Que veut dire « prendre soin de l’environnement ? » Une analyse philosophique du lien entre écologie et médecine
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2013 – 2, n° 3. Prendre soin de la nature et des hommes - Auteur : Gaille (Marie)
- Pages : 81 à 101
- Revue : Éthique, politique, religions
Que veut dire « prendre soin
de l’environnement ? »
Une analyse philosophique du lien
entre écologie et médecine1
La préoccupation – à la fois théorique et pratique – pour la relation de l’individu et des populations humaines, voire de « l’humanité », à « l’environnement » apparaît aujourd’hui de façon forte dans les débats publics. Elle fait l’objet de nombreux programmes d’enseignement et de recherche. Elle se double d’un constat consensuel : on ne peut plus faire ni penser « comme avant2 ». « Faire comme avant » est lui-même associé à un diagnostic, celui d’une attitude humaine destructrice et nocive tant à l’égard de « la nature » que de ses « ressources » et du vivant en général depuis plusieurs décennies. Un tel diagnostic n’est pas si récent que cela. En philosophie, il a été formulé dès l’entre-deux guerre, en dehors de toute pensée « environnementale » ou « écologique ». Il apparaît par exemple dans les analyses d’E. Husserl3. Dès la fin du xixe siècle, la pensée américaine formule une interrogation spécifique sur l’homme et son rapport à l’environnement et à la nature4.
Le comportement de conquête et de contrôle des ressources naturelles est critiqué. Le soupçon se porte sur l’idée d’une conception « occidentale » de la nature, qui ferait de cette dernière un objet à maîtriser – et à exploiter – par les hommes, au sens générique mais également sexué comme l’indique la critique éco-féministe des comportements de domination5. La conception d’une nature « vulnérable » ou « fragile » est mise en avant en écologie comme en philosophie6. Le désir diffus de penser et de faire autrement a également donné toute sa place à une réflexion sur l’articulation entre l’éthique du care et l’éthique de l’environnement7. La dénonciation des comportements égoïstes, des gestes de pillage et de gaspillage, de destruction et de dégradation, a été associée, entre autres choses, à la promotion d’une disposition « caring », tant pour réparer ce qui a été détruit que pour développer une autre forme de relation à « la nature » et aux entités qui la peuplent.
Cependant, l’idée d’un prendre soin de l’environnement n’a rien d’évident. L’une des pistes fécondes que l’on peut emprunter afin d’en proposer une définition est celle qui a été élaborée au sein de la médecine, en lien avec la question de la santé humaine. Elle retiendra ici notre attention. Une telle piste a été explicitement ouverte par l’un des premiers penseurs de ce qu’on appelle aujourd’hui, « bioéthique » : Van Rensselaer Potter, qui associe de façon forte « santé humaine » et « santé de l’environnement ». En fonction d’une finalité anthropocentrée (qui n’est pas nécessairement synonyme d’égoïste), le détour par le discours médical permet d’envisager au moins en partie ce que « prendre soin de l’environnement » veut dire. Sans prétendre qu’il faut réduire ce « prendre soin » à un soin pensé sur le modèle médical, sans nier la dimension problématique de l’expression de « santé de l’environnement »,
il s’agit ici de prêter attention à ce qu’un tel détour peut apporter à notre compréhension.
Comme on le verra, au-delà de la référence nourrie à la réflexion d’Aldo Leopold sur la communauté biotique, Van Rensselaer Potter n’élabore guère l’idée de « santé de l’environnement » et ne précise pas la manière dont on peut en « prendre soin ». Sa réflexion a malgré tout le mérite de nous faire revenir au lien établi de longue date dans la pensée médicale entre santé humaine et inscription de l’homme dans son environnement. Le corpus hippocratique est le premier ensemble textuel à attester, dans l’histoire de la pensée occidentale, de cette relation. Il le présente comme un élément clé de la pratique médicale, de l’art du diagnostic et de l’art de soigner qui consiste autant en une diététique qu’en une intervention médicamenteuse.
Le retour à ce corpus permet de prendre acte de l’écart entre la conception hippocratique du lien entre santé humaine et environnement et l’idée qu’on peut s’en faire aujourd’hui. En effet, la notion même d’environnement n’est pas comprise de la même manière de part et d’autre, parce que l’homme et les sociétés humaines apparaissent désormais être des agents transformateurs de l’environnement. En prenant acte de ce changement factuel et conceptuel, on est donc conduit à reposer la question initiale afin de lui donner une réponse actuelle : si le lien entre santé humaine et environnement est toujours essentiel, quelle signification donnons-nous au soin prodigué à ce dernier ?
« Santé environnementale » et santé humaine :
la « bioéthique » selon Van Rensselaer Potter
Le terme de « bioéthique » est généralement attribué au biochimiste et cancérologue Van Rensselaer Potter, qui l’a forgé en 1970 pour décrire ce qu’il appelle « la fusion des valeurs éthiques et des faits biologiques8 ». Au début des années 1970, il a voulu ainsi exprimer un
souci au sujet de la survie de la population humaine, compte tenu de son inscription dans un « environnement ». Il relativisait l’importance de l’éthique médicale au chevet du patient, pour privilégier la réflexion relative à la santé de l’ensemble de l’humanité et à la qualité de son environnement. La référence à Aldo Leopold dans ses textes s’explique en ce sens. Van Rensselaer Potter reprend à son compte l’idée d’une communauté biotique échue en partage à tous les vivants et dont les individus humains sont des membres, au même titre que les autres vivants9. Comme il le regrette dans son ouvrage de 1988, c’est l’éthique médicale au chevet du patient qui l’a emporté comme thématique directrice de la bioéthique.
Il propose une perspective stimulante et forte : celle d’une approche éthique globale, associée à l’idée d’une participation de l’homme à la communauté du vivant au sens large et au souci de choix faits pour le long terme. La manière dont Van Rensselaer Potter oriente la réflexion vers la prise en compte de « l’environnement » des populations humaines est liée à la thèse leopoldienne d’une communauté biotique du vivant. Il suggère que les hommes n’ont pas seulement intérêt à se soucier de cet environnement. Quoiqu’il en soit, par intérêt et/ou conscience de la co-participation de toutes les espèces à l’aventure de la vie sur terre, les populations humaines sont invitées à réguler leur exploitation et leur consommation des ressources naturelles, notamment alimentaires, par le biais d’un contrôle de la procréation :
Le contrôle de la fertilité humaine et une population mondiale stabilisée à un niveau inférieur à ce qui semble s’esquisser de façon inévitable pour le futur sont considérés comme des exigences absolues pour remplir des objectifs qui vont de pair : la santé humaine et la santé environnementale10.
