Carl Schmitt et la Grande Guerre Une contre-histoire de la paix
- Publication type: Journal article
- Journal: Éthique, politique, religions Les transformations du concept de guerre (1910-1930)
2017 – 1, n° 10. II. Techniques, stratégies, culture - Author: Pasquier (Emmanuel)
- Pages: 93 to 122
- Journal: Ethics, Politics, Religions
Carl Schmitt
et la Grande Guerre
Une contre-histoire de la paix
Carl Schmitt, né en 1888, avait 26 ans en 1914. Après avoir soutenu sa thèse sur La Valeur de l’État et la signification de l’individu1 en 1915, il s’engagea volontairement. Blessé pendant ses classes, il ne participa pas aux combats. Il occupa des fonctions comme officier de l’arrière à l’État major et au ministère bavarois de la guerre à Munich jusqu’en 1918. Spécialiste de droit constitutionnel, il consacre cependant de nombreuses analyses au droit international pendant l’entre-deux-guerres. Franz Neumann, qui proposa une magistrale analyse du régime nazi dès 1942, considère que « c’est Carl Schmitt qui tint le premier rôle dans le concert national-socialiste pour la révision du traité [de Versailles]2 ». En effet, dès les lendemains de la Guerre, Schmitt critique les conditions de la paix de Versailles, en particulier autour de la question du statu quo territorial et de la question du traitement des responsabilités de la guerre3.
La Grande Guerre, dans l’œuvre de Carl Schmitt, donne lieu à de nombreuses analyses et allusions ponctuelles, relativement éparpillées dans de multiples textes. On tentera ici d’en restituer la logique de manière synthétique. D’une façon générale, la séquence 1914-1918 s’inscrit, pour Carl Schmitt, dans une séquence historique plus large, qui va de la fin 94du xixe siècle jusqu’à 1939. Dans cette longue période s’opère ce qu’il appelle « le passage vers le concept discriminatoire de guerre4 ». L’ordre européo-centré du monde vacille ; le Jus Publicum Europaeum, le droit public européen, qui permettait une régulation et une limitation de la guerre entre les États, entre en crise. Peu à peu, sous l’influence des nouvelles grandes puissances émergentes que sont les États-Unis et la Russie, les États cessent de se considérer comme des adversaires égaux pour se considérer comme des criminels. Le droit international prend un virage pénaliste qui, selon Schmitt, tend à intensifier l’hostilité plus qu’à la limiter.
Dans cette mutation historique, la Guerre de 1914-1918 joue un rôle de pivot. Les États européens y entrent dans des formes qui sont encore celles de la guerre du xviiie siècle, mais ils en sortent avec des concepts brouillés de la guerre et de la paix ; ou, plus, précisément, ils n’en sortent pas, car cette confusion conceptuelle empêche d’établir une paix véritable et de reconstruire un ordre mondial capable d’endiguer les nouveaux conflits.
On montrera ainsi que, pour Schmitt, la Grande Guerre marque un jalon décisif dans la mutation du droit de la guerre ; mais que cette mutation est un échec, c’est-à-dire que les États, en particulier dans le cadre de la Société des Nations, ne parviennent pas à effectuer ce passage d’un droit international européen à un droit international mondial cohérent. C’est donc une série de tremblements, de vacillements, d’hésitations au sein du droit international, dont Schmitt dresse le diagnostic à partir de 1918.
On suivra ici la trace de ces vacillements à travers plusieurs axes de lecture : on commencera par situer la place de la Guerre de 1914-1918 dans le cadre plus général des analyses polémiques de Schmitt dans l’entre-deux-guerres ; on examinera ensuite, en amont de 1914, dès la fin du xixe siècle, les premiers signes de la déstructuration du droit international public. Concernant ensuite le règlement même de la Guerre, nous verrons quelle fut l’analyse critique de Schmitt au sujet du Traité de Versailles et de la tentative – manquée – de traitement judiciaire de Guillaume II ; et l’on verra comment cet échec se prolonge, dans l’entre-deux-guerres, dans l’échec de la Société des Nations à trouver sa cohérence et à fonder ce que l’on pourrait appeler un Jus Publicum Orbis Terrarum opératoire. On examinera dès lors les liens entre le concept 95discriminatoire de guerre et la notion de « guerre totale » ; et, plus précisément, l’importance qu’accorde Schmitt à l’avènement de la guerre sous-marine pendant le premier conflit mondial.
La paix manquée
Il serait insuffisant de dire que, pour Schmitt, la paix est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Les traités de paix de 1919 scellent plutôt, selon lui, l’entrée de l’Europe dans un état de confusion politique, où les notions même de « guerre » et de « paix » deviennent floues – et avec elles, en cascade, la délimitation entre une série de catégories : civil/militaire, privé/public, ami/ennemi, économique/politique et même européen/extra-européen. Schmitt nous présente le scénario d’une crise historique dont l’ampleur serait beaucoup plus large que la parenthèse belligérante 1914-1918, qu’il faut replacer dans ce cadre pour en comprendre le sens. Schmitt fait partie de ceux pour qui la paix des traités n’est pas la fin de la lutte. Au contraire, elle ouvre un nouveau champ de bataille, celui d’un combat conceptuel qui est, lui aussi, une guerre de « positions » – comme l’indique le titre que Schmitt donnera rétrospectivement au recueil d’articles de cette période qu’il publie en 1940 : Positionen und Begriffe im Kampf mit Weimar – Genf – Versailles, 1923-19395 : « Positions et concepts dans le combat contre Weimar – Genève – Versailles ». La connotation hitlérienne du mot « Kampf » dit bien ce qu’elle veut dire : « der Krieg » (la guerre) a laissé la place à « der Kampf » (le combat) jusqu’à 1939, où il redevient « Krieg » à proprement parler – pour le pire.
L’alternance « Krieg – Kampf – Krieg » est ainsi substituée par Schmitt à l’alternance « officielle », légaliste, normativiste, des États libéraux : « Krieg – Frieden – Krieg » (« Guerre – Paix – Guerre »). « Der Frieden », la paix véritable, n’a jamais eu lieu, elle n’a jamais pris corps pour Schmitt. Les relations internationales sont restées dans un état de tension, qui redevient paroxystique en 1939. Schmitt distingue la paix 96concrète (« Frieden ») et un pacifisme abstrait6. Une paix qui correspond à ce qu’il appelle par ailleurs un « ordre concret7 ». Pour Schmitt, en effet, « ce n’est pas la norme ou la règle qui crée l’ordre, mais elle a plutôt, sur la base et dans le cadre d’un ordre donné, une certaine fonction régulatrice8 ». L’ordre concret de la paix ne peut se constituer que dans un équilibre des forces accompagné de la reconnaissance de la légitimité de cette situation par les acteurs politiques en présence. Si la situation est déséquilibrée dans les faits, si elle apparaît comme illégitime à l’une des parties, ou si les acteurs en présence ne sont pas clairement définis, alors la « paix » ne peut être qu’un vœu pieux. Le « pacifisme » est une position dans un certain rapport de forces, qui favorise le statu quo territorial. Mais ce type de position est, selon Schmitt, d’autant plus redoutable qu’il repose sur une dénégation de la lutte. C’est pourquoi il porte en germe une intensification des conflits, derrière son aspect irénique.
