Les heures sonores de l’alphabet À propos d’Henri Chopin et Paul Zumthor
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Lettres à l’œuvre. Pratiques lettristes dans la poésie en français (de l’extrême contemporain au Moyen Âge)
- Author: Thévenin (Pierre)
- Pages: 245 to 268
- Collection: Encounters, n° 587
- Series: Convergences in literature, n° 7
LES HEURES SONORES DE L ’ ALPHABET
À propos d’Henri Chopin et Paul Zumthor
Je me disais qu’on pouvait sûrement se servir de sa mémoire autrement, qu’un autre montage était possible, comme au cinéma, même si je ne voyais pas vraiment comment m’y prendre.
Mark Geffriaud, deux mille quinze, Frac Île-de-France – Le Plateau, 2020.
Envisagé positivement, l’anachronisme désigne moins une faute de méthode que l’occasion d’élargir l’appréhension que nous pouvons avoir d’une œuvre ou d’une idée esthétique. Parcourant les allées temporelles du savoir, le long desquelles les siècles et les époques accueillent, comme autant de succursales, les monuments littéraires qui leur sont déférés, le récepteur découvre quelque frayage insolite – couplage, renvoi, télescopage, emprunt, remploi, amalgame – par lequel se trouvent soudain mis en présence, comme par une porte dérobée, deux items que la nomenclature conventionnelle tenait à distance l’un de l’autre.
Si la possibilité de cette réunion retient l’attention d’une communauté croissante de chercheurs1, son statut ne va pas sans ambiguïté. La décontextualisation qu’elle implique procède-t-elle d’une opération à laquelle l’œuvre elle-même aurait partie liée et dont elle porterait, pour ainsi dire, la responsabilité ? Ou bien serait-ce plutôt l’herméneute qui l’établirait à part soi, poussé par les besoins de son entreprise critique à 246« papillonner » parmi « l’ampleur des temps, la procession des siècles et des volumes2 » ?Voilà, au moins en apparence, deux manières différentes de nous figurer la « remontée du temps » qui nous retient ici. Dans la première hypothèse, les œuvres semblent déclencher sua sponte une « dialectique des siècles » qui innerve leur genèse ou leur fonctionnement. Dick Higgins, compositeur, éditeur et poète américain, formule efficacement ce point de vue. En « faisant l’expérience de son passé et du passé de son art », écrit-t-il, le poète enrôle celui-ci dans l’affirmation de « son expérience présente », de sorte qu’une représentation même adultère du passé « contribue au processus qui aboutit à l’œuvre finale3 ». Dans la seconde hypothèse, l’anachronisme ne présente pas cette implication circulaire. Qualifiant moins l’œuvre elle-même que sa lecture, il apparaît plutôt comme une déclinaison particulière de cette liberté de « se perdre », que le romantisme allemand revendiquait au nom de la « fascination (Reize) » qui entraîne le critique « dans une réflexion toujours plus profonde4 ». Se mélanger dans les siècles ou mélanger les siècles : voilà bien une façon, pour le lecteur, de se perdre au gré du plaisir qu’il prend au texte – ce plaisir qui excite les miroitements infinis du sens jusqu’à dépareiller les chronologies.
Dans ce chapitre, j’essaierai de montrer que la collaboration du médiéviste Paul Zumthor (1915-1995) et du poète Henri Chopin (1922-2008) incite à préférer la première de ces perspectives à la seconde. En effet le dialogue original de ces deux auteurs – dont j’envisagerai spécialement le volet « alphabétique5 » –, témoigne moins d’un geste d’accompagnement critique extrinsèque, par lequel ils se seraient ensemble « égarés » dans la lecture conjointe des sources médiévales et des poésies expérimentales 247des années 1960, que d’un emboîtement plus intime, entre des problématiques littéraires de prime abord décorrélées. Sans contester au critique son droit fondamental à l’égarement, l’exemple de cette collaboration invite me semble-t-il à considérer l’émergence située de l’anachronisme, à l’envisager comme le fruit ponctuel d’un travail collectif, impliquant à parts égales recherche et création, plutôt qu’en ses effets génériques, adossés au « papillonage » des interprétations individuelles.
Une très longue rencontre
En scellant l’association de l’avant-garde au format médiéval du livre d’heures, la parution en 1992 des Riches Heures de l’Alphabet6 offre un exemple remarquable de ces frayages à la faveur desquels paraît soudain s’ouvrir comme une brèche, un court-circuit dans la « procession des siècles et des volumes ». D’un côté, le livre d’heures, équivalent laïc du bréviaire des clercs, dont la diffusion accompagne les progrès de la dévotion privée dans l’Occident médiéval, avant que la Contre-Réforme, sous Pie V, n’en proscrive l’usage. De l’autre, cette pratique poétique, progressivement détachée du Lettrisme à la fin des années 1950, résolue à manipuler l’aspect physique du langage à l’aide de nouveaux moyens techniques : ceux d’abord du magnétophone, du microphone et de la bande magnétique, lorsque l’acte oral de langage est traité comme un « événement sonore (Hörereignis) », dans lequel « tous les phénomènes acoustiques, qu’il s’agisse de sons, de mots, de bruits ou de timbres, possèdent par principe une valeur équivalente7 » ; ceux ensuite de la machine à écrire et des outils de mise en page voire d’impression, lorsque l’acte écrit de langage est saisi comme un objet visuel, qui se situerait quelque part entre l’« ombre » et la « peinture rouge8 ».
248L’éloignement chronologique n’est pas seul à rendre insolite ce couplage des heures et du sonore. À ce télescopage temporel, commun somme toute à la nébuleuse des médiévalismes9, s’ajoute encore la différence des supports médiatiques. En effet ces Riches heures ne se contentent pas de rapprocher l’un de l’autre deux objets littéraires qui occuperaient, comme l’Odyssée et Ulysse, des places distantes au sein d’un même système de rayonnages. Ce qui se trouve ici « couplé », ce sont plutôt deux artefacts culturels qui ne ressortissent pas, au fond, du même service d’archive. Assimilée aux arts visuels, la poésie concrète tend à être conservée avec les livres d’artiste, au sein du département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France10, à la Bibliothèque Kandinsky ou dans les collections spécialisées des musées, comme le cabinet de poésie concrète ouvert en 2017 au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Genève. Quant à la poésie sonore, elle est, avouons-le, difficile d’accès, puisque ses ressources sont disséminées entre archives radiophoniques11, collections privées12, expositions13, ressources associatives14 et mises en ligne attentatoires aux droits de reproduction15. En ce sens, la rencontre de Paul Zumthor et d’Henri Chopin, à la fin des années 1980, est d’abord celle de deux hommes qui n’ont pas fréquenté les mêmes lieux. Si le 249premier a surtout arpenté les départements des manuscrits médiévaux et les amphithéâtres universitaires, le second apparaît sous les traits d’un tenant de l’« univers de culture » qu’a représenté dans les années 1950 le Studio d’essai de la Radio, animé rue de l’Université par Pierre Schaeffer et Pierre Henry16. Figure de la « révolution électronique » théorisée par William Burroughs dans un texte dont il fut lui-même l’éditeur et le traducteur17, habitué des cercles musicaux avec lesquels il entretient des relations tourmentées mais constantes18, Henri Chopin est davantage un homme de concert ou de scène, de studio radiophonique ou de vernissages, qu’un homme de lettres au sens ordinaire du terme.
