Les mystères du X
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Lettres à l’œuvre. Pratiques lettristes dans la poésie en français (de l’extrême contemporain au Moyen Âge)
- Author: Lefèvre (Sylvie)
- Pages: 87 to 112
- Collection: Encounters, n° 587
- Series: Convergences in literature, n° 7
LES MYSTÈRES DU X 1
Lorsqu’il était question autrefois de la naissance de l’alphabet, on donnait une liste de figures fondatrices et mythiques : Orphée, Thot, Abraham ou Moïse, Cadmus et Carmentis. Mais l’histoire obligeait à rappeler que le code graphique, création humaine, n’était pas parfait et que le nombre des caractères grecs comme latins s’était peu à peu accru. Aux dix-sept lettres grecques primitives, Palamède au temps de la guerre de Troie aurait ajouté : Η.Χ.Ω. (êta, khi, oméga), puis Simonide (ve siècle av. J.-C.) trois autres : Ψ.Ξ.Θ (psi, xi, thêta). Isidore de Séville le dit, Jacques Legrand le répète après lui au tout début du xve siècle2. Tous deux racontent encore comment le latin a fini par emprunter quelques caractères grecs soit pour translittérer des noms grecs (d’où le nom du y, « i grec »), soit pour noter en un seul signe ce qui l’était jusqu’alors par deux (Legrand, p. 64) :
Et puis aprés du temps de Auguste l’empereur, X fut trouvé, pour le quel on escripvoit devant C et S ; et pourtant X est aujourd’ui appellé double consonnant, pour tant qu’il est mis ou lieu de ii lectres.
Dans ses Recherches de la France, Étienne Pasquier s’intéresse à son tour aux cinq « lettres doubles de notre alphabet3 ». Il remarque qu’aux 88vingt-trois lettres latines, nous avons ajouté la ligature et (&) et le signe 9 qui suscrit (dessus) se résout en - us, mais en tête de mot et sur la ligne vaut pour con-, soit un alphabet de vingt-cinq caractères au total. Pour l’une des trois autres « lettres doubles » (K, Q, X), il cite Quintilien (Institution oratoire, livre 1, chap. 44) et s’étonne :
Et nostrarum, X littera ultima est, quâ tamen carere potuimus : si non quaesissemus. En quoi certes il disoit vray, parce que le C suivy par une S pouuoit suppléer le defaut de cette lettre. Qu’ils l’eussent empruntée des Grecs, je ne l’oze dire, parce qu’ils ne luy baillerent la figure de Csi Grec, qui estoit telle, ξ, ains du Chi, X.
Pour lever cette difficulté et ôter un de ses mystères à notre X, il faut remonter bien plus haut dans l’histoire italienne que le règne d’Auguste. Ce sont, en effet, les Étrusques qui adoptèrent au viiie siècle av. J.-C. un des alphabets grecs alors en cours : celui que les Grecs des cités de Chalcis et Érétrie en Eubée apportèrent dans leurs colonies de Cumes et Pithécusses. Or à la différence de l’alphabet d’Athènes, surnommé alphabet bleu par les spécialistes, appelé à se diffuser partout à l’époque hellénistique, cet alphabet, surnommé rouge, se caractérisait par une suite de lettres finales différentes : χ, φ, ψ, avec d’autres valeurs que celles qui nous sont devenues familières : ksi, phi, khi. De l’étrusque au latin, puis au roman, le graphème en forme de croix de Saint-André s’est donc perpétué avec une valeur phonétique particulière qui, la mémoire de l’alphabet rouge s’étant perdue, pouvait susciter l’interrogation5. D’autant que les Étrusques utilisèrent un digramme pour noter k+s, réservant le χ devenue ainsi lettre morte pour écrire 89une de leurs deux sifflantes, là où le grec n’en avait qu’une6. Plus tard, les Latins lui redonnèrent sa valeur phonétique initiale, ce dont témoignent les textes cités, jusqu’à ce que sa prononciation évolue vers la simple sifflante sourde en latin tardif. Ainsi tout au long de l’histoire, variabilité et polyvalence du signe sont restées singulièrement attachées à cette lettre X.
Lettre morte, lettre vivante :
polyvalence et noms variés
Tout alphabet ancien donnait à la fois la figure des caractères, mais aussi leur nom et enfin leur valeur phonétique (nomen, figura, potestas), ces deux derniers éléments pouvant être identiques (le nom alors vaut le son). La lettre s a ainsi varié au fil du temps entre deux épellations : une esse ou un se. Comme une série d’autres consonnes, s appartenait pour les grammairiens anciens à la classe des semi-vocales : pour les épeler on devait d’abord prononcer une voyelle7. Ainsi également de x, qui a donc été épelée : ix (premier Dictionnaire de l’Académie, 1694) ou ikce (Dictionnaire de Féraud, 1787-1788) ou encore ixe (Dictionnaire de l’Académie, 8e éd., 1932-1935), contre xe suivant la méthode dite moderne (Dictionnaire de l’Académie, de la 4e éd. de 1762 à la 7e de 1878)8. Une des plus surprenantes réalisations de l’épellation de x se rencontre chez Jacques Cossard, curé de Dormans et inventeur d’une sténographie en 1651, dans ses Méthodes pour apprendre à lire, à escripre, chanter le plain chant et compter (Paris, 1633) : iquece. Dénomination que 90l’on retrouve, expliquée et déclinée en Ikce, Iqce ou Iquece, chez Étienne Coulet, un partisan des innovations orthographiques de la seconde moitié du xviie siècle9 :
on voit combien elle est double dans son Son ; en ce qu’on ne la peut pas prononcer sans soner un I, un K, Q ou Que ; é un C, ainsi suivi d’un E Féminin, (Ikce, Iqce, ou Iquece10).
Ce nom qui décompose le signe en ses différents éléments permet de saisir plus facilement une évolution comme celle qui a mené le pays des Véliocasses (pagus veliocassinus) de la forme Veuguessin chez Wace au xiie siècle11 à celle de Veucquessin chez Eustache Deschamps au xive12, qui sera notée après le xve siècle : Vexin. Après sonorisation du k intervocalique qui aboutit à g, ce dernier s’assourdit au contact de s. Le graphème x note donc bien ici k+s.
Pourtant, à côté de cette valeur phonétique, ce ne sont pas moins de trois autres prononciations qui sont répertoriées en fonction de la position de la lettre dans les mots. Ainsi chez Féraud trouve-t-on, à côté de la valeur sourde k+s, la valeur sonore g+z13 :
Au milieu des mots, elle a le son, tantôt d’un c et d’une s ; et c’est lorsqu’elle se troûve devant une consone : expérience ; ou dans les mots tirés du grec, Alexandre, axe, axiôme : pron. ekspériance, Alek-sandre, akce, akciôme ; tantôt elle a le son d’un g et d’un z ; et c’est quand elle se troûve devant une voyèle : examen, exercice, exhiber ; pron. egzamène, egzêrcice, egzibé, etc. Il faut excepter, maxime, fixe, flexible, qu’on prononce makcime, fikce, flek-cible.
mais encore, au lieu de noter un double phonème, le graphème peut n’en noter plus qu’un, lorsqu’il est suivi d’un groupe c + voyelle :
91Devant ce ou ci, elle a le son du k : excellence, exciter : pron. ekcélance, ekcité. – Devant co ou cu, elle a comunément le son de l’s, dit le P. Bufier : excomunier, excuser ; pron. eskomunié, eskuzé. Plusieurs trouvent cette prononciation mauvaise et veulent qu’on prononce toujours eks : d’aûtres veulent celle-ci pour le discours soutenu, et soufrent l’aûtre dans la conversation.
Dans le second cas évoqué, on remarquera, appuyée par la référence au père Claude Buffier14, la préférence accordée ou la possibilité octroyée de prononcer eskomunié et escuzé, soit les graphies les plus courantes en ancien français15, mais que certains ne tolèreraient plus désormais qu’à l’oral, une fois que l’influence latinisante aura amené une prononciation jugée plus savante et donc plus correcte. Mais, même si les lettres ineffables devaient donner au code graphique du moyen français un apparat nouveau, les graphies dites étymologiques n’empêchaient pas – et en toute position – de continuer à prononcer comme auparavant. En témoignent à la rime des couples texte : modeste ou assiste : a sixte chez Guillaume Cretin16 ; Macee : tauxee (v. 1212) ou Vissextre : fenestre (v. 1347) dans le Testament de Villon17.
Une guerre de positions :
en finale / à l’initiale
Empruntée au grec à travers le latin, la lettre x est donc peu présente en ancien français, dans le corps des mots comme en finale. Ses premières occurrences dans des textes littéraires sont rares et liées à des noms propres ou communs antiques. Ainsi, dans la Séquence de sainte Eulalie, le 92plus ancien texte littéraire français, conservé dans un manuscrit unique et copié vers 881-883, deux vers successifs offrent la lettre (v. 11-12) :
E por o fut presentede Maximiien / Chi rex eret a cels dis soure pagiens.
