Résumés
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Jean Giono. Une poétique de la figuration
- Pages: 571 to 577
- Collection: Encounters, n° 448
- Series: Rhetoric, style, semiotics, n° 6
Résumés
Gérard Berthomieu et Sophie Milcent-Lawson, « Introduction »
En donnant pour complément à poétique non figure mais figuration, en préférant l’effet au support, l’acte au produit, le procès à l’objet, ce volume met en avant un principe actif autant inhérent à l’invention figurale que propre à un style mu par le divertissement, cette soif de se détourner de la pesanteur du même. Des multiples formes de cette énigmatique vitalité, tous les contributeurs, si divers soient leurs choix herméneutiques, interrogent ici les voies et façons.
Mireille Sacotte, « “L’air de rien”. L’ambiguïté narrative dans Les Grands Chemins »
Cette étude se présente comme une enquête auprès du discours du roman et analyse les faits d’expression qui laissent percevoir un envers au-delà de l’endroit, en jetant le soupçon sur la fiabilité et la moralité du narrateur, dont on formule l’hypothèse qu’il pourrait être lui-même tueur en série : manipulation par la parole, confiscation du dire au profit d’une seule instance, envers sémantique de locutions revisitées, ambiguïté de mots essentiels, tel amitié.
Ilias Yocaris, « “Le bonheur d’être à la fois invisible et présent”. Sous-dires et ambivalence dans Angelo »
En exploitant des concepts analytiques empruntés à la théorie de l’énonciation, à la pragmatique, et à l’analyse conversationnelle, notamment celui de trope implicitatif, l’étude esquisse une poétique de la sous-parole, et lit à travers cette culture du sottovoce le désir, masqué par la pudeur, qui naît entre Pauline et Angelo, et au-delà l’« irréductible ambivalence » de bien des sentiments, caractères ou situations.
572Julien Piat, « Le ton comme métalepse. Énonciation et posture romanesques »
L’étude répertorie les marques qui transposent à l’écrit la présence d’un aspect oral du propos, le ton, et postule une sorte de métalepse qui permettrait, une fois subsumés les tons des narrateurs, de remonter de la fiction au réel, des conteurs à l’auteur, de définir donc un ton Giono. La catégorie du ton permettrait ainsi de mieux saisir les enjeux d’une « scénographie conteuse » des romans gioniens, sur fond de cette « tentation vocale » qui a marqué la prose romanesque du xxe siècle.
Alain Rabatel, « Figures énonciatives de la connivence dans Les Récits de la demi-brigade »
L’auteur décrit en théorie comment une posture plus ou moins tacite d’intelligence, croisée avec les instances et niveaux de la narration, génère deux formes majeures de connivence : la relation du lecteur au je-personnage, du lecteur au je-narrateur. Au-delà de la connivence entre locuteurs intradiégétiques, on touche à une « connivence élective » entre auteur et lecteur modèle, sorte de coénonciation où se partagent les mêmes valeurs et une même allégresse généreuse du discours.
Denis Labouret, « Giono et la “méthode des bâtons rompus”. Figures et ruptures du dialogue romanesque »
Dans cette conduite du dialogue marquée par d’incessantes ruptures thématiques, l’auteur ne voit pas seulement une anti-méthode, mais la clef de voûte de tout un art poétique. Cette forme de di-vertissement, étymologiquement parlant, thématise au-delà par ses paradoxes mêmes la quintessence de l’invention romanesque, en figure le jeu supérieur, et fonde une attitude heuristique où l’analogique prime sur le logique, où se révèlent des potentialités profondes, d’ordre éthique comme esthétique.
Françoise Rullier-Theuret, « La multiplication et l’imbrication des instances dialogales dans Un roi sans divertissement »
Après avoir rappelé la multiplication dans cette chronique des instances et modalités de l’énonciation, l’enchâssement de voix lointaines et plusieurs fois relayées, l’étude s’emploie à décrire tous les procédés, métalepse ou énallage en 573priorité, dont le cumul et le tissage construisent une voix narrative complexe. Démultiplication de la parole qui rend d’autant plus troublants la loi du non dit et le fait que l’essentiel est passé sous silence, l’énonciation révélant ce que l’énoncé même tait.
Laurence Rosier, « La circulation de la parole dans Les Âmes fortes »
L’étude décrit l’effet de brouillage que crée la multiplication des voix dans la propagation d’une rumeur. Touchant à une éthique des discours dans l’espace social comme à une anthropologie de la parole circulante, elle fait de l’œuvre littéraire la base d’une enquête sociologique où la variation linguistique est saisie sous l’aspect d’un objet socio-discursif. Est ainsi présenté à travers Les Âmes fortes le portrait d’un milieu où la médisance devient corps social de la parole collective.
