Quelles contre-mesures opposer à une langue hégémonique ? À propos de Un ABC de la barbarie de Jacques-Henri Michot
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Lettres à l’œuvre. Pratiques lettristes dans la poésie en français (de l’extrême contemporain au Moyen Âge)
- Author: Coste (Florent)
- Pages: 269 to 286
- Collection: Encounters, n° 587
- Series: Convergences in literature, n° 7
QUELLES CONTRE-MESURES OPPOSER
À UNE LANGUE HÉGÉMONIQUE ?
À propos de Un ABC de la barbarie
de Jacques-Henri Michot
Les media déterminent notre situation. Et cependant, ou précisément pour cette raison, cette situation doit être décrite.
Friedrich Kittler1
Écrire au sein de la médiarchie
Une bonne manière de se prémunir d’un certain idéalisme linguistique consiste à ne pas dramatiser la disjonction binaire entre langage ordinaire et langage littéraire. Le langage grouille en effet de multiples familles de jeux de langage, qui s’étendent sans solution de continuité de nos interactions quotidiennes et ordinaires jusqu’à des types institués, formalisés, figés ou routinisés de sociolectes (professionnels, rituels, formulaires, littéraires ou poétiques). À cela s’ajoute la nécessité de ne pas isoler abstraitement les signes (seulement articulés à leur référent), pour les inscrire plutôt dans des réseaux de pratiques (des formes de vie), auxquels ces jeux de langage s’adossent2. Sans doute pareille description 270linguistique a-t-elle encore le défaut de négliger l’écologie sémiotiquement saturée dans laquelle nous vivons et qui débite massivement des flux d’informations, de données, de messages, de signes iconiques ou graphiques nous traversant.
Mais au-delà de ces questions de flux et de bandes passantes, cet écosystème de signes forme aujourd’hui une médiasphère produite et organisée de manière industrielle et qui détermine notre situation. Qu’est-ce à dire exactement ? Elle structure un milieu où s’institue le sens, se distribue l’économie de l’attention, où s’assemble un ordre du langage dont nous sommes à double titre les sujets, locuteurs et victimes – une médiarchie à proprement parler3. Avec ses affiches lacérées, Jacques Villeglé a proposé une exemplification plastique de ces dynamiques désordonnées, fluctuantes et agonistiques qui travaillent insensiblement l’espace urbain, qui y organisent des batailles éphémères entre différents systèmes d’écriture (des épigraphies dit-il), les uns officiels et hégémoniques, les autres sauvages et improvisés. Ces stratifications de signes, d’images, de mots, de couleurs, de papiers et d’affiches démultiplient et feuillettent les niveaux de lecture à travers lesquels nous pouvons appréhender notre environnement, au point de les brouiller jusqu’à l’inintelligibilité et de délivrer une forme d’autonomie plastique aux signifiants. En de telles circonstances, l’autonomisation du signifiant participe d’une forme de désautomatisation du langage.
Que peut quant à elle la poésie dans un tel environnement médiarchique ? Quelles sont les marges de manœuvre que peut se dégager une pratique poétique fondée sur des opérations de manipulation de la lettre et du signifiant ? C’est à reconstruire les solutions proposées par Jacques-Henri Michot dans Un ABC de la barbarie que cette contribution va se consacrer. L’enjeu est de déplier d’abord de manière compréhensive l’économie générale de ce texte et d’en expliciter les références, pour montrer ensuite que les opérations lettristes dans le format mobilisé ici, qui est celui de l’abécédaire, participent à une tentative modeste de mise en ordre et gagnent une portée pragmatique et politique.
En 2022, Jacques-Henri Michot fait paraître aux Presses du réel une troisième édition révisée de cette œuvre, parue initialement en 1998 chez Al Dante (dans la collection Niok dirigée par Jean-Marie Gleize), puis 271rééditée une première fois en 2014. Comparatiste sur le plan académique, celui qui est un spécialiste de jazz autant que du théâtre de Brecht a construit une œuvre dont les réalisations ont eu en commun d’exploiter la doxa ambiante comme matière première et de la réassembler avec un parti pris de variété laissée à son état hétéroclite. La vie, l’amour, la mort, paru en 2008, se présente comme un recueil de lieux communs et d’expressions courantes tirés du quotidien, tandis que Comme un fracas, paru en 2009, convoque plusieurs auteurs et références, pour tenter de livrer une vue synoptique sans concession de la guerre sociale, doublée d’une réflexion sur la mobilisation du langage dans la légitimation de l’ordre établi4. Plus récemment, Jacques-Henri Michot a fait paraître Derniers temps, dont le sous-titre, Un capharnaüm, fait signe vers les mêmes pratiques d’assemblage de l’hétéroclite5.
Situé au cœur d’une zone où s’intersectent la poésie objectiviste de Reznikof (d’Holocauste), la LTI de Victor Klemperer, la métaphysique pessimiste de Kafka, et l’ABC de la Guerre de Brecht, Jacques Henri-Michot combine deux principes dans UnABC de la Barbarie : d’une part, la captation de la violence sociale et sémantique à travers la dissection de cette langue qui est dans toutes les bouches ; d’autre part la compilation selon l’ordre alphabétique de ces paroles ambiantes et automatisées en vue de les épingler, de les dénoncer et de les désactiver. Ce livre se distingue comme une œuvre importante de montage postpoétique dont la portée politique tient à corréler le déchiffrage du vocabulaire imposé et la révélation critique de la violence ambiante que ce climat sémantique accompagne et auquel il faut survivre.