« Pour cette raison, elle fut conduite devant Maximien, qui en ce temps-là était roi des païens18. »
Maximien devait être prononcé Masimien, si l’on s’en rapporte à ce que l’on sait du latin tardif et aux témoignages sur la prononciation médiévale du latin, en particulier lorsqu’au xvie siècle on voudra la réformer19. Pour Érasme comme pour Charles Estienne20, c’est une faute de dire « dicimus pour diximus, Masimus pour Maximus, Santhus pour Xanthus ». Et la correction du c ou du s en x pouvait bien rester purement graphique, comme dans le cas où frère Léon a substitué pour disimus un x au s dans un autographe de saint François21. Quant au rex deux fois présent dans la Séquence de sainte Eulalie (v. 21 li rex pagiens), on peut l’interpréter comme un latinisme22 ; ou bien y entendre déjà, comme Charles Beaulieux23, l’aboutissement phonétique, tôt achevé 93selon les spécialistes24, qui a donné la forme romane rei + la marque du cas sujet, soit reis. Pour Beaulieux, en effet, x en latin ne s’était pas simplement réduit à s ; il pouvait l’avoir été à is25. Soit une épellation de la lettre ? Et en même temps, une valeur phonétique ?
Dans les années précédant la Grande Guerre, une petite polémique mit aux prises Jean Acher avec Mario Roques, nouveau directeur de Romania. Dans la Revue des langues romanes, le premier publie une lettre ouverte « Sur l’x finale des manuscrits26 ». L’usage universel de respecter la graphie des témoins anciens serait abandonné en ce cas par la Romania, qui prônerait désormais de rendre x final par us27. Pour Jean Acher, cette lettre n’est pourtant qu’une lettre et en aucune manière une abréviation à résoudre28. Et il passe en revue les différentes hypothèses faites jusque-là, fondées sur des arguments phonétiques ou paléographiques. Ainsi de celle d’Alfred Feist exposée en 1886 dans la Zeitschrift für romanische Philologie : à supposer que x ait valu is à l’origine – comme l’a répété plus tard Charles Beaulieux, on l’a vu –, l’évolution d’un mot comme talis aura donné teis, graphié tex, dans certaines régions ; dans d’autres, le résultat teus aura pu être graphié identiquement par analogie ; ainsi x aura finalement et généralement pu acquérir la valeur us. Sans voir rien d’absurde dans cette démonstration, parce qu’elle prend en compte la dimension orthographique du problème, comme il l’entend lui-même, Jean Acher en récuse le point de départ. Pour lui, au xiie siècle, on a décidé d’innover pour respecter une règle apprise avec Priscien : une 94diphtongue en finale ne peut être suivie de deux consonnes, tandis qu’elle peut l’être d’une consonne double (type : faex, faecis ou faux, faucis). Donc une graphie telle que beals « devait choquer les pédants » ; la remplacer par beax était une solution d’autant plus acceptable que l’on répondait ainsi à une autre règle de Priscien : l se change en x comme dans mala maxilla, uelum uexillum. Ensuite seulement aurait agi l’analogie pour transcrire par x les finales ls ou us…
Aujourd’hui les recommandations de l’École des Chartes à destination des éditeurs de texte continuent de renvoyer à cet article de 1913, tout en le mettant en balance avec un autre, de Pio Rajna, publié dans Romania en 192929. Ce dernier profitait du compte rendu par Mario Roques de l’ouvrage cité de Charles Beaulieux30, pour proposer en quelques lignes l’hypothèse qu’il professait oralement : cet x n’en est pas un ; il proviendrait de la ligature graphique d’un u sous sa forme de v et d’un s ; la similarité de cette ligature avec la lettre les aura confondues et dans les éditions, il conviendrait d’éliminer ces x absurdes. Mais en l’absence d’une étude qui aurait définitivement tranché la question, les Conseils pour l’édition indiquent que, sauf les cas où systématiquement x vaut us, il convient de respecter la graphie des manuscrits.
De fait, parmi les plus anciens manuscrits conservés, les fragments de Bâle et Bruxelles du xiie siècle du Roman de Troie usent bien du x final, dans des cas, pour ainsi dire, déjà classiques31 : « Dex (v. 6891) face à Deus (14586) ou bien Griex (6845, 6870, 6880) face à Grius (14314) ou Grieus (14319) », mais aussi dans des réalisations problématiques, car quelle valeur précise attribuer à x suivi de s dans ces deux mots à la rime32 ? « Por guarnir Troie contre Grexs / Mil chevalers aduistrent texs » (v. 6765-6766). Toujours est-il que l’extension et la généralisation 95de cette pratique expliquent certainement la nouvelle épellation que l’on a donnée de la lettre x : ius ou plutôt ieus. La trace la plus ancienne que l’on en ait se trouve au xiiie siècle chez Huon le Roi de Cambrai dans son Abecés par ekivoche (v. 337-338)33 : « La maniere dirai de l’X. / Ceste letre est en mains bons lieus […] ». Il est remarquable que le manuscrit choisi pour base des deux éditions critiques existantes34, le Paris, BnF fr. 12471 (picard, fin du xiiie siècle), ne fasse guère usage de la lettre x en dehors du vers 337, lorsqu’on la rencontre un peu plus souvent dans l’autre témoin, le BnF fr. 837 : diex : dels (v. 107-108, contre dius : dius du 12471) ; ciex (v. 288, contre ciels) ; Damediex : d’els (v. 367-368, contre Damedieus35 : d’eus) ; fix : fix (v. 377-378, contre fiex : fix36).
L’appellation/épellation soutenue par la rime équivoquée des v. 337-338, admise avec quelque doute par Frankwalt Möhren dans le DEAF37, permet seule de comprendre un vers d’un texte bien plus tardif38, la double ballade de l’ABC du xve siècle, texte qui joue de la prononciation des lettres de l’alphabet, comme de petites énigmes à déchiffrer (v. 31, octosyllabe)39 : « X. a tel qui ne veoit neant. » (« Tel a des yeux qui ne voit rien. ») Tirée de LaChasse et le Depart d’Amours édité par Vérard (1509) et publié sans commentaire par Pierre Champion en 1907, la ballade fut ensuite étudiée par Alfred Jeanroy. Comme le témoignage de Huon était encore inconnu, il proposa de corriger le vers ainsi : « X 96a tel qui ne voit ne aut », et de voir dans la lettre initiale une manière de rébus, soit « les béquilles dont les aveugles se servent ; x figurerait ces béquilles entrecroisées » (tel a des béquilles qui ne voit ni ne marche)40.
Marion Uhlig a parlé récemment de deux autres textes41. J’y ajouterai un passage du Tres utile et compendieulx Traicté de l’art et science d’orthographie gallicane, court texte anonyme de vingt-quatre pages, publié à Paris en 1529, mais dont la lettre de dédicace au bailli d’Abbeville est datée de cette même ville. On y signale comme une faute de prononcer les lettres par plus d’une syllabe, y compris quand il s’agit d’une consonne (f. A2v/A3r)42 :
[…] quand de soy mesme n’a point sa voix mais la mendie de la voielle comme b de e car il est impossible de pronuncer b sans e et ainsi des aultres. […] Car la lettre est dicte consonante puis qu’elle sonne avec la voielle comme d avec e, et non point avec deux ou plusieurs. Je dis ce / affin de abolir la folle usance ou plus tost l’abuz de nostre Picardie en laquelle nous proferons effe, l’ache, emme43, enne, erre, esse, iux, zetdre pour ef, ha, em, en44 et ex.
97Ce système d’épellation, taxé ici de fautif, n’était pas réservé aux seuls picards ; le Moyen Âge en a usé de façon courante. C’est encore lui qui explique une remarque du Champfleury de Geoffroi Tory, paru la même année 1529 que le Traicté (f. 61) :
Je voy maints hommes qui errent en la deue pronunciation de le X. quant en ces vocables Exaro, Exerceo, Exequor, & en mille autres escripts par ceste Preposition Ex. Ilz disent yeux, en pronunceant yeuxaro, yeuxcerceo, yeuxequor, qui est ung grant vice en la langue Latine.
La faute est, ici, évidente puisqu’une appellation proprement française du x, née à partir de graphies finales -ex ou -iex, s’infiltre ainsi dans la prononciation des mots latins commençant par ex-. Quant au français, le x en finale y devint un simple morphogramme, marque de pluriel, à côté de -s et autrefois également de -z, ce dont le français moderne conserve encore des traces, à titre d’exceptions45.
À l’initiale, en revanche, le français est réputé ne pas posséder de mots commençant par X46. Ce qui pose problème, on le verra, pour les abécédaires enfantins, qui usent des ressources acrophoniques comme iconophoriques. Le Dictionnaire de l’Académie le dit en 1694 :
La langue Françoise n’a aucun mot qui commence par cette lettre, si ce n’est quelques noms propres. Comme Xaintes, Xaintonge, &c. dans lesquels l’X se prononce comme une S rude, & comme s’il y avoit Saintes, Saintonge.