On ne rencontre pas de questionnement, dans cette réflexion, sur l’équilibre à rechercher entre bien-être collectif et bien-être individuel en matière procréative. Ceci explique peut-être pourquoi elle n’a connu qu’une fortune limitée. En revanche, le souci pour le maintien d’un environnement de qualité ou « la santé de l’environnement », selon l’expression de Van Rensselaer Potter, a connu une diffusion notable depuis les années 1970. Aux côtés des analyses consacrées à l’allocation des ressources en santé ou aux décisions médicales prises au chevet des patients, certains articles s’attachent à diffuser sa pensée. Sans dissimuler le point problématique mentionné plus haut, ils insistent sur sa dimension de précurseur et sur l’intérêt qu’il y a à penser aujourd’hui un équilibre global et durable entre la population humaine et l’environnement11. Ses commentateurs soulignent surtout la dimension de long-terme et de globalité qui caractérisent sa réflexion, dénonçant une médecine « short-term, profit-oriented, high-tech, genetically based » et l’éthique médicale qui lui est associée12.
D’autres bioéthiciens développent une perspective critique proche de celle de Potter sur l’oubli irresponsable et inconscient des hommes à l’égard de leur inscription dans l’environnement. La philosophe Mary Midgley développe une critique de type leopoldien au sujet de l’attitude conquérante, destructrice et égoïste de l’homme capitaliste occidental. Elle appelle à un changement de notre représentation de la nature, estimant que nous ne pourrons modifier nos comportements destructeurs et exploiteurs avant de disposer d’une représentation de celle-ci propice à un rapport plus respectueux de ses ressources13.
Santé humaine, environnement et médecine depuis le corpus hippocratique : évolution de la problématique
La réflexion de Van Rensselaer Potter retient l’attention car elle est l’un des maillons d’une histoire longue, encore à faire, de la
relation établie, au sein du savoir médical, entre l’état de santé des individus et des populations et leur environnement. Cette histoire a son moment fondateur dans le corpus hippocratique qui, au-delà de sa diversité théorique intrinsèque, propose du savoir médical une conception qui incorpore à l’art du médecin une connaissance de l’environnement parce que les interactions avec celui-ci déterminent en partie la santé.
Le corpus hippocratique affirme en effet que les humeurs composant le corps subissent l’influence des facteurs externes et qu’un bon médecin a d’abord pour tâche de se renseigner sur l’environnement dans lequel vit son malade. Nature de l’homme souligne ainsi la nécessité de tenir compte des saisons, de la température, de la qualité de l’air, de l’eau et du sol, de l’orientation par rapport au soleil et aux vents pour poser un diagnostic et déterminer une thérapie. Ils sont tout aussi significatifs que l’âge du malade, sa constitution et son mode de vie, son « régime ». Avec des variations selon la pathologie considérée, ils sont même dans certains cas plus déterminants14. Airs, eaux, lieux est l’un des traités du corpus hippocratique où, avec un luxe de détails particulièrement riches du point de vue ethnographique, cette conception de l’art médical est affirmée et présentée de façon systématique :
Qui veut chercher à appréhender correctement la médecine doit faire ce qui suit : tout d’abord considérer, à propos des saisons de l’année, les effets que chacune d’elles est capable de produire ; car elles ne se ressemblent nullement entre elles, mais diffèrent beaucoup, aussi bien de l’une à l’autre que dans leurs changements ; ensuite les vents chauds et les vents froids, surtout ceux qui sont communs à tous les hommes, ensuite aussi ceux qui sont particuliers à chaque contrée. Il doit en outre considérer les propriétés des eaux ; car de même que les eaux diffèrent en saveur et en poids, de même leur propriété diffère beaucoup de l’une à l’autre. Ainsi, lorsqu’un médecin arrive dans une cité dont il n’a pas l’expérience, il doit en examiner avec soin la position, la façon dont elle est située par rapport aux vents et par rapport aux levers du soleil ; car la cité n’a pas les mêmes propriétés selon qu’elle est située face au borée ou face au notos, ni selon qu’elle est située face au soleil levant ou face au soleil couchant15.
Si l’on est loin, aujourd’hui, de la conception humorale du corps humain, force est de constater que cette dimension de l’art médical hippocratique, qui lie santé et environnement, a non seulement perduré, mais constitue aujourd’hui l’idée directrice de nombreuses recherches en écologie de la santé. La mise en évidence des chaînes trophiques a permis de comprendre et de visualiser les conséquences d’un impact à un point de la chaîne et a contribué à renforcer la conscience des interactions du vivant. Par ailleurs, le rapport des hommes au vivant dans le paradigme évolutionnaire s’avère ambigu, mais significatif pour penser cette articulation entre santé humaine et inscription dans un environnement. Au cours de l’évolution, l’homme a toujours vécu au contact de nombreux parasites ; la majorité des molécules médicamenteuses est issue de l’exploration de la diversité du vivant et parfois elle tient au savoir que nous avons accumulé sur l’utilisation des pathogènes eux-mêmes comme moyens de lutte pour préserver notre santé. La diversité biologique de notre planète, dont les agents pathogènes font partie, apparaît donc comme une richesse à préserver mais dans le même temps, elle recèle des facteurs de pathologies, en raison de l’existence d’espèces (animales ou végétales) vectrices de maladies, sans négliger les attaques de populations humaines par de grands prédateurs. Le lien entre santé et environnement est donc, encore aujourd’hui, établi, et constitue, avec l’éco-épidémiologie, l’un des objets majeurs de la recherche biomédicale. Dans le champ de la santé publique, il est conçu comme un élément constitutif des politiques destinées, notamment en milieu urbain, à assainir, purifier, aménager et organiser la circulation des hommes.
