Conclusion générale
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Métamorphose des Métamorphoses. La réécriture de la version Z de l’Ovide moralisé
- Pages : 161 à 162
- Collection : Recherches littéraires médiévales, n° 32
- Série : Ovidiana, n° 1
Conclusion générale
Le texte commun à tous les témoins de la famille Z présente donc une véritable réécriture de l’Ovide moralisé original. Un travail de réappropriation, avec ce qu’il contient de reprise et d’écart, se dit à mots couverts. Le projet littéraire qui s’affirme au début et à la fin de l’ouvrage, l’ajout d’expositions historiques et le remaniement du contenu de certaines fables différencient nettement le texte de celui qu’on trouve dans d’autres copies remaniées de l’Ovide moralisé, comme le manuscrit B. Le copiste de ce témoin n’affiche pas son rapport aux allégories spirituelles qu’il a éliminées. Le dogme chrétien reste inscrit dans les interprétations, puisqu’on y retrouve un certain nombre d’allégories christianisantes1, alors que le réviseur a tenté d’en faire disparaître toute trace. Le remaniement Z offre donc la version laïcisée la plus aboutie que nous connaissions dans la tradition manuscrite de l’Ovide moralisé en vers. La seconde mise en prose ne va pas non plus aussi loin, mais ressemble plutôt à B. Ainsi, ce remaniement offre un moment particulier dans la réception médiévale de la première traduction des Métamorphoses, et peut-être plus encore les témoins Z2 et Z1 pour lesquels les allégories religieuses auraient été ajoutées a posteriori. Les points de convergence (même contenu pour la fable et pour les expositions concrètes) et de divergence (traitement différencié des allégories religieuses) qui caractérisent les témoins de la famille Z font ressortir deux lignes de force, que l’on retrouve dans l’histoire de l’Ovide moralisé au Moyen Âge. Le texte de Z34et de Z21 oppose et rassemble deux modes de lecture de la fable ovidienne. La « traduction juste, élégante et alerte des Métamorphoses2 » a fait l’unanimité, comme l’affirme J.-Y. Tilliette. Elle s’accompagne dans tous les témoins Z d’un intérêt plus développé pour l’histoire, qui correspond aux goûts littéraires qu’on retrouve dans les remaniements de la fin du xive siècle et du début du siècle suivant. En revanche, la 162rédaction Z34 s’adresse à un lectorat qui savoure essentiellement la fable et l’histoire, alors que le public de la rédaction Z21apprécie autant le contenu du texte et son sens littéral que sa signification spirituelle. La réintroduction des moralisations dans Z21 nous fait penser que la suppression de cette matière dans Z34et dans B n’est pas liée au scandale que représenterait la lecture d’Ovide selon le dogme chrétien. Certes, la question de la vérité dans l’Ovide moralisé n’occupe pas seulement le rédacteur de la famille Z, mais semble devenir centrale dans ses mises en prose au xve siècle. Le choix de cette forme n’est pas anodin. Dans la mesure où elle est considérée alors comme plus vraie que le vers3, nous supposons que son emploi ne répond pas seulement à une tendance littéraire mais témoigne aussi d’une réflexion ontologique. Selon S. Cerrito, « ramener les Métamorphoses à leur fonction esthétique, et non pas théologique, comme le font les témoins de z est probablement encore une manière de prendre part à cette querelle, jouée autour de la variante, entre défenseurs de l’Ovide chrétien et défenseurs de l’Ovide païen4 ». Mais il ne nous semble pas qu’on puisse aller jusqu’à parler de « querelle ». On sent bien poindre une confrontation de points de vue, mais il n’est pas établi que s’opposent frontalement des « défenseurs » de l’un ou de l’autre camp. Le réviseur œuvre toujours subtilement, à demi-mots, comme si la spiritualité l’intéressait moins que l’histoire.
Si le remanieur se défait probablement de façon systématique des interprétations spirituelles, c’est probablement par souci de cohérence. Il cherche à répondre à son choix d’exclure des moralisations christianisantes qui s’écartent d’Ovide. C’est peut-être pourquoi il définit implicitement un « sens » différent de la vérité chrétienne à laquelle le premier auteur accorde la plus grande importance. Il est vrai que l’on trouve dans le remaniement les traces d’une discussion autour du sens à donner aux fables. Pour être en accord avec sa suppression des allégories religieuses, le réviseur doit se démarquer du texte qu’il réécrit. Mais cela ne veut pas dire qu’il considère comme une ineptie la lecture de la fable ovidienne à la lumière du dogme. Il souhaite probablement mettre en valeur sa posture, la valeur de sa réécriture sans entrer forcément dans des considérations théologiques.
1 Dans notre tableau identifiant les interprétations supprimées dans Z (p. 163-198), nous avons aussi tenu compte de B. On remarque alors que l’entreprise d’éviction d’une partie des explications est moins poussée.
2 J.-Y. Tilliette, « Pourquoi Bellérophon ? […] », art. cité, p. 149.
3 M. Zink, Littérature française au Moyen Âge, op. cit., p. 174-176, p. 185.
4 S. Cerrito, « Entre Ovide et Ovide moralisé […] », art. cité, p. 171. Il ne nous semble pas tout à fait juste d’évoquer un « Ovide chrétien » pour qualifier l’Ovide moralisé original, dans la mesure où son auteur, contrairement à d’autres commentateurs, ne prête pas à Ovide d’aspiration chrétienne, cf. P. Demats, Fabula […], op. cit., p. 107.
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-406-12242-5
- EAN : 9782406122425
- ISSN : 2261-0367
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12242-5.p.0161
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 02/03/2022
- Langue : Français