Sophie Milcent-Lawson, « L’allure et l’allant. Métaphore et écriture romanesque dans Deux cavaliers de l’orage de Jean Giono »
C’est sous l’angle des notions d’allure et d’allant, empruntées à Jean-Paul Goux, que l’étude interroge les fonctions exercées par les tropes dans un roman, et dissocie notamment la métaphore de l’éthos poétique qui leur est régulièrement attaché. Sont donc appréciées les configurations qui soutiennent et la fiction et sa diction, leurs effets de densité comme d’élan narratifs, mais aussi la polyphonie interne aux tropes, ou les effets de mise en abyme de la puissance fictionnelle des images.
Véronique Magri-Mourgues, « Un complexe figural. Comparaison et métaphore dans la Trilogie de Pan »
Portant jusqu’à la notion de complexe figural les thèses d’une transition continue et d’une interaction effective entre les formulations de la similitude, l’étude postule en outre une correspondance entre niveau de l’expression, l’espace un des formes de l’analogie, et niveau du contenu, la vision une de la nature chez Giono, et voit dans l’intrication même du complexe figural un support symbolique de la multiplicité mêlée des voix et points de vue propre au discours du roman.
574Michele Prandi, « “La montagne soupirait au-dessus du village”. L’essaim métaphorique du paysage animé dans Le Hussard sur le toit »
Après avoir distingué la notion d’« essaim métaphorique », qui intéresse les métaphores vives, de celle de « concept métaphorique » (Lakoff et Johnson), qui concerne les métaphores intégrées à l’usage, et défini la notion de « projection métaphorique », l’auteur montre comment, à partir du transport conceptuel opéré par un seul trope d’invention, s’élabore un réseau complexe de projections virtuelles, vivier où s’alimente une vision du monde dont le roman bâtit l’ensemble cohérent.
Marc Bonhomme, « Les figures métonymiques dans Le Grand Troupeau de Giono »
Sans ignorer le rôle premier des métaphores, ou le croisement des voies sémantico-référentielles propres à la métaphore et au trope par contiguïté, l’étude montre le rôle majeur dévolu à la métonymie, dans la conduite du récit (facteur de concision et de densité), dans l’économie de la description (reconfigurations ontologiques), dans l’argumentation enfin (ce trope, même nourri par la mythologie personnelle de l’écrivain, jouant un rôle important dans la portée idéologique du livre).
Marc Dominicy, « Il y a odeur et odeur. D’Angelo au Hussard sur le toit »
Fondant ses réflexions spéculatives autour du concept de beau sur les statistiques lexicales d’un vaste corpus, l’étude est ensuite centrée sur le contexte distributionnel du mot dans deux romans de Giono, et propose à partir des variations linguistiques constatées (économie des syntagmes, ordre des mots, choix des caractérisants) une correspondance entre les percepts olfactifs et la forme que Giono leur donne, rapport où peut se lire un infléchissement esthétique autant que moral.
Sophie Jollin-Bertocchi, « Contrastes phrastiques et antithèses dans Jean le bleu »
Établissant une correspondance entre elocutio et inventio, l’examen montre comment la syntaxe figure un contenu fictionnel et inscrit à travers une forme-sens le projet d’une autobiographie. C’est sous l’angle du contraste 575entre phrases que ce symbolisme est exploré, la phrase brève étant réservée à l’expression du dénuement tant matériel que moral, la phrase longue, de modèle périodique, figurant au contraire les richesses de l’imagination, de la sensibilité, de la sensualité.
Corinne von Kymmel-Zimmermann, « (Dés)ordres de la syntaxe dans Naissance de l’Odyssée et Un roi sans divertissement »
L’étude entend mesurer l’évolution esthétique de l’œuvre à travers un travail sur la phrase. Elle oppose au regard critique de l’écrivain sur sa première manière (« Oviderie qui allonge le style » et manque de « muscles ») l’aboutissement que représente la phrase de la chronique, phrase dont les torsions syntaxiques et les traces énonciatives complexes (italiques, parenthèses, tirets, etc.) marquent la figuration accomplie d’une notion clef de ce style, le désordre.
Marie-Albane Watine, « De la sous-programmation à la multi-programmation. Deux modèles de la phrase gionienne »
D’inspiration cognitiviste, ce travail s’emploie à décrire un imaginaire cognitif du parlé et oppose aux deux extrémités de la carrière de l’écrivain deux types de stylisation du discours oral : au départ une syntaxe de la sous-programmation, qui stylise la planification par à coups de la communication orale (séquence courte, ajout non prévisible), de l’autre côté un modèle de multi-programmation dont la ramification plus complexe se lit notamment à travers l’usage des parenthèses.