Ce lien ne se laisse pas seulement analyser à travers des paramètres épidémiologiques. Les acquis de la socio-anthropologie de la santé mettent en évidence que ceux-ci doivent être le plus souvent croisés avec l’analyse des modes de vie et des rapports au corps, des manières variées dont les hommes s’inscrivent dans cet environnement, leurs choix politiques et économiques, leurs déplacements, leurs comportements alimentaires et procréatifs, leur rapport aux différents « âges » de la vie, leurs représentations de la nature, de la vie animale, et du médicament, etc16. C’est un point
que le corpus hippocratique n’a guère mis en valeur, alors qu’aujourd’hui, la recherche en sciences humaines et sociales est riche d’analyses sur la manière dont les sociétés humaines contribuent à créer des conditions environnementales défavorables à la santé individuelle et collective, par exemple à travers des économies polluantes, et sur leurs efforts, à travers des mesures de santé publique par exemple, pour la préserver.
Cependant, la mise en perspective du propos énoncé par Van Rensselaer Potter dans cette histoire longue de la relation entre savoir médical et connaissance de l’environnement permet de montrer toute son originalité. En effet, l’objet de Van Rensselaer Potter n’est pas d’établir la thèse selon laquelle la santé humaine est en partie déterminée par des éléments « environnementaux ». Elle consiste plutôt à lancer un signal d’alarme, étayé par la conscience d’un gaspillage incontrôlé des ressources alimentaires. De ce fait, elle suggère qu’afin de garantir les conditions de santé des populations humaines, il est nécessaire, ou il est devenu indispensable au début des années 1970, de s’inquiéter également de l’état de l’environnement. Elle oriente donc, autrement dit, vers l’idée d’un « prendre soin de l’environnement ».
De façon distincte, la relation établie dans l’art médical d’inspiration hippocratique entre santé et environnement n’implique pas – en tant que telle – qu’on se soucie de ce dernier. Dans le corpus hippocratique, en effet, les vents, l’air, l’eau, l’orientation par rapport au soleil, le sol, la succession des saisons sont considérés comme des éléments à connaître. Mais il n’est pas question d’intervenir sur eux d’une quelconque manière. Ils exercent une influence sur la santé humaine, bonne ou mauvaise : à l’homme d’ajuster son mode de vie pour ne pas en subir les effets néfastes, quitte à « déserter » la région propice à la maladie17.
La relation entre santé et environnement qui se situe à l’arrière-plan des promotions contemporaines de la disposition « caring » paraît différente. L’environnement est perçu comme un élément (relativement) modifiable par les actions humaines :
Alors que la notion d’anthropisation n’avait initialement de signification que par rapport à un état de référence des écosystèmes, défini par son indifférence aux activités humaines, il apparaît aujourd’hui que ces processus ont pris une ampleur telle que cet état de référence lui-même, à l’échelle globale, apparaît comme une abstraction […] l’homme est désormais un agent géologique18.
L’environnement est considéré à travers les gaspillages, les dégradations, l’exploitation dont il fait l’objet. Certaines de ses composantes sont présentées comme définitivement disparues, tandis que d’autres se reconstitueront peut-être, au mieux à l’échelle de plusieurs générations de vies humaines. J. Diammond parle en ce sens d’« écosuicide » pour évoquer une série de processus causant des « dommages » à l’environnement et dont l’importance relative varie selon les cas : « la déforestation et la restructuration de l’habitat ; les problèmes liés au sol (érosion, salinisation, perte de fertilité) ; la gestion de l’eau ; la chasse excessive ; la pêche excessive ; les conséquences de l’introduction d’espèces allogènes parmi les espèces autochtones ; la croissance démographique et l’augmentation de l’impact humain par habitant19 ».
Comme le souligne P. Charbonnier, cet écosuicide a sans doute quelque chose de spécifique à l’économie capitaliste20. Même si « l’ensemble des systèmes socio-économiques laisse des traces durables sur la nature », cette forme de vie économique induit des destructions irréversibles, de sorte que la distinction entre butin (illégitime) et rendement (légitime), au prisme de ce regard écologique, paraît toute relative.
Cette évolution nous éloigne de la relation entre santé humaine et inscription dans l’environnement décrite dans le corpus hippocratique. Marquée par l’analyse de l’impact des actions humaines, elle diffère encore d’une conception qui avait cours il y a quelques décennies seulement, selon laquelle, pour penser la santé humaine et la maladie, il importe avant tout de tenir compte des capacités adaptatives dont l’homme fait preuve, jusqu’à un certain point, à différents types d’environnement.
Une telle conception a notamment été élaborée, en philosophie de la médecine, par G. Canguilhem, qui articule la santé humaine au rapport à un « milieu », notion qu’il emprunte aux travaux de P. Vidal de la Blache21. Il semble qu’une telle conception de la relation entre santé humaine et environnement ait été abandonnée : le constat des dégradations occasionnées par les sociétés humaines est si frappant qu’il a conduit à déplacer le regard : les hommes font peut-être encore preuve d’une telle capacité adaptative, mais on n’y prête plus attention. Ce qui compte désormais, en raison de la « crise environnementale », c’est l’action destructrice des hommes à l’égard de l’environnement et, par effet de boomerang, les effets de cette destruction sur la santé humaine.
Que signifie aujourd’hui « prendre soin »
de l’environnement ?
Il faut donc prendre acte de cette forme renouvelée d’inscription humaine dans l’environnement et poser, pour l’époque qui est la nôtre, la question du sens à conférer au « prendre soin » en relation avec la santé humaine. Cette enquête nous conduit tout d’abord à inscrire ce « prendre soin » dans un projet politique, nécessairement collectif22. Si le « prendre soin » a tout d’abord une finalité anthropocentrée (la santé), ce projet n’exclut pas d’autres formes de relations humaines à l’environnement et d’autres finalités, susceptibles d’établir des limites à celle-ci ou de moduler son importance dans la détermination d’une politique de l’environnement. Je n’explorerai pas ici ce point, mais il devra certainement faire l’objet d’une réflexion ultérieure. En outre, du point de vue même de la santé humaine, ce projet n’exclut pas non plus des actions destinées à préserver la santé humaine contre un environnement qui se révèle, sur tel ou tel point, nocif ou meurtrier. Une politique
de l’environnement destinée à préserver la santé humaine, de ce point de vue, ne peut être définie de façon univoque. Enfin, il faut souligner que cette politique s’appuie notamment sur les connaissances acquises par les sciences de la vie et de l’écologie. Le savoir médical ne constitue plus, comme dans le corpus hippocratique, l’espace de connaissance de l’environnement.