La Première guerre mondiale a mis fin à un certain régime de l’équilibre des puissances européennes. « Ce fut un jour fatidique lorsque, pendant la guerre mondiale, le Président des États-Unis d’Amérique, W. Wilson, revendiqua inaugurer une nouvelle époque du droit international en rejetant les concepts traditionnels de guerre et de neutralité non-discriminatoires9. »
Dans le cadre du Jus Publicum Europaeum, la guerre était légale et considérée comme l’exercice normal de la souveraineté étatique. Elle s’inscrivait dans un cadre juridique où les adversaires étaient définis, où l’entrée et la sortie de la guerre avaient des formes juridiques et où la distinction entre civil et militaire était clairement établie – c’est du moins le modèle idéalisé que propose Carl Schmitt10. Par-delà une évaluation 97de la pertinence historique de la référence schmittienne à Vattel11 et de ce modèle juridique pour penser les guerres « en forme » du xviie et du xviiie siècles, les analyses de Schmitt sur le Jus Publicum Europaeum nous révèlent, peut-être avant tout, un anti-modèle de la Première guerre mondiale et de son règlement. Le Jus Publicum Europaeum nous renvoie à une époque où, selon Schmitt, l’alternance de la paix et de la guerre a été possible, parce que l’alternative entre paix et guerre était portée par un ordre spatial interétatique clairement défini, et non pas seulement par le formalisme juridique des traités. C’est vis-à-vis de ce modèle d’un droit de la guerre et de la paix bien constitué, que Schmitt va pouvoir décrire le désordre politique, juridique et spatial sur lequel a débouché la Première guerre mondiale. Et c’est parce qu’elle plonge, selon lui, non seulement l’Allemagne, mais l’Europe tout entière, dans un état inédit d’indétermination politique, qu’elle est désormais le lieu d’un combat, qui est d’abord un combat pour la re-détermination du sens. Sens des mots « paix » et « guerre » ; sens du mot « politique » ; sens du mot « État » ; sens du mot « Europe ».
Vu depuis Le Nomos de la terre, la Guerre de 1914-1918 marque « la fin de cet ordre spatial de la terre sur lequel avait reposé le droit des gens reçu, spécifiquement européen, ainsi que la limitation de la guerre à laquelle il était parvenu12 ».
Ce virage historique est d’abord un virage manqué, qui aboutit logiquement à la catastrophe. Les analyses de Schmitt sont écrites en contexte. Elles ont une portée polémique et l’élargissement de la perspective historique est une stratégie rhétorique. Schmitt vise le discours dominant des vainqueurs de la Première guerre mondiale, pour dédouaner l’Allemagne de toute responsabilité, et mettre en accusation la France, l’Angleterre et les États-Unis, pris dans le jeu de leurs intérêts contradictoires, et leur incapacité à faire advenir un nouveau nomos. Par ce terme de « nomos de la terre », Schmitt entend la répartition mondiale de la souveraineté. Il s’agit de montrer que cette période est celle d’un renversement de polarité de cette répartition, passant d’un monde européo-centré à un monde 98américano-centré. Ce n’est pas seulement une réorientation spatiale, mais un changement qualitatif, qui voit à la fois l’émergence des États-Unis comme puissance mondiale et la désorganisation du nomos européen, sans qu’un nouveau nomos prenne véritablement forme. C’est là le nerf de la critique schmittienne de la Société des Nations et du règlement global de l’après-Première guerre mondiale : il y a eu une prétention à faire advenir un nouveau nomos, un nouvel ordre centralisé, engageant de nouveaux acteurs et fondé sur un nouveau principe d’ordre, le concept discriminatoire de guerre. Mais cette prétention a été une suite de rendez-vous manqués, dont le péché originel est le Traité de Versailles.
Première déstructuration
du Jus Publicum Europaeum
En amont de la Première guerre mondiale, Schmitt analyse les ambiguïtés qui se manifestent déjà dans l’ordre européen lors de la Conférence du Congo en 1884-1885. Présidée par le Chancelier Bismarck, cette conférence, dont on a pu dire qu’elle était le partage de l’Afrique par l’Europe, visait à délimiter l’extension du bassin du Congo pour en faire un espace de commerce libre, sous la souveraineté de Léopold II, roi des Belges. Elle visait également à établir des règles communes pour les prises de terre à venir sur le continent africain. La conférence réunissait l’Empire allemand, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Portugal, la Russie, la Suède, la Norvège, l’Empire Ottoman, ainsi que les États-Unis d’Amérique. Ceux-ci, œuvrant dans le sens de Léopold II, jouèrent un rôle important dans la neutralisation du bassin du Congo en tant qu’espace de libre commerce13. De plus, les États-Unis avaient été les premiers à reconnaître le drapeau de l’Association internationale du Congo, dans une certaine confusion des catégories du droit interétatique européen, puisque cette Association n’était pas un État. Il y a donc une première « relativisation de l’Europe à partir de l’Occident américain14 » et 99la Conférence « révéla déjà, dit Schmitt, un mélange d’absence sur le plan des principes et de présence sur le plan des faits en Europe, une étrange contradiction dans l’attitude des États-Unis d’Amérique, contradiction qui devint plus apparente encore après la Première guerre mondiale15 ».
Au-delà de cette intervention des États-Unis, l’ensemble de cette période voit le droit interétatique européen se déstructurer au profit d’un droit universaliste à échelle mondiale mais, qui, faute d’être parvenu à maturité, ne peut répondre à l’exigence fondamentale du droit international : limiter la guerre. Le rapport entre les normes et les exceptions s’inverse :
Ce que la doctrine traitait désormais au titre de droit des gens ou plus exactement d’international law n’était plus un ordre spatial concret. Mis à part certaines matières techniques spéciales, ce n’était rien qu’une série de généralisations de précédents douteux, qui reposaient pour la plupart sur des situations complètement disparues ou complètement disparates, combinés avec des normes reconnues plus ou moins généralement, d’autant plus généralement et plus vivement « reconnues » que leur application au cas d’espèce litigieux était plus contestée. Ces normes généralement reconnues planaient au-dessus d’un réseau impénétrable d’accords conventionnels assortis de réserves fondamentales de toutes sortes. Tandis que les conventions de la première Conférence de La Haye de 1899 ne furent encore signées qu’avec peu de réserves, la proportion entre conventions et réserves s’était déjà renversée lors de la signature des conventions de la seconde Conférence de 1907. Ces réserves transformaient les plus belles conventions en simple façade. La maxime « pacta sunt servanda » flottait comme un pavillon juridique sur une inflation parfaitement nihiliste d’innombrables pactes contradictoires et entièrement vidés de leur substance par des réserves expresses ou tacites16.
Cette déstructuration ouvre, non seulement sur la possibilité de la guerre, mais sur la perspective d’une guerre d’un type nouveau, où les mécanismes de limitation des guerres antérieures, inter-monarchiques, n’auront plus d’effectivité.
Sur cette démission du droit des gens, l’Europe s’enfonça titubante dans une guerre mondiale qui détrôna l’ancien continent du centre de la terre, et mit à néant la limitation de la guerre réussie jusque-là17.
100Le traité de Versailles
et la criminalisation de l’agression
Quant au déclenchement de la Guerre de 1914, Schmitt, fidèle à son art d’écrire, veut prendre de la hauteur :
Nous n’avons pas besoin d’examiner ici l’ensemble du problème de la responsabilité de la guerre, dont on sait qu’il a déjà donné lieu à une quantité véritablement gigantesque de publications de toute sorte18.
Non sans ironie, Schmitt cite le Président américain Wilson lui-même pour laisser entendre que la question matérielle de la responsabilité de la guerre est un vain débat :
Aucun fait particulier, déclare Wilson, n’a provoqué la guerre, c’est tout le système européen qui porte en définitive la responsabilité profonde de la guerre, son écheveau d’alliances et d’ententes, une toile complexe d’intrigues et d’espionnages qui devait infailliblement prendre toute la famille des nations dans ses rets19.
C’est donc sur le déroulement et la conclusion de la Guerre que Schmitt va concentrer ses analyses. La Guerre, porteuse des ambivalences de cette période, aura agi comme une forme d’« accélérateur de l’histoire », à la fois symptomatique et producteur de la mutation du droit des gens et du sens de la « guerre » :
La Première guerre mondiale commença en août 1914 comme une guerre étatique européenne d’ancien style. Les puissances belligérantes se considéraient mutuellement comme des États souverains égaux, qui se reconnaissaient en cette qualité et qui étaient des « justi hostes » au sens du Jus Publicum Europaeum. L’agression n’était pas encore un concept juridique du droit des gens de l’époque. Le début de la guerre était encore marqué par la déclaration de guerre en bonne et due forme […] [et] n’était donc pas un acte d’agression au sens d’un motif à charge ou de discrimination, c’était au contraire un acte correct, l’expression de la guerre en forme. […] Mais bientôt on vit s’amorcer un changement de sens20.