Aussi les deux hommes semblent-ils, au fond, les premiers surpris de ce que Henri Chopin nommera leur « très longue rencontre19 ». Lorsqu’ils entrent en correspondance en 1983, ils ont déjà assis, chacun dans le domaine qui est le sien, l’essentiel de leur réputation. En 1974, Henri Chopin a refermé – « faute d’auteurs sonores nouveaux » ou à court d’argent, selon l’explication qu’il en donnera tour à tour20 –, l’aventure de la revue qu’il avait animée depuis 1958 sous trois formes successives, dont la seconde, la revue-disque Ou-Cinquième Saison, reste peut-être l’accomplissement le plus marquant de sa carrière21. Cinq ans plus tard, 250en 1979, son ouvrage Poésie sonore internationale22 livrait la chronique réflexive du développement de la poésie sonore, à laquelle la revue Ou avait réussi à offrir une fenêtre d’expression commune, mais dont la vitalité commençait à faiblir. Quant à Paul Zumthor, il entre, au début des années 1980, dans la dernière phase de sa carrière. Récemment retraité de l’Université de Montréal, où il fut nommé en 1972 à une chaire de littérature comparée, il cherche à élargir sa réflexion de médiéviste. Contemporains de sa découverte de la poésie sonore puis de sa rencontre avec Henri Chopin, deux ouvrages importants, l’Introduction à la poésie orale23puis La Lettre et la voix. De la « littérature » médiévale24, témoignent des trois directions que prendra cette extension : une dilatation de la notion de littérature, progressivement placée entre guillemets ; une ouverture à la question de l’oralité transmuée en vocalité ; le décentrement vers des objets paralittéraires, non occidentaux et non médiévaux25.
Dans ces conditions, la « très longue rencontre » de ces deux hommes prend la forme d’une fécondation réciproque. Après avoir d’abord suivi des évolutions parallèles, l’analyse étendue de la « poésie orale » médiévale et le manifeste de la poésie sonore paraissent percuter l’un dans l’autre. Comme l’explique lui-même Paul Zumthor,
c’est au cours de mes travaux sur la poésie orale que je rencontrai, vers 1980, la poésie sonore : découverte bien tardive, ce que je déplore ; mais le choc m’ouvrit soudain l’horizon d’un continent dont mon sentiment et ma raison postulaient l’existence, sans que jamais j’aie eu l’occasion d’en toucher les rivages26.
Loin d’avoir été sciemment délibérée ni forcée, c’est sous l’allure d’une commotion, d’une bonne fortune que se présente ici la rencontre du 251médiéval et du contemporain. Cette rencontre anachronique n’est pas, pour reprendre les termes de Gilles Deleuze, le fruit « d’une surveillance ou d’une réflexion mutuelle », par laquelle « une discipline se serait donné pour mission de suivre un mouvement créatif venu d’ailleurs27 ». Au contraire, toute l’analyse que Paul Zumthor avait offerte de la vocalité médiévale apparaît soudain sous un jour nouveau et rétrospectif, comme si elle n’avait jamais rien fait d’autre au fond que d’annoncer ce pendant poétique et contemporain d’elle-même dont elle avait seulement pressenti la possibilité, mais qui en avait toujours constitué le cœur secret. En cela Zumthor a bien pu se sentir en effet, vis-à-vis de Henri Chopin, qu’il rencontre dans la foulée de sa découverte, comme « en face d’un très vieil ami proche de nous depuis toujours28 ».
À l’inverse, Henri Chopin s’enthousiasme progressivement pour ce déplacement inattendu de la problématique sonore sur le terrain de l’histoire. Alors même que sa sensibilité avant-gardiste avait été fortement façonnée par la représentation futuriste d’un présent « détaché de la chaîne génétique du passé29 », la découverte des travaux de Paul Zumthor l’amène à réviser la conviction qu’il affichait encore quelques années auparavant, selon laquelle « l’Histoire ne nous aide nullement, puisqu’en poésie elle n’existe pas30 ». C’est que le poète se découvre soudain, en partage avec l’historien, un savoir et un choix, celui de la voix que Chopin évoquera dans un poème inscrit au titre de la lettre Z, paru dix ans après la disparition de son ami :
avec toi, Zumthor
nous choisissions
l’oiseau qui savait zinzinuler
et nous savions que la voix
est née pour les
d i a l o g u e s31
252Entre chacune des lettres du mot « dialogues », Chopin insère une espace vierge, comme si ces blancs inscrits sur la page, dans l’interstice du mot écrit, devaient figurer les respirations d’une conversation qui s’étire et s’approfondit par degrés. Tâchons donc de démêler le sens de ce qui se jouait dans ces intervalles.
Fig. 1 – Dactylopoème de Henri Chopin composé de points de ponctuation,
Les Riches Heures de l’Alphabet, Paris, édition Traversière, 1992, p. 165.
Lettres digitales et voix électrifiées
Depuis Le Dernier Livre des riches heures de Chopin (1981)32 jusqu’aux Riches Heures de l’alphabet, en passant par Le petit livre des riches heures signistes et sonores d’Henri Chopin (1987)33, c’est donc à l’enseigne du livre d’heures qu’Henri Chopin tâche d’articuler les deux volets de sa production : les dactylopoèmes et les audiopoèmes. Les dactylopoèmes, qu’il nomme également typewriter poems, sont réalisés à la machine à écrire. Construits à partir des caractères de l’alphabet latin, augmentés des marques de ponctuation, des chiffres arabes et des signes typographiques comme % ou *, ils :
proposent maintes vibrations visuelles que l’on sait varier à l’infini si l’on déplace la feuille de papier sur le chariot de la machine à écrire, par exemple en la “tapant” dans les deux sens, de haut en bas, et l’inverse, du bas en haut, ou encore lorsqu’on place la feuille en diagonale34.
