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Classiques Garnier

Carl Schmitt et la Grande Guerre Une contre-histoire de la paix

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Éthique, politique, religions Les transformations du concept de guerre (1910-1930)
    2017 – 1, n° 10
    . II. Techniques, stratégies, culture
  • Author: Pasquier (Emmanuel)
  • Abstract: Carl Schmitt’s thought was heavily influenced by Germany’s situation after World War I and by the terms of the Treaty of Versailles. The league of Nations, according to Schmitt, actually leads to the criminalisation of the enemy, thus dissolving the balance of power of the Jus Publicum Europaeum, and leading to the danger of total war.
  • Pages: 93 to 122
  • Journal: Ethics, Politics, Religions
  • CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN: 9782406071457
  • ISBN: 978-2-406-07145-7
  • ISSN: 2271-7234
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-07145-7.p.0093
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 09-19-2017
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: Carl Schmitt, treaty of Versailles, discriminatory concept of war, total war, Jus Publicum Europaeum
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Carl Schmitt
et la Grande Guerre

Une contre-histoire de la paix

Carl Schmitt, né en 1888, avait 26 ans en 1914. Après avoir soutenu sa thèse sur La Valeur de lÉtat et la signification de lindividu1 en 1915, il sengagea volontairement. Blessé pendant ses classes, il ne participa pas aux combats. Il occupa des fonctions comme officier de larrière à lÉtat major et au ministère bavarois de la guerre à Munich jusquen 1918. Spécialiste de droit constitutionnel, il consacre cependant de nombreuses analyses au droit international pendant lentre-deux-guerres. Franz Neumann, qui proposa une magistrale analyse du régime nazi dès 1942, considère que « cest Carl Schmitt qui tint le premier rôle dans le concert national-socialiste pour la révision du traité [de Versailles]2 ». En effet, dès les lendemains de la Guerre, Schmitt critique les conditions de la paix de Versailles, en particulier autour de la question du statu quo territorial et de la question du traitement des responsabilités de la guerre3.

La Grande Guerre, dans lœuvre de Carl Schmitt, donne lieu à de nombreuses analyses et allusions ponctuelles, relativement éparpillées dans de multiples textes. On tentera ici den restituer la logique de manière synthétique. Dune façon générale, la séquence 1914-1918 sinscrit, pour Carl Schmitt, dans une séquence historique plus large, qui va de la fin 94du xixe siècle jusquà 1939. Dans cette longue période sopère ce quil appelle « le passage vers le concept discriminatoire de guerre4 ». Lordre européo-centré du monde vacille ; le Jus Publicum Europaeum, le droit public européen, qui permettait une régulation et une limitation de la guerre entre les États, entre en crise. Peu à peu, sous linfluence des nouvelles grandes puissances émergentes que sont les États-Unis et la Russie, les États cessent de se considérer comme des adversaires égaux pour se considérer comme des criminels. Le droit international prend un virage pénaliste qui, selon Schmitt, tend à intensifier lhostilité plus quà la limiter.

Dans cette mutation historique, la Guerre de 1914-1918 joue un rôle de pivot. Les États européens y entrent dans des formes qui sont encore celles de la guerre du xviiie siècle, mais ils en sortent avec des concepts brouillés de la guerre et de la paix ; ou, plus, précisément, ils nen sortent pas, car cette confusion conceptuelle empêche détablir une paix véritable et de reconstruire un ordre mondial capable dendiguer les nouveaux conflits.

On montrera ainsi que, pour Schmitt, la Grande Guerre marque un jalon décisif dans la mutation du droit de la guerre ; mais que cette mutation est un échec, cest-à-dire que les États, en particulier dans le cadre de la Société des Nations, ne parviennent pas à effectuer ce passage dun droit international européen à un droit international mondial cohérent. Cest donc une série de tremblements, de vacillements, dhésitations au sein du droit international, dont Schmitt dresse le diagnostic à partir de 1918.

On suivra ici la trace de ces vacillements à travers plusieurs axes de lecture : on commencera par situer la place de la Guerre de 1914-1918 dans le cadre plus général des analyses polémiques de Schmitt dans lentre-deux-guerres ; on examinera ensuite, en amont de 1914, dès la fin du xixe siècle, les premiers signes de la déstructuration du droit international public. Concernant ensuite le règlement même de la Guerre, nous verrons quelle fut lanalyse critique de Schmitt au sujet du Traité de Versailles et de la tentative – manquée – de traitement judiciaire de Guillaume II ; et lon verra comment cet échec se prolonge, dans lentre-deux-guerres, dans léchec de la Société des Nations à trouver sa cohérence et à fonder ce que lon pourrait appeler un Jus Publicum Orbis Terrarum opératoire. On examinera dès lors les liens entre le concept 95discriminatoire de guerre et la notion de « guerre totale » ; et, plus précisément, limportance quaccorde Schmitt à lavènement de la guerre sous-marine pendant le premier conflit mondial.

La paix manquée

Il serait insuffisant de dire que, pour Schmitt, la paix est la continuation de la guerre par dautres moyens. Les traités de paix de 1919 scellent plutôt, selon lui, lentrée de lEurope dans un état de confusion politique, où les notions même de « guerre » et de « paix » deviennent floues – et avec elles, en cascade, la délimitation entre une série de catégories : civil/militaire, privé/public, ami/ennemi, économique/politique et même européen/extra-européen. Schmitt nous présente le scénario dune crise historique dont lampleur serait beaucoup plus large que la parenthèse belligérante 1914-1918, quil faut replacer dans ce cadre pour en comprendre le sens. Schmitt fait partie de ceux pour qui la paix des traités nest pas la fin de la lutte. Au contraire, elle ouvre un nouveau champ de bataille, celui dun combat conceptuel qui est, lui aussi, une guerre de « positions » – comme lindique le titre que Schmitt donnera rétrospectivement au recueil darticles de cette période quil publie en 1940 : Positionen und Begriffe im Kampf mit Weimar – Genf – Versailles, 1923-19395 : « Positions et concepts dans le combat contre Weimar – Genève – Versailles ». La connotation hitlérienne du mot « Kampf » dit bien ce quelle veut dire : « der Krieg » (la guerre) a laissé la place à « der Kampf » (le combat) jusquà 1939, où il redevient « Krieg » à proprement parler – pour le pire.

Lalternance « Krieg – Kampf – Krieg » est ainsi substituée par Schmitt à lalternance « officielle », légaliste, normativiste, des États libéraux : « Krieg – Frieden – Krieg » (« Guerre – Paix – Guerre »). « Der Frieden », la paix véritable, na jamais eu lieu, elle na jamais pris corps pour Schmitt. Les relations internationales sont restées dans un état de tension, qui redevient paroxystique en 1939. Schmitt distingue la paix 96concrète (« Frieden ») et un pacifisme abstrait6. Une paix qui correspond à ce quil appelle par ailleurs un « ordre concret7 ». Pour Schmitt, en effet, « ce nest pas la norme ou la règle qui crée lordre, mais elle a plutôt, sur la base et dans le cadre dun ordre donné, une certaine fonction régulatrice8 ». Lordre concret de la paix ne peut se constituer que dans un équilibre des forces accompagné de la reconnaissance de la légitimité de cette situation par les acteurs politiques en présence. Si la situation est déséquilibrée dans les faits, si elle apparaît comme illégitime à lune des parties, ou si les acteurs en présence ne sont pas clairement définis, alors la « paix » ne peut être quun vœu pieux. Le « pacifisme » est une position dans un certain rapport de forces, qui favorise le statu quo territorial. Mais ce type de position est, selon Schmitt, dautant plus redoutable quil repose sur une dénégation de la lutte. Cest pourquoi il porte en germe une intensification des conflits, derrière son aspect irénique.

