Les multiples sources d’inspiration de l’Ovide moralisé
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
2021 – 1, n° 41. varia - Auteur : Romaggi (Magali)
- Pages : 67 à 82
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
Les multiples sources d’inspiration
de l’Ovide moralisé
L’Ovide moralisé1 est la première traduction en langue vernaculaire de l’ensemble des Métamorphoses d’Ovide. Ce vaste ensemble a été vraisemblablement composé entre 1315 et 1325 dans les régions de l’Est du domaine d’oïl2. L’entreprise de l’auteur anonyme est double. D’une part, sa traduction en langue romane met à la disposition d’un public plus large le poème latin. D’autre part, il offre un commentaire de l’œuvre antique en proposant une relecture chrétienne de chaque métamorphose3. Il s’avère cependant que l’auteur de l’Ovide moralisé ne s’est pas contenté de travailler à partir des seules Métamorphoses d’Ovide. Outre le manuscrit glosé des Métamorphoses qui lui a servi de base de travail4, il a également eu accès à d’autres œuvres antérieures dont il s’est inspiré pour enrichir son commentaire. C’est là un bon témoin de la réception de l’original ovidien à l’époque médiévale et de la manière dont procédaient les auteurs. Les liens étroits entre ces œuvres constituent 68un réseau de sens significatif dans la réception et la compréhension d’Ovide à cette époque.
L’auteur anonyme de l’Ovide moralisé explique clairement l’objectif qu’il poursuit en traduisant et commentant le poème ovidien. Dès les premiers vers, on lit à propos des fables que :
[…] toutes samblent mençoignables,
Mais n’i a riens qui ne soit voir :
Qui le sens en porroit savoir,
La veritez seroit aperte,
Qui souz les fables gist couverte5.
Il énonce ainsi explicitement sa démarche : il commence par « traire de latin en romans6 » les fables ovidiennes avant d’entreprendre d’en dégager la vérité7. Pour ce faire, il a recours au quadruple sens de l’Écriture, méthode d’interprétation réservée d’abord à l’exégèse biblique puis appliquée aux textes antiques8. Il transforme ainsi de manière significative l’œuvre originale.
Par ailleurs, si les Métamorphoses d’Ovide constituent de manière évidente son hypotexte de départ, ce n’est pas la seule œuvre dont il se sert pour composer son vaste ensemble. En effet, le clerc effectue des incursions dans des œuvres médiévales antérieures latines ou qui proposaient déjà une version en langue vernaculaire de la fable qu’il est en train d’adapter.
69Les sources en langue vernaculaire
C’est de cette manière par exemple qu’il a retravaillé les mythes de Pyrame et Thisbé et de Narcisse. Il se réfère à la fois à la version ovidienne et aux lais anonymes du xiie siècle9. Pour l’épisode de Narcisse, le clerc puise également à la source du Roman de la Rose. Marylène Possamaï a déjà analysé la manière dont l’auteur de l’Ovide moralisé contamine les sources antique et médiévale dans son travail de comparaison entre le Roman de la Rose et la version du xive siècle10. L’auteur a suivi très fidèlement l’hypotexte latin mais il a émaillé la traduction qu’il en livre de vers issus tout droit du Roman de la Rose11. Comme le montre M. Possamaï, l’auteur anonyme tresse un habile va-et-vient entre l’épisode tel qu’il est relaté dans le poème antique et celui de la version du xiiie siècle notamment grâce aux emprunts lexicaux12.
Il s’avère que l’on peut repérer un jeu d’échos similaire, quoique plus discret, avec le Lai de Narcisse. Voici comment l’auteur de l’Ovide moralisé évoque l’annonce de Liriopé à propos de la prophétie de Tirésias :
Cil qui oïrent la parole
La tindrent por vaine et pour fole :
Gaberent s’en comunement13.
La mention des moqueries n’est pas présente dans la version ovidienne où il est seulement question d’incrédulité : « Vana diu uisa est uox 70auguris14 ». Si l’adjectif « vaine » traduit parfaitement la « uana uox » du texte latin, le verbe « gaber » est une réminiscence du Lai de Narcisse :
Cele l’entent, qui pas nel croit.
Gabant s’en torne, si dist bien
Que sa parole ne vaut rien15.
L’auteur du lai a pris ses distances avec le texte latin en précisant que c’est la mère de Narcisse qui est incrédule et se moque de l’augure. L’auteur du xive siècle, quant à lui, reste au plus près de la version ovidienne en conservant la réaction anonyme de la foule mais ajoute le détail de la moquerie qui pourrait bel et bien provenir du Lai. On a ici un exemple parfait de la manière dont le poète du xive siècle contaminait les sources en les intriquant les unes dans les autres sans vraiment le préciser.