Il s’agit de véritables compositions plastiques. À travers un jeu de répétitions, de permutations, d’orientations, de couleurs ou de mise en page, elles tissent une “lecture à voir”, offerte à une approche rétinienne de l’écriture alphabétique, proche du « spatialisme » de Pierre Garnier et Nikuni Seiichi35. En témoigne ce poème exclusivement composé d’un millier de points de ponctuation et d’une centaine de virgules (fig. 1)36. L’usage des caractères typographiques prolonge ici le parti graphique que les études d’Anni Albers avaient déjà tiré, dans le champ du design textile, du chariot de la machine à écrire37. Si la répétition d’un élément identique évoque les procédures de l’art minimal, notamment celles que Carl Andre avait lui-même étendu de ses sculptures à ses « shaped 254poems38 », elle implique en outre un élément dynamique, qui repose sur un usage ludique et détourné de la machine à écrire, proche de l’art cinétique. En rappelant la frappe du doigt sur la touche du clavier, qui déclenche par engrenage celle du caractère sur la feuille, le mot dactylopoème souligne cette dimension active, à l’interface du corps propre et de la machine. Poème digital et électrifié, le dactylopoème exalte une fonction de frappe automatisée, présentée par les modèles électriques que Chopin exploite alors39 pour détourner les caractères d’imprimerie de leur course ordinaire vers le langage.
Les audiopoèmes forment le revers sonore de ce versant visuel. Ils exploitent, quant à eux, le substrat physiologique de la phonation. Dans une émission radiophonique qui lui offre l’occasion de commenter au vol la diffusion de l’un de ses audiopoèmes, Henri Chopin énumère la provenance ou la nature des sons qui en forment la matière :
bouche fermée ; respiration et salive ; frappement de la langue ; seulement les lèvres ; roulement de gorge ; glotte fermée ; glotte fermée (souffle étouffé) ; gorge sèche ; sifflement simple ; souffle avec manipulation des joues ; lèvres fermées et petite respiration ; mélange respiration nasale et buccale ; avalement de la langue ; claquement des lèvres ; pincement des lèvres40.
Loin de se présenter comme cosa mentale41, la poésie sonore expose ici « les moindres bruits annexes qui accompagnent toujours le discours42 ». Ces « moindres bruits » forment le soubassement physiologique, la condition matérielle non seulement de toute déclamation poétique, mais de tout acte de langage. Comme on retourne un gant, pour faire paraître l’envers de sa surface apparente, les audiopoèmes donnent à entendre ces sons 255qui sont « le fruit de la division du verbe en unités audibles43 », mais restent sous-jacents à l’unité du phonème.
En cela l’audiopoème ne se contente pas d’octroyer à la diffusion radiophonique ou à la lecture publique la valeur de lieux naturels ou premiers de la création poétique44. Indéniablement, Chopin a en partage une orientation de fond vers la performance, qui s’est sans doute aguerrie au contact du mouvement Fluxus et imprégnée de la culture du happening45. Son ami Bernard Heidsieck donnera une admirable description de sa capacité à « envahir et submerger la salle de partout […] la machine et lui ne faisant plus qu’un sur la scène / dans la lumière et la nuit / face à nous46 ». En cela, Chopin s’inscrit assurément dans le fil des poètes dadaïstes qui, faisant de la « déclamation à voix haute la pierre de touche de la valeur d’un poème », se sont « laissés instruire par les tréteaux » des limites d’une littérature « ruminée devant un bureau », plutôt faite pour les « lunettes du directeur de revue » que « pour les oreilles des hommes vivants47 ». Cependant, parce qu’elle s’appuie sur une approche sonore – et nous pourrions dire strictement sonore, pour 256faire un sort à ce qui la distingue de l’approche sémantique des poèmes actions de Bernard Heidsieck48 –, la manière dont Chopin « submerge la salle » dépasse l’affirmation de l’oralité, pour situer le terrain poétique sur un plan sonore préalable à l’articulation ou à la formation de la parole, comme à celle d’ailleurs du phrasé musical.
Là encore, l’audiopoème s’inscrit dans le fil du Lautgedicht des poètes dadaïstes – et l’on sait que Henri Chopin se rendit à la rencontre de Raoul Hausmann, à l’époque où, presque invalide, il vivait retiré dans le Limousin, pour enregistrer, puis publier dans la revue Ou-Cinquième saison, l’un de ses poèmes phonétiques. Cependant, si le poème phonétique s’attachait à faire entendre et voir « l’émergence du langage articulé49 » en se donnant « le mot » pour horizon50, les audiopoèmes semblent à ce point distendre ce lien de la voix à la parole, qu’une surface sonore toute différente se donne en eux à entendre. Bien que des mots puissent, naturellement, apparaître sporadiquement sur cette surface, l’articulation phonétique n’apparaît pas comme l’enjeu premier des flux sonores qui la parcourent.
Cette « voix » non seulement préalable à la formation des paroles – comme dans la démarche phonétique des dadaïstes – mais en quelque sorte indifférente à elles, repliée dans une sorte de souveraineté préhistorique ou primitive, Henri Chopin ne l’aurait jamais recherchée, ni pu l’approcher, sans tirer parti des innovations techniques propres à son temps. Tout comme le dactylopoème n’apparaît qu’avec l’invitation de la machine à écrire à multiplier les caractères sur la page au-delà de ce qu’aucune calligraphie manuelle – fût-elle due au plus fou des copistes franciscains51 – n’aurait été portée à envisager, l’isolement sonore de la « voix » n’est obtenu qu’à travers des procédés de captation, d’enregistrement, de traitement et de 257diffusion du son qui supposent un ensemble de moyens apparus dans les années 1950. Le microphone, le magnétophone à bande magnétique, les multiples moyens propres aux studios de création radiophonique – tels le déphasage de boucle magnétique, qui permet de démultiplier une voix52 –, les haut-parleurs enfin : voilà l’outillage électronique qui, avec un niveau de sophistication très variable, allant de l’amateurisme au high tech des technologies musicales électroniques complexes53, permet à Chopin, dans la description que donne Heidsieck, de « submerger la salle de partout […] la machine et lui ne faisant qu’un sur la scène ».
