L’écriture à rebours Michaux, Dotremont, Blaine
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Le Primitivisme des avant-gardes littéraires
- Author: Linarès (Serge)
- Pages: 263 to 285
- Collection: Encounters, n° 595
- Series: Twentieth and twenty-first century literature, n° 46
L’écriture à rebours
Michaux, Dotremont, Blaine
On sait combien l’exemple de Gauguin, parti pour Tahiti, puis pour les Marquises se retremper aux sources vives de peuples en sursis, soumis à une occidentalisation rampante, mais alors incomplète, entraîna à sa suite une chaîne d’influences sur l’Europe des arts. Dans le domaine des lettres, les tableaux et les textes du peintre provoquèrent une fièvre contagieuse, affectant des personnalités aussi éloignées poétiquement et géographiquement que Segalen en France ou Ball en Allemagne. Informé de la présence de Gauguin en Polynésie par Remy de Gourmont ou encore Saint-Pol-Roux, Segalen consulte sur place les archives de l’artiste dès après sa mort en 1903, visite sa case à Hiva-Oa, rencontre les témoins de sa vie, acquiert certaines de ses productions. Depuis l’exposition de Weimar en 1905 et la publication de la monographie de Jean de Rotonchamp à cette occasion, l’œuvre de Gauguin voit son retentissement croître dans les milieux d’avant-garde germaniques. Selon Giovanni Lista, le terme « dada », promis à la désignation du mouvement de 1916, pourrait trouver son origine dans une citation de Gauguin donnée par Rotonchamp dans son essai, une décennie plus tôt1. Le même Lista range Ball au nombre des lecteurs fervents de Gauguin, dont le fac-similé du manuscrit autographe d’Avant et Après est publié à Munich en 1914. En tout cas, l’ascendant du peintre détermine assurément le caractère océanien du primitivisme plastique de peintres comme Heckel, Kirchner et Nolde. Et il jouit d’une incontestable autorité sur les sensibilités de poètes – de Ball à Hausmann – en litige avec l’évolution contre-nature de la modernité industrielle et urbaine.
Cela dit, il est une limite à cette modélisation de l’œuvre de Gauguin. À notre connaissance, il n’est pas tenu compte d’une de ses leçons : sa fascination pour l’écriture polynésienne la plus ancienne. Et pour cause ! 264Le portrait intitulé Merahi metua no Tehamana (1893), dont la partie supérieure est ornée de glyphes dorés qu’inspirèrent des tablettes découvertes sur l’île de Pâques en 1864 et présentées à l’Exposition Universelle de 1889, fut très peu exposé au tournant des deux derniers siècles2 : en 1893 à la Galerie Durand-Ruel, en 1895 à l’Hôtel Drouot, en 1901 à la Société des Beaux-Arts de Béziers. On peut déplorer ce rendez-vous manqué avec la postérité, laquelle aurait pu s’instruire de l’attirance de Gauguin pour les vestiges d’une écriture originelle et prospecter dans son sillage les possibilités d’un primitivisme scriptural. En vérité, ce rendez-vous aurait-il alors été fructueux ? Dans leurs rapports aux signes linguistiques, nombre d’avant-gardes historiques donnèrent la priorité aux recherches phoniques. Ainsi, lors de la « soirée expressionniste » du 12 mai 1915 au Harmoniumsaal de Berlin, Huelsenbeck déclame des « poèmes nègres » dont chaque vers est ponctué de la tonitruante formule : « Umba ! Umba3 ! ». Du côté des futuristes italiens, le travail sur la matérialité de l’écrit privilégie la notation alphabétique, qui vise à représenter les sons d’une langue. Dans un manifeste traitant de l’Alphabet à surprise de Cangiullo (1916), Marinetti tient notre mode d’écriture pour absolu : « L’alphabet contient aujourd’hui toutes les significations, tous les symboles, tous les rapports spirituels, toutes les sensibilités artistiques et toutes les idéologies que de nombreux siècles de pensée humaine y ont condensées4. » En définitive, l’exploitation figurale de la lettre pratiquée par Cangiullo ne conteste nullement l’attribution, alors courante, d’une supériorité à l’alphabet occidental sur tout autre système. Dans ce type d’expérimentations, le phonétisme s’accommode sans mal d’une plasticité littérale qui n’ébranle pas fondamentalement ses fonctions verbales et qui en consacre même la prétendue suprématie culturelle.
Il en va tout autrement avec un poète comme Michaux qui, des années plus tard, aspire à une échappée hors de la sphère de pensée dont il a hérité. Pas plus que ses prédécesseurs, il n’a connaissance du tableau de Gauguin – peintre pour lequel aucune de ses publications ne 265témoigne, d’ailleurs, d’intérêt tangible. Mais, sa vie durant, il poursuit une aventure ontologique qui le conduit sans cesse à tenter des sorties hors du carcan linguistique, dont le caractère rationnel et désincarné le rebute. Le fait est que sa quête existentielle l’entraîne à élaborer un imaginaire des écritures archaïques à contrevoie des attributs de l’alphabet, et à en nourrir un univers de graphismes délibérément privés d’articulation vocale. Il n’en faudrait pas conclure que le goût pour les écritures venues du fond des âges va forcément de pair avec une totale désaffection pour l’alphabet. On en veut pour preuve le cas de Dotremont, dont l’intérêt pour les langues les plus datées n’entre pas en conflit ouvert avec la conversion phonétique du français. Son itinéraire poétique est jalonné de manifestations de curiosité pour les traditions idéogrammatiques comme pour les transcriptions alphabétiques ; il débouche sur des essais toujours recommencés d’expressivité calligraphique qui repoussent les limites du prononçable. L’exercice de la performance, dont on connaît la filiation dadaïste, serait-il contraire à l’inclination pour les prémices de l’écriture ? Julien Blaine apporte un démenti à cette conclusion. Sa sollicitation des ressources de l’organique et du pulsionnel ne fait pas l’économie d’une archéologie du signifiant visuel. Blaine entend marier dicible et scriptible sur l’autel du primitivisme. Plus généralement, à travers ces trois exemples, il s’agira de montrer qu’il arrive à la poésie moderne sous ses formes graphiques, calligraphiques ou performées d’éprouver les capacités matérielles du signe et du geste en se ménageant un arrière-plan rétrospectif, constitué d’un réseau de sources matricielles.
