Sur la genèse du concept de religion civile et sa place dans le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2016 – 1, n° 8. La religion philosophique des Lumières - Auteur : Bernardi (Bruno)
- Pages : 107 à 137
- Revue : Éthique, politique, religions
Sur la genèse du concept
de religion civile et sa place
dans le Contrat social
de Jean-Jacques Rousseau
La pensée politique de Rousseau n’a jamais cessé d’être mobilisée, comme repoussoir ou source d’inspiration1. Alors que « le fait religieux » (re)devient un enjeu politique crucial, l’attention se tourne vers une de ses inventions conceptuelles les plus célèbres et les plus discutées : la « religion civile2 ». Longtemps, cette idée a été jugée marginale, contradictoire même avec le Contrat social, obsolète en tout cas dans notre monde3. Lorsque l’on a parlé de « civil Religion » aux États-Unis, la référence à Rousseau n’y jouait qu’un rôle minime4. Ghislain Waterlot a contribué au réveil de ce champ de recherche en soutenant qu’il y a pour Rousseau un « lien nécessaire » entre religion et politique et que l’idée de religion civile, loin d’être dépassée, a une « actualité5 ».
Le bien fondé, ou du moins le sens de la première proposition a fait l’objet d’un vif débat au cours duquel trois positions principales se sont exprimées6. Radicalisant son argument initial, Ghislain
Waterlot a soutenu qu’on devait reconnaître pour une thèse avérée de Rousseau cet énoncé tiré d’un brouillon du Contrat social : « Jamais peuple n’a subsisté ni ne subsistera sans religion7 ». Toute société aurait besoin d’une « religion politique8 », dont la forme adaptée aux sociétés modernes serait la religion civile. Blaise Bachofen a défendu une position opposée : « la religion dans son rapport à la politique » serait pour Rousseau « un problème à résoudre, un élément parasitaire dans l’ordre politique, qu’il faudrait s’employer à neutraliser9 ». La religion civile aurait été conçue comme un moyen de cette neutralisation, mais un moyen contentieux, car reconduisant le problème qu’il est supposé résoudre10. Florent Guénard s’est placé dans une troisième perspective11. Pour Rousseau, la religion ne saurait être le fondement d’un ordre politique légitime, puisque celui-ci se trouve dans la libre convention. Mais, sous le concept de religion civile, il tente de répondre au double problème qu’il s’est suscité en posant ce principe. Puisqu’il n’y a de convention qu’entre êtres libres, autonomes, il faut que les membres du corps politique éprouvent des « sentiments de sociabilité » qui leur représentent les commandements de la volonté générale comme des devoirs qu’ils se doivent de remplir. La religion civile contribue à la formation de ces sentiments. Il faut aussi que le souverain ait « une relative garantie que ces devoirs seront accomplis par tous », qu’ils deviennent des obligations susceptibles de sanction12. La « profession de foi civile » est le moyen de cette mutation : les citoyens s’obligent envers le souverain. Mais Florent Guénard juge à son tour contentieuse une solution qui demande au citoyen de « considérer comme au-dessus de soi le produit de sa volonté13 ».
Cette contribution n’a pas pour objet d’intervenir post festum dans ce débat en soutenant un quatrième point de vue14. Elle ne proposera pas non plus un nouveau commentaire du chapitre « De la religion civile » du Contrat social15. Son but est, à terme, de permettre une approche nouvelle de l’usage que nous pourrions faire aujourd’hui des idées développées par Rousseau sous ce titre. Mais pour discerner l’actualité nouvelle qu’elle peut recevoir, il faut avoir reconnu les problèmes qui l’ont suscitée et lui ont donné sa première actualité. C’est cette première étape que l’on franchira ici en retraçant la genèse du concept de religion civile dans la pensée de Rousseau. Mettre en lumière les difficultés qu’il a cherché à surmonter en formant ce concept permettra de mieux comprendre la place et le statut qu’il s’est résolu à lui donner dans le Contrat social, mais aussi à reconnaître les apories qui restent plus précisément attachées à la notion, qu’il faut en distinguer, de profession de foi civile.
La genèse contrariée du concept
de religion civile dans la pensée politique
de Rousseau
La formation d’un concept répond toujours à la nécessité d’un problème. Pourquoi Rousseau a-t-il eu besoin de celui de religion civile ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que, dans l’ordre de l’invention comme dans celui du système, ce concept est tard venu. Rousseau avait publié ses deux Discours et l’article « Économie politique » et mis au net une première version du Contrat social quand il
emploie pour la première fois, dans un brouillon, l’expression « religion civile16 ». Tardif dans sa formation, ce concept intervient littéralement in extremis dans l’économie de la version définitive du Contrat social : le chapitre qui lui est consacré est le dernier de l’ouvrage, alors que les « principes du droit politique » (les théories du pacte social, de la volonté générale et du gouvernement) ont été établis par les premiers livres17. Doit-on conclure à son caractère adventice ? C’est une autre hypothèse que l’on défendra ici : en ce moment et à cette place Rousseau s’est enfin mis en mesure de penser, sur la base de ses principes, la relation profondément problématique entre religion et politique. Mais il a dû pour cela, nous allons le voir, faire auparavant deux tentatives inabouties et rencontrer des apories dont le chapitre « De la religion civile » porte la trace18.
La « profession de foi civile »
dans la Lettre à Monsieur de Voltaire
On a intitulé Lettre sur la providence, parfois Lettre sur l’optimisme, celle que Rousseau adressa à Voltaire le 18 août 175619. Apocryphes, ces titres sont aussi fautifs : si la première partie de cette lettre répond au poème de Voltaire Sur le désastre de Lisbonne20, la seconde concerne plutôt celui Sur la loi naturelle21. C’est dans cette partie qu’apparaît non l’idée de « religion civile », mais celle de « profession de foi civile » : ces idées sont bien sûr liées, mais il est décisif, on le verra, de les distinguer.
Au terme de sa discussion avec Voltaire sur l’idée de providence, Rousseau conclut qu’elle est toute entière suspendue à la seule question de l’existence de Dieu, « une vérité dont nous partons tous deux ». Par conséquent, les « philosophes qui ne conviennent pas du principe » ne devraient pas discuter ce qui en est un « corollaire ». Mais « une autre raison » devrait les conduire à s’en abstenir : « il y a de l’inhumanité à troubler les âmes paisibles, et à désoler les hommes à pure perte, quand ce qu’on veut leur apprendre n’est ni certain ni utile ». Et de conclure « Je pense, en un mot, qu’à vôtre exemple on ne saurait attaquer trop fortement la Superstition qui renverse la Société, ni trop respecter la Religion qui la soutient ». Cet argument conservateur (la religion est un lénifiant social) introduit un registre politique jusqu’ici absent dans la Lettre à Voltaire.
C’est au demeurant à un renversement de perspective que l’on assiste aussitôt. L’appel à la prudence adressé aux incrédules est immédiatement suivi d’une défense vigoureuse de la liberté de conscience : « Mais je suis indigné comme vous que la foi de chacun ne soit pas dans la plus parfaite liberté ». Un triple argument soutient cette prise de position sans équivoque. Il est impossible de forcer quiconque à croire, ni de soumettre la raison à une autorité. D’ailleurs, Dieu lui-même ne damnera pas un incrédule s’il est vertueux et de bonne foi22. Enfin, l’autorité politique n’a aucun droit sur les consciences : « Non, tout gouvernement humain se borne par sa nature aux devoirs civils, et quoi qu’en ait pu dire le Sophiste Hobbes, quand un homme sert bien l’État, il ne doit compte à personne de la manière dont il sert Dieu ». On comprend que l’argument conservateur ne peut justifier la cœrcition ; mais cette conclusion reste implicite.
Au lieu de cela, Rousseau module sans attendre la thèse qu’il vient de soutenir : « II y a, je l’avoue, une sorte de profession de foi que les lois peuvent imposer ; mais hors les principes de la morale et du droit naturel, elle doit être purement négative, parce qu’il peut exister des Religions qui attaquent les fondements de la Société, et qu’il faut commencer par exterminer ces Religions pour assurer la paix de l’État ». Cet « aveu »,
le brouillon le montre, est en première intention une objection que Rousseau s’adresse23 : incompétente en matière de foi, l’autorité politique (on passe de celle des rois à celle des lois) pourrait fixer les principes d’une morale sociale. De leur contenu positif, la Lettre à Voltaire ne dit rien de plus24. En revanche, elle s’étend sur leur dimension « négative » : l’intolérance. Son rejet est motivé par une raison politique : les religions intolérantes sapent les fondements de la société. Mais cette intolérance doit être combattue à sa source, qui est dans la croyance elle-même : est « intolérant par principe tout homme qui s’imagine qu’on ne peut être homme de bien sans croire tout ce qu’il croit, et damne impitoyablement quiconque ne pense pas comme lui25 ». C’est en résumant sa thèse que Rousseau qualifie cette profession de foi de « civile » : « Je voudrais donc qu’on eut dans chaque État un Code moral, ou une espèce de profession de foi civile, qui contint positivement les maximes sociales que chacun serait tenu d’admettre, et négativement les maximes fanatiques qu’on serait tenu de rejeter non comme impies, mais comme Séditieuses26 ». Quel usage Rousseau envisage-t-il pour ce code ? En faire « un livre », qu’il invite Voltaire à rédiger : destiné aux enfants, il serait le « catéchisme du citoyen27 ».