101Ce changement de sens s’exprime d’abord, selon Schmitt, dans une revendication de la Belgique pour dénoncer l’occupation allemande dont elle a été victime pendant les quatre ans de la guerre. Le juriste belge Charles de Visscher fait ainsi valoir en 1916 que le principe d’égalité juridique entre belligérants n’est pas valable dans ce cas, car l’Allemagne a mené contre la Belgique une agression « injuste ». La notion d’« agression injuste » remet en cause le principe même du « jus ad bellum » et introduit une dissymétrie juridique entre les adversaires, première manifestation d’une tentative de criminaliser l’ennemi.
Mais le point décisif est la mise en accusation de l’Empereur Guillaume II. L’article 22721 du Traité de Versailles, concernant la responsabilité personnelle de Guillaume II dans le déclenchement de la guerre, est, pour Schmitt, particulièrement significatif de la confusion juridique dans laquelle se trouvent les États, européens en particulier, après la guerre. « Il faut y voir, dit Schmitt, des symptômes d’une transformation de la guerre en droit des gens, si ce n’est même un précédent22. » Schmitt oppose ainsi les « crimes de guerre dans l’ancienne acception du terme », tels qu’ils sont encore définis dans l’article 22823 du Traité de Versailles, et le crime « de la guerre » établi par l’article 227.
102Dans le premier cas (art. 228), il s’agit de « certains actes commis pendant la guerre », infraction au « jus in bello », « telles que des violations du Règlement de La Haye concernant la guerre sur terre, des normes du droit de la guerre maritime, du droit des prisonniers de guerre, etc.24 ». Déjà dans cet article, on décelait un élément de criminalisation des vaincus : les États vaincus devaient livrer leurs propres ressortissants criminels de guerre – au lieu que ne soient jugés que les prisonniers. Cela met fin à l’institution jusque-là admise de l’amnistie, incluse dans le traité de paix. Le traité de paix ouvre sur de nouvelles procédures, au lieu de clore l’hostilité, et il institue une dissymétrie juridique de traitement entre vaincus et vainqueurs (qui, eux, n’ont pas à livrer leurs criminels de guerre).
L’article 227, concernant Guillaume II, accumule, pour sa part, les innovations juridiques. Avant tout, la forme judiciaire donnée à cette accusation de responsabilité de la guerre transgresse le principe « Par in parem non habet juridctionem » (« un pair n’a pas de juridiction sur un pair »), qui est l’expression même de l’égalité juridique des États belligérants. Deuxièmement, ce n’est pas un État qui est mis en cause, mais l’Empereur à titre personnel. Cette individualisation permet au droit international de prendre la forme du droit pénal. Or, cela supposerait que le crime d’agression ait été défini avant la guerre, et non au moment de l’accusation. « Le principe nullum crimen, nulla poena sine lege [“pas de crime, pas de peine, sans une loi”] était manifestement violé25. »
L’article 227 resta lettre morte. Le Kayser Guillaume II, réfugié en Hollande, ne fut ni poursuivi ni jugé. Signe, dit Schmitt, que cet article dérogeait trop manifestement aux usages juridiques pour être vraiment applicable. Il restait cependant hautement symptomatique d’une tendance, encore embryonnaire, mais qui n’allait cesser de se confirmer, à considérer l’ennemi comme un criminel et non plus comme un adversaire d’égale dignité juridique.
103Schmitt réitère cette analyse à propos de l’article 23126, qui concerne, lui aussi, la question de la responsabilité de la guerre, envisagée cette fois sous l’angle des réparations :
Il s’agit des réclamations financières et économiques des vainqueurs, qui ne sont pas des indemnités de guerre à l’ancienne mode, mais des demandes de réparations et de dommages, c’est-à-dire des créances juridiques déduites d’une responsabilité juridique du vaincu27.
Là encore, Schmitt identifie un virage pénaliste du droit international. Mais s’il examine ces débats, c’est de nouveau pour faire apparaître que, en 1919, cette mutation n’a pas eu lieu. On la décèle dans les textes, mais elle n’a pas pris corps concrètement : « On n’était nullement d’accord à Versailles pour créer un nouveau crime international28. » Et Schmitt se complaît à montrer (n’oublions pas qu’il écrit dans le contexte du Tribunal de Nuremberg), que c’étaient les Américains, qui étaient les plus réticents à faire émerger un concept criminalisant de la guerre d’agression en 191929. C’était les Américains qui avaient reculé devant une pénalisation du droit international – en dépit même de l’opinion publique américaine, et d’une certaine tentation des États européens vainqueurs. Les États-Unis se sont effectivement retirés du Traité de Versailles, qu’ils n’ont pas signé, préférant conclure un traité de paix séparé avec l’Allemagne (25 août 1921), dont ils gomment toute référence à une responsabilité criminelle. Ce sont donc eux, à ce moment-là, plus que les Européens, qui s’en tiennent au droit des gens classique, non discriminatoire.
C’est cet entre-deux qui intéresse Schmitt. Ce premier rendez-vous manqué avec une forme nouvelle de droit international. Il permet à Schmitt de laisser entendre qu’à cette époque, rien n’était encore perdu. Qu’il aurait été possible, peut-être, de refonder un droit interétatique à l’échelle mondiale, un nouvel ordre mondial capable de préserver la paix.
104Si le Traité de Versailles a quelque chose d’inaugural, c’est dans ce caractère raté, dans cette ambivalence non réglée qui va être la figure dominante de l’entre-deux-guerres, et qui va caractériser, en particulier, la Société des Nations.
Le passage au concept
discriminatoire de guerre
On peut alors reconstituer l’arc analytique qui va de 1918 à l’orée de la deuxième guerre mondiale. Il commence avec le Pacte de Genève en 1919, qui créé la Société des Nations, passe par le Protocole de Genève pour le règlement pacifique des différends internationaux en 1924, et aboutit enfin au Pacte Briand-Kellogg en 1928. C’est ce dernier, selon Schmitt, qui, par la formulation de la condamnation de la guerre, « changea l’aspect mondial du droit des gens30 ».
Si ce processus est en germe dès la Première guerre mondiale, Schmitt se garde cependant contre la tentation d’une lecture téléologique de l’histoire – qui dès lors serait a-politique. Ce sont bien des décisions politiques – et aussi des indécisions – qui, à chaque étape, ont consolidé une tendance qui aurait pu suivre un autre cours.
Dans Le Passage au concept de guerre discriminatoire31, Schmitt attribuait à « la force de résistance du peuple allemand » (ce qui apparaît comme une pétition de principe) le fait que « la guerre de 1914-1918 resta une guerre traditionnelle malgré toutes les tentatives d’en faire une “exécution” selon le droit international en distinguant les dirigeants allemands du peuple32 ». Le peuple allemand apparaît ici comme ayant joué un rôle de katechon33, terme cher à Schmitt, le rôle d’un « reteneur », qui aurait retardé d’autant le règne de l’universalisme, c’est-à-dire de la confusion – et de l’illimitation des conflits. Car, « si le but final universaliste était atteint, il n’y aurait plus de guerres entre les peuples de la terre, ni 105même des guerres justes ou injustes34 ». La fin de la guerre ne signifie pas la fin des hostilités ni de la violence, au contraire : elle signifie que la guerre serait devenue impensable, voire présentée comme action de paix. Ainsi analyse Schmitt dans le système juridique du juriste français Georges Scelle : celui-ci pense le droit international sur le modèle d’un droit constitutionnel mondial. De ce fait, dit Schmitt,
la guerre n’a pas de place dans le système scellien. Dans sa manière de concevoir le droit international, la guerre devient un phénomène « inconcevable » : en effet, soit la guerre est légale, et alors elle n’est pas une guerre ; soit la guerre est illégale, et alors elle n’est qu’un crime, le crime international d’agression35.