Michaux ou la pictographie gestuelle
Jamais entamée au fil de ses voyages et de ses expériences, l’obsession de Michaux pour les démonstrations d’oralité linguistique aurait dû, en bonne logique, le prédisposer à célébrer l’alphabet, dont la figuration phonématique constitue la visée fonctionnelle. Dans Un barbare en Asie (1933), il juge très volontiers des langues sur leurs acoustiques – depuis le malayalam ou le tamoul du sud de l’Inde jusqu’au javanais, en passant 266par le cinghalais et le japonais5. En pleine maturité créatrice, il soumet le lexique et la syntaxe d’un poème comme « Iniji » aux combinatoires sonores : « Si tu vas Nje / Nja va da / Si tu ne njas / njara ra pas6 ». D’ailleurs, la tentation d’une vocalité préverbale, proche du babil le plus élémentaire, s’accommode ici d’un régime d’écriture capable de visualiser la parole ; elle en vérifie l’efficacité grâce à la restitution graphique de néologismes à portée phonique, plus que sémantique. Il n’en demeure pas moins que Michaux met l’alphabet en procès. La raison politique n’est pas à exclure. L’alphabet, en tant que système scriptural en usage parmi les puissances occidentales, peut apparaître comme le bras armé de leurs entreprises colonisatrices. Dès Ecuador (1929), Michaux professe son dégoût de « la civilisation moderne, l’européenne7 », et dans Un barbare en Asie, il oppose volontiers l’Hindou à l’Occidental ou à l’Anglais au détriment de ces derniers8. Encore convient-il de nuancer : c’est à l’alphabet latin que s’en prend le poète. Pour preuve, il n’est pas avare de compliments pour les langues orientales usant de syllabaires, telles que le sanscrit9. Il est aussi une cause ontologique à la mise en accusation de l’alphabet. À l’autre extrémité de l’œuvre, dans Par des traits (1984), la diatribe de Michaux contre les langues constituées réserve un sort particulièrement rude au code abécédaire, dont il fait le « stade final de l’abstrait » et le lieu d’exercice « du pouvoir d’éliminer la réalité et le concret10 ». La transcription phonographique est, à ses yeux, le point d’aboutissement d’une démarche rationaliste, rompant tout lien avec le monde comme avec le palpable et, par là, privant l’homme de naturel comme de liberté.
Toutefois, Michaux n’a pas la naïveté de croire en la totale négativité de la médiation alphabétique. Dans un poème en prose d’Épreuves, exorcismes (1945), il relate sa vision des « approches de la mort » et, au plus fort de son éloignement du monde des vivants, ne parvient à conserver d’eux qu’un semblant de lettres dessinées : « Ils s’amenuisèrent et se 267trouvèrent réduits à une sorte d’alphabet, mais à un alphabet qui eût pu servir dans l’autre monde, dans n’importe quel monde11. » Menacé par la perte de son univers, Michaux envisage son système de signes le plus familier comme un recours : les caractères, non contents de devenir les traces ultimes d’une réalité en voie d’anéantissement, se changent en instruments potentiels de communication absolue au point d’être les porteurs d’un espoir d’expression pleine et entière. Les illustrations accompagnant le texte dans Peintures et dessins (1946) en concrétiseront les contours sous la forme de caractères anthropomorphes ou zoomorphes, logés dans des cases qui paraissent organiser une sorte de casse calligraphique à disposition de la plume12. Quoi qu’il soit, la mélancolie du poète dans ces lignes, en tant que symptôme d’un fantasme de complétude, trahit la persistance de ses ambitions de totalité à l’égard du langage écrit. Son récit de cauchemar laisse poindre un rêve de graphie absolue. Aussi convient-il de regarder sa critique de l’alphabet comme le pendant d’une déception à l’endroit des emplois et des possibilités réservés aux graphèmes existants, et de considérer sa recherche de systèmes de substitution – supposés ou réels – comme le double effet d’une résistance à la désillusion linguistique et d’une incapacité au renoncement littéraire.
Tel est bien le fond sur lequel s’enlève la problématique du primitivisme scriptural chez Michaux. Le deuil de sa croyance dans les capacités de l’alphabet latin ne vaut pas pour renoncement à son idéal de plénitude langagière, qu’il déporte du côté des écritures inventées ou originelles. C’est ainsi qu’en envisageant, dans un album graphique de l’année 1942, les « arbres des Tropiques » comme une forêt de signes, il ne se livre pas à une simple projection métaphorique de son mode d’expression, mais donne corps à sa chimère de graphie végétale, enracinée dans la terre nourricière, au cœur du milieu matriciel. Le texte de présentation des dessins conçoit les arbres exotiques comme des orateurs, des mystiques ou des prophètes à la parole exaltée (« arbres au style naturellement dramatique et déclamatoire. / Arbre blasphémateur. Arbre après la transe. […] / Arbre hurleur, tripes dehors, tripes de la lamentation13. »), et leur anthropomorphisation culmine avec l’identification au mouvement 268corporel (« Il faut voir l’arbre à part, son geste. Il est tout geste14. »), soit avec le rêve d’un système verbal complètement incarné. Lorsque les signes sont animalisés, par exemple convertis en esquisses d’oiseaux pour d’hypothétiques augures, ils se résorbent dans une parfaite indicialité. Ainsi, au terme du « Portrait des Meidosems », qu’illustre la lithographie d’une nuée d’indéchiffrables tracés15 : « Des ailes sans têtes, sans oiseaux, des ailes pures de tout corps volent vers un ciel solaire […] qui lutte fort pour le resplendissement, trouant son chemin dans l’empyrée comme un obus de future félicité16. » Comment mieux dévoiler son espérance d’une écriture organique et spontanée qu’à travers cette vision d’une aurore de signifiants se détachant avec énergie de la page blanche, transfigurée par l’image d’une voûte céleste en cours d’illumination ?
Cette mystique du signe, voilée de nostalgie, parfois de dépit, oriente à tel point la pensée de Michaux qu’elle donne lieu à une spéculation sur les fondements de la parole et de la graphie. L’essai conclusif de Par des traits cède à l’imagination de leur genèse, à la faveur d’un récit des origines monté de toutes pièces par Michaux pour la satisfaction de son tropisme scriptural :
On ne rencontre pas de langues inachevées – à moitié faites, abandonnées à mi-parcours (ou bien avant).
Combien pourtant il a dû y en avoir, laissées en arrière, des avant-langues, à jamais inconnues. Commencements d’on ne savait quoi encore, distractions d’un moment… loisirs de la chasse pendant les heures d’attente, jeux quand les mondes comptables n’étaient pas nés.
… des jeux où plus tard s’introduisirent les hommes portés à l’ordre, du type dirigeant, futurs organisateurs de la planète […].
Le passager, le surprenant du spontané, du momentané, allait disparaître, éliminé. […]
Les menottes des mots ne se relâcheront plus.
Nulle part elles ne manquent […]. Toutes arrêtent, chacune en son genre s’emparant du monde. Il faut que tout devienne tissu, leur tissu, que l’arbre devienne tissu, que la brise passagère, que le lointain aussi bien que le proche devienne tissu, et l’oiseau en plein vol, et l’âme bousculée et le sang lui-même, que le sang qui coule devienne tissu et ennui et esclavage et chose commune, quelconque, monotone17.
