Tirer et tuer en rafale La nécropolitique des armes automatiques
- Publication type: Journal article
- Journal: Éthique, politique, religions Les transformations du concept de guerre (1910-1930)
2017 – 1, n° 10. II. Techniques, stratégies, culture - Authors: Wasinski (Christophe), Bertrams (Kenneth)
- Pages: 67 to 92
- Journal: Ethics, Politics, Religions
Tirer et tuer en rafale
La nécropolitique des armes automatiques
[T]uer l’ennemi dans les conditions les plus inégales possibles.
Junger, 2011, p. 165.
De quelle manière les guerres contemporaines sont-elles devenues meurtrières ? Par quel processus l’anéantissement physique de l’ennemi s’est-il imposé comme l’objectif central de beaucoup de ces conflits ? Comment expliquer que la dimension homicide des conflits ait régulièrement pris le pas sur ses aspects politiques ? Selon une idée largement répandue, il existe un lien consubstantiel entre la notion de guerre et l’homicide de masse. Empiriquement, lorsqu’on étudie l’histoire des guerres contemporaines, le constat est certainement fondé. Il suffit par exemple de s’intéresser à l’histoire des deux guerres mondiales pour s’en rendre compte. Cependant, le fait que la guerre s’avère meurtrière ne découle pas de la nature du mot « guerre » elle-même mais, comme cela a été montré par des recherches historiques, de conditions techniques, sociales et politiques spécifiques. En suivant cette voie, nous cherchons à montrer dans cette analyse que la létalité de la guerre contemporaine s’explique en partie par l’introduction de techniques qui ont rendu le tir automatique, et donc la capacité de tirer en rafales, possible. Historiquement, cette technique joue un rôle de premier plan dans la détermination des formes qu’ont pris les conflits « sur le terrain », en particulier à partir de la Première guerre mondiale. Par ailleurs, cette technique contribue à naturaliser une représentation sociale de la guerre en tant que phénomène centré sur la destruction plutôt que sur l’opposition (éventuellement virulente) des intérêts politiques.
68Intérêts, altérité
et engourdissement psychique
En schématisant quelque peu, on peut dire que les tentatives d’élucidation des guerres, de leurs causes et des formes qu’elles prennent, ont fait la part belle à la notion de rationalité instrumentale des groupes politiquement organisés. À tort ou à raison, on fait volontiers remonter cette conception aux écrits de Thucydide sur l’histoire des guerres du Péloponnèse (Thucydide, 2000). Plus près de nous, on la retrouve dans l’école de pensée dite réaliste des relations internationales qui insiste sur le rôle de l’intérêt national (Aron, 2004). Si l’on suit le raisonnement basé sur l’intérêt, le degré de létalité de la guerre s’expliquerait par l’importance des enjeux pour les communautés politiquement organisées. Plus l’enjeu est important, plus le calcul rationnel est censé imposer aux belligérants de se sacrifier et d’user de moyens brutaux. Cette explication ne s’avère cependant pas satisfaisante. Historiquement, dans bien des conflits, les dépenses et dégâts humains et matériels se sont avérés tellement immenses qu’il est difficile de prétendre au maintien d’une quelconque forme de rationalité instrumentale dans le chef des belligérants. Enfin, ajoutons que l’explication politique rationnelle s’avère problématique lorsqu’il faut expliquer des massacres massifs, par exemple de populations civiles peu menaçantes ou de prisonniers, dans les guerres.
En réaction à cette critique, on voit apparaître des travaux insistant sur le rôle des représentations sociales plutôt que sur la rationalité instrumentale. Selon nombre de ces travaux, le niveau de violence lors des conflits est corrélé à l’intensité des représentations déshumanisantes de l’adversaire. Ainsi, pour ces recherches, la brutalité militaire à l’Est lors des deux guerres mondiales découle des représentations nationalistes et racistes allemandes (Bartov, 1991 ; Liulevicius, 2010). De façon relativement équivalente, les brutalités américaines vis-à-vis des Haïtiens pendant la première moitié du xxe siècle ou des Japonais pendant la seconde guerre mondiale s’expliquaient par la diffusion de représentations racistes et paternalistes aux États-Unis (Dower, 1986 ; Cameron, 1994 ; Rusell, 1996 ; Renda, 2001). En règle générale, ces recherches comblent une partie des lacunes des approches rationalistes évoquées 69préalablement. Cependant, une de leurs limites est d’avoir fait passer à l’arrière-plan les éléments techniques et matériels de la guerre qui ont pourtant eu un impact décisif dans les conflits.
Dans cette contribution, nous prenons acte de l’importance des représentations sociales mais nous cherchons en même temps à réintroduire l’élément technique qui fait quelque peu défaut dans ces travaux. Pour ce faire, nous nous appuyons sur d’autres recherches « culturalistes » qui se sont intéressées aux imaginaires stratégiques liés à l’émergence de certaines catégories d’armements1. Sur le plan empirique, on trouvera dans cette catégorie des travaux qui se sont par exemple concentrés sur les représentations sociales de l’arme nucléaire, du bombardement aérien ou encore du napalm (Boyer, 1985 ; Sherry, 1987 ; Neer, 1985). Si l’on suit le point de vue de leurs auteurs, la brutalisation de la guerre résulte non seulement de l’introduction de nouvelles techniques de combat capables de provoquer des destructions immenses mais aussi et surtout de la normalisation de leurs usages. Dans cette perspective, il est nécessaire d’analyser les processus de légitimation des armes qui s’appuient sur des discours politiques, techniques (procédures et conceptions opérationnelles militaires) ou encore « populaires » (comme les romans, les films, les jeux vidéo) et sont, le cas échéant, à l’origine de processus « d’engourdissements psychiques » vis-à-vis de leurs effets (Lifton et Mitchell, 1995). Autrement dit, selon cette approche, plutôt que d’insister sur les intentions (rationnelles) politiques et stratégiques pour arriver aux moyens de la violence militaire, il convient de partir des moyens et ensuite de remonter aux conceptions opérationnelles et aux conséquences politiques (Chamayou, 2013 ; Calhoun, 2015).
À la lueur de ces éléments, nous faisons ici l’hypothèse que l’émergence d’une conception de la guerre contemporaine basée sur l’anéantissement physique de l’ennemi s’explique en partie par la normalisation des équipements capables de tirer en rafale (tels que les mitrailleuses, les pistolets-mitrailleurs ou encore les fusils d’assaut) et qui est elle-même basée sur des éléments techniques et des représentations sociales2. Sur 70un plan conceptuel, on considérera que ces moyens et ces représentations ont joué un rôle capital dans le développement de ce que le philosophe Achille Mbembe a appelé la nécropolitique, c’est-à-dire une conception de la souveraineté qui repose sur le fait de pouvoir tuer ou laisser vivre (Mbembe, 2003). Bien entendu, il ne s’agit pas d’affirmer que les armes automatiques font apparaître la nécropolitique. En effet, dans le domaine militaire, on pourrait certainement faire remonter la nécropolitique à l’apparition des forces armées étatiques qui voient le jour au sortir du Moyen Age. Simplement, la généralisation du recours aux armes automatiques donne une impulsion décisive à la forme spécifique que prend la nécropolitique contemporaine, en particulier à partir de la Première guerre mondiale.