Le système de Scelle est un reflet doctrinal de la tendance vers le concept discriminatoire de guerre. En tant que système, il est plus cohérent que la réalité juridique mise en place par la Société des Nations. Car, pour sa part, dit Schmitt « le pacte de la SdN genevoise n’a pas tranché le concept de guerre […]. En réalité, le Pacte connaît trois catégories de “guerre” : 1) l’exécution ou la sanction ; 2) les guerres tolérées (licites) ; et 3) les guerres interdites (illicites)36 ». Le type 1) et le type 3) sont les réciproques l’une de l’autre : certaines guerres sont des agressions illicites (par exemple l’invasion d’un État par un autre), auxquelles la S.d.N est censée répondre par opérations militaires de sanction. Ces deux types correspondent à l’idée d’un nouvel ordre international dans lequel la communauté internationale serait suffisamment centralisée pour mettre en œuvre une action collective. La notion de « guerre » tendrait alors à disparaître au profit du couple infraction/sanction. Le type 2), en revanche, renvoie à l’ordre interétatique classique fondé sur la souveraineté individuelle des États. Ce serait le cas, par exemple, de la légitime défense d’un État envahi, ripostant par lui-même, sans médiation internationale. La SdN laisse ainsi subsister les deux paradigmes du droit de la guerre, pourtant censés être incompatibles.
L’annexion de l’Éthiopie par l’Italie, entre 1934 et 1936, et les contradictions au sein de la SdN quant aux sanctions contre l’Italie, offrent 106à Schmitt l’exemple qui lui permet de faire apparaître combien ce système est un système d’indécision. « La SdN genevoise n’a pas osé s’ériger en entité ordonnatrice du monde. Elle n’a pas osé écarter le concept de guerre traditionnel, ni n’a-t-elle eu le courage de renoncer simplement à ses prétentions37 ». Elle a cherché à créer un système de solidarité internationale face aux agressions. Ce système malgré ses dangers, aurait pu constituer la base d’un nouvel ordre mondial centralisé et efficace pour réguler les conflits. Mais la division des États ne leur a pas permis de se réunir en un véritable « Bund ». La « question centrale de la Société des nations38 », celle de son homogénéité concrète, n’a pas trouvé d’issue. Elle a échoué à faire advenir ce que l’on pourrait appeler un Jus Publicum Orbis Terrarum.
Cette indétermination n’est pas seulement un échec. Elle est à proprement parler une perversion, parce qu’elle permet des actions contradictoires, et de tenir un discours contraire à ses actes :
Cela parut d’abord présenter des avantages pour les puissances victorieuses, qui purent jouer à deux mains durant un certain temps en ayant, selon qu’elles admettaient l’hypothèse de la guerre ou celle de la paix, la légalité de Genève de leur côté, quel que fût le cas, alors qu’elle se servaient de ses concepts : violation de traité, agression, sanctions, etc. pour frapper leur adversaire dans le dos. Dans cette sorte d’état intermédiaire, la détermination d’un concept par l’autre, de la guerre par la paix ou de la paix par la guerre, perd tout le sens qu’elle peut avoir en d’autres circonstances. Déclarer la guerre devient alors chose dangereuse, car celui qui la déclare se met automatiquement dans son tort ; en outre, toute caractérisation et délimitation d’actions militaires ou non militaires par le qualificatif « pacifiques » ou « belliqueuses » perd son sens pour la raison que des actions non militaires peuvent être des actes relevant de l’hostilité la plus effective, la plus directe et la plus intense, alors que des actions militaires peuvent, au contraire, s’accompagner de l’expression solennelle et énergique de vifs sentiments d’amitié39.
Cet état intermédiaire entre guerre et paix, cette guerre continuée, doit être mis en rapport avec la notion de « guerre totale ».
107La notion de « guerre totale »
L’expression « guerre totale » est d’abord l’objet, pour Schmitt, d’un examen critique. Schmitt y voit un concept polémique qui peut recouvrir des réalités diverses en fonction de ce que l’on veut lui faire dire – et de qui l’on veut mettre en accusation. Dans sa brève étude de 1937, « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat40 », il examine ainsi la multiplicité des acceptions que l’on a données à l’expression, depuis la notion de guerre « absolue » chez Clausewitz, jusqu’à la brochure du général Ludendorff en 1935, Der Totale Krieg41.
Pour ce qui concerne la guerre de 1914-1918, le caractère « total » réside d’abord dans l’amplification des moyens techniques et économiques mis en œuvre pendant son déroulement. La guerre « totale » doit s’entendre comme un processus de totalisation. « Le caractère de la guerre, dit Schmitt, peut se modifier pendant le déroulement du conflit. La volonté de guerre (“Kampfwille”) peut s’atténuer ; mais elle peut aussi augmenter comme cela s’est produit dans la guerre mondiale de 1914-1918. Le développement de la guerre a bientôt obligé, du côté allemand, à l’engagement de toutes les réserves économiques et industrielles, du côté anglais, à la conscription universelle [loi sur la conscription du 24 janvier 1916]42. »
On trouve déjà cette caractérisation chez Ludendorff qui, en symétrie par rapport à la position classique de Clausewitz, diagnostique et prône, dans la guerre totale, la subordination du politique au militaire, c’est-à-dire la réorganisation de l’ensemble de la société en fonction des buts stratégiques. La politique devient la continuation de la guerre par d’autres moyens. Schmitt fait également écho à la « mobilisation totale43 » d’Ernst Jünger. Il partage avec ce dernier l’idée que ce caractère « total » s’inscrit dans un mouvement historique de plus grande ampleur, aussi bien en amont 108qu’en aval de la guerre – la guerre étant à la fois l’accomplissement et le symptôme de ce mouvement historique – où les frontières catégorielles entre « politique », « économique » et « technique » tendent à se brouiller. Schmitt désigne parfois cela comme l’« idéologie de la terre électrifiée44 », c’est-à-dire une technicisation générale des rapports sociaux, qui a pour corollaires l’hybridation entre domination politico-militaire et domination économique, ainsi que le positivisme juridique sur le plan théorique, car ce dernier met en suspens l’évaluation politique du droit.
Dans Le Nomos de la Terre, Schmitt identifie que
depuis le Traité Codben de 1860, la pensée économique libérale et le caractère global du commerce étaient devenus naturels pour la pensée européenne et courants pour la pensée en général […]. Par-dessus, par-dessous et à côté des frontières politiques des États par un droit des gens en apparence purement interétatique et politique, s’étendait de toutes parts l’espace d’une économie libre, c’est-à-dire non étatique, et qui était une économie mondiale45.
Et, un peu plus loin : « C’est précisément là, dans le domaine de l’économie, que l’ancien ordre spatial de la terre perdit de façon évidente sa structure46. » Schmitt n’utilise pas encore l’expression contemporaine de « mondialisation économique » et, à la fin du xixe siècle, on en est encore loin. Cependant Schmitt pense une tension structurelle, dans l’évolution de l’histoire, entre la Terre et la Mer47. La logique terrestre est celle des frontières et du découpage interétatique – c’est celle des États continentaux européens ; tandis que la logique maritime est celle de la libre circulation et du commerce – c’est celle de l’Empire britannique, puis des États-Unis. Ces deux éléments, comme des forces mythologiques, s’articulent, parfois s’équilibrant, parfois s’affrontant. Dans le monde contemporain, c’est la mer qui tend à dissoudre les assises terrestres de la période précédente.
Le caractère « total » de la mobilisation économique, industrielle et humaine, s’inscrit dans cette lame de fond engagée depuis la fin du 109xixe siècle, où économique et politique convergent, refaçonnant la réalité humaine. Les puissances jouent de cette confusion, en particulier les États-Unis :
Toutes les questions économiques de l’après-guerre, en particulier celles des dettes interalliées, avaient une signification politique inéluctable et immédiate, et la supériorité de l’aspect économique aux yeux des États-Unis ne faisait que révéler le fait que leur puissance économique avait atteint le point où elle se convertissait en puissance politique48.