On peut ainsi caractériser la profession de foi civile dans la Lettre à Voltaire. Elle n’intervient sur le terrain religieux que dans un but politique : « proscrire » les religions intolérantes qui « attaquent les fondements de la société28 ». Son objet est moral : elle énonce les maximes indispensables à la vie en société et devrait servir de base à l’éducation morale des citoyens. Ces principes sont clairs, mais il est plus difficile de dire à quel problème exactement répond cette profession de foi. Deux réponses sont en concurrence. La première renvoie au thème qui
a conduit à son introduction : le refus de l’intolérance. La liberté de conscience doit être protégée de la tyrannie des gouvernants, la paix civile défendue contre le fanatisme religieux. Mais un second thème revient avec insistance : il faut resserrer le lien social. En évitant de troubler le peuple par des démarches indiscrètes, en prescrivant surtout une morale sociale que tous doivent admettre. Les maximes négatives et positives de la profession de foi renvoient respectivement à ces exigences. Or l’argumentation enchevêtrée de ce texte fait apparaître un conflit potentiel entre ces lignes de pensée : l’affirmation catégorique de la liberté de conscience est suivie de son encadrement, et Rousseau s’en remet aux lois pour fixer ses principes. Le philosophe des Lumières qu’il est indubitablement défend (comme eux tous) la liberté de conscience. Le philosophe politique qu’il est aussi (peu le sont) voit dans les mœurs et l’opinion la texture même de la société29. Cette aporie reste implicite dans une lettre où Rousseau réagit aux idées de Voltaire. Il ne pouvait manquer de la retrouver dans l’exposé de ses propres idées.
Le Manuscrit de Genève :
une invention conceptuelle inaboutie
Lorsque Rousseau évoque à nouveau une profession de foi civile – et il parle alors pour la première fois de religion civile –, c’est dans un texte très différent par sa nature et son objet : un brouillon rédigé en marge de la première version du Contrat social, plus précisément sur le verso resté libre des pages qui portent le chapitre « Du législateur30 ». Relisant ce chapitre, il décide de supprimer une partie de sa conclusion et prépare un long développement entièrement nouveau. Quel est le sens de cette double opération ?
Lors de sa rédaction initiale31, après avoir montré que le législateur « met les décisions dans la bouche des immortels pour subjuguer par l’autorité divine ceux que ne pourrait ébranler la prudence humaine », il avait pris soin de préciser : « Il ne faut pas conclure de tout ceci que la politique et la Religion puissent avoir un objet commun, mais que l’une sert quelquefois d’instrument à l’autre ». Cet avertissement sera repris et précisé dans le Contrat social, mais les observations qui le suivaient sont supprimées :
Chacun sent assés l’utilité de l’union politique pour rendre certaines opinions permanentes et les maintenir en corps de doctrine et de secte, et quant au concours de la Religion dans l’établissement civil, outre ce que j’en ai déjà dit, on voit encore qu’il n’est pas moins utile de pouvoir donner au lien moral une force intérieure qui pénétre jusqu’à l’âme et soit toujours indépendamment des biens, des maux, de la vie même et de tous les évenemens humains.
Loin de renoncer aux idées esquissées dans ces quelques lignes – elles modulaient l’affirmation précédente –, Rousseau va consacrer son nouveau développement à traiter du « concours » que la religion est susceptible d’apporter à « l’établissement civil32 ».
Ces pages s’ouvrent sur une série de propositions qui constituent un problème. La première semble catégorique : « Sitôt que les hommes vivent en société il leur faut une religion qui les y maintienne. Jamais peuple n’a subsisté ni ne subsistera sans religion33 … ». Cependant, cette affirmation est justifiée par un argument qui circonscrit sa portée : c’est pour pouvoir « exiger de ses membres le sacrifice de leur vie » que l’État a besoin qu’ils croient « en une vie à venir ». Or cette exigence concerne spécifiquement les « défenseurs de la patrie34 ». Mais ce n’est pas tout :
cette même croyance nourrit le fanatisme et le mépris de la vie qui le caractérise : les peuples religieux sont belliqueux. Il faudrait donc, pour former un « vrai Citoyen », séparer la religion et le fanatisme.
Ce problème va être envisagé sous deux angles distincts auxquels répondent, James Swenson l’a montré, les grandes parties de ce texte. La première distingue deux types de religions35. Celles « de tous les anciens peuples sans exception » (cette précision concerne le judaïsme) réunissaient « le culte divin et l’amour des lois ». Lorsque « mourir pour son pays c’est aller au martyre » et que « désobéir aux lois c’est être impie et sacrilège », on peut dire, sans doute, que le concours apporté par la religion à l’établissement civil est maximal36. Mais, outre que réserver son culte à un peuple particulier contredit l’idée même de la divinité, les effets d’une telle forme de religion sont politiquement désastreux : « devenant exclusive et tyrannique, elle rend un peuple sanguinaire et intolérant ». Aussi Rousseau conclut-il : « Il vaut donc mieux attacher les citoyens à l’État par des liens moins forts et plus doux et n’avoir ni héros ni fanatiques ». Le second type de religion se ramène à un cas unique (son nom commun est « la religion de l’homme », son nom propre « le christianisme de l’Évangile »). Ses caractères sont exactement opposés. Elle est pacifique, puisque tous les hommes sont frères, elle est « sainte, sublime, véritable », puisqu’elle ne défigure pas la divinité. En revanche, elle n’attache en rien l’homme à son pays (« La patrie du chrétien n’est pas de ce monde »), endort l’amour de la liberté (« On peut être tout aussi bien sauvé esclave qu’homme libre ») et désarme les défenseurs de la patrie (« Ils savent plutôt mourir que vaincre »). Ces caractères sont inégalement développés : la supériorité morale du vrai christianisme est évoquée brièvement, le désinvestissement social qu’il entraîne plus longuement, l’inaptitude des chrétiens à faire d’ardents défenseurs de la patrie est démontrée avec un luxe de détail. Le thème central de cette partie de la discussion est donc la question de la guerre : la première forme de religion y pousse, la seconde y rend inapte37.
Le tableau ainsi dressé est si fortement aporétique qu’il peut être lu comme un démenti de l’énoncé initial : depuis que les sociétés existent, les religions n’ont été qu’un principe destructeur, soit en entraînant les hommes dans un fanatisme guerrier, soit en les détachant de la société. Aussi bien la seconde partie de ce texte est-elle consacrée à reprendre le problème sur d’autres bases : « Revenons au droit et fixons les principes ». Rousseau, réitérant son geste initial, forme une nouvelle série de propositions constitutive d’une nouvelle problématique, plus proche de celle de la Lettre à Voltaire :
Le droit que le pacte social donne au souverain sur les sujets ne passe point, comme je l’ai dit, les bornes de l’utilité publique. Les sujets ne doivent donc compte au souverain de leurs opinions qu’autant que ces opinions importent à la communauté. Or il importe bien à l’État que chaque citoyen ait une Religion : mais les dogmes de cette Religion ne lui importent qu’autant qu’ils se rapportent à la morale et à la société, du reste tous les autres ne sont point de sa compétence et chacun peut avoir au surplus telles opinions qu’il lui plaît, sans qu’il appartienne au souverain d’en connaître.
L’impératif est clair : il faut rendre compatibles un fait politique (il importe à l’État que les citoyens aient une religion) et un principe moral (chacun est libre de ses croyances). Mais sa présentation l’est moins et suscite plusieurs questions.
On observera, en premier lieu, un décalage patent entre l’ordre d’énonciation des propositions et l’ordre logique de leur enchaînement. La majeure du syllogisme sous-jacent est : il importe à l’État que chacun ait une religion. Sa mineure : les sujets ne doivent compte au souverain que de leurs opinions qui importent à la communauté. Sa conclusion : le contenu de la religion exigible par l’État doit être uniquement moral. Or la rédaction contournée choisie par Rousseau fait passer la majeure pour la mineure et réciproquement. Ce décalage lui permet, et c’est sans doute sa raison d’être, d’introduire l’idée de religion en ayant restreint d’avance son objet à la seule conduite morale.
La rédaction de ce passage pose cependant un second problème : les termes État, souverain et communauté y sont employés comme fonctionnellement équivalents, alors qu’ils ne le sont en aucune façon conceptuellement. Ce qui importe à la communauté, c’est le bien commun, objet de la volonté générale qu’il revient au peuple souverain de reconnaître et de déclarer. C’est elle qui oblige. L’État est en charge d’exécuter cette volonté
et d’exiger de chacun qu’il remplisse ses obligations. En l’occurrence, est-ce l’État ou la société qui a besoin de religion ? Cette équivoque correspond à l’hésitation, sensible dans ces pages, entre le registre de la religion et celui de la profession de foi.
Dans une première rédaction en effet, Rousseau avait introduit et défini, dès après ce passage, le concept de religion civile : « Il y a donc une religion purement civile, c’est-à-dire dont les dogmes sont uniquement relatifs à la morale38 ». Mais il abandonne aussitôt cette formulation, pour évoquer directement une « profession de foi purement civile ». Ce choix est d’autant plus déterminant que la notion de « profession de foi » reçoit alors un nouveau sens, juridique, qu’elle n’avait pas dans la Lettre à Voltaire : elle devient source d’une obligation susceptible de sanction. Une fois engagé dans cette voie, Rousseau radicalise sa thèse (c’est souvent le cas) : les citoyens doivent la prononcer lors d’une cérémonie publique et la sanction infligée à celui qui se parjure sera la mort. Ce n’est qu’après avoir ainsi redéfini le statut de la profession de foi civile et celui de ses « dogmes » que Rousseau les requalifie comme « dogmes de la religion civile39 ». Deux directions de pensée sont donc au travail, à ce stade, dans sa pensée. La première part de l’idée de religion et affleure dans la précision selon laquelle les articles de la profession de foi portent sur des « sentiments de sociabilité » (des sentiments qui s’éprouvent et que l’on partage). La seconde attribue à ces articles le statut de « dogmes » que la loi prescrit et sur lesquels le citoyen doit s’engager « par devant le magistrat40 ». Après avoir esquissé une démarche qui serait allée de la religion civile à la profession de foi, Rousseau se résout donc, dans ce texte, à suivre le chemin inverse.