98Ces graphies pour des toponymes, mais aussi quelques patronymes comme celui de Poton de Xaintrailles, tous de l’Ouest, sont particulièrement présentes dans les textes du xve jusqu’au xviiie siècle, tout en ayant pu apparaître plus tôt. Paul Meyer en 1905 dans la Revue pédagogique milite « Pour la simplification de notre orthographe ». Puisqu’à la fin du Moyen Âge « l’x avait pris le son d’s forte », une modification s’impose pour qu’on ne prononce plus Brucselles, Aucserre47, Saint-Germain l’Aucserrois ; et il note que « L’ancienne graphie Xaintes, Xaintonge eût sûrement amené une prononciation erronée, si on ne l’avait changée48 ».
Mais il existe d’autres toponymes dotés de cette initiale et qui eux subsistent : ils sont lorrains comme Xertigny49, commune qui a adopté comme meuble pour son blason moderne des fers en forme de x50, alors même que la prononciation locale de cette lettre oscillait entre ch et s au xxe siècle51. Une pièce de Gontier de Soignies, magnifiquement et récemment analysée par Marion Uhlig52, use de ce x lorrain à l’initiale et à l’incipit de façon extraordinaire puisque, comme marque graphique dialectale, il apparaît généralement en position interne ou finale (v. 1)53 : 99« Li xours commence xordement. » Et cette graphie xordement a beau se retrouver dans une traduction des Sermons de saint Bernard des années 120054, dans la chanson le poète et/ou son copiste insiste sur sa présence au point de créer un mot comme xorderie pour désigner la pièce et, paradoxalement, pour nous faire entendre ce qui ne s’entend presque pas, grâce à un commentaire métalinguistique ou méta-phonétique avant la lettre : le mot sourd commence par une lettre sourde55.
Lorsque d’autres en mal d’exemple se résolvent à illustrer la lettre par elle-même, certains abécédaires convoquent le toponyme de Xertigny, sans qu’on s’y préoccupe de sa prononciation. Ainsi, à la fin du xixe siècle, dans celui de la Phosphatine Falières56, à côté de Xavier, Xérès et enfin Ximenès, dramaturge du xviiie siècle ou cardinal du xve siècle, tous trois d’origine espagnole et dont le x représente donc un autre son initial57. Nombre d’autres abécédaires recourront au nom du vin espagnol58, comme au prénom. Ainsi de l’Alphabet en images de Marie-Madeleine Franc-Nohain qui les associe, en tempérant la présence de l’alcool par l’évocation d’une faute (fig. 1). Entré dans la langue en 1868, le xylophone devient tardivement un classique de l’abc, mot et image.
100Fig. 1 – Marie-Madeleine Franc-Nohain,
Alphabet en images, Paris, Larousse, 1933 (1re éd. 1923).
© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Fig. 2 – Alphabet de Bécassine, texte de Caumery,
ill. de J. Pinchon, Paris, Gautier et Languereau, 1921.
Mais initialement, c’est au roi de Perse, le vaincu de Salamine, que l’on fit appel pour illustrer la lettre x ; depuis l’Aalma, glossaire du xive siècle : « Xerses : un roy de Perse59 » jusqu’à l’Alphabet de Bécassine en 1921 (fig. 2)60, en passant par le Tombel de Chartrose (texte de 1337-1339, un manuscrit de la fin xive siècle, un autre de 1423)61. Les vingt-quatre premiers récits de ce recueil commencent par un vers dont la première lettre décline l’alphabet, de a à z ; l’incipit du vingt-et-unième devrait donc être en x, mais la prononciation (s/z) l’a emporté sur la graphie (Paris, BnF n. a. fr. 6835) : « Serses roi des Assiriens / Encontre les Atheniens […]. » Dans l’autre manuscrit (Avranches, BM 244), on lit : « Verses roi des Assiriens / Encontre les Atheniens / Jadis un tel ost assembla », soit, cette fois, un x réduit de moitié et aboutissant à un v ! Étienne Pasquier, à propos des chiffres romains ou lettres numérales, ne fera-t-il pas justement l’hypothèse que x pour dix serait la somme graphique de deux v, soit deux fois cinq ? Récusant, en effet, la théorie rapportée par Geoffroi Tory selon laquelle la lettre v avait été prise pour signifier 5 en tant que cinquième voyelle, il préfère se référer au comput digital62 :
[…] si vous venez du doigt que l’on appelle Indice à celuy du Poulce, vous y voyez la figure & remembrance d’vn V antique, en esplanissant vostre main. […] Ceste demonstration oculaire me faict tomber à la diuination de mon V pour cinq. […] Ceste maxime presupposee, comme premier fondement de nos nombres, il est aisé de iuger pourquoy la lettre de X fut employee pour le nombre de dix. Parce qu’en sa figure elle represente haut & bas deux V.
102« Au carrefour des chemins :
de quel côté X va-t-il filer63 ? »
Resémantisations : culture, littérature
Autre initiale, autre tradition : dans toute la Chrétienté, le signe x s’est trouvé réinvesti par le chrisme grec, soit l’association cette fois de la lettre khi avec sa valeur « classique », et de la lettre rho, donnant le début du nom et se faisant symbole du Christ. Les deux lettres grecques, l’une déjà assimilée dans l’alphabet latin et l’autre graphiquement assimilable à un p, vont servir de manière extensive à abréger tout le vocabulaire chrétien, mais aussi un nom comme celui de Christine de Pizan64. Elles sont présentes dès la Séquence de sainte Eulalie (v. 14 Qued elle fuiet lo nom christiien ; v. 27 Qued auuisset de nos Christus mercit) ou bien encore dans les Serments de Strasbourg (pro christian poblo)65. Ces deux lettres remarquables étaient en outre les initiales et l’abréviation du mot grec chresimon « utile, notable » que l’on portait en marge pour souligner des passages notables dans les manuscrits de textes grecs puis latins66. Dans le chrisme chrétien confluaient donc deux traditions propres à faire de ces deux lettres, puis de la première seulement, l’indice exceptionnel du Christ comme de la Croix. C’est ce que répète Huon le Roi de Cambrai (v. 339-350).
103Fig. 3 – The (Indestructible) Alphabet of Virtues, Londres, Darton & Co., 1856. © University of Florida George A. Smathers Libraries. All rights reserved.
Or ce lien s’est distendu dans l’écriture du français67, lorsque l’anglais a conservé la possibilité d’abréger Christmas en Xmas, christian en Xtian ou même Crossing en Xing. Dans l’univers des abécédaires de piété, x pourra donc illustrer la croix en anglais. Ainsi dans The (Indestructible) Alphabet of Virtues (Londres, 1856, fig. 3), le quatrain qui commence par X s’achève par cross et l’image réussit à faire sentir la proximité de la croix decussata ou transverse avec celle de Jésus, en montrant ce dernier portant sa croix basculée sur l’épaule. Cependant qu’en français, c’est le détour par saint (François/Francis) Xavier, le jésuite espagnol, missionnaire asiatique du xvie siècle, canonisé en 1622, qui permet encore et toujours d’illustrer le x, par exemple dans l’Alphabetde l’enfant Jésus (Tours, Mame, 1041934, images d’André Boursier-Mougenot, éditions plus anciennes dès 1887)68. Quant à l’usage épistolaire anglais, qui s’établit au xixe siècle, de terminer par un envoi (pressé) de baisers en notant de simples croix, comme dans cet exemple (redondant) d’une lettre de Winston Churchill à sa mère, le 14 mars 189469 : « Please excuse bad writing as I am in a awful hurry. (Many kisses) xxx WSC », il dérive probablement de l’habitude antérieure de signifier de la même manière non seulement les prières, mais aussi les bénédictions faites pour le destinataire70. Ainsi dans ce passage de Daniel Defoe, Life of Robinson Crusoe (1719) :
There was a Letter of my Partner ’ s, congratulating me very affectionately upon my being alive, […]and making two and twenty Crosses for Blessings, told me he had said so many Ave Marias to thank the Blessed Virgin that I was alive.
Parallèlement, en français, x ou xi ou encore kci, kss, kiss vont servir à noter tout autre chose : une onomatopée dont le but est d’exciter un chien, et parfois un humain à attaquer et mordre71 :
Et pendant qu’on travaille ainsi
Les Prêtres font xi, xi, xi,
Comme on fait aux chiens dans la ruë,
Lorsque l’un sur l’autre se ruë. (Fougeret de Montbron, La Henriade travestie, 1745)
Et « kiss ! kiss ! » les voilà à agacer leur chien en lui criant : « Pille ! Pille ! » (Eugène Sue, Les Mystères de Paris, 1843)
105Dans un ouvrage à la pédagogie innovante pour apprendre à lire phonétiquement, le Quadrille des enfans de Claude Louis Berthaud, la lettre x, prononcée xe, est justement illustrée par « un homme qui excite des chiens » (fig. 4 et 5), prouvant le caractère commun de cette interjection72.