L’invention du massacre automatisé
L’ambition de pouvoir produire des armes capables de tirer sur un mode automatique est loin d’être un phénomène contemporain. Au xviie siècle déjà, on s’interroge sur la possibilité de récupérer l’énergie produite lors du tir afin de réamorcer une arme (Ellis, 1986 ; Smith, 2002). L’éjection d’une balle hors d’un canon repose sur la combustion de la poudre qui génère des gaz en expansion. C’est aussi ce processus qui est à l’origine du recul. Plusieurs siècles de tâtonnements techniques sont nécessaires pour parvenir à canaliser le surplus d’énergie (qui n’est donc pas, ou plus utile, à l’expulsion de la balle en direction de sa cible) dans le but de produire un tir automatique. Avant d’en arriver là, une toute première étape en direction du tir automatique est franchie avec l’invention du célèbre pistolet à six coups (soit six balles logées dans un barillet) développés par Samuel Colt aux États-Unis durant la première moitié du xixe siècle. En 1851, le terme « mitrailleuse » est forgé par le capitaine belge Fafschamps qui conçoit une arme basée sur un barillet activé manuellement (SIPRI, 1978, p. 9 ; Smith, 2002, p. 64). À partir d’un principe de fonctionnement proche de celui du pistolet Colt à six coups, l’arme est capable de tirer en rafale. L’histoire ne retient cependant guère cette invention. Pour la postérité, la « première » mitrailleuse est 71celle de l’Américain Richard Gatling (Sleeman, 1884 ; Roark, 1962 ; Ellis, 1986, p. 25-33 ; Smith, 2002, p. 56-76). De façon simplifiée, la Gatling fonctionne aussi comme une sorte de gros revolver actionnée par une manivelle et alimentée en balles par un chargeur.
La Gatling gagne rapidement en célébrité, y compris en dehors des frontières américaines3. Beaucoup d’Européens s’y intéressent, comme en atteste le fait qu’on produise l’arme en Autriche, en Grande-Bretagne et en Russie. La Gatling se retrouve également dans des arsenaux égyptiens, chinois et sud-américains (Menning, 1992, p. 33, 107-108 ; Smith, 2002, p. 62-63). En dépit de cette notoriété, les militaires se montrent circonspects vis-à-vis de cette nouvelle arme. Lors de la guerre de Sécession, par exemple, les Nordistes ne lui font guère confiance. Il est vrai que les premières mitrailleuses ne sont pas toujours fiables sur le plan technique. Par ailleurs, beaucoup d’officiers sont convaincus (même si c’est inexact) que le tir au fusil est plus précis et plus efficace.
La mitrailleuse parvient néanmoins à s’imposer dans deux domaines. D’une part, on rencontre les mitrailleuses aux États-Unis du côté de la Garde Nationale ou du patronat lors de conflits sociaux (Ellis, 1986, p. 42-44). En 1863, les responsables du New York Times font l’acquisition de trois Gatling pour défendre leurs bureaux à Manhattan. Ils craignent d’être pris à partie du fait du soutien que leur quotidien apporte au renforcement des lois sur la conscription (Ellis, 1986, p. 42 ; Smith, 2002, p. 16). À plusieurs reprises également, la Garde National déploie des mitrailleuses pour menacer grévistes et manifestants, sans tirer cependant. Le massacre de Ludlow dans le Colorado en 1913 constitue une exception notable. Lors de cet épisode, une milice patronale se sert entre autres d’une mitrailleuse contre des mineurs. Il en résulte 36 morts et une centaine de blessés (Ellis, 1986, p. 44-45).
D’autre part, les mitrailleuses sont déployées dans les colonies (Ellis, 1986, p. 79-109 ; Smith, 2002, p. 109-134 ; Vandervort, 1998, p. 49-50 ; Porch, 2000, p. 122-123). La force publique du Congo, au service du roi Léopold, dispose par exemple de mitrailleuses à usage statique, qui servent à protéger des bâtiments). Les Américains les utilisent dans 72leurs guerres contre les Indiens à la fin du xixe siècle. Les Britanniques, pour leur part, en utilisent en Afghanistan et Afrique. Les Allemands et les Portugais recourent également à des mitrailleuses dans leurs colonies africaines. Les Russes s’en servent dans le Caucase, dans une situation de type quasi coloniale. Dans un premier temps, les mitrailleuses ont pourtant un impact limité du fait des problèmes de fiabilité. Progressivement, leurs concepteurs les améliorent et elles deviennent de plus en plus meurtrières4. En 1879, les Britanniques utilisent une Gatling contre les Zoulous. D’après certains témoignages, l’arme tuera 473 Africains en quelques minutes (Roark, 1962, p. 318). À partir des années 1890, les armes s’améliorent encore sur le plan technique. En 1898, les Britanniques recourent entre autres à leurs mitrailleuses lors de la bataille d’Omdurman au Soudan. Ils tuent 10 883 Derviches et en blessent 16 000, alors qu’ils ne perdent eux-mêmes que 28 soldats (Ellis, 1986, p. 130). L’utilisation de mitrailleuses contre ce type d’adversaires est justifiée par un mélange de discours racistes (dépeignant les populations du Sud comme « non civilisées ») et de considérations opérationnelles (héritée de l’époque napoléonienne) insistant sur l’importance de la victoire décisive (Hull, 2006).
C’est également à la fin du xixe siècle qu’une nouvelle génération de mitrailleuses voit le jour. Ce sont des engins qui fonctionnent grâce à un mécanisme de recyclage des gaz. En plaçant un tuyau au bout du canon, il est possible de récupérer une partie des gaz produits par la poudre brulée. Le tuyau en question ramène une partie de la pression produite par ces gaz vers le mécanisme de percussion. Le percuteur est ainsi mécaniquement et rapidement réarmé. Le tireur qui maintient son doigt sur la gâchette fait partir un autre coup et relance le cycle. Cette technique s’incarne matériellement avec la mitrailleuse de l’Américain Hiram Maxim (qui porte son nom). C’est le début du tir en rafale automatique. Avec l’emploi de ces armes, certains commentateurs en viennent à parler d’exécution plutôt que de guerre (Smith, 2002, p. 129). Par ce biais, le tir automatique fait une première contribution importante à la nécropolitique.
73Le combat et ses préjugés sociaux
L’inventeur de la Gatling confère une conception économique à sa création (Ellis, 1986 ; Smith, 2002). Selon lui, grâce à sa mitrailleuse, les armées ont eu besoin de moins d’hommes pour faire la guerre. Plus encore, cette arme doit augmenter l’efficacité des armées et, de ce fait, contribuer à réduire la durée des conflits. Dès lors, la mitrailleuse se présente, toujours selon ses concepteurs, comme une arme qui « humanise » le conflit. Dans la réalité, comme la première partie du xxe siècle en atteste, la prolifération de mitrailleuses et d’autres armes automatiques ne réduit ni la durée de guerre, ni les effectifs militaires. Les armes automatiques participent au processus qui transforme la guerre en une célébration du gaspillage humain et matériel (Caillois, 1963). Pour éclairer ce processus, il est également pertinent de faire référence aux travaux d’Hannah Arendt (2010). Pour la philosophe, les Européens expérimentent dans les colonies nombre de pratiques arbitraires et de techniques de contrôle social au xixe siècle. Au xxe siècle, ils sont confrontés à un effet boomerang lorsque ces pratiques et techniques débarquent sur leur propre territoire. Toujours selon Hannah Arendt, ces mêmes pratiques et techniques coloniales jouent un rôle central dans l’avènement des régimes totalitaires. La généralisation du recours aux mitrailleuses lors des deux guerres mondiales peut également être appréhendée par ce biais. L’arme qui fut essentiellement expérimentée au xixe siècle dans les colonies arrive en force sur les champs de bataille européens.