272Un dispositif littéral
Le défini et l’indéfini
On peut saisir une partie des logiques qui travaillent cette œuvre de Jacques-Henri Michot, en inspectant de prime abord son titre. C’est d’abord en effet un ABC ; or tout abécédaire porte en lui un projet encyclopédique de saisie totalisante d’une réalité donnée, de manière à le laisser sans rival ni concurrent, comme l’abécédaire de ceci ou cela6. Au contraire, ici, l’article indéfini vient contredire et empêcher cette position de surplomb, pour positionner cette œuvre dans un milieu qu’elle ne peut ni dominer ni transcender. L’article indéfini participe par conséquent à l’ouverture essentielle de cet ABC parmi d’autres, dont s’affichent explicitement la contingence, l’immanence et l’insuffisance. Solution provisoire dans une situation d’urgence et de survie, l’œuvre de Jacques-Henri Michot se présente comme un objet inachevé, sans prétention de complétude : son achèvement est une tâche continue, comme en témoignent symptomatiquement les rééditions successives. Cet ABC a ensuite fait de la Barbarie son objet, présentée pour ainsi dire et par contraste, avec une majuscule de majesté comme une entité imposante et incontournable. La désignation générique par l’article défini confère à l’abécédaire la portée d’une liste noire, alliant un travail de consignation et de dénonciation.
Dans cet écart entre la cible massive et la modestie des moyens employés se loge une conception déflationniste de l’écriture, qu’on pourrait désigner comme postpoétique dans le sens que Jean-Marie Gleize a pu lui donner7 – une entreprise de montage, libérée de la référence totémique à la poésie, réflexive quant à ses moyens de production et guidée par un impératif d’étude et d’enquête. Il est à cet égard significatif 273que Jacques-Henri Michot ait publié dans la revue Nioques8, puis dans la collection Niok chez Al Dante – référence phonétique de Ponge à la connaissance, avec le « double parti pris de critique radicale de la poésie et de puissante thérapie contre l’intoxication9 ».
Une fiction éditoriale
Cependant, le dispositif de l’abécédaire est encastré à l’intérieur d’une fiction éditoriale. Le livre que le lecteur tient entre les mains lui est présenté comme l’œuvre d’un écrivain nommé Barnabé B, de sorte que la page de titre avec le nom de Jacques-Henri Michot se duplique avec cette fois pour auteur Barnabé. Le suicide de ce dernier a laissé inachevé l’œuvre dont deux de ses proches (François B et Jérémie B) auraient rassemblé et organisé les éléments épars, issus de carnets, de notes, de remarques manuscrites. Ainsi se serait « enrichi » le texte recomposé de Barnabé, qualifié de « phénoménale masse mouvante de citations10 », par adjonction de plusieurs paratextes, d’une préface, d’une postface, de notes additionnelles. La préface parle ainsi d’un travail en cours, « unwork [sic] in progress11 » ou encore d’un « champ de bataille zébré de ratures, de remarques marginales, de feuilles volantes insérées12 ». L’accrétion polygraphique du texte s’accompagne ainsi d’une mobilisation collective d’un nombre croissant d’acteurs et de rédacteurs dans sa production, où se démultiplient les strates d’écritures et les niveaux de lisibilité.
274L’écriture en est réduite à sa dimension rédactionnelle et non créative13 : elle engage l’activité laborieuse d’un scribe, dont le prénom n’est pas sans évoquer quelque analogie avec Bartleby, le clerc de notaire de Melville14. Sur fond de cette fiction d’amitié et de deuil, l’édition du texte a été confiée aux parfaitement fictionnelles Éditions du 9 Brumaire – installant le climat allégorique d’une situation politique, de guerre et de révolution, à l’horizon obturé. Tout cela participe à une forme de « désaffublement » de l’acte d’écriture de ses prétentions poétiques – au milieu de ses carnets et notes, Barnabé B en parle comme de ses gribouillis, tout en affirmant donner congé à « une sienne obsession : la diversité systématique des sons terminaux15 » (autrement dit : le vers et la rime). Assumant sa bêtise apparente, la fiction auctoriale de Barnabé B se livre à un humble mais entêté travail d’analyste qu’un calembour lacanien rappelle à sa condition d’« âne à liste16 » – écriture laborieuse de l’idiotie, obéissant scrupuleusement et presque ascétiquement au protocole méthodique du classement alphabétique, que la préface de l’éditeur fictionnel François B qualifie de « minutieuse besogne de tri et de recopiage17 ».
L’entaille et le fracas
Au sein de cet appareil éditorial, quelles sont les opérations rédactionnelles ou scripturales employées par Un ABC de la barbarie ? L’œuvre consiste en une double liste, dont la seconde est le vis-à-vis et l’antidote de la première. La première liste, alignée à gauche de la page, est le résultat de trois opérations qui se concatènent :
1) L ’ entaille, soit une opération analytique d’extraction et de prélèvement, une saisie de syntagmes ambiants, de séquences lexicalisées de 275discours doxiques (« absences remarquées », « accents de vérité qui ne trompent pas », « engagements concrets pris devant la nation », etc.), des éléments de langage18 (« forces vives de la nation », etc.) ou des fragments de médialecte clairement toxique19 (comme des unes de presse criardes et racoleuses : « Foulard Le COMPLOT. Comment les islamistes nous infiltrent »). L’extrait n’est pas pour autant une simple citation présentée dans son intégrité ; il est important ici par l’extraction de sectionner, de fragmenter, de laisser des entailles dans le continuum discursif, pour faire du lemme en question la trace indiciaire vibrant dans la masse bruyante de discours dont il est prélevé et qu’il fait entendre. L’extraction participe alors à désamorcer ou à désactiver la charge pragmatique de ces idéologèmes (pour reprendre le terme de Marc Angenot20), soit des atomes d’idéologie encapsulant dans des énoncés-slogans des maximes d’action : le syntagme « les frontières comme véritables passoires » porte évidemment une déploration qui programme les politiques bravaches et virilistes des murs et des remparts contre les malnommées « vagues » migratoires21.