La présentation de ces dogmes, dans son économie, reproduit celle des « maximes » de la Lettre à Voltaire. Mais elle est plus développée et d’importantes modifications apparaissent. La première, la plus visible, concerne les « dogmes positifs ». Si, dans la Lettre, ils étaient présentés par
leur fonction comme « les maximes sociales que chacun doit admettre », aucun contenu ne leur était attribué. Ils font ici l’objet d’une formulation précise bien que volontairement laconique41 :
L’existence de la divinité bienfaisante, puissante, intelligente, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes et le châtiment des méchans, la sainteté du contract social et des loix.
Il est manifeste que les deux premiers articles, qui portent sur Dieu et sa justice rétributive, ont pour fonction de garantir le troisième qui concerne la vie en société42. Mais la nature de cette garantie est, encore une fois, équivoque. On peut y voir une déduction dogmatique : la vérité des premiers articles, religieux par leur contenu, fonde le troisième, de morale sociale (si l’on admet que Dieu rétribuera dans la vie à venir notre conduite dans la vie présente, on doit admettre aussi qu’il nous demande de remplir nos obligations sociales). Mais on peut y voir aussi une propédeutique des sentiments : croire en un Dieu bon et juste (ces articles deviennent moraux par leur fonction) favorise le développement du sentiment d’obligation qu’évoque le troisième43. Si la présentation des dogmes positifs semble incliner dans le premier sens, c’est du point de vue de la propédeutique des sentiments que se place l’exposé du dogme négatif.
Rousseau, dans les pages qu’il lui consacre ici, dénonce l’intolérance religieuse avec une vigueur renouvelée et une ampleur remarquable44. Il prolonge sa Lettre à Voltaire, mais, commençant là où il avait alors fini (il faut prendre l’intolérance « à sa source »), il récuse la distinction commune entre intolérance civile et intolérance ecclésiastique45 :
Ceux qui distinguent l’intolérance civile et l’intolérance Ecclésiastique se trompent. L’une mène nécessairement à l’autre, ces deux intolérances sont inséparables. Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu’on croit damnés. Les aimer ce serait haïr Dieu qui les punit, il faut absolument qu’on
les convertisse ou qu’on les persécute. L’intolérance n’est donc pas dans ce dogme, il faut contraindre ou punir les incrédules ; elle est dans cet autre, hors de l’Église point de salut.
La conséquence logique de cette thèse est qu’il ne suffit pas d’empêcher qu’une religion sectaire régente l’ordre civil. Il faut, pour tarir l’intolérance à sa source, que la société développe en son sein une croyance qui délégitime l’intolérance dans son principe. C’est pourquoi cet article de la profession de foi prend ici une forme positive qu’il n’avait pas dans la Lettre à Voltaire et qu’il perdra dans la rédaction définitive du Contrat social :
Un article de foi nécessaire et indispensable dans la profession de foi civile est donc celui-ci. Je ne crois point que Dieu punisse personne dans l’autre vie, que personne soit coupable devant Dieu pour n’avoir pas pensé comme moi dans celle-ci sur son culte.
Rousseau fait ici bien plus que rapporter l’intolérance civile à sa source : l’intolérance religieuse (qu’il qualifiera ensuite de « théologique »). Celle-ci est l’effet d’une croyance, or une croyance ne se combat que par une autre. Ni par la force, ni par une idée, ni par une obligation. Au sentiment de haine il faut substituer un sentiment contraire qui nous fasse aimer ceux-là mêmes que nous croyons être dans l’erreur. La forme de cet article renvoie à la logique de l’obligation, son contenu au sentiment d’obligation.
Après cet exposé des dogmes de la profession de foi civile, un essai de rédaction ensuite abandonné donnait la clef de cette équivocité en juxtaposant les deux registres du sentiment et de l’obligation : « Telle est la religion civile qui donne aux loix la sanction intérieure de la conscience et du droit divin46 ». En subsumant la religion sous la profession de foi, le brouillon porté en marge du Manuscrit de Genève a privilégié le second terme. C’est au contraire, nous allons le voir, dans le prolongement de la problématique des sentiments, que le Contrat social donnera son statut à la religion civile. Mais, dans ce brouillon préparatoire, cette seconde ligne de pensée est pour ainsi dire inhibée par la première : l’idée de religion civile, que Rousseau a pourtant tenté d’y former, est recouverte par celle de profession de foi civile et, surtout, par la surdétermination juridique et, il faut le dire, cœrcitive dont celle-ci est affectée.
La place de la religion civile
dans l’économie conceptuelle du Contrat social
Rousseau avait en mémoire sa Lettre à Voltaire et s’est appuyé sur le brouillon que nous venons de lire lorsqu’il a rédigé son chapitre « De la religion civile ». On peut parler d’une véritable chaîne textuelle. Cette apparence de continuité est pourtant trompeuse. Il a apporté à sa rédaction de nombreuses modifications qu’il faut relever47. Mais, pour en comprendre les enjeux, il faut surtout les rapporter à la décision qu’il a prise sur la place qui convenait à ce chapitre et à celle plus globale dont elle procède, de repenser l’architecture entière de son ouvrage. C’est que l’on tentera de faire ici.
En établissant la version définitive de son « traité de droit politique » (c’est ainsi qu’il l’annonce à son éditeur), Rousseau a imprimé à sa pensée un tournant décisif qui se traduit par la réorganisation de son texte (évidente pour le premier livre, elle a de multiples conséquences dans les suivants) et par un nouveau sous-titre : Principes du droit politique. Ce tournant n’est pas tant lié à la production de thèses nouvelles qu’à leur articulation autour d’une série de trois distinctions qui s’enchaînent comme en cascade. La première distinction est celle du fondement de la société politique (question à laquelle répond le pacte social) et de sa formation (Rousseau dit aussi son institution). Cette formation doit elle-même s’envisager d’une part, comme question historique (celle du « commencement des sociétés », de « l’institution d’un peuple »), de l’autre, comme question politique (celle de la formation de la volonté générale). Mais, troisième distinction, la formation de la volonté générale doit s’entendre de deux façons, suivant que l’on considère la personne publique ou celle de chacun de ses membres. Du premier point de vue (c’est l’objet direct des institutions politiques), il faut faire en sorte que, dans les assemblées du peuple, la délibération publique porte toujours sur l’intérêt commun. Du second point de vue (c’est leur objet indirect), il faut que se développent en chacun des « sentiments de sociabilité » qui lui fassent éprouver cet intérêt commun comme le sien ou, pour le
dire autrement, que les volontés particulières se généralisent. Loin que ces distinctions le conduisent au cloisonnement de questions séparées, Rousseau fait de leur articulation l’objet tant théorique que pratique de la politique48.
En constituant ce cadre de pensée, on va le voir, Rousseau s’est aussi donné les moyens de penser sur de nouvelles bases les rapports entre religion et politique : il pourra former enfin son concept de la religion civile et lui assigner sa place dans l’économie conceptuelle du Contrat social. Mais il nous faudra reconnaître aussi que les apories rencontrées dans ses tentatives précédentes disparaissent moins qu’elles ne sont déplacées dans les passages spécifiquement consacrés à la profession de foi civile.
Une thèse dirimante : la religion ne peut pas
être le fondement du lien social
Parce que l’intolérance religieuse est destructrice du lien social, Rousseau lui donne-t-il pour fondement une nouvelle forme de religion, tolérante par principe ? Rares sont ceux qui ont soutenu une thèse aussi radicale49. Mais aussi rares sont ceux qui ont identifié la thèse opposée défendue dans le Contrat social et en ont tiré toutes les conséquences : la religion ne doit ni peut être au fondement de la société politique.
L’idée que la religion puisse être le fondement de la société en fixant les principes des rapports des hommes entre eux (on ne saurait la confondre avec l’attribution au pouvoir politique d’une onction divine) n’est pas étrangère à la modernité : elle est même centrale pour les jusnaturalistes50. On le voit chez Grotius, qui distingue le « droit divin positif », autrement dit révélé (la loi de Moïse est sa première expression, la loi de l’Évangile la seconde) et le « droit divin naturel » (constitué des commandements que Dieu adresse à tous les hommes en tant qu’il les a dotés d’une « droite raison »)51. Encore faut-il préciser que, pour Grotius et pour la plupart des
jusnaturalistes, la loi de l’Évangile et les commandements de la droite raison coïncident. Cette proposition, Rousseau la soutient aussi (tout en substituant à la droite raison le sentiment intérieur). Il le fait dans la Profession de foi du vicaire savoyard, mais aussi dans le Contrat social, où il identifie « la pure et simple Religion de l’Évangile, le vrai Théisme, et ce qu’on peut appeler le droit divin naturel ». Mais contrairement à Grotius et à « tous les autres » – c’est le point décisif –, il refuse de faire de la « droite raison », a fortiori du « droit divin naturel », le fondement du droit politique. On le montrera de trois façons.