Cette « conversion » de l’économique en politique est plus qu’une simple adjonction de moyens. Ce qui, pendant la guerre, apparaît seulement comme un gonflement quantitatif des ressources se révèle, dans l’après-guerre, une forme nouvelle de la domination politique, qui a pour effet essentiel de rendre illisible la distinction entre « paix » et « guerre ». Schmitt l’analyse en particulier dans le deuxième corollaire de sa Notion de politique49 :
La guerre dite totale abolit la distinction entre combattants et non-combattants et connaît, outre la guerre militaire, une guerre non militaire (économique, guerre de propagande, etc.) procédant elle aussi de l’hostilité. Mais l’abolition de la distinction entre combattants et non-combattants est ici dépassement dialectique (au sens hégélien du terme) […]. Ce sont les deux éléments qui se transforment et la guerre se poursuivra à un autre plan, de niveau supérieur, où elle sera une réalisation de l’hostilité sous des formes qui ne seront plus exclusivement militaires. Le passage à la guerre totale consiste alors en ceci que des secteurs extra-militaires de l’activité humaine (l’économie, la propagande, les énergies psychiques et morales des non-combattants) sont engagés dans la lutte contre l’ennemi. Ce dépassement du plan exclusivement militaire entraîne non seulement un élargissement quantitatif, mais encore une promotion qualitative. C’est pourquoi, loin d’atténuer l’hostilité, il la renforce50.
La Guerre de 1914-1918 aura joué un rôle de catalyseur historique. Commencée dans les formes d’une guerre classique, elle enfle de l’intérieur et aboutit à une paix qui n’en est pas une. Traduction même de son caractère « total », elle ne saurait trouver de terme, car, désormais, « guerre » et « paix », tout comme « militaire » et « économique », n’ont plus de frontière nette :
110On répète souvent l’expression dorénavant consacrée selon laquelle les peuples d’Europe, à l’été de 1914, se sont jetés dans la guerre sous l’effet d’une exaltation aveugle. En réalité, ils ont glissé peu à peu dans la guerre totale, ce qui se fit par interaction de la guerre continentale des combattants militaires et de la guerre extra-militaire menée par les Anglais : guerre navale, blocus et guerre économique, chacune incitant l’autre à l’escalade dans la voie de la guerre totale. En cette occurrence donc, le caractère total de la guerre n’est pas l’émanation d’une hostilité totale préalable, c’est au contraire l’hostilité totale qui est elle-même le fruit d’une guerre tournant progressivement à la guerre totale. Aussi l’aboutissement inéluctable de cette guerre a-t-il été non un traité, ni une paix, moins encore un traité de paix, au sens du droit international, mais un jugement du vainqueur condamnant le vaincu. Et la stigmatisation de cet ennemi a posteriori le marque d’autant plus que sa défaite aura été plus complète51.
Tel est le drame de la Première guerre mondiale : elle a construit « l’ennemi a posteriori ». Loin de procéder d’une hostilité qu’elle aurait eu pour fonction de résoudre – de manière certes dramatique, mais régulatrice – elle a construit une hostilité nouvelle, qui fait du vaincu un criminel justiciable et, après le Pacte Briand-Kellogg, de l’acte de déclaration de guerre, un acte criminel.
On ne peut souscrire naïvement à l’analyse de Schmitt sans relever que, écrite en 1938, elle constitue un plaidoyer pro domo, qui vise à exempter l’Allemagne, et l’Allemagne nazie en particulier, de toute responsabilité dans la montée de l’hostilité qui est sur le point d’entraîner l’Europe dans une nouvelle guerre mondiale. Il y a assurément un contexte d’écriture qui surdétermine le sens de l’analyse faite par Schmitt, où l’on voit bien qu’il s’agit pour lui d’écrire une contre-histoire de la paix, de renverser les responsabilités contre les ennemis de l’Allemagne en présentant ceux-ci comme les véritables ennemis de la paix.
Au reste, on notera que cette radicalisation de l’hostilité ne vient pas seulement de l’Ouest. Elle trouve aussi, symétriquement, son origine à l’Est, en Russie, en particulier à travers la figure de Lénine. Dans la Théorie du partisan, publiée en 1963, Schmitt déclare ainsi :
En 1914, les peuples et les gouvernements d’Europe, comme pris de vertige, se sont précipités dans la Première guerre mondiale sans hostilité réelle. Celle-ci naquit par la suite de la guerre elle-même, qui commença comme une guerre 111étatique conventionnelle du droit international européen pour se terminer par une guerre civile mondiale née de l’hostilité révolutionnaire de classe52. »
Dans ce cadre, ce ne sont pas les États-Unis et le formalisme juridique abstrait qui sont les ressorts de l’hostilité, mais l’idéologie révolutionnaire qui élève la lutte des classes au rang de « guerre civile mondiale53. Dans la typologie des partisans que propose Schmitt, Lénine occupe en effet une place particulière dans la mesure où
l’irrégularité de la lutte des classes met en cause, non seulement une ligne, mais au contraire l’édifice tout entier de l’ordre politique et social. En Lénine, le révolutionnaire professionnel russe, cette réalité nouvelle accéda à la conscience philosophique. L’alliance de la philosophie et du partisan, conclue par Lénine, libéra des forces explosives et inattendues. Elle provoqua rien moins que l’éclatement de tout ce monde historique eurocentrique que Napoléon avait espéré sauver, que le Congrès de Vienne avait espéré restaurer54.
La Révolution de 1917 ne représente donc pas un décrochage par rapport au déroulement de la Première guerre mondiale. L’une et l’autre font corps dans un même processus historique de radicalisation de l’hostilité et de déshumanisation de l’ennemi, qui place l’Europe, dès cette époque – loin en amont de la Guerre froide – entre les deux feux de l’Ouest capitaliste et de l’Est communiste.
Les sous-marins et le changement
de représentation spatiale de la guerre
Si Schmitt ne souscrit pas pleinement à l’expression de « guerre totale », c’est qu’il y voit une accusation contre l’Allemagne. L’expression est utilisée à propos de l’usage fait par l’Allemagne des U-Booten, coulant sans avertissement des navires sans distinction de nationalité, ni distinction 112entre civils et militaires. Dès 1914, les sous-marins allemands coulent trois croiseurs britanniques. En 1915, ils coulent le paquebot Lusitania, puis L’Arabie, ce qui jouera un rôle déterminant dans la légitimation de l’entrée en guerre des États-Unis par Wilson. À partir de 1917, Guillaume II ordonne une guerre sous-marine sans restriction, y compris contre les pavillons neutres, afin de mettre en place un blocus contre les forces de l’Entente. Mais, réciproquement, les Allemands attribuent à l’Angleterre la responsabilité de la guerre totale, mise en œuvre dans la guerre de course et avec le blocus maritime de l’Allemagne par la Royal Navy.
C’est dans la guerre maritime que s’est joué le changement de physionomie de la guerre. Les guerres du Jus Publicum Europaeum reposaient sur un équilibre entre Terre et Mer, où l’Angleterre, puissance maritime, jouait le rôle de principe d’équilibre entre les puissances continentales. Les surfaces terrestres et la surface maritime partageaient un même plan d’horizontalité qui permettait de les mettre en relation comme se contrebalançant mutuellement. Schmitt analyse, à la fin du Nomos de la terre, le « changement de la représentation spatiale des théâtres de la guerre55 ». Le théâtre de la guerre, qu’elle soit maritime ou continentale, était une scène bidimensionnelle. L’usage des sous-marins a joué un rôle révolutionnaire, en introduisant une troisième dimension spatiale. L’aviation amplifiera encore cette révolution spatiale. Mais la guerre sous-marine entraîne déjà une bataille juridique et idéologique, qui rentre, pour Schmitt, dans le cadre de la criminalisation de l’ennemi.
« Le sous-marin avait déjà provoqué une transformation de l’espace lourde de conséquences56. » La nouveauté des sous-marins, et la nouvelle dimension spatiale qu’ils investissent, en font des objets nouveaux du point de vue juridique. Ils deviennent, à l’intérieur de la guerre, un enjeu du droit de la guerre, et la Bataille de l’Atlantique est aussi une bataille d’idées. « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille des hommes57 » déclare Schmitt en citant Rimbaud, non sans une certaine pompe.
En 1916, les sous-marins de commerce allemands Deutschland et Bremen, qui, d’après Schmitt, transportaient des marchandises mais n’étaient pas armés, furent déclarés bâtiments de guerre par les Anglais 113et les Français. « D’éminents juristes anglais ont même avancé la thèse que les sous-marins étaient par essence des bâtiments de guerre58. » Dans ce cas, c’est la frontière entre civil et militaire qui vacille.
