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Classiques Garnier

Que veut dire « prendre soin de l’environnement ? » Une analyse philosophique du lien entre écologie et médecine

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Éthique, politique, religions
    2013 – 2, n° 3
    . Prendre soin de la nature et des hommes
  • Author: Gaille (Marie)
  • Abstract: What does “taking care of the environment” mean ? A philosophical analysis of the relation between ecology and medicine. The concern for the relationship of individuals, human groups, and even humans in general, to their “environment” forms is the starting point of this paper. It aims better to understand what it means to care for and about the environment. A useful first step in this direction is to consider the idea of “global bioethics” formulated by Van Rensselaer Potter. However, this perspective must itself be considered in the context of a long-term history, whose source lies in the Hippocratic works. This frame context facilitates understanding of the diverse relationships that have been established between human health and the “environment” throughout the history of human societies. Above all, it enables us better to understand a relationship that is currently emerging : human health is increasingly dependent on the ways humans care for and about the environment. The paper concludes by examining the difficulties associated with one of the currently favoured approaches to taking care of the environment : its representation as a capital.
  • Pages: 81 to 101
  • Journal: Ethics, Politics, Religions
  • CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN: 9782812421204
  • ISBN: 978-2-8124-2120-4
  • ISSN: 2271-7234
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-2120-4.p.0081
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 02-06-2014
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
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Que veut dire « prendre soin
de lenvironnement ? »

Une analyse philosophique du lien
entre écologie et médecine1

La préoccupation – à la fois théorique et pratique – pour la relation de lindividu et des populations humaines, voire de « lhumanité », à « lenvironnement » apparaît aujourdhui de façon forte dans les débats publics. Elle fait lobjet de nombreux programmes denseignement et de recherche. Elle se double dun constat consensuel : on ne peut plus faire ni penser « comme avant2 ». « Faire comme avant » est lui-même associé à un diagnostic, celui dune attitude humaine destructrice et nocive tant à légard de « la nature » que de ses « ressources » et du vivant en général depuis plusieurs décennies. Un tel diagnostic nest pas si récent que cela. En philosophie, il a été formulé dès lentre-deux guerre, en dehors de toute pensée « environnementale » ou « écologique ». Il apparaît par exemple dans les analyses dE. Husserl3. Dès la fin du xixe siècle, la pensée américaine formule une interrogation spécifique sur lhomme et son rapport à lenvironnement et à la nature4.

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Le comportement de conquête et de contrôle des ressources naturelles est critiqué. Le soupçon se porte sur lidée dune conception « occidentale » de la nature, qui ferait de cette dernière un objet à maîtriser – et à exploiter – par les hommes, au sens générique mais également sexué comme lindique la critique éco-féministe des comportements de domination5. La conception dune nature « vulnérable » ou « fragile » est mise en avant en écologie comme en philosophie6. Le désir diffus de penser et de faire autrement a également donné toute sa place à une réflexion sur larticulation entre léthique du care et léthique de lenvironnement7. La dénonciation des comportements égoïstes, des gestes de pillage et de gaspillage, de destruction et de dégradation, a été associée, entre autres choses, à la promotion dune disposition « caring », tant pour réparer ce qui a été détruit que pour développer une autre forme de relation à « la nature » et aux entités qui la peuplent.

Cependant, lidée dun prendre soin de lenvironnement na rien dévident. Lune des pistes fécondes que lon peut emprunter afin den proposer une définition est celle qui a été élaborée au sein de la médecine, en lien avec la question de la santé humaine. Elle retiendra ici notre attention. Une telle piste a été explicitement ouverte par lun des premiers penseurs de ce quon appelle aujourdhui, « bioéthique » : Van Rensselaer Potter, qui associe de façon forte « santé humaine » et « santé de lenvironnement ». En fonction dune finalité anthropocentrée (qui nest pas nécessairement synonyme dégoïste), le détour par le discours médical permet denvisager au moins en partie ce que « prendre soin de lenvironnement » veut dire. Sans prétendre quil faut réduire ce « prendre soin » à un soin pensé sur le modèle médical, sans nier la dimension problématique de lexpression de « santé de lenvironnement »,

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il sagit ici de prêter attention à ce quun tel détour peut apporter à notre compréhension.

Comme on le verra, au-delà de la référence nourrie à la réflexion dAldo Leopold sur la communauté biotique, Van Rensselaer Potter nélabore guère lidée de « santé de lenvironnement » et ne précise pas la manière dont on peut en « prendre soin ». Sa réflexion a malgré tout le mérite de nous faire revenir au lien établi de longue date dans la pensée médicale entre santé humaine et inscription de lhomme dans son environnement. Le corpus hippocratique est le premier ensemble textuel à attester, dans lhistoire de la pensée occidentale, de cette relation. Il le présente comme un élément clé de la pratique médicale, de lart du diagnostic et de lart de soigner qui consiste autant en une diététique quen une intervention médicamenteuse.

Le retour à ce corpus permet de prendre acte de lécart entre la conception hippocratique du lien entre santé humaine et environnement et lidée quon peut sen faire aujourdhui. En effet, la notion même denvironnement nest pas comprise de la même manière de part et dautre, parce que lhomme et les sociétés humaines apparaissent désormais être des agents transformateurs de lenvironnement. En prenant acte de ce changement factuel et conceptuel, on est donc conduit à reposer la question initiale afin de lui donner une réponse actuelle : si le lien entre santé humaine et environnement est toujours essentiel, quelle signification donnons-nous au soin prodigué à ce dernier ?

« Santé environnementale » et santé humaine :
la « bioéthique » selon Van Rensselaer Potter

Le terme de « bioéthique » est généralement attribué au biochimiste et cancérologue Van Rensselaer Potter, qui la forgé en 1970 pour décrire ce quil appelle « la fusion des valeurs éthiques et des faits biologiques8 ». Au début des années 1970, il a voulu ainsi exprimer un

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souci au sujet de la survie de la population humaine, compte tenu de son inscription dans un « environnement ». Il relativisait limportance de léthique médicale au chevet du patient, pour privilégier la réflexion relative à la santé de lensemble de lhumanité et à la qualité de son environnement. La référence à Aldo Leopold dans ses textes sexplique en ce sens. Van Rensselaer Potter reprend à son compte lidée dune communauté biotique échue en partage à tous les vivants et dont les individus humains sont des membres, au même titre que les autres vivants9. Comme il le regrette dans son ouvrage de 1988, cest léthique médicale au chevet du patient qui la emporté comme thématique directrice de la bioéthique.