2) Le fracas, soit une opération synthétique de reclassement et de recontextualisation dans le cadre arbitraire et rigide de l’alphabet. Ce réagencement dans une liste brute provoque tantôt des télescopages ou des frictions entre des vocabulaires hétérogènes, tantôt 276des effets de mise en série ou de mise en contact critique : « Front de l’emploi » se retrouve juste avant « Front national en position d’arbitre » et « Frontières : de véritables passoires » aux côtés de « Fruits de la croissance ». La liste permet ainsi d’enchaîner : « duel au couteau pour le perchoir », « durcissements du ton », « dynamismes », « dynamitages ». Ou encore, pour exhiber le sens poujadiste du réel petit-bourgeois que Barthes dénonçait déjà dans Mythologies, avec l’alignement des deux lemmes successifs : « Propositions marquées au coin du bon sens » s’enchaîne avec « Propriété privée Défense d’entrer Chien méchant ». Des mises en série révélatrices ménagent des effets de cascade dénonçant la misogynie ambiante : « Féministes attardées. Cf. Soixante-huitards. Femmes d’argent, femmes de caractère, femmes d’intérieur. Fermeté et détermination. » ; pour le dire encore autrement, la recontextualisation et la mise en série tendent à exhiber à la fois l’inanité ou la vacuité des éléments prélevés et leur puissance d’interpellation, de sommation et de subjectivation22.
3) Enfin, à cette double opération de décadrage-recadrage, qui caractérise le montage poétique, vient s’ajouter une troisième opération de retraitement typographique propre à manipuler la saillance de certains syntagmes, leur taille, leur police ou leur disposition dans l’espace de la ligne ou de la page. Par des jeux d’exemplification (au sens de Nelson Goodman), l’élément cité possède les propriétés typographiques auxquelles il réfère. Ainsi des choix de polices martiales dès qu’apparaît le paradigme sémantique de l’ordre ou de la force, toujours en imposantes majuscules, et que l’on va retrouver au gré de l’abécédaire sur les entrées suivantes : « Bras de fer », « Dame de fer », « Débordement du service d’ordre par des éléments incontrôlés selon un scénario désormais classique », « Évacuation en bon ordre », « Fermeté et détermination », « Forces de l’ordre », « Hommes d’ordre », « Magistrature aux ordres », « Impressionnant déploiement des forces de l’ordre », « Stalinismes », etc. À ces procédures d’ajustement de la typographie à la signification s’ajoutent des variations de taille pour des entrées comme « Succès grandissants », « tâches de titans », « taux de croissance », « Majorité silencieuse » ou 277des effets de disposition dans l’espace de la ligne (« ventilation des effectifs ») ou de la page (« tentation de déstabilisation »). Jacques-Henri Michot pousse ces expérimentations sur le signifiant en consacrant un espace spécifique à la production de calligrammes pour toutes les entrées de la lettre T, avec « Table des négociations » prenant la forme quadrangulaire d’une table ou avec « Tête de cortège », écrit verticalement et commandant sur une demi-page un bloc de lignes de la lettre O. De telles interventions visent à reparamétrer les conditions de lecture de ces syntagmes dont l’appréhension visuelle et la saisie de l’aspect typographique permettent une resensibilisation et une resémantisation. Ainsi ces procédures de prélèvement, d’agencement et d’implémentation critique permettent de rendre verbosensibles des éléments de langage discrets ou non décelables.
Le poison et la potion
En regard de cette liste alphabétique alignée à gauche, les auteurs (réel et fictionnels) intègrent et insèrent, comme une sorte d’autre entaille dans le continuum discursif, des titres d’œuvres picturales, musicales ou cinématographiques (de Botticelli à Palombella Rossa de Nanni Moretti, en passant par Duke Ellington), mais aussi des citations classées dans l’ordre alphabétique des noms d’auteurs, toutes et tous alignés à droite : à David, un psaume ; à Démosthène, un discours aux Athéniens, parfaitement actualisable en contexte contemporain :
Voilà donc où nous en sommes ! Et nous tergiversons, nous faiblissons, nous regardons du côté du voisin, nous nous défions les uns des autres, et non de celui qui nous fait du mal à tous. Quelle est donc la cause de tout cela ? […] Aujourd’hui, tout est vendu comme au marché23…
Ou encore à la lettre P, une citation de Christian Prigent, dans À quoi bon encore des poètes ? :
Poésie est le nom de la chance donnée à un lecteur, engagé dans la vertigineuse précipitation prosodique ou dans les empâtements de la polysémie, de poser son temps en travers du temps et de prendre momentanément dans l’épaisseur ralentie du déchiffrement l’initiative sur le temps24.
278Il est à noter qu’à la différence des entrées alignées à gauche et issues d’une opération de fragmentation les citations se maintiennent dans une sorte d’intégrité. Ce diptyque articule un premier volet du dispositif critique d’éléments discursifs toxiques et un second volet en forme de florilège, qui sont tous deux chevillés l’un à l’autre comme le poison et la potion. Le sous-titre à Un ABC est « Bréviaire des bruits » : il s’agirait du titre pour lequel aurait opté Barnabé B aspirant à capter et à enregistrer les « quelques assourdissantes rumeurs de notre époque25 », les borborygmes propres précisément à la barbarie, langue étrange et étrangère, dont l’articulation est incompréhensible. À ce recueil de fragments dysphoriques de « gluantes proférations de l’époque26 », de cette langue magmatique répondent les mentions de morceaux de musique, de Charles Mingus à Charlie Parker, en passant par Karlheinz Stockhausen.