Sur un autre plan, le droit de prise, institution spécifique du droit maritime soumise à des limitations précises59, donne lieu à d’importantes entorses puisque les Britanniques, dans le cadre de la pratique dite « de Kirkwall », s’autorisent à dérouter les navires de commerce dans leurs propres ports (celui de Kirkwall en Écosse, en particulier) – afin d’éviter que leurs propres bâtiments ne soient torpillés par les U-Booten pendant des perquisitions maritimes – et à les faire fouiller par leurs services de douanes, malgré la sentence arbitrale rendue encore en 1913, dans l’affaire du Carthage, par le tribunal de La Haye, qui restait sur des positions classiques. Ainsi, dit Schmitt, « la guerre commerciale sur mer finit par revêtir un caractère purement territorial60 ». Ici, paradoxalement, le développement de la guerre maritime tend à faire perdre à celle-ci ses caractéristiques et ses restrictions spécifiques pour devenir une modalité de la guerre terrestre. Les frontières se brouillent entre Terre et Mer. Concrètement, c’est pour les Anglais l’occasion de se libérer d’un certain nombre d’obligations juridiques du droit maritime.
En 1937 dans « Le concept de piraterie61 », Schmitt salue l’échec de la tentative par les Anglais de criminaliser les équipages des sous-marins en 114considérant ces derniers comme ayant un statut de « pirates », c’est-à-dire d’« ennemis du genre humain ». Mais il y voit encore le symptôme du mouvement vers le concept discriminatoire de guerre inauguré par la Première guerre mondiale. Vouloir traiter les sous-mariniers en pirates, alors qu’ils sont manifestement les marins d’une flotte nationale identifiable, c’est chercher à traiter l’ennemi en criminel :
Aujourd’hui [en 1937], où doit être évité le choc frontal d’États totaux dans une guerre totale, se présentent des transitions et des concepts intermédiaires entre la guerre ouverte et la paix véritable, car déjà la simple possibilité d’une guerre totale suggère le dessin de telles formations intermédiaires. Si la conception anglaise de la piraterie sous-marine devait s’imposer comme un concept du droit international général, alors le concept de piraterie changerait complètement de place dans le système du droit international. Il serait transféré hors de l’espace vide non-politique et non-étatique, vers l’espace, typique pour le droit international d’après-guerre, du concept intermédiaire entre guerre et paix62.
On remarque un flottement dans l’usage de l’expression « guerre totale » : elle désigne ici la montée aux extrêmes du conflit entre adversaires, à la manière de Clausewitz. Paradoxalement, la guerre discriminatoire – qui peut elle aussi une forme de « guerre totale » (de la communauté internationale contre un État considéré comme criminel) – tant qu’elle maintient les États dans un état intermédiaire entre guerre et paix, est une manière de rester en deçà d’un conflit d’une telle intensité. Elle comporte cependant le risque d’une intensification encore plus radicale de l’hostilité, lorsqu’elle mène à la déshumanisation de l’ennemi, et à la justification de son extermination.
115Un nouveau nomos de la Terre ?
À la recherche du Jus Publicum Orbis Terrarum
Si dans ses analyses à portée scientifique, Schmitt conserve un certain soin des nuances, il s’autorise dans son journal, le Glossarium63, des raccourcis, qui en disent plus sur lui, peut-être, que sur l’histoire humaine. Ainsi cette déclaration saisissante sur l’extermination de Juifs, où l’obsession du renversement des responsabilités prend un tour vertigineux :
Qui est le vrai criminel, le véritable instigateur de l’hitlérisme ? Qui a inventé ce personnage ? Qui a donné cet épisode abominable au monde ? À qui devons-nous ces douze millions de Juifs assassinés ? Je peux vous le dire très précisément. Hitler ne s’est pas inventé tout seul. Nous le devons au pur esprit démocratique qui nous a concocté la figure mythique du soldat inconnu de la Première guerre mondiale64.
Que veut dire Schmitt par cette crase historique, qui relie en deux lignes Hitler au soldat inconnu de la Première guerre mondiale ? Qu’est-ce que ce « pur esprit démocratique » qui serait responsable de l’extermination ? Si l’on se risque ici à reconstituer la « logique » de Schmitt, c’est l’universalisme qui porte la responsabilité de la guerre totale. Avec les camps de concentration de la deuxième guerre mondiale, la guerre a atteint un niveau de « totalité » bien plus radical encore que celui des millions de morts de la guerre des tranchées, ou des ambiguïtés de la guerre sous-marine. Comme dit Schmitt à propos de Clausewitz : « Il ne pouvait deviner encore le degré de totalité qui va de soi de nos jours65. » Il y a ainsi des degrés de « totalité » – et la deuxième guerre mondiale elle-même reste peut-être encore en deçà d’une guerre atomique à venir qui serait « totale » parce qu’elle mènerait l’humanité à sa perte. Schmitt partage avec Günther Anders66 la 116conscience apocalyptique de l’ère atomique. L’extermination des Juifs est, dans la phrase de Schmitt, la manifestation, à son nouveau degré de « totalité », de la confusion entre civil et militaire, entre guerre et paix, entre technologique et politique. Hitler, finalement, serait le produit – et non l’acteur (!) – de cette confusion. Le soldat inconnu, c’est l’affirmation d’un humanitarisme qui transcenderait l’hostilité, qui brouillerait la distinction entre « ami » et « ennemi », mais qui, dans cette dénégation de l’hostilité, intensifie le conflit. Le processus qui commence par une criminalisation de l’ennemi mène à considérer celui-ci comme criminel vis-à-vis de l’humanité elle-même, et donc, finalement comme « ennemi de l’humanité » qui n’est plus un adversaire, mais un monstre à éradiquer. La guerre d’extermination est donc un produit de l’humanisme de la SdN. CQFD ! Schmitt prolonge ici ce qu’il annonçait déjà avant guerre à propos de la SdN :
C’est ce système qui permet un passage au concept de guerre discriminatoire. Ce système, tant qu’il subsistera dans sa forme actuelle, est dès lors un moyen de préparer une guerre totale au plus haut degré, c’est-à-dire une guerre juste supra-étatique et supranationale67.
Le fait que ce soit Hitler, et non la SdN, qui ait mis en œuvre cette politique d’extermination d’un « ennemi de l’humanité » n’arrête pas le « décisionniste » Schmitt. Les élargissements de perspective permettent de voir les événements sous des angles nouveaux ; ils produisent aussi de singuliers aveuglements.
Par-delà la question du renversement des responsabilités, Schmitt cherche une nouvelle théorie, pour sortir du déséquilibre structurel de la politique mondiale. L’Europe est sortie « balkanisée » de la Première guerre mondiale. À l’Ouest, les États-Unis ont émergé comme grande puissance, régnant sur l’ensemble de l’hémisphère occidentale dans le cadre de la Doctrine Monroe qui prévient, depuis 1823, toute intervention européenne sur les continents américains. Mais, à l’Est, depuis la Révolution de 1917, la Russie communiste s’est également affirmée comme nouvelle puissance aux ambitions universalistes.
Depuis la sortie de la Première guerre mondiale, Schmitt voit une Europe dont la puissance s’effrite. Quoiqu’au cœur d’un projet de refondation de la communauté internationale, avec la Société des 117Nations, les États européens ne parviennent pas à dégager une politique unitaire et la SdN n’est guère plus que le reflet de leur désunion, au lieu d’être l’instrument de leur cohésion. La deuxième guerre mondiale va parachever le processus que la Première avait inauguré. L’issue du deuxième conflit va être le point d’orgue à la fois de l’effacement de l’Europe devant l’URSS et les États-Unis, mais aussi de la criminalisation de l’ennemi. Celle-ci va prendre corps dans le Tribunal de Nuremberg qui, cette fois, jugera effectivement les dirigeants allemands. C’est ainsi, dit Schmitt,
que les forces qui firent sortir de ses assises le concept de guerre du droit des gens européen passaient, de l’Ouest et de l’Est, par-dessus les États européens qui avaient perdu leur assurance. L’Est et l’Ouest finirent par se rencontrer, fusion d’un instant, dans le Statut de Londres du 8 août 1945 [qui fonde le Tribunal de Nuremberg]. La criminalisation de la guerre prenait désormais son cours68.