269Outre qu’elle blâme ouvertement la communication verbale, la fiction proto-linguistique de ces lignes fustige en creux la naissance du texte en jouant sur l’étymologie latine textus (« trame ») et en évoquant l’arbre et l’oiseau, éléments du paysage assimilables, comme on a vu, à des signes pré-sémantiques par anticipation. À l’aune d’une pareille utopie rétrospective, tous les systèmes d’écriture sont jugés antinaturels et liberticides, même si les plus archaïques présentent le mérite d’une antériorité historique qui leur épargne la sophistication. De façon significative, Michaux préfère considérer le vieux perse, plutôt que le sumérien, comme « le langage clef18 » qui, en dépit de son usage du cunéiforme, aurait arrêté toute progression de l’humanité, sans doute parce que ce dialecte, devenu la norme de l’Empire achéménide par décision du roi Darius Ier, est venu sceller l’union de l’autoritarisme politique et de l’arbitraire linguistique.
Selon les étapes de son histoire, le chinois fait aussi l’objet de niveaux d’estime différenciés dans l’essai tardif de Michaux sur les idéogrammes. Les caractères les plus anciens entraînent davantage son adhésion que les suivants, moins conformes au monde dont ils fournissent l’écho énonciatif. Leur « lisibilité primitive » reposait sur leur capacité à « montr[er] plutôt que choses, corps ou matières, montr[er] des groupes, des ensembles, expos[er] des situations19 ». Par la suite, ces « archaïques caractères qui émouvaient le cœur20 », « penchés sur la réalité21 » dans toute son étendue, subirent, selon Michaux, l’assaut confiscatoire des mandarins dont les intentions élitistes affectèrent leur naturalité en augmentant leur degré d’abstraction. Comme pour le cunéiforme, l’action de la classe dirigeante se montre fatale, dans l’esprit de Michaux, à la survie d’un rapport de motivation entre le donné et son commentaire. Et ce serait, dans un troisième temps, la redécouverte de ces « caractères d’autrefois22 » sur les monuments, les vases et les « os divinatoires23 » des époques reculées qui aurait irrigué la pratique de la calligraphie et, ce faisant, redonné de l’élan à l’incarnation des signes. En tout cas, la racine pictographique des 270idéogrammes chinois (comme des hiéroglyphes égyptiens), si éloignée soit-elle de ses dérivés idéographiques, suffit à susciter chez Michaux un retour de croyance dans les vertus de la graphie. Et le poète de lâcher la bride à son lyrisme, plusieurs vers durant, malgré la dominante de prose de son essai dès qu’il est question du tracé artistique des caractères24.
Sa production plastique ne saurait, dans ces conditions, se regarder déliée d’un espoir d’écriture régressive. Perplexe quant aux possibilités calligraphiques de l’alphabet, Michaux entend explorer le champ strictement visuel, nullement verbal, des « mouvements » et des « gestes25 ». Il cherche à saisir les rythmes de son « être fluidique26 », en deçà de son identité parlante, ce qui se solde par des tentatives pour renouer avec la sensation et l’impulsion d’un tracé sans visée énonciative, doté, à la rigueur, d’une intention figurale. Comme il le déclare lui-même, il escompte former des « [s]ignes / […] / non d’archives et de dictionnaire du savoir / mais de torsion, de violence, de bousculement / mais d’envie cinétique », des « [s]ignes surtout pour retirer son être du piège de la langue des autres », des « [s]ignes pour retrouver le don des langues27 ». Son horizon demeure l’écriture, mais une écriture qui, n’étant pas attestée ni abstraite, proposerait, selon son mot, une « image mimique28 », une sorte de pictographie gestuelle29. Certes, la peinture offrirait, à ses yeux, un périmètre plus accueillant au « primitif », au « primordial », « n’étant point partie d’un langage organisé, codifié, hiérarchisé30 ». Et Michaux ne manqua pas d’en sonder les facultés émancipatrices dans le pan le plus coloré et le moins délinéé de son œuvre plastique. Mais il s’obstina, tout au long de sa carrière de dessinateur, à user du trait noir – dans Mouvements (1951), Parcours (1967), Par la voie des rythmes (1974), Saisir (1979) comme dans Par des traits (1984). C’est bien que jamais il ne se résolut à délaisser le geste d’inscription, quitte à donner à son public 271le spectacle répétitif, voire compulsif de « [l]ignes, seulement lignes », réinventant une « écriture » « [d’]aucune langue » « [s]ans appartenance, sans filiation31 », c’est-à-dire aussi primaire qu’imaginaire.
Dotremont, ou l’idéographie alphabétique
À la différence de Michaux, Dotremont renonce à la pratique exclusive des arts plastiques après quelques essais ponctuels et infructueux32. S’il se montre plein d’initiative et d’allant lors de collaborations avec des peintres – par exemple durant l’exécution de peintures-mots dès 1948 avec Asger Jorn ou encore, peu avant son décès en 1979, avec Michel Mineur – c’est bien que son action graphique porte sur l’alphabet et, respectant les prérogatives des partenaires successifs, sait se tenir aux confins du lisible et du visible. Reste que le maintien dans l’expression littéraire et le système phonographique se fait au prix d’une démarche involutive, censée favoriser l’épanouissement gestuel du sujet lyrique. L’invention du logogramme en 1962 – sorte de calligraphie automatique d’un texte soumis aux associations de hasard et d’imagination comme aux impulsions de la main et aux états du papier – résulte d’une hostilité à l’imprimé et d’un retour au manuscrit. Pour Dotremont, ériger l’autographe en finalité absolue de l’œuvre littéraire, non plus en état transitoire avant composition et reliure, est un acte assumé de régression technologique. Dès 1950, il confie son sentiment d’être nié dans son corps et dans sa sensibilité par la mise au net, puis par l’édition de ses textes :
Imprimée, ma phrase est comme le plan d’une ville ; les buissons, les arbres, les objets, moi-même nous avons disparu. Déjà lorsque je la recopie, et me fais ainsi contrefacteur de mon écriture naturelle, elle a perdu son éclat touffu ; ma main est devenue quelque chose comme le bras d’un pick-up ; […]33.
272Une fois acquise la maîtrise de son langage manuel, Dotremont attente volontiers à la typographie dans certains logogrammes improvisés sur des journaux. Un périodique finlandais de l’année 1965 sert ainsi de support à la rédaction sur le vif d’un poème à trois temps qui, non content de jouer sur les déclinaisons visuelles de la lettre A (A, Æ, Ä) pour inaugurer chacune de ses divisions sur une singularité optique, donne le spectacle d’une déstructuration complète de sa graphie34. Deux états chronologiques de l’écriture sont ici confrontés au profit du plus ancien. Contre toute logique de consécution historique, les cursives tracées à la craie noire, par leur aspect conquérant, remisent l’imprimé à l’arrière-plan et s’offrent comme un avenir pour la représentation rétinienne de la parole. En 1971, ce n’est pas sans esprit de provocation joyeuse que Dotremont fait paraître Typographismes I, un catalogue de caractères pour « imprimerie imaginaire », dont l’utilité professionnelle reste pour le moins sujette à caution : tout y est donné en reproduction de manuscrit.