Les mitrailleuses sont ponctuellement utilisées lors des conflits interétatiques du xixe siècle. On en rencontre quelques-unes lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et pendant celle qui oppose la Russie à la Turquie en 1877-1878 (Roark, 1962 ; Ellis, 1986, p. 61-68 ; Menning, 1992, p. 33 ; Smith, 2002, p. 181). Lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, la mitrailleuse cause aussi des dégâts importants. Mais cette expérience n’engendre pas de vastes remises en question technique, tactique et opérationnelle en Europe ou en Amérique du Nord (Quelloz, 2009, p. 515). De fait, au cours de cette période, les militaires se montrent assez peu intéressés par 74cette catégorie d’armes lorsqu’il s’agit de combattre un adversaire symétrique. Tout d’abord, ils jugent que l’arme manque de fiabilité (Goya, 2014, p. 211). Ensuite, il existe au sein des forces armées des résistances corporatistes à l’introduction des mitrailleuses. Les artilleurs, qui se considèrent par ailleurs comme membres d’une élite technique, craignent en effet que des unités de mitrailleuses ne viennent directement concurrencer leurs batteries de canons (Sleeman, 1884, p. 369-370). Enfin, le manque d’enthousiasme face à la mitrailleuse découle aussi de ce qu’elle est d’abord perçue comme une arme de défense plus que d’attaque (Goya, 2014, p. 214).
L’historien Jacques Pauwels souligne le fait que la perception négative de la mitrailleuse parmi les officiers découle aussi d’une attitude « aristocratique » lors de la Première guerre mondiale. Une telle attitude est par exemple perceptible chez le général Douglas Haig, qui fut à la tête du contingent britannique déployé en France au début du conflit (Pauwels, 2014, p. 574). Selon Jacques Pauwels, Haig considérait la mitrailleuse comme une arme de prolétaire, ses faveurs allant plutôt à la cavalerie et à sa « noblesse ». L’historien Michel Goya revient également sur ces éléments à travers un compte-rendu plus technique basé sur une étude de cas portant sur la France (Goya, 2014, p. 162-167). Selon lui, le corps des officiers n’avait globalement pas confiance en la qualité des hommes d’infanterie. Comme il l’explique,
face à ces officiers issus de la bourgeoisie, les hommes du rang sont victimes de préjugés sociaux encore très forts. On les soumet donc à la fois à l’endoctrinement patriotique et à la mécanisation des gestes. Les méthodes de combat, mouvement et feux, buttent sur la notion de confiance à accorder aux hommes du peuple et le blocage est tellement fort qu’il ne disparaîtra véritablement qu’après plusieurs années de guerre (Goya, 2014, p. 141).
L’auteur ajoute à propos de l’École normale de tir basée au camp de Châlons que :
La philosophie qui s’y développe est fondée sur le postulat que les fantassins sont incapables de gérer seul les opérations complexes du tir au fusil (Goya, 2014, p. 129).
Les soldats seraient par nature enclins à gaspiller les munitions, entre autres pour réduire leur stress (Goya, 201, p. 132). En fait, le concept 75même du tir automatique provoque le scepticisme parmi les officiers (Goya, 2014, p. 131)5. En France au début du conflit, la perception est que l’utilisation de la mitrailleuse s’avère en définitive moins efficace que le recours à des soldats dotés de fusils et soumis au strict contrôle des officiers. Ajoutons que cette attitude méfiante vis-à-vis des soldats a pour corollaire de favoriser la simplification des tactiques au début du conflit (Goya, 2014, p. 137). Ceci explique donc en partie en partie pourquoi on contraint les hommes à attaquer les tranchées ennemies en ligne. De cette façon, les hommes restent visibles, et donc contrôlable, par leurs supérieurs. Signalons par ailleurs que, pour les soldats, se trouver à proximité d’un nid de mitrailleuses, c’est risquer de subir des représailles de l’artillerie. De fait, les servants des mitrailleuses sont particulièrement visés. Au sein de l’armée britannique, beaucoup de décorations seront attribuées à ceux qui attaquent les mitrailleuses ennemies (Smith, 2002, p. 191).
Pourtant, les mitrailleuses peinent à trouver leur place dans les organigrammes militaires au début du siècle. Aux États-Unis, la mitrailleuse n’apparaît dans les Field Service Regulations qu’en 1910. L’édition de 1914, quant à elle, indique que les mitrailleuses doivent être considérées comme des « armes d’urgence » (« emergency weapon ») dont l’usage n’est recommandé que pour un temps limité (Odom, 1999, p. 51-52). L’arme finit cependant pas s’imposer los de la Première guerre mondiale. Ce qui explique principalement cette situation, c’est l’existence d’une une course aux armements relativement symétrique parmi les belligérants se battant dans les tranchées. De ce fait, les capacités de production industrielle explosent. En Grande-Bretagne, en 1904, Vickers produisait 11 mitrailleuses. En 1918, l’entreprise en assemble presque 40 000 (Ellis, 1986, p. 39). Avec les barbelés, les tranchées et l’artillerie lourde, les mitrailleuses jouent un rôle déterminant dans la forme que prend la guerre moderne. La mitrailleuse contribue à faire de la guerre un match sanglant. Au final, elle constitue un symbole de la déshumanisation du conflit.
Les évocations de cette arme dans les témoignages des anciens combattants de la Première guerre mondiale illustrent à quel point elle impressionne. Ainsi, pour Roland Dorgelès :
76Le canon tonnait moins fort, mais, par les soupiraux, des mitrailleuses fauchaient le village. Des hommes s’effondraient, pliés en deux, comme emportés par le poids de leur tête. D’autres tournoyaient, les bras en croix, et tombaient face au ciel, les jambes repliées. On les remarquait à peine : on courait (Dorgelès, 1919, p. 176).
Dans Le Feu, Henri Barbusse parle de « grêle horizontale de balles [qui tracent] un réseau de mort » à propos du tir d’une mitrailleuse (Barbusse, 1965, p. 290). Erich Maria Remarque, quant à lui, écrit :
Feu roulant, tir de barrage, rideau de feu, mines, gaz, tanks, mitrailleuses, grenades, ce sont là des mots, des mots, mais ils renferment toute l’horreur du monde (Remarque, 1968, p. 115).
Des représentations picturales s’y réfèrent pour témoigner de la brutalité de la guerre. C’est le cas du tableau « La Mitrailleuse » (1915) de Christopher Nevison, qui était ambulancier lors du conflit. La mitrailleuse occupe une place de choix dans la série d’estampes « La Guerre » (Der Krieg) qu’Otto Dix consacre au conflit et qui rappelle son expérience d’artilleur et mitrailleur.
Célébrer le gaspillage
Dans un premier temps, les mitrailleuses sont des armes lourdes qui permettent de tirer en rafale pendant de longues périodes (SIPRI, 1978, p. 17-18). Progressivement, de nouvelles armes automatiques, plus légères, entrent en service. Il s’agit d’abord de fusils-mitrailleurs, sortes de mitrailleuses légères et portables (tels que la Lewis américaine) et de pistolets-mitrailleurs (comme le MP-18/I allemand) (Corum, 1992, p. 103-104). Dans les grandes lignes, le principe de fonctionnement de ces armes est identique à ceux de la de la mitrailleuse (récupération des gaz ou du recul). Elles sont entre autres utilisées par des petites unités d’infanterie qui s’essaient à de nouvelles techniques d’infiltration (Jünger, 1970 ; House, 1984 ; Gudmundsson, 1989 ; Griffith, 1996 ; Goya, 2014, p. 380-386 et 398-399). Selon l’historien James S. Corum, ces techniques sont à l’origine du Blitzkrieg mécanisé (Corum, 1992).