Fig. 4 – Claude Louis Berthaud, Le Quadrille des enfans, Paris, Couturier,
1783, 5e édition, p. 50. © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Fig. 5 – Claude Louis Berthaud, Le Quadrille des enfans, Paris, Couturier,
1783, 5e édition, p. 50. © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Il existe depuis l’Antiquité un autre domaine d’utilisation du x, moins caractère alphabétique que signe graphique en ce cas : dans les documents de la pratique d’abord, une ou des croix disposées sur une ligne ou une portion de texte servirent à l’annuler. Ce type de correction se dit proprement en latin cancellare, en français chanceler (depuis la fin du xiiie siècle73) et canceller (depuis le xive siècle). Le mot croix lui-même acquiert d’ailleurs à la fin du Moyen Âge une acception en diplomatique, comme marque faite sur une écriture74. Cela explique l’expression figurée « faire une croix sur le passé », qui remonterait aux Scènes de la vie de bohème d’Henri Murger en 1851, et qui trouve aujourd’hui des résonances dans ce que l’on nomme en anglais cancel culture. Et si c’est à un usage d’abord anglo-saxon des années 50 que la France a emprunté pour classer x des films réservés à un public adulte, le signe ne fait jamais que reconduire à l’antique coutume de la cancellation. La fonction couper des raccourcis clavier de nos ordinateurs en témoigne encore également.
Enfin, à l’époque moderne, x va trouver nombre d’emplois divers dans le domaine des mathématiques et de la technique, des emplois vite répandus dans le monde entier :
–comme signe de la multiplication, peut-être introduit au xviie siècle par William Oughtred75 ;
–comme une variable inconnue à partir des xviie-xviiie siècles, avec ses déclinaisons en langage plus commun (naître sous x, M. X, Malcolm X…)76 ;
–comme nom d’un chromosome en génétique (d’abord en allemand, en 1891) ;
107–comme désignation de certains rayons électromagnétiques (toute fin du xixe siècle) ;
–comme abréviation du mot Extra dans les tailles de vêtement, d’abord dans le monde anglo-saxon depuis les années 50, ou comme abréviation de Extensive, dans un acronyme tel que XML (Extensive Markup Language), à la fin des années 90 ;
ou bien restés très locaux, lorsqu’il s’agit d’un jargon d’école, celui de Polytechnique où la lettre désigne l’institution ou l’un de ses membres77. L’Alphabet des bons exemples (d’Amabilité à Zèle) de Mme Pierre Boulanger, avec des illustrations d’Henri Gray, paru en 1885 à Paris, s’en est emparé :
Quel beau Polytechnicien,
X, en style parisien.
L’x représente, étrange emblème
La quantité que l’écolier
Découvre en creusant son problème.
« Avec son sabre ? » dit Xavier ;
Non, Bébé, par son calcul même.
Il porte l’épée au côté
Comme marque de dignité,
Et peut-être par droit d’aînesse,
Parmi la fleur de la jeunesse.
Xavier peut, s’il travaille bien,
Un jour Polytechnicien,
Acquérir aussi la science,
Afin de bien servir la France.
Rivant son clou au X, Paul Zumthor s’est emparé en 1993 de toute cette histoire, y ajoutant un modeste objet créé en 1905 comme seconde accroche de son texte, après l’évocation des « quatre sons différents pour la même lettre78 » :
108Au crochet X tu suspends n’importe quoi, ne lui demandes que de tenir. Les rayons X te traversent sans laisser de traces apparentes. Neutralité, discrétion, extrême, tout à tous ? On se méfie : xénophobie ? X, x, l’inconnue, la chose pas désignée, la personne dont on a oublié le nom. & ces pluriels à réciter de mémoire, poux, bijoux, genoux, sans compter celui de cheval, de travail, & les autres : coquetterie de scribes, X imprononcé, substitué pour sa fière allure, au S qu’on inscrivait jadis à cet emplacement.
Trois autres écrivains modernes permettront de terminer ce parcours sur une lettre au tracé figé, mais aux multiples transformations : ils donneront de nouveaux témoignages du dynamisme de ce signe. Je commencerai par le plus récent, Georges Perec, grand lecteur des deux autres qu’il mentionne dans W ou le souvenir d’enfance en 197579 :
[…] je lis peu, mais je relis sans cesse, Flaubert et Jules Verne, Roussel et Kafka, Leiris et Queneau […].
De fait, les deux parties de W s’ouvrent sur une épigraphe tirée de l’autobiographie en vers de Raymond Queneau, Chêne et chien (1952). Ces deux parties font alterner, chapitre par chapitre, deux fils différents : de l’une à l’autre, un récit de l’histoire personnelle de Perec, faite de fragments (chap. ii à x, puis xiii à xxxvii), entrelacé d’abord à un récit d’aventures qui restera en suspens (chap. i à xi) puis à un témoignage sur un univers dystopique, une île à l’autre bout du monde, W (chap. xii à xxxvi). Entre les deux parties, après le chapitre xi, une page blanche avec cette seule inscription : « (…) ». La coupure, la parenthèse, la suspension laissent un blanc impossible à combler. Le chapitre x s’achève sur le vrai-faux souvenir de l’enfant quittant sa mère à la gare de Lyon pour être évacué par la Croix-Rouge, tandis qu’avec le chapitre xiii s’inaugure la période « où les souvenirs existent », même si rien ne les rassemble encore, « comme cette écriture non liée, faite de lettres isolées incapables de se souder entre elles pour former un mot, qui fut la mienne jusqu’à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans80 ». Précisément, au chapitre xv se développe toute une page autour d’une lettre isolée et de l’image conservée d’un vieux fermier de Villard-de-Lans81 :
109[…] il sciait son bois sur un chevalet formé de deux croix parallèles, prenant appui sur l’extrémité de leurs deux montants de manière à former cette figure en X que l’on appelle « Croix de Saint-André », et réunies par une traverse perpendiculaire, tout bonnement un X.
Or le souvenir est moins celui de la scène que du mot, « de ce substantif unique dans la langue à n’avoir qu’une lettre unique, unique aussi en ceci qu’il est le seul à avoir la forme de ce qu’il désigne82 ». À partir de là, Perec énumère d’autres fonctions du signe : celle « du mot rayé nul – la ligne des x sur le mot que l’on n’a pas voulu écrire », celle de multiplication, de notation de « l’inconnu mathématique », etc.83 Dans la suite de la liste, comme si cela en était le prolongement naturel, Perec inscrit « une géométrie fantasmatique dont le V dédoublé constitue la figure de base ». La première transformation nous ramène à Étienne Pasquier : « deux V accolés par leurs pointes dessinent un X ». Mais c’est « l’Histoire avec sa grande Hache84 », celle qui a coupé la vie en deux au niveau du chapitre x, qui détermine les suivantes : les branches du X prolongées de segments égaux le font, pour ainsi dire, mal tourner et devenir l’idéogramme de la croix gammée ; cette dernière est à son tour décomposable en deux segments qui, par une rotation de 90o, deviennent les deux S raides du sigle nazi SS ; en même temps ou parallèlement, la superposition de deux V tête-bêche permet d’obtenir une étoile juive, grâce à l’adjonction de deux traits horizontaux refermant les triangles.
Demeure dans ces pages un non-dit : le rapport entre X et W, soit le double V ou un V dédoublé ; soit le rapport entre la ligne autobiographique et les deux fictions où se succède un héros du nom de Gaspard Winckler et l’île W. Un passage du dernier chapitre de l’œuvre à venir, La Vie mode d’emploi (1978), indique l’identité problématique des deux lettres85 :
110Assis devant son puzzle, Bartlebooth vient de mourir. Sur le drap de la table, quelque part dans le ciel crépusculaire du quatre cent trente-neuvième puzzle, le trou noir de la seule pièce non encore posée dessine la silhouette presque parfaite d’un X. Mais la pièce que le mort tient entre ses doigts a la forme, depuis longtemps prévisible dans son ironie même, d’un W.
W est l’initiale d’un autre Gaspard Winckler86, l’artisan chargé par Bartlebooth, de découper en 750 pièces chacun des 500 puzzles qu’il passera les vingt dernières années de sa vie à réaliser. La lettre est donc d’abord une signature. Elle signe aussi un art, car la différence apparente de formes entre l’ultime pièce et sa place dans l’ensemble reconstitué ne pourrait être qu’une illusion. Alors que les types les plus courants des pièces de puzzle se classent en : bonhommes, croix de Lorraine et croix87, toute la subtilité du fabricant sera par ses choix de découpe de multiplier les embûches, en créant des morceaux apparemment en forme d’animaux, de personnages, de lettres (« un alphabet presque complet avec des pièces en J, en K, en L, en M, en W, en Z, en X, en Y, en T ») ou encore de continents88. Tant que Bartlebooth s’arrête à ces formes, il est incapable de les insérer dans le puzzle. Pour réussir, il lui faut changer d’axe de perception ; alors il peut s’apercevoir que « la pièce adéquate […] avait exactement la forme de ce qu’il s’était obstiné depuis le début à appeler “la perfide Albion”, à condition de faire accomplir à cette petite Angleterre une rotation de quatre-vingt-dix degrés dans le sens des aiguilles d’une montre. » Pour trouver le sens, du sens, il faut donc opérer un déplacement89.