Au fil de son parcours créatif, Dotremont se propose de vivre une autre forme de rétrogradation, fût-elle plus fantasmée que fondée. Historiographe de lui-même, il fait le récit de sa révélation de l’iconicité des lettres latines dans le numéro d’automne 1950 de la revue Cobra. Une erreur de manipulation d’un brouillon autographe l’aurait conduit à regarder une de ses phrases par transparence, à l’envers et à la verticale :
Je m’aperçus alors que sans le savoir, puisque je l’avais tracée horizontalement, j’avais « écrit » une phrase fort mystérieuse, où dominaient les caractères chinois, mongols peut-être, arabes aussi (mais si l’on va de gauche à droite au lieu d’aller de haut en bas) […] je me trouvais au-delà de ma propre écriture ; et j’eus l’impression d’avoir été, en traçant quelques mots de français, le scribe aveugle d’un écrivain que je ne connaissais pas encore ; un médium ignorant de son pouvoir. […]
Je m’aperçus d’ailleurs en « lisant » avec la même méthode tout mon manuscrit ou presque, puis d’autres de mes manuscrits, que j’écrivais toujours chinois […]35.
La valeur fondatrice de ce moment pour Dotremont réside moins dans l’orientalisation de l’écriture – évoquée au demeurant avec une distance 273humoristique – que dans l’émergence d’une forme d’idéographie au sein du système alphabétique. Dotremont sait-il alors que l’alphabet grec était, pour partie et par ricochet, issu de certains hiéroglyphes empruntés à l’égyptien antique par son modèle phénicien ? En tout cas, il ne se résout pas à l’emploi de signes qui transcriraient exclusivement des unités phonétiques jusqu’à l’arbitraire, et il entend y injecter un peu du fonctionnement des idéogrammes, qui bénéficient à la fois de l’antériorité historique et de la capacité à nouer un rapport de proximité mimétique ou conceptuelle avec le monde. Soustrait à la tentation pictographique dont Michaux n’est pas exempt, le logogramme alphabétique de Dotremont se rapproche, sans s’y confondre, de l’idéographie de deux façons. Tout d’abord, il revêt en amont une dimension calligraphique par où transite la gestuelle du scripteur comme dans les traditions extrême-orientales, même si sa portée représentative se borne à relayer sur le papier la dynamique physique et impressive de la subjectivité en action. Ensuite, il dispose en aval d’une apparence idéogrammatique qui, sans être vérifiable dans le contenu, n’en demeure pas moins suggestive pour le récepteur, du moins à la première vision. Gageons que Dotremont espère de son lecteur que face à ses productions au pinceau, il soit porté à connaître le déplacement historique et l’exotisme linguistique dont il se dit l’objet devant des « textes égyptiens, ou chinois » indéchiffrables : « Je les comprends, en fait : lorsque je “lis” une page d’écriture chinoise, je suis dans les rues de Pékin36 ».
Le choix du terme « logogramme » pour désigner ses démonstrations d’encre est, de la part de Dotremont, un abus de langage. Aucun des caractères tracés ne contient à lui seul une notion ou un lemme comme dans l’écriture idéographique. Encore Dotremont prend-il soin d’employer le mot au singulier pour chaque réalisation. Il dénomme ainsi un ensemble, et non ses composantes isolées, comme pour donner momentanément le change sur sa nature linguistique. Il lui confère, par là, un horizon extra-occidental de pure hypothèse qui fait, comme on l’a vu, travailler l’imagination, ainsi qu’un ancrage archéologique des plus reculés, qui lui suppose une filiation pré-alphabétique. Car le logogramme est l’apanage des modes d’écriture les plus anciens, depuis les hiéroglyphes jusqu’aux sinogrammes. Pour autant, Dotremont se 274nourrit aussi d’exemples ancestraux liés à l’inscription phonographique. Peu après l’exécution des premiers logogrammes à l’encre de Chine, il apprend des rudiments « de langue et d’écriture gaéliques37 » à Dublin, intéressé par l’étrangeté graphique de glyphes connus pour adorner de somptueux manuscrits médiévaux. N’étant pas d’extraction latine, l’alphabet runique ouvre davantage les écluses de son inspiration. Son unique roman, La Pierre et l’Oreiller (1955), procure un champ d’action notable à ce système disparu auquel il a été initié par Raoul Ubac et qu’il associe à la femme aimée, la Danoise Bente Wittenburg (Ulla dans le livre), native du pays où se trouvent conservées les plus anciennes inscriptions. Une pierre runique devient ainsi le centre magnétique de la passion du narrateur pour Ulla, qui le rejoint au Danemark à compter du chapitre xii. Dès le suivant, un inquiétant rituel de séparation entre les amants s’achève aux abords du vestige, qui apparaît comme un point de stabilité : « Nous nous disions au revoir ou adieu tous les jours. J’emportais cet au revoir à travers la ville aux maisons basses, je m’appliquais à garder allumée le plus longtemps possible la cigarette allumée encore chez Ulla, je ne la jetais qu’en vue de la pierre runique38 ». À croire que cette pierre, première dans le titre de l’ouvrage, aimante et oriente les agissements du narrateur qui lui prête obscurément le pouvoir de désamorcer son destin, voué à la catastrophe.
Dans la plaquette intitulée Fagnes (1958), il est un passage où la pierre écrite, recueillant « le texte définitif », concentre le monde dont elle fournit le discours et la représentation : « […] la pierre est la saga d’un village / d’herbes d’insectes de brins / […] le ciel est l’agrandissement / de la pierre et son éparpillement39 ». Cette pierre, dont on peut supposer par association d’idées avec le roman qu’elle est chiffrée d’inscriptions runiques, captiverait-elle à ce point le poète si elle n’était le témoignage des temps archaïques ? Le recueil se clôt sur l’alliance fantasmatique de la préhistoire et de l’histoire40. Et le roman prétend que « [l’]homme moderne cherche une pierre préhistorique où poser la tête » et que « Paris 275est tout entier hostile à l’homme préhistorique qui se lève déjà des ruines de l’histoire41 ». Moyennant une distorsion paradoxale de la notion de « préhistoire », période précédant l’apparition de l’écriture, Dotremont appelle de ses vœux un renouvellement de l’humanisme au sortir des horreurs de la guerre qui passerait par la réconciliation avec notre passé primitif, notamment par le moyen du tracé scriptural, antérieur à l’âge de notre civilisation technicienne. C’est précisément le thème d’un de ses derniers logogrammes, qui joint le geste calligraphique à la parole idéaliste. En voici quelques extraits significatifs :
Ô Préhistoire, bonjour, notre utopie te réveille, doit te réveiller […] pour rêver à plus de réel […] notre utopie ne peut pas être […] retour trop rêveur à toi, recommencement illusoire de toi, ô préhistoire. […] mais notre utopie a besoin de quelque chose de toi qui n’est plus, de quelque chose de nous qui était chez toi comme elle a besoin même de quelque chose qui n’a pas encore été […] ô préhistoire que notre utopie doit réveiller pour ne pas être seulement une perspective écrasée du [réel] d’aujourd’hui dans une planification floue d’avenir, pour ne pas être seulement une perspective, mais un rythme surprenant de toutes fraîcheurs et chaleurs du temps42.