À ce compte, l’enjeu de la performance n’est donc pas du tout de présenter le texte poétique comme :
un palimpseste qui, une fois gratté (scratched), laisse apparaître sous sa surface la parole qui, une fois flairée (sniffed), laisse apparaître le langage54.
En effet l’audiopoème et son exécution scénique mettent au premier plan non seulement la « parole » mais, fractionnant celle-ci, les bruits qui font le grain de la voix qui la porte. Par conséquent ce ne sont pas seulement les liens respectifs de la parole, du texte et du langage qui se trouvent reconfigurés – comme lorsque David Antin écrit des « poèmes parlés55 » – mais la solidarité même de ces trois termes qui, l’espace d’un instant, paraît suspendue. S’il est vrai que les moyens techniques, à la façon d’une loupe grossissante, opèrent une coupe dans le langage, qui sert à projeter au premier plan sa matérialité purement acoustique, lorsqu’il est oral, et purement visuelle, lorsqu’il est écrit, que reste-t-il en effet du lien qui attache la voix au texte ou le texte à la parole ? Ce lien n’est même plus étiré, comme lorsque les « poèmes sans mots » dadaïstes ou les poésies du zaoum déroulaient les phonèmes d’une surlangue internationale encore inexistante56 ou lorsque les lettristes 258agrémentaient l’alphabet latin de « lettres structurelles » tirées du grec ou des symboles mathématiques57. Il est comme coupé.
Si les enjeux littéraires de cette « suspension sonore » interpellent, ses affinités avec la pensée musicale permettent peut-être de mieux l’appréhender. De même, nous l’avons vu, que les dactylopoèmes suivaient un mouvement largement initié dans le domaine esthétique du graphisme et des arts visuels, il existe une proximité frappante entre le travail de Chopin et l’abandon, par certains compositeurs, de l’expressivité et du phrasé au profit de l’analyse du son. Lorsqu’Alvin Lucier par exemple, dont Chopin mentionnera le travail dans Poésie sonore internationale, établit une pleine égalité de valeur, dans son instrumentarium, entre les éléments naturels tels que la voix, les technologies musicales électroniques et les technologies industrielles en général – comme les aimants à chaussure –, il ne se contente pas de « mettre à plat » la technologie, pour déjouer l’opposition de la nature et de la culture. « Plus fondamentalement, ou plus exactement corrélativement », comme le remarque James Tenney, il semble donner pour but à la composition musicale « de réfléchir les propriétés physiques du son58 ». À plusieurs titres, le travail de Chopin peut s’analyser comme la contrepartie « littéraire » de cette veine d’exploration musicale. De même qu’Alvin Lucier emploie la technologie « d’une manière très différente que dans la plupart des autres musiques – non pour elle-même, ni pour ses effets, mais pour révéler un aspect particulier de la nature59 » –, Chopin lui-aussi, lorsqu’il cherche à « faire un » avec « sa machine », veut déjouer l’opposition de la nature et de la culture, du corps et de l’objet technique, de sorte à « réfléchir les propriétés physiques » de la voix et de l’écriture alphabétique.
259Les heures de l’alphabet
Dans la préface qu’il donnera en 1987 au Petit livre des riches heures signistes et sonores d’Henri Chopin,Paul Zumthor souligne bien qu’une telle « réflexion » conduit à couper le lien de la parole au texte et de la voix elle-même au langage. À l’enseigne de leur traitement technique, les unités élémentaires de la langue, tels que le graphème et le phonème, se trouvent « autonomisées et par là-même métamorphosées » :
le phonème change de nature et devient vocème, unité sonore d’une séquence vocale ; le graphème change de statut, libéré pour s’intégrer à un ordre autre60.
La lettre et la voix achèvent alors d’être décorrélées, désynchronisées, pour former, comme la danse et la musique dans les spectacles de John Cage et Merce Cunningham, deux lignes expressives indépendantes l’une de l’autre. Comme l’écrit Arrigo Lora-Totino, les vocèmes composent un « sous-langage » de « microparticules vocales », liées à un processus de respiration et à des mouvements du corps, dont les phonèmes sont « le produit dérivé61 ». De l’autre, les graphèmes et spécialement les lettres de l’alphabet latin apparaissent comme des assemblages graphiques, que Chopin appréhende, à travers l’usage de la machine à écrire, pour ses propriétés strictement géométriques, indépendamment de tout autre contenu de signification. Ainsi qu’il s’en explique au micro de René Farabet,
j’ai commencé grâce à la machine à écrire à aimer l’alphabet latin, parce qu’il est très géométrique. Par exemple si je prends le 5 et disons le 7, il y a le 5 avec une grande courbe et une sorte de rectangle et le 7 une horizontale puis une verticale, oui on peut dire, et alors on va faire avec 5762…
De même que le fait vocal est considéré indépendamment non seulement du sens, mais de l’unité élémentaire de la parole articulée (le phonème) ; 260de même le fait d’écriture est considéré abstraction faite de toute relation non seulement au sens, mais à toute forme de phonation. Cette autonomie explique que l’audiopoème ne se présente plus comme une instance de poésie orale. Comme le remarque Paul Zumthor,
il n’accepte plus, comme limite et comme norme, la phonie [du langage] : il revendique tous les sons qui l’accompagnent dans sa genèse corporelle63.
Pas davantage, le dactylopoème ne s’attache à illustrer « l’origine iconique de l’écriture ». Quoiqu’il rompe avec la conception autorisée, selon laquelle les elementa de l’alphabet sont des « représentations d’un son64 », il ne traite pas l’aspect iconique de l’écriture comme un aspect de la « genèse du langage65 », mais comme le seul aspect sous lequel l’alphabet mérite d’être poétiquement considéré, dès lors qu’éclate le lien de solidarité, même conventionnel, qui relie l’alphabet à la parole. En somme l’écart qui sépare le graphème du vocème se trouve radicalisé, de sorte qu’entre la lettre du dactylopoème et la voix de l’audiopoème ne subsiste plus la moindre trace de ce qui constituerait une symbolisation même résiduelle du sonore par le visuel ni du visuel par le sonore66.
261Fig. 2 – Dactylopoème de Henri Chopin lettre « S »,
Les Riches Heures de l’Alphabet, Paris, édition Traversière, 1992, p. 123.