Au-delà de ces caractéristiques générales, on constate aujourd’hui que l’idée d’un « prendre soin » appliquée à l’environnement repose souvent, de façon implicite ou explicite, sur l’analogie avec la notion de capital. Le lieu commun indique qu’il convient d’en user avec modération, car il s’use et peut même s’épuiser. De même que le corps humain (voire la santé) est parfois envisagé comme un capital à préserver, à travers des expressions populaires comme celle du « capital soleil de la peau », l’environnement ne constitue pas une ressource infinie. L’idée est par exemple sous-jacente au propos de Van Rensselaer Potter, dominé par la question de l’alimentation d’une population humaine de plus en plus nombreuse.
« Prendre soin » de l’environnement, entendu comme capital, est une opération qui peut être décrite en recourant, de façon heuristique, à l’art médical. Tout d’abord, la discussion sur la finalité du soin médical est éclairante pour penser les objectifs d’un tel « prendre soin ». Pour des raisons diverses, cette question est très discutée à l’heure actuelle par la profession médicale et les sciences humaines et sociales qui en observent et analysent les pratiques. L’émergence (ou le retour) de pathologies qu’on ne sait pas (encore) soigner, a contraint la profession à renoncer, dans certains cas, à l’ambition de guérir, pour déployer une forme d’accompagnement vers la mort. Dans certaines sociétés, l’augmentation de l’espérance de vie et son décalage avec une vie dite de qualité a suscité le développement d’une médecine gériatrique et des soins palliatifs qui se sont également détournés d’une telle ambition. Par ailleurs, les maladies chroniques, entre autres, ont suscité une réflexion critique sur ce que guérir veut dire, aspect que Georges Canguilhem a bien mis en avant dans Le Normal et le pathologique : guérir ne veut pas dire nécessairement revenir à l’état antérieur à la maladie, mais trouver une autre allure de vie23. La question de la finalité des soins prodigués à l’environnement se pose peu ou prou dans les mêmes termes. La littérature écologique a été
marquée par la visée d’un retour à l’équilibre, à un état défini comme stable, optimal des écosystèmes, pensé indépendamment de la santé humaine. Dans cette optique, tout changement, effet dépendant ou non de l’anthropisation, est perçu comme une perturbation et un danger. Cependant, de plus en plus, une telle visée est remise en cause, au nom de l’hypothèse selon laquelle ces écosystèmes connaissent plusieurs états viables, qu’on les envisage ou non du point de vue de la santé humaine. La suggestion léopoldienne selon laquelle une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver « l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique » et même la proposition de J.B. Callicott de distinguer des perturbations « normales » de changements anormaux sont abandonnées au profit d’une vision complexe de la « restauration » entendue comme action destinée à créer un état éventuellement identique à l’état antérieur, mais pas nécessairement, et surtout un état viable24. L’ambition du retour à l’état antérieur, conçu comme état unique d’équilibre, n’est donc pas nécessairement celle du prendre soin de l’environnement, pas plus qu’elle ne l’est pour la médecine du corps humain.
Une fois ce point éclairci, on peut mettre en avant deux modèles d’action médicale pour définir le prendre soin mis en œuvre pour l’environnement. Le modèle de la médecine « réparatrice » s’applique en effet bien aux entreprises de restauration d’écosystèmes ou de milieux de vie qu’on l’on estime précieux pour la santé humaine : quand ces opérations sont possibles, on tente de réparer ce qui a été détruit, sous forme d’une intervention d’urgence, ou sur le long terme, en s’appuyant sur les capacités de renouvellement de l’environnement, comme cherche à le faire aujourd’hui la médecine régénératrice à partir des cellules souches, sans nécessairement viser, comme nous l’avons dit, l’état identique au précédent25.
Cependant, l’appel à prendre soin de l’environnement prend le plus souvent la forme de la médecine préventive. Il met l’accent sur le mode de vie approprié, le « régime » en termes hippocratiques, et partant sur une éducation des comportements humains : les individus et les sociétés
sont appelés à user, et non abuser, de l’environnement, afin de préserver un capital qui n’est pas infini, à utiliser les ressources qu’il offre de façon mesurée, quitte à renoncer à certaines habitudes de vie, notamment dans le domaine de l’alimentation, et à réorganiser leur économie, tant sur un plan individuel que collectif. Le droit, ce à quoi il autorise, contraint, condamne, est dans cette perspective préventive, un outil essentiel. La réflexion de J. Diammond illustre cette optique préventive26.
Faut-il concevoir l’environnement comme un capital pour bien le protéger ?
La description proposée ci-dessus renvoie à certaines des modalités, observables aujourd’hui, d’une politique écologique destinée à préserver l’environnement avant tout perçu comme un capital. D’un point de vue normatif, ces modalités recèlent plusieurs difficultés qu’il convient maintenant de mettre en évidence.
1. La première d’entre elles concerne l’assimilation, elle-même de l’environnement à un capital. Cette vision participe d’une conception de l’environnement comme bien monnayable. Parfois présentée comme un instrument de défense de l’environnement, elle est tout autant critiquée pour son hypocrisie et/ou son inefficacité à cet égard. Une telle conception est présente dans le discours sur l’environnement bien au-delà de la question posée par la relation entre santé humaine et préservation de l’environnement. On peut aborder la controverse dont elle fait l’objet en repartant des discussions contemporaines sur la notion de « service éco-systémiques ». Cette expression renvoie à une manière d’envisager la nature qui rend possible le calcul des gains obtenus par les sociétés humaines à travers ses usages et son exploitation, mais aussi le coût de ces derniers et des éventuels dommages infligés à l’environnement par les activités humaines. Présentée en 2005 dans le Rapport du Millenium Ecosystem Assessment, la notion regroupe des services d’ordre divers : de soutien ou de base ou services de support de vie, des services de
régulation et enfin des services culturels ou esthétiques, a récemment cristallisé cette controverse27.
Au-delà de la critique inspirée par la transformation fictive en marchandise de certaines entités, en l’occurrence ici, l’environnement28, certains rejettent la notion de service éco-systémique au nom du danger à envisager la nature comme un moyen et une ressource, a fortiori lorsque cela conduit à la considérer à l’aune du seul profit que les sociétés humaines peuvent en tirer. Ils dénoncent l’hypocrisie qu’il y a à prétendre protéger la nature en quantifiant les services d’ordre divers qu’elle rend aux hommes au lieu de défendre une vision « qualitative » de celle-ci29. Certains se montrent, sur un mode prudent, plus ouverts à cette approche, estimant qu’il ne faut pas la diaboliser a priori mais chercher à l’utiliser au mieux, quitte à la retourner contre la logique du profit, en faisant valoir par exemple une conception patrimoniale de l’environnement30.