Contre la tyrannie aliénante de l’immédiat, Dotremont préconise à ses contemporains de se ressaisir de l’entièreté historique de l’aventure humaine depuis les origines et, conjuguant rétrospection, actualité et prospective, de connaître l’épiphanie du vivant en pensée comme en expérience. L’apparence de ce logogramme de 2,18 m sur 1,81 m, démesuré, touffu, à la fois fluide et syncopé, s’en veut l’illustration en acte. Prêchant d’exemple, il montre une pensée en instance de formation et de formulation, qui spécule sur l’abolition sensible du temps tout en réinventant graphie et syntaxe sous les effets réunis du regard et du geste.
Lecteur assidu de l’Histoire de l’écriture de James Février43, Dotremont fut sans doute marqué par deux passages en phase avec ses conceptions. 276L’un rappelle que la pyroscapulomancie (la lecture divinatoire des écailles de tortue) présida à la naissance de l’écriture chinoise44. Acteur décisif de l’invention, le support naturel pouvait servir à confirmer la validité de la « notion de matière imageante, […] et non seulement imaginée45 », développée par Gaston Bachelard, un des maîtres déclarés de Dotremont. L’autre moment de l’étude à faire son effet sur le poète fut assurément la partie de l’introduction qui attribuait à la préhistoire les débuts, très embryonnaires, de la lecture : les empreintes des animaux dans la neige auraient fait des chasseurs magdaléniens les premiers déchiffreurs de signes. Comment Dotremont n’aurait-il pas été ému par une hypothèse qui le confortait dans sa fascination pour les espaces enneigés et pour leur pouvoir de révélation ? Car il ne concevait le logogramme qu’en rapport direct ou remémoré avec le paysage lapon, découvert durant l’hiver 1956-1957 et parcouru, onze autres fois, jusqu’en 197846. Son inclusion participative à ce territoire septentrional consista alors à exécuter des logoneiges et des logoglaces, soit des écritures à même le sol, bâton en main. À son retour, il pouvait, disait-il, « avoir le sentiment », en traçant un logogramme, « d’être un Lapon en traîneau rapide sur la page blanche, et de saluer la nature comme au passage, par la forme même de [s]on cri ou de [s]on chant ou des deux tout ensemble47 ». Son attrait pour le primitif, à la source de ses calligraphies spontanées, était donc fondé sur un effort de régression temporelle aussi bien que sur une expérience d’immersion spatiale, dont il ne se lassa pas, jusqu’à la mort, de relancer l’intensité, séjour après séjour, tracé après tracé.
277Blaine, ou la phonographie réincarnée
Blaine, quant à lui, ne bannit pas de son œuvre la question de l’inscription des signes. Sa pratique de la performance entre 1962 et 2005 ne chasse pas de son esprit les réalités de l’alphabet, qu’il n’a de cesse d’interroger et de réviser. Blaine est redevable à la typographie expressive de sa relation scopique à l’écriture. Auteur d’un Cours minimal sur la poésie contemporaine en 2009, il y réserve une place centrale aux recherches avant-gardistes sur la plasticité des caractères. Si le trajet de cet ouvrage débouche sur la poésie de performance, dont Blaine se veut un des principaux acteurs, il prend pour point de départ les propositions de Mallarmé (du Coup de dés au projet du Livre) et n’a de cesse de jalonner d’expérimentations typographiques le récit de la geste des pionniers, qu’il évoque les mouvements futuristes et dadaïstes, ou des individualités comme Pierre Albert-Birot et Michel Leiris. Reproduire certaines notes du Livre mallarméen permet d’emblée de suggérer et de légitimer la convergence entre présentation textuelle et représentation scénique de la poésie48. Dans les deux cas, il y a sollicitation du volet palpable des signes et, ce faisant, ramification sensible de leur compréhension sémantique. En outre, Blaine tend à mettre l’accent sur l’image lorsqu’il évoque l’invention de l’alphabet, à la traverse du phonocentrisme dominant49. Dans un des 13427 Poèmes métaphysiques, l’association des préfixes « idéo », « photo », « picto » et du radical « gramme », puis leur convergence commune vers le terme « Écriture50 » apportent la démonstration du caractère visuel de la transcription, quitte à mobiliser, de façon anachronique, le langage propre au cinéma. Voilà qui insinue déjà une dimension spectaculaire dans la genèse de l’acte d’écrire, et favorise la circulation du poème entre le papier et la scène. De même, dans le poème « Photographie », 278la référence à l’oralité (« Vocalises-tu51 ? ») va de pair avec l’expressivité de la typographie et le rappel de l’étymologie du titre (« écriture de la lumière »), comme si l’apparition de la lettre était plus un phénomène optique que phonique. Haptique aussi, car il arrive à Blaine de se montrer sensible à la progressivité de la manuscription. L’« itinéraire », mentionné dans un de ses poèmes métaphysiques, renvoie ainsi au tracé du point-virgule, reproduit au cœur de la composition52.
Toutefois, Blaine ne considère pas l’alphabet comme un horizon unique et indépassable pour la poésie. Parmi les « moments forts de l’avant-garde53 » signalés dans son cours, il reproduit sous une forme typographique l’Ursonate de Kurt Schwitters, partition de « sons primitifs54 », tout en l’assortissant d’un extrait de la préface où l’auteur pointe les insuffisances de la transposition phonographique (« Naturellement, l’utilisation courante des lettres de l’ancien alphabet romain ne peut donner qu’une indication très incomplète de la Sonata parlée »). Aussi Blaine met-il parfois tous ses soins à reprendre à neuf le système alphabétique, à se saisir par l’imagination de la démarche qui le fit naître. Désireux d’incarner l’écriture, il se propose, dans un opuscule aux allures d’album, de « repren[dre]la ponctuation à zéro55 », soit de s’approprier par la plume la genèse des ponctèmes (point, point d’exclamation, point d’interrogation ou point-virgule, quitte à en inventer tels le « point d’ironie » et le « point de poésie »). À la lecture d’un tel fascicule, le lecteur a le sentiment d’assister à la germination de signes à partir d’un point matriciel. Si l’on en croit Ch’eng Yao-t’ien, que cite Isabelle Maunet dans sa postface au recueil Bimot, « poser un point » (comme poser un mot) en peinture chinoise, « c’est semer un grain : celui-ci doit pousser et devenir56 ».