Fig. 3 – Dactylopoème de Henri Chopin lettre « E » (détail),
Les Riches Heures de l’Alphabet, Paris, édition Traversière, 1992, p. 43.
Les Riches heures de l ’ alphabet donnent à voir et à lire le résultat de cet hommage paradoxal à l’alphabet. Répondant au sens du « dialogue » évoqué plus haut, un jeu de mise en page complexe permet d’enrouler, en les distinguant légèrement l’une de l’autre, les interventions de Paul Zumthor, reproduites en police Garamond, et celles de Henri Chopin, qui apparaissent en Helvetica, autour d’une série dactylopoèmes, consacrés à chacune des lettres de l’alphabet et reproduits en ouverture de chaque section (fig. 2 et 3). L’aspect anachronique de la mise en page saute immédiatement aux yeux. D’abord les dactylopoèmes se présentent comme l’équivalent tapuscrit d’une initiale à page ou d’une page à monogramme : une lettre d’apparat dont le dessin est composé de la mise en série tapuscrite de cette même lettre et qui produit ainsi un effet de texture et de vibrato. Ensuite des microfragments du dactylopoème sont abondamment reproduits et redistribués au sein des pages de la section, comme autant d’éléments décoratifs propres à un livre d’heures – listels, moulures, baguettes et encadrements, avec des effets de texture ou de passementerie – de sorte à venir orner les textes de Zumthor, consacrés aux caractéristiques graphiques et phonétiques d’une lettre et ceux de Chopin, qui file tout au long de cet abécédaire une réflexion sur l’exploration de l’alphabet latin, comme squelette et océan (fig. 4 et 5). Décrira-t-on ces aménagements comme un cas de « médiévalisme » ? La référence au livre d’heures est ici si formelle et maniée avec une telle distance, que le Moyen Âge est moins pris comme l’objet d’une représentation explicite – qu’elle soit de l’ordre d’une référence, d’un décor ou d’une matière à fantaisie, comme dans la tradition post-romantique ou symboliste – qu’enrôlé dans l’affirmation d’un surplus de modernité, dont la poésie sonore est l’enjeu véritable.
264Fig. 4 – Détail de la mise en page à la lettre « P » avec un texte de Paul Zumthor, Les Riches Heures de l’Alphabet, Paris, édition Traversière, 1992, p. 109.
265Fig. 5 – Très belles Heures de Notre-Dame. Maître du Parement de Narbonne,
NAL 3093, fol. 101r. © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
La nature indirecte de cet enrôlement se manifeste, me semble-t-il, à deux points de vue. D’abord, le caractère du renvoi au Moyen Âge n’entame en rien le principe de l’« autonomie » du vocème et du graphème ni de la « suspension sonore » de la parole, dont nous avons repéré la formule. La nature récursive de la construction de chaque dactylopoème, à cet égard, est significative. En effet la lettre de l’alphabet est, pour ainsi dire, repliée sur ses caractéristiques visuelles. Comme le souligne Zumthor lui-même, dans son texte de clôture, « Signes et chiffres », qui répond à l’« Envol » introductif d’Henri Chopin :
L’ensemble réfère à l’élément, unique et multiplié, en un échange incessant du même au même, où tout est pris67.
Il est plaisant d’imaginer que cette identité tautologique du tout du dactylopoème (la lettre E) à ses parties (des lettres E) fasse allusion à 266la théorie des types, selon laquelle un ensemble ne peut se contenir lui-même comme élément. Après tout cette théorie n’est-elle pas due au philosophe Bertrand Russell, qui eut à Londres pour éditeur Stefen Themerson, un dadaïste polonais qui fut également l’ami de Chopin ? Une chose est certaine, en tout cas : elle reflète bien ce repli du caractère d’écriture en lui-même, qui signale pour Chopin son refoulement dans le domaine visuel et son détachement maximal à l’égard de la voix. Le choix du format du livre d’heures prend alors un sens assez précis. Dans la mesure où il se caractérise par l’autonomisation des marginalia et des miniatures sous forme de tableautins, avec ses scènes de la vie profane et quotidienne, il permet ici, une fois réactivé à l’enseigne mécanisée et électrique propre à la construction des dactylopoèmes, de mettre à distance cet usage littéraire et superstitieux de l’alphabet, qui consiste à prêter faussement aux lettres la capacité de représenter les sons.
Ensuite, l’association même de Paul Zumthor à l’écriture de ce livre – et au « dialogue » qui unit nos deux auteurs – indique assez la nature constructive de l’anachronisme qui permet de relier la problématique sonore de Henri Chopin au Moyen Âge. Il s’agit en effet, pour Chopin, d’une boucle temporelle, qui relie l’une à l’autre deux phases de la civilisation occidentale : la première antérieure à ce que Zumthor a décrit comme une « exténuation » de la voix par l’écrit68 ; la seconde postérieure à l’avènement des nouvelles techniques de reproduction, de captation et de diffusion du son. Au contact de Zumthor, Chopin approfondit ainsi une représentation de ce temps cyclique, qu’il avait déjà exprimée avant sa rencontre avec Zumthor :
Lorsqu’en 1895 à Saint Pétersbourg, Popov lance sur les ondes, pour la première fois, des signaux Morse, suivi de Marconi en 1896 et de Ducretet en 1898 (entre la Tour Eiffel et le Panthéon), en fait la T.S.F. naît ; l’histoire, avec le sens de la dialectique qui la caractérise, quitte après un demi-millénaire l’ère de l’imprimerie pour revenir à l’ère de la tradition orale, cette fois électrifiée69.
Si les analyses de Zumthor permettent d’affiner ce point de vue, en remontant en-deçà de la coupure technologique de l’imprimerie, 267pour envisager la « manuscriture » médiévale, l’idée de cette « dialectique » restera toujours au fondement de l’intérêt de Chopin pour le Moyen Âge. Au détour du livre d’heures, il s’agit de remonter aux racines de « l’alphabétisme », pour réintégrer la voix à l’espace du livre dont elle avait été expulsée, ou plus exactement pour réaménager l’espace du livre, de sorte qu’il puisse ne pas donner l’illusion de capter l’intégralité de la voix, reconnaissant en quelque sorte sa propre limite – comme lorsqu’un dactylopoème devient, en quelque sorte, imprononçable, de même qu’un audiopoème devient in-scriptible. En ce sens, cette séquence de l’histoire tardive des avant-gardes concerne un pan étendu de la création littéraire contemporaine, marquée par le projet de revenir au livre tout en incorporant l’héritage de celles-ci. Alors que la révolution électronique, en ses heures glorieuses, invitait à « libérer la poésie de la page imprimée70 », Chopin, dialoguant avec Zumthor en un deuxième temps de sa carrière, à une époque où la poésie sonore semble quelque peu décliner, envisage à l’enseigne du Moyen Âge cette manière de réinvestir la forme du livre, avec une liberté nouvelle, qui passe nécessairement par une façon de ralentir la vitesse avec laquelle la culture littéraire nous conditionne à passer de la lecture du graphème à la prononciation du phonème.
