Skip to content

Classiques Garnier

Conclusion générale

161

Conclusion générale

Le texte commun à tous les témoins de la famille Z présente donc une véritable réécriture de lOvide moralisé original. Un travail de réappropriation, avec ce quil contient de reprise et décart, se dit à mots couverts. Le projet littéraire qui saffirme au début et à la fin de louvrage, lajout dexpositions historiques et le remaniement du contenu de certaines fables différencient nettement le texte de celui quon trouve dans dautres copies remaniées de lOvide moralisé, comme le manuscrit B. Le copiste de ce témoin naffiche pas son rapport aux allégories spirituelles quil a éliminées. Le dogme chrétien reste inscrit dans les interprétations, puisquon y retrouve un certain nombre dallégories christianisantes1, alors que le réviseur a tenté den faire disparaître toute trace. Le remaniement Z offre donc la version laïcisée la plus aboutie que nous connaissions dans la tradition manuscrite de lOvide moralisé en vers. La seconde mise en prose ne va pas non plus aussi loin, mais ressemble plutôt à B. Ainsi, ce remaniement offre un moment particulier dans la réception médiévale de la première traduction des Métamorphoses, et peut-être plus encore les témoins Z2 et Z1 pour lesquels les allégories religieuses auraient été ajoutées a posteriori. Les points de convergence (même contenu pour la fable et pour les expositions concrètes) et de divergence (traitement différencié des allégories religieuses) qui caractérisent les témoins de la famille Z font ressortir deux lignes de force, que lon retrouve dans lhistoire de lOvide moralisé au Moyen Âge. Le texte de Z34et de Z21 oppose et rassemble deux modes de lecture de la fable ovidienne. La « traduction juste, élégante et alerte des Métamorphoses2 » a fait lunanimité, comme laffirme J.-Y. Tilliette. Elle saccompagne dans tous les témoins Z dun intérêt plus développé pour lhistoire, qui correspond aux goûts littéraires quon retrouve dans les remaniements de la fin du xive siècle et du début du siècle suivant. En revanche, la 162rédaction Z34 sadresse à un lectorat qui savoure essentiellement la fable et lhistoire, alors que le public de la rédaction Z21apprécie autant le contenu du texte et son sens littéral que sa signification spirituelle. La réintroduction des moralisations dans Z21 nous fait penser que la suppression de cette matière dans Z34et dans B nest pas liée au scandale que représenterait la lecture dOvide selon le dogme chrétien. Certes, la question de la vérité dans lOvide moralisé noccupe pas seulement le rédacteur de la famille Z, mais semble devenir centrale dans ses mises en prose au xve siècle. Le choix de cette forme nest pas anodin. Dans la mesure où elle est considérée alors comme plus vraie que le vers3, nous supposons que son emploi ne répond pas seulement à une tendance littéraire mais témoigne aussi dune réflexion ontologique. Selon S. Cerrito, « ramener les Métamorphoses à leur fonction esthétique, et non pas théologique, comme le font les témoins de z est probablement encore une manière de prendre part à cette querelle, jouée autour de la variante, entre défenseurs de lOvide chrétien et défenseurs de lOvide païen4 ». Mais il ne nous semble pas quon puisse aller jusquà parler de « querelle ». On sent bien poindre une confrontation de points de vue, mais il nest pas établi que sopposent frontalement des « défenseurs » de lun ou de lautre camp. Le réviseur œuvre toujours subtilement, à demi-mots, comme si la spiritualité lintéressait moins que lhistoire.

Si le remanieur se défait probablement de façon systématique des interprétations spirituelles, cest probablement par souci de cohérence. Il cherche à répondre à son choix dexclure des moralisations christianisantes qui sécartent dOvide. Cest peut-être pourquoi il définit implicitement un « sens » différent de la vérité chrétienne à laquelle le premier auteur accorde la plus grande importance. Il est vrai que lon trouve dans le remaniement les traces dune discussion autour du sens à donner aux fables. Pour être en accord avec sa suppression des allégories religieuses, le réviseur doit se démarquer du texte quil réécrit. Mais cela ne veut pas dire quil considère comme une ineptie la lecture de la fable ovidienne à la lumière du dogme. Il souhaite probablement mettre en valeur sa posture, la valeur de sa réécriture sans entrer forcément dans des considérations théologiques.

1 Dans notre tableau identifiant les interprétations supprimées dans Z (p. 163-198), nous avons aussi tenu compte de B. On remarque alors que lentreprise déviction dune partie des explications est moins poussée.

2 J.-Y. Tilliette, « Pourquoi Bellérophon ? [] », art. cité, p. 149.

3 M. Zink, Littérature française au Moyen Âge, op. cit., p. 174-176, p. 185.

4 S. Cerrito, « Entre Ovide et Ovide moralisé [] », art. cité, p. 171. Il ne nous semble pas tout à fait juste dévoquer un « Ovide chrétien » pour qualifier lOvide moralisé original, dans la mesure où son auteur, contrairement à dautres commentateurs, ne prête pas à Ovide daspiration chrétienne, cf. P. Demats, Fabula [], op. cit., p. 107.