Dans Saint Glinglin publié en 1948, Raymond Queneau incitait à sa manière à changer le monde par une transformation linguistique. Ses trois héros successifs ont tué le père et, d’une révolution à l’autre, on retrouve à l’explicit « le temps, le beau temps, le beau temps fixe90 », 111soit le retour à une météorologie sans pluie dans la Ville Natale, mais aussi l’achèvement d’une boucle temporelle et mythique qui permet de mettre un point final et qui fait réapparaître la lettre x (ixe) que Queneau avait effacée. Non pas simplement pour verser dans le langage oral avec l’utilisation d’esscuser, d’essplication, etc., mais comme il en avertit pour une « signification symbolique91 ». De fait, un des mots les plus soumis au défigement n’est autre que celui d’existence. Pierre, un des trois fils Nabonide, philosophe sur l’aiguesistence des poissons, mais aussi sur leur eksistence92. Queneau emprunte cette orthographe (le tiret en moins), à travers la traduction d’Alexandre Koyré, à Heidegger chez qui elle désigne le mode d’être propre à l’homme. Toute l’œuvre est ainsi partagée entre grotesque et sérieux. Par ailleurs, oubli involontaire ou volontaire dans ce lipogramme, Queneau laisse subsister le x dans express, mais aussi dans axe93. Ce dernier est celui des aiguilles des montres, mais aussi la grande perche qui transformera le troisième frère, Jean, en ascète stylite et Sauveur du beau temps fixe, le futur saint Glinglin. Dans son Souple mantique et simples tics de glotte, supplément paru en 1985 à Glossaire, j’y serre mes gloses de 1939, Michel Leiris, par cette définition94 : « Action – axe (par élision) », semble avoir trouvé une des clefs de lecture des textes de Queneau et de Perec95. Son attention au signe s’attache au signifiant : la lettre dessinée par deux pièces droites croisées dont le centre forme un axe ; comme au signifié : soit l’action 112que peut permettre cette construction mise en mouvement ; et enfin au jeu phonique des graphies : x équivaut ici à ct.
Lettre mystérieuse et précieuse, signe salvateur, oblitérant ou tueur, le x a multiplié ses emplois et ses valeurs. Je couperai court en usant des ciseaux qui, dans les « lettres fantastiques » du Champfleury de Geoffroi Tory (fol. 77v) comme dans l’ABCDAIRE illustré par Selçuk en 199596, prennent la forme de cette lettre.
Sylvie Lefèvre
Sorbonne Université – EETM
1 Le Moyen Âge à la lettre. Un abécédaire médiéval de Michel Zink (Paris, Tallandier, 2004) fut une source d’inspiration pour cette étude.
2 IsidorusHispalensis, Etymologiae, éd. et trad. Olga Spevak, Paris, Les Belles Lettres, 2020, livre I, chap. 3 § 6. Legrand, Jacques, Archiloge Sophie, éd. Evencio Beltran, Paris, H. Champion, 1986, p. 61.
3 Pasquier, Étienne, Recherches de la France, Paris, Laurent Sonnius, 1621 (éd. posthume, disponible sur Gallica), livre 8, chap. 63, p. 788 ; éd. critique M.-M. Fragonard et J. Roudaut, Paris, Garnier, 1996, p. 1704. Geoffroi Tory faisait déjà une remarque du même ordre : « Au temps passé, les Latins avant qu’ilz eussent pris des Grecs la lettre X, la quelle touteffois est differente en figure, car elle resemble a Chi et non pas a ξi, ilz escrivoient pour ledit X lesdittes lettres CS et GS en ceste façon : Apecs apicis, Regs regis, Nucs nucis, et Gregs gregis, comme j’ay veu en Romme en d’aucuns Epitaphes Anciens, et peut on encores veoir au Livre des Epitaphes de l’ancienne Romme nagueres imprimé en la dicte Romme ou pour lors j’estois habitant » (Champ Fleury, Paris, 1529, f. 60v, nous éditons le texte).
4 La citation de Quintilien sous cette forme est celle des éditions anciennes (« De nos lettres, X est la dernière, dont nous aurions pu cependant nous passer, si nous n’avions pas été la chercher »). Mais depuis P. Pithou, on a rétabli ce texte : qua tam carere potuimus quam psi non quaerimus (« dont nous aurions pu nous passer aussi bien que du psi que nous ne réclamons pas »).
5 Briquel, Dominique, « La diffusion de l’alphabet chez les Étrusques : une fonction qui va au-delà de la notation de la langue », Écriture et communication, dir. D. Briquel et F. Briquel Chatonnet, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2015, p. 46-57. Nouvelle édition [en ligne]. Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cths/1403>. ISBN : 9782735508655. DOI : https://doi.org/10.4000/books.cths.1403, consulté le 22/06/2023. Notons que le début de la notice x de l’OxfordEnglish Dictionary mettait déjà sur cette piste.
6 Ibid., p. 47 et 50.
7 IsidorusHispalensis, Etymologiae, Livre I, chap. 4 ; EustacheDeschamps, Art de dictier (1392), § 10 : « Et sont les six demi voyeux s, l, m, n, r et x ; et sont appellez demi voyeux pour ce que ilz commencent en voyeul et terminent par eulx meismes. », dans Anthologie, éd. et trad. Clotilde Dauphant, Paris, LGF, 2014 ; Jacques Legrand ne reprend pas cette caractérisation, mais parle de lettres esclatieres (« au son éclatant ») pour les liquides LMNR (p. 65, éd. Beltran).
8 Les changements dans le système d’épellation sont, en particulier, liés à l’influence des écoles de Port-Royal. La nouvelle méthode tombe pourtant en désuétude avec la condamnation des Jansénistes, mais redécouverte au xviiie siècle, elle est largement adoptée au xixe.
9 D’origine française, Étienne Coulet enseigne le français et l’anglais à l’Université de Leyde, preuve de l’intérêt précoce en Hollande pour l’enseignement de ces langues modernes.
10 Coulet, Étienne, Nouveaus sistêmes de gramaîre françoîse, Leide, Veuve et fils de C. Boutestein, 1726, p. 159.
11 Bougy, Catherine, « Graphie et prononciation de toponymes et d’anthroponymes dans le Roman du Mont Saint-Michel de Guillaume de Saint-Pair (xiie siècle) », Nouvelle Revue d’onomastique, no 47-48, 2007, p. 25-47, part. p. 36-37 : Veu(l)guessin chez G. de Saint-Pair ; Veuguesin, Veguesin, etc. chez Wace.
12 Eustache Deschamps, Refrain de sa ballade 863 : Dieux gart les veaulx de Veucquessin ! (éd. et trad. Cl. Dauphant, p. 424-425).
13 Dictionnaire critique de la langue française, par l’abbé Féraud, Marseille, chez Jean Mossy Père et Fils, 1787-1788, t. 3, p. 844 pour les deux citations.
14 Claude Buffier (1661-1737), jésuite et professeur du collège Louis-le-Grand, auteur d’une Grammaire française sur un plan nouveau, avec un Traité de la prononciation des e et un Abrégé des règles de la poésie française (Paris, 1709 ; le passage évoqué par Féraud est à la p. 386, § 904).
15 On notera qu’un des verbes cités dans le premier cas par Féraud, exciter, a lui aussi connu des graphies du type esciter en ancien français, traduisant une prononciation conditionnée par la voyelle palatale.
16 Marchello-Nizia, Christiane, Histoire de la langue française aux xive et xve siècles, Paris, Bordas, 1979, p. 84.
17 Le Testament Villon, éd. Jean Rychner et Albert Henry, Genève, Droz, 1974, p. 100 et p. 109 (le ms. C a Vissextre, là où F et I portent Vicestre, soit dans tous les cas le toponyme actuel Bicêtre). Dans le groupe xtr, toutes les consonnes n’étaient pas alors prononcées.
18 Asperti, Stefano, Origini romanze. Lingue, testi antichi, letterature, Rome, Viella, 2006, p. 180 (transcription diplomatique et édition ; nous traduisons). Manuscrit : Valenciennes, BM 150, f. 141v (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84526286/f288.item, consulté le 22/06/2023). Dans la Chanson de saint Alexis, texte en décasyllabes de la fin du xie siècle, connu par huit témoins entre xiie et fin du xiiie siècle, le nom du héros est très généralement orthographié en X, contre quelques rares réalisations en SS. Voir Chanson de saint Alexis, Essai d’édition critique de la version primitive avec apparat synoptique de tous les témoins, par François Zufferey, Paris, SATF, 2020, au moment du baptême par exemple, p. 313, v. 48 : Alexi (A), Alexis (L, P2), Alix (P), contre Alessis (S) ; ou plus loin, v. 97, p. 339 : Alexis (mss), contre Alessins (S).