On observera pour commencer que l’architecture du Contrat social met en acte ce refus. Les concepts de pacte social, de volonté générale et de loi sont formés, dans le premier livre et les six premiers chapitres du second, sans aucune référence à la religion comme institution ni aux croyances religieuses. Si un rôle leur est imparti par le chapitre suivant, « Du législateur », ce n’est pas pour rendre compte du fondement de la société, mais, cela est bien différent, du moment de sa fondation. Les dernières lignes de ce chapitre sont formelles : « Il ne faut pas de tout ceci conclure avec Warbuton que la politique et la religion aient parmi nous un objet commun, mais que dans l’origine des nations l’une sert d’instrument à l’autre ». Les modifications apportées à la formulation du Manuscrit de Genève (elles sont ici soulignées par des italiques) ont pour but manifeste de lever toute ambigüité : cette proposition n’est pas d’ordre systématique, mais historique52. Lorsque Rousseau dit que « l’une sert d’instrument à l’autre » (je souligne), la notion d’instrument, de quelque façon qu’on l’entende, ne peut renvoyer à celle de fondement. Ces formulations répondent à la décision qu’il a prise simultanément sur la place qu’il convenait d’assigner à la religion civile dans l’économie de son traité53. Au dire de Robert Derathé : « Si Rousseau a écrit ce chapitre au verso du chapitre Du législateur, c’est qu’il en constitue le prolongement naturel54 ». Nous avons vu en quelle mesure cela était vrai du brouillon
que nous avons examiné. Mais Rousseau a résolument rompu ce lien en repoussant le chapitre « De la religion civile » à la fin du livre IV qui traite des « moyens d’affermir la constitution de l’État55 ». Affermir n’est pas fonder.
La thèse qui sous-tend cette architecture, c’est le second point à relever, est établie dès le premier livre. Le problème auquel elle répond est posé au chapitre i et résolu au chapitre v : « l’acte par lequel un peuple est un peuple… est le vrai fondement de la société ». Le concept qui rend compte de cet acte, celui de « pacte social », est formé au chapitre vi. Mais cette thèse a un corollaire qui est formulé au chapitre vi du livre II. Pour former son concept de la loi, Rousseau s’y oppose clairement aux jusnaturalistes en contestant qu’on puisse fonder l’ordre politique sur un commandement de la raison. Il ne récuse pas la valeur morale de cette idée, mais nie sa validité pour le droit politique :
Ce qui est bien et conforme à l’ordre est tel par la nature des choses et indépendamment des conventions humaines. Toute justice vient de Dieu, lui seul en est la source ; mais si nous savions la recevoir de si haut, nous n’aurions besoin ni de gouvernement ni de lois. Sans doute il est une justice universelle émanée de la raison seule ; mais cette justice pour être admise entre nous doit être réciproque. […] Il faut donc des conventions et des lois pour unir les droits aux devoirs et ramener la justice à son objet.
L’erreur dénoncée est donc double : il n’y a d’autre fondement de l’autorité politique que la convention, ni d’autre fondement de la justice civile que la réciprocité.
Rousseau revient d’une autre façon sur cette critique de l’erreur jusnaturaliste, c’est le troisième argument à considérer, au cœur même du chapitre « De la religion civile », et précisément pour en former le concept. La première partie du chapitre reprend la typologie aporétique élaborée dans son brouillon, mais l’inscrit dans une approche que l’on peut dire d’histoire conceptuelle des religions. Les religions antiques étaient des religions nationales et, à ce titre, exclusives (c’est pourquoi le monothéisme des juifs est aussi concerné). Une telle idée de la religion est indéfendable en raison : on ne peut concevoir Dieu que
s’adressant à tous les hommes indistinctement. Mais elle renforçait le lien de chaque homme avec sa propre société et par là soutenait l’ordre politique. Avec le christianisme de l’Évangile apparaît une nouvelle sorte de religion (nous avons vu qu’on peut l’identifier à la religion naturelle) qui est dans le cas rigoureusement inverse. Son universalité de principe lie chaque homme à l’humanité entière, mais ne contribue en rien à la formation du lien social : « elle n’a aucune relation particulière avec le corps politique ». Le problème auquel il faut répondre est donc d’échapper à ces écueils symétriques. Or cette symétrie, dans le Contrat social, est rompue : c’est par différence avec la religion naturelle que Rousseau forme son concept de la religion civile. La nécessité de refuser les religions exclusives ne sera abordée qu’après coup, sous un angle particulier (celui de l’opposition des diverses sectes chrétiennes) et à travers le dogme négatif de la profession de foi civile. Sous le concept de religion civile, c’est d’une religion inclusive, capable « d’attacher les cœurs des Citoyens à l’État », qu’il va s’agir.
Une thèse constituante : la religion civile
et la formation des « sentiments de sociabilité »
Nous venons de le voir : pour définir la place du chapitre « De la religion civile », Rousseau s’est appuyé sur les distinctions qui commandent la réorganisation d’ensemble de son « traité de droit politique ». La religion, quelle qu’elle soit, ne peut être, même en partie, le fondement de la société politique, elle ne peut donc jouer de rôle que dans sa formation. Si l’on entend cette notion en son sens historique – nous l’avons vu – on doit reconnaître comme un fait que, « dans le commencement des sociétés », elle a toujours joué un rôle déterminant. Le chapitre vii du livre II (« Du législateur ») a constaté ce fait et – c’est le plus important ici – l’a expliqué par la situation paradoxale dans laquelle un peuple se trouve au moment de son « institution primitive » :
Pour qu’un peuple naissant pût goûter les saines maximes de la politique et suivre les règles fondamentales de la raison d’État, il faudrait que l’effet pût devenir la cause, que l’esprit social qui doit être l’ouvrage de l’institution présidât à l’institution même, et que les hommes fussent avant les lois ce qu’ils doivent devenir par elles. Ainsi donc le Législateur ne pouvant employer ni la force ni le raisonnement, c’est une nécessité qu’il recoure à une autorité d’un autre ordre, qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre.
Le rôle imparti à la religion par le législateur est donc de produire un analogue de la volonté générale (retenons sa caractérisation comme « esprit social »), alors que les conditions politiques de sa production (retenons aussi qu’elles sont « l’ouvrage de l’institution ») ne sont pas encore réunies. Il faut donc comprendre que la question de la formation de la société politique doit s’entendre aussi en un sens qui ne sera plus historique, mais proprement politique. Alors il s’agira précisément de la façon dont la volonté générale peut se former et se déclarer. Quel rôle la religion y joue-t-elle ? Une première réponse sans ambigüité doit être donnée : aucun ! Ni les chapitres positifs consacrés à la formation de la volonté générale (dans la première partie du livre II), ni ceux où il est question de ce qui peut l’empêcher (dans la seconde partie du livre III) ne font jouer le moindre rôle à la religion, sous quelque forme que ce soit. Rousseau a pourtant jugé nécessaire d’écrire un chapitre entier sur la religion civile ! Si l’on écarte l’idée qu’il ait renoncé, in extremis, à l’ensemble de ses principes, il faut répondre à cette question simple : à quoi sert la religion civile, si elle n’est pas un substitut de la volonté générale, comme l’étaient les premières religions, et s’il revient aux institutions politiques de permettre sa formation dans une société constituée ?
On peut donner l’amorce d’une réponse en revenant sur le fait que le chapitre qui traite de la religion civile est le dernier du livre IV et donc de l’ouvrage56. Nous l’avons dit, l’objet de ce livre est indiqué par la table des matières : « Livre IV où continuant de traiter les lois politiques on expose les moyens d’affermir la constitution de l’État ». Nous avons aussi observé qu’affermir n’est pas fonder. Mais pourquoi donc cet affermissement est-il nécessaire ? Et qu’est-ce que signifie précisément « affermir » ? Le livre III a répondu à la première question. Deux dangers principaux menacent le corps politique : d’une part, la tendance du gouvernement à usurper la souveraineté du peuple, de l’autre, celle des particuliers à préférer leur intérêt privé à l’intérêt commun qui est le leur comme citoyens57. Le livre IV envisage les moyens, non de
supprimer ces dangers (cela est impossible, ils découlent de la nature du corps politique), mais de les limiter. Son premier chapitre rappelle ces menaces et leur apporte une réponse d’ensemble : il faut que, dans les assemblées du peuple, la volonté générale « soit toujours interrogée et qu’elle réponde toujours ». Les chapitres suivants en déclinent les conditions en considérant le peuple pris en corps, puis ses membres en particulier. Il est d’abord question de la façon de donner la parole au peuple (trois chapitres sur les suffrages, les élections, et les comices romains), ensuite de la façon de régler les rapports entre le peuple souverain et ses ministres (dans les conditions ordinaires par un Tribunat, dans les situations exceptionnelles par la Dictature, ces deux termes étant pris dans leur sens romain). Les deux derniers chapitres, enfin, concernent le danger le plus grave : celui que court le corps politique, lorsque « le lien social est rompu dans tous les cœurs58 ».
Sous le titre « De la censure » (qui est également entendue au sens romain), Rousseau distingue la volonté générale et l’opinion publique (l’une est délibérée, l’autre exprime un sentiment), puis montre que la déclaration de l’opinion publique (c’est la « censure ») peut « empêcher les opinions de se corrompre », en aucun cas les former59 :
Les opinions d’un peuple naissent de sa constitution ; quoique la loi ne règle pas les mœurs, c’est la législation qui les fait naître ; quand la législation s’affaiblit les mœurs dégénèrent, mais alors le jugement des Censeurs ne fera pas ce que la force des lois n’aura pas fa1t. Il suit de là que la Censure peut être utile pour conserver les mœurs, jamais pour les rétablir.