La Première guerre mondiale a mis fin à un certain régime de léquilibre des puissances européennes. « Ce fut un jour fatidique lorsque, pendant la guerre mondiale, le Président des États-Unis dAmérique, W. Wilson, revendiqua inaugurer une nouvelle époque du droit international en rejetant les concepts traditionnels de guerre et de neutralité non-discriminatoires9. »

Dans le cadre du Jus Publicum Europaeum, la guerre était légale et considérée comme lexercice normal de la souveraineté étatique. Elle sinscrivait dans un cadre juridique où les adversaires étaient définis, où lentrée et la sortie de la guerre avaient des formes juridiques et où la distinction entre civil et militaire était clairement établie – cest du moins le modèle idéalisé que propose Carl Schmitt10. Par-delà une évaluation 97de la pertinence historique de la référence schmittienne à Vattel11 et de ce modèle juridique pour penser les guerres « en forme » du xviie et du xviiie siècles, les analyses de Schmitt sur le Jus Publicum Europaeum nous révèlent, peut-être avant tout, un anti-modèle de la Première guerre mondiale et de son règlement. Le Jus Publicum Europaeum nous renvoie à une époque où, selon Schmitt, lalternance de la paix et de la guerre a été possible, parce que lalternative entre paix et guerre était portée par un ordre spatial interétatique clairement défini, et non pas seulement par le formalisme juridique des traités. Cest vis-à-vis de ce modèle dun droit de la guerre et de la paix bien constitué, que Schmitt va pouvoir décrire le désordre politique, juridique et spatial sur lequel a débouché la Première guerre mondiale. Et cest parce quelle plonge, selon lui, non seulement lAllemagne, mais lEurope tout entière, dans un état inédit dindétermination politique, quelle est désormais le lieu dun combat, qui est dabord un combat pour la re-détermination du sens. Sens des mots « paix » et « guerre » ; sens du mot « politique » ; sens du mot « État » ; sens du mot « Europe ».

Vu depuis Le Nomos de la terre, la Guerre de 1914-1918 marque « la fin de cet ordre spatial de la terre sur lequel avait reposé le droit des gens reçu, spécifiquement européen, ainsi que la limitation de la guerre à laquelle il était parvenu12 ».

Ce virage historique est dabord un virage manqué, qui aboutit logiquement à la catastrophe. Les analyses de Schmitt sont écrites en contexte. Elles ont une portée polémique et lélargissement de la perspective historique est une stratégie rhétorique. Schmitt vise le discours dominant des vainqueurs de la Première guerre mondiale, pour dédouaner lAllemagne de toute responsabilité, et mettre en accusation la France, lAngleterre et les États-Unis, pris dans le jeu de leurs intérêts contradictoires, et leur incapacité à faire advenir un nouveau nomos. Par ce terme de « nomos de la terre », Schmitt entend la répartition mondiale de la souveraineté. Il sagit de montrer que cette période est celle dun renversement de polarité de cette répartition, passant dun monde européo-centré à un monde 98américano-centré. Ce nest pas seulement une réorientation spatiale, mais un changement qualitatif, qui voit à la fois lémergence des États-Unis comme puissance mondiale et la désorganisation du nomos européen, sans quun nouveau nomos prenne véritablement forme. Cest là le nerf de la critique schmittienne de la Société des Nations et du règlement global de laprès-Première guerre mondiale : il y a eu une prétention à faire advenir un nouveau nomos, un nouvel ordre centralisé, engageant de nouveaux acteurs et fondé sur un nouveau principe dordre, le concept discriminatoire de guerre. Mais cette prétention a été une suite de rendez-vous manqués, dont le péché originel est le Traité de Versailles.

Première déstructuration
du Jus Publicum Europaeum

En amont de la Première guerre mondiale, Schmitt analyse les ambiguïtés qui se manifestent déjà dans lordre européen lors de la Conférence du Congo en 1884-1885. Présidée par le Chancelier Bismarck, cette conférence, dont on a pu dire quelle était le partage de lAfrique par lEurope, visait à délimiter lextension du bassin du Congo pour en faire un espace de commerce libre, sous la souveraineté de Léopold II, roi des Belges. Elle visait également à établir des règles communes pour les prises de terre à venir sur le continent africain. La conférence réunissait lEmpire allemand, lAutriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, lEspagne, la France, la Grande-Bretagne, lItalie, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Portugal, la Russie, la Suède, la Norvège, lEmpire Ottoman, ainsi que les États-Unis dAmérique. Ceux-ci, œuvrant dans le sens de Léopold II, jouèrent un rôle important dans la neutralisation du bassin du Congo en tant quespace de libre commerce13. De plus, les États-Unis avaient été les premiers à reconnaître le drapeau de lAssociation internationale du Congo, dans une certaine confusion des catégories du droit interétatique européen, puisque cette Association nétait pas un État. Il y a donc une première « relativisation de lEurope à partir de lOccident américain14 » et 99la Conférence « révéla déjà, dit Schmitt, un mélange dabsence sur le plan des principes et de présence sur le plan des faits en Europe, une étrange contradiction dans lattitude des États-Unis dAmérique, contradiction qui devint plus apparente encore après la Première guerre mondiale15 ».

Au-delà de cette intervention des États-Unis, lensemble de cette période voit le droit interétatique européen se déstructurer au profit dun droit universaliste à échelle mondiale mais, qui, faute dêtre parvenu à maturité, ne peut répondre à lexigence fondamentale du droit international : limiter la guerre. Le rapport entre les normes et les exceptions sinverse :

Ce que la doctrine traitait désormais au titre de droit des gens ou plus exactement dinternational law nétait plus un ordre spatial concret. Mis à part certaines matières techniques spéciales, ce nétait rien quune série de généralisations de précédents douteux, qui reposaient pour la plupart sur des situations complètement disparues ou complètement disparates, combinés avec des normes reconnues plus ou moins généralement, dautant plus généralement et plus vivement « reconnues » que leur application au cas despèce litigieux était plus contestée. Ces normes généralement reconnues planaient au-dessus dun réseau impénétrable daccords conventionnels assortis de réserves fondamentales de toutes sortes. Tandis que les conventions de la première Conférence de La Haye de 1899 ne furent encore signées quavec peu de réserves, la proportion entre conventions et réserves sétait déjà renversée lors de la signature des conventions de la seconde Conférence de 1907. Ces réserves transformaient les plus belles conventions en simple façade. La maxime « pacta sunt servanda » flottait comme un pavillon juridique sur une inflation parfaitement nihiliste dinnombrables pactes contradictoires et entièrement vidés de leur substance par des réserves expresses ou tacites16.

Cette déstructuration ouvre, non seulement sur la possibilité de la guerre, mais sur la perspective dune guerre dun type nouveau, où les mécanismes de limitation des guerres antérieures, inter-monarchiques, nauront plus deffectivité.

Sur cette démission du droit des gens, lEurope senfonça titubante dans une guerre mondiale qui détrôna lancien continent du centre de la terre, et mit à néant la limitation de la guerre réussie jusque-là17.

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Le traité de Versailles
et la criminalisation de lagression

Quant au déclenchement de la Guerre de 1914, Schmitt, fidèle à son art décrire, veut prendre de la hauteur :

Nous navons pas besoin dexaminer ici lensemble du problème de la responsabilité de la guerre, dont on sait quil a déjà donné lieu à une quantité véritablement gigantesque de publications de toute sorte18.

Non sans ironie, Schmitt cite le Président américain Wilson lui-même pour laisser entendre que la question matérielle de la responsabilité de la guerre est un vain débat :

Aucun fait particulier, déclare Wilson, na provoqué la guerre, cest tout le système européen qui porte en définitive la responsabilité profonde de la guerre, son écheveau dalliances et dententes, une toile complexe dintrigues et despionnages qui devait infailliblement prendre toute la famille des nations dans ses rets19.