Cette discussion sur les opérations conceptuelles et les actions qui font de l’environnement un bien marchand rappelle la controverse sur le corps humain dans le champ des pratiques médicales31. Elle présente peu ou prou les mêmes enjeux et relève de choix semblables. Une double question a en effet été posée à notre époque au sujet du corps humain dans le domaine des pratiques médicales et de la recherche biomédicale : prend-t-on mieux soin du corps humain en le considérant comme une chose ou une personne, au sens où le droit entend ces notions ? Si l’on prend ses distances à l’égard de l’idée du corps-personne, n’a-t-on pas intérêt à explorer la dimension patrimoniale du corps humain : autrement dit, à le considérer certes comme une chose, mais une chose qui doit être protégée au nom de l’intérêt commun, et ne peut faire l’objet de n’importe quel type d’usage ? Dans un cas, on entend protéger l’environnement en faisant de celui-ci une « chose », qui peut circuler, être échangée et monnayée. Dans un autre, on privilégie la perspective de sa patrimonialisation. Enfin, on peut refuser purement et simplement cette « chosification » de l’environnement, au nom des effets néfastes et difficilement évitables de celle-ci : une véritable protection de l’environnement passe dans cette optique par sa mise hors-circuit du domaine des choses. Il n’est pas aisé de trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces perspectives, si l’on examine aujourd’hui les conséquences effectives de telle ou telle organisation juridique.
En outre, le choix en faveur de l’une ou de l’autre de ces options se double d’une autre prise de position, également délicate. En effet, on peut choisir de répondre à cette difficulté à partir de deux points de vue différents et incompatibles : l’un emprunte la voie du questionnement
ontologique, faisant dériver la catégorie juridique d’une définition de l’environnement (ou du corps humain) ; l’autre cherche à déterminer la conception juridique la plus adéquate à la finalité de la protection, en remisant au second plan le questionnement ontologique.
2. Une deuxième difficulté est repérable dans la conception du « prendre soin » de l’environnement telle que nous l’avons évoquée jusqu’à maintenant. Elle n’est pas indépendante de la première. On sait que tous les individus et les sociétés ne sont pas concernés de la même manière par la question du « régime » adéquat au maintien de la « santé de l’environnement », autrement dit par celle des choix économiques et sociaux les plus appropriés à la préservation de l’environnement comme capital. Sans nécessairement faire des entreprises qui exploitent les ressources de l’environnement ses pires ennemis – confusion dont J. Diammond dénonce les effets contre-productifs dans la politique en faveur de l’environnement, il semble clair aujourd’hui qu’une politique écologique de type préventif vise plus certains agents que d’autres.
Certaines opérations tiennent compte de cette dimension et cherchent à la fois à protéger les ressources offertes par l’environnement et à en permettre un partage équitable. Or, ce souci, a priori louable, de justice environnementale s’avère parfois discutable pour certains acteurs, en raison même de la conception de l’environnement qui le sous-tend. C’est une des leçons – indirecte – de l’ouvrage Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing, lessons from the San-Hoodia Case, coordonné par R. Wynberg, D. Schroeder et R. Chennells. Cette étude est centrée sur les questions posées par l’exploitation que font des compagnies pharmaceutiques internationales d’une plante coupe-faim, le hoodia, utilisée depuis des siècles par un peuple africain, les San, pour éliminer la sensation de soif et de faim32. Il aborde le problème que pose l’exploitation de ce savoir et des ressources naturelles de hoodia à partir d’analyses juridiques, politiques, éthiques et anthropologiques, en se situant dans le sillage de la Convention sur la diversité biologique. En 1992, cette convention a affirmé que les ressources biologiques sont un héritage commun à toute l’humanité et statué sur la nécessité d’un partage des bénéfices issus de leur exploitation ou du savoir à leur égard. Elle a exigé le consentement
préalable des populations concernées par cette exploitation. Le livre présente une perspective de justice environnementale destinée d’une part à prévenir la surexploitation du hoodia et d’autre part son appropriation exclusive par les entreprises pharmaceutiques.
Mais pour parvenir à cette double fin, les promoteurs de cette justice environnementale procèdent à plusieurs opérations qui, du point de vue des premiers acteurs concernés, les San, est en porte-à-faux avec leur relation à la nature. Leur jugement sur cette intention « juste » fait apparaître cette forme de justice marquée d’un double particularisme discutable : ils en rejettent à la fois la dimension distributrice et la conception de l’environnement comme capital qui lui est associée. La première de ces opérations consiste en une qualification. Le savoir des San à propos des vertus de cette plante est décrit comme un « traditional knowledge », ce qui renvoie d’emblée et de façon indiscutée leur connaissance à un monde qui n’est pas celui de la recherche scientifique occidentale et de son lien avec les entreprises pharmaceutiques. Cet acte de dénomination prépare et légitime l’opération juridico-financière qui organise et encadre juridiquement l’exploitation « juste » de la plante et du savoir des San sous l’égide de la Convention. Le fait de qualifier ainsi les connaissances de San est certes une manière de le reconnaître comme savoir, mais aussi de lui donner un statut du point de vue de l’organisation scientifico-pharmaceutique occidentale et de le rendre exploitable par elle.
Or, le point de vue des San cité dans l’ouvrage en témoigne, il n’y a pas une conception du savoir qui s’impose à l’autre, fût-ce de manière « juste », mais deux. L’une l’emporte sur l’autre car elle est en position de force. En outre, la théorie de la justice et le cadre juridique qui l’accompagne se présentent comme une rupture avec l’exploitation sans considération de la population détentrice du savoir, mais ils véhiculent, de façon délibérée ou non, explicite ou non, une conception de l’environnement comme ressource et des relations entre les êtres humains et cet environnement qui n’est pas partagée par tous et ne va pas de soi :
To share our knowledge you need to understand us, you need to understand how we relate to … [each other]. You need to understand how we communicate, and the only way to do that is to develop a relationship, to grow our relationship and [then] the
knowledge will be shared on the basis of … [the relationship] … My biggest advice would be, please, … do … not … just focus on the economic gains, because for indigenous people the most important thing is the relationship33.