Ce passage est porteur d’une indication précise sur ce qu’il faut entendre par « affermir » : ni établir, ni rétablir, mais conserver. On gagnera beaucoup à retenir ce point et – cela n’a pas été suffisamment vu – à lire le chapitre « De la religion civile » dans le prolongement de celui « De la censure ». En effet, après avoir évoqué le rôle de l’opinion publique pour la conservation des mœurs d’un peuple, Rousseau va montrer que c’est simultanément dans le for intérieur de chacun qu’il faut affermir la
volonté générale. Ce rôle sera dévolu à une « religion civile », puisque le « christianisme de l’évangile » en est incapable. Il faut prêter attention aux changements opérés dans la formulation de ce reproche, du brouillon qui a servi de base à sa rédaction au texte du Contrat social.
Ms de Genève :
Cependant, cette même Religion n’ayant nulle relation particulière à la constitution de l’État, laisse aux loix politiques et civiles la seule force que leur donne le droit naturel, sans leur en ajouter aucune autre. Et par là un des plus grands soutiens de la société reste sans effet dans l’État.
Contrat Social IV, viii :
Mais cette Religion n’ayant nulle relation particulière avec le corps politique laisse aux lois la seule force qu’elles tirent d’elles-mêmes sans leur en ajouter aucune autre, et par là un des grands liens de la société particulière reste sans effet. Bien plus ; loin d’attacher les cœurs des Citoyens à l’État, elle les en détache comme de toutes les choses de la terre : je ne connais rien de plus contraire à l’esprit social.
L’argument central est commun aux deux rédactions : cette forme de religion ne renforce en rien l’autorité des lois. Mais plusieurs modifications significatives apparaissent. La substitution, dans la première phrase, de « corps politique » à « la constitution de l’État » a sans doute pour but de distinguer une cause d’ordre sociologique (l’absence de lien entre la religion et la société prise dans son ensemble) et son effet politique (qui concerne chacun de ses membres dans son rapport aux lois). Plus décisive est la suppression de la référence au droit naturel, qui était aussi présente dans la Lettre à Voltaire. Son invocation était le vestige d’un état antérieur de la pensée de Rousseau, dans lequel la loi était pensée, sur le mode jusnaturaliste, comme la voix « céleste » de la raison ou de la conscience, tandis qu’elle est, dans sa pensée politique constituée, une déclaration de la volonté générale60. C’est d’elle que les lois tirent la force qui leur est propre. Il sera demandé à la religion civile de leur en ajouter une autre. On peut dire, en un sens, que la religion civile prend le relais du droit naturel ; mais on doit surtout reconnaître
que cette prise de relais implique un changement de fonction et de place : le droit naturel intervenait en amont de la loi, la religion civile interviendra en aval61. On passe, si l’on veut, du modèle de la source à celui de l’affluent. La question est dès lors de savoir quel type de force la religion civile ajoutera à celle que les lois « tirent d’elles-mêmes ». La phrase conclusive ajoutée à ce paragraphe dessine, en creux, la réponse de Rousseau : cette force sera de l’ordre du sentiment. La religion civile devra « attacher le cœur des citoyens à l’État » et favoriser la formation de « l’esprit social62 ».
Ces observations indiquent la ligne de pensée qui commande la suite du texte. Rousseau y reprend en large part la rédaction de son brouillon, mais les modifications qu’il lui apporte vont dans ce même sens63. Leur portée, au demeurant, ne se limite pas à la modulation de tel ou tel énoncé : prises ensemble, elles induisent un infléchissement théorique global. La première de ces modifications, à bien des égards la plus décisive, concerne l’affirmation selon laquelle « il importe bien à l’État que chacun ait une Religion ». Rousseau se borne apparemment à l’ajout d’une précision : « une Religion qui lui fasse aimer ses devoirs ». Mais cette précision est essentielle. On doit comprendre d’abord que ce n’est pas la religion qui fixe ces devoirs ; cette prérogative revient à la loi. La force que celle-ci tire d’elle-même est celle du droit : elle est légitime. Ses effets sont l’obligation politique (ce que tous décident oblige chacun) et la contrainte légale (les infractions aux lois sont punissables). La force supplémentaire que la religion civile doit lui ajouter est d’un autre ordre, celui des affects : faire aimer les devoirs que la loi a fixés.
Nous pouvons en ce point identifier le problème auquel répond la religion civile. Il est l’un des versants de celui, plus global, que Rousseau a mis au centre de sa pensée politique : assurer les conditions de formation de la volonté générale. Le Contrat social a montré, dans ses premiers livres, qu’elle engage un processus indissociablement cognitif et politique64. C’est du développement des « lumières publiques » que
résultera « l’union de l’entendement et de la volonté dans le corps social65 ». Mais pour Rousseau, et cette thèse innerve l’ensemble de sa pensée, il n’y a pas de processus cognitif qui ne soit en même temps un processus passionnel : « l’entendement humain doit beaucoup aux passions … c’est par leur activité que notre raison se perfectionne66 ». Passion et raison ont une généalogie commune. Cette thèse joue un rôle tout aussi essentiel en politique. Dans le Contrat social, il ne lui suffisait pas d’établir les conditions premières, politico-cognitives, de la formation de la volonté générale, il lui importait aussi d’assurer ses conditions secondes, que l’on peut dire passionnelles ou affectives. Si l’on considère le corps politique dans son ensemble, il sera alors question des mœurs et de l’opinion publique, si l’on considère chacun de ses membres pris en particulier, il s’agira des affects qui feront que chacun aimera ses devoirs. C’est l’objet de la religion civile.
Son objet étant déterminé, la compréhension que l’on doit avoir des dogmes de la religion civile est profondément infléchie. La formulation ne change pas : on ne doit pas les comprendre « comme dogmes de Religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon Citoyen, ni sujet fidèle ». Mais le sens de ces expressions s’éclaire d’un nouveau jour : le critère d’un dogme, c’est sa vérité, celui d’un sentiment, sa sincérité. S’agissant d’un sentiment moral, un second critère doit être considéré : celui de la vertu dont il est porteur. Tout membre du corps politique est citoyen et sujet, c’est une donnée de droit et de fait. En revanche, être bon citoyen ou sujet fidèle relève d’une implication volontaire, d’un sentiment vertueux. Dans le premier cas : donner la préférence à l’intérêt commun, dans le second : soumettre sa volonté à celle de la loi. Le contrat social et la loi nous y obligent ; les sentiments de sociabilité nous y portent. Pour les jusnaturalistes, qui suivent Aristote sur ce point, la sociabilité ne désigne pas tant une vertu que la tendance naturelle de l’homme à vivre en société. Rousseau, comme Hobbes, récuse cette idée67. Mais, à la différence de Hobbes, il distingue le lien d’obligation de la vertu de sociabilité68. Par là même, l’hésitation entre les deux compréhensions
possibles des dogmes positifs est levée en faveur de ce que nous avions appelé une propédeutique des sentiments. C’était déjà vrai, on l’a vu, du « dogme négatif », et cela reste vrai dans le Contrat social malgré une formulation plus concise : « Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu’on croit damnés ; les aimer serait haïr Dieu qui les punit : il faut absolument qu’on les ramène ou qu’on les tourmente ». L’intolérant est nécessairement habité par un sentiment d’insociabilité.
Nous pouvons constater, à ce stade de notre lecture, que la rédaction du Contrat social prolonge la ligne de pensée esquissée dans son brouillon, mais alors inhibée. Il est désormais possible de définir la religion civile par sa fonction : former « dans le cœur des citoyens » des sentiments de sociabilité, qui, en aidant à la généralisation des volontés particulières, contribuent à affermir la volonté générale. Mais, avant de revenir sur la portée de cette idée, il faut admettre que cette clarification doit être relativisée.
Des apories récurrentes
de la profession de foi civile
Cette reconstitution de la démarche de Rousseau se heurte à un écueil évident : la profession de foi civile. Bien que le Contrat social l’évoque brièvement, c’est sur ce passage que les commentaires se sont focalisés, parce qu’ils identifient (par synecdoque si l’on veut) la religion civile avec la profession de foi. Au vu de ce qui précède, on peut être tenté de soutenir, au contraire, que son rôle et sa place sont désormais minorés. Dans la Lettre à Voltaire, il n’était question que d’une profession de foi civile dont le statut était celui d’un simple code moral. Le brouillon porté par le Manuscrit de Genève, bien qu’évoquant l’idée de religion civile, la recouvrait sous une autre définition de la profession de foi : comme source d’un pouvoir d’obliger et de contraindre. Le Contrat social inverse ce rapport : la place centrale y revient à la religion civile. La profession de foi n’y subsiste-t-elle que comme butte témoin des étapes antérieures de la pensée de Rousseau ? Cette conclusion n’est pas tenable. Que l’on puisse observer une telle évolution n’enlève rien à la difficulté principale : ce que dit le paragraphe du Contrat social, qui traite spécifiquement de la profession de foi, entre en conflit avec la compréhension que nous venons de proposer de la religion civile. Aussi bien, une hypothèse différente (mais non moins dérangeante) peut être défendue : la profession de foi civile aurait pour rôle, dans l’économie conceptuelle du Contrat social,
de prendre en charge ce qui, dans le rapport entre politique et religion, échappe à la religion civile.
Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au Souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de Religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon Citoyen ni sujet fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l’État quiconque ne les croit pas ; il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir. Que si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes, il a menti devant les lois.