Il propose une perspective stimulante et forte : celle dune approche éthique globale, associée à lidée dune participation de lhomme à la communauté du vivant au sens large et au souci de choix faits pour le long terme. La manière dont Van Rensselaer Potter oriente la réflexion vers la prise en compte de « lenvironnement » des populations humaines est liée à la thèse leopoldienne dune communauté biotique du vivant. Il suggère que les hommes nont pas seulement intérêt à se soucier de cet environnement. Quoiquil en soit, par intérêt et/ou conscience de la co-participation de toutes les espèces à laventure de la vie sur terre, les populations humaines sont invitées à réguler leur exploitation et leur consommation des ressources naturelles, notamment alimentaires, par le biais dun contrôle de la procréation :

Le contrôle de la fertilité humaine et une population mondiale stabilisée à un niveau inférieur à ce qui semble sesquisser de façon inévitable pour le futur sont considérés comme des exigences absolues pour remplir des objectifs qui vont de pair : la santé humaine et la santé environnementale10.

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On ne rencontre pas de questionnement, dans cette réflexion, sur léquilibre à rechercher entre bien-être collectif et bien-être individuel en matière procréative. Ceci explique peut-être pourquoi elle na connu quune fortune limitée. En revanche, le souci pour le maintien dun environnement de qualité ou « la santé de lenvironnement », selon lexpression de Van Rensselaer Potter, a connu une diffusion notable depuis les années 1970. Aux côtés des analyses consacrées à lallocation des ressources en santé ou aux décisions médicales prises au chevet des patients, certains articles sattachent à diffuser sa pensée. Sans dissimuler le point problématique mentionné plus haut, ils insistent sur sa dimension de précurseur et sur lintérêt quil y a à penser aujourdhui un équilibre global et durable entre la population humaine et lenvironnement11. Ses commentateurs soulignent surtout la dimension de long-terme et de globalité qui caractérisent sa réflexion, dénonçant une médecine « short-term, profit-oriented, high-tech, genetically based » et léthique médicale qui lui est associée12.

Dautres bioéthiciens développent une perspective critique proche de celle de Potter sur loubli irresponsable et inconscient des hommes à légard de leur inscription dans lenvironnement. La philosophe Mary Midgley développe une critique de type leopoldien au sujet de lattitude conquérante, destructrice et égoïste de lhomme capitaliste occidental. Elle appelle à un changement de notre représentation de la nature, estimant que nous ne pourrons modifier nos comportements destructeurs et exploiteurs avant de disposer dune représentation de celle-ci propice à un rapport plus respectueux de ses ressources13.

Santé humaine, environnement et médecine depuis le corpus hippocratique : évolution de la problématique

La réflexion de Van Rensselaer Potter retient lattention car elle est lun des maillons dune histoire longue, encore à faire, de la

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relation établie, au sein du savoir médical, entre létat de santé des individus et des populations et leur environnement. Cette histoire a son moment fondateur dans le corpus hippocratique qui, au-delà de sa diversité théorique intrinsèque, propose du savoir médical une conception qui incorpore à lart du médecin une connaissance de lenvironnement parce que les interactions avec celui-ci déterminent en partie la santé.

Le corpus hippocratique affirme en effet que les humeurs composant le corps subissent linfluence des facteurs externes et quun bon médecin a dabord pour tâche de se renseigner sur lenvironnement dans lequel vit son malade. Nature de lhomme souligne ainsi la nécessité de tenir compte des saisons, de la température, de la qualité de lair, de leau et du sol, de lorientation par rapport au soleil et aux vents pour poser un diagnostic et déterminer une thérapie. Ils sont tout aussi significatifs que lâge du malade, sa constitution et son mode de vie, son « régime ». Avec des variations selon la pathologie considérée, ils sont même dans certains cas plus déterminants14. Airs, eaux, lieux est lun des traités du corpus hippocratique où, avec un luxe de détails particulièrement riches du point de vue ethnographique, cette conception de lart médical est affirmée et présentée de façon systématique :

Qui veut chercher à appréhender correctement la médecine doit faire ce qui suit : tout dabord considérer, à propos des saisons de lannée, les effets que chacune delles est capable de produire ; car elles ne se ressemblent nullement entre elles, mais diffèrent beaucoup, aussi bien de lune à lautre que dans leurs changements ; ensuite les vents chauds et les vents froids, surtout ceux qui sont communs à tous les hommes, ensuite aussi ceux qui sont particuliers à chaque contrée. Il doit en outre considérer les propriétés des eaux ; car de même que les eaux diffèrent en saveur et en poids, de même leur propriété diffère beaucoup de lune à lautre. Ainsi, lorsquun médecin arrive dans une cité dont il na pas lexpérience, il doit en examiner avec soin la position, la façon dont elle est située par rapport aux vents et par rapport aux levers du soleil ; car la cité na pas les mêmes propriétés selon quelle est située face au borée ou face au notos, ni selon quelle est située face au soleil levant ou face au soleil couchant15.

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Si lon est loin, aujourdhui, de la conception humorale du corps humain, force est de constater que cette dimension de lart médical hippocratique, qui lie santé et environnement, a non seulement perduré, mais constitue aujourdhui lidée directrice de nombreuses recherches en écologie de la santé. La mise en évidence des chaînes trophiques a permis de comprendre et de visualiser les conséquences dun impact à un point de la chaîne et a contribué à renforcer la conscience des interactions du vivant. Par ailleurs, le rapport des hommes au vivant dans le paradigme évolutionnaire savère ambigu, mais significatif pour penser cette articulation entre santé humaine et inscription dans un environnement. Au cours de lévolution, lhomme a toujours vécu au contact de nombreux parasites ; la majorité des molécules médicamenteuses est issue de lexploration de la diversité du vivant et parfois elle tient au savoir que nous avons accumulé sur lutilisation des pathogènes eux-mêmes comme moyens de lutte pour préserver notre santé. La diversité biologique de notre planète, dont les agents pathogènes font partie, apparaît donc comme une richesse à préserver mais dans le même temps, elle recèle des facteurs de pathologies, en raison de lexistence despèces (animales ou végétales) vectrices de maladies, sans négliger les attaques de populations humaines par de grands prédateurs. Le lien entre santé et environnement est donc, encore aujourdhui, établi, et constitue, avec léco-épidémiologie, lun des objets majeurs de la recherche biomédicale. Dans le champ de la santé publique, il est conçu comme un élément constitutif des politiques destinées, notamment en milieu urbain, à assainir, purifier, aménager et organiser la circulation des hommes.