De fait, lorsque Blaine est amené à calligraphier en public, il se réclame du Qi, cette philosophie chinoise de l’énergie vitale, dont le 279souffle universel traverserait l’animé et l’inanimé et dont toute matière serait la condensation. Son primitivisme n’est pas alors culturel, étant inspiré par une tradition de haute époque, mais ontologique. Il s’en explique dans un entretien avec Agnès Olive :
C’est une discipline chinoise où tu te mets en suroxygénation. Tu respires tellement que tu es plein d’oxygène, et au bout d’un moment tu as tellement d’oxygène dans le sang que tu perds un peu la tronche… Et là, je pousse un cri et en même temps je fais une trace, une espèce d’écriture, le noyau de l’écriture, le plus sec et le plus pur, le plus radical, comme ça sur une toile57 !
La finalité de Blaine n’est pas alors de délivrer un texte lisible58, ni même un mot identifiable, mais d’éprouver de la jubilation à rapporter l’action d’écrire à la dynamique du corps, mais de vivre la joie physique d’une inscription rythmée qui ébranle la conscience de l’être, devenu sur l’instant à la fois même et différent. L’illisibilité de ses Ch’i ne les prive pas de toute filiation avec l’écriture, dont ils conservent, sinon la visée référentielle, du moins la portée indicielle.
Cependant, il convient de ne pas étendre à toute l’œuvre de Blaine l’influence chinoise. Dans son Cours minimal sur la poésie contemporaine, il évoque bien le Qi à propos des poètes T’ang59, mais il multiplie les modélisations possibles de sa pratique poétique avec le rappel des oracles de la Pythie, des croyances des Indiens Hopis et Zuñis comme de la religion des Bamiléké60. Balançant entre primitivisme et exotisme sans démarcation toujours nette, il dresse l’inventaire du « patrimoine de la poésie en chair et en os61 » dans le temps le plus long et l’espace le plus large. Quand il y intègre « la spiritualité des Bamileke » du Cameroun (mais ce pourrait être, selon les « penchants » de chacun « telle ou telle autre culture africaine première naturelle62 », elle aussi frappée de plein fouet par la colonisation européenne), il en traduit la conception cosmogonique dans un poème aux consonances rituelles à dessein de 280changer notre rapport au monde, de le rendre, non pas religieux, mais moins conceptuel et plus réceptif à l’altérité comme à la nature63. Toute son entreprise dans cet ouvrage à vocation plus militante que réellement pédagogique consiste à raccorder les recherches avant-gardistes avec les civilisations premières ou menacées, au risque d’emprunter les voies de la téléologie et de l’épique, n’étaient les traits d’humour. Blaine a ainsi beau jeu de rappeler le goût de Marcel Duchamp pour les poupées amérindiennes des Pueblos d’Amérique du Nord avant de faire des ready-mades des « Kachinas modernes et occidentales64 ». D’ailleurs, il ne recule devant aucun transfert culturel dès qu’il s’agit d’esquisser une anthropologie des religions polythéistes et d’opérer leur rapprochement avec la création expérimentale. Il établit, par exemple, un schéma d’équivalences entre « la mythologie delphique » et la philosophie chinoise, en associant « CH’I », « PNEUMA », « TANG » et « PYTHIE65 », après avoir reproduit le texte de sa performance La Pythie claustrophobe (1969).
Ce comparatisme décomplexé vise, somme toute, à « RE-fabriquer notre mémoire réduite en cendres par les chiens de Dieu66 », comprendre les suppôts des différents monothéismes, coupables d’avoir liquidé, avec les paganismes, toute possibilité d’échapper à l’anthropocentrisme et au dualisme. Blaine n’a pas de mots trop durs à l’encontre du christianisme, qu’il accuse d’avoir causé un « génocide67 » sur les Indiens mais également, à compter de l’Inquisition, sur les traditions ésotériques de l’Occident médiéval. En 1965, il pousse l’attaque contre les « sectes monothéistes juives, chrétiennes et musulmanes68 » jusqu’à publier dans un périodique Le Livre, faux récit des origines qui prétend faire pièce aux religions abrahamiques. En filigrane, celles-ci sont rappelés à leur finitude et à leur cruauté, car elles trouvent un équivalent dans cette prétendue croyance qui se serait éteinte après six millénaires de dogmes et de crimes, et qui reposerait sur la résurrection de cadavres 281à des fins belliqueuses. Si l’esprit de ce texte mythologique hésite entre pastiche et parodie, il connaît une réalisation éditoriale qui en magnifie les versets avec le concours d’encadrés et de blancs, en dépit d’un format réduit. Le passage d’une parution en revue69 à une mise en livre en 2019 permet au titre, par un effet de réflexivité, de renvoyer à son état d’ouvrage imprimé, prédisposant le lecteur à la fétichisation de l’objet. Du reste, l’« avertissement » nous invite à ne pas prendre cette « bible70 » nouvelle à la lettre, mais à privilégier une approche sélective, morale et esthétique, inaccessible aux aveuglements de la piété : « Lisez Le Livre (“Je sors de là”) mais ne prenez à votre profit que ce que vous estimez juste et beau71. » En sous-main, l’écriture se voit aussi célébrée : elle naît d’un rapport magique à la nature, à savoir de la lecture d’une écorce parcourue de sillons72, et s’accompagne de peintures rupestres73.
Plus généralement, l’homme primitif suscite la fascination de Blaine, qui s’en inspire pour ses propres réalisations. Nombre de ses performances tendent à manifester le fond de sauvagerie de l’être, dépouillé, autant que possible, des codes sociaux et des attributs civilisationnels. Elles peuvent contrarier, contre toute vérité scientifique, la notion saussurienne d’arbitraire du signe comme en écho à d’ancestrales croyances dans le cratylisme. Par exemple, dans Ecfruiture, Blaine prend au sens littéral les formules « L’écriture c’est le pied » et « Écrire comme un pied » en écrasant sur une bande de papier une série de fruits qu’il nomme d’une voix âpre à chaque piétinement74. On le croirait alors céder à une théorie naturaliste du langage. Bien plus, sa vision de l’écriture se fonde sur un imaginaire des origines. Inscrivant sa pratique poétique dans « l’histoire de l’homme, l’histoire de l’animisme », il s’empare de la période de l’aurignacien supérieur qui vit l’homme écrire « au fond des grottes75 », pour en tirer leçon76. S’inspirant à l’évidence de l’illustration choisie par Georges Bataille pour la section de son essai 282sur Lascaux consacrée aux « signes inintelligibles77 », il compose un « poème métaphysique » à motif de grille intitulé « Préhistoire78 ». En 1986, il se livre à une performance dénommée Les mains négatives : poëme en chair et en os. Il se montre surtout aimanté par le motif primitif de la vulve, prégnant dans les inscriptions pariétales, qu’il apparente à une « espèce d’écriture originelle79 ». L’entrée dans ce type de cavernes ne s’apparente pas seulement, d’après lui, à une régression utérine, mais aussi à une remontée aux principes de l’écriture.