Tout dans ce passage ne fait pas difficulté. Nous avons vu que la nouvelle perspective dans laquelle on doit inscrire les « sentiments de sociabilité » modifie leur signification, ou plutôt la précise en la surdéterminant : faire aimer les lois et la justice est bien l’objet de la religion civile. Mais précisément, Rousseau ne s’arrête pas là : outre l’amour des lois et de la justice, la profession de foi exige que l’on soit capable « d’immoler au besoin sa vie à son devoir ». Cette nouvelle exigence est constitutive d’un premier problème.
La formulation à la fois allusive et violente de Rousseau (« immoler sa vie ») renvoie au sacrifice que le combattant doit faire de lui-même pour défendre sa patrie69. Nous avons vu le rôle joué par la problématique de la guerre dans sa réflexion sur les rapports entre religion et politique, ainsi que la différence essentielle à cet égard entre les religions nationales et le vrai christianisme. Il est d’autant plus remarquable que cette problématique, en dehors de cette mention presque furtive, soit absente des pages consacrées à la religion civile. Plusieurs raisons l’expliquent. On rappellera d’abord que celle-ci concerne les membres du corps politique en tant que citoyens (membres du Souverain) et en tant que sujets (membres de l’État). Or la problématique de la guerre concerne la troisième dimension du corps politique, dans son rapport à d’autres, comme « Puissance70 ». C’est dans ce troisième cadre qu’il est
question du « défenseur de la patrie ». La vertu d’abnégation qui est réclamée de lui est d’ailleurs d’une nature différente de celles du « bon citoyen » ou du « sujet fidèle71 ». Vouloir mourir, car c’est de cela qu’il s’agit, contredit le principe de conservation, qui, Rousseau le soutient avec constance, fixe nos premiers devoirs. Nous retrouvons l’aporie qu’il avait dégagée au tout début de son brouillon : pour sacrifier sa vie, il faut la mépriser. Exiger une telle chose de ses membres est tout aussi contradictoire avec la fin de la société, qui est d’abord leur conservation : le souverain peut leur faire obligation de risquer leur vie pour la défense de leur patrie, pas de la lui sacrifier72. Le sacrifice n’est pas, dans la pensée de Rousseau, une catégorie politique. En ce point, il fait donc porter à la profession de foi une exigence qui excède l’objet de la religion civile.
Mais c’est surtout le statut de la profession de foi qu’il faut interroger. Une remarque d’apparence formelle pourra servir de point de départ. Dans son brouillon, Rousseau affirmait : « tout citoyen doit être tenu de prononcer cette profession de foi par devant le magistrat », et il précisait que cette déclaration devait donner lieu à une « solennité » collective annuelle. Dans le Contrat social, ces indications disparaissent, mais cette dimension reste présente sous une forme indirecte. L’expression « profession de foi » doit y être prise au sens littéral (proclamer sa croyance). La formule : « après avoir reconnu publiquement ces dogmes » implique qu’ils aient fait l’objet d’une reconnaissance personnelle et publique. Cet effacement apparent et ce maintien discret demandent explication. Que Rousseau ait renoncé à la dimension institutionnelle et cérémonielle que son brouillon soulignait correspond sans doute au souci de distinguer la religion civile des religions positives. Elle ne concerne pas les formes extérieures du culte rendu à la divinité, mais seulement (en cela elle est plus proche de la religion naturelle) les « sentiments intérieurs » dont chacun doit être pénétré. Pourquoi maintenir une déclaration publique de ces sentiments ? La réponse renvoie à la question de l’obligation. Rousseau l’aborde à reculons, en rappelant le principe de la liberté de
conscience sur lequel il n’a jamais tergiversé : l’autorité politique, aussi légitime soit-elle, ne saurait obliger quiconque dans ses croyances, elle ne sanctionne que des conduites. Les sentiments intérieurs signifient nos devoirs, les lois fixent nos obligations : leur confusion serait proprement tyrannique. Comment légitimer dès lors que le souverain bannisse ceux qui ne croient pas aux dogmes énoncés par la profession de foi et punisse de mort ceux qui ont menti en y souscrivant ? Les formulations de Rousseau, bien que contournées, montrent que la profession de foi mobilise une troisième figure, hybride, entre le devoir moral et l’obligation politique. Si l’on ne peut obliger personne à croire, pourquoi peut-on légitimement bannir celui que ne croit pas ? Parce que ce n’est pas l’incrédulité que l’on sanctionne, mais la déclaration qui en a été faite : affirmer ne pas croire aux dogmes de la religion civile, c’est déclarer qu’on ne considère pas comme des obligations les devoirs dont ils sont la déclaration73. Pourquoi peut-on punir de mort celui qui a violé ces devoirs, « après avoir publiquement reconnu » les dogmes qui les énoncent ? Parce qu’en faisant cette déclaration publique, il a constitué ces devoirs en obligations. En d’autres termes, la source de l’obligation ne se trouve pas dans les dogmes fixés par le souverain, mais dans la déclaration publique par laquelle on s’est engagé à leur obéir. Cette obligation est manifestement d’une autre nature que celle dont la loi est porteuse : elle ne procède pas de l’engagement réciproque de chacun avec tous et tous avec chacun, mais d’un engagement pour ainsi dire unilatéral que chacun prend.
Rousseau réintroduit-il subrepticement la figure du serment ? Cette question mérite d’être posée. Dans la première version du Contrat social, il avait écarté l’idée, défendue par Pufendorf, que le serment puisse garantir le pacte social74. Il était revenu sur cette question dans un post-scriptum au chapitre « Du législateur » : « Je ne crois pas contredire dans ce chapitre ce que j’ai dit ci-devant sur le peu d’utilité du serment dans le contract de société, car il y a bien de la différence entre demeurer fidèle à l’État seulement parce qu’on a juré de l’être, ou
parce qu’on tient son institution pour céleste et indestructible75 ». Pour rendre intelligible ce passage sibyllin, il fallait comprendre d’une part (ce que ne dit pas la rédaction de ce chapitre) que le législateur réclame au nom de la divinité que le peuple prête un tel serment et, d’autre part, que la fidélité envers l’État qu’il obtient ainsi n’est pas l’effet de ce serment, mais de la croyance qui l’a motivé. Il y a tout lieu de penser que le second point s’applique à l’espèce de serment en quoi consiste la profession de foi civile. D’une part, cela a été suffisamment établi, elle ne joue aucun rôle dans la formation de l’obligation politique ; d’autre part, et cela a plus d’importance ici, la fidélité qu’elle produit ne tient pas à la déclaration elle-même, mais à la croyance dont elle est l’expression. Mais du coup la question reste entière : d’où vient l’obligation que produit la profession de foi ? Pas de la croyance, mais de la déclaration publique que l’on a faite. La fidélité et l’obligation renvoient respectivement à la croyance qui fait l’objet de la profession de foi et à sa déclaration publique.
On voit dans l’usage flottant que Rousseau fait ici de son propre vocabulaire, l’embarras qu’il éprouve pour faire entrer le dispositif de la profession de foi dans le cadre de ses principes. Dans la rédaction de son brouillon (comme dans la Lettre à Voltaire), il avait reconnu à « la loi » le droit de fixer les dogmes, et confié aux « magistrats » la mission de recevoir la profession de foi. Le texte du Contrat social substitue le souverain aux lois et supprime la référence aux magistrats. Ces deux modifications rendent moins ostensible, mais ne suppriment pas une difficulté notable. Rousseau persiste à assurer que le peuple souverain peut fixer des principes moraux valables pour tous ses membres, mais recule devant la qualification de ces dogmes comme des lois. Le crime punissable est d’ailleurs défini par une formule biaisée : « mentir devant les lois ». Or, si les dogmes ne sont pas à proprement parler des lois, par qui et selon quelle procédure leur violation sera-t-elle sanctionnée ? Le Contrat social reste muet sur ces questions, et on comprend pourquoi : le statut de la profession de foi est doublement exorbitant. Dès lors que les « sentiments de sociabilité » doivent donner lieu à une déclaration publique et que l’on passe du devoir à l’obligation, on s’éloigne de l’objet propre de la religion civile : « faire aimer leurs devoirs » aux citoyens et aux sujets. D’un autre côté, l’obligation dont il est ici question ne
relève pas rigoureusement de la loi, seule source de l’obligation dans ses « principes du droit politique76 ».
Sous cette aporie, on doit en déceler une seconde. Nous avions observé qu’une équivoque pesait sur la façon dont Rousseau introduit l’idée de religion civile : est-ce l’État ou la société qui a besoin de religion ? Le texte du Contrat social répond de deux façons différentes suivant qu’il parle de la religion civile ou de la profession de foi civile. Dans le premier cas, la notion de sociabilité l’indique (comme celle d’insociabilité dont est accusé l’intolérant), c’est de l’existence sociale de l’homme qu’il s’agit, de ses rapports, comme « être relatif » avec les autres pris singulièrement et la communauté à laquelle il appartient77. Mais, dans le cadre de la profession de foi, dès lors qu’il est question d’obligation et surtout de sanction, c’est nécessairement l’État qui intervient. La société a besoin de la religion civile, c’est l’État qui a besoin de la profession de foi.
Si Rousseau parvient dans le Contrat social à fixer la fonction et la place de la religion civile dans l’économie conceptuelle de ses principes du droit politique et ainsi à surmonter les apories qui faisaient obstacle à sa formation, ces mêmes apories, pour partie au moins, se retrouvent attachées à la figure de la profession de foi civile.