Un dispositif de remédiation
On remarquera aussitôt que cet abécédaire se distingue d’un dictionnaire des idées reçues – même si Flaubert constitue une évidente référence, rappelant la finalité de polyphonie ironique qui fut la sienne et selon laquelle « il faudrait que, dans tout le cours du livre, il n’y eût pas un mot de [son] crû ». En effet les lemmes ne sont associés à aucune définition et semblent parler pour ainsi dire d’eux-mêmes. La liste dispose ainsi les conditions ergonomiques d’une appréhension presque scandée, qui favorisent mécaniquement une accélération de la lecture et viennent dénaturaliser ou détraquer ce langage machinal poussé en état de surrégime et ne nécessitant aucune saisie herméneutique. On pourrait qualifier l’ensemble de « dispositif », tel que l’entend Olivier Quintyn, à savoir comme un appareil symbolique hétérogène organisant la coexistence entre des éléments disjoints ou incommensurables, pour en révéler la facture et la facticité, ou encore comme une tactique de dislocation, embarquée dans la médiasphère et « destinée à dramatiser des expériences de désunion entre des logiques symboliques de représentation du monde ou des formes de croyance et de savoir collectif27 ». La notion de dispositif telle qu’on l’emploie ici repose sur trois éléments de définition : 1) sa dimension tactique : le lecteur usager de cet ABC est 279inscrit et immergé dans l’immanence d’un champ symbolico-politique fondamentalement agonistique et difficile à cartographier, trianguler ou surplomber ; 2) sa dimension technique et instrumentale : puisqu’il n’est pas possible de transcender le champ de l’action, il faut bricoler avec les moyens du bord ; c’est un équipement qu’on endosse pour tenir, survivre, opposer une résistance, brandir des contre-mesures ; 3) sa part de ruse et de metis : dans cet espace contraint et oppressé par les pouvoirs et l’idéologie dominante, il faut retourner une situation défavorable à son avantage, se ménager des espaces de liberté, s’aménager des marges de manœuvre, gripper les logiques d’enchaînement, se désincarcérer des logiques sémantiques en les démantelant localement.
Ces opérations techniques concourent à une entreprise de manipulation et de remédiation de matériaux impersonnels préexistants, qui semblent parler d’eux-mêmes et penser à la place de ceux qui les énoncent, sans ancrage locutoire précis, dans un bruissement stéréoscopique assourdissant. Si cette indétermination énonciative ambiante s’impose par des canaux médiatiques hégémoniques, il n’est pas besoin pour s’en émanciper que s’en détache ou s’y oppose, par son seul surgissement poétique, dans un esprit de résistance, une voix singulière. Des techniques minimales d’agencement fondées sur la conscience réflexive des médiations suffisent dès lors à se charger d’une forme d’interventionnisme politique dont il convient désormais de dégager les tenants et aboutissants.
Politique de la langue hégémonique
Fascisme, totalitarisme ou hégémonie ?
Il est opportun d’éclaircir la nature du pouvoir que la langue exerce sur nous et qu’exhibe et dénonce Un ABC de la Barbarie. La politique de la langue qui s’y déploie peut être reconstruite de la manière suivante : ça parle, et ça parle dans une énonciation à foyers et à flux multiples, sans origine assignable, d’une manière « mégaphonique28 » ; et ça parle malgré nous : cette langue nous parle plutôt que nous ne la parlons, 280nous en sommes les sujets sur qui s’exercent à la fois sa sujétion et sa subjectivation, d’une manière que fustigeait déjà Ponge contre les gouvernements d’affairistes et de marchands : « pour comble d’horreur, à l’intérieur de nous-mêmes, le même ordre sordide parle29… ». De son côté, Barnabé B mène « un combat sans trêve ni merci […] contre le sauvage déferlement langagier qu’il estimait porteur de mort30 ». Doit-on alors voir des résurgences totalitaires ou fascistes derrière cette barbarie ?
Si l’on peut à bon droit entendre des rémanences de novlangue ou de langue de bois dans Un ABC – langue du pouvoir empêchant tout contact référentiel avec la réalité, détournant toute prétention à la vérité, sapant toute aspiration à la critique –, il y a surtout des réminiscences moins orwelliennes que klemperiennes de la LTI. Klemperer compose entre 1933 et 1941, puis entre 1945 et 1949 des journaux publiés en Allemagne entre 1996 et 1999, traduits au Seuil en 2000. Les carnets de Barnabé pourraient constituer un équivalent fictionnel de ceux du philologue romaniste spécialiste du xviiie siècle français – qu’il appelait d’ailleurs ses « Soldats de papier ». Jacques-Henri Michot emprunte à Klemperer l’idée qu’une langue est plus qu’un code et constitue un écosystème : « on la respire autour de soi et on vit d’après elle » ; et si le pouvoir l’empoisonne, la contamine ou l’intoxique, nous pratiquons cette langue et ces mots comme « autant de minuscules doses d’arsenic31 ».