Conclusion
Quoiqu’on veuille penser de leur pertinence ultime, les rapports que décrivent l’art de la poésie sonore et la science de la vocalité médiévale répondent à la description que donnait Gilles Deleuze d’une interférence réussie entre un art et une science : des « rapports de résonance mutuels », que ceux-ci établissent « pour des raisons intrinsèques », « en fonction de leur évolution propre » et « sans primat de réflexion, ni infériorité de création » de l’un sur l’autre71. Ceci nous renseigne, me semble-t-il, sur la portée véritable de l’anachronisme. 268Non seulement celui-ci s’impose spontanément comme le résultat fortuit d’une démarche de création plurielle et collective, plutôt que romantiquement gagée sur la vision souveraine d’un Original Genie, à son aise entre les rayons disjoints d’une bibliothèque. Mais une dialectique des siècles résulte encore de ce travail inventif et participatif de torsion qui, « comme la révolution des planètes autour du soleil », permet de toujours « faire l’expérience de quelque chose de nouveau » dans le passé72.
Pierre Thévenin
CNRS – École Normale Supérieure Paris Saclay
1 Dans son orientation particulière vers le Moyen Âge occidental, l’anachronisme suscite une réflexion non seulement littéraire (voir Koble, Nathalie et Séguy, Mireille, Passé présent. Le Moyen Âge dans les fictions contemporaines, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2009), mais esthétique (Nagel, Thomas, Medieval Modern. Art out of Time,New York, Thames and Hudson, 2012) et juridique (Thévenin, Pierre, L’Anachronisme des formes. Temporalité des images et manutention des lois, Mémoire de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, 2015).
2 Dans ces termes le futuriste italien Giovanni Papini, grand contempteur de l’historicisme, décrit le « dongiovanisme cérébral » de ses lectures de jeunesse : « sfarfalleggiavo attraverso la conoscenza », « l’ampiezza dei tempi – la processione dei secoli e dei volumi » Un Uomo finito, Milan, Mondadori, 2016, p. 17 et p. 20.
3 Higgins, Dick, « Our back Pages », A Dialectic of Centuries. Notes towards a Theory of the New Arts, New York, New York and Barton, 1978, p. 90.
4 Schlegel, Friedrich, « Über die Unverständlichkeit », Athenaeum. Eine Zeitschrift, III, 2, 1800, p. 337-354 ; tr. fr. de Denis Thouard, « De l’impossibilité de comprendre », Critique et herméneutique dans le premier romantisme allemand, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1996, Disponible sur Internet : DOI : https://doi.org/10.4000/books.septentrion.95507, consulté le 22/06/2023.
5 Ce chapitre reprend sous ce jour les résultats d’une recherche que je mène en collaboration avec Florent Coste. À l’invitation de Nathalie Koble et d’Amandine Mussou, nous en avons donné un premier exposé à deux voix, lors de la journée d’étude « Ut Musica Poesis. Poèmes partitions au Moyen Âge et aujourd’hui », qui s’est tenue à l’ENS ULM, en octobre 2021.
6 Chopin, Henri et Zumthor, Paul, Les Riches Heures de l’Alphabet, Paris, éditions Traversières, 1992.
7 « […] in dem alle schallphänomene ob laute, wörter, geräusche oder klänge prinzipiell gleichwertig sind », selon la formulation du poète et compositeur viennois Gerard Rühm, “Zu meinen auditiven Texten”, Aspekte einer erweiterten Poetik. Vorlesungen und Aufsätze, Berlin, Matthes und Seitz, 2008, p. 90.
8 « Worte sind Schatten », titre d’un poème concret d’Eugen Gomringer de 1958 ; « Language is red paint », propos de l’artiste conceptuel Lawrence Weiner dans « The Possibility of Language functioning as a Representation of Non Metaphorical Reality, e.g. Art », Lawrence Weiner, éd. Alberro et al., Londres, Phaedon, 1998, p. 132-141, p. 134.
9 Dans son mémoire de HDR (« Médiévalisme : Moyen Âge et modernité (xxe-xxie siècles) : Histoire, théorie, critique ». Littératures. Paris Sorbonne, 2011, https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01898463/document, consulté le 22/06/2023), Vincent Ferrré appelle à juste titre les réflexions récentes sur le médiévalisme à solder leur « dette oubliée » envers Paul Zumthor (p. 60). Il reste à élargir ce travail de mémoire à la poésie sonore, dont l’auteur ne fait pas mention, bien que Zumthor ait perçu en elle la possibilité d’une « modernité du Moyen Âge » qui dépassât la simple « récupération culturelle » (Zumthor, LaPoésie et la voix dans la civilisation médiévale, Paris, PUF, p. 68, à propos des prononciations restituées).
10 Il est significatif que l’un des premiers exposés de portée universitaire dont ait bénéficié en France le travail de Henri Chopin se trouve dans la sommed’Anne Moeglin-Delcroix, adossée aux collections du département des Estampes de la BNF, Esthétique du livre d’artiste, BNF éditions, Paris, 2012, p. 91 sq.
11 De nombreux poèmes sonores d’Henri Chopin sont versés aux archives radio de l’Institut National de l’Audiovisuel.
12 Ainsi la Fondazione Bonotto, en Italie.
13 Ainsi l’exposition La Voix libérée présentée par Éric Mangion et Patrizio Peterlini au Palais de Tokyo en 2019.
14 Tel le Centre International de Poésie Marseille.
15 Voir la précieuse rubrique « sound poetry » du site UbuWeb et le parti-pris d’illégalisme qui en a accompagné l’essor dans Goldsmith, Kenneth, Duchamp Is My Lawyer : The Polemics, Pragmatics, and Poetics of UbuWeb, New York, Columbia University Press, 2020.
16 Henry, Pierre, Journal de mes sons, Arles, Actes Sud, 2004, p. 13, indiquant que « tous les créateurs de l’époque défilaient chez nous », parmi lesquels aura au moins figuré François Dufrêne, dont Chopin fut proche.