77À la fin du conflit, la miniaturisation s’impose avec l’invention de nouveaux pistolets-mitrailleurs (aussi appelés mitraillettes ou encore « sub machine guns » en anglais). La Thompson américaine, qui voit le jour en 1918, est emblématique de ce phénomène (SIPRI, 1978, p. 18). Cette dernière est initialement présentée comme un « balais des tranchées ». Sa mise au point est cependant trop tardive pour qu’elle puisse être utilisée lors de la Première guerre mondiale. Elle devient symboliquement l’arme des gangsters de Chicago avant d’intégrer les rangs militaires lors de la seconde guerre mondiale (Ellis, 1986, p. 149-165). Au cours de cette dernière, le pistolet-mitrailleur s’est pour ainsi dire banalisé. Les Britanniques disposent de la Sten Gun, les États-Unis de la Thompson et du MP-3, les Soviétiques du PPD-40 et du PPSH-41 et les Allemands du Schmeisser MP-40. L’idée sous-jacente est de faire en sorte que les soldats produisent la plus grande quantité de puissance de feu possible, peu importe la précision. Cette tendance s’accentue à mesure que le conflit progresse. Comme l’écrit l’historien et vétéran de la seconde guerre mondiale Paul Fussell :
Si les soldats passaient, au début, un grand nombre d’heures fastidieuses à pratiquer le tir d’adresse, il était clair, à la fin, qu’on ne gagnerait jamais la guerre par la précision, mais seulement par l’intensification. Les soldats cessèrent donc de viser des cibles précises, et se contentèrent de marcher sus à l’ennemi en faisant pleuvoir un « feu d’assaut » en gros dans sa direction (Fussell, 1992, p. 17-18).
En fait, dans l’imaginaire collectif, on distingue clairement les deux guerres mondiales. La Première guerre mondiale est perçue comme une guerre de tranchées et d’usure conduite à coup de massacres sur les champs de bataille. Le seconde guerre mondiale, quant à elle, est plutôt décrite comme une guerre de mouvement supposée avoir été conduite bien plus rationnellement. Dans la foulée, et à juste titre, on s’apitoie volontiers sur les soldats de la Première Guerre coincés dans leurs tranchées et contraints d’aller au massacre lors de grandes offensives. Le soldat de la seconde guerre mondiale, quant à lui, aurait globalement moins souffert. À travers deux de ses ouvrages, l’historien John Ellis remet utilement en question une partie de ces représentation (Ellis, 1990 ; Ellis, 2009). Selon lui, aux niveaux tactique et opérationnel, il existe de grandes similitudes entre les deux conflits. La seconde guerre 78mondiale ne fut certes pas aussi statique que la Première Guerre sur son front occidental. Mais les combats mouvants qui se déroulent entre 1939 et 1945 peuvent être considérés comme des batailles d’anéantissement mouvantes. Le facteur décisif des deux guerres mondiales serait donc la puissance de feu (ou la « force brute » pour reprendre le titre d’un des ouvrages de John Ellis) plutôt que la précision, ce qui permet à John Ellis d’inférer que le soldat de la seconde guerre mondiale a probablement autant souffert que celui de la Première guerre mondiale. Par ailleurs, il met en évidence le fait que le tir en rafale provoqué par les mitrailleuses continua de jouer un rôle de premier plan dans les opérations (Ellis, 2009, p. 77, 88-89, 176-177).
En résumé, la Première guerre mondiale constitue un moment essentiel dans l’histoire du tir automatique. L’évolution qui s’amorce se trouve ensuite confirmée par la seconde guerre mondiale. L’ambition des forces armées consiste à terme à doter l’ensemble des soldats d’armes automatiques (Odom, 1999, p. 183). De façon quelque peu schématique, pendant environ un siècle, les militaires ont pensé la tactique – avec ses formations en lignes et colonnes – en s’inspirant des préceptes des guerres napoléoniennes (Ross, 1996). Les équipements de la Première guerre mondiale, en ce compris les mitrailleuses, rendent ces préceptes caducs. Sans surprise, ces équipements contribuent à donner une forme nouvelle à la nécropolitique. Le massacre par le tir automatique sur le champ de bataille devient l’une de ses composantes.
Façonner les sociétés à coups
de Kalashnikov et de Miniguns
Les stratégies d’anéantissement, basées sur un recours massif à la puissance de feu, lors des deux guerres mondiales se comprennent comme des jeux à somme nulle. L’accent est mis sur la seule nécessité d’éliminer l’adversaire. Lors de la guerre froide, les armes automatiques jouent un rôle important dans les conflits qui se déroule sur fond de rhétorique idéologique. Plus précisément, les armes automatiques participent à des luttes ayant pour finalité la détermination de la nature 79des régimes politiques et économiques de nombreux États. Ajoutons que ce phénomène est par ailleurs rendu possible par une prolifération encore plus poussée d’armes automatiques. Au cœur de ce processus, on trouve le fusil d’assaut et de nouvelles mitrailleuses.
Au cours la seconde guerre mondiale, des militaires et des techniciens en armement arrivent à la conclusion que des progrès sont encore possibles dans le domaine des armes automatiques (Kahaner, 2007 ; Guillaume, 2010). Sur le plan quantitatif, les unités d’infanterie sont toujours majoritairement dotées de fusils qui ne tirent pas en rafales6. Pour certains militaires, il convient de changer cela. Selon eux, le principal au combat n’est pas de tirer avec précision mais de produire du volume de feu afin de contraindre l’adversaire à « garder la tête baissée » lors des mouvements (Marshall, 1947). De plus, les militaires sont déçus par les performances des pistolets-mitrailleurs de petits calibres. L’invention du fusil d’assaut se veut une réponse à ces différentes considérations. Cette arme réalise la synthèse entre le fusil et le pistolet-mitrailleur. Le fusil d’assaut doit pouvoir tirer en rafale mais avec des balles plus puissantes et plus précises que celles des pistolets-mitrailleurs.
Les techniciens allemands de la seconde guerre mondiale sont les premiers à proposer cette synthèse qui prend la forme du Sturmgewehr 44. Le Sturmgewehr est cependant tardivement mis en service. Comme certaines recherches le montrent très bien, cette arme basée sur le principe de la récupération des gaz doit être considérée comme la matrice de base de la majorité des fusils d’assaut qui sont développés au cours des décennies suivantes (Guillaume, 2010). À la fin de la guerre, certains des concepteurs allemands de cette arme se rendent en Espagne. Ils y développent, sur base des connaissances acquises lors de la mise au point du Sturmgewehr, le CETME. L’armée espagnole dote ses troupes de ce fusil d’assaut. La RFA achète ensuite l’arme qui, rebaptisée G-3, est produite par Heckler und Koch. Le G-3 connait par ailleurs un grand succès à l’exportation. À l’Est, le Sturmgewehr inspire les concepteurs de l’Automat Kalashnikov 47 (ou AK-47). Elle s’impose rapidement au sein de l’Armée rouge. Divers modèles sont produits non seulement en URSS mais aussi en Roumanie, en RDA, en Pologne, en Chine ou 80encore en Égypte. Au total, on estime que plus de 100 millions d’armes de la famille des Kalashnikov auraient été fabriquées dans le monde. Elle inspire aussi les concepteurs du Galil/R-4 israélien/sud-africain et du Valmet M-76 finlandais. En Belgique en 1946, des ingénieurs de la Fabrique Nationale réfléchissent au développement d’une arme capable de tirer les mêmes munitions que celles du Stumrgewehr. Ils inventent le FN FAL (Fusil Automatique Léger) (Raids, 2007, p. 15). Enfin, en réaction à ces développements techniques, les États-Unis mettent en service le M-16 pendant les années 1960 (Huon, 1983 ; Kahaner, 2007)7. Ces deux dernières armes équiperont de nombreuses armées. Le fusil d’assaut devient finalement l’arme de base du fantassin lors de la guerre froide.