Il est vrai que Jacques-Henri Michot ne se recommande pas du fascisme de la langue de Barthes, pour la raison, assez juste, que la langue ne peut pas être dans sa totalité porteuse de grégarité autoritaire. On peut toutefois, pour éclairer cette lecture de Un ABC de la Barbarie, retravailler une distinction élaborée par Barthes dans « La division des langues32 » : le champ du discours est clivé par une guerre entre deux 281types de discours qui cherchent à s’empêcher mutuellement ; au discours encratique (logé dans le pouvoir, fonctionnant par oppression, il assemble les éléments doxiques du langage et relaie l’idéologie dominante) s’oppose un discours acratique (dans une situation d’extériorité au pouvoir, ce discours critique et révolté fonctionne par sujétion)33. Ce que Jacques-Henri Michot déploie dans Un ABC de la Barbarie vient compliquer l’opposition de Barthes : pour critiquer le discours du pouvoir, il n’est pas nécessaire de s’en extirper ou de s’y soustraire ; il suffit de l’agencer pour le mettre dans une position critique, de retourner le discours encratique en arme critique et de parler la langue de l’ennemi en la poussant à bout et jusqu’à l’absurde. Dans un tel contexte, nous ne manquons pas de ressources ; mais ces moyens du bord sont dérisoires et minuscules ; la situation n’est pas désespérée, mais les marges de manœuvre sont réduites, au regard des contre-mesures linguistiques susceptibles d’être brandies et déployées dans cet ordre politico-grammatical qui incline à une forme de fatalisme historique. Voilà pourquoi Un ABC se présente comme « une manière de toute petite machine de guerre contre la fausse solidité bétonnée criarde calamiteuse sinistre de la parlerie à prétention “consensuelle”34 ».
Dans un volume paru en 2011 à La Fabrique et recueillant les contributions d’autres poètes et auteurs (Jean-Marie Gleize, Jean-Christophe Bailly, Hugues Jallon, Christophe Hanna, Manuel Joseph ou Nathalie Quintane), Jacques-Henri Michot déploie dans la prose d’incises et d’incisions qui le caractérise une réflexion générée à partir d’une citation de Franz Kafka (qui va donner son titre au collectif) :
Il n’y a guère de raison de douter que d’ici là, l’Économie de Marché aura encore été à l’origine de ces catastrophes multiformes dont, toutefois – me faisant pour un temps sourd à ce que me souffle, tapi en moi depuis belle lurette, un génie familier – je ne dresserai pas ici une liste noire – liste des noirceurs. Certes, je n’irai pas – comme soudain libéré de toute colère, de tout souci d’essayer, avec les minuscules moyens de mon bord, d’apporter une infime, et sans doute dérisoire contribution à la mise en question de l’ordre établi et son cortège d’horreurs – jusqu’à m’écrier : « À bas la politique ! Vive la littérature35 ! »
282Ces accents où se détache une dérisoire lueur d’espoir sur fond d’un pessimisme épais sont congruents avec une empreinte kafkaïenne laissée à même Un ABC de la Barbarie : le nom de Barnabé B, en plus de la quasi-homonymie avec le personnage de Melville, fait sans doute écho au personnage homonyme du Château ou à Joseph K du Procès aux prises avec la majesté en bloc d’un pouvoir frontal et monolithique. Cette politique du désespoir découle d’un ethos hérité de Kafka qui a donné les moyens de penser cette transcendance écrasante et invasive du pouvoir36.
Il est utile pour cela de repenser cette langue dominante listée et épinglée par Michot avec le concept d’hégémonie qu’Antonio Gramsci a élaboré pour essayer de comprendre la victoire du fascisme auprès des classes ouvrières en même temps que l’échec des révolutions communistes. Ce que le marxiste italien désigne avec ce concept, c’est le fait que l’idéologie, non contente d’exercer une domination écrasante, se dépose dans les pratiques culturelles (comme la langue), au point d’engendrer une inclination générale colonisant le collectif. La langue donne le sentiment d’une direction commune et efface la réalité de la domination de certains, de sorte que le pouvoir semble exercer son oppression sans origine et de manière ubiquitaire sur des sujets qui en sont les victimes et les relais. Il y a là un double coup de force, par lequel ce qui n’est que l’intérêt de certains passe pour l’intérêt général et par lequel on prive les acteurs des moyens de la critique et des ressources pour comprendre tout le mal qu’on leur fait37. Cela n’obère pas pour autant la possibilité d’une « littérature contre-hégémonique », pour reprendre une expression de Jean-Jacques Lecercle :
[…] il y a de l’hégémonie (l’idéologie dominante ne se contente pas de dominer, elle dirige, parce qu’elle nous impose son langage), il y a donc de la subjectivité assujettie, et il y a aussi une résistance affective, un refus […], et sur cette résistance il y a la possibilité de construire une opération littéraire critique et reconstructrice. […] L’opération littéraire contre-hégémonique est intervention dans le langage de la situation et production de savoir sur 283ce langage (ce en quoi elle ressemble aux autres jeux de langage littéraires, qui sont caractérisés par la réflexivité, c’est-à-dire la capacité de produire du savoir sur leur propre langage)38.
Si les formations signifiantes d’une société sont toujours l’expression et le relais d’un ordre de domination, il n’est pas impossible de s’en dégager. Ce ne serait pas toutefois tant par une mobilisation de la fonction poétique du langage au sens jakobsonien, c’est-à-dire par des jeux de forme permettant de faire sécession ou soustraction avec ces politiques de la langue, que par des méthodes ou des protocoles intensifs de manipulation du signifiant et de gain en réflexivité dans l’usage de la langue. Le cadre alphabétique de l’abécédaire dispose les conditions de possibilité pour échafauder, de manière certes précaire et incertaine, une connaissance encyclopédique lançant des tentatives incertaines de totalisation de son environnement. À cet égard, on peut suivre Christophe Hanna quand il propose minimalement de définir la poésie comme « un art de la réflexivité et de l’autosensibilisation (non de la maîtrise et de la performance) ».
L’espoir réside alors en ce que l’univers médiatique persiste dans cette indéfinie variété qui le rend peut-être comparable au continuum somatique et que les divers organes médiatiques, peu sensibles en eux-mêmes à ce qu’ils sont, continuent de nous fournir des appuis pour construire notre attention réflexive sur les zones encore opaques de la médiasphère39.