Ce lien ne se laisse pas seulement analyser à travers des paramètres épidémiologiques. Les acquis de la socio-anthropologie de la santé mettent en évidence que ceux-ci doivent être le plus souvent croisés avec lanalyse des modes de vie et des rapports au corps, des manières variées dont les hommes sinscrivent dans cet environnement, leurs choix politiques et économiques, leurs déplacements, leurs comportements alimentaires et procréatifs, leur rapport aux différents « âges » de la vie, leurs représentations de la nature, de la vie animale, et du médicament, etc16. Cest un point

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que le corpus hippocratique na guère mis en valeur, alors quaujourdhui, la recherche en sciences humaines et sociales est riche danalyses sur la manière dont les sociétés humaines contribuent à créer des conditions environnementales défavorables à la santé individuelle et collective, par exemple à travers des économies polluantes, et sur leurs efforts, à travers des mesures de santé publique par exemple, pour la préserver.

Cependant, la mise en perspective du propos énoncé par Van Rensselaer Potter dans cette histoire longue de la relation entre savoir médical et connaissance de lenvironnement permet de montrer toute son originalité. En effet, lobjet de Van Rensselaer Potter nest pas détablir la thèse selon laquelle la santé humaine est en partie déterminée par des éléments « environnementaux ». Elle consiste plutôt à lancer un signal dalarme, étayé par la conscience dun gaspillage incontrôlé des ressources alimentaires. De ce fait, elle suggère quafin de garantir les conditions de santé des populations humaines, il est nécessaire, ou il est devenu indispensable au début des années 1970, de sinquiéter également de létat de lenvironnement. Elle oriente donc, autrement dit, vers lidée dun « prendre soin de lenvironnement ».

De façon distincte, la relation établie dans lart médical dinspiration hippocratique entre santé et environnement nimplique pas – en tant que telle – quon se soucie de ce dernier. Dans le corpus hippocratique, en effet, les vents, lair, leau, lorientation par rapport au soleil, le sol, la succession des saisons sont considérés comme des éléments à connaître. Mais il nest pas question dintervenir sur eux dune quelconque manière. Ils exercent une influence sur la santé humaine, bonne ou mauvaise : à lhomme dajuster son mode de vie pour ne pas en subir les effets néfastes, quitte à « déserter » la région propice à la maladie17.

La relation entre santé et environnement qui se situe à larrière-plan des promotions contemporaines de la disposition « caring » paraît différente. Lenvironnement est perçu comme un élément (relativement) modifiable par les actions humaines :

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Alors que la notion danthropisation navait initialement de signification que par rapport à un état de référence des écosystèmes, défini par son indifférence aux activités humaines, il apparaît aujourdhui que ces processus ont pris une ampleur telle que cet état de référence lui-même, à léchelle globale, apparaît comme une abstraction [] lhomme est désormais un agent géologique18.

Lenvironnement est considéré à travers les gaspillages, les dégradations, lexploitation dont il fait lobjet. Certaines de ses composantes sont présentées comme définitivement disparues, tandis que dautres se reconstitueront peut-être, au mieux à léchelle de plusieurs générations de vies humaines. J. Diammond parle en ce sens d« écosuicide » pour évoquer une série de processus causant des « dommages » à lenvironnement et dont limportance relative varie selon les cas : « la déforestation et la restructuration de lhabitat ; les problèmes liés au sol (érosion, salinisation, perte de fertilité) ; la gestion de leau ; la chasse excessive ; la pêche excessive ; les conséquences de lintroduction despèces allogènes parmi les espèces autochtones ; la croissance démographique et laugmentation de limpact humain par habitant19 ».

Comme le souligne P. Charbonnier, cet écosuicide a sans doute quelque chose de spécifique à léconomie capitaliste20. Même si « lensemble des systèmes socio-économiques laisse des traces durables sur la nature », cette forme de vie économique induit des destructions irréversibles, de sorte que la distinction entre butin (illégitime) et rendement (légitime), au prisme de ce regard écologique, paraît toute relative.

Cette évolution nous éloigne de la relation entre santé humaine et inscription dans lenvironnement décrite dans le corpus hippocratique. Marquée par lanalyse de limpact des actions humaines, elle diffère encore dune conception qui avait cours il y a quelques décennies seulement, selon laquelle, pour penser la santé humaine et la maladie, il importe avant tout de tenir compte des capacités adaptatives dont lhomme fait preuve, jusquà un certain point, à différents types denvironnement.

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Une telle conception a notamment été élaborée, en philosophie de la médecine, par G. Canguilhem, qui articule la santé humaine au rapport à un « milieu », notion quil emprunte aux travaux de P. Vidal de la Blache21. Il semble quune telle conception de la relation entre santé humaine et environnement ait été abandonnée : le constat des dégradations occasionnées par les sociétés humaines est si frappant quil a conduit à déplacer le regard : les hommes font peut-être encore preuve dune telle capacité adaptative, mais on ny prête plus attention. Ce qui compte désormais, en raison de la « crise environnementale », cest laction destructrice des hommes à légard de lenvironnement et, par effet de boomerang, les effets de cette destruction sur la santé humaine.

Que signifie aujourdhui « prendre soin »
de lenvironnement ?

Il faut donc prendre acte de cette forme renouvelée dinscription humaine dans lenvironnement et poser, pour lépoque qui est la nôtre, la question du sens à conférer au « prendre soin » en relation avec la santé humaine. Cette enquête nous conduit tout dabord à inscrire ce « prendre soin » dans un projet politique, nécessairement collectif22. Si le « prendre soin » a tout dabord une finalité anthropocentrée (la santé), ce projet nexclut pas dautres formes de relations humaines à lenvironnement et dautres finalités, susceptibles détablir des limites à celle-ci ou de moduler son importance dans la détermination dune politique de lenvironnement. Je nexplorerai pas ici ce point, mais il devra certainement faire lobjet dune réflexion ultérieure. En outre, du point de vue même de la santé humaine, ce projet nexclut pas non plus des actions destinées à préserver la santé humaine contre un environnement qui se révèle, sur tel ou tel point, nocif ou meurtrier. Une politique

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de lenvironnement destinée à préserver la santé humaine, de ce point de vue, ne peut être définie de façon univoque. Enfin, il faut souligner que cette politique sappuie notamment sur les connaissances acquises par les sciences de la vie et de lécologie. Le savoir médical ne constitue plus, comme dans le corpus hippocratique, lespace de connaissance de lenvironnement.