Cest donc sur le déroulement et la conclusion de la Guerre que Schmitt va concentrer ses analyses. La Guerre, porteuse des ambivalences de cette période, aura agi comme une forme d« accélérateur de lhistoire », à la fois symptomatique et producteur de la mutation du droit des gens et du sens de la « guerre » :

La Première guerre mondiale commença en août 1914 comme une guerre étatique européenne dancien style. Les puissances belligérantes se considéraient mutuellement comme des États souverains égaux, qui se reconnaissaient en cette qualité et qui étaient des « justi hostes » au sens du Jus Publicum Europaeum. Lagression nétait pas encore un concept juridique du droit des gens de lépoque. Le début de la guerre était encore marqué par la déclaration de guerre en bonne et due forme [] [et] nétait donc pas un acte dagression au sens dun motif à charge ou de discrimination, cétait au contraire un acte correct, lexpression de la guerre en forme. [] Mais bientôt on vit samorcer un changement de sens20.

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Ce changement de sens sexprime dabord, selon Schmitt, dans une revendication de la Belgique pour dénoncer loccupation allemande dont elle a été victime pendant les quatre ans de la guerre. Le juriste belge Charles de Visscher fait ainsi valoir en 1916 que le principe dégalité juridique entre belligérants nest pas valable dans ce cas, car lAllemagne a mené contre la Belgique une agression « injuste ». La notion d« agression injuste » remet en cause le principe même du « jus ad bellum » et introduit une dissymétrie juridique entre les adversaires, première manifestation dune tentative de criminaliser lennemi.

Mais le point décisif est la mise en accusation de lEmpereur Guillaume II. Larticle 22721 du Traité de Versailles, concernant la responsabilité personnelle de Guillaume II dans le déclenchement de la guerre, est, pour Schmitt, particulièrement significatif de la confusion juridique dans laquelle se trouvent les États, européens en particulier, après la guerre. « Il faut y voir, dit Schmitt, des symptômes dune transformation de la guerre en droit des gens, si ce nest même un précédent22. » Schmitt oppose ainsi les « crimes de guerre dans lancienne acception du terme », tels quils sont encore définis dans larticle 22823 du Traité de Versailles, et le crime « de la guerre » établi par larticle 227.

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Dans le premier cas (art. 228), il sagit de « certains actes commis pendant la guerre », infraction au « jus in bello », « telles que des violations du Règlement de La Haye concernant la guerre sur terre, des normes du droit de la guerre maritime, du droit des prisonniers de guerre, etc.24 ». Déjà dans cet article, on décelait un élément de criminalisation des vaincus : les États vaincus devaient livrer leurs propres ressortissants criminels de guerre – au lieu que ne soient jugés que les prisonniers. Cela met fin à linstitution jusque-là admise de lamnistie, incluse dans le traité de paix. Le traité de paix ouvre sur de nouvelles procédures, au lieu de clore lhostilité, et il institue une dissymétrie juridique de traitement entre vaincus et vainqueurs (qui, eux, nont pas à livrer leurs criminels de guerre).

Larticle 227, concernant Guillaume II, accumule, pour sa part, les innovations juridiques. Avant tout, la forme judiciaire donnée à cette accusation de responsabilité de la guerre transgresse le principe « Par in parem non habet juridctionem » (« un pair na pas de juridiction sur un pair »), qui est lexpression même de légalité juridique des États belligérants. Deuxièmement, ce nest pas un État qui est mis en cause, mais lEmpereur à titre personnel. Cette individualisation permet au droit international de prendre la forme du droit pénal. Or, cela supposerait que le crime dagression ait été défini avant la guerre, et non au moment de laccusation. « Le principe nullum crimen, nulla poena sine lege [“pas de crime, pas de peine, sans une loi”] était manifestement violé25. »

Larticle 227 resta lettre morte. Le Kayser Guillaume II, réfugié en Hollande, ne fut ni poursuivi ni jugé. Signe, dit Schmitt, que cet article dérogeait trop manifestement aux usages juridiques pour être vraiment applicable. Il restait cependant hautement symptomatique dune tendance, encore embryonnaire, mais qui nallait cesser de se confirmer, à considérer lennemi comme un criminel et non plus comme un adversaire dégale dignité juridique.

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Schmitt réitère cette analyse à propos de larticle 23126, qui concerne, lui aussi, la question de la responsabilité de la guerre, envisagée cette fois sous langle des réparations :

Il sagit des réclamations financières et économiques des vainqueurs, qui ne sont pas des indemnités de guerre à lancienne mode, mais des demandes de réparations et de dommages, cest-à-dire des créances juridiques déduites dune responsabilité juridique du vaincu27.

Là encore, Schmitt identifie un virage pénaliste du droit international. Mais sil examine ces débats, cest de nouveau pour faire apparaître que, en 1919, cette mutation na pas eu lieu. On la décèle dans les textes, mais elle na pas pris corps concrètement : « On nétait nullement daccord à Versailles pour créer un nouveau crime international28. » Et Schmitt se complaît à montrer (noublions pas quil écrit dans le contexte du Tribunal de Nuremberg), que cétaient les Américains, qui étaient les plus réticents à faire émerger un concept criminalisant de la guerre dagression en 191929. Cétait les Américains qui avaient reculé devant une pénalisation du droit international – en dépit même de lopinion publique américaine, et dune certaine tentation des États européens vainqueurs. Les États-Unis se sont effectivement retirés du Traité de Versailles, quils nont pas signé, préférant conclure un traité de paix séparé avec lAllemagne (25 août 1921), dont ils gomment toute référence à une responsabilité criminelle. Ce sont donc eux, à ce moment-là, plus que les Européens, qui sen tiennent au droit des gens classique, non discriminatoire.

Cest cet entre-deux qui intéresse Schmitt. Ce premier rendez-vous manqué avec une forme nouvelle de droit international. Il permet à Schmitt de laisser entendre quà cette époque, rien nétait encore perdu. Quil aurait été possible, peut-être, de refonder un droit interétatique à léchelle mondiale, un nouvel ordre mondial capable de préserver la paix.

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Si le Traité de Versailles a quelque chose dinaugural, cest dans ce caractère raté, dans cette ambivalence non réglée qui va être la figure dominante de lentre-deux-guerres, et qui va caractériser, en particulier, la Société des Nations.

Le passage au concept
discriminatoire de guerre

On peut alors reconstituer larc analytique qui va de 1918 à lorée de la deuxième guerre mondiale. Il commence avec le Pacte de Genève en 1919, qui créé la Société des Nations, passe par le Protocole de Genève pour le règlement pacifique des différends internationaux en 1924, et aboutit enfin au Pacte Briand-Kellogg en 1928. Cest ce dernier, selon Schmitt, qui, par la formulation de la condamnation de la guerre, « changea laspect mondial du droit des gens30 ».

Si ce processus est en germe dès la Première guerre mondiale, Schmitt se garde cependant contre la tentation dune lecture téléologique de lhistoire – qui dès lors serait a-politique. Ce sont bien des décisions politiques – et aussi des indécisions – qui, à chaque étape, ont consolidé une tendance qui aurait pu suivre un autre cours.

Dans Le Passage au concept de guerre discriminatoire31, Schmitt attribuait à « la force de résistance du peuple allemand » (ce qui apparaît comme une pétition de principe) le fait que « la guerre de 1914-1918 resta une guerre traditionnelle malgré toutes les tentatives den faire une “exécution” selon le droit international en distinguant les dirigeants allemands du peuple32 ». Le peuple allemand apparaît ici comme ayant joué un rôle de katechon33, terme cher à Schmitt, le rôle dun « reteneur », qui aurait retardé dautant le règne de luniversalisme, cest-à-dire de la confusion – et de lillimitation des conflits. Car, « si le but final universaliste était atteint, il ny aurait plus de guerres entre les peuples de la terre, ni 105même des guerres justes ou injustes34 ». La fin de la guerre ne signifie pas la fin des hostilités ni de la violence, au contraire : elle signifie que la guerre serait devenue impensable, voire présentée comme action de paix. Ainsi analyse Schmitt dans le système juridique du juriste français Georges Scelle : celui-ci pense le droit international sur le modèle dun droit constitutionnel mondial. De ce fait, dit Schmitt,

la guerre na pas de place dans le système scellien. Dans sa manière de concevoir le droit international, la guerre devient un phénomène « inconcevable » : en effet, soit la guerre est légale, et alors elle nest pas une guerre ; soit la guerre est illégale, et alors elle nest quun crime, le crime international dagression35.

