Avant-propos
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Les Centres de production des manuscrits vernaculaires au Moyen Âge
- Authors: Giannini (Gabriele), Gingras (Francis)
- Pages: 7 to 9
- Collection: Encounters, n° 136
- Series: Medieval civilization, n° 16
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Avant-propos
Le projet de recherche international Lire en contexte à l’époque prémoderne. Enquête sur les recueils manuscrits de fabliaux (2010-2014), financé par le Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada, par le Fonds National pour la Recherche Scientifique en Suisse et par la Deutsche Forschungsgemeinschaft en Allemagne, a mis au centre de sa démarche les véhicules de la transmission écrite des fabliaux, à savoir la quarantaine de manuscrits et de fragments arrivés jusqu’à nous contenant un ou plusieurs spécimens du genre. Décrire la composition et l’agencement de chacun d’entre eux au Moyen Âge, leur cadre typologique de référence et l’orientation littéraire et culturelle dans laquelle s’inscrit leur réalisation, telle a été la tâche prioritaire de l’équipe du projet, composée de spécialistes expérimentés et de jeunes chercheurs rattachés aux universités de Montréal, Genève, Zurich et Göttingen1. Bien entendu, ce long mais stimulant labeur devait poser à la base la datation de chaque témoin et son ancrage dans un contexte géographique et socio-culturel aussi précis que possible. Ce préalable n’a pas été contourné. Le démontrent les préoccupations et objectifs qui marquent l’un des premiers aboutissements du projet, le numéro thématique de la revue Études françaises paru en 2012 (t. 48/3). Les membres de l’équipe ont cependant été confrontés à un écueil de taille : l’incertitude et parfois même le caractère contradictoire de nos connaissances entourant la question capitale des centres de production des manuscrits vernaculaires à l’époque médiévale.
Malgré les avancées notables que les études des codicologues, des paléographes, des philologues, des historiens du livre et des spécialistes de la décoration et de l’enluminure ont permis d’accomplir au cours des trente dernières années, force est de constater que, pour les manuscrits
vernaculaires et a fortiori pour les manuscrits français, les contours des aires et des centres de production demeurent flous, faiblement marqués et somme toute instables, notamment en ce qui concerne le cœur de notre corpus : les recueils littéraires du xiiie siècle et de la première moitié du siècle suivant. Nombre de facteurs concourent à ce sentiment d’imprécision : la nature souvent inachevée ou opaque des recueils (libelli, recueils cumulatifs, recueils composites), le rôle encore mal défini du livre vernaculaire jusqu’au début du xive siècle, la précarité des lieux de conservation au fil des siècles (notamment sur le continent), les résultats parfois peu probants auxquels arrivent les analyses linguistiques, le manque de coordination entre les spécialistes des différentes composantes du manuscrit (écriture, décoration, illustration, textes) et la circulation parfois difficile des résultats produits dans chaque domaine de spécialité.
Sans prétendre résoudre ici cet ensemble de problèmes, dont l’origine est bien souvent in re et les issues enchevêtrées, nous avons choisi de concentrer nos efforts sur la question des centres de production de nos recueils, chacun selon ses créneaux d’élection et sa perspective heuristique, et de confronter nos doutes, nos acquis et nos hypothèses au sujet de témoins individuels ou de constellations cohérentes au cours de journées d’étude organisées à l’Université de Montréal les 24 et 25 octobre 2013. À l’approche de cette rencontre, il nous a paru vital d’inviter des spécialistes confirmés travaillant habituellement sur d’autres ensembles de manuscrits, selon différents angles d’approche et à la lumière de compétences variées, afin qu’ils puissent nous éclairer en proposant de nouvelles méthodes et en ouvrant de nouvelles pistes d’analyse.
Sans trop de surprise, deux aires décisives, aussi bien pour la composition des récits brefs et des fabliaux que pour leur rayonnement jusqu’en 1350, se taillent la part du lion : le Nord-Est d’oïl et l’espace anglo-normand. Au sein de ce dernier, des suggestions nouvelles de localisation sont proposées par Maria Careri, à la lumière du travail de fond qui a conduit à la récente publication du catalogue illustré des manuscrits français du xiie siècle, tandis que deux jeunes chercheuses de l’équipe, Beatrice Barbieri et Isabelle Delage-Béland, se sont penchées sur certains spécimens insulaires comportant également des fabliaux, parmi une masse parfois impressionante de textes dont l’interprétation globale reste difficile. Du côté de la Picardie et de ses abords, la multitude de centres très actifs entre 1250 et 1320 environ et la difficulté – endémique,
dans bien des domaines – d’en cerner avec assurance les caractéristiques et lignes de force individuelles n’ont pas empêché d’aborder sous un nouveau jour la production réelle ou supposée de quelques centres : Arras, entre mythe historiographique et réalité matérielle (Olivier Collet), Soissons et son ancien diocèse, au-delà des volumes consacrés à Gautier de Coinci (Gabriele Giannini), Tournai, à la lumière des témoins du Reclus de Molliens (Ariane Bottex-Ferragne). Suivent des contributions où, l’aspect géo-culturel étant moins urgent ou mieux défini dès le départ, des interrogations plus fines peuvent être formulées : le sujet du recueil composite, à partir de deux spécimens dialoguant à distance (Gaëlle Morend-Jaquet), les questions d’interprétation que soulève une tradition manuscrite circonscrite et solidaire, celle de Watriquet de Couvin (Julien Stout), ou les perspectives se dégageant d’une considération renouvelée des mises en prose illustrées, vers le milieu du xve siècle, dans l’atelier du Maître de Wavrin (Isabelle Arseneau). Les actes se closent sur l’étude par Alison Stones de l’illustration des témoins de fabliaux, avec le double intérêt de soulever ainsi des problèmes d’attribution et de permettre de tisser d’autres types de liens entre les manuscrits.
Sans vouloir apporter des réponses définitives à la question fondamentale des centres de production des manuscrits médiévaux, ces actes ont l’ambition d’attirer le regard sur un aspect qui reste essentiel à toute enquête portant sur la littérature médiévale et sa réception et, au final, de poser quelques jalons pour l’histoire du livre vernaculaire au Moyen Âge.
Gabriele Giannini
Francis Gingras
Note : sauf indication contraire, les fabliaux (titres, textes, variantes) sont cités d’après le Nouveau recueil complet des fabliaux, éd. par Willem Noomen et Nico van den Bogaard, 10 t., Assen-Maastricht, Van Gorcum, 1983-1998, désigné par le sigle NRCF.
1 Il s’agit, suivant l’ordre alphabétique, de Beatrice Barbieri, Ariane Bottex-Ferragne, Olivier Collet, Isabelle Delage-Béland, Gabriele Giannini, Francis Gingras, Serena Lunardi, Gaëlle Morend-Jaquet, Olaf Posmyk, Julien Stout et Richard Trachsler.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-8124-4752-5
- EAN: 9782812447525
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-4752-5.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-25-2016
- Language: French