Jean-Yves Laurichesse, « L’imitation créatrice chez Giono »
L’étude identifie deux moments imitatifs où Giono a inventé puis réinventé sa manière : le premier est celui de la conversion en roman d’un modèle poétique hérité de l’Antique (Homère, Virgile) ; le second, où Giono en quête de renouvellement, surmonte une phase critique, est celui d’un tropisme stendhalien, qui met à distance l’engagement politique, substitue au monde paysan idéalisé une posture aristocratique et romantique, nourrit surtout un art de conter (détachement, allégresse, jeu).
576Laurent Susini, « “Ah les salauds !” L’imaginaire pascalien de l’écoulement du péché originel dans Un roi sans divertissement : déplacements, diffractions »
L’étude fait surgir un intertexte profond, celui du Nerval des Chimères, celui surtout du Pascal des Pensées. On mesure avec ces couches souterraines combien Giono prolonge et recrée une réflexion séculaire sur l’éternel retour, l’obsession généalogique, le mal et sa contamination surtout, topique qui est au centre de la chronique et se retrouve dans les séries métaphoriques qui partagent la topique de l’écoulement et de la contamination.
Christian Morzewski, « De l’écrit à l’oral, et retour. Avatars de la mise en récit dans Deux cavaliers de l’orage de Jean Giono »
L’enquête présente un document radiophonique de 1954 resté inexploité. Il comprend trois entretiens avec Marguerite Taos Amrouche, et la version oralisée d’un récit qui est une source de Deux cavaliers de l’orage. Ajouté à ce que les entretiens livrent du sens de la fiction, le récit constitue une étape clef dans la genèse d’un texte qui a connu plusieurs remaniements : on y mesure mieux notamment l’orientation vers l’étape finale puisque apparaît pour la première fois l’épisode fratricide.
Jacques Mény, « Les avatars du narrateur dans Les Mauvaises actions de Jean Giono »
Il s’agit d’un projet de roman dont l’enquête rassemble les traces éparses dans les écrits de travail (1954-1964). La documentation éclaire la réflexion de Giono sur l’art de la narration, elle témoigne d’un vif intérêt de l’écrivain pour les analyses de Georges Blin et la technique de restriction de champ, elle illustre l’étroite correspondance chez Giono entre univers du cinéma et du roman, et jette un éclairage précieux sur les recherches d’un écrivain en quête de renouvellement technique.
Laurent Fourcaut, « Je(u) et son autre dans le circuit fermé des Grands Chemins. L’écrivain et les figures de sa mise en abyme dans le discours du roman »
L’étude soutient l’hypothèse d’une mise en abyme dans la fiction du théâtre de sa diction : pays enneigé comme figure de la page blanche et lieu en attente de formes, saison en noir et blanc, routes, carrefours et grands chemins qui 577symbolisent le parcours de l’écriture, portrait avec l’Artiste de l’écrivain qui exhibe ses tours, déconstruction totale jusqu’au vertige de la perdition, au terme de quoi ne subsiste plus que le réel du texte.
Alain Romestaing, « Douleurs et discours à la Douloire »
Le récit est lu comme parabole du pouvoir thérapeutique de la parole. Il met en scène le combat entre des figures de la parole et les figures de la douleur retranchées à la Douloire, celles-là portées par le jaillissement de la vitalité, celles-ci marquées par le figement et le silence mortel. Dialectique qui ne saurait au demeurant déboucher sur une leçon trop univoque, puisque si la parole poétique se nourrit d’un dépassement de la douleur, elle y puise aussi l’inspiration de sa force.
Sylvie Vignes, « Figuration de l’imagination poétique dans Colline »
L’article décrit l’incarnation d’un pouvoir visionnaire dans le verbe de Janet. Non seulement la vison panique de l’univers que professe cette parole oraculaire bouleverse la représentation du monde dans laquelle sont confinés les villageois, mais elle contamine leur langue même, et celle de la narration. Et c’est dans ce langage, dans l’image que donnent les tropes d’une circulation à travers tous les règnes et de son inépuisable vitalité, que se lit le sublime terrifiant de cet ordre révélé.
Gérard Berthomieu, « Jean Giono et le lieu romanesque de la “leçon de poésie”. Contribution à une poétique des transports »
L’étude décrit une poétique des figures dictée par ce lieu du roman au xxe siècle qu’est la leçon de poésie, et son exercice du transport. Elle montre que ce mot implique une analogie entre forme de l’expression et forme du contenu, entre transfert du trope et trajet du voyage, l’un offrant à l’autre un support réversible de symbolisation. Elle définit la réinvention du lieu par l’auteur, la structure leçon/contre-leçon intégrant un trait spécifique au lexique de Giono, l’antonymie mesure-démesure.
- CLIL theme: 3154 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage -- Stylistique et analyse du discours, esthétique
- ISBN: 978-2-406-10056-0
- EAN: 9782406100560
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10056-0.p.0571
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-08-2020
- Language: French