Le système de Scelle est un reflet doctrinal de la tendance vers le concept discriminatoire de guerre. En tant que système, il est plus cohérent que la réalité juridique mise en place par la Société des Nations. Car, pour sa part, dit Schmitt « le pacte de la SdN genevoise na pas tranché le concept de guerre []. En réalité, le Pacte connaît trois catégories de “guerre” : 1) lexécution ou la sanction ; 2) les guerres tolérées (licites) ; et 3) les guerres interdites (illicites)36 ». Le type 1) et le type 3) sont les réciproques lune de lautre : certaines guerres sont des agressions illicites (par exemple linvasion dun État par un autre), auxquelles la S.d.N est censée répondre par opérations militaires de sanction. Ces deux types correspondent à lidée dun nouvel ordre international dans lequel la communauté internationale serait suffisamment centralisée pour mettre en œuvre une action collective. La notion de « guerre » tendrait alors à disparaître au profit du couple infraction/sanction. Le type 2), en revanche, renvoie à lordre interétatique classique fondé sur la souveraineté individuelle des États. Ce serait le cas, par exemple, de la légitime défense dun État envahi, ripostant par lui-même, sans médiation internationale. La SdN laisse ainsi subsister les deux paradigmes du droit de la guerre, pourtant censés être incompatibles.

Lannexion de lÉthiopie par lItalie, entre 1934 et 1936, et les contradictions au sein de la SdN quant aux sanctions contre lItalie, offrent 106à Schmitt lexemple qui lui permet de faire apparaître combien ce système est un système dindécision. « La SdN genevoise na pas osé sériger en entité ordonnatrice du monde. Elle na pas osé écarter le concept de guerre traditionnel, ni na-t-elle eu le courage de renoncer simplement à ses prétentions37 ». Elle a cherché à créer un système de solidarité internationale face aux agressions. Ce système malgré ses dangers, aurait pu constituer la base dun nouvel ordre mondial centralisé et efficace pour réguler les conflits. Mais la division des États ne leur a pas permis de se réunir en un véritable « Bund ». La « question centrale de la Société des nations38 », celle de son homogénéité concrète, na pas trouvé dissue. Elle a échoué à faire advenir ce que lon pourrait appeler un Jus Publicum Orbis Terrarum.

Cette indétermination nest pas seulement un échec. Elle est à proprement parler une perversion, parce quelle permet des actions contradictoires, et de tenir un discours contraire à ses actes :

Cela parut dabord présenter des avantages pour les puissances victorieuses, qui purent jouer à deux mains durant un certain temps en ayant, selon quelles admettaient lhypothèse de la guerre ou celle de la paix, la légalité de Genève de leur côté, quel que fût le cas, alors quelle se servaient de ses concepts : violation de traité, agression, sanctions, etc. pour frapper leur adversaire dans le dos. Dans cette sorte détat intermédiaire, la détermination dun concept par lautre, de la guerre par la paix ou de la paix par la guerre, perd tout le sens quelle peut avoir en dautres circonstances. Déclarer la guerre devient alors chose dangereuse, car celui qui la déclare se met automatiquement dans son tort ; en outre, toute caractérisation et délimitation dactions militaires ou non militaires par le qualificatif « pacifiques » ou « belliqueuses » perd son sens pour la raison que des actions non militaires peuvent être des actes relevant de lhostilité la plus effective, la plus directe et la plus intense, alors que des actions militaires peuvent, au contraire, saccompagner de lexpression solennelle et énergique de vifs sentiments damitié39.

Cet état intermédiaire entre guerre et paix, cette guerre continuée, doit être mis en rapport avec la notion de « guerre totale ».

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La notion de « guerre totale »

Lexpression « guerre totale » est dabord lobjet, pour Schmitt, dun examen critique. Schmitt y voit un concept polémique qui peut recouvrir des réalités diverses en fonction de ce que lon veut lui faire dire – et de qui lon veut mettre en accusation. Dans sa brève étude de 1937, « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat40 », il examine ainsi la multiplicité des acceptions que lon a données à lexpression, depuis la notion de guerre « absolue » chez Clausewitz, jusquà la brochure du général Ludendorff en 1935, Der Totale Krieg41.

Pour ce qui concerne la guerre de 1914-1918, le caractère « total » réside dabord dans lamplification des moyens techniques et économiques mis en œuvre pendant son déroulement. La guerre « totale » doit sentendre comme un processus de totalisation. « Le caractère de la guerre, dit Schmitt, peut se modifier pendant le déroulement du conflit. La volonté de guerre (“Kampfwille”) peut satténuer ; mais elle peut aussi augmenter comme cela sest produit dans la guerre mondiale de 1914-1918. Le développement de la guerre a bientôt obligé, du côté allemand, à lengagement de toutes les réserves économiques et industrielles, du côté anglais, à la conscription universelle [loi sur la conscription du 24 janvier 1916]42. »

On trouve déjà cette caractérisation chez Ludendorff qui, en symétrie par rapport à la position classique de Clausewitz, diagnostique et prône, dans la guerre totale, la subordination du politique au militaire, cest-à-dire la réorganisation de lensemble de la société en fonction des buts stratégiques. La politique devient la continuation de la guerre par dautres moyens. Schmitt fait également écho à la « mobilisation totale43 » dErnst Jünger. Il partage avec ce dernier lidée que ce caractère « total » sinscrit dans un mouvement historique de plus grande ampleur, aussi bien en amont 108quen aval de la guerre – la guerre étant à la fois laccomplissement et le symptôme de ce mouvement historique – où les frontières catégorielles entre « politique », « économique » et « technique » tendent à se brouiller. Schmitt désigne parfois cela comme l« idéologie de la terre électrifiée44 », cest-à-dire une technicisation générale des rapports sociaux, qui a pour corollaires lhybridation entre domination politico-militaire et domination économique, ainsi que le positivisme juridique sur le plan théorique, car ce dernier met en suspens lévaluation politique du droit.

Dans Le Nomos de la Terre, Schmitt identifie que

depuis le Traité Codben de 1860, la pensée économique libérale et le caractère global du commerce étaient devenus naturels pour la pensée européenne et courants pour la pensée en général []. Par-dessus, par-dessous et à côté des frontières politiques des États par un droit des gens en apparence purement interétatique et politique, sétendait de toutes parts lespace dune économie libre, cest-à-dire non étatique, et qui était une économie mondiale45.

Et, un peu plus loin : « Cest précisément là, dans le domaine de léconomie, que lancien ordre spatial de la terre perdit de façon évidente sa structure46. » Schmitt nutilise pas encore lexpression contemporaine de « mondialisation économique » et, à la fin du xixe siècle, on en est encore loin. Cependant Schmitt pense une tension structurelle, dans lévolution de lhistoire, entre la Terre et la Mer47. La logique terrestre est celle des frontières et du découpage interétatique – cest celle des États continentaux européens ; tandis que la logique maritime est celle de la libre circulation et du commerce – cest celle de lEmpire britannique, puis des États-Unis. Ces deux éléments, comme des forces mythologiques, sarticulent, parfois séquilibrant, parfois saffrontant. Dans le monde contemporain, cest la mer qui tend à dissoudre les assises terrestres de la période précédente.

Le caractère « total » de la mobilisation économique, industrielle et humaine, sinscrit dans cette lame de fond engagée depuis la fin du 109xixe siècle, où économique et politique convergent, refaçonnant la réalité humaine. Les puissances jouent de cette confusion, en particulier les États-Unis :

Toutes les questions économiques de laprès-guerre, en particulier celles des dettes interalliées, avaient une signification politique inéluctable et immédiate, et la supériorité de laspect économique aux yeux des États-Unis ne faisait que révéler le fait que leur puissance économique avait atteint le point où elle se convertissait en puissance politique48.