Au-delà de ces caractéristiques générales, on constate aujourdhui que lidée dun « prendre soin » appliquée à lenvironnement repose souvent, de façon implicite ou explicite, sur lanalogie avec la notion de capital. Le lieu commun indique quil convient den user avec modération, car il suse et peut même sépuiser. De même que le corps humain (voire la santé) est parfois envisagé comme un capital à préserver, à travers des expressions populaires comme celle du « capital soleil de la peau », lenvironnement ne constitue pas une ressource infinie. Lidée est par exemple sous-jacente au propos de Van Rensselaer Potter, dominé par la question de lalimentation dune population humaine de plus en plus nombreuse.

« Prendre soin » de lenvironnement, entendu comme capital, est une opération qui peut être décrite en recourant, de façon heuristique, à lart médical. Tout dabord, la discussion sur la finalité du soin médical est éclairante pour penser les objectifs dun tel « prendre soin ». Pour des raisons diverses, cette question est très discutée à lheure actuelle par la profession médicale et les sciences humaines et sociales qui en observent et analysent les pratiques. Lémergence (ou le retour) de pathologies quon ne sait pas (encore) soigner, a contraint la profession à renoncer, dans certains cas, à lambition de guérir, pour déployer une forme daccompagnement vers la mort. Dans certaines sociétés, laugmentation de lespérance de vie et son décalage avec une vie dite de qualité a suscité le développement dune médecine gériatrique et des soins palliatifs qui se sont également détournés dune telle ambition. Par ailleurs, les maladies chroniques, entre autres, ont suscité une réflexion critique sur ce que guérir veut dire, aspect que Georges Canguilhem a bien mis en avant dans Le Normal et le pathologique : guérir ne veut pas dire nécessairement revenir à létat antérieur à la maladie, mais trouver une autre allure de vie23. La question de la finalité des soins prodigués à lenvironnement se pose peu ou prou dans les mêmes termes. La littérature écologique a été

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marquée par la visée dun retour à léquilibre, à un état défini comme stable, optimal des écosystèmes, pensé indépendamment de la santé humaine. Dans cette optique, tout changement, effet dépendant ou non de lanthropisation, est perçu comme une perturbation et un danger. Cependant, de plus en plus, une telle visée est remise en cause, au nom de lhypothèse selon laquelle ces écosystèmes connaissent plusieurs états viables, quon les envisage ou non du point de vue de la santé humaine. La suggestion léopoldienne selon laquelle une chose est juste lorsquelle tend à préserver « lintégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique » et même la proposition de J.B. Callicott de distinguer des perturbations « normales » de changements anormaux sont abandonnées au profit dune vision complexe de la « restauration » entendue comme action destinée à créer un état éventuellement identique à létat antérieur, mais pas nécessairement, et surtout un état viable24. Lambition du retour à létat antérieur, conçu comme état unique déquilibre, nest donc pas nécessairement celle du prendre soin de lenvironnement, pas plus quelle ne lest pour la médecine du corps humain.

Une fois ce point éclairci, on peut mettre en avant deux modèles daction médicale pour définir le prendre soin mis en œuvre pour lenvironnement. Le modèle de la médecine « réparatrice » sapplique en effet bien aux entreprises de restauration décosystèmes ou de milieux de vie quon lon estime précieux pour la santé humaine : quand ces opérations sont possibles, on tente de réparer ce qui a été détruit, sous forme dune intervention durgence, ou sur le long terme, en sappuyant sur les capacités de renouvellement de lenvironnement, comme cherche à le faire aujourdhui la médecine régénératrice à partir des cellules souches, sans nécessairement viser, comme nous lavons dit, létat identique au précédent25.

Cependant, lappel à prendre soin de lenvironnement prend le plus souvent la forme de la médecine préventive. Il met laccent sur le mode de vie approprié, le « régime » en termes hippocratiques, et partant sur une éducation des comportements humains : les individus et les sociétés

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sont appelés à user, et non abuser, de lenvironnement, afin de préserver un capital qui nest pas infini, à utiliser les ressources quil offre de façon mesurée, quitte à renoncer à certaines habitudes de vie, notamment dans le domaine de lalimentation, et à réorganiser leur économie, tant sur un plan individuel que collectif. Le droit, ce à quoi il autorise, contraint, condamne, est dans cette perspective préventive, un outil essentiel. La réflexion de J. Diammond illustre cette optique préventive26.

Faut-il concevoir lenvironnement comme un capital pour bien le protéger ?

La description proposée ci-dessus renvoie à certaines des modalités, observables aujourdhui, dune politique écologique destinée à préserver lenvironnement avant tout perçu comme un capital. Dun point de vue normatif, ces modalités recèlent plusieurs difficultés quil convient maintenant de mettre en évidence.

1. La première dentre elles concerne lassimilation, elle-même de lenvironnement à un capital. Cette vision participe dune conception de lenvironnement comme bien monnayable. Parfois présentée comme un instrument de défense de lenvironnement, elle est tout autant critiquée pour son hypocrisie et/ou son inefficacité à cet égard. Une telle conception est présente dans le discours sur lenvironnement bien au-delà de la question posée par la relation entre santé humaine et préservation de lenvironnement. On peut aborder la controverse dont elle fait lobjet en repartant des discussions contemporaines sur la notion de « service éco-systémiques ». Cette expression renvoie à une manière denvisager la nature qui rend possible le calcul des gains obtenus par les sociétés humaines à travers ses usages et son exploitation, mais aussi le coût de ces derniers et des éventuels dommages infligés à lenvironnement par les activités humaines. Présentée en 2005 dans le Rapport du Millenium Ecosystem Assessment, la notion regroupe des services dordre divers : de soutien ou de base ou services de support de vie, des services de

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régulation et enfin des services culturels ou esthétiques, a récemment cristallisé cette controverse27.

