Annexe III La galanterie moderne, dans le Parallèle
- Publication type: Book chapter
- Book: Dans la fabrique des contes de Perrault
- Pages: 385 to 386
- Collection: Reading the Seventeenth Century, n° 83
- Series: Romans, contes et nouvelles, n° 14
Annexe III
La galanterie moderne, dans le Parallèle
le chevalier1
[…] Rien ne marque davantage le peu de politesse des siècles d’Alexandre et d’Auguste que la manière brutale dont ils traitaient l’amour. Toutes les délicatesses qu’on y a trouvées depuis leur étaient inconnues, vous ne trouverez peut-être pas un seul Amant dans tous les livres des Anciens qui dise n’avoir osé déclarer sa passion par respect, et de peur d’offenser celle qu’il aime. Un Amant sortait le soir avec une bonne hache pour enfoncer la porte de sa Maîtresse si elle ne la lui ouvrait pas assez promptement, c’était la mode, et même une hache était une pièce de l’équipage d’un amant plus essentielle qu’une lyre, parce qu’il est plus aisé de jouer de cet instrument que de l’autre. Est-ce que l’honnêteté, la civilité, et la déférence pour le beau sexe, vertus presque inconnues aux Anciens, et qui ont été portées si loin par les Modernes, ne sont pas quelque chose de beau et de louable ?
Le Président
Toute cette galanterie outrée, dont vous voulez qu’on sache tant de gré à notre siècle n’est qu’une pure mollesse dont on devrait rougir si l’on était bien sage.
Le Chevalier
Il y a si peu de mollesse dans l’honnête et respectueuse déférence qu’on rend au beau sexe, qu’on a toujours remarqué que les Chevaliers les plus galants ont été les plus braves, et qu’autant qu’ils se faisaient aimer dans les carrousels autant se faisaient-ils craindre dans les combats.
386L’Abbé
Si vous prenez les choses du côté de la Morale, je conviendrai sans peine, n’en déplaise aux Dames et à Monsieur le Chevalier, qu’on eût bien fait de ne point donner tant de charmes et tant d’agréments à une passion qui n’est déjà que trop dangereuse ; mais puisqu’il ne s’agit présentement que d’esprit et que d’Éloquence, on ne peut pas nier qu’il n’y ait davantage et de l’un et de l’autre dans les manières fines et galantes des Modernes que dans les manières simples et grossières des Anciens.
Le Président
Ce qu’on a ajouté aux manières anciennes n’est au plus que de pures inutilités : et en effet faut-il tant de façons pour dire à une femme qu’on a beaucoup d’amour pour elle ? Je suis d’ailleurs convaincu que la simplicité du discours en pareille rencontre a plus de force qu’une longue suite de périodes bien arrangées et bien arrondies.
L’Abbé
Je crois en effet que pour l’intention principale de la Nature, tout ce manège de galanterie n’est pas fort nécessaire, & que comme les Anciens s’en sont passés, les Modernes auraient pu s’en passer aussi, mais il n’était pas possible que la politesse qui s’est augmentée dans toutes choses par la suite des temps ne fit aussi de ce côté-là un progrès considérable. La chose est venue à tel point que l’amour grossier et la fine galanterie sont aujourd’hui deux choses très distinctes et très séparées, et que comme il y a des gens qui ne recherchent dans cette passion que ce qu’il y a de plus matériel, il y en a d’autres qui n’en aiment que ce qu’elle a de plus spirituel et de plus délicat. […] la différence qu’il y a entre l’amour grossier qui va brusquement à ses fins, et la Galanterie raffinée qui s’arrête aux plus petites circonstances, et qui fait une exacte anatomie des moindres mouvements du cœur2.