Comme le « benefit sharing », par définition, implique une participation des populations concernées à l’établissement du cadre juridique de l’exploitation des plantes et du savoir relatifs à elles, ce décalage entre l’intention qui préside à la justice environnementale ici présentée et sa réception par les premiers concernés souligne la limite d’une telle optique : le dispositif ne fait pas consensus ; « la marchandisation » fictive de l’environnement [commodification] n’est pas acceptée par tous.
Le fait même que certaines sociétés, groupes de population humaine, ou même individus, ne considèrent pas l’environnement comme une ressource ne plaide pas en faveur de son assimilation à un « capital », même si celle-ci est envisagée comme le meilleur moyen de le protéger au bénéfice de la santé humaine. En effet, de tels décalages sont susceptibles de rendre très difficiles, en pratique, les arbitrages et les négociations à mener sur les actions à mettre en œuvre pour préserver « la santé de l’environnement ». Cela vaut à l’échelle locale et globale34.
3. Une troisième difficulté doit être mentionnée, relative à la conception de la santé associée à l’idée d’un environnement comme capital. Dans cette appréhension des choses, la santé est surtout pensée en relation avec certaines formes d’alimentation et de médication. L’environnement peut-être hostile à la santé humaine sur certains plans, mais il est toujours aussi cette entité qui fournit aux êtres humains de quoi se nourrir et les substances à partir desquelles les médicaments sont conçus et fabriqués.
De façon implicite, la médecine relative à une telle santé traite avant tout le corps comme un mécanisme physiologique.
Or, tout un courant de réflexion philosophico-anthropologique développé aux lendemains de la première guerre mondiale, entre les années 1920 et 1960, notamment en Allemagne et en Hollande35, avec parmi d’autres, F. Buytendijk, V. Von Weizsäcker, V. Von Gebsattel, H. Plüge et P. Christian, ont promu un regard spécifique sur l’homme, indiquant qu’on ne peut envisager séparément l’existence corporelle et l’activité mentale. En faisant un large usage de la pensée philosophique, notamment de ses courants phénoménologique, existentialiste et anthropologique, ils ont insisté sur le fait que la médecine ne pouvait faire abstraction de l’existence humaine en soignant les corps et ont invité à opérer un déplacement dans la conception du corps : pour eux, il ne faut jamais seulement le voir comme une chose ni comme un mécanisme physiologique, mais d’emblée comme un corps vécu36. Des travaux plus récents, d’inspiration canguilhémienne, sur la dimension existentielle et subjective de la maladie, suggérant qu’une telle conception du corps humain et de sa santé est insuffisante, ont également ouvert des perspectives proches37.
Or, l’idée de la santé et de la maladie comme formes d’existences dotées d’une signification existentielle ouvre la porte à la question du rôle que peut jouer, en faveur de la santé humaine, une relation à un environnement indépendante de son exploitation alimentaire ou médicamenteuse. C’est un des points majeurs suggérés par la définition de la santé adoptée en 1948 par l’Organisation mondiale de la santé, comme « état de complet bien-être physique, mental et social », irréductible à une « absence de maladie ou d’infirmité ».
Conclusion
La notion de « prendre soin » renvoie à un éventail de dispositions et d’activités extrêmement riches, irréductibles à ceux et celles qui sont à l’œuvre dans la pratique médicale. Il n’en demeure pas moins éclairant d’élaborer l’idée d’un « prendre soin » de l’environnement en référence à la question de la santé humaine. Tout d’abord parce que le lien de dépendance de cette dernière à un « environnement de qualité » est amplement démontré. Ce lien est consubstantiel à l’histoire de la médecine, de son savoir et de ses pratiques, mais au fil du temps, sa signification s’est transformée, en partie à cause de l’impact grandissant des actions humaines sur l’environnement. Ensuite, le lien entre environnement et santé humaine est aussi important d’un point de vue heuristique : le recours aux modèles du soin véhiculés par les pratiques médicales et à la discussion sur ses finalités permet d’éclairer le sens conféré à la disposition « caring » à l’égard de l’environnement. Enfin, de façon intéressante, on découvre que la réflexion sur le soin médical déployé au bénéfice de la santé humaine et celle sur le soin de l’environnement sont traversées par un même débat. Celui-ci porte sur les effets théoriques et pratiques d’une assimilation de l’environnement à un capital. Il pose la question de sa légitimité ontologique et, dans le cas où celle-ci est abandonnée au profit d’une perspective de type « fictio legis », de son efficacité en vue de prendre soin de l’environnement.
Relation de causalité, dimension heuristique, homologie des débats : ces trois raisons invitent à envisager la question du care à l’égard de
l’environnement en lien avec la santé humaine. Cela n’exclut pas des conflits entre soin de l’environnement et protection de la santé humaine, pas plus que des relations à l’environnement indépendantes de la référence à la santé humaine. Aussi est-il nécessaire de réinscrire la perspective développée dans cette contribution dans une analyse plus large, qui tienne compte de l’importance relative de la santé par rapport à d’autres objectifs de l’action humaine. Une approche intégrée en sciences sociales et humaines est de mise pour proposer une telle analyse élargie, sans qu’on puisse nécessairement éviter des tensions en leur sein, notamment au sujet de la marchandisation fictive de l’environnement et sur le statut normatif des disciplines qui la promeuvent.
Marie Gaille
SPHERE, UMR 7129, CNRS
Université Paris Diderot
1 Je tiens à remercier pour leurs commentaires et leurs relectures les membres du RTP Care et environnement réunis à l’occasion d’un atelier de travail (23-25 janvier 2013, Abbaye de Royaumont) ainsi que P. Charbonnier et J-Ph. Pierron.
2 Exprimée par exemple dans le volume Éthique de l’environnement, nature, valeur, respect, textes réunis par H. S. Afeissa, Paris, Vrin, 2007, préface, p. 9.
3 Cf. La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1935). Après le second conflit mondial, M. Heidegger reconduit l’inquiétude husserlienne dans La Question de la technique (1953).