19 Voir Beaulieux, Charles, Histoire de l’orthographe française, Paris, Champion, 1927, p. 40 et 124.
20 Le livre d’Érasme, De recta latini graecique sermonis pronunciatione (1528, Bâle), est résumé dans celui de Charles Estienne, De recta latini sermonis pronunciatione (Paris, Estienne, 1538). La remarque sur x s’y trouve au f. 22v-23 de la seconde édition de 1541, disponible sur Gallica.
21 Dalarun, Jacques, Le Cantique de frère Soleil. François d’Assise réconcilié, Paris, Alma, 2014, p. 24-25 avec une image du manuscrit du billet adressé par François à Léon avant 1226, conservé monté en reliquaire à la cathédrale de Spolète.
22 S. Asperti n’agrège pas ces deux occurrences de rex à sa liste des latinismes des premiers vers, mais c’est qu’il ne s’intéresse alors qu’aux mots qui présentent ou auraient pu présenter l’évolution de a tonique libre, op. cit., p. 183.
23 Beaulieux, op. cit., p. 40. S. Asperti enregistre bien sûr rex et li rex des v. 12 et 21 comme des occurrences de cas sujet ; pour ce qui est de l’évolution phonétique clairement marquée dans le texte, il relève le résultat de a conditionné par une palatale : pagiens (v. 12 < paganos), mais aussi regiel (v. 8 < regalem) (op. cit. p. 183-184).
24 Voir Grande Grammaire Historique du Français, éd. Christiane Marchello-Nizia, Bernard Combettes, Sophie Prévost et Tobias Scheer, Berlin-Boston, De Gruyter, 2020, t. 1, partie 1 Phonétique historique : § 97-98 (T. Scheer), p. 228-232.
25 Beaulieux, op. cit., p. 36.
26 Acher, Jean, « Sur l’x finale des manuscrits », Revue des langues romanes, t. 56, 1913, p. 148-158. Ce texte devait paraître initialement dans Romania et il fut même mis en placard (lettres de septembre 1912 et février 1913). Mais corrigé par Antoine Thomas, à la grande indignation de son auteur qui refusait aussi la réforme orthographique moderne de ce dernier, la lettre fut publiée dans la revue concurrente. Je dois toutes ces précisions à Sarah Al-Matary et à son travail sur la correspondance de Mario Roques conservée à la Bibliothèque de l’Institut de France (ms. 6141 pour les documents évoqués).
27 C’est en tout cas ce que Jean Acher déduit de deux comptes rendus d’édition publiés dans le t. 41 de Romania en 1912 et des reproches qui y sont faits à Albert Barth pour le Lai du conseil par Walter von Wartburg (p. 290) et à C. De Boer pour Pyrame et Thisbé par Edmond Faral (p. 295).
28 Il écarte ainsi la théorie défendue par Jakob Stürzinger dans son édition de l’Orthographiagallica en 1884, selon laquelle « l’x finale est une corruption de l’abréviation issue de la note tironienne de l’abréviation us » (art. cité, p. 149).
29 Romania t. 55, p. 528 Conseils pour l’édition des textes médiévaux. Fasc. I : Conseils généraux, Paris, École nationale des chartes, 2001, p. 28. Rajna, Pio, « -x = -us », Romania, t. 55, 1929, p. 528.
30 Romania, t. 54, 1928, p. 617-618.
31 Voir Careri, Maria, Ruby, Christine, Short, Ian, Livres et écritures en français et en occitan au xiie siècle. Catalogue illustré, Rome, Viella, 2011, p. 10 (Basel, Universitätsbibliothek N I 2, 83 et Bruxelles, KBR, II 139/3 ; fin du xiie siècle, Nord-Ouest de la France). Que ces deux fragments appartiennent au même volume avait été prouvé par Paul Meyer qui en a donné l’édition (Romania, t. 18, 1889, p. 70-87 ; nos numéros de vers sont les siens). Grand lecteur de cette revue, en dépit de ses critiques, Jean Acher évoquait ce manuscrit comme preuve de cet usage du x au xiie siècle (art. cité, p. 156, note 1).
32 L’OxfordEnglish Dictionary (dir. J. Simpson et E.S.C. Weiner, Oxford, Clarendon Press, 19892, t. XX, p. 668-670) relève que des graphies de moyen anglais du Cursor mundi (histoire mondiale en vers) du ms. Cotton, Vespasian A III (vers 1340) : flexs, wexs, fixses valent pour flesh, wash et fishes, tandis que d’autres restent inexpliquées.
33 Huon le Roi de Cambrai, Œuvres, éd. Arthur Långfors, Paris, Champion, 19252, p. 11.
34 Outre l’édition de Långfors déjà citée et à laquelle nous référons, signalons la toute nouvelle édition établie par David Moos et Yan Greub, in Poèmes abécédaires français du Moyen Âge (xiiie-xive siècles), anthologie publiée sous la dir. de Marion Uhlig, éditions et traductions par Olivier Collet, Yan Greub et al., Paris, Champion (CCMA), sous presse.
35 Corrigé en Damedeus par l’éditeur.
36 Rendus par fius : fius dans le texte édité.
37 Dictionnaire Étymologique de l ’ Ancien Français, notice *ieus. Le texte de Huon est seul cité pour cette désignation de la lettre. F. Möhren remarque : « En afr. on s’attendrait soit à un résultat par évolution phonétique, *eis, soit à la forme “savante”, *ix(e) ». D’ailleurs, Roger Bacon à la fin du xiiie siècle parlait en latin de ix (Dictionary of Medieval Latin from British Sources, t. 1, 1494c, notice ix).
38 Yan Greub rappelait récemment que « nos informations sur la prononciation des lettres au Moyen Âge proviennent en bonne part du texte de Huon lui-même, et en partie des recherches complémentaires réalisées par Långfors » (Greub, Yan, « Les abécédaires : les besoins en matière éditoriale », French Studies, t. 75/3, 2021, p. 1-13, ici p. 9).
39 Éd. Pierre Champion parmi des « Pièces joyeuses du xve siècle », Revue de philologie française et de littérature, t. 21, 1907, p. 191-192.
40 Jeanroy, Alfred, « Corrections aux Pièces joyeuses du xve siècle publiées par M. P. Champion », Revue de philologie française et de littérature, t. 22, 1908, p. 68-69.
41 L ’ Oroison a Nostre Dame dont chascune petitte lettre coulouree contient une sillabe entiere du moins (Paris, BnF fr. 12475, xve siècle, f. 3v, suivi de son texte décodé) ; l’Alphabet du temps present (faussement attribué à Clément Marot). Voir Uhlig, Marion, « Dans l’oreille d’un sourd : jeu sonore et bruit du siècle chez Gontier de Soignies », in « Ut musica poesis ». Poèmes partitions au Moyen Âge et aujourd’hui, dir. Nathalie Koble et Amandine Mussou, Paris, Macula, sous presse.
42 Le volume est consultable sur le site de Gallica (nous avons suivi les règles courantes d’édition). Ce texte avait été donné en fac-similé par Charles Beaulieux pour les Mélanges Picot (Paris, 1913, t. II, p. 563-568). Beaulieux (op. cit., p. 223), qui s’y référait au moment où il parle de Geoffroi Tory et de l’« absurde prononciation de l’x par yeux, yux » en latin, tendait à faire croire que ce passage du Traicté s’inscrivait lui aussi dans la réforme du latin oral et non, comme c’est le cas, dans la question de l’épellation des lettres.
43 Imprimé par coquille : ennue.
44 On notera l’oubli de : er, es et ze ? Ce mode d’épellation est celui qui est suivi dans L’Instruction des enfans […][Genève, Pierre de Vingle, 1533] : voir L’Art des abécédaires français, p. 41. Les noms des consonnes y sont donnés comme suit : be, ce, de, ef, ge, ha, ka, el, em, en, en, pe, qu, er, es, te, ix, zet. Une autre épellation fautive, syllabique, est réprouvée par le Traicté (qui la dit parisienne) comme par Geoffroi Tory (f. 48v) : « je voy mille personnes errer, quant ilz disent A, boy, coy, doy, ou il fault dire A, be, che, de, comme si leur nom, excepté des Vocales, s’escrivoit en façon de syllabe [suit l’abc entier où x se dit ix] ». C’est pourtant cette épellation qui permet de comprendre un rondeau alphabétique, présent dans un manuscrit et chez Pierre Fabri : GC/MI/TT/GC/OB/RI/GC/MI, soit : J’ai soi(f) / Ami / Tais toi / J’ai soi(f) / Eau bois / Et ris / J’ai soi(f) / Ami (Le Grand et Vrai Art de pleine rhétorique, éd. A. Héron, Genève, Slatkine, 1969 (1889-18901), d’après l’éd. de 1521, t. 2, p. 68). Sans cette clef, même Paul Zumthor échouait à son décryptage (Le masque et la lumière. La poétique des grands rhétoriqueurs, Paris, Seuil, 1978, p. 253). Le premier vers du second couplet (OB, Eau bois) explique d’ailleurs dans la Ballade de l’abc les v. 17-18 : B vault mieulx, mais il se doit mectre / Apres O par ordre et mesure.
