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Classiques Garnier

Annexe III La galanterie moderne, dans le Parallèle

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Dans la fabrique des contes de Perrault
  • Pages : 385 à 386
  • Collection : Lire le xviie siècle, n° 83
  • Série : Romans, contes et nouvelles, n° 14
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406160953
  • ISBN : 978-2-406-16095-3
  • ISSN : 2257-915X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16095-3.p.0385
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 06/03/2024
  • Langue : Français
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Annexe III

La galanterie moderne, dans le Parallèle

le chevalier1

[] Rien ne marque davantage le peu de politesse des siècles dAlexandre et dAuguste que la manière brutale dont ils traitaient lamour. Toutes les délicatesses quon y a trouvées depuis leur étaient inconnues, vous ne trouverez peut-être pas un seul Amant dans tous les livres des Anciens qui dise navoir osé déclarer sa passion par respect, et de peur doffenser celle quil aime. Un Amant sortait le soir avec une bonne hache pour enfoncer la porte de sa Maîtresse si elle ne la lui ouvrait pas assez promptement, cétait la mode, et même une hache était une pièce de léquipage dun amant plus essentielle quune lyre, parce quil est plus aisé de jouer de cet instrument que de lautre. Est-ce que lhonnêteté, la civilité, et la déférence pour le beau sexe, vertus presque inconnues aux Anciens, et qui ont été portées si loin par les Modernes, ne sont pas quelque chose de beau et de louable ?

Le Président

Toute cette galanterie outrée, dont vous voulez quon sache tant de gré à notre siècle nest quune pure mollesse dont on devrait rougir si lon était bien sage.

Le Chevalier

Il y a si peu de mollesse dans lhonnête et respectueuse déférence quon rend au beau sexe, quon a toujours remarqué que les Chevaliers les plus galants ont été les plus braves, et quautant quils se faisaient aimer dans les carrousels autant se faisaient-ils craindre dans les combats.

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LAbbé

Si vous prenez les choses du côté de la Morale, je conviendrai sans peine, nen déplaise aux Dames et à Monsieur le Chevalier, quon eût bien fait de ne point donner tant de charmes et tant dagréments à une passion qui nest déjà que trop dangereuse ; mais puisquil ne sagit présentement que desprit et que dÉloquence, on ne peut pas nier quil ny ait davantage et de lun et de lautre dans les manières fines et galantes des Modernes que dans les manières simples et grossières des Anciens.

Le Président

Ce quon a ajouté aux manières anciennes nest au plus que de pures inutilités : et en effet faut-il tant de façons pour dire à une femme quon a beaucoup damour pour elle ? Je suis dailleurs convaincu que la simplicité du discours en pareille rencontre a plus de force quune longue suite de périodes bien arrangées et bien arrondies.

LAbbé

Je crois en effet que pour lintention principale de la Nature, tout ce manège de galanterie nest pas fort nécessaire, & que comme les Anciens sen sont passés, les Modernes auraient pu sen passer aussi, mais il nétait pas possible que la politesse qui sest augmentée dans toutes choses par la suite des temps ne fit aussi de ce côté-là un progrès considérable. La chose est venue à tel point que lamour grossier et la fine galanterie sont aujourdhui deux choses très distinctes et très séparées, et que comme il y a des gens qui ne recherchent dans cette passion que ce quil y a de plus matériel, il y en a dautres qui nen aiment que ce quelle a de plus spirituel et de plus délicat. [] la différence quil y a entre lamour grossier qui va brusquement à ses fins, et la Galanterie raffinée qui sarrête aux plus petites circonstances, et qui fait une exacte anatomie des moindres mouvements du cœur2.

1 Rappelons que lAbbé représente lopinion moderne raisonnable, le Chevalier est moderne et plus enjoué, et le Président est un défenseur des Anciens.

2 Parallèle, t. II, p. 33-38.