Rapidement, la Kalashnikov est érigée en symbole politique de la lutte contre « l’impérialisme occidental » (Kahaner, 2010). Un mythe est élaboré autour de la figure de Mikhail Kalashnikov, permettant ainsi de distancier l’arme de ses origines allemandes. L’iconographie de la guerre froide donne à voir des Kalashnikov aux mains des combattants nord-vietnamiens, des membres du Front Populaire de Libération de la Palestine, des Sandinistes au Nicaragua ou encore des membres du Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola. La Kalashnikov est visible sur certains billets de banques de l’Union soviétique et du Mozambique ainsi que sur le drapeau de ce dernier. L’image projetée est donc celle d’une arme avec laquelle se façonnent les sociétés progressistes.
Les fusils d’assaut européens (FAL belge, G-3 allemand) et américains (M-16) ne parviennent pas à s’imposer en symboles aussi puissants. Cela ne signifie cependant pas que le « monde libre » est en reste en matière de tir automatique lors de la guerre froide. Les experts américains et européens en armement tirent de nouvelles leçons de la guerre de Corée (1950-1953). Ce conflit est pour eux différent de la seconde guerre mondiale sur le plan tactique. Lors de la guerre de Corée, les militaires de la coalition rassemblée par les États-Unis sont confrontés à des « charges bonzai », c’est-à-dire à des attaques massives d’infanterie (Cadeau, 2013, p. 72). Dès lors, les concepteurs d’armes se penchent sur le développement d’engins capables de tuer plus massivement des individus que de 81détruire des véhicules (SIPRI, 1978 ; Prokosch, 1995). Concrètement, ils travaillent sur le napalm, les mines antipersonnel, les roquettes à fragmentation et les bombes à sous-munitions. Ils n’ont pas non plus oublié d’améliorer les mitrailleuses (SIPRI, 1978, p. 32-34). Ils adaptent les Gatling à canons multiples, qui sont maintenant raccordées à un système d’alimentation électrique. Il en résulte tout d’abord la création de la mitrailleuse Vulcan M-61 de 20 mm (1956). Produite par General Electric, elle est en mesure de cracher 100 balles par seconde (Anon., 1959, p. 270)8. Des versions de tailles et d’un calibre plus réduits, nommées Miniguns, sont aussi produites. La majorité de ces armes sont montées à bord de canonnières volantes (avions ou hélicoptères). Ce sont des armes de saturation dont les États-Unis se servent contre des guérilleros dissimulés. Elles servent en particulier dans le cadre d’opérations contre-insurrectionnelles, visant officiellement au « nation building » de l’État vietnamien (Gibson, 2000 ; Olsson, 2007). Autrement dit, dans la vision américaine, l’anéantissement de l’ennemi est mis au service de la construction d’une société libérale.
En résumé, le tir automatique participe également à une nécropolitique qui vise à façonner les régimes politiques internes. Avec le temps, on remarquera que les évolutions techniques héritées de cette période renforcent encore la nécropolitique par le biais de ce que le chercheur Rob Nixon appelle la « violence lente » (Nixon, 2007). Par violence lente, il faut entendre les dégâts humains causés par les munitions non-explosées et autres pollutions de guerre en dehors des combats. Les victimes de cette violence sont quasi-exclusivement des civils. La tristement célèbre mitrailleuse Vulcan est responsable, après la fin de la guerre froide, de ce genre de violence. Montée sur des avions « tueurs de chars » A-10, elle est utilisée lors de la guerre du Golfe de 1991. Lors de ce conflit, cette arme tire des munitions à l’uranium appauvri qui, d’après de nombreux chercheurs, polluent durablement certaines zones et provoquent des cancers parmi les populations irakiennes (Barillot et al., 2001)9. Pour le dire autrement, la nécropolitique génère ici des effets secondaires létaux.
82Il est également intéressant de noter que la représentation populaire de la mitrailleuse évolue avec ce conflit. La mitrailleuse n’est plus uniquement l’arme sinistre qu’elle a été lors de la Première guerre mondiale. Les Miniguns montées sur une canonnière volante (baptisée Puff the Magic Dragon) sont bien mises en évidence dans le film Les Bérets verts (1968) de John Wayne. Ici, ce système d’arme capable d’éliminer systématiquement l’ennemi vient sauver les combattants américains au sol. Le film Apocalypse Now (1979), en dépit d’une certaine ambition critique vis-à-vis de la guerre, esthétise ce dont les mitrailleuses montées sur des hélicoptères sont capables lors d’une charge menée au son de La chevauchée de Walkyries. La mitrailleuse est aussi mise en évidence dans la série des films d’action Rambo (First Blood, 1982 ; Rambo : First Blood Part II, 1985) et Missing in Action (1984). Dans ces productions, qui évoquent les suites de la guerre du Vietnam, la mitrailleuse constitue un accessoire qui définit le caractère du héros. Enfin, on décèle la trace de la mitrailleuse dans le monument The Three Soldiers (ou The Three Servicemen) qui commémore, à Washington DC, la guerre du Vietnam. Un des trois combattants de ce monument porte sur son épaule une mitrailleuse M-60. Bien qu’une enquête plus systématique s’avérerait utile, ces éléments confirment qu’il existe des représentations populaires positives de cette arme dans le contexte des conflits de la guerre froide.
« Kalashnikov culture »
versus « War Porn »
Dans cette dernière partie, nous soulignons comment, en matière d’armement automatique, la nécropolitique se sert de ses propres excès pour se renforcer dans le contexte des conflits de l’après-guerre froide.
À la fin de la guerre du Vietnam, des organisations humanitaires, telles que le Comité International de la Croix Rouge, font connaitre leurs griefs quant aux armements de saturation qui ont été employés lors de la guerre du Vietnam et des guerres de décolonisation (Prokosch, 1995). Ils mettent entre autres en cause les souffrances, jugées excessives, 83causées par les armes de saturation et leurs effets indiscriminés10. Des conférences internationales sont organisées sur ces questions à Lucerne en 1974 et à Lugano en 1976. Le processus est laborieux mais il débouche sur des nouvelles conventions internationales (ou sur l’aménagement de normes préexistantes). Les traités qui concernent l’usage de certaines armes classiques (CCAC, 1980), celui qui porte sur l’interdiction des mines antipersonnel (Ottawa, 1999) et, enfin, celui qui concerne l’interdiction des bombes à sous-munitions (Oslo, 2009) sont issus de ce processus (Borrie, 2009). L’émergence de ces normes découle d’un travail de stigmatisation mené à l’encontre de certaines des armes de saturation. Ces armes deviennent en quelques sortes des « armes sales ».
Au cours des années 1990, les initiatives de la société civile transnationale, relayées par des organisations internationales, se sont également focalisées sur les armes dites légères et de petits calibres (Krause, 2001 ; Wéry et Adam, 2004)11. Ces initiatives visent entre autres à lutter contre la prolifération des pistolets-mitrailleurs, fusils d’assaut et mitrailleuses. Il est à noter que cette dynamique est en phase avec l’émergence de ce que certains auteurs ont nommé la « Kalashnikov culture » (Braun et Farah, 2007 ; Kahaner, 2007 ; Chivers, 2011). Avec la « Kalashnikov culture », la capacité à tirer en rafale n’est plus synonyme de défense d’une idéologie mais plutôt d’une criminalisation des conflits. La Kalashnikov est maintenant associée à Ousama Ben Laden et aux Talibans en Afghanistan ou aux narcotrafiquants colombiens. Dans la culture populaire, on trouve une trace de ce changement avec le film Le Seigneur de guerre (2005) qui met en scène un trafiquant qui ressemble beaucoup à Victor Bout.