Un ABC de la Barbarie nous aide-t-il à appréhender les contours et à saisir les rouages (la mécanique profonde) de ce que l’on croit être une gouvernementalité néolibérale ?
Comment critiquer un ordre indépassable ?
Car la barbarie dont Un ABC recense et consigne le langage élémentaire de la violence est sans l’ombre d’un doute celle de la gouvernance néolibérale, dont il est difficile d’écrire l’histoire linéaire et homogène, mais qui s’est assurément débridée dans ces années 90 d’où surgit le 284livre de Jacques-Henri Michot. Comme l’ont montré des recherches de sociologues et de philosophes ces dernières années, le néolibéralisme échappe à une saisie doxographique dans l’histoire des idées politiques et des doctrines économiques :
1)ce n’est pas un nouveau libéralisme, mais plutôt, d’une manière presque antinomique avec le premier libéralisme, un mode de gouvernement utilisant la force interventionniste et constructiviste de l’État pour garantir et préserver les conditions de la liberté du marché, au mépris et détriment des autres libertés (civiles) – ce que Wolfgang Streeck a redécrit comme une grève du capital envers des exigences démocratiques minimales, et non une grève de la part du peuple en termes d’exigences productives40. Et c’est pourquoi Jacques-Henri Michot épingle avec scrupule le dédain ambiant envers toute forme de mobilisation et de contestation sociales.
2)c’est donc le primat d’une logique économique de marché sur tout autre aspect de l’existence ; et l’extension considérable du champ d’application de l’économie à d’autres sphères de l’existence (capital humain, l’individu entrepreneur de soi-même, etc.) et une logique d’invasion et d’infiltration de ce domaine au sein d’autres pans de l’existence41. Le lemme « économie de marché » est sans doute celui qui a la plus grande taille dans Un ABC de la Barbarie.
3)et c’est enfin une pratique du pouvoir, dont le conservatisme n’a d’égal que l’autoritarisme et qui se manifeste par le choix de la guerre sociale42 et de politiques de l’ordre, propres à fabriquer le consentement à ce mode de gouvernement, à mettre au pas les populations indociles et rétives face à l’impératif d’adaptation43.
De ce néolibéralisme trop succinctement défini ici, il est possible de proposer une pluralité de séquençages chronologiques (les années 70 et l’avènement de Reagan et de Thatcher ; la fin des années 60 et la réaction 285conservatrice contre les mouvements civiques, étudiants et sociaux44 ; l’après-guerre ou même les années 30) et de dresser la généalogie intellectuelle des positions conservatrices et autoritaires (chez Walter Lippman45 ou chez Carl Schmitt46 par exemple). Il est assez remarquable cependant qu’avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’empire soviétique, la position pour ainsi dire confirmée et peu contestée du capitalisme se soit manifestée dans une globalisation béate, dans une conversion austéritaire au démantèlement des services publics et dans ce que Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant ont appelé dans un article du Monde diplomatique paru en 2000 « La nouvelle vulgate planétaire47 ». Ces mutations du capitalisme ont entraîné comme en miroir une transformation des conditions de la pensée critique qui s’y oppose : alors que le fordisme a engendré un mouvement syndical partisan et centralisé, le capitalisme néolibéral s’est imposé à celles et ceux qui voulaient en pointer la dangerosité comme un ennemi sans dehors, furtif et insaisissable. Face à l’impossibilité d’en proposer une vue synthétique et totalisable48, et au regard du caractère impur, hétéroclite, instable, éclaté et non-systématique du néolibéralisme49, le montage tel qu’il est employé ici par Jacques Henri Michot semble se donner la tâche écrasante de recomposer l’image précaire et instable de cette entité infigurable. À la lettre E, la liste alphabétique met en contact libéralisation, surchauffe financière, exigences managériales, surveillance policière, paupérisations, relégation sociale et entertainment démobilisateur : « Éclopés de la vie » ; « Économies exsangues après des décennies de collectivisme » ; « Économie de marché » ; « Écrans de contrôle » ; « Efficacités hors pair » ; « Efforts déployés pour recoller les morceaux » ; « Égarements des intellectuels » ; « Électrochocs salutaires » ; « Élites » ; « Emballements de la machine économique » ; « Embellies sur les places financières » ; 286« Éminents spécialistes » ; « Émissions destinées à un large public50 ». De même, à la lettre P, la mise en série des lemmes produit un effet similaire d’agglutination, de visibilisation ou de défamiliarisation51 de phénomènes épars, disjoints ou insensibles sur le plan de l’expérience :
Parlers vrais,
Parrains,
Parts de marché, parts du gâteau, parts du lion – part du rêve
Parterres choisis des grands de ce monde
Participations-records
Pas de mots trop durs pour dénoncer les charges qui pèsent sur les entreprises. Pas de plus dans l’escalade
Pas son pareil pour égratigner les travers de ses contemporains
Pasionarias
Passage à la trappe, audimat oblige, des émissions dont le taux d’écoute est en chute libre
Passages à tabac
Passages à vide
Passages du témoin
Passages en force
Passages obligés52
Si l’on peut incliner à croire qu’il y a dans ces langues étranges, étrangères et aliénantes qu’on nous fait vivre « une forme grammaticale de fatalisme historique, ou d’impuissance collective53 », il n’en reste pas moins que les jeux de lettre et les manipulations du signifiant impliqués dans le montage de Jacques-Henri Michot n’ont pas l’ambition démesurée de nous en émanciper pour de bon, mais de nous aider à apprendre une langue pour ne plus la parler et à enrayer les ressorts hégémoniques qu’elle exerce sur nous.
