Annexe IV Perrault discute avec Colbert de son mariage
- Publication type: Book chapter
- Book: Dans la fabrique des contes de Perrault
- Pages: 387 to 388
- Collection: Reading the Seventeenth Century, n° 83
- Series: Romans, contes et nouvelles, n° 14
Annexe IV
Perrault discute avec Colbert
de son mariage
Lorsque je me mariai, j’allai à M. Colbert lui en demander son agrément. Dès que je lui eus nommé la personne et qui était son père, il me demanda combien on me donnait. Je lui dis qu’on me donnait soixante et dix mille livres. « C’est trop peu, me dit-il ; vous pouvez croire que je songe à vous. Vous voyez ce que j’ai fait pour M. du Mets, je ne ferai pas moins pour vous assurément. Je vous trouverai une fille, parmi les gens d’affaires, qui vous apportera une dot bien plus avantageuse. Mais, poursuivit-il, n’est-ce point un mariage par amitié dont vous me parlez ? – Je n’ai vu la fille, repris-je, qu’une fois depuis qu’elle est hors de religion, où elle a été mise dès l’âge de quatre ans ; mais je connais le père et la mère il y a plus de dix ans, pour avoir vécu depuis ce temps-là très familièrement ensemble. Je les connais, ils me connaissent, et je suis assuré que je vivrai parfaitement bien avec eux. Voilà, Monsieur, la principale raison qui m’y engage. Je serais très fâché de rencontrer un beau-père qui se plaindrait sans cesse que je ne fais rien, qui voudrait que je vous importunasse tous les jours de me donner les moyens de faire quelque chose. Je ne veux point en venir là. Vous me faites donner des appointements plus forts que je ne mérite, mais hors cela je n’ai aucun profit. Non seulement tous les marchés qui se font ne me rapportent rien, mais les brevets que vous donnez pour des logements, pour des privilèges et autres choses semblables, non seulement je n’en prends rien, mais j’y mets mon parchemin, ma peine et celle de mon commis, sans en profiter d’autre chose que d’une révérence très mal faite le plus souvent. Je suis très content que cela aille ainsi ; mais il y a tel beau-père qui n’en serait point du tout content. – Je crois, me dit M. Colbert, que vous avez raison ; faites votre affaire, et soyez sûr que j’aurai soin de vous. » Je fus bien 388aise d’avoir trouvé l’occasion de faire savoir nettement à M. Colbert de quelle manière je le servais, et que je me reposais entièrement sur lui de la récompense de mon travail1.
1 Ch. Perrault, Mémoires de ma vie, 2009, p. 111.