Sur le fond, la « Kalashnikov culture » peut être analysée d’un point de vue « orientaliste », en s’inspirant du sens donné à ce concept par Edward Said (Said, 1978). Selon Said, l’Orient est originellement une construction intellectuelle élaborée par des historiens, des savants ou des artistes européens. Ceux-ci dépeignent cette zone et ses habitants à la fois comme exotiques et non-civilisés. Par effet de contraste, l’orientalisme permet aux Européens de se voir, eux-mêmes, comme 84rationnels et civilisés. Pour notre propos, il nous semble que le discours de la « Kalashnikov culture » joue un rôle de ce type dans le domaine de la violence politique. D’une part, la Kalashnikov est devenue le symbole d’un Sud dangereux, chaotique, où les conflits sont soit criminels, soit irrationnels. Ce faisant, la notion de « Kalashnikov culture » permet aux militaires des États industrialisés de se légitimer. Ces mêmes militaires cherchent depuis plusieurs décennies à mettre en avant la précision de leurs actions et de leurs armements, tels que les drones ou les bombes guidées (Der Derian, 2009 ; Zehfuss, 2011 ; Chamayou, 2013 ; Calhoun, 2015). Dans l’ordre narratif, ils introduisent l’idée de précision dans la conduite des opérations.
Dans le domaine des armes légères et de petits calibres, l’accent est également moins mis sur le tir en rafale et que sur le tir de précision. Les nouvelles armes sont de plus en plus souvent équipées de lunettes télescopiques et de lasers (Weidacher, 2005). Plus encore, des informations relativement récentes évoquent des tests réalisés sur des armes légères tirant des munitions « intelligentes », capables de calculer leurs trajectoires (Freedberg, 2016). Sans surprise, l’ambition est d’intégrer plus systématiquement les technologies électroniques récentes dans le champ du combat d’infanterie. On note aussi que la figure du tireur d’élite, dont la tâche est de tuer avec une seule balle, s’est imposée dans le contexte de la « guerre globale contre le terrorisme » (Coughlin, Kuhlman et David, 2005 ; Mills, 2007 ; LeBleu, 2009 ; Irving, 2016). Le personnage le plus célèbre en la matière est certainement le commando SEAL Chris Kyle dont les mémoires sont à l’origine du film American Sniper (2014) réalisé par Clint Eastwood (Kyle, 2012). Comme on le voit, la nécropolitique critique ses propres excès afin, dans un second temps, de se réinventer à travers une violence supposée être précise.
Le tir en rafale n’a cependant pas disparu au sein des armées des États industrialisés. Les récents témoignages de militaires américains déployés en Afghanistan et en Irak depuis une quinzaine d’années sont éloquents sur ce point. Un fantassin déployé en Irak écrit par exemple :
Nous étions les tireurs de l’arme automatique d’escouade. Notre arme pouvait tirer jusqu’à 850 balles par minutes, et certainement abattre la quantité de morts nécessaires pour faire le boulot (Crawford, 2005, p. 21).
85Dans ses mémoires, le sergent Salvatore Giunta évoque son entraînement sur cette même arme avant son départ en Afghanistan. Il décrit la mitrailleuse comme : « un fusil qui produit des victimes en masse et qui peut tirer neuf cents balles à la minute » (Giunta, 2012, p. 63). Un autre militaire américain, également déployé en Irak, explique que la mitrailleuse en question porte également le nom de SAW (pour Squad Automatic Weapon), ce qui s’avère approprié car elle scie littéralement les corps (Key, 2007, p. 61). David Bellavia, un soldat de l’US Army qui a participé à la bataille de Falloujah de 2004, décrit quant à lui les effets non seulement de la SAW mais également de la mitrailleuse M-240 :
Maintenant, Jamison McDaniel a ouvert le feu avec son propre M240. De sinistre, le spectacle devient gore. Steven Mathieu entre dans le bal avec sa mitrailleuse SAW. La mitrailleuse PKC [de l’insurgé] tombe sur l’asphalte et lui-même est criblé de toutes parts. Des morceaux de chair sont projetés dans toute la rue. Pourtant nos hommes persistent à tirer (Bellavia, 2009, p. 193)12.
De façon générale, dans beaucoup de ces témoignages, ce qui justifie le recours à ces armes, c’est la sauvagerie supposée des adversaires. On peut donc faire un lien entre ces descriptions et l’existence de la « Kalashnikov culture ».
Plus encore, on trouve des représentations explicites du tir en rafale et de ses effets sur des vidéos placées en ligne. Elles sont par exemple disponibles sur la plate-forme Funker530 sur laquelle les (anciens) militaires peuvent charger de courts films tournés pendant les combats (Looft, 2015). Le terme « war porn », pornographie guerrière, est parfois utilisé pour décrire ce type de films. Les vidéos, de qualité technique souvent limitée, montrent la violence de la guerre sans aucun recul critique. Funker530 n’invite pas à l’empathie mais plutôt à considérer la guerre comme un spectacle. De fait, le cadrage proposé est proche de celui que l’on retrouve dans certains jeux vidéo ou films de guerre hollywoodiens. En matière de jeux, on pensera en particulier à Call of Duty : Modern Warfare 2 (2011) qui met le joueur dans la peau d’un 86soldat américain qui va devoir utiliser une Minigun GAU-17/A monté sur son Humvee dans les rues d’une ville afghane13. Dans le champ cinématographique, on songera en particulier au film Black Hawk Down (2001) dans lequel des soldats américains, pris à partie par des miliciens, tentent de s’échapper de la ville surpeuplée de Mogadiscio en n’hésitant pas à utiliser toutes leurs armes automatiques14. L’ensemble de ces représentations s’appuie une fois de plus sur le fait que l’ennemi étant un « sauvage », il est légitime de l’éliminer grâce aux armes automatiques. En dépit de la stigmatisation de la Kalashnikov, le tir en rafale reste donc une composante de la nécropolitique contemporaine.
Conclusion
Pour nombre de stratégistes, la guerre est avant tout affaire de dialectiques entre volontés politiques. Selon cette représentation, les forces armées, et leurs équipements, constituent des outils auxquels les décideurs politiques peuvent recourir afin de faire prévaloir des objectifs qu’ils ont préalablement sélectionnés. Dans cette contribution, nous avons inversé cette perspective de manière à montrer que les techniques et les imaginaires les entourant s’avèrent également déterminants pour comprendre la guerre et le sens qu’on lui donne. Comme on a pu le voir, les techniques permettant le tir en rafale se généralisent à partir de la Première guerre mondiale. Certes, la grande majorité des victimes ont succombé à des tirs d’artillerie et à des tirs d’armes de petit calibre (Edgerton, 2013, p. 194-195). Pourtant, en dépit de ce constat statistique, c’est véritablement avec la Grande Guerre que la mitrailleuse s’impose dans le domaine militaire. De ce point de vue, la Première 87guerre mondiale joue un rôle de premier plan dans la constitution de la nécropolitique contemporaine. Certes, les armes automatiques subissent encore de nombreuses améliorations dans les décennies qui suivent. Toutefois, les principes techniques qui sous-tendent la production des armes automatiques restent sensiblement identiques sur le long terme. Sur le fond, la normalisation de ces armes consolide une conception du combat qui, pour reprendre la citation du journaliste Sebastian Junger, vise à « tuer l’ennemi dans les conditions les plus inégales possibles » (Junger, 2011, p. 165). Plus encore, loin d’être une simple technique au service d’objectifs politiques, le tir en rafale a largement contribué à façonner nos perceptions de la guerre en tant que pratique basée sur l’anéantissement physique de l’Autre. Bien entendu, les mitrailleuses et les fusils d’assaut ne sont pas les seuls à l’œuvre dans l’élaboration de cette conception. L’artillerie, les blindés et ou encore les chasseurs-bombardiers ont également une responsabilité immense en la matière. Notre texte, en ce sens, doit être appréhendé comme une pièce à ajouter au dossier de la nécropolitique contemporaine.
