi, autrement dit une voix qui n’insiste pas sur la singularité de ses propres expériences, et qui se contente d’amplifier des symptômes d’un siècle débordant de vices, que ce soit l’« escrivaillerie » d’un Marot et d’un Sagon, les « pincements » de l’avarice, les différends des élites. Plus largement, les inconstances autour de sa stratégie familiale du nom et du livre consubstantiel à ce nom, Montaigne, nous rappellent comment la littérature du xvie siècle est apte à communiquer des tensions et des indéterminations quant au statut social. Les Essais nous proposent une vaste interaction d’actifs sociaux, moraux, et linguistiques dans ce calcul complexe du « statut » de l’essayiste. Sa « noblesse », si l’on peut parler ainsi, est encore en émergence51.
Jonathan Patterson52
St Edmund Hall, Oxford
1 Philippe Desan, Montaigne : une biographie politique, Paris, Odile Jacob, 2014.
2 Neil Kenny, Richard Scholar, et Wes Williams (dir.), Montaigne in Transit : Essays in Honour of Ian Maclean, Cambridge, Legenda, 2016.
3 P. Desan, Montaigne, op. cit., p. 593 ; Katherine Almquist « Writing Pluralist Biography of Montaigne’s Legal Career », dans George Hoffmann (dir), The New Biographical Criticism, Charlottesville, Rookwood Press, 2004, p. 58-76.
4 Jonathan Patterson, Representing Avarice in Late Renaissance France, Oxford, Oxford University Press, 2015 ; J. Patterson, Villainy in France (1463-1610 : A Transcultural Study of Law and Literature, Oxford, Oxford University Press, 2021.
5 Sur ce sujet vaste, voir surtout Robert Descimon, « Un langage de dignité. La qualification des personnes dans la société parisienne à l’époque moderne », dans Fanny Cosandey (dir.), Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien régime, Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005, p. 69-123 ; Arlette Jouanna, Ordre social : mythes et hiérarchies dans la France du xvie siècle, Paris, Hachette, 1977.
6 Voir l’étude classique de James Supple, Arms versus Letters : The Military and Literary Ideals in the « Essais » of Montaigne, Oxford, Clarendon, 1984.
7 Voir J. Patterson, Representing Avarice, op. cit., ch. 5.
8 Essais I, 40, 275. Les Essais, éd. Jean Balsamo, Michel Magnien, et Catherine Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, 2007.
9 Essais II, 12, 612 : « Attonitus nouitate mali, diuésque misérque, / Effugere optat opes, et quæ modò uouerat, odit » (citation d’Ovide, Métamorphoses, xi, 127-128).
10 G. Hoffmann, Montaigne’s Career, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 9-10.
11 Voir J. Patterson, Representing Avarice, op. cit., p. 241.
12 Sur ce sujet, voir Kirsti Sellevold, « J’ayme ces mots… » : expressions linguistiques de doute dans les « Essais » de Montaigne, Paris, Champion, 2004.
13 Un thème qui se poursuit plus sérieusement dans Essais II, 16.
14 Ingrid de Smet, Thuanus : The Making of Jacques-Auguste De Thou (1553-1617), Genève, Droz, 2006.
15 Ibid., p. 36.
16 J. Balsamo, Les Essais, éd. citée, p. 1469.
17 P. Desan, « From Eyquem to Montaigne », trad. Jacqueline Victor, dans Philippe Desan (dir.), The Oxford Handbook of Montaigne, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 17-39.
18 Inversement et tacitement, ces titres proclament que Montaigne n’est plus la fonction civile qu’il a quittée : conseiller de la Chambre des Enquêtes au Parlement de Bordeaux.
19 P. Desan, Montaigne, op. cit., p. 484-497.
20 Neil Kenny, Born to Write : Literary Families and Social Hierarchy in Early Modern France, Oxford, Oxford University Press, 2020, p. 150-151.
21 Voir Jean Vauquelin de La Fresnaye, Les Diverses Poésies, éd. Julien Travers, Caen, F. Le Blanc-Hardel, 1869-1870, t. i, p. 309.
22 J. Vauquelin de La Fresnaye, Les Diverses Poésies, op. cit., t. i, p. 32.
23 Sur ce sujet voir la thèse doctorale de Vittoria Fallanca, « The Design of Montaigne’s Essais », Université d’Oxford, 2020.
24 Ici, dans la première édition (1580, p. 574), Montaigne se permet une plaisanterie, « Il m’a fallu jetter en moule céte image, pour m’exempter de la peine d’en faire faire plusieurs extraicts a la main. En recompense de céte commodité, que j’en ay emprunté, j’espere luy faire ce service d’empescher. » C’est une allusion à la réappropriation du papier de rebut des imprimeurs par les épiciers, les apothicaires et d’autres commerçants au xvie siècle. Voir Emily Butterworth, The Unbridled Tongue : Babble and Gossip in Renaissance France, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 65.
25 Ailleurs il le dira plus franchement, par exemple : « La vaillance a ses limites, comme les autres vertus : lesquels franchis, on se trouve dans le train du vice » (Essais I, 14, 71).
26 Voir J. Patterson, Villainy in France, op. cit. et J. Patterson « “Greatness Going Off” in Renaissance Antony and Cleopatra Tragedies », dans N. Kenny (dir.), Literature, Learning, and Social Hierarchy in Early Modern Europe, Oxford, Oxford University Press, p. 201-218.
27 Joachim du Bellay, Regrets, 1, 9-14, éd. Olivier Millet et Loris Petris, Paris, Classiques Garnier, 2021, t. iv, p. 197.