Cette « conversion » de léconomique en politique est plus quune simple adjonction de moyens. Ce qui, pendant la guerre, apparaît seulement comme un gonflement quantitatif des ressources se révèle, dans laprès-guerre, une forme nouvelle de la domination politique, qui a pour effet essentiel de rendre illisible la distinction entre « paix » et « guerre ». Schmitt lanalyse en particulier dans le deuxième corollaire de sa Notion de politique49 :

La guerre dite totale abolit la distinction entre combattants et non-combattants et connaît, outre la guerre militaire, une guerre non militaire (économique, guerre de propagande, etc.) procédant elle aussi de lhostilité. Mais labolition de la distinction entre combattants et non-combattants est ici dépassement dialectique (au sens hégélien du terme) []. Ce sont les deux éléments qui se transforment et la guerre se poursuivra à un autre plan, de niveau supérieur, où elle sera une réalisation de lhostilité sous des formes qui ne seront plus exclusivement militaires. Le passage à la guerre totale consiste alors en ceci que des secteurs extra-militaires de lactivité humaine (léconomie, la propagande, les énergies psychiques et morales des non-combattants) sont engagés dans la lutte contre lennemi. Ce dépassement du plan exclusivement militaire entraîne non seulement un élargissement quantitatif, mais encore une promotion qualitative. Cest pourquoi, loin datténuer lhostilité, il la renforce50.

La Guerre de 1914-1918 aura joué un rôle de catalyseur historique. Commencée dans les formes dune guerre classique, elle enfle de lintérieur et aboutit à une paix qui nen est pas une. Traduction même de son caractère « total », elle ne saurait trouver de terme, car, désormais, « guerre » et « paix », tout comme « militaire » et « économique », nont plus de frontière nette :

110

On répète souvent lexpression dorénavant consacrée selon laquelle les peuples dEurope, à lété de 1914, se sont jetés dans la guerre sous leffet dune exaltation aveugle. En réalité, ils ont glissé peu à peu dans la guerre totale, ce qui se fit par interaction de la guerre continentale des combattants militaires et de la guerre extra-militaire menée par les Anglais : guerre navale, blocus et guerre économique, chacune incitant lautre à lescalade dans la voie de la guerre totale. En cette occurrence donc, le caractère total de la guerre nest pas lémanation dune hostilité totale préalable, cest au contraire lhostilité totale qui est elle-même le fruit dune guerre tournant progressivement à la guerre totale. Aussi laboutissement inéluctable de cette guerre a-t-il été non un traité, ni une paix, moins encore un traité de paix, au sens du droit international, mais un jugement du vainqueur condamnant le vaincu. Et la stigmatisation de cet ennemi a posteriori le marque dautant plus que sa défaite aura été plus complète51.

Tel est le drame de la Première guerre mondiale : elle a construit « lennemi a posteriori ». Loin de procéder dune hostilité quelle aurait eu pour fonction de résoudre – de manière certes dramatique, mais régulatrice – elle a construit une hostilité nouvelle, qui fait du vaincu un criminel justiciable et, après le Pacte Briand-Kellogg, de lacte de déclaration de guerre, un acte criminel.

On ne peut souscrire naïvement à lanalyse de Schmitt sans relever que, écrite en 1938, elle constitue un plaidoyer pro domo, qui vise à exempter lAllemagne, et lAllemagne nazie en particulier, de toute responsabilité dans la montée de lhostilité qui est sur le point dentraîner lEurope dans une nouvelle guerre mondiale. Il y a assurément un contexte décriture qui surdétermine le sens de lanalyse faite par Schmitt, où lon voit bien quil sagit pour lui décrire une contre-histoire de la paix, de renverser les responsabilités contre les ennemis de lAllemagne en présentant ceux-ci comme les véritables ennemis de la paix.

Au reste, on notera que cette radicalisation de lhostilité ne vient pas seulement de lOuest. Elle trouve aussi, symétriquement, son origine à lEst, en Russie, en particulier à travers la figure de Lénine. Dans la Théorie du partisan, publiée en 1963, Schmitt déclare ainsi :

En 1914, les peuples et les gouvernements dEurope, comme pris de vertige, se sont précipités dans la Première guerre mondiale sans hostilité réelle. Celle-ci naquit par la suite de la guerre elle-même, qui commença comme une guerre 111étatique conventionnelle du droit international européen pour se terminer par une guerre civile mondiale née de lhostilité révolutionnaire de classe52. »

Dans ce cadre, ce ne sont pas les États-Unis et le formalisme juridique abstrait qui sont les ressorts de lhostilité, mais lidéologie révolutionnaire qui élève la lutte des classes au rang de « guerre civile mondiale53. Dans la typologie des partisans que propose Schmitt, Lénine occupe en effet une place particulière dans la mesure où

lirrégularité de la lutte des classes met en cause, non seulement une ligne, mais au contraire lédifice tout entier de lordre politique et social. En Lénine, le révolutionnaire professionnel russe, cette réalité nouvelle accéda à la conscience philosophique. Lalliance de la philosophie et du partisan, conclue par Lénine, libéra des forces explosives et inattendues. Elle provoqua rien moins que léclatement de tout ce monde historique eurocentrique que Napoléon avait espéré sauver, que le Congrès de Vienne avait espéré restaurer54.

La Révolution de 1917 ne représente donc pas un décrochage par rapport au déroulement de la Première guerre mondiale. Lune et lautre font corps dans un même processus historique de radicalisation de lhostilité et de déshumanisation de lennemi, qui place lEurope, dès cette époque – loin en amont de la Guerre froide – entre les deux feux de lOuest capitaliste et de lEst communiste.

Les sous-marins et le changement
de représentation spatiale de la guerre

Si Schmitt ne souscrit pas pleinement à lexpression de « guerre totale », cest quil y voit une accusation contre lAllemagne. Lexpression est utilisée à propos de lusage fait par lAllemagne des U-Booten, coulant sans avertissement des navires sans distinction de nationalité, ni distinction 112entre civils et militaires. Dès 1914, les sous-marins allemands coulent trois croiseurs britanniques. En 1915, ils coulent le paquebot Lusitania, puis LArabie, ce qui jouera un rôle déterminant dans la légitimation de lentrée en guerre des États-Unis par Wilson. À partir de 1917, Guillaume II ordonne une guerre sous-marine sans restriction, y compris contre les pavillons neutres, afin de mettre en place un blocus contre les forces de lEntente. Mais, réciproquement, les Allemands attribuent à lAngleterre la responsabilité de la guerre totale, mise en œuvre dans la guerre de course et avec le blocus maritime de lAllemagne par la Royal Navy.

Cest dans la guerre maritime que sest joué le changement de physionomie de la guerre. Les guerres du Jus Publicum Europaeum reposaient sur un équilibre entre Terre et Mer, où lAngleterre, puissance maritime, jouait le rôle de principe déquilibre entre les puissances continentales. Les surfaces terrestres et la surface maritime partageaient un même plan dhorizontalité qui permettait de les mettre en relation comme se contrebalançant mutuellement. Schmitt analyse, à la fin du Nomos de la terre, le « changement de la représentation spatiale des théâtres de la guerre55 ». Le théâtre de la guerre, quelle soit maritime ou continentale, était une scène bidimensionnelle. Lusage des sous-marins a joué un rôle révolutionnaire, en introduisant une troisième dimension spatiale. Laviation amplifiera encore cette révolution spatiale. Mais la guerre sous-marine entraîne déjà une bataille juridique et idéologique, qui rentre, pour Schmitt, dans le cadre de la criminalisation de lennemi.

« Le sous-marin avait déjà provoqué une transformation de lespace lourde de conséquences56. » La nouveauté des sous-marins, et la nouvelle dimension spatiale quils investissent, en font des objets nouveaux du point de vue juridique. Ils deviennent, à lintérieur de la guerre, un enjeu du droit de la guerre, et la Bataille de lAtlantique est aussi une bataille didées. « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille des hommes57 » déclare Schmitt en citant Rimbaud, non sans une certaine pompe.

En 1916, les sous-marins de commerce allemands Deutschland et Bremen, qui, daprès Schmitt, transportaient des marchandises mais nétaient pas armés, furent déclarés bâtiments de guerre par les Anglais 113et les Français. « Déminents juristes anglais ont même avancé la thèse que les sous-marins étaient par essence des bâtiments de guerre58. » Dans ce cas, cest la frontière entre civil et militaire qui vacille.