Christophe Wasinski
Université Libre de Bruxelles
Kenneth Bertrams
Université Libre de Bruxelles
88Bibliographie
Anon., « Combat Firearms “Report Card” from Afghanistan », 8 mai 2011 (consulté le 26 mai 2016 sur http://theabundantgift.blogspot.be/2011/03/combat-firearms-report-card-from.html).
Anon., « “Gatling” Gun Returns », The Science News-Letter, vol. 76, no 17, 24 octobre 1959, p ; 270.
Aron, Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy 2004.
Arendt, Hannah, L’Impérialisme. Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2010.
Barbusse, Henri, Le Feu. Journal d’une escouade, Paris, Le Livre de Poche, 1965.
Barillt, Bruno et al., Les Armes à uranium appauvri. Jalons pour une interdiction, Bruxelles, GRIP, 2001.
Bartov, Omer, Hitler’s Army. Soldiers, Nazis, and War in the Third Reich, Oxford, Oxford University Press, 1991.
Bellavia, David (avec John Bruning), Fallouja !, Paris, Nimrod, 2009.
Farah, Douglas & Braun, Stephen, Merchant of Death. Money, Guns, Planes, and the Man Who Makes War Possible, Hoboken, John Wyley & Sons, York, 2007.
Borrie, John, Unacceptable Harm. A History of How the Treaty to Ban Cluster Munitions Was Won, Genève, United Nations Institute for Disarmament Research, 2009.
Bowden, Mark, Black Hawk Down, Londres, Corgi, 1999.
Boyer, Paul, By the Bomb’s Early Light. American Thought and Culture at the Dawn of the Atomic Age, New York, Pantheon, 1985.
Burton, James, The Pentagon Wars. Reformers Challenge the Old Guard, Annapolis, Naval Institute Press, 1993.
Caillois, Roger, Bellone ou la pente de la guerre, Paris, La Renaissance du livre, 1963.
Calhoun, Laurie, We Kill because We Can. From Soldiering to Assassination in the Drone Age, Londres, Zed Books, 2015.
Cameron, Craig M. Cameron, American Samurai. Myth, Imagination, and the Conduct of Battle in the First Marine Division, 1941–1951, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
Chamayou, Grégoire, Théorie du drone, Paris, La Fabrique, 2013.
Chivers, C.J., « Small Arms, Big Problems. The Fallout of the Global Gun Trade », Foreign Affairs, vol. 90, no 1, janvier-février 2011, p. 110-121.
Coughlin, Jack, Kuhlman, Casey & Davis, Donald A., Shooter. The Autobiography of the Top Ranked Marine Sniper, New York, St. Martin’s Press, 2005.
89Crawfoord, John, The Last True Story I’ll Ever Tell. An Accidental Soldier’s Account of the War in Iraq, New York, Riverhead Books, 2005.
Corum, James S., The Roots of Blitzkrieg. Hans von Seekt and German Military Reform, Lawrence, Kansas University Press, 1991.
Der Derian, James, Virtuous War: Mapping the Military-Industrial Media-Entertainment Network, New York and London, Routledge, 2009.
Dorgelès, Roland, Les Croix de bois, Paris, Albin Michel, 1919.
Dower, John, War without Mercy. Race and Power in the Pacific War, New York, Pantheon, 1986.
Edgerton, David, Quoi de neuf ? Du rôle des techniques dans l’histoire globale, Paris, Seuil, 2013.
Ellis, John, Brute Force. Allied Strategy and Tactics in the Second World War, 1990.
Ellis, John, The Sharp End. The Fighting Man in World War II, Londres, Aurum, 2009.
Ellis, John, The Social History of the Machine Gun, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1986.
Erbland, Brice, Dans les griffes du Tigre, Paris, Les Belles Lettres, 2014.
Ferguson, James, A Million Bullets. The Real Story of the British Army in Afghanistan, Londres, Corgi Books, 2009.
Flynn, Mick (avec Will Pearson), Trigger Time, Londres, Phoenix, 2012.
Freedberg, Sydney J., « The Biggest Change for Infantry since WWII: XM25 », Breaking Defense, 24 février 2016 (consulté sur http://breakingdefense.com/2016/02/biggest-change-for-infantry-since-wwii-xm25/).
Fussell, Paul, À la guerre. Psychologie et comportements pendant la seconde guerre mondiale, Paris, Seuil, 1992.
Gibson, James William, The Perfect War: Technowar in Vietnam, New York, Atlantic Monthly Press, 2000.
Giunta, Salvatore A. (avec Joe Layden), Living with Honor, New York, Threshold Editions, 2012.
Goya, Michel, L’Invention de la guerre moderne. Du pantalon rouge au char d’assaut (1871-1918), Paris, Tallandier, 2014.
Griffith, Paddy, Battle Tactics of the Western Front. The British Army’s Art of Attack 1916–1918, New Haven, Yale University Press, 1996.
Gudmundsson, Bruce I., Stormtroop Tactics. Innovation in the German Army, 1914–1918, Londres, Wesptort, 1989.
Guillaume, Andrieu, « L’évolution des armes d’infanterie du ST 44 allemand à l’AK 47 soviétique de 1942 à 1960 », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2010/2, no 238, p. 19-41.
House, Jonathan, Toward Combined Arms Warfare. A Survey of Twentieth Century Tactics, Doctrine, and Organization, Fort Leavenworth, Combat Studies Institute Research Survey no 2, 1984.
90Hull, Isabel, Absolute Destruction. Military Culture and the Practices of War in Imperial Germany, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2006.
Huon, Jean, Le M-16, Paris, Crepin-Leblond, 1983.
Irving, Nicholas (avec Gary Brozek), The Reaper. Autobiography of one the deadliest special ops snipers, New York, St. Martin’s Griffin, 2016.
Jünger, Ernst, Orages d’acier, Paris, Christian Bourgois, 1970.
Junger, Sebastian, Guerre. Être soldat en Afghanistan, Paris, Le Fallois, 2011.
Kahaner, Larry, AK-47. The Weapons That Changed the Face of War, Hoboken, John Wiley, 2007.
Key, Joshua (avec Lawrence Hill), The Deserter’s Tale: The Story of an Ordinary Soldier Who Walked Away from the War in Iraq, Toronto, Anansi, 2007.
Krause, Keith, Norm-Building in Security Spaces. The Emergence of the Light Weapons Problematic, GERSI/REGIS Working Papers, Québec, 2001.
Kyle, Chris (avec Scott McEwen et Jim DeFelice), American Sniper: The Autobiography of the Most Lethal Sniper in US Military History, New York, HarperCollins, 2012.
Lebleu, Joe, Long Rifle: A Sniper’s Story in Iraq and Afghanistan, Guilford, The Lyons Press, 2009.
Lifton, Robert Jay & Mitchell, Gregg, Hiroshima in America. A Half-Century of Denial, New York, Avon Books, 1995.
Liulevicius, Vejas, War Land on the Eastern Front: Culture, National Identity, and German Occupation in World War I, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
Looft, Christopher, « The World Star of War Porn », Motherboard, 19 novembre 2015 (consulté le 23/05/2016 sur http://motherboard.vice.com/read/the-worldstar-of-war-porn).