Au-delà de la critique inspirée par la transformation fictive en marchandise de certaines entités, en loccurrence ici, lenvironnement28, certains rejettent la notion de service éco-systémique au nom du danger à envisager la nature comme un moyen et une ressource, a fortiori lorsque cela conduit à la considérer à laune du seul profit que les sociétés humaines peuvent en tirer. Ils dénoncent lhypocrisie quil y a à prétendre protéger la nature en quantifiant les services dordre divers quelle rend aux hommes au lieu de défendre une vision « qualitative » de celle-ci29. Certains se montrent, sur un mode prudent, plus ouverts à cette approche, estimant quil ne faut pas la diaboliser a priori mais chercher à lutiliser au mieux, quitte à la retourner contre la logique du profit, en faisant valoir par exemple une conception patrimoniale de lenvironnement30.

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Cette discussion sur les opérations conceptuelles et les actions qui font de lenvironnement un bien marchand rappelle la controverse sur le corps humain dans le champ des pratiques médicales31. Elle présente peu ou prou les mêmes enjeux et relève de choix semblables. Une double question a en effet été posée à notre époque au sujet du corps humain dans le domaine des pratiques médicales et de la recherche biomédicale : prend-t-on mieux soin du corps humain en le considérant comme une chose ou une personne, au sens où le droit entend ces notions ? Si lon prend ses distances à légard de lidée du corps-personne, na-t-on pas intérêt à explorer la dimension patrimoniale du corps humain : autrement dit, à le considérer certes comme une chose, mais une chose qui doit être protégée au nom de lintérêt commun, et ne peut faire lobjet de nimporte quel type dusage ? Dans un cas, on entend protéger lenvironnement en faisant de celui-ci une « chose », qui peut circuler, être échangée et monnayée. Dans un autre, on privilégie la perspective de sa patrimonialisation. Enfin, on peut refuser purement et simplement cette « chosification » de lenvironnement, au nom des effets néfastes et difficilement évitables de celle-ci : une véritable protection de lenvironnement passe dans cette optique par sa mise hors-circuit du domaine des choses. Il nest pas aisé de trancher en faveur de lune ou lautre de ces perspectives, si lon examine aujourdhui les conséquences effectives de telle ou telle organisation juridique.

En outre, le choix en faveur de lune ou de lautre de ces options se double dune autre prise de position, également délicate. En effet, on peut choisir de répondre à cette difficulté à partir de deux points de vue différents et incompatibles : lun emprunte la voie du questionnement

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ontologique, faisant dériver la catégorie juridique dune définition de lenvironnement (ou du corps humain) ; lautre cherche à déterminer la conception juridique la plus adéquate à la finalité de la protection, en remisant au second plan le questionnement ontologique.

2. Une deuxième difficulté est repérable dans la conception du « prendre soin » de lenvironnement telle que nous lavons évoquée jusquà maintenant. Elle nest pas indépendante de la première. On sait que tous les individus et les sociétés ne sont pas concernés de la même manière par la question du « régime » adéquat au maintien de la « santé de lenvironnement », autrement dit par celle des choix économiques et sociaux les plus appropriés à la préservation de lenvironnement comme capital. Sans nécessairement faire des entreprises qui exploitent les ressources de lenvironnement ses pires ennemis – confusion dont J. Diammond dénonce les effets contre-productifs dans la politique en faveur de lenvironnement, il semble clair aujourdhui quune politique écologique de type préventif vise plus certains agents que dautres.

Certaines opérations tiennent compte de cette dimension et cherchent à la fois à protéger les ressources offertes par lenvironnement et à en permettre un partage équitable. Or, ce souci, a priori louable, de justice environnementale savère parfois discutable pour certains acteurs, en raison même de la conception de lenvironnement qui le sous-tend. Cest une des leçons – indirecte – de louvrage Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing, lessons from the San-Hoodia Case, coordonné par R. Wynberg, D. Schroeder et R. Chennells. Cette étude est centrée sur les questions posées par lexploitation que font des compagnies pharmaceutiques internationales dune plante coupe-faim, le hoodia, utilisée depuis des siècles par un peuple africain, les San, pour éliminer la sensation de soif et de faim32. Il aborde le problème que pose lexploitation de ce savoir et des ressources naturelles de hoodia à partir danalyses juridiques, politiques, éthiques et anthropologiques, en se situant dans le sillage de la Convention sur la diversité biologique. En 1992, cette convention a affirmé que les ressources biologiques sont un héritage commun à toute lhumanité et statué sur la nécessité dun partage des bénéfices issus de leur exploitation ou du savoir à leur égard. Elle a exigé le consentement

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préalable des populations concernées par cette exploitation. Le livre présente une perspective de justice environnementale destinée dune part à prévenir la surexploitation du hoodia et dautre part son appropriation exclusive par les entreprises pharmaceutiques.

Mais pour parvenir à cette double fin, les promoteurs de cette justice environnementale procèdent à plusieurs opérations qui, du point de vue des premiers acteurs concernés, les San, est en porte-à-faux avec leur relation à la nature. Leur jugement sur cette intention « juste » fait apparaître cette forme de justice marquée dun double particularisme discutable : ils en rejettent à la fois la dimension distributrice et la conception de lenvironnement comme capital qui lui est associée. La première de ces opérations consiste en une qualification. Le savoir des San à propos des vertus de cette plante est décrit comme un « traditional knowledge », ce qui renvoie demblée et de façon indiscutée leur connaissance à un monde qui nest pas celui de la recherche scientifique occidentale et de son lien avec les entreprises pharmaceutiques. Cet acte de dénomination prépare et légitime lopération juridico-financière qui organise et encadre juridiquement lexploitation « juste » de la plante et du savoir des San sous légide de la Convention. Le fait de qualifier ainsi les connaissances de San est certes une manière de le reconnaître comme savoir, mais aussi de lui donner un statut du point de vue de lorganisation scientifico-pharmaceutique occidentale et de le rendre exploitable par elle.