Notre but, en retraçant la genèse du concept de religion civile, était de comprendre ce qui l’a rendu à la fois nécessaire et possible. La problématique au travers de laquelle Rousseau aborde la relation entre religion et politique, nous l’avons vu, est définie par un système de multiples contraintes auquel il s’est lui-même soumis. Rousseau est un des penseurs de la modernité, pour qui la liberté de conscience est un principe moral intangible. Il est plus précisément et tout aussi résolument un penseur des Lumières, aux yeux de qui ce principe n’implique pas seulement la tolérance en matière religieuse, mais aussi de combattre l’intolérance à sa racine : les croyances exclusives et pour cela fanatiques. Rousseau est aussi, surtout peut-être, un penseur politique, qui s’inscrit simultanément dans deux lignes de pensée distinctes. D’un côté, il radicalise le principe d’autonomie d’inspiration jusnaturaliste en l’étendant de la morale à la politique : il n’y a d’obligation que celle qu’on s’est librement donnée. Mais il participe aussi d’une autre lignée de pensée, dont relèvent Montesquieu avant lui et plus tard Tocqueville,
pour laquelle la formation et le maintien du lien social reposent sur les mœurs, dont Rousseau redéfinit le concept en formant celui d’opinion publique. S’il peut articuler ces deux ordres de considérations, c’est à partir d’une thèse qui le singularise et qui soutient son anthropologie (selon ses propres termes, sa « théorie de l’homme ») : les passions et la raison sont les produits solidaires d’un même procès de « civilisation ». Cette thèse a un corollaire politique : la formation de la volonté générale dépend à la fois de conditions politico-cognitives et de conditions passionnelles et morales.
Il faut prendre en compte l’ensemble de ces impératifs pour comprendre ce qui a conduit Rousseau vers l’idée de religion civile, les apories auxquelles il s’est confronté pour la former, la façon dont il les a résolues dans le Contrat social, enfin leur rémanence dans le dispositif de la profession de foi civile. La Lettre à Voltaire partait du problème de l’intolérance religieuse et se séparait de l’orientation commune des Lumières en montrant que, sa racine étant dans des croyances, il fallait la combattre par d’autres croyances, morales, composant une « profession de foi civile ». Mais confier à la loi leur prescription, c’était mettre en danger le principe de l’autonomie morale. Le brouillon rédigé en marge du Manuscrit de Genève envisageait une question symétrique : quel « concours » la religion peut-elle apporter à « l’établissement civil » ? Pour la poser, Rousseau était parti d’un constat paradoxal : les religions, dans leurs formes connues, sont également destructrices du lien social. Les religions exclusives, parce qu’elles sont source de guerres et de guerres civiles, la religion naturelle (le « vrai christianisme »), parce qu’elle conduit à un désinvestissement de la société. La religion civile serait une religion inclusive attachant chacun à la société dont il est membre. Mais, dans ce texte, cette idée se résorbe dans celle de profession de foi, à laquelle il est alors demandé de jouer un rôle directement politique en fondant une obligation susceptible de sanction. Le Contrat social surmonte en un sens ces apories en assignant une place et une fonction précises à la religion civile : elle n’est pas au fondement de l’ordre social, ne participe pas au processus politico-cognitif de formation de la volonté générale, mais suscite des « sentiments de sociabilité », qui mettent les citoyens en état de participer à sa formation et les sujets de ressentir comme un devoir de lui obéir. Elle est aussi un antidote contre les sentiments d’insociabilité, dont
le fanatisme religieux est la forme extrême. Le statut de la profession de foi civile reste cependant aporétique, dans la mesure où elle exige du défenseur de la patrie une vertu d’abnégation, qui n’est ni celle du citoyen, ni celle du sujet, et où elle génère une sorte d’obligation irréductible à celle dont la loi est porteuse.
Bruno Bernardi
IHRIM (UMR 5037), CNRS – ENS Lyon
1 Sur la période récente, voir C. Spector, Au prisme de Rousseau : usages politiques contemporains, SVEC, 2011.
2 Du Contrat social, l. IV, chap. viii « De la religion civile ». Sauf mention contraire, les œuvres de Rousseau seront citées dans l’édition des Œuvres Complètes, La Pléiade, 5 vol. notés OC I à OC V.
3 Voir R. Derathé, « La Religion civile selon Rousseau », in Annales J.-J. Rousseau, t. XXXV, 1959-1962.
4 Robert N. Bellah, « Civil Religion in America », in Daedalus, Boston, vol. 96, no 1, 1967 (trad. fr. de Gwen Terrenoire, Archives des Sciences sociales des religions, no 35, 1978). Dans cet article pionnier, R. Bellah précise bien que s’il reprend le terme à Rousseau, les sources de la tradition américaine sont différentes.
5 G. Waterlot, Rousseau : religion et politique, Paris, PUF, 2004.
6 G. Waterlot a pris l’initiative d’organiser cette discussion dont a rendu compte une publication collective La Théologie politique de Rousseau (désormais abrégé TPR), Rennes, PUR, 2012. Ont contribué à ce volume : B. Bachofen, F. Guénard, A. Hatzenberger, J. Saada, V. Waksman et G. Waterlot.
7 G. Waterlot, « Rousseau démontre-t-il l’affirmation : “Jamais peuple n’a subsisté ni ne subsistera sans religion” ? », in TPR, p. 62-89. G. Waterlot cite l’édition de la Pléiade, OC III, p. 336.
8 Cette expression est une innovation de G. Waterlot.
9 « La Religion civile selon Rousseau : une théologie politique négative », in TPR, p. 37-62, ici p. 38.
10 Ibid., p. 57 et note 11.
11 « Esprit social et choses du ciel : religion et politique dans la pensée de Rousseau », in TPR, p. 15-36.
12 Ibid., p. 34. Rappelons que le souverain, pour Rousseau, est le peuple entier exprimant sa volonté générale.
13 Ibid., p. 36.
14 On le verra au demeurant, je serai conduit à reprendre plusieurs des arguments de Florent Guénard, tout en les articulant et les configurant d’une autre façon.
15 La bibliographie des ouvrages de G. Waterlot recense l’essentiel des études antérieures. Parmi les plus récentes, on retiendra : James Swenson, « Le concours de la religion : une religion politique ou une politique des religions ? », in J.-J. Rousseau, Du Contract social ou Essai sur la forme de la République (Manuscrit de Genève), édition et commentaire sous la dir. de B. Bachofen, B. Bernardi et G. Olivo, Paris, Vrin, 2014, p. 293-218 ; Charles L. Griswold, “Liberty and Compulsory Civil Religion in Rousseau’s Social Contract”, Journal of History of Philosophy, vol. 53, no 2, 2015, p. 271-300. On signalera en outre la thèse soutenue par Yoshigo Iida, La « religion civile » chez Rousseau comme art de faire penser, Université de Grenoble, octobre 2015.
16 Ce texte est celui d’un important brouillon, certainement postérieur à 1758, qui sera présenté plus loin.
17 Le chapitre ix est un post-scriptum concernant les matières qu’auraient du traiter les Institutions politiques.
18 J. Swenson m’a aidé à former cette hypothèse par son étude lumineuse de la seconde tentative de Rousseau. La méthode largement inspirée de la philosophie analytique appliquée par C. Griswold au chapitre « De la religion civile », m’a incité à lui apporter le contrepoint d’une étude de génétique conceptuelle.
19 Lettre de J. J. Rousseau à Monsieur de Voltaire, OC IV, p. 1059-1075. Le texte de cette édition est celui, remanié, publié en 1764. Pour suivre la genèse de la pensée de Rousseau, il faut consulter son brouillon (complet pour cette partie) et le texte adressé à Voltaire : voir les no 424 bis et 424 du volume IV de la Correspondance Complète, R.-A. Leigh ed. Sauf mention contraire, on citera le texte adressé à Voltaire.
20 Sur cette première partie, voir G. Radica, « L’optimisme de Rousseau, la Lettre à Voltaire du 18 août 1756 », in Lisbonne 1755, un tremblement de terre et du ciel, revue Lumières, 2d semestre 2005, p. 41-58.
21 Dans OC III, la première partie couvre les pages 1060-1070, la seconde les pages 1071-1074.
22 Le brouillon de la lettre contient deux passages d’un grand intérêt. Dans le premier, Rousseau pose le principe : « Le Dogme n’est rien, la morale est tout, Dieu n’exige point de nous de croire, puisqu’il ne nous en donne pas le pouvoir, mais il exige la pratique de la vertu, parce que chacun est maître de ses actions ». Dans le second, il l’applique à ses « amis respectables qu’on accuse de scepticisme en matière de religion ».
23 Le brouillon souligne cette opposition [« Il y a pourtant je l’avoue … »] et la rend plus visible : ce paragraphe y suit immédiatement celui sur les bornes du pouvoir civil.
24 Nous reviendrons plus loin sur référence au droit naturel, qui renvoie ici au poème de Voltaire.
25 Rousseau précise bien : « Que s’il y avait des incrédules intolérans qui voulussent forcer le Peuple à ne rien croire, je ne les bannirais pas moins sévèrement que ceux qui le veulent forcer à croire tout ce qu’il leur plaît ».
26 Rousseau précise encore : « Chacun seroit libre de n’en avoir point d’autre [religion] que le code même ».
27 Ce que dit l’Émile des livres et des catéchismes (OC III, p. 357 et 554) incite à lire ces lignes cum grano salis.
28 Rousseau parle aussi de les « exterminer », ce qui équivaut à la devise voltairienne « Écrasons l’infâme ! ».
29 Voir B. Bernardi, « Rousseau et la généalogie du concept d’opinion publique », in Jean-Jacques Rousseau en 2012, Puisqu’enfin mon nom doit vivre, Michael O’Dea dir., SVEC, Oxford, Voltaire Foundation, 2012, p. 95-127.