4 Chez Emerson, Thoreau ou encore Leopold dont il sera question plus tard. Cf. le recueil de textes constitué par H. S. Afeissa, cité plus haut. Voir aussi M. Bessone, À l’origine de la République américaine : un double projet, Thomas Jefferson vs. Alexander Hamilton, Paris, Michel Houdiard éd., 2007. Voir aussi V. Maris, « De la nature aux services écosystémiques. Une commodification de la biodiversité », EcoRev, Revue critique d’écologie politique, 38, Automne 2011, p. 19.
5 Cf. C. Larrère, « Care et environnement : la montagne ou le jardin », in : (dir.) S. Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2012, p. 233-261.
6 Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon article « Vulnérabilité », in : (dir.) M. Marzano, Dictionnaire de la violence, Paris, PUF, 2011, p. 1440-1449, ainsi qu’à la réflexion de C. Larrère : « La terre est-elle fragile ? », M. Gaille et S. Laugier (dir.), Raison publique, « Les grammaires de la vulnérabilité », 14, avril 2011, p. 59-77. Dans le même dossier, E. Ferrares propose une analyse critique des usages de la notion de « vulnérabilité », p. 17-37. Cf. également C. Pelluchon, Éléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature, Paris, Le Cerf, 2011.
7 Dont a témoigné le récent travail de S. Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, op. cit.
8 Van Rensselaer Potter, Global Bioethics, Building on the Leopold Legacy, East lansing, Michigan, Michigan State University Press, 1988, chapitre 4, ma trad. : « L’idée de ‘bioéthique globale’ : un combat à reprendre ? Le travail philosophique et l’histoire tronquée de l’éthique médicale », Cahiers philosophiques, 125, 2ème trimestre, 2011, p. 131-151 et p. 137 pour la citation. L’expression est popularisée par son premier ouvrage, Bioethics : Bridge to the Future, Englewood Cliffs, New Jersey, Prentice Hall, 1971. A. M. Henk et J. ten Have indiquent qu’il susbsiste une polémique à l’égard de l’origine du terme, même si la première publication revient sans conteste à Van Rensselaer Potter, cf. leur article : « Potter’s Notion of Bioethics », Kennedy Institute of Ethics Journal, 22, 1, mars 2012, p. 59-82 et p. 59 pour la citation.
9 A. Leopold, Almanach d’un comté des sables, tr. de A. Gibson, Paris, Flammarion, 2000 [1949].
10 Van Renselaer Potter, Global Bioethics, Building on the Leopold Legacy, op. cit., chapitre 4, ma trad. : « L’idée de “bioéthique globale” : un combat à reprendre ? Le travail philosophique et l’histoire tronquée de l’éthique médicale », Cahiers philosophiques, no 125, art. cit., p. 139.
11 A. M. Henk et J. ten Have, « Potter’s Notion of Bioethics », art. cit.
12 P. J. Whitehouse, « Van Rensselaer Potter : An Intellectual Memoir », Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics, Vol. 11, number 4, Fall 2002, p. 331-343 et p. 333 pour la citation.
13 M. Midgley, « Is the Biosphere a Luxury ? », Hastings Center Report, May-June 1992, p. 7-12.
14 Hippocrate, Nature de l’homme, in : L’Art de la médecine, tr. et prés. de J. Jouanna et C. Magdelain, Paris, GF Flammarion, 1999, p. 175.
15 Hippocrate, Airs, eaux, lieux, in : L’Art de la médecine, op. cit., p. 115-116.
16 Pour une présentation générale de cette socio-anthropologie de la santé, cf. (coord.) G. Boetsch « Santé et société », in : Les Ateliers de prospectives de l’Institut Écologie & Environnement du CNRS, Compte rendu des journées 24 & 25 octobre 2012, Hors-série, 2013, p. 121-132. Cf. aussi les travaux de Fr. Keck (Un monde grippé, Paris, Flammarion, 2010) et de T. Giles-Vernick (Cutting the Vines of the Past : Environmental Histories of the Central African Rain Forest, University of Virginia Press, 2002) ; et en relation avec la question d’une justice globale, cf. (dir.) R. Wynberg, D. Schroeder, R. Chennells Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing, lessons from the San-Hoodia Case, Dordrecht, Heidleberg, New-York, Londres, Springer, 2009.
17 Hippocrate, Nature de l’homme, in L’Art de la médecine, op. cit., p. 175.
18 P. Charbonnier, « Le rendement et le butin : Regard écologique sur l’histoire du capitalisme », texte à paraître dans Actuel Marx, 53, 2013.
19 J. Diamond, Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, tr. de A. Botz et J.-L. Fidel, Paris, Gallimard, 2006 (2005), p. 18.
20 P. Charbonnier, « Le rendement et le butin : Regard écologique sur l’histoire du capitalisme », art. cit. Cf. W. Steffen, J. Grinevald, P. Cruzen et J. McNeill, « The Anthropocene : conceptual and historical perspectives », Philosophical transactions onf the Royal Society, février 2011, 369, p. 842-867.
21 G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966.
22 L’extension de ce « collectif » constitue lui-même un élément du problème qu’il y a à penser un projet politique de care à l’égard de l’environnement. J’ai évoqué cet aspect dans « De la “crise écologique” au stade du miroir moral », in S. Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement …, p. 205-232. Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce sujet, mais je poursuivrai la réflexion par la suite et dans un autre cadre.
23 G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966.
24 C. et R. Larrère, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement, Paris, Alto, Aubier, 1997.
25 Cf. l’analyse que propose C. Malabou de cette médecine : « Le phénix, l’araignée et la salamandre », Changer de différence, Le féminin et la question philosophique, Paris, Galilée, 2009, p. 81-104.
26 J. Diamond, Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, op. cit., p. 28.
27 Selon les termes de présentation du site officiel, « l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (EM) est née en 2000 à la demande du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. Instaurée en 2001, elle a pour objectif d’évaluer les conséquences des changements écosystémiques sur le bien-être humain ; elle doit également établir la base scientifique pour mettre en œuvre les actions nécessaires à l’amélioration de la conservation et de l’utilisation durable de ces systèmes, ainsi que de leur contribution au bien-être humain. Plus de 1 360 experts du monde entier ont participé à ce projet. Leurs conclusions, réunies en cinq volumes techniques et six rapports de synthèse, présentent une évaluation scientifique ultra-moderne de la condition et des tendances des écosystèmes dans le monde et de leurs fonctions (comme l’eau potable, la nourriture, les produits forestiers, la protection contre les crues et les ressources naturelles), ainsi que les possibilités de restaurer, de conserver ou d’améliorer l’utilisation durable des écosystèmes » (www.millenniumassessment.org/fr).