Sur un autre plan, le droit de prise, institution spécifique du droit maritime soumise à des limitations précises59, donne lieu à dimportantes entorses puisque les Britanniques, dans le cadre de la pratique dite « de Kirkwall », sautorisent à dérouter les navires de commerce dans leurs propres ports (celui de Kirkwall en Écosse, en particulier) – afin déviter que leurs propres bâtiments ne soient torpillés par les U-Booten pendant des perquisitions maritimes – et à les faire fouiller par leurs services de douanes, malgré la sentence arbitrale rendue encore en 1913, dans laffaire du Carthage, par le tribunal de La Haye, qui restait sur des positions classiques. Ainsi, dit Schmitt, « la guerre commerciale sur mer finit par revêtir un caractère purement territorial60 ». Ici, paradoxalement, le développement de la guerre maritime tend à faire perdre à celle-ci ses caractéristiques et ses restrictions spécifiques pour devenir une modalité de la guerre terrestre. Les frontières se brouillent entre Terre et Mer. Concrètement, cest pour les Anglais loccasion de se libérer dun certain nombre dobligations juridiques du droit maritime.

En 1937 dans « Le concept de piraterie61 », Schmitt salue léchec de la tentative par les Anglais de criminaliser les équipages des sous-marins en 114considérant ces derniers comme ayant un statut de « pirates », cest-à-dire d« ennemis du genre humain ». Mais il y voit encore le symptôme du mouvement vers le concept discriminatoire de guerre inauguré par la Première guerre mondiale. Vouloir traiter les sous-mariniers en pirates, alors quils sont manifestement les marins dune flotte nationale identifiable, cest chercher à traiter lennemi en criminel :

Aujourdhui [en 1937], où doit être évité le choc frontal dÉtats totaux dans une guerre totale, se présentent des transitions et des concepts intermédiaires entre la guerre ouverte et la paix véritable, car déjà la simple possibilité dune guerre totale suggère le dessin de telles formations intermédiaires. Si la conception anglaise de la piraterie sous-marine devait simposer comme un concept du droit international général, alors le concept de piraterie changerait complètement de place dans le système du droit international. Il serait transféré hors de lespace vide non-politique et non-étatique, vers lespace, typique pour le droit international daprès-guerre, du concept intermédiaire entre guerre et paix62.

On remarque un flottement dans lusage de lexpression « guerre totale » : elle désigne ici la montée aux extrêmes du conflit entre adversaires, à la manière de Clausewitz. Paradoxalement, la guerre discriminatoire – qui peut elle aussi une forme de « guerre totale » (de la communauté internationale contre un État considéré comme criminel) – tant quelle maintient les États dans un état intermédiaire entre guerre et paix, est une manière de rester en deçà dun conflit dune telle intensité. Elle comporte cependant le risque dune intensification encore plus radicale de lhostilité, lorsquelle mène à la déshumanisation de lennemi, et à la justification de son extermination.

115

Un nouveau nomos de la Terre ?

À la recherche du Jus Publicum Orbis Terrarum

Si dans ses analyses à portée scientifique, Schmitt conserve un certain soin des nuances, il sautorise dans son journal, le Glossarium63, des raccourcis, qui en disent plus sur lui, peut-être, que sur lhistoire humaine. Ainsi cette déclaration saisissante sur lextermination de Juifs, où lobsession du renversement des responsabilités prend un tour vertigineux :

Qui est le vrai criminel, le véritable instigateur de lhitlérisme ? Qui a inventé ce personnage ? Qui a donné cet épisode abominable au monde ? À qui devons-nous ces douze millions de Juifs assassinés ? Je peux vous le dire très précisément. Hitler ne sest pas inventé tout seul. Nous le devons au pur esprit démocratique qui nous a concocté la figure mythique du soldat inconnu de la Première guerre mondiale64.

Que veut dire Schmitt par cette crase historique, qui relie en deux lignes Hitler au soldat inconnu de la Première guerre mondiale ? Quest-ce que ce « pur esprit démocratique » qui serait responsable de lextermination ? Si lon se risque ici à reconstituer la « logique » de Schmitt, cest luniversalisme qui porte la responsabilité de la guerre totale. Avec les camps de concentration de la deuxième guerre mondiale, la guerre a atteint un niveau de « totalité » bien plus radical encore que celui des millions de morts de la guerre des tranchées, ou des ambiguïtés de la guerre sous-marine. Comme dit Schmitt à propos de Clausewitz : « Il ne pouvait deviner encore le degré de totalité qui va de soi de nos jours65. » Il y a ainsi des degrés de « totalité » – et la deuxième guerre mondiale elle-même reste peut-être encore en deçà dune guerre atomique à venir qui serait « totale » parce quelle mènerait lhumanité à sa perte. Schmitt partage avec Günther Anders66 la 116conscience apocalyptique de lère atomique. Lextermination des Juifs est, dans la phrase de Schmitt, la manifestation, à son nouveau degré de « totalité », de la confusion entre civil et militaire, entre guerre et paix, entre technologique et politique. Hitler, finalement, serait le produit – et non lacteur (!) – de cette confusion. Le soldat inconnu, cest laffirmation dun humanitarisme qui transcenderait lhostilité, qui brouillerait la distinction entre « ami » et « ennemi », mais qui, dans cette dénégation de lhostilité, intensifie le conflit. Le processus qui commence par une criminalisation de lennemi mène à considérer celui-ci comme criminel vis-à-vis de lhumanité elle-même, et donc, finalement comme « ennemi de lhumanité » qui nest plus un adversaire, mais un monstre à éradiquer. La guerre dextermination est donc un produit de lhumanisme de la SdN. CQFD ! Schmitt prolonge ici ce quil annonçait déjà avant guerre à propos de la SdN :

Cest ce système qui permet un passage au concept de guerre discriminatoire. Ce système, tant quil subsistera dans sa forme actuelle, est dès lors un moyen de préparer une guerre totale au plus haut degré, cest-à-dire une guerre juste supra-étatique et supranationale67.

Le fait que ce soit Hitler, et non la SdN, qui ait mis en œuvre cette politique dextermination dun « ennemi de lhumanité » narrête pas le « décisionniste » Schmitt. Les élargissements de perspective permettent de voir les événements sous des angles nouveaux ; ils produisent aussi de singuliers aveuglements.

Par-delà la question du renversement des responsabilités, Schmitt cherche une nouvelle théorie, pour sortir du déséquilibre structurel de la politique mondiale. LEurope est sortie « balkanisée » de la Première guerre mondiale. À lOuest, les États-Unis ont émergé comme grande puissance, régnant sur lensemble de lhémisphère occidentale dans le cadre de la Doctrine Monroe qui prévient, depuis 1823, toute intervention européenne sur les continents américains. Mais, à lEst, depuis la Révolution de 1917, la Russie communiste sest également affirmée comme nouvelle puissance aux ambitions universalistes.

Depuis la sortie de la Première guerre mondiale, Schmitt voit une Europe dont la puissance seffrite. Quoiquau cœur dun projet de refondation de la communauté internationale, avec la Société des 117Nations, les États européens ne parviennent pas à dégager une politique unitaire et la SdN nest guère plus que le reflet de leur désunion, au lieu dêtre linstrument de leur cohésion. La deuxième guerre mondiale va parachever le processus que la Première avait inauguré. Lissue du deuxième conflit va être le point dorgue à la fois de leffacement de lEurope devant lURSS et les États-Unis, mais aussi de la criminalisation de lennemi. Celle-ci va prendre corps dans le Tribunal de Nuremberg qui, cette fois, jugera effectivement les dirigeants allemands. Cest ainsi, dit Schmitt,

que les forces qui firent sortir de ses assises le concept de guerre du droit des gens européen passaient, de lOuest et de lEst, par-dessus les États européens qui avaient perdu leur assurance. LEst et lOuest finirent par se rencontrer, fusion dun instant, dans le Statut de Londres du 8 août 1945 [qui fonde le Tribunal de Nuremberg]. La criminalisation de la guerre prenait désormais son cours68.