Ce que révèle cette évolution, c’est que la Première guerre mondiale n’a pas été seulement le moment d’un affaiblissement décisif des États européens : c’est la forme même de l’État qui a cessé d’être l’unité politique pertinente pour penser les relations internationales. Ce qui a été mis à mal, dès la Première guerre mondiale, c’est la structure interétatique elle-même. C’est ce qu’analyse Schmitt en 1939 dans L’Ordre des grands espaces69, lorsqu’il déclare : « On sait depuis longtemps que cet envahissant concept d’État comme concept central du droit international n’exprime plus la vérité et la réalité70 ».
L’État souverain, avec sa prérogative du « jus ad bellum » – le droit de déclarer la guerre sans que cela apparaisse comme un crime – était la pièce maîtresse du Jus Publicum Europaeum. Le modèle de la Doctrine Monroe et l’hybridation du politique avec l’économique ont donné lieu à des réalités politiques transnationales qui ont relativisé la réalité des frontières étatiques. La SdN elle-même avait pour horizon 118– à défaut de l’avoir jamais atteint – un dépassement du fractionnement des souverainetés étatistes égoïstes. Les États-Unis et l’URSS présentent, chacun à leur manière, une forme de néo-impérialisme, qui leur confère une dimension super-étatique. Le déclin de l’Europe vient du fait qu’elle n’a pas su voir que l’âge de l’État était dépassé et que l’âge des « grands espaces » était désormais advenu. Schmitt a en vue ce que pourrait être un nouvel équilibre mondial, post-étatique, inter-impérial, où de nouveaux principes d’équilibre et de régulation des conflits pourraient prendre corps, entre grands adversaires : les États-Unis, l’URSS, la Chine et l’Europe – de préférence sous la direction de l’Allemagne. Ce nouvel « ordre des grands espaces » mettrait ainsi fin au grand déséquilibre politique que la Guerre de 1914-1918 avait contribué à faire advenir. L’analyse et l’évaluation de ces notions et de leur contexte d’écriture dépasse le cadre de la présente étude. Qu’il nous suffise de dire que ce nouvel ordre n’advint pas, que la conclusion de la deuxième guerre mondiale ne fit que confirmer, pour Schmitt, l’avènement de la guerre discriminatoire, et la mise en danger des petits États européens, face aux nouvelles puissances à dimension quasi-continentales qui allaient désormais se disputer le monde plutôt que se le partager. Aucun des problèmes posés par la Première guerre mondiale n’était donc réglé. L’actualité la plus récente ne leur fait-elle pas encore écho ? Tension entre la structure interétatique et la mondialisation économique, difficultés des États européens à penser leur unité, mélange d’isolationnisme et d’interventionnisme des États-Unis, difficultés de la communauté internationale à se représenter elle-même, tentatives de judiciariser les conflits avec la création de la Cour Pénale Internationale, incluant ce que l’article 227 du Traité de Versailles avait inauguré : la poursuite individuelle des responsables politiques. Et jusqu’au renouveau de la guerre sous-marine71 – peut-être parce que, à l’âge atomique, où, plus que jamais « doit être évité le choc frontal d’États totaux dans une 119guerre totale72 », comme l’analysait Carl Schmitt, des technologies et des problématiques que l’on croyait anciennes reviennent – mutatis mutandis – au premier plan.
Emmanuel Pasquier
CPGE, Paris
120Bibliographie
Œuvres de Carl Schmitt
par ordre chronologique
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Autres références
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Liens internet
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1 Schmitt, Carl, Der Wert des Staates und die Bedeutung des Einzelnen, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1914. La Valeur de l’État et la signification de l’individu, trad. S. Baume, Genève, Librairie Droz, 2003.
2 Neumann, Franz, Béhémoth. Structure et pratique du National-Socialisme, 1933-1944 (1re édition 1942, 2e édition 1944), trad. G. Dauvé, Paris, Payot, 1987, p. 153.
3 On citera en particulier l’essai de 1924 : « La question clé de la Société des Nations », trad. Robert Kolb, Paris, Pedone, 2009. Mais il faut aussi mentionner une série d’analyse sur l’occupation par la France de la Rhénanie : « Die Rheinlande als Objekt internationaler Politik » (1925), in Positionen und Begriffe, p. 26-32 ; « Der status quo und der Friede » (1925), in Frieden oder Pazifismus, p. 51-72 ; « Völkerrechtliche Probleme im Rheingebiet » (1928), in Frieden oder Pazifismus, p. 255-273 ; « Die politische Lage der entmilitarisierten Rheinlande » (1930), in Frieden oder Pazifismus, p. 274-280.
4 Schmitt, Carl, Die Wendung zum diskriminierenden Kriegsbegriff (1938), Berlin, Duncker & Humblot, 2003, Le Passage au concept de guerre discriminatoire, trad. R. Kolb, Paris, Pedone, 2009.
5 Schmitt, Carl, Positionen und Begriffe, im Kampf mit Weimar – Genf – Versailles, 1923–1939, Berlin, Duncker & Humblot, 1988.
6 Voir Schmitt, Carl, « Frieden oder Pazifismus » (1933) republié dans le recueil auquel il donne son titre : Frieden oder Pazifismus. Arbeiten zum Völkerrecht und zur internationalen Politik 1924–1978 (« Paix ou pacifisme ? Travaux sur le droit international et la politique internationale 1924-1978 »), Günther Maschke éd., Berlin, Duncker & Humblot, 2005, p. 378-388.
7 Sur la « pensée du droit selon l’ordre concret », voir Schmitt, Carl, Über die drei Arten des rechtswissenschaftlichen Denkens, Berlin, Duncker & Humblot, 1934, trad. M. Köller et D. Séglard, Les trois types de pensée juridique, Paris, Presses universitaires de France, 1995.
8 Schmitt, Carl, Les Trois Types de pensée juridique, op. cit. p. 72.
9 Schmitt, Carl, Le Passage au concept de guerre discriminatoire, op. cit., p. 119.
10 Sur la reconstitution-construction du concept de Jus Publicum Europaeum par Schmitt, voir le chapitre iii de Der Nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum Europaeum, Cologne, Greven Verlag, 1950, rééd. Berlin, Duncker & Humblot, 1988, trad. L. Deroche-Gurcel, révisée, présentée et annotée par Peter Haggenmacher, Le Nomos de la terre dans le droit des gens du Jus Publicum Europaeum, Paris, Presses universitaires de France, « Léviathan », 1992.
11 De Vattel, Emer, Le Droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, Londres, 1758. Voir Le Nomos de la terre, p. 165-168.
12 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 226.
13 Schmitt, Carl, Nomos de la terre, op. cit., p. 216.
14 Ibid.
15 Ibid.
16 Ibid., p. 237.
17 Ibid.
18 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 264.
19 Wilson, discours du 26 octobre 1916, cité par Schmitt dans Le Nomos de la terre, op. cit., p. 265.
20 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 256-257.
21 Art. 227 : « Les puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d’Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités. – Un tribunal spécial sera constitué pour juger l’accusé en lui assurant les garanties essentielles du droit de défense. Il sera composé de cinq juges, nommés par chacune des cinq puissances suivantes, savoir : les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et le Japon. – Le tribunal jugera sur des motifs inspirés des principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci d’assurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi que de la morale internationale. Il lui appartiendra de déterminer la peine qu’il estimera devoir être appliquée. – Les puissances alliées et associées adresseront au gouvernement des Pays-Bas une requête le priant de livrer l’ancien empereur entre leurs mains pour qu’il soit jugé. » – (Source : http://www.herodote.net/Textes/tVersailles1919.PDF)
22 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 257.
23 Art. 228 : « Le gouvernement allemand reconnaît aux puissances alliées et associées la liberté de traduire devant leurs tribunaux militaires les personnes accusées d’avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. Les peines prévues par les lois seront appliquées aux personnes reconnues coupables. Cette disposition s’appliquera nonobstant toutes procédures ou poursuites devant une juridiction de l’Allemagne ou de ses alliés. – Le Gouvernement allemand devra livrer aux puissances alliées et associées, ou à celle d’entre elles qui lui en adressera la requête, toutes personnes qui, étant accusées d’avoir commis un acte contraire aux lois et coutumes de la guerre, lui seraient désignées soit nominativement, soit par le grade, la fonction ou l’emploi auxquels les personnes auraient été affectées par les autorités allemandes. »
24 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 258.