Or, le point de vue des San cité dans louvrage en témoigne, il ny a pas une conception du savoir qui simpose à lautre, fût-ce de manière « juste », mais deux. Lune lemporte sur lautre car elle est en position de force. En outre, la théorie de la justice et le cadre juridique qui laccompagne se présentent comme une rupture avec lexploitation sans considération de la population détentrice du savoir, mais ils véhiculent, de façon délibérée ou non, explicite ou non, une conception de lenvironnement comme ressource et des relations entre les êtres humains et cet environnement qui nest pas partagée par tous et ne va pas de soi :

To share our knowledge you need to understand us, you need to understand how we relate to … [each other]. You need to understand how we communicate, and the only way to do that is to develop a relationship, to grow our relationship and [then] the

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knowledge will be shared on the basis of … [the relationship] … My biggest advice would be, please, … do … not … just focus on the economic gains, because for indigenous people the most important thing is the relationship33.

Comme le « benefit sharing », par définition, implique une participation des populations concernées à létablissement du cadre juridique de lexploitation des plantes et du savoir relatifs à elles, ce décalage entre lintention qui préside à la justice environnementale ici présentée et sa réception par les premiers concernés souligne la limite dune telle optique : le dispositif ne fait pas consensus ; « la marchandisation » fictive de lenvironnement [commodification] nest pas acceptée par tous.

Le fait même que certaines sociétés, groupes de population humaine, ou même individus, ne considèrent pas lenvironnement comme une ressource ne plaide pas en faveur de son assimilation à un « capital », même si celle-ci est envisagée comme le meilleur moyen de le protéger au bénéfice de la santé humaine. En effet, de tels décalages sont susceptibles de rendre très difficiles, en pratique, les arbitrages et les négociations à mener sur les actions à mettre en œuvre pour préserver « la santé de lenvironnement ». Cela vaut à léchelle locale et globale34.

3. Une troisième difficulté doit être mentionnée, relative à la conception de la santé associée à lidée dun environnement comme capital. Dans cette appréhension des choses, la santé est surtout pensée en relation avec certaines formes dalimentation et de médication. Lenvironnement peut-être hostile à la santé humaine sur certains plans, mais il est toujours aussi cette entité qui fournit aux êtres humains de quoi se nourrir et les substances à partir desquelles les médicaments sont conçus et fabriqués.

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De façon implicite, la médecine relative à une telle santé traite avant tout le corps comme un mécanisme physiologique.

Or, tout un courant de réflexion philosophico-anthropologique développé aux lendemains de la première guerre mondiale, entre les années 1920 et 1960, notamment en Allemagne et en Hollande35, avec parmi dautres, F. Buytendijk, V. Von Weizsäcker, V. Von Gebsattel, H. Plüge et P. Christian, ont promu un regard spécifique sur lhomme, indiquant quon ne peut envisager séparément lexistence corporelle et lactivité mentale. En faisant un large usage de la pensée philosophique, notamment de ses courants phénoménologique, existentialiste et anthropologique, ils ont insisté sur le fait que la médecine ne pouvait faire abstraction de lexistence humaine en soignant les corps et ont invité à opérer un déplacement dans la conception du corps : pour eux, il ne faut jamais seulement le voir comme une chose ni comme un mécanisme physiologique, mais demblée comme un corps vécu36. Des travaux plus récents, dinspiration canguilhémienne, sur la dimension existentielle et subjective de la maladie, suggérant quune telle conception du corps humain et de sa santé est insuffisante, ont également ouvert des perspectives proches37.

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Or, lidée de la santé et de la maladie comme formes dexistences dotées dune signification existentielle ouvre la porte à la question du rôle que peut jouer, en faveur de la santé humaine, une relation à un environnement indépendante de son exploitation alimentaire ou médicamenteuse. Cest un des points majeurs suggérés par la définition de la santé adoptée en 1948 par lOrganisation mondiale de la santé, comme « état de complet bien-être physique, mental et social », irréductible à une « absence de maladie ou dinfirmité ».

Conclusion

La notion de « prendre soin » renvoie à un éventail de dispositions et dactivités extrêmement riches, irréductibles à ceux et celles qui sont à lœuvre dans la pratique médicale. Il nen demeure pas moins éclairant délaborer lidée dun « prendre soin » de lenvironnement en référence à la question de la santé humaine. Tout dabord parce que le lien de dépendance de cette dernière à un « environnement de qualité » est amplement démontré. Ce lien est consubstantiel à lhistoire de la médecine, de son savoir et de ses pratiques, mais au fil du temps, sa signification sest transformée, en partie à cause de limpact grandissant des actions humaines sur lenvironnement. Ensuite, le lien entre environnement et santé humaine est aussi important dun point de vue heuristique : le recours aux modèles du soin véhiculés par les pratiques médicales et à la discussion sur ses finalités permet déclairer le sens conféré à la disposition « caring » à légard de lenvironnement. Enfin, de façon intéressante, on découvre que la réflexion sur le soin médical déployé au bénéfice de la santé humaine et celle sur le soin de lenvironnement sont traversées par un même débat. Celui-ci porte sur les effets théoriques et pratiques dune assimilation de lenvironnement à un capital. Il pose la question de sa légitimité ontologique et, dans le cas où celle-ci est abandonnée au profit dune perspective de type « fictio legis », de son efficacité en vue de prendre soin de lenvironnement.

Relation de causalité, dimension heuristique, homologie des débats : ces trois raisons invitent à envisager la question du care à légard de

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lenvironnement en lien avec la santé humaine. Cela nexclut pas des conflits entre soin de lenvironnement et protection de la santé humaine, pas plus que des relations à lenvironnement indépendantes de la référence à la santé humaine. Aussi est-il nécessaire de réinscrire la perspective développée dans cette contribution dans une analyse plus large, qui tienne compte de limportance relative de la santé par rapport à dautres objectifs de laction humaine. Une approche intégrée en sciences sociales et humaines est de mise pour proposer une telle analyse élargie, sans quon puisse nécessairement éviter des tensions en leur sein, notamment au sujet de la marchandisation fictive de lenvironnement et sur le statut normatif des disciplines qui la promeuvent.

Marie Gaille

SPHERE, UMR 7129, CNRS

Université Paris Diderot

1 Je tiens à remercier pour leurs commentaires et leurs relectures les membres du RTP Care et environnement réunis à loccasion dun atelier de travail (23-25 janvier 2013, Abbaye de Royaumont) ainsi que P. Charbonnier et J-Ph. Pierron.

2 Exprimée par exemple dans le volume Éthique de lenvironnement, nature, valeur, respect, textes réunis par H. S. Afeissa, Paris, Vrin, 2007, préface, p. 9.