17 William Burroughs, Electronic Revolution, 2e ed. et traduction française par Henri Chopin, Cambridge, Blackmoor Head, 1971.
18 Dans ses Hymnen de 1966-1967, Karleinz Stockhausen utilise le poème sonore Rouge d’Henri Chopin (1956). Sur les rapports de proximité et d’antagonisme entre poètes sonores et compositeurs, on peut écouter l’émission de Jean-Yves Bosseur, « La musique électronique et le verbe », Les Chemins de la musique, France Culture, 1999. Il est d’ailleurs significatif que le remarquable volume Poésies sonores, publié par Vincent Barras et Nicholas Zurbrugg en 1992, assorti d’un texte de Paul Zumthor, ait paru chez un éditeur genevois, Contrechamps, spécialisé dans le champ de la musique contemporaine.
19 Chopin, Henri, « Une très longue rencontre », Paul Zumthor, ou l’invention permanente : critique, histoire, poésie, dir. Christopher Lucken et Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Genève, Droz, 1998, p. 109-116.
20 Chopin, Henri, Graphpoemachines, catalogue d’exposition, Associazione Zero gravità, Sordevolo, 2006, sans pagination ; Théval, Gaëlle, « Une revue pour sortir du livre : Ou-Cinquième saison », in Ent’revues, la revue des revues, 2014/2, no 52, p. 12-23, p. 23.
21 La revue Ou-Cinquième saison paraît de 1964 à 1971 et se distingue par son format, intermédiaire entre le livre et la pochette de disque vinyle 33 tours. Un graphisme original fait de chaque exemplaire une sorte de Wunderkammer portatif, qui associe des textes et des images imprimés sur des feuillets volants à des disques vinyles 33 tours, reproduisant des poèmes phonétiques et sonores d’une diversité d’auteurs internationaux, parmi lesquels Bob Cobbing, Mimmo Rotella, François Dufrêne, Bryon Gysin, John Giorno, Bernard Heidsieck, Ladislav Novak et Chopin lui-même.
22 Chopin, Poésie sonore internationale, Paris, Jean-Michel Place, avec deux cassettes, 1979.
23 Zumthor, Introduction à la poésie orale, Paris, Seuil, 1983.
24 Zumthor, La lettre et la voix. De la « littérature » médiévale, Paris, Seuil, 1987.
25 Cette extension est bien montrée dans Muzart-Fonseca dos Santos, Idelette et Valette, Jean-René (dir.), Poétiques de Paul Zumthor (1915-2015), Paris, Classiques Garnier, 2019, malgré l’oblitération de toute référence aux poésies concrètes et sonores – la référence cursive que donne Gérard Le Vot à l’idée de « performance » chez John Cage (p. 221) n’allant pas jusqu’à mentionner le « théâtre verbal » sous l’étiquette duquel le mouvement Fluxus, d’après le célèbre « Diagramme des arts » de George Macunias, intégrait la poésie sonore.
26 Zumthor, « La poésie de l’espace », Poésies sonores, op. cit., p. 5-18, p. 5.
27 Deleuze, Gilles, Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p. 169 passim.
28 Henri Chopin Papers, GEN MSS 868 box 13, Beinecke Rare Books Library, Yale. Courrier de Paul Zumthor à Henri Chopin, du 6 septembre 1986.
29 « Il presente non mai come in questi tempi apparve staccato dalla catena genetica del passato, figlio di se stesso e generatore formidabile delle potenze future », F. T. Marinetti, Teoria e invenzione futurista, Milan, Mondadori, 1968, p. 211.
30 Chopin, Poésie sonore internationale, op. cit., p. 192. On sait l’influence du mode scientifique de pensée sur les avant-gardes des années 1950.
31 Chopin, Graphe-machines, Paris, IKKO, 2005, sans pagination.
32 Chopin, Le Dernier Livre des riches heures de Chopin, 1981.
33 Chopin, Le Petit Livre des riches heures signistes et sonores d’Henri Chopin, Livre-disque 38 tours, Paris, J & J Donguy, 1986.
34 Chopin, « Le Dactylopoème », Petit Livre des riches heures, op. cit., sans pagination.
35 Voir ici-même le chapitre de Claire-Akiko Brisset, p. 216.
36 Les Riches Heures de l ’ Alphabet, op. cit., p. 164. L’estampe originale, datée de 1986, se trouve au département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France.
37 Albers, Anni, On Weaving, Mineola ; New York, Dover Publishing, 2003, p. 35 sq., chaînon manquant aux analyses du texte-tissu proposées par Roger Chartier, Inscrire et effacer. Culture écrite et littérature (xie-xviiie siècles), Paris, Seuil, 2005.
38 Andre, Carl, Eleven Poems, Turin, Sperone, 1974. Sur l’importance des séries et des répétions dans le minimalisme, voir Mel Bochner, « Serial Art Systems : Solipsism » [1967], Minimal Art. A critical Anthology, éd. Gregory Battcock, Los Angeles, University of California Press, 1995, p. 92-102.
39 Comme Chopin l’indique au micro de Frédéric Acquaviva, dans Henri Chopin. Portrait d’un pionnier de la sonore, France Culture, 2015.
40 « Henri Chopin ou l’audiovisuel avant la lettre », Atelier de création radiophonique, réalisation René Farabet, 1987, avec Paul Zumthor et Marie-Cécile Mazzoni.
41 C’est ainsi que Carlo Ginzburg définit la poésie à l’enseigne de Dante, écornant au passage et sans autre forme de procès « la mouvance textuelle de Paul Zumthor et la variance de Bernard Cerquiglini » (dans « Texte et voix, texte contre voix. Sur Dante, De vulgari eloquentiaII, 8, 2 sq. » tr. fr. Martin Rueff, Po&sie, 3/177-178, 2021, p. 261-276, p. 264 et p. 276).
42 Métail, Michèle, Dialogues. Trois pièces radiophoniques, Paris, Voix éditions, 1973, p. 24.
43 Linarès, Serge, « “On veut des nouveaux sons” : poésie et oralité à l’orée du xxe siècle en France », La poésie délivrée, dir. Stéphane Hirschi, Corinne Legoy, Serge Linarès, Presses Universitaires de Paris Nanterre, 2017, p. 227-240, p. 234.