28 Cf. K. Polanyi, La Grande transformation – aux origines politiques et économiques de notre temps, tr. de C. Malamoud, Préface de L. Dumont, Paris, Gallimard, 1983 (1944), chapitre 6 « Le marché auto-régulateur’ », p. 102-112.
29 Cf. Par exemple, V. Maris, « De la nature aux services écosystémiques. Une commodification de la biodiversité », art. cit., p. 19-23 ; ou encore, dans le même volume, EcoRev, Revue critique d’écologie politique, 38, Automne 2011, la contribution de Ch. Bonneuil et de G. Azam, « La biodiversité financiarisée : de la marchandisation des ‘“ressources” à celle des “services” », p. 68-74 ; J.-M. Harribey, « La nature hors de prix », EcoRev, Revue critique d’écologie politique, revue cit., p. 36-43. Voir aussi, dans ce même dossier, la critique d’une tonalité différente, proposée par R. Billé et al., qui doutent de l’utilité des évaluations économiques de l’environnement en raison des processus décisionnels dans le champ de l’action politique, « À quoi servent les évaluations économiques de la biodiversité ? », p. 48-53.
30 Cf. D. Couvet, M. Gaille, S. Lavorel, « Services éco-systémiques et représentations de la nature et de l’environnement », in : Les Ateliers de prospectives de l’Institut Écologie & Environnement du CNRS, Compte rendu des journées 24 & 25 octobre 2012, Hors-série, 2013, p. 133-138.
31 Cf. C. Crignon et M. Gaille, À qui appartient le corps humain ? Politique, médecine et droit, Paris, Les Belles Lettres, 2004. Le juriste J.P. Baud a exposé de façon très claire, en prenant position en faveur du corps comme chose, les tenants de cette controverse au sujet du corps humain : L’Affaire de la main volée. Une histoire juridique du corps (Paris, Le Seuil, 1993) ; la philosophie D. Dickinson a présenté, en défendant le point de vue adverse, quelques situations contemporaines de « commodification » : Body Shopping, Oneworld Publications, Londres, 2008. Voir aussi M. Callon, « The Embeddeness of Economics Markets in Economics » in M. Callon (ed.), The Laws of the Markets, Oxford, Blackwell, 1998 ; S. Henderson and A. Petersen (eds.), Consuming Health. The Commodification of Health Care, Londres, Routledge, 2002 ; C. Waldby et R. Mitchell, Blood, Organs and Cell Lines in Late Capitalism, Durham, Duke University Press, 2006.
32 R. Wynberg, D. Schroeder, R. Chennells (dir.), Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing, lessons from the San-Hoodia Case, op. cit.
33 J. Beetson, Aboriginal teacher and UN ‘Unsung hero of the 20th century, Presentation to a San-Khoba project workshop, Kalk Bay, South Africa, June 2006], cité dans Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing, lessons from the San-Hoodia Case, op. cit., p. 334.
34 Une telle lecture de la justice environnementale ici exposée et de ses limites n’aurait pu être faite sans l’inspiration critique de la théorie du care à l’égard des théories contemporaines de la justice, et de son invitation à revenir à la vie ordinaire des personnes concernées par telle ou telle opération d’indemnisation ou de réparation, et accorder une portée normative à leurs propos. Voir L. Centemeri, Ritorno a Seveso. Il danno ambientale, il suo riconoscimento, la sua riparazione, Bruno Mondadori Editore, Milano, 2006 et C. Larrère : « Care et environnement : la montagne ou le jardin », in : (dir.) S. Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2012, p. 233-261 ; du même auteur, « Minorités et justice environnementale », à paraître.
35 Pour une présentation générale du premier courant, cf. M. Gaille, Textes clés de philosophie de la médecine Vol. I : Frontière, savoir, clinique, Paris, Vrin, 2011.
36 S. F. Spicker, ‘The live-body as catalytic agent : reaction at the interface of medicine and philosophy’, in : H. T. Engelhardt & S. F. Spicker (éds.), Evaluation and explanation in the Biomedical sciences, Dordrecht, D. Reidel Publishing Company, 1975, p. 181-204 ; ‘Cognitive and conative issues in contemporary philosophy of medicine’, Journal of Medicine and philosophy, 1986, 11, p. 107-117 ; ‘Invulnerability and Medicine’s ‘promise’ of immortality : changing images of the human body during the growth of medical knowledge’, in H. A. M. J. ten Have, G. K. Kisma and S. F. Spicker (éds.), The Growth of medical knowledge, Dordrecht, Boston et Londres, Kluwer Academic Publishers, 1990, p. 163-175 ; ‘Terra Firma and Infirma Species : From Medical Philosophical Anthropology to Philosophy of Medecine’, Journal of Medicine and Philosophy, 1(2), 1976, p. 128. R. Zaner, The problem of embodiment : some contributions to a phenomenology of the body, La Haye, M. Nijhoff, 1971 [1964] ; The context of self : a phenomenological inquiry using medicine as a clue, Athens, Ohio university press, 1981. Cf. aussi Fr. Svenaeus, The Hermeneutics of medicine and the phenomenology of health. Steps toward a philosophy of medical practice, Dordrecht, Boston et Londres, Kluwer Academic Publishers, 2000.
37 Cf. C. Lefève, O. Doron, A.-C. Masquelet (dir.), Soin et subjectivité, Cahiers du Centre Georges Canguilhem no 4, Paris, PUF, 2011 ; C. Lefève en collaboration avec L. Benaroyo, J.-C. Mino et F. Worms, La philosophie du soin. Ethique, médecine et société, Paris, PUF, 2010 ; C. Lefève, « Y a-t-il de bons médecins selon Canguilhem ? La relation médecin-patient dans la philosophie de G. Canguilhem », in : (dir.) Cl. Crignon et M. Gaille, Qu’est-ce qu’un bon patient ? Qu’est-ce qu’un bon médecin ?, Paris, Seli Arslan, 2010, p. 16-33.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-8124-2120-4
- EAN : 9782812421204
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-2120-4.p.0081
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 06/02/2014
- Périodicité : Semestrielle
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