Florent Coste
Université de Lorraine, LIS EA7305
1 Je tiens à remercier pour leurs remarques profitables et enrichissantes Yan Greub, Thomas Hunkeler, Pierre-Marie Joris, Pierre Thévenin et Marion Uhlig. – Kittler, Friedrich, Gramophone, Film, Typewriter, trad. Frédérique Vargoz, Dijon, Les Presses du réel, 2018, p. 29.
2 Pour une telle ressaisie wittgensteinienne de la littérature comme jeux de langage et formes de vie, je me permets de renvoyer à Coste, Florent, Explore. Investigations littéraires, Paris, Questions théoriques, « Forbidden Beach », 2017.
3 Citton, Yves, Médiarchie, Paris, Seuil, La couleur des idées, 2017.
4 Michot, Jacques-Henri, La Vie, l’amour, la mort, Paris, Al Dante, 2008 ; et du même, Comme un fracas. Une chronique, Paris, Al Dante, 2009.
5 Michot, J.-H., Derniers temps. Un capharnaüm, Paris, NOUS, « Disparate », 2021.
6 Comme le remarque judicieusement Stéphanie Éligert, « a priori, son caractère indéfini contredit le principe même d’ABC. [… en effet] les formes courantes d’ABC – la plupart du temps pensées pour les besoins du marché – en appellent toujours, dans leur titre, à la souveraineté généralisante de l’article défini “le” ; tout ABC, dans les rayonnages d’une librairie, est l’ABC, le seul et le plus “performant” sur le thème choisi, etc. » (« Un ABC de la barbarie de Jacques-Henri Michot (1) », Sitaudis, 8 avril 2015, URL : https://www.sitaudis.fr/Parutions/un-abc-de-la-barbarie-de-jacques-henri-michot-1.php)
7 Gleize, Jean-Marie, Sorties, Paris, Questions théoriques, « Forbidden beach », 2014.
8 Jacques-Henri Michot publie des extraits de Un ABC dans Nioques, 1.3, 1997, p. 99-118. Dans « La vingt-trois mille deux cent vingt-septième nuit » (Nioques, 1/6, 1999, p. 115-139), il présente la fiction d’un manuscrit que Barnabé B a composé à côté de son ABC de la Barbarie, tel « une brève pause ménagée dans son labeur axial », et que François B a publié ensuite. Cf. par ailleurs Michot, J.-H., « L’apparition », Nioques, no 19, p. 33-46, et du même « Terre ingrate mais pas totalement », Nioques, no 13, p. 109-134.
9 Je rappelle l’épigraphe explicatif placé en tête de chaque volume de la revue Nioques : « écriture phonétique de gnoque, mot forgé par [Ponge] pour signifier par sa racine grecque la connaissance, et ne faire ni référence à la gnossienne de Satie, ni à la connaissance de l’est de Claudel » ; s’y explicitent le « double parti pris de critique radicale de la poésie et de puissante thérapie contre l’intoxication », ainsi que « l’exigence de l’expérimentation formelle, de l’intervention restreinte ou oblique, de la résistance passive “à voix intensément basse”, de l’investigation objective, de pratiques aussi littéralement présentes que possible à ce qui nous entoure. »
10 Michot, J.-H., Un ABC de la Barbarie, Dijon, Les Presses du réel, « Al Dante », 2022 [2014, 1998], p. 13.
11 Ibid., p. 12.
12 Michot, J.-H., « De l’entaille. À propos de l’écriture d’Un ABC de la barbarie », supplément à La Lettre Horlieu-(X) (Lyon), no 16-17, p. 10.
13 Goldsmith, Kenneth, Uncreative writing, Managing Language in the Digital Age, Columbia University Press, 2011. Cf. les mises en perspective de Marjorie Perloff, Unoriginal Genius. Poetry by other means in the New Century, The University of Chicago Press, 2010.
14 Sur la figure de Bartleby, cf. Jouannais, Jean-Yves, Artistes sans œuvres. I would prefer not to, Paris, Verticales, 2009 ; Smith, Frank, Fonctions Bartleby, bref traité d’investigations poétiques, Paris, Le Feu sacré, 2015.
15 Michot, J.-H., Un ABC de la Barbarie, op. cit., p. 12.
16 Barnabé B inaugure Un ABC de la barbarie avec l’épigraphe suivante : « Ânes à listes nous sommes, ânes à liste nous resterons » (p. 9). Voir Michot, J.-H., « De l’entaille (À propos de l’écriture d’Un ABC de la barbarie) », 2000 [horlieu-editions.com/brochures/Michot-de-l-entaille.pdf].
17 Michot, J.-H., Un ABC de la Barbarie, op. cit., p. 14.
18 Comme le souligne Nathalie Quintane (« Éléments de langage », LeNouveau Monde. Tableau de la France néolibérale, éd. Antony Burlaud, Allan Popelard, Grégory Rzepski, Paris, Éditions Amsterdam, 2021, p. 127-133), l’élément de langage se caractérise précisément par sa liquidité : que sans énonciateur premier, il est fait pour être repris. Il préexiste, prémâché, à son énonciation fondamentalement hétéronome : « quand Macron parle, ce n’est pas Macron qui parle. Il reprend. » (p. 127). Elle épingle dans la communication d’Emmanuel Macron des techniques de communication politique aux ressorts rhétorico-poétiques, tournant à vide mais dotées cyniquement d’une efficacité politique à tout le moins délétère : « Dans le conflit entre la rime et la vérité, Macron (Hollande, Sarkozy, etc.) choisit toujours la rime : “Il ne peut y avoir d’humanité s’il n’y a de fermeté”, “Il faut concilier efficacité et générosité”, “Je suis venu faire passer un message d’efficacité et de fermeté”. » (p. 133).