28 Voir Olivier Pot, Émergence du sujet : de l’Amant vert au Misanthrope, Genève, Droz, 2005, p. 71.
29 Une version augmentée de son ouvrage de 1576 dont le tire diffère légèrement (De l’ordre et instruction judiciaire). Il y aurait plusieurs éditions posthumes de L’Ordre, formalité et instruction judiciaire.
30 Pierre Ayrault, L’Ordre, formalité et instruction judiciaire dont les Grecs et les Romains ont usé es accusations publiques, Lyon, Jean Caffin et François Plaignard, 1642, p. 369.
31 Ces images de la statue rappellent par équivoque le statut romain, dressé aux places publiques, qui est, lui aussi, un objet à dissocier du « registre » des Essais.
32 Voir Clément Marot, Le Valet de Marot contre Sagon (1537), 211-212 (Œuvres poétiques complètes, éd. G. Defaux, Paris, Bordas, 1993, t. ii, p. 146).
33 Voir Joachim du Bellay, L’Olive augmentee, Paris, G. Corrozet et A. L’Angelier, 1550, « Au lecteur ».
34 Sur la querelle de Marot et de Sagon et le jeu des images de la justice qui s’y trouvent, voir J. Patterson, Villainy in France, op. cit., ch. 6.
35 À cet effet, voir les commentaires de J. Balsamo (Les Essais, éd. citée, p. 1343).
36 Pindare, ou plutôt allégation de Plutarque, Vie de Caïus Marius, LI (trad. Amyot). Voir J. Balsamo, Les Essais, éd. citée, p. 1656.
37 Platon, République, III, 389b. Selon Platon, le gouverneur peut s’exempter de sa responsabilité de dire la vérité si c’est dans l’intérêt de l’État.
38 Voir Salvien de Marseille, De gubernatione Dei, I, i, xiv (l’ouvrage est imprimé à Paris par Sébastien Nivelle en 1580).
39 Voir Henri Estienne, Traité préparatif à l’Apologie pour Hérodote, éd. Bénédicte Boudou, Genève, Droz, t. i, p. 393. Les inquiétudes concernant la fausse monnaie remontent à l’Antiquité, mais elles s’intensifient aux années 1560 et 1570 en France. Voir Mark Greengrass, « Money, Majesty and Virtue : The Rhetoric of Monetary Reform in Later Sixteenth-Century France », French History, no 21, 2007, p. 165-186.
40 J. Balsamo, Les Essais, éd. citée, p. 1655.
41 Voir par exemple H. Estienne, Traité préparatif, t. i, éd. citée, p. 255.
42 Cf. la traduction d’Amyot, Les Vies des hommes illustres grecs et romains, Cologne, J. Stoer, 1617, p. 286.
43 Jean de Caumont, De la vertu de noblesse, Paris, s. n., 1585, fo 4ro.
44 Ibid.
45 La notion du « politique » et le groupe d’acteurs auquel se rattache ce terme deviennent hautement contestables pendant les années où la Ligue est au sommet de sa puissance (1588–1594). Voir Emma Claussen, Politics and « Politiques » in Sixteenth-Century France : A Conceptual History, Cambridge, Cambridge University Press, 2021.
46 Ibid., p. 80-81.
47 Sur ce différend, voir Nicolas Le Roux, La Faveur du roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois, Seyssel, Champ Vallon, p. 223, 257, 348. Pour Nevers, Louis de Berton-Crillon servait de témoin pour la rédaction de témoignages. Un cartel imprimé parut, intitulé L’Occasion du desmentir que M. le duc de Nevers fit donner ce mois de mars dernier (1580). Dans son Journal de voyage (éd. François Rigolot, Paris, PUF, 1992, p. 5) on lit qu’un maître d’hôtel du duc de Nevers avait donné un exemplaire du cartel à Montaigne, alors que Les Essais étaient sous presse.
48 Dans son exemplaire des Essais, en marge de ce passage, Florimond de Ræmond écrivait : « Montaigne sçavoit-il pas le trait de François I. qui dit celui-là estre digne d’horreur qui enduroist ung desmenti : mot qui a fait perdre la vie à plusieurs : ce qu’il dit à cause du démenti qu’il envoye à l’Empereur Charles Quint ». Voir J. Balsamo, Les Essais, éd. citée, p. 1655. L’épisode est récapitulé par Baptiste-Honoré de Capefigue dans son François Ier et la Renaissance, Paris, D’Amyot, 1845, t. III, ch. 5. Charles Quint se prit à déclamer contre la mauvaise foi du roi de France, qui réplique aigrement en exclamant que son adversaire « en a menti par la gorge ! », et en lui envoyant un cartel.
49 Voir Biancamaria Fontana, Montaigne’s Politics : Authority and Governance in the « Essais », Princeton, Princeton University Press, 2008, p. 73-74.
50 Sur ce sujet, voir Ian Maclean, Interprétation et signification à la Renaissance : le cas du droit, trad. Valérie Hayaert, Genève, Droz, 2016.
51 Sur cette interaction à l’échelle européenne, voir N. Kenny (dir.), Literature, Learning, and Social Hierarchy in Early Modern Europe, op. cit.
52 Je tiens à remercier Ysaline Rossi pour ses commentaires et pour sa lecture attentive de cet article
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12975-2
- EAN : 9782406129752
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12975-2.p.0075
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/03/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : mensonge, consubstantialité, avarice, nom, vilain, Essais