Ce que révèle cette évolution, cest que la Première guerre mondiale na pas été seulement le moment dun affaiblissement décisif des États européens : cest la forme même de lÉtat qui a cessé dêtre lunité politique pertinente pour penser les relations internationales. Ce qui a été mis à mal, dès la Première guerre mondiale, cest la structure interétatique elle-même. Cest ce quanalyse Schmitt en 1939 dans LOrdre des grands espaces69, lorsquil déclare : « On sait depuis longtemps que cet envahissant concept dÉtat comme concept central du droit international nexprime plus la vérité et la réalité70 ».

LÉtat souverain, avec sa prérogative du « jus ad bellum » – le droit de déclarer la guerre sans que cela apparaisse comme un crime – était la pièce maîtresse du Jus Publicum Europaeum. Le modèle de la Doctrine Monroe et lhybridation du politique avec léconomique ont donné lieu à des réalités politiques transnationales qui ont relativisé la réalité des frontières étatiques. La SdN elle-même avait pour horizon 118– à défaut de lavoir jamais atteint – un dépassement du fractionnement des souverainetés étatistes égoïstes. Les États-Unis et lURSS présentent, chacun à leur manière, une forme de néo-impérialisme, qui leur confère une dimension super-étatique. Le déclin de lEurope vient du fait quelle na pas su voir que lâge de lÉtat était dépassé et que lâge des « grands espaces » était désormais advenu. Schmitt a en vue ce que pourrait être un nouvel équilibre mondial, post-étatique, inter-impérial, où de nouveaux principes déquilibre et de régulation des conflits pourraient prendre corps, entre grands adversaires : les États-Unis, lURSS, la Chine et lEurope – de préférence sous la direction de lAllemagne. Ce nouvel « ordre des grands espaces » mettrait ainsi fin au grand déséquilibre politique que la Guerre de 1914-1918 avait contribué à faire advenir. Lanalyse et lévaluation de ces notions et de leur contexte décriture dépasse le cadre de la présente étude. Quil nous suffise de dire que ce nouvel ordre nadvint pas, que la conclusion de la deuxième guerre mondiale ne fit que confirmer, pour Schmitt, lavènement de la guerre discriminatoire, et la mise en danger des petits États européens, face aux nouvelles puissances à dimension quasi-continentales qui allaient désormais se disputer le monde plutôt que se le partager. Aucun des problèmes posés par la Première guerre mondiale nétait donc réglé. Lactualité la plus récente ne leur fait-elle pas encore écho ? Tension entre la structure interétatique et la mondialisation économique, difficultés des États européens à penser leur unité, mélange disolationnisme et dinterventionnisme des États-Unis, difficultés de la communauté internationale à se représenter elle-même, tentatives de judiciariser les conflits avec la création de la Cour Pénale Internationale, incluant ce que larticle 227 du Traité de Versailles avait inauguré : la poursuite individuelle des responsables politiques. Et jusquau renouveau de la guerre sous-marine71 – peut-être parce que, à lâge atomique, où, plus que jamais « doit être évité le choc frontal dÉtats totaux dans une 119guerre totale72 », comme lanalysait Carl Schmitt, des technologies et des problématiques que lon croyait anciennes reviennent – mutatis mutandis – au premier plan.

Emmanuel Pasquier

CPGE, Paris

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Bibliographie

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Autres références

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2 Neumann, Franz, Béhémoth. Structure et pratique du National-Socialisme, 1933-1944 (1re édition 1942, 2e édition 1944), trad. G. Dauvé, Paris, Payot, 1987, p. 153.

3 On citera en particulier lessai de 1924 : « La question clé de la Société des Nations », trad. Robert Kolb, Paris, Pedone, 2009. Mais il faut aussi mentionner une série danalyse sur loccupation par la France de la Rhénanie : « Die Rheinlande als Objekt internationaler Politik » (1925), in Positionen und Begriffe, p. 26-32 ; « Der status quo und der Friede » (1925), in Frieden oder Pazifismus, p. 51-72 ; « Völkerrechtliche Probleme im Rheingebiet » (1928), in Frieden oder Pazifismus, p. 255-273 ; « Die politische Lage der entmilitarisierten Rheinlande » (1930), in Frieden oder Pazifismus, p. 274-280.

4 Schmitt, Carl, Die Wendung zum diskriminierenden Kriegsbegriff (1938), Berlin, Duncker & Humblot, 2003, Le Passage au concept de guerre discriminatoire, trad. R. Kolb, Paris, Pedone, 2009.

5 Schmitt, Carl, Positionen und Begriffe, im Kampf mit Weimar – Genf – Versailles, 1923–1939, Berlin, Duncker & Humblot, 1988.

6 Voir Schmitt, Carl, « Frieden oder Pazifismus » (1933) republié dans le recueil auquel il donne son titre : Frieden oder Pazifismus. Arbeiten zum Völkerrecht und zur internationalen Politik 1924–1978 (« Paix ou pacifisme ? Travaux sur le droit international et la politique internationale 1924-1978 »), Günther Maschke éd., Berlin, Duncker & Humblot, 2005, p. 378-388.

7 Sur la « pensée du droit selon lordre concret », voir Schmitt, Carl, Über die drei Arten des rechtswissenschaftlichen Denkens, Berlin, Duncker & Humblot, 1934, trad. M. Köller et D. Séglard, Les trois types de pensée juridique, Paris, Presses universitaires de France, 1995.

8 Schmitt, Carl, Les Trois Types de pensée juridique, op. cit. p. 72.

9 Schmitt, Carl, Le Passage au concept de guerre discriminatoire, op. cit., p. 119.

10 Sur la reconstitution-construction du concept de Jus Publicum Europaeum par Schmitt, voir le chapitre iii de Der Nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum Europaeum, Cologne, Greven Verlag, 1950, rééd. Berlin, Duncker & Humblot, 1988, trad. L. Deroche-Gurcel, révisée, présentée et annotée par Peter Haggenmacher, Le Nomos de la terre dans le droit des gens du Jus Publicum Europaeum, Paris, Presses universitaires de France, « Léviathan », 1992.

11 De Vattel, Emer, Le Droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, Londres, 1758. Voir Le Nomos de la terre, p. 165-168.

12 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 226.

13 Schmitt, Carl, Nomos de la terre, op. cit., p. 216.

14 Ibid.

15 Ibid.

16 Ibid., p. 237.

17 Ibid.

18 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 264.

19 Wilson, discours du 26 octobre 1916, cité par Schmitt dans Le Nomos de la terre, op. cit., p. 265.

20 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 256-257.

21 Art. 227 : « Les puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur dAllemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et lautorité sacrée des traités. – Un tribunal spécial sera constitué pour juger laccusé en lui assurant les garanties essentielles du droit de défense. Il sera composé de cinq juges, nommés par chacune des cinq puissances suivantes, savoir : les États-Unis dAmérique, la Grande-Bretagne, la France, lItalie et le Japon. – Le tribunal jugera sur des motifs inspirés des principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci dassurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi que de la morale internationale. Il lui appartiendra de déterminer la peine quil estimera devoir être appliquée. – Les puissances alliées et associées adresseront au gouvernement des Pays-Bas une requête le priant de livrer lancien empereur entre leurs mains pour quil soit jugé. » – (Source : http://www.herodote.net/Textes/tVersailles1919.PDF)

22 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 257.

23 Art. 228 : « Le gouvernement allemand reconnaît aux puissances alliées et associées la liberté de traduire devant leurs tribunaux militaires les personnes accusées davoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. Les peines prévues par les lois seront appliquées aux personnes reconnues coupables. Cette disposition sappliquera nonobstant toutes procédures ou poursuites devant une juridiction de lAllemagne ou de ses alliés. – Le Gouvernement allemand devra livrer aux puissances alliées et associées, ou à celle dentre elles qui lui en adressera la requête, toutes personnes qui, étant accusées davoir commis un acte contraire aux lois et coutumes de la guerre, lui seraient désignées soit nominativement, soit par le grade, la fonction ou lemploi auxquels les personnes auraient été affectées par les autorités allemandes. »

24 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 258.