45 Voir, bien sûr, Andrieux-Reix, Nelly, « X, Y, Z et quelques autres. Étude de lettres dans le Testament de Villon », L’information grammaticale, t. 57, 1993, p. 11-15. Pour l’origine du x final, elle renvoie à Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à 1900, t. 1 : De l’époque latine à la Renaissance, 19334 (19051), p. 523-524. Son hypothèse est à la fois phonétique (dans les mots en -éus, le u est si peu prononcé que l’on faisait rimer teus, osteus ou Deus, Greus avec des mots en -és) et graphique (certains copistes supprimèrent donc le u pour écrire à la rime Des, Gres, ostes ; d’autres eurent l’idée de remplacer le s par x, puisque ces deux lettres avaient la même valeur, mais qu’avec la seconde ils pouvaient attirer l’attention du lecteur) ; puis le jeu de l’analogie aurait diffusé x final, pour - us, dans d’autres cas de figure.
46 Il en va de même, bien sûr, du latin. D’où cette notation dans l’« Epître de Notker sur les “lettres significatives” » dans le domaine musical : X quamvis latina per se uerba non inchoet, tamen expectare expetit. (« X, quoiqu’il ne soit pas au début de mots latins, exige pourtant d’attendre. »).
47 Les dictionnaires anciens préviennent les fautes de prononciation sur ces types de noms propres, mais aussi sur certains noms communs où x n’a pas sa valeur phonétique « étymologique ». Ainsi de Féraud : « L’x a la prononciation forte de l’s dans les mots Aix (nom de Ville), Auxerre, Xaintonge, Xaintes ; Bruxelles ; et dans six, dix, soixante. Pron. Ais, Sainte, etc.Brucèle, Aucerre, sis, dis, soa-sante. Il a la prononciation douce du z ; dans deux, deuxième, sixième, sixain, dixième, dixaine, et dans les noms en eux, quand ils sont suivis d’une voyelle ; feux, lieux, heureux, etc. Quand ils sont suivis d’une consone, l’x ne se prononce pas.” Deu-zième, si-zième ; etc. Deux écus ; heureux époux : pron. Deû-zéku, heureû-zépouxdeux louis, heureux mortel : pron. deû loui ; heureû mortel.
48 Meyer, Paul, « Pour la simplification de notre orthographe », Revue pédagogique, t. 46/2, 1905, p. 101-121, ici p. 111. Dans le Dictionnaire historique de l’orthographe française, dir. Nina Catach, Paris, Larousse, 1995, on lit p. 144 : « L’ancienne notation, souvent d’origine dialectale et maintenue régionalement, a été conservée dans certains noms de villes comme Xaintes, Xaintonge (devenus assez récemment Saintes, Saintonge) et, jusqu’à nos jours, dans Auxerre, Auxange, Bruxelles, etc. »
49 Voir Lanher, Jean, « De la graphie x à l’initiale dans les toponymes des départements lorrains », Mélanges André Lanly, Nancy, Publ. univ. de Nancy, 1980, p. 557-569.
50 Inspiré en 1957 par le blason lorrain, il est d’or à la bande de gueules chargée de trois anilles d’argent (qui représentent l’initiale X du nom de la commune).
51 Voir Philippe, André, archiviste des Vosges, « Le nom des Faucilles », Revue des études anciennes, t. 12, 1910, p. 168-169.
52 Uhlig, art. cité, sous presse.
53 Gontier de Soignies dans Chansons des trouvères, éd. et trad. Samuel N. Rosenberg et al., p. 448-451. Le Chansonnier C (Berne, Burgerbibliothek, ms. 389), qui en est le seul témoin, a été copié à la fin du xiiie siècle en Lorraine, peut-être à Metz.
54 L’occurrence figure dans le Complément du Godefroy d’après l’édition des 45 sermons per annum de saint Bernard par Wendelin Foerster en 1886 (dans Romanische Forschungen, sermon 26, p. 105, ligne 37, f. 88r) : « Semblant sunt donques a gent ki atendent, cil ki nen ont mies xordement oyt ». Le manuscrit unique, Paris, BnF fr. 24768 est datable de la fin du xiie-début du xiiie siècle et localisable dans le Nord-Est de la France, aux confins des aires dialectales wallonnes, champenoises et lorraines. Encore une fois, Jean Acher avait signalé ce manuscrit comme représentatif de la « prédilection très marquée pour x » des copistes lorrains (art. cité, p. 155).
55 Le vocabulaire ancien parle plutôt de lettre dure ou rude, mais après tout, le sourd est aussi qualifié de dur d’oreille. D’après le Trésor de la langue française, l’usage de sourd comme terme de phonétique commencerait au xixe siècle mais, pour qualifier des outils, des instruments ou la mer, on le trouve employé dès le xive siècle.
56 Alphabet de la phosphatine Falières, illustrations de Timoléon Lobrichon, s.l.n.d., Phosphatine Falières.
57 Sur les variations de graphie et de prononciation en français de xérès, on se reportera aux témoignages du Trésor de la langue française : vins de Cherez en 1573 ; Xerez en 1825 ; jérès en 1843, avec une opposition entre une prononciation courante (kseres ou gzeres) à celle d’un niveau de langue soutenu (keres) comme dans le Littré. Voir aussi sherry, emprunté à l’anglais. Le dictionnaire Le Robert de 1984 poussait à une prononciation avec jota, que promeut le dernier Dictionnaire de l’Académie (9e édition) en acceptant ce vin dans ses pages, sous son nom originel de Jerez.
58 Autre exemple avec le seul Xérès : un Alphabet récréatif publié en 1900, 12 p., à Vincennes par Publicité Bascoul Olmer.
59 Éd. dans Lexiques alphabétiques, par Mario Roques, p. 453 (Aalma, du ms. Paris, BnF lat. 13032). Presque tous les autres mots enregistrés se rangent sous xeno-, xero-, xilo-, xiro-.
60 Texte de l’Alphabet de Bécassine : « Elle aurait voulu, pour s’enfuir plus vite, […] être dans le wagon d’un train express. Elle pleurait comme le roi Xerxès le soir de sa défaite. » Xerxes sert toujours d’exemple de mot pour x dans L’Instruction des enfans […][Genève, Pierre de Vingle, 1533] : voir L’Art des abécédaires français, sousla dir. deBernard Farkas, essai d’Olivier Deloignon « Mise en scène symbolique et graphique des lettres : l’abécédaire français entre ars et art », catalogue de la collection de B. Farkas, PUR, Rennes, 2018, p. 41. Voir aussi les exemples rassemblés pour les abécédaires anglais : https://publicdomainreview.org/collection/x-is-for, consulté le 22/06/2023.
61 On signalera aussi que pour constituer l’extraordinaire acrostiche, retrouvé par Kasser Helou dans l’Estoired’outremer (ou Eracles) lors de son travail de thèse, le livre 12 a fait appel en son incipit au nom de Xerxès pour le X du mot rex de l’intitulé : Ludovicus rex Francorum B Dei. Article à paraître dans Romania.
62 Pasquier, Étienne, op. cit., éd. 1621, livre 4, chap. 22, p. 399 ; éd. 1996, p. 962-963.
63 Chopin, Henri et Zumthor, Paul, Les Riches heures de l’alphabet, Paris, Traversière, 1993, p. 150.
64 Voir par exemple sa fameuse signature à la fin de l’Épîtreà la reine de 1405 dans le ms. Paris, BnF fr. 580, f. 54v.
65 Asperti, op. cit., p. 180-181 (on notera au v. 24 la graphie : Krist) ; p. 169 (si les serments furent prononcés en 842, le manuscrit unique de l’Historia filiorum Ludovici Pii de Nithard est daté autour de l’an mille (BnF lat. 9768, f. 13).
66 Voir aussi l’emploi du chrisme et de la croix dans les manuscrits, comme sur certains objets, tel qu’il est étudié par Robert Favreau en association avec des monosyllabes en -x : Favreau, « Rex, lex, lux, pax : jeux de mots et jeux de lettres dans les inscriptions médiévales », BEC, t. 161, 2003, p. 625-635. On pense aussi à l’équerre qui porte les lettres PAX dans le Pélerinage de vie humaine de Guillaume de Deguileville (v. 2743-2814, éd. et trad. G. R. Edwards et Ph. Maupeu, Paris, LGF, 2015) : X représente le Christ, A et P l’âme et son prochain.