3 Cf. La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1935). Après le second conflit mondial, M. Heidegger reconduit linquiétude husserlienne dans La Question de la technique (1953).

4 Chez Emerson, Thoreau ou encore Leopold dont il sera question plus tard. Cf. le recueil de textes constitué par H. S. Afeissa, cité plus haut. Voir aussi M. Bessone, À lorigine de la République américaine : un double projet, Thomas Jefferson vs. Alexander Hamilton, Paris, Michel Houdiard éd., 2007. Voir aussi V. Maris, « De la nature aux services écosystémiques. Une commodification de la biodiversité », EcoRev, Revue critique décologie politique, 38, Automne 2011, p. 19.

5 Cf. C. Larrère, « Care et environnement : la montagne ou le jardin », in : (dir.) S. Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et lenvironnement, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2012, p. 233-261.

6 Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon article « Vulnérabilité », in : (dir.) M. Marzano, Dictionnaire de la violence, Paris, PUF, 2011, p. 1440-1449, ainsi quà la réflexion de C. Larrère : « La terre est-elle fragile ? », M. Gaille et S. Laugier (dir.), Raison publique, « Les grammaires de la vulnérabilité », 14, avril 2011, p. 59-77. Dans le même dossier, E. Ferrares propose une analyse critique des usages de la notion de « vulnérabilité », p. 17-37. Cf. également C. Pelluchon, Éléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature, Paris, Le Cerf, 2011.

7 Dont a témoigné le récent travail de S. Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et lenvironnement, op. cit.

8 Van Rensselaer Potter, Global Bioethics, Building on the Leopold Legacy, East lansing, Michigan, Michigan State University Press, 1988, chapitre 4, ma trad. : « Lidée de bioéthique globale : un combat à reprendre ? Le travail philosophique et lhistoire tronquée de léthique médicale », Cahiers philosophiques, 125, 2ème trimestre, 2011, p. 131-151 et p. 137 pour la citation. Lexpression est popularisée par son premier ouvrage, Bioethics : Bridge to the Future, Englewood Cliffs, New Jersey, Prentice Hall, 1971. A. M. Henk et J. ten Have indiquent quil susbsiste une polémique à légard de lorigine du terme, même si la première publication revient sans conteste à Van Rensselaer Potter, cf. leur article : « Potters Notion of Bioethics », Kennedy Institute of Ethics Journal, 22, 1, mars 2012, p. 59-82 et p. 59 pour la citation.

9 A. Leopold, Almanach dun comté des sables, tr. de A. Gibson, Paris, Flammarion, 2000 [1949].

10 Van Renselaer Potter, Global Bioethics, Building on the Leopold Legacy, op. cit., chapitre 4, ma trad. : « Lidée de “bioéthique globale” : un combat à reprendre ? Le travail philosophique et lhistoire tronquée de léthique médicale », Cahiers philosophiques, no 125, art. cit., p. 139.

11 A. M. Henk et J. ten Have, « Potters Notion of Bioethics », art. cit.

12 P. J. Whitehouse, « Van Rensselaer Potter : An Intellectual Memoir », Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics, Vol. 11, number 4, Fall 2002, p. 331-343 et p. 333 pour la citation.

13 M. Midgley, « Is the Biosphere a Luxury ? », Hastings Center Report, May-June 1992, p. 7-12.

14 Hippocrate, Nature de lhomme, in : LArt de la médecine, tr. et prés. de J. Jouanna et C. Magdelain, Paris, GF Flammarion, 1999, p. 175.

15 Hippocrate, Airs, eaux, lieux, in : LArt de la médecine, op. cit., p. 115-116.

16 Pour une présentation générale de cette socio-anthropologie de la santé, cf. (coord.) G. Boetsch « Santé et société », in : Les Ateliers de prospectives de lInstitut Écologie & Environnement du CNRS, Compte rendu des journées 24 & 25 octobre 2012, Hors-série, 2013, p. 121-132. Cf. aussi les travaux de Fr. Keck (Un monde grippé, Paris, Flammarion, 2010) et de T. Giles-Vernick (Cutting the Vines of the Past : Environmental Histories of the Central African Rain Forest, University of Virginia Press, 2002) ; et en relation avec la question dune justice globale, cf. (dir.) R. Wynberg, D. Schroeder, R. Chennells Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing, lessons from the San-Hoodia Case, Dordrecht, Heidleberg, New-York, Londres, Springer, 2009.

17 Hippocrate, Nature de lhomme, in LArt de la médecine, op. cit., p. 175.

18 P. Charbonnier, « Le rendement et le butin : Regard écologique sur lhistoire du capitalisme », texte à paraître dans Actuel Marx, 53, 2013.

19 J. Diamond, Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, tr. de A. Botz et J.-L. Fidel, Paris, Gallimard, 2006 (2005), p. 18.

20 P. Charbonnier, « Le rendement et le butin : Regard écologique sur lhistoire du capitalisme », art. cit. Cf. W. Steffen, J. Grinevald, P. Cruzen et J. McNeill, « The Anthropocene : conceptual and historical perspectives », Philosophical transactions onf the Royal Society, février 2011, 369, p. 842-867.

21 G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966.

22 Lextension de ce « collectif » constitue lui-même un élément du problème quil y a à penser un projet politique de care à légard de lenvironnement. Jai évoqué cet aspect dans « De la “crise écologique” au stade du miroir moral », in S. Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et lenvironnement …, p. 205-232. Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce sujet, mais je poursuivrai la réflexion par la suite et dans un autre cadre.

23 G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966.

24 C. et R. Larrère, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de lenvironnement, Paris, Alto, Aubier, 1997.

25 Cf. lanalyse que propose C. Malabou de cette médecine : « Le phénix, laraignée et la salamandre », Changer de différence, Le féminin et la question philosophique, Paris, Galilée, 2009, p. 81-104.

26 J. Diamond, Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, op. cit., p. 28.

27 Selon les termes de présentation du site officiel, « lÉvaluation des écosystèmes pour le millénaire (EM) est née en 2000 à la demande du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. Instaurée en 2001, elle a pour objectif dévaluer les conséquences des changements écosystémiques sur le bien-être humain ; elle doit également établir la base scientifique pour mettre en œuvre les actions nécessaires à lamélioration de la conservation et de lutilisation durable de ces systèmes, ainsi que de leur contribution au bien-être humain. Plus de 1 360 experts du monde entier ont participé à ce projet. Leurs conclusions, réunies en cinq volumes techniques et six rapports de synthèse, présentent une évaluation scientifique ultra-moderne de la condition et des tendances des écosystèmes dans le monde et de leurs fonctions (comme leau potable, la nourriture, les produits forestiers, la protection contre les crues et les ressources naturelles), ainsi que les possibilités de restaurer, de conserver ou daméliorer lutilisation durable des écosystèmes » (www.millenniumassessment.org/fr).