À cette focalisation sur le motif génital, on peut trouver une explication de nature mythographique. Optant pour le prénom d’emprunt Julien en remplacement d’un nom de baptême – Christian –, marqué par ce monothéisme catholique qu’il voue aux gémonies, Blaine semble le questionner par voie détournée dans la performance intitulée U : rébus/rebut. Celle-ci trahit l’obsession de Blaine pour la lettre « U », au cœur du mot « Julien », autant sur le plan des phonèmes (à commencer par le jeu de mots du titre) que sur celui des graphèmes : la capitale U fait l’objet d’un montage de reproductions et d’un dessin de couture qui permet, d’après le texte, de révéler « la beauté de l’image/ et du caractère », de décupler « la force du texte80 ». Le dispositif conduit surtout à précariser l’affirmation de la lettre, à lui associer à la fois le terme « lié » (« En fait ce devait être la lettre/ qui serait à moitié liée à (?), / pas tout à fait attachée, / pas tout à fait retenue… ») et la lettre « j » (à la fois visible dans la découpe du U et audible dans la formule : « Comme un j dont la cruelle prononciation s’est prolongée, a dérivé »). La performance lâche ainsi la bride à une variation phonique et graphique sur le prénom Julien au point de suggérer les flottements de l’identité auctoriale, dont le sort est la marginalité (« la mise au rebut ») et le cryptage (« la mise au rébus »). Dans ces conditions, on comprend mieux les variations de Blaine sur la lettre « U » qui, dans l’alphabet latin, s’écrit « V ». L’interrogation du pseudonyme lui permet ainsi de nourrir son imaginaire de la figure vaginale, et sa passion pour l’aurignacien supérieur se révèle travaillée par une interrogation de fond sur son existence d’homme et d’artiste.
283La personnalisation des héritages primitifs, décelable chez Blaine, est à la vérité une constante de la relation des poètes modernes et contemporains au passé le plus archaïque. D’ailleurs, le cours de l’« Aurignacien-contemporain » (comme se désigne Blaine) plaide pour la cristallisation des identités créatrices en mentionnant les autres auteurs de notre corpus : « chacun doit prolonger sa bouche ou développer / sa langue et modifier son écriture. / Ainsi Tristan Tzara, ainsi Henri Michaux, / ainsi Pierre Albert-Birot, ainsi Michel Leiris, / ainsi Christian Dotremont, ainsi… / et beaucoup d’autres, encore81. » Et il est vrai que bien des individualités pourraient allonger la liste. Pour autant, il y a fort à parier qu’elles ne contreviendraient pas à l’état d’esprit général qui gouverne, comme on l’a vu avec nos trois exemples, l’attitude des écrivains face à la variété des modèles ancestraux. Sans grands scrupules historiques ni principes différentialistes marqués, ces artisans du renouvellement littéraire procèdent, débarrassés de toute dévotion patrimoniale, à des collages référentiels promouvant la pensée analogique au détriment de l’intelligence déductive, et ils élèvent les facultés associatives propres à chacun en méthode de création. Leur quête primitiviste signe la rencontre de l’histoire et de l’imagination. C’était déjà le cas avec Gauguin. Dans Noa Noa, il commente la scène qui donna lieu au tableau intitulé L’Homme à la hache (1891), et notamment l’apparence de feuilles mortes de pandanus. Il accorde alors toute liberté à son rêve d’alphabet élémentaire : « Sur le sol pourpre de longues feuilles serpentines d’un jaune de métal, tout un vocabulaire oriental – lettres (il me semblait) d’une langue inconnue mystérieuse. Il me semblait voir ce mot originaire d’Océanie : Atua, Dieu – Taäta ou Takata, celui-ci arrivant jusqu’à l’Inde se retrouve partout ou dans tout (Religion du Boudha) […]82. » Gauguin le montrait déjà : le primitivisme, mêlant montages savants et préoccupations privées, est une des voies d’accès à l’état de voyance.
Serge Linarès
Université Sorbonne Nouvelle
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1 Giovanni Lista, Dada libertin et libertaire, Paris, L’insolite, 2005, p. 33-34.
2 On en trouvera notamment la reproduction dans le catalogue de l’exposition Gauguin aux Galeries nationales du Grand Palais (10 janvier-24 avril 1989), Paris, RMN, 1989, p. 289.
3 Voir ibid., p. 35.
4 Filippo Tommaso Marinetti, Manifeste de l’Alphabet à Surprise[1916], Futurisme. Manifestes. Documents. Proclamations, Giovanni Lista (éd.), Lausanne, L’Âge d’Homme, 1973, p. 154.
5 Voir Henri Michaux, Un barbare en Asie[1933], Œuvres complètes, Raymond Bellour avec la collaboration d’Ysé Tran (éd.), tome I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, respectivement p. 341, 344, 407, 350-351, 389-391.
6 Henri Michaux, Vents et poussières. 1955-1962[1962], Œuvres complètes, t. III, op. cit., 2004, p. 192.
7 Henri Michaux, Ecuador[1929], Œuvres complètes, t. I, op. cit., p. 181.
8 Voir Henri Michaux, Un barbare en Asie, op. cit., par exemple p. 294-297.
9 Voir ibid., p. 293.
10 Henri Michaux, Par des traits [1984], Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 1281.
11 Henri Michaux, « Alphabet », Épreuves, exorcismes[1945], Œuvres complètes, t. I, op. cit., p. 785.
12 Voir Henri Michaux, Peintures et dessins[1946], ibid., p. 931 et 933.
13 Henri Michaux, Arbres des Tropiques[1942], Œuvres complètes, t. I, op. cit., p. 724.
14 Ibid., p. 725.
15 Henri Michaux, Meidosems[1948], Œuvres complètes, t. II, op. cit., 2001, p. 258.
16 Henri Michaux, La Vie dans les plis[1949], ibid., p. 223.
17 Henri Michaux, Par des traits, op. cit., p. 1280-1281.
18 Henri Michaux, Vents et poussières (1955-1962)[1962], Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 200.
19 Henri Michaux, Idéogrammes en Chine[1975], ibid., p. 819.
20 Ibid., p. 823.
21 Ibid., p. 825.
22 Ibid., p. 827.
23 Ibid., p. 825.
24 Voir ibid., p. 827-831.
25 Henri Michaux, « Mouvements », Face aux verrous[1954], Œuvres complètes, t. II, op. cit., p. 438-439.
26 Henri Michaux, Peintures et dessins, op. cit., p. 859.
27 Henri Michaux, « Mouvements », op. cit., p. 440-441.
28 Henri Michaux, « Chronique de l’aiguilleur », ibid., p. 11.
29 « Faute de mieux, je trace des sortes de pictogrammes, plutôt des trajets pictographiés, mais sans règles. », précise Michaux dans Émergences, résurgences[1972], Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 546.