67 Dans le lexique Aalma, cité plus haut, les seuls termes courants enregistrés sous x ressortissent à cette autre lignée (p. 453) : « xpistus Crist nomen dei ; inde xpistianus crestienz ; xpistianissimus. ma. mum trez crestien uide de istis tribus nominibus in c ».
68 Texte : « Xavier est le nom d’un grand Saint, qui a fait connaître et aimer le Petit Jésus bien loin, bien loin, jusqu’aux Indes et au Japon. »
69 Les deux citations suivantes sont empruntées à l’excellent article x de l’Oxford English Dictionary, op. cit., p. 669 (et supplément).
70 Peut-on imaginer en plus que le passage d’un sens à l’autre aura été facilité par un rapprochement entre une épellation de x au pluriel (ixess) et kisses ? En tout cas, les abécédaires anglo-saxons vont pouvoir illustrer la lettre x d’un baiser. Ainsi dans A little Alphabet de Trina Schart Hyman (New York, William Morrow & Company, 1980) ; et, dans la liste des mots commençant par chaque lettre, lorsque face à A on trouve : acorns, anemone, ant, apples, apron, arm, artichoke, artist, avocado, soit des éléments qui se retrouvent sur l’image, face à X il n’y a que : xxx.
71 Exemples empruntés à l’excellent Dictionnaire des onomatopées de Enckell, Pierre et Rézeau, Pierre, Paris, PUF, 2003, p. 272-274. L’onomatopée est attestée depuis 1546 (Tiers Livre de Rabelais, sous la forme gzz). Le Trésor de la langue française, à l’entrée kss, cite ce passage de Willy (En bombe, 1904), indiquant un jeu de mot possible entre les deux langues : « Très animée, la môme Picrate, friande de tumulte et de rixes, essaie d’aiguillonner : Kss ! Kss ! – Kiss my bottom, indique Maugis en se soulevant à demi. »
72 Berthaud, Claude Louis, Le Quadrille des enfans, Paris, Arthus Bertrand, 1744, 17835, Neuvième leçon, p. 50-51. Juste au-dessus de l’image de l’homme aux chiens, celle d’un crucifix pour illustrer le mot un christ (voué à disparaître des éditions au xixe siècle) et le son st.
73 Comme canceler peut s’utiliser pour mains et jambes (« les croiser »), on explique le sens actuel du verbe par le fait que marcher jambes croisées fait forcément chanceler.
74 En tout cas, le TLF, après Littré, relève en ce sens un passage de la Somme rural de Jean Boutillier (dernier grand coutumier français écrit vers 1395).
75 Pour Marc Moyon, historien des mathématiques, le signe pourrait avoir été introduit dès le xvie siècle (communication d’octobre 2021). Diffusion sur la chaîne Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=AmNqWDru_-E, consulté le 22/06/2023.
76 Le premier nom utilisé par Hergé pour les Dupont et Dupond dans Tintin. Les cigares du pharaon (1934) les anonymisait plus encore que leur futur patronyme : leur nom de code était X33 et X33bis. Personnages mécaniques ou à la mécanique perturbée, ils sont pourtant bien humains : leurs squelettes animés apparaîtront aux rayons X dans Objectif Lune (1953). Voir Bonfand Alain et Marion, Jean-Luc, Hergé. Tintin le Terrible ou l’alphabet des richesses, Paris, Hachette, 1996, p. 101-103.
77 Dans Astérix et les Normands, album de Goscinny et Uderzo paru en 1967, un guerrier du village gaulois fait une courte apparition : Elèvedelix. C’est un des rares noms vraiment en-ix, quand tant d’autres sont des réfections de mots en -isque ou -ique. Le choix de personnages de Gaulois comme de leur donner des noms en -ix avait été considéré par les créateurs de cette bande dessinée comme une extraordinaire trouvaille (voir Le Dictionnaire de Goscinny, Paris, J.-Cl. Lattès, 2003, p. 118).
78 Les Riches heures de l ’ alphabet, op. cit., p. 150. Voir Cerquiglini-Toulet, Jacqueline, « Lettre animée, lettre vivante : Paul Zumthor et l’alphabet », dans Paul Zumthor. Traversées, dir. Éric Méchoulan et Marie-Louise Ollier, Presses de l’Université de Montréal, 2007, p. 177-186 ; et dans ce volume, l’étude de Pierre Thévenin, p. 245-268.
79 Perec, Georges, W ou le souvenir d’enfance, Chap. xxxi, p. 195 de la réédition en 1993 dans la collection « L’Imaginaire » chez Gallimard.
80 Ibid., p. 97.
81 Ibid., p. 109-110 pour l’ensemble du passage en question.
82 D’après le TLF, avant de désigner le chevalet du scieur, l’x ou l’ixe fut au xixe siècle un petit tabouret aux pieds croisés.
83 Dans La Vie mode d’emploi, Georges Perec mentionne l’usage épistolaire anglo-saxon au chap. lxxix, p. 471 : « il reçut, en même temps que la Victoria Cross, une lettre manuscrite d’Olivia Norvell qui se terminait par “je t’embrasse de tout mon petit cœur” suivi d’une dizaine de croix équivalant chacune à un baiser ». Il invente aussi le nom d’un critique d’art : A. de Xertigny (p. 58) et parle deux fois de Xérès (index p. 675), une fois sous la forme du toponyme Jerez (p. 26) et l’autre sous la forme indexée, pour le vin(p. 368). Perec, Georges, La Vie mode d’emploi, Paris, Hachette, 1978.
84 W ou le souvenir d ’ enfance, op. cit., chap. ii p. 17, la guerre et les camps expliquent que « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance ».
85 Perec, Georges, La Vie mode d’emploi, op. cit., chap. xcix, p. 600.
86 Ce nom traverse l’œuvre de Perec depuis le premier roman achevé en 1960, Le Condottière.
87 Perec, La Vie mode d’emploi, op. cit., préambule et chap. xliv (le second copiant le premier).
88 Ibid., chap. lxx, citations des p. 414 et 415.
89 Plutôt que comme une collaboration/compétition dans le jeu ainsi que le dit explicitement le texte, Claude Burgelin propose de lire l’histoire des puzzles à un autre niveau, comme une vraie vengeance de Winckler sur Bartlebooth, dans le sens de W ou le souvenir d’enfance : « Ce qui a mis fin au programme d’extermination de Bartlebooth, c’est une lettre inattendue, une revenante, un “bonhomme” qui au lieu d’être X l’innommé a été W. […] Victoire de la ruse, de l’imperfection parfaite, de la lettre, victoire de la vie et du souvenir de W. » (Georges Perec, Paris, Seuil, 1988, p. 192.)
90 Queneau, Raymond, Saint Glinglin, Paris, Gallimard, 1975 (19481), p. 267.
91 Ibid., préambule non titré, non paginé.
92 Ibid., à l’incipit, p. 11 : « Drôle de vie, la vie de poisson !… Doradrole ! vairon… L’aiguesistence de la vie sous cette forme m’inquiète bien eau delà de tout autre sujet de larmes que peut m’imposer le monde. » ; p. 17 : « Et lorsque je dis qu’un animal est ceci ou cela, j’entends bien ne pas porter un jugement subjectif. Pas même humain. Mais définir le sens même de son eksistence. »
93 Ibid., p. 148 : « C’est du tourisme express », p. 206 : « Les Étrangers attachent des aiguilles sur l’axe et conçoivent alors des tâches précises. Mais parfois le bout de temps dépérit et meurt. »
94 Leiris, Michel, Souple mantique et simples tics de glotte, dans Langage Tangage ou Ce que les mots me disent, Paris, Gallimard, 1995 (19851), p. 9. En 1939 dans Glossaire j’y serre mes gloses (dans Mots sans mémoire, Paris, Gallimard, 1969, p. 71-116), Leiris se pliait aux mots attendus sous X : xénophobe, xylophone et xérès, ce dernier étant ainsi défini : « l’élixir de Xerxès ». En 1985, il ajoute Xénophon et donne une nouvelle définition pour xénophobie et xérès : « sa riche caresse », faisant ainsi disparaître Xerxès. On y relèvera aussi un mot en -x, lu à rebours : « sphynx – X sans fin, la bête de Thèbes » (p. 56) et un commentaire graphique pour : « rixe (où l’x imite deux boucliers affrontés) » (p. 54).
95 On se souviendra que dans Glossaire, on lisait déjà et aussi : « fixe – fiction, et crucifixion de Sisyphe » (p. 88).
96 L ’ ABCDAIRE, Paris, École des loisirs, 1995. Le texte, signé par Paul & Douard, propose un éventail de termes souvent inédits : « X comme xylophone, xénon, xénophobe, xylographie, xéres, Xénakis, xérocopie, X (le chromosome), xérus, xyste, ou bien comme “signé : x”… »
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- ISBN: 978-2-406-14954-5
- EAN: 9782406149545
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14954-5.p.0087
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-23-2023
- Language: French
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