28 Cf. K. Polanyi, La Grande transformation – aux origines politiques et économiques de notre temps, tr. de C. Malamoud, Préface de L. Dumont, Paris, Gallimard, 1983 (1944), chapitre 6 « Le marché auto-régulateur », p. 102-112.

29 Cf. Par exemple, V. Maris, « De la nature aux services écosystémiques. Une commodification de la biodiversité », art. cit., p. 19-23 ; ou encore, dans le même volume, EcoRev, Revue critique décologie politique, 38, Automne 2011, la contribution de Ch. Bonneuil et de G. Azam, « La biodiversité financiarisée : de la marchandisation des “ressources” à celle des “services” », p. 68-74 ; J.-M. Harribey, « La nature hors de prix », EcoRev, Revue critique décologie politique, revue cit., p. 36-43. Voir aussi, dans ce même dossier, la critique dune tonalité différente, proposée par R. Billé et al., qui doutent de lutilité des évaluations économiques de lenvironnement en raison des processus décisionnels dans le champ de laction politique, « À quoi servent les évaluations économiques de la biodiversité ? », p. 48-53.

30 Cf. D. Couvet, M. Gaille, S. Lavorel, « Services éco-systémiques et représentations de la nature et de lenvironnement », in : Les Ateliers de prospectives de lInstitut Écologie & Environnement du CNRS, Compte rendu des journées 24 & 25 octobre 2012, Hors-série, 2013, p. 133-138.

31 Cf. C. Crignon et M. Gaille, À qui appartient le corps humain ? Politique, médecine et droit, Paris, Les Belles Lettres, 2004. Le juriste J.P. Baud a exposé de façon très claire, en prenant position en faveur du corps comme chose, les tenants de cette controverse au sujet du corps humain : LAffaire de la main volée. Une histoire juridique du corps (Paris, Le Seuil, 1993) ; la philosophie D. Dickinson a présenté, en défendant le point de vue adverse, quelques situations contemporaines de « commodification » : Body Shopping, Oneworld Publications, Londres, 2008. Voir aussi M. Callon, « The Embeddeness of Economics Markets in Economics » in M. Callon (ed.), The Laws of the Markets, Oxford, Blackwell, 1998 ; S. Henderson and A. Petersen (eds.), Consuming Health. The Commodification of Health Care, Londres, Routledge, 2002 ; C. Waldby et R. Mitchell, Blood, Organs and Cell Lines in Late Capitalism, Durham, Duke University Press, 2006.

32 R. Wynberg, D. Schroeder, R. Chennells (dir.), Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing, lessons from the San-Hoodia Case, op. cit.

33 J. Beetson, Aboriginal teacher and UN Unsung hero of the 20th century, Presentation to a San-Khoba project workshop, Kalk Bay, South Africa, June 2006], cité dans Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing, lessons from the San-Hoodia Case, op. cit., p. 334.

34 Une telle lecture de la justice environnementale ici exposée et de ses limites naurait pu être faite sans linspiration critique de la théorie du care à légard des théories contemporaines de la justice, et de son invitation à revenir à la vie ordinaire des personnes concernées par telle ou telle opération dindemnisation ou de réparation, et accorder une portée normative à leurs propos. Voir L. Centemeri, Ritorno a Seveso. Il danno ambientale, il suo riconoscimento, la sua riparazione, Bruno Mondadori Editore, Milano, 2006 et C. Larrère : « Care et environnement : la montagne ou le jardin », in : (dir.) S. Laugier (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux et lenvironnement, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2012, p. 233-261 ; du même auteur, « Minorités et justice environnementale », à paraître.

35 Pour une présentation générale du premier courant, cf. M. Gaille, Textes clés de philosophie de la médecine Vol. I : Frontière, savoir, clinique, Paris, Vrin, 2011.

36 S. F. Spicker, The live-body as catalytic agent : reaction at the interface of medicine and philosophy, in : H. T. Engelhardt & S. F. Spicker (éds.), Evaluation and explanation in the Biomedical sciences, Dordrecht, D. Reidel Publishing Company, 1975, p. 181-204 ; Cognitive and conative issues in contemporary philosophy of medicine, Journal of Medicine and philosophy, 1986, 11, p. 107-117 ; Invulnerability and Medicines promise of immortality : changing images of the human body during the growth of medical knowledge, in H. A. M. J. ten Have, G. K. Kisma and S. F. Spicker (éds.), The Growth of medical knowledge, Dordrecht, Boston et Londres, Kluwer Academic Publishers, 1990, p. 163-175 ; Terra Firma and Infirma Species : From Medical Philosophical Anthropology to Philosophy of Medecine, Journal of Medicine and Philosophy, 1(2), 1976, p. 128. R. Zaner, The problem of embodiment : some contributions to a phenomenology of the body, La Haye, M. Nijhoff, 1971 [1964] ; The context of self : a phenomenological inquiry using medicine as a clue, Athens, Ohio university press, 1981. Cf. aussi Fr. Svenaeus, The Hermeneutics of medicine and the phenomenology of health. Steps toward a philosophy of medical practice, Dordrecht, Boston et Londres, Kluwer Academic Publishers, 2000.

37 Cf. C. Lefève, O. Doron, A.-C. Masquelet (dir.), Soin et subjectivité, Cahiers du Centre Georges Canguilhem no 4, Paris, PUF, 2011 ; C. Lefève en collaboration avec L. Benaroyo, J.-C. Mino et F. Worms, La philosophie du soin. Ethique, médecine et société, Paris, PUF, 2010 ; C. Lefève, « Y a-t-il de bons médecins selon Canguilhem ? La relation médecin-patient dans la philosophie de G. Canguilhem », in : (dir.) Cl. Crignon et M. Gaille, Quest-ce quun bon patient ? Quest-ce quun bon médecin ?, Paris, Seli Arslan, 2010, p. 16-33.