25 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 261. Pour une critique d’inspiration kelsénienne de l’analyse de Schmitt, cherchant à montrer que l’individualisation de la poursuite judiciaire contre le souverain est précisément une manière de ne pas criminaliser tout un État et tout un peuple, on se permettra de renvoyer à Emmanuel Pasquier, De Genève à Nuremberg. Carl Schmitt, Hans Kelsen et le droit international, Paris, éditions Classiques Garnier, 2012, p. 665 sq.
26 Art. 231 : « Les Gouvernements alliés et associés déclarent et l’Allemagne reconnaît que l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre, qui leur a été imposée par l’agression de l’Allemagne et de ses alliés. »
27 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 264.
28 Ibid., p. 266.
29 « Dans les délibérations qui aboutirent à l’article 231, c’est précisément le représentant américain, John Foster Dulles, qui soutint que la guerre comme telle et dans l’ensemble n’était nullement un acte illicite selon le droit des gens en vigueur. » Ibid., p. 265.
30 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 278.
31 Schmitt, Carl, Le passage au concept de guerre discriminatoire, trad. R. Kolb, Paris, Pedone, 2009.
32 Ibid., p. 117.
33 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 64.
34 Ibid. p. 118.
35 Schmitt, Carl, Le passage au concept de guerre discriminatoire, op. cit., p. 95, Schmitt analysant Georges Scelle, Précis du droit des gens, Paris, 1932. Schmitt en donnera comme exemple les analyses de Hans Wehberg à propos de l’invasion de la Mandchourie par le Japon en 1932.
36 Schmitt, Carl, Le passage au concept de guerre discriminatoire, op. cit., p. 114.
37 Ibid.
38 Schmitt, Carl, « Die Kernfrage des Völkerbundes » (1924-1927), in Frieden oder Pazifismus, op. cit., p. 1-25, trad. R. Kolb, « La question clé de la Société des Nations », Paris, Pedone, 2009, p. 23-73.
39 Schmitt, Carl, Der Begriff des politischen (1927), Berlin, Duncker & Humblot, 2002, trad. (des éditions de 1932 et 1963) M.-L. Steinhauser, La notion de politique, Paris, Éditions Flammarion, 1992. Corollaire II : « Du rapport entre les concepts de guerre et d’ennemi » (1938), p. 167-168.
40 Schmitt, Carl, « Ennemi total, guerre totale, État total », in Frieden oder Pazifismus, op. cit., p. 481-507.
41 Ludendorff, Erich, Der totale Krieg, Munich, Ludendorffs Verlag, 1935. La Guerre totale, éditions Perrin, 2010.
42 Schmitt, Carl, Frieden oder Pazifismus, op. cit., p. 482. Nous traduisons.
43 Jünger, Ernst, Die totale Mobilmachung, Berlin, 1930. La mobilisation totale, Paris, Gallimard, 1990.
44 Schmitt, Carl, Römischer Katholizismus und politische Form (« Catholicisme romain et forme politique »), Hellerau, Cotta, 1923, rééd. Stuttgart, Klett-Cotta, 2008, p. 22. Expression que Schmitt rattache au programme d’industrialisation de la Russie par Lénine.
45 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 233.
46 Ibid., p. 235.
47 Schmitt, Carl, Land und Meer. Eine Weltgeschichtliche Betrachtung (1942), Cologne, Maschke-Hohenheim, 1981, trad. J.-L. Pesteil, Terre et mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale, Paris, Éditions du Labyrinthe, 1985.
48 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 254.
49 Schmitt, Carl, La Notion de politique, op. cit., Corollaire II, p. 161-172.
50 Ibid., § 5, p. 170.
51 Ibid., § 1 p. 162.
52 Schmitt, Carl, Théorie du partisan, in La notion de politique, op. cit., p. 305.
53 Sur l’expression de « guerre civile mondiale » on renverra aux analyses de Céline Jouin, dans sa préface au recueil de traductions de Schmitt. Cf. Jouin, Céline, « La guerre civile mondiale n’a pas eu lieu », in Schmitt, Carl, La guerre civile mondiale. Essais (1943-1978), trad. Céline Jouin, éditions Ère, Maison-Alfort, 2007.
54 Schmitt, Carl, Théorie du partisan, op. cit., p. 259.
55 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 310.
56 Ibid., p. 311.
57 Schmitt, Carl, « Totaler Feind… », in Frieden oder Pazifismus, op. cit., p. 485.
58 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 311.
59 « L’institution des prises, particulière à la guerre maritime, présente une double originalité : d’une part, elle touche des biens de propriété privée, auxquels le droit de la guerre terrestre attache généralement un caractère d’inviolabilité ; d’autre part, et contrairement aux butins de guerre, biens publics susceptibles de simple confiscation administrative, elle nécessite un jugement en application d’une règle coutumière. Le droit de prise subit une double limitation. Ratione temporis, l’appropriation n’est réputée valable qu’au cours d’une guerre, le droit s’exerçant dès l’ouverture des hostilités ; une pratique plus libérale, consacrée par la vie convention de La Haye (18 oct. 1907), prévoyait le bénéfice de l’indult (ou délai de grâce) au profit des navires de commerce surpris en port ennemi au début des hostilités ; dénoncée par le Royaume-Uni en 1925, cette libéralisation n’a plus trouvé d’application dans les faits ; la signature de la paix emporte cessation du droit de prise. Ratione loci, le droit de prise peut être exercé en haute mer et dans les eaux territoriales ou intérieures des belligérants par les navires de guerre ; dans les ports, par les autorités maritimes. » (http://www.universalis.fr/encyclopedie/prise-de-guerre/).
60 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 312.
61 Schmitt, Carl,, « Der Begriff der Piraterie » (1937), rééd. in : Positionen und Begriffe, p. 240-243. « Le concept de piraterie », trad. E. Pasquier, in Carl Schmitt : Nomos, droit et conflit dans les relations internationales, Ninon Grangé éd., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 113-115.
62 Ibid., p. 243.
63 Schmitt, Carl, Glossarium. Aufzeichnungen der Jahre 1947–1951 (posthume), Berlin, Duncker & Humblot, 1991.
64 Schmitt, Carl, Glossarium, op. cit., 24 août 1949. p. 267.
65 Schmitt, Carl, Théorie du partisan, op. cit., p. 263.
66 Anders, Günther, « Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse », L’Obsolescence de l’homme (1956), Paris, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2001.
67 Schmitt, Carl, Le Passage au concept de guerre discriminatoire, op. cit., p. 77.
68 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 278.
69 Schmitt, Carl, Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für Raumfremde Mächte (1939 et 1941), Berlin, Duncker & Humblot, 1991, trad. F. Poncet, « Le droit des peuples réglé selon le grand espace proscrivant l’intervention de puissances extérieures », Guerre discriminatoire et logique des grands espaces, Günter Maschke éd., préface de Danilo Zolo, Paris, Éditions Krisis, 2011.
70 Ibid., p. 54-55.
71 « La guerre sous-marine revient, à mesure que les nouvelles puissances de la planète, Chine en tête, acquièrent des flottes océaniques. On compte 500 sous-marins dans le monde et une centaine de plus entreront en service d’ici à 2020. “C’est sous l’eau que les choses se passent”, assure une source militaire française. » https://www.letemps.ch/monde/2014/09/17/nouvelle-guerre-marine – Voir aussi http://www.lefigaro.fr/international/2017/02/26/01003-20170226ARTFIG00122--brest-la-marine-nationale-redouble-de-vigilance-face-aux-sous-marins-russes.php
72 Schmitt, Carl, « Le concept de piraterie », in Positionen und Begriffe, op. cit., p. 243.
- CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN: 978-2-406-07145-7
- EAN: 9782406071457
- ISSN: 2271-7234
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-07145-7.p.0093
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-19-2017
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Carl Schmitt, treaty of Versailles, discriminatory concept of war, total war, Jus Publicum Europaeum