44 C’est pourquoi le programme qui vise aujourd’hui à revaloriser la lecture publique en l’arrachant à son statut de « paratexte » semble envelopper si malaisément la problématique sonore. D’après l’ouvrage de Céline Pardo, Abigail Lang et Michel Murat, Archives sonores de la poésie, Paris, Presses du Réel, 2020, p. 9, ce programme se jouerait en effet « à côté du massif de ce qu’on appelle la “poésie sonore” (sortie en partie, aujourd’hui, des limbes de la “mémoire des lettres”) ». Mais comment mesurer l’écart qui sépare ce massif de la cordillère ? L’ouvrage dirigé par Jean-François Puff (Dire la poésie ?, Nantes, Cécile Défaut, 2015) résout la question en écartant ab ovo la poésie sonore elle-même, comme le regrette à juste titre Gaëlle Théval, « Écouter la poésie ? », Acta fabula, vol. 17, no 2, Essais critiques, Février-mars 2016.
45 Sur l’influence qu’a exercée sur l’avant-garde poétique française le festival Festum Flexorum « de Poésie, musique et anti-musique événementielle et concrète » organisé par Georges Maciunas à l’American Center de Paris en 1962, voir DeSimone, Cristina, Proféractions. Poésie en action à Paris (1946-1969), thèse de doctorat de l’Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, 2016, p. 590 sq.
46 Heidsieck, Bernard, « La poésie sonore : c’est ça + ça », Notes convergentes. Interventions 1961-1995, Marseille, Al Dante, 2001, p. 260.
47 En ces termes Hugo Ball décrit l’expérience du Cabaret Voltaire : « Das laute Rezitieren ist mir zum Prüfstein der Güte eines Gedichtes geworden, ich habe mich (vom Podium) belehren lassen, in welchem Ausmasse die heutige Literatur problematisch, d. h. am Schreibtische erklügelt und für die Brille des Sammlers, statt für die Ohren lebendiger Menschen gefertigt ist » (Dada Zürich. Texte, Manifeste, Dokumente, dir. Karl Riha, Waltraud Wende-Hohenberger, Stuttgart, Reclam, 1995 p. 9).
48 B. Heidsieck distingue lui-même en ces termes sa pratique d’avec celle de Chopin, notamment dans son « Entretien avec Gerard-Georges Lemaire », Le Colloque de Tanger, dir. Gérard-Georges Lemaire, Paris, 1976, p. 353-373.
49 « Da kann man nun so recht sehen, wie die artikulierte Sprache entsteht », écrit Hugo Ball pour décrire ses premiers poèmes phonétiques (« Manifest zum 1. Dada-Abend in Zürich » [1916], Literatur-Revolution 1910 – 1925. Dokumente, Manifeste, Programme,dir. Paul Pörtner, Darmstatd, Luchterhand, 1961, vol. 2, p. 477-478).
50 « C’est le mot que je veux, en son début et en sa fin (Das Wort will ich haben, wo es aufhört und wo es anfängt) », ibid. Sur le lien du Lautgedicht avec les développements contemporains de la linguistique empirique, spécialement la Lautphysiologie, voir Wilke, Tobias, « Da-da : “Articulatory Gestures” and the Emergence of Sound Poetry », German Issue, vol. 128/3, avril 2013, p. 639-668.
51 Je pense aux figurations délirantes d’Opicino de Canistris dépliées par Sylvain Piron, Dialectique du monstre, Bruxelles, Zones sensibles, 2015.
52 Signalé par Jean-Yves Bosseur dans l’émission citée supra.
53 C’est particulièrement le cas des 9 Saintes Phonies que Henri Chopin réalise entre 1983 et 1987 à la Westdeutscher Rundfunk de Cologne, avec l’aide du compositeur suédois Sten Hanson.
54 Charles Bernstein, « Sounding the word », Pitch of Poetry, Chicago, University of Chicago Press, 2016, p. 32.
55 Voir à ce propos la thèse en cours de Myriam Ould Aroussi « Poétique du Talking », sous la direction d’Abigail Lang.
56 Comme lorsque Kruchenykh produit en 1913 une poésie pour voyelles seules, « les consonnes créant une atmosphère nationale et quotidienne, tandis que les voyelles produisent une langue internationale », traduit en anglais et cité dans Markov, Vladimir, Russian Futurism. A History, Londres, Macgibbon and Kee, 1969, p. 130.
57 DeSimone, Proféractions, op. cit., p. 195.
58 Tenney, James, « The Elegant Voice of Nature », préface à Lucier, Alvin, Reflexionen. Interviews, Notationen, Texte (1965-1994), Cologne, MusikTexte, 1995, p. 16-23, p. 16.
59 Ibid., p. 17.
60 Zumthor, « Graphèmes et vocèmes », préface à Chopin, Henri, Petit livre des riches heures, op. cit.
61 « Un prodotto secondario del processo del respirare. » Voir Lora-Totino, Arrigo, Henri Chopin poeta da ascoltare e da vedere, catalogue d’exposition, Studio Santandrea, Milan, 1979, sans pagination.
62 « Henri Chopin ou l’audiovisuel avant la lettre », émission citée.
63 Zumthor, « Graphèmes et vocèmes », loc. cit.
64 Voir par exemple Diringer, David, The Alphabet. A Key to the History of Mankind, Hutchinson’s, Londres, 1949 (2e éd.), p. 37, vantant l’efficacité et la supériorité de l’écriture alphabétique.
65 Christin, Anne-Marie, L’Image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 2009, p. 33.
66 Cela fait une différence fondamentale, me semble-t-il, avec les poèmes-partitions de Bernard Heidsieck.
67 Zumthor, LesRiches Heures de l’Alphabet, op. cit., 184.
68 Zumthor, LaPoésie et la voix, op. cit., p. 48.
69 Chopin, Poésie sonore internationale, op. cit., p. 277.
70 « Free poetry from the printed page. » Voir Burroughs, William, préface à Poésie sonore internationale, op. cit., p. 9.
71 Deleuze, Pourparlers, op. cit.
72 « The dialectic of centuries continues, like the circling of the sun, and there is always something new to experience in it. » Voir Higgins, A Dialectic of Centuries, op. cit.,en écho au « Make it new ! » d’Ezra Pound, évoqué par Marion Uhlig ci-dessus, p. 9.
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- ISBN: 978-2-406-14954-5
- EAN: 9782406149545
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14954-5.p.0245
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-23-2023
- Language: French
- Keyword: Poésie sonore, poésie concrète, anachronisme, intermédia, vocalité