25 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 261. Pour une critique dinspiration kelsénienne de lanalyse de Schmitt, cherchant à montrer que lindividualisation de la poursuite judiciaire contre le souverain est précisément une manière de ne pas criminaliser tout un État et tout un peuple, on se permettra de renvoyer à Emmanuel Pasquier, De Genève à Nuremberg. Carl Schmitt, Hans Kelsen et le droit international, Paris, éditions Classiques Garnier, 2012, p. 665 sq.

26 Art. 231 : « Les Gouvernements alliés et associés déclarent et lAllemagne reconnaît que lAllemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre, qui leur a été imposée par lagression de lAllemagne et de ses alliés. »

27 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 264.

28 Ibid., p. 266.

29 « Dans les délibérations qui aboutirent à larticle 231, cest précisément le représentant américain, John Foster Dulles, qui soutint que la guerre comme telle et dans lensemble nétait nullement un acte illicite selon le droit des gens en vigueur. » Ibid., p. 265.

30 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 278.

31 Schmitt, Carl, Le passage au concept de guerre discriminatoire, trad. R. Kolb, Paris, Pedone, 2009.

32 Ibid., p. 117.

33 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 64.

34 Ibid. p. 118.

35 Schmitt, Carl, Le passage au concept de guerre discriminatoire, op. cit., p. 95, Schmitt analysant Georges Scelle, Précis du droit des gens, Paris, 1932. Schmitt en donnera comme exemple les analyses de Hans Wehberg à propos de linvasion de la Mandchourie par le Japon en 1932.

36 Schmitt, Carl, Le passage au concept de guerre discriminatoire, op. cit., p. 114.

37 Ibid.

38 Schmitt, Carl, « Die Kernfrage des Völkerbundes » (1924-1927), in Frieden oder Pazifismus, op. cit., p. 1-25, trad. R. Kolb, « La question clé de la Société des Nations », Paris, Pedone, 2009, p. 23-73.

39 Schmitt, Carl, Der Begriff des politischen (1927), Berlin, Duncker & Humblot, 2002, trad. (des éditions de 1932 et 1963) M.-L. Steinhauser, La notion de politique, Paris, Éditions Flammarion, 1992. Corollaire II : « Du rapport entre les concepts de guerre et dennemi » (1938), p. 167-168.

40 Schmitt, Carl, « Ennemi total, guerre totale, État total », in Frieden oder Pazifismus, op. cit., p. 481-507.

41 Ludendorff, Erich, Der totale Krieg, Munich, Ludendorffs Verlag, 1935. La Guerre totale, éditions Perrin, 2010.

42 Schmitt, Carl, Frieden oder Pazifismus, op. cit., p. 482. Nous traduisons.

43 Jünger, Ernst, Die totale Mobilmachung, Berlin, 1930. La mobilisation totale, Paris, Gallimard, 1990.

44 Schmitt, Carl, Römischer Katholizismus und politische Form (« Catholicisme romain et forme politique »), Hellerau, Cotta, 1923, rééd. Stuttgart, Klett-Cotta, 2008, p. 22. Expression que Schmitt rattache au programme dindustrialisation de la Russie par Lénine.

45 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 233.

46 Ibid., p. 235.

47 Schmitt, Carl, Land und Meer. Eine Weltgeschichtliche Betrachtung (1942), Cologne, Maschke-Hohenheim, 1981, trad. J.-L. Pesteil, Terre et mer. Un point de vue sur lhistoire mondiale, Paris, Éditions du Labyrinthe, 1985.

48 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 254.

49 Schmitt, Carl, La Notion de politique, op. cit., Corollaire II, p. 161-172.

50 Ibid., § 5, p. 170.

51 Ibid., § 1 p. 162.

52 Schmitt, Carl, Théorie du partisan, in La notion de politique, op. cit., p. 305.

53 Sur lexpression de « guerre civile mondiale » on renverra aux analyses de Céline Jouin, dans sa préface au recueil de traductions de Schmitt. Cf. Jouin, Céline, « La guerre civile mondiale na pas eu lieu », in Schmitt, Carl, La guerre civile mondiale. Essais (1943-1978), trad. Céline Jouin, éditions Ère, Maison-Alfort, 2007.

54 Schmitt, Carl, Théorie du partisan, op. cit., p. 259.

55 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 310.

56 Ibid., p. 311.

57 Schmitt, Carl, « Totaler Feind… », in Frieden oder Pazifismus, op. cit., p. 485.

58 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 311.

59 « Linstitution des prises, particulière à la guerre maritime, présente une double originalité : dune part, elle touche des biens de propriété privée, auxquels le droit de la guerre terrestre attache généralement un caractère dinviolabilité ; dautre part, et contrairement aux butins de guerre, biens publics susceptibles de simple confiscation administrative, elle nécessite un jugement en application dune règle coutumière. Le droit de prise subit une double limitation. Ratione temporis, lappropriation nest réputée valable quau cours dune guerre, le droit sexerçant dès louverture des hostilités ; une pratique plus libérale, consacrée par la vie convention de La Haye (18 oct. 1907), prévoyait le bénéfice de lindult (ou délai de grâce) au profit des navires de commerce surpris en port ennemi au début des hostilités ; dénoncée par le Royaume-Uni en 1925, cette libéralisation na plus trouvé dapplication dans les faits ; la signature de la paix emporte cessation du droit de prise. Ratione loci, le droit de prise peut être exercé en haute mer et dans les eaux territoriales ou intérieures des belligérants par les navires de guerre ; dans les ports, par les autorités maritimes. » (http://www.universalis.fr/encyclopedie/prise-de-guerre/).

60 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 312.

61 Schmitt, Carl,, « Der Begriff der Piraterie » (1937), rééd. in : Positionen und Begriffe, p. 240-243. « Le concept de piraterie », trad. E. Pasquier, in Carl Schmitt : Nomos, droit et conflit dans les relations internationales, Ninon Grangé éd., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 113-115.

62 Ibid., p. 243.

63 Schmitt, Carl, Glossarium. Aufzeichnungen der Jahre 1947–1951 (posthume), Berlin, Duncker & Humblot, 1991.

64 Schmitt, Carl, Glossarium, op. cit., 24 août 1949. p. 267.

65 Schmitt, Carl, Théorie du partisan, op. cit., p. 263.

66 Anders, Günther, « Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à lapocalypse », LObsolescence de lhomme (1956), Paris, Éditions de lEncyclopédie des Nuisances, 2001.

67 Schmitt, Carl, Le Passage au concept de guerre discriminatoire, op. cit., p. 77.

68 Schmitt, Carl, Le Nomos de la terre, op. cit., p. 278.

69 Schmitt, Carl, Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für Raumfremde Mächte (1939 et 1941), Berlin, Duncker & Humblot, 1991, trad. F. Poncet, « Le droit des peuples réglé selon le grand espace proscrivant lintervention de puissances extérieures », Guerre discriminatoire et logique des grands espaces, Günter Maschke éd., préface de Danilo Zolo, Paris, Éditions Krisis, 2011.

70 Ibid., p. 54-55.

71 « La guerre sous-marine revient, à mesure que les nouvelles puissances de la planète, Chine en tête, acquièrent des flottes océaniques. On compte 500 sous-marins dans le monde et une centaine de plus entreront en service dici à 2020. “Cest sous leau que les choses se passent”, assure une source militaire française. » https://www.letemps.ch/monde/2014/09/17/nouvelle-guerre-marine – Voir aussi http://www.lefigaro.fr/international/2017/02/26/01003-20170226ARTFIG00122--brest-la-marine-nationale-redouble-de-vigilance-face-aux-sous-marins-russes.php

72 Schmitt, Carl, « Le concept de piraterie », in Positionen und Begriffe, op. cit., p. 243.