30 Henri Michaux, ibid., p. 550.
31 Henri Michaux, Moments. Traversées du temps[1973], ibid., p. 731.
32 Quelques dessins de Dotremont à l’encre de Chine, datés de 1961, sont reproduits par Pierre Alechinsky dans Dotremont. J’écris pour voir, Paris, Buchet-Chastel, coll. « Les cahiers dessinés », 2004, p. 17-21.
33 Christian Dotremont, « Signification et sinification » [1950], Cobraland, Bruxelles, La Pierre d’Alun, coll. « La Petite Pierre », 1998, p. 102.
34 Christian Dotremont, Avancements d’un phoque[1965], Christian Dotremont. Les développements de l’œil, Michel Draguet (dir.), Paris, Hazan, 2004, p. 167.
35 Christian Dotremont, « Signification et sinification », op. cit., p. 100-101. On trouvera ce manuscrit intitulé « Train Mongol » reproduit à la page 100.
36 Ibid., p. 101.
37 Christian Dotremont, J’écris, donc je crée[1978], réédition en fac-similé, Bruxelles, Didier Devillez Éditeur, 2002, [n. p.].
38 Christian Dotremont, La Pierre et l’Oreiller[1955], Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 2004, p. 205.
39 Christian Dotremont, Fagnes[1958], Œuvres poétiques complètes, Michel Sicard (éd.), préface d’Yves Bonnefoy, Paris, Mercure de France, 1998, p. 332.
40 Voir ibid., p. 333.
41 Christian Dotremont, La Pierre et l’Oreiller, op. cit., p. 63.
42 Christian Dotremont, Ô Préhistoire, bonjour[1978], reproduit dans Christian Dotremont. Les développements de l’œil, op. cit., p. 171. Le texte est repris dans Œuvres poétiques complètes, op. cit., p. 526-527.
43 Une photographie d’Alechinsky, prise le 23 mars 1971 (reproduite dans J’écris pour voir, op. cit., p. 130), atteste que l’Histoire de l’écriture de James G. Février était un des livres de chevet de Dotremont (nouvelle édition entièrement refondue [1re édition en 1948], Paris, Payot, 1959).
44 Ibid., p. 71.
45 Christian Dotremont, Grand Hôtel des valises, présentation de Jean-Clarence Lambert, Galilée, 1981, p. 104.
46 Le détail de ces voyages est relaté dans Guy Dotremont, Christian Dotremont. 68°37’ latitude nord, Bruxelles, Didier Devillez, 2008.
47 Christian Dotremont, J’écris, donc je crée, op. cit.
48 Voir Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, [Limoges], Al Dante, 2009, notamment p. 16.
49 On sait qu’Anne-Marie Christin a bâti son œuvre critique sur la contestation de cette conception strictement phonétique de l’alphabet et a conçu la notion de « pensée de l’écran » pour s’y opposer (voir notamment L’Image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, coll. « Idées et Recherches », 1995).
50 Julien Blaine, « Écriture », 13427 Poèmes métaphysiques, Paris, Les Éditeurs Évidant, 1986, p. 28.
51 Julien Blaine, « Photographie », ibid., p. 258.
52 Ibid., p. 240.
53 Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 18.
54 Ibid., p. 20.
55 Julien Blaine, Reprenons la ponctuation à zéro, Ventabren, Édition Nèpe, coll. « Xéros 2600 », [circa 1980], [non paginé].
56 Isabelle Maunet reprend cette formule de Ch’eng Yao-t’ien citée par François Cheng dans Vide et plein (Paris, Seuil, 1977) ; voir « Une traversée des Bimots de Julien Blaine », Julien Blaine, Bimot, Marseille, Al Dante, 2011, p. 452.
57 Agnès Olive rencontre Julien Blaine, Marseille, Éditions La Belle bleue, 2009, p. 24.
58 On trouvera des reproductions de ce type d’œuvres dans 13427 Poèmes métaphysiques (op. cit., p. 303) ou dans le catalogue d’exposition Sortie de quarantaine (Ch’i ou Qi), Galerie J. & . Donguy, 1994 (n. p.).
59 Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 35-36.
60 Ibid., p. 33-39.
61 Ibid., p. 31.
62 Ibid., p. 38.
63 Voir ibid., p. 38-39. Le poème est issu de Bamileke, Riva San Vitale, Giona Éditions, 1994.
64 Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 36.
65 Ibid., p. 33.
66 Ibid., p. 35.
67 Ibid., p. 34.
68 Julien Blaine, « L’avertissement », Le Livre, Dijon, Les Presses du réel, « Collection Al Dante », 2019.
69 Dans le numéro 6 de la revue Ailleurs, daté de mars 1965.
70 Le mot est employé en quatrième de couverture pour désigner Le Livre.
71 Julien Blaine, « L’avertissement », op. cit.
72 Julien Blaine, Le Livre, op. cit., p. 37.
73 Ibid., p. 48.
74 Voir Julien Blaine, Partitions, [Paris], Manuella éditions, 2017, [non paginé].
75 Agnès Olive rencontre Julien Blaine, op. cit., p. 14.
76 « Je suis un artiste aurignacien ou magdalénien ou azilien, un artiste d’hui qui date de 30 000 ans. », note Blaine dans son Introduction à la performance (Dijon, Les Presses du réel, « Collection Al Dante », 2020, p. 52).
77 Voir Georges Bataille, La Peinture préhistorique. Lascaux ou la naissance de l’art[1955], Genève, Skira, 1994, p. 90-91.
78 Julien Blaine, « Poème no 0 préhistorique », 13427 Poèmes métaphysiques, op. cit., p. 23.
79 Ibid., p. 52.
80 Julien Blaine, « U : Rébus/rebut », repris dans Partitions, op. cit.
81 Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 77-78.
82 Gauguin, op. cit., p. 337.
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- ISBN: 978-2-406-15120-3
- EAN: 9782406151203
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15120-3.p.0263
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-20-2023
- Language: French
- Keyword: Alphabet, calligraphie, écriture, geste, idéogramme, performance