30 On appelle Manuscrit de Genève (en abrégé Ms G.) le volume manuscrit sur lequel Rousseau a d’abord rédigé une copie mise au net d’une première version du Contrat social, puis, longtemps après, a consigné plusieurs essais de rédaction, dont le plus important concerne « Le concours de la religion dans l’établissement civil » (évoqué en abrégé comme son « brouillon »). Il figure dans les Œuvres Complètes, la Pléiade, vol. III, p. 336-342. Pour un établissement complet, voir J.-J. Rousseau, Du Contract social ou Essai sur la forme de la République (Manuscrit de Genève), sous la dir. de B. Bachofen, B. Bernardi et G. Olivo, p. 93-107. La lecture que l’on en propose ici est largement redevable au commentaire qu’en a donné James Swenson, ibid., p. 293-218.
31 Op. cit., p. 91-92. Je donne ici la rédaction initiale (Ms G, fo 53 ro) avant sa révision qui précède elle-même la suppression du passage final (il est suivi d’un post scriptum sur le serment, nous aurons l’occasion d’y revenir).
32 Ce pourquoi J. Swenson a intitulé ce brouillon « Le concours de la religion dans l’établissement civil ».
33 G. Waterlot isole cette proposition, minore le fait que Rousseau parle de « maintenir » les hommes en société, non de la former, et ne tient pas compte du fait que ce passage soit supprimé dans le Contrat social.
34 Chaque individu, selon Rousseau, est dans un triple rapport : comme personne privée il peut percevoir son intérêt comme distinct de celui des autres, comme citoyen il comprend que l’intérêt de chacun s’identifie à l’intérêt commun, comme son défenseur il doit pouvoir mettre l’intérêt de la patrie au dessus du sien.
35 Un troisième type, la « religion du prêtre », est à peine évoqué pour dénoncer la contradiction entre les deux autorités entre lesquelles elle divise la société.
36 En ce lieu, Rousseau qualifie de « religion civile » ce qu’il appellera ensuite « religion nationale », preuve qu’il n’a pas encore donné à cette expression le sens qu’il lui attribuera dans la seconde partie de son texte.
37 La distinction entre guerre offensive et défensive (la seule légitime) est déterminante pour Rousseau.
38 On peut dans cette définition un écho du rôle que la première rédaction du chapitre « Du législateur » donnait à la religion : « donner au lien moral une force intérieure qui pénètre jusqu’à l’âme ».
39 C’est la seule véritable occurrence de l’expression « religion civile » dans ces pages, les autres étant l’objet d’une inadvertance (pour « religion nationale »), ou apparaissent dans des formulations supprimées.
40 J. Swenson observe que les dogmes sont « une traduction, dans le registre épistémique », de ces sentiments, Op. cit., p. 213. On ajoutera que cette traduction est l’effet insolite d’une décision politique.
41 Le Contrat social reprend ces formulations laborieusement établies. Voir l’analyse de C. Griswold, art. cité.
42 Le contenu dogmatique de ces articles peut être sujet à discussion, mais cette discussion n’importe pas directement à notre propos, qui porte sur leur relation.
43 Rousseau ne confond jamais l’obligation et le sentiment d’obligation. Voir B. Bernardi, Le principe d’obligation, Paris, Vrin/EHESS, 2007, chap. vi.
44 La rédaction du Contrat social, on le verra, est beaucoup plus sommaire.
45 Voir l’article « Intolérance » rédigé par Diderot pour l’Encyclopédie.
46 Cette référence au « droit divin » est ici vague et équivoque, le Contrat social la précisera.
47 Ce relevé, très partiel dans l’annotation de R. Derathé, a été fait systématiquement par J. Swenson dans son annotation du « Concours de la religion … », op. cit., p. 93-107.
48 Cette présentation de la logique qui préside à la rédaction finale du Contrat social exigerait un développement que ne permet pas le cadre de cette étude, mais on y verra une manière indirecte de la valider.
49 R. Derathé, dans son annotation, cite Albert Schinz, La pensée de Jean-Jacques Rousseau, Paris, 1929, p. 384-375, qui voit dans ce chapitre « De la religion civile » un revirement final.
50 C’est dans cette lignée, et non dans celle de Rousseau, que s’inscrit la tradition américaine que l’on a cru pouvoir qualifier de « civil Religion ».
51 Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, en particulier L. I, chap. i, § xv, trad. J. Barbeyrac, 1724, vol. 1, p. 57, reprint Université de Caen, 1984. Sur ce point, voir Le principe d’obligation, op. cit., chap. iii.
52 Il est impossible de suivre G. Waterlot quand il avance : « Pour le dire clairement, nous interprétons la phrase de Rousseau dans le sens dès l’origine des nations, la religion sert d’instrument à la politique », ni quand il ajoute : « Sans cette interprétation, le chapitre sur la religion civile devient incohérent avec l’ensemble du Contrat social », in Rousseau, religion et politique, op. cit., p. 29.
53 Il paraît superflu de discuter l’hypothèse selon laquelle la position de ce chapitre serait simplement due à son ajout tardif, pour donner plus d’étendue à un ouvrage trop court.
54 OC III, p. 1498.
55 Cette formulation se trouve dans la table des matières mise en tête de l’édition originale de 1762, reportée à la fin de l’édition Moultou et Dupeyrou de 1782, est malencontreusement omise dans les Œuvres Complètes de la Pléiade. On pourra la trouver dans l’édition que j’en ai procurée, Paris, Garnier-Flammarion, 2001 (rééd. 2012).
56 Il est suivi de quelques lignes sur les autres matières qu’auraient du traiter les Institutions politiques.
57 Livre III, chap. ix : « Comme la volonté particulière agit sans cesse contre la volonté générale, ainsi le Gouvernement fait un effort continuel contre la Souveraineté », et, chap. xiv : « Mieux l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées dans l’esprit des Citoyens. […] Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’État, que m’importe ? on doit compter que l’État est perdu ».
58 Cette expression est utilisée dès le chapitre i du livre IV : « Enfin quand l’État près de sa ruine ne subsiste plus que par une forme illusoire et vaine, que le lien social est rompu dans tous les cœurs, que le plus vil intérêt se pare effrontément du nom sacré du bien public ; alors la volonté générale devient muette […] ».
59 Pour une analyse de ce chapitre : « Rousseau et la généalogie du concept d’opinion publique », art. cité.
60 Sur cette mutation dont le Ms de Genève est le lieu et le témoin, voir l’introduction du volume J.-J. Rousseau, Du Contract social ou Essai sur la forme de la République (Manuscrit de Genève), op. cit., p. 14-18.
61 C’est pourquoi on ne peut la qualifier de « supplément » au sens rousseauiste du terme. Il ne s’agit pas d’un substitut, mais d’un renfort, si l’on veut aussi d’un complément.
62 Ces expressions renvoient pour l’une au chap. vii du livre II, pour l’autre au chap. i du livre IV.
63 On s’abstiendra de répéter les analyses proposées plus haut à propos du brouillon.
64 Sur ce point, voir B. Bernardi, La fabrique des concepts, recherches sur l’invention conceptuelle chez Rousseau, Paris, Honoré Champion, 2006 (rééd. 2014), chap. 11 et 12.
65 Contrat social, II, VI.
66 Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité, OC III, p. 143.
67 Ibid., OC III, p. 126 et 151.
68 Sur la vertu de sociabilité, voir la Lettre sur la vertu, in Annales J.-J. Rousseau, t. 41, 1997, p. 313-327.
69 Le brouillon porté par le Ms de Genève était plus explicite : « aimer sincèrement les loix, la justice et la patrie [et de vouloir mourir pour elle : première rédaction barrée par Rousseau], d’immoler au besoin sa vie à ses devoirs ».
70 Cette distinction est fermement établie par le Contrat social, I, chap. vi.
71 Rousseau insiste sur le fait que « l’égalité de droit et la notion de justice qu’elle produit dérive de la préférence que chacun se donne et par conséquent de la nature de l’homme » (Contrat social, II, chap. iv).
72 « Le traité social a pour fin la conservation des contractants » (Contrat social, II, chap. v). Sur ce chapitre et en particulier la distinction entre risquer sa vie et la sacrifier, voir B. Bernardi, « Le droit de vie et de mort selon Rousseau : une question mal posée ? », in Revue de Métaphysique et de Morale, no 1, janvier-mars 2003, p. 89-106.
73 Ce cas de figure renvoie au « raisonneur violent », objet d’une discussion avec Diderot dans la première version du Contrat social, op. cit., chap. ii, p. 36-40. Voir aussi le commentaire de C. Spector, ibid., p. 149-153.
74 Ms G., Livre I, chap. iii, p. 48. Voir, ibid., l’annotation de F. Calori, en particulier, la discussion du point de vue défendu sur ce point par R. Dérathé dans J.-J Rousseau et la science politique de son temps, Paris, Vrin, 1979, p. 159.
75 Ibid., Livre II, chap. ii, p. 92.
76 Cette difficulté est celle mise en évidence par Florent Guénard, loc. cit., p. 34-35.
77 On se reportera de nouveau sur ce point à la Lettre sur la vertu, op. cit.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-06300-1
- EAN : 9782406063001
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06300-1.p.0107
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/09/2016
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Religion civile, tolérance, lien social, autonomie, Jean-Jacques Rousseau