Marshall, S.L.A., Men against Fire. The Problem of Battle Command in Future War, New York, Combat Force Press and William Morrow & Company, 1947.
Membe, Achille, « Necropolitics », Public Culture, vol. 15, no 1, 2003, p. 11-40.
Menning, Bruce W., Bayonets Before Bullets. The Russian Imperial Army 1861–1914, Bloomington et Indianpolis, Indiana University Press, 1992.
Mills, Dan, Sniper One: The Blistering True Story of a British Battle Group under Siege, Londres, Penguin, 2007.
Morell, David, Premier sang, Paris, Gallmeister, 2013.
Neer, Robert N., Napalm. An American Autobiography, Cambridge, Harvard, Harvard University Press, 2015.
Nixon, Rob, « Of Land Mines and Cluster Bombs », Cultural Critique, 2007, no 67, p. 160-174.
Odom, William, After the Trenches. The Transformation of U.S. Army Doctrine, 1918-1939, College Station, Texas A&M University Press, 1999.
91Olsson, Christian, « Guerre totale et/ou force minimale ? Histoire et paradoxes des “cœurs et des esprits” », Cultures & Conflits, no 67, 2007, p. 35-62.
Pauwels, Jacques, 1914-1918. La grande guerre des classes, Bruxelles, Aden, 2014.
Porch, Douglas, Wars of Empire, New York, Smithsonian Books, 2000.
Prokosch, Eric, The Technology of Killing. A Military and Political History of Antipersonnel Weapons, Londres, Zed Books, 1995.
Queloz, Dimitry, De la manœuvre napoléonienne à l’offensive à outrace. La tactique générale de l’armée française, 1871-1914, Paris, Economica, 1009.
Raids, Les fusils d’assaut. No 26, Tome 1 (hors-série), 2007.
Remarque, Erich Maria, À l’Ouest rien de nouveau, Paris, Stock, 1968 (première édition originale : 1929).
Renda, Mary A., Taking Haiti: Military Occupation and the Culture of U.S. Imperialism, 1915-1940, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2001.
Roark, Albert E., « Doctor Gatling’s Gun », Arizona and the West, vol. 4, no 4, hiver 1962, p. 309-324.
Ross, Steven T., From Flintlock to Rifle. Infantry Tactics, 1740–1866, Londres, Frank Cass, 1996.
Russell, Edmund P., « “Speaking of Annihiliation”: Mobilizing for War against Human and Insect Enemies, 1914–1945 », The Journal of American History, vol. 82, no 4, mars 1996, p. 1505-1529.
Said, Edward, Orientalism, Londres, Penguin, 1978.
Satia, Priya, « The Defense of Inhumanity: Air Control and the British Idea of Arabia », The American Historical Review, vol. 111, no 1, 2006, p. 16-51.
Sherry, Michael, The Rise of American Air Power – The Creation of Armageddon, New Haven et Londres, Yale University Press, 1987.
Sipri, Anti-personnel Weapons, Londres, Taylor & Francis, 1978.
Sleeman, C., « The Development of Machine Guns », The North American Review, vol. 139, no 335, octobre 1884, p. 362-371.
Smith, Anthony, Machine Gun. The Story of the Men and the Weapon that Changed the Face of War, Piatkus, Londres, 2002.
Thayer, George, The War Business. The International Trade in Armament, New York, Simon & Schuster, 1969.
Thucydide, Les Guerres du Péloponnèse, Paris, Gallimard, 2000.
Vandervort, Bruce, Wars of Imperial Conquest in Africa, 1830-1914, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 1998.
Weidacher, Reinhilde, Behind a Veil of Secrecy: Military Small Arms and Light Weapons Production in Western Europe, Genève, Small Arms Survey, 2005.
92Wéry, Michel & Adam, Bernard, Armes légères. Destructions massives, Bruxelles, GRIP/Complexe, 2004.
Zehfuss, Maja, « Targeting: Precision and the production of ethics », European Journal of International Relations, septembre 2011 vol. 17 no 3, p. 543-566.
1 Certains travaux sur les imaginaires techniques relient leurs analyses à celles concernant l’existence de représentations déshumanisantes de l’ennemi. On trouvera un bon exemple de ceci chez Priya Satia (2006).
2 Dans cette contribution, pour des raisons de parcimonie, nous nous concentrons sur le tir automatique dans le contexte des combats aéroterrestres. Nous laissons donc de côté le rôle du tir automatique dans les contextes naval et aérien.
3 D’autres mitrailleuses que la Gatling sont développées à cette époque. Cependant, les autres modèles (telles que les mitrailleuses Gardner et Nordenfelt) ne connaitront pas le succès de la Gatling. Ajoutons aussi que des inventeurs déposent alors des brevets de mitrailleuses qui ne seront, dans bien des cas, jamais construites.
4 Le concepteur de la Gatling avait entretemps amélioré son arme.
5 Dans les faits, les mitrailleuses ne consomment pas autant de munitions qu’on le redoute (Goya, 2014, p. 212).
6 En fait, certains fusils se rechargent automatiquement (grâce à la force du recul) mais ne sont pas dotés d’une véritable capacité à tirer en rafale. Simplement, ceux qui les manipulent ne doivent pas réarmer manuellement leurs fusils.
7 À titre informatif, on trouvera sur le site Pintinterest un arbre généalogique des fusils d’assaut (consulté le 27/05/2010 sur https://www.pinterest.com/grampaandrea/weapons-comparison/).
8 Dans les faits, Gatling avait déjà expérimenté l’idée de coupler sa mitrailleuse à un moteur électrique en 1895. L’arme était en théorie capable de tirer 3 000 balles par minute (Roark, 1962, p. 322-323).
9 L’appareil A-10 a été pensé comme une version américaine du bombardier en piqué allemand Stuka de la seconde guerre mondiale (Burton, 1993, p. 24-25 et p. 275).
10 La photo de la petite fille vietnamienne (Phan Thi Kim) brulée au Napalm en 1972 est emblématique de cette évolution.
11 Ces initiatives ont débouché sur la conclusion d’un Traité sur le commerce des armes (2014) à l’ONU.
12 Enfin, il est aussi possible de trouver des témoignages équivalent parmi les militaires britanniques et français (Erbland, 2014 ; Ferguson, 2009 ; Flynn, 2012, p. 34 et p. 118-119). À noter également, l’existence d’une « combat firearms “report card” » américaine qui circule sur Internet depuis 2011 (Anon, 2011). Dans ce texte anonyme, vraisemblablement rédigé par un Marine, on trouve de courtes appréciations des capacités des armes légères et de petits calibres. Les mitrailleuses ne sont nullement oubliées dans cette « évaluation ».
13 Merci à Samuel Longuet pour cette information.
14 Le film Black Hawk Down est basé sur l’ouvrage éponyme du journaliste Mark Bowden (1999). Ce dernier rend compte d’une controverse politico-militaire faisant suite à l’échec de l’opération américaine menée à Mogadiscio. Certains commentateurs considéraient que des vies américaines auraient pu être sauvées si les autorités politiques avaient donné leur accord pour utiliser une canonnière volante AC-130 sur Mogadiscio. Leurs détracteurs indiquèrent que le déploiement d’hélicoptères canonnières bardées de mitrailleuses s’avérait suffisant. Sur le fond, le concept de canonnière volante, sous la forme d’avion ou d’hélicoptère, remonte largement à la guerre du Vietnam.
- CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN: 978-2-406-07145-7
- EAN: 9782406071457
- ISSN: 2271-7234
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-07145-7.p.0067
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-19-2017
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: War, machine guns, assault rifles, rapid fire, necropolitics, history and social representations of weapons