19 La notion de médialecte est un mot-valise élaboré par Genette pour désigner un « dialecte propre aux médias au sens large […], avatar récent du français, dont il reflète et accélère une évolution parfois fâcheuse » (Genette, Gérard, Bardadrac, Paris, Seuil, 2006, p. 220).
20 Angenot, Marc, Glossaire pratique de la critique contemporaine, LaSalle, Hurtubise HMH, 1979.
21 Brown, Wendy, Murs. Les murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique, Paris, Les prairies ordinaires, 2009.
22 Lecercle, Jean-Jacques, De l’interpellation. Sujet, langue, idéologie, Paris, Éditions Amsterdam, 2019.
23 Michot, J.-H., Un ABC de la Barbarie, op. cit., p. 59-60.
24 Ibid., p. 157.
25 Ibid., p. 11.
26 Ibid., p. 12.
27 Quintyn, Olivier, Dispositifs/dislocations, Paris, Al Dante, Questions théoriques, 2007.
28 Hazan, Éric, LQR, La propagande du quotidien, Paris, Raisons d’agir, 2006.
29 Ponge, Francis, « Les écuries d’Augias », Le parti pris des choses, suivi de Proêmes, Paris, Gallimard, 2020 [1967], p. 155.
30 Michot, J.-H., Un ABC de la Barbarie, op. cit., p. 20.
31 Klemperer, Victor, LTI, la langue du iiie Reich, trad. Élisabeth Guillot, Paris, Pocket, 1996, p. 40 : « Et qu’arrive-t-il si cette langue cultivée est constituée d’éléments toxiques ou si l’on en a fait le vecteur de substances toxiques ? Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir. » En dernière date, cf. Didi-Huberman, Georges, Le Témoin jusqu’au bout. Une lecture de Victor Klemperer, Paris, Minuit, 2022.
32 Barthes, Roland, « La division des langues », Œuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, 2002 [1973], p. 348-360.
33 Cf. Lecercle, J.-J., De l’interpellation, op. cit., p. 187-188.
34 Michot, J.-H., « De l’entaille. À propos de l’écriture d’Un ABC de la barbarie », art. cité, p. 12.
35 Michot, J.-H., « Toi aussi tu as (encore) des armes », « Toi aussi tu as des armes ». Poésie et politique, Paris, La Fabrique, 2011, p. 109-110.
36 Cf. Mondzain, Marie-José, K comme Kolonie. Kafka et la décolonisation de l’imaginaire, Paris, La Fabrique, 2020.
37 Racontant comment des bourgeoises parisiennes retiraient leurs épingles de leur coiffure et de leur chapeau pour crever les yeux des Communards qu’on venait d’arrêter, Bernard Noël appelle cela, dans La Castration mentale (Paris, P.O.L, 1997), un « meurtre du regard » : « le geste final est toujours d’aveugler l’adversaire pour qu’il ne voie pas ce qu’on lui fait, et soit donc incapable d’en témoigner valablement. […] Les riches ne crèvent plus les yeux des révoltés avec des épingles à chapeau, mais avec des images. […] Les responsables, pour n’être pas coupables, choisissent toujours d’aveugler. » (p. 8-10)
38 Lecercle, J.-J., « Que peut la littérature ? : À propos du livre de Sandra Lucbert, Personne ne sort les fusils », Diacritik, 20 octobre 2021, URL : https://diacritik.com/2021/10/28/que-peut-la-litterature-a-propos-du-livre-de-sandra-lucbert-personne-ne-sort-les-fusils/, consulté le 22/06/2023.
39 Hanna, Christophe, « Commande mondaine / pré-formatage / médiatisations / expérience / effets ? », Lignes, 2021/3, no 66, p. 109-115, ici p. 115.
40 Streeck, Wolfgang, Du temps acheté. La crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, trad. Frédéric Joly, Paris, Gallimard, « NRF Essais », 2014.
41 Dardot, Pierre et Laval, Christian, La Nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.
42 Laval, Christian, Sauvêtre, Pierre, Dardot, Pierre, Guéguen, Haud, Le choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, Montréal, Lux, 2021.
43 Stiegler, Barbara, Il faut s’adapter. Sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard, « NRF Essais », 2019.
44 Chamayou, Grégoire, La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique, 2018.
45 Stiegler, B., Il faut s’adapter, op. cit.
46 Chamayou, G., Du libéralisme autoritaire, Carl Schmitt, Hermann Heller, Paris, La Découverte, « Zones », 2020.
47 Bourdieu, Pierre et Wacquant, Loïc, « La nouvelle vulgate planétaire », Le Monde diplomatique, mai 2000, p. 6-7.
48 Jameson, Fredric, La Totalité comme complot. Conspiration et paranoïa dans l’imaginaire contemporain, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007.
49 Brown, Wendy, Les Habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néo-conservatisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007.
50 Michot, J.-H., Un ABC de la Barbarie, op. cit., p. 65.
51 Chklovski, Viktor, L’art comme procédé, Paris, Allia, 2008.
52 Michot, J.-H., Un ABC de la Barbarie, op. cit., p. 147.
53 Rauline, Véronique, « Avec et contre la novlangue managériale », Imaginaires du néolibéralisme, dir. François Cusset, Thierry Labica, Véronique Rauline, Paris, La Dispute, 2016, p. 259.
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- ISBN: 978-2-406-14954-5
- EAN: 9782406149545
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14954-5.p.0269
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-23-2023
- Language: French
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