On pourrait encore voir le souvenir du Lai dans le passage du portrait du jeune homme. L’auteur de l’Ovide moralisé respecte le schéma narratif du texte latin, beaucoup plus d’ailleurs que Guillaume de Lorris. La belle comparaison ovidienne des yeux de Narcisse avec deux astres, « Spectat humi positus geminum, sua lumina, sidus16 », est traduite respectivement dans le Lai « Primes a fait les ex rians, / Sinples et vairs, clers et luisans17 » et dans l’Ovide moralisé « Il a les iues clers et luisans, / Qui deus estoiles resambloient18 ».
L’auteur du xive siècle reste fidèle à Ovide en traduisant « sidus » par « deus estoiles ». Mais l’expression « clers et luisans » ne viendrait-elle pas de sa lecture du Lai ? En effet, on retrouve exactement dans le même ordre et à la même place, en fin de vers, les deux adjectifs coordonnés. Il en va de même pour les cheveux de Narcisse dignes, d’après Ovide, de ceux de Bacchus et d’Apollon19. Cette comparaison mythologique est supprimée dans les deux œuvres médiévales peut-être 71par souci des auteurs de simplifier leur texte et de donner à leurs lecteurs des images plus à leur portée comme le conseillaient les Arts Poétiques20. C’est pourquoi l’auteur du Lai compare les cheveux du jeune homme à de l’or :
Caviaus crespés, recercelés,
Qui plus luisent c’or esmerés21.
C’est peut-être parce que les cheveux blonds correspondent aux canons de beauté médiévaux ou parce que l’auteur de l’Ovide moralisé a lu le Lai que l’on trouve aux vers 1602-1603 :
Il a les crins qui blont estoient,
Samblable a fin or esmeré22.
Comme pour l’exemple précédent, une expression identique est située à la même place en fin de vers dans les deux œuvres médiévales.
Un autre détail, enfin, pourrait également corroborer l’idée que l’auteur du xive siècle connaissait bien le Lai de Narcisse et s’en était souvenu au moment de traduire le texte latin. Lorsque Narcisse se mire dans la fontaine, il finit par comprendre que l’ombre se comporte de la même manière que lui. On lit dans la version ovidienne :
Cum risi, arrides. Lacrimas quoque saepe notaui
Me lacrimante tuas ; nutu quoque signa remittis23.
Les larmes et le rire se retrouvent de manière fidèle dans l’Ovide moralisé :
Tu sorris quant tu me vois rire,
Si souspires quant je souspire,
Et si replores quant je plour.
J’ai veü la lerme et le plour
De tes ieus corre par ta face24.
72Deux éléments cependant ont été ajoutés : les soupirs et la répétition des larmes qui coulent le long du visage de l’« ymage ». Une fois de plus, ces deux détails trouvent peut-être leur origine dans la version médiévale antérieure :
Car quant je ri, je li voi rire,
Quant je sospir, ele souspire,
Et quant je plor, ele autretel,
K’el ne fine ne ne fait el
Devant que l’autre cose face.
Je voi les larmes en la face25.
C’est donc peut-être à l’auteur du Lai que l’on doit la paternité des soupirs et des larmes sur la « face » de l’« onbre ». La tristesse envahit ainsi le passage et lui donne une tonalité pathétique beaucoup plus importante que dans l’original latin.
Ces quelques exemples attestent de la précision avec laquelle le poète du xive siècle travaillait. Il a enrichi sa traduction de l’hypotexte ovidien d’une double source médiévale : le Lai de Narcisse et le Roman de la Rose. Outre ces variations lexicales qui concernent des points de détail, l’auteur a également développé le thème de l’orgueil dès le récit de la fable pour préparer la moralisation finale à l’aide de deux autres sources d’inspiration rédigées en latin.
Les sources de l’orgueil de Narcisse
Le clerc du xive siècle fait d’emblée de Narcisse un orgueilleux :
Mais en la fin fu voirement
Ceste devinaille avoirie :
La nouvelle forsonnerie
De l’enfant fier et orgueillous
Firent la gent apercevoir
Que li devins avoit dit voir26.
73Ovide pour sa part évoque d’abord la mort et l’étrange délire dont est frappé le jeune homme : « exitus illam / Resque probat letique genus nouitasque furoris27 » avant de faire allusion à la « superbia28 » de Narcisse. L’auteur médiéval insiste sur le caractère orgueilleux du héros par l’intermédiaire des deux adjectifs coordonnés « fier et orgueillous ». Il introduit également l’idée de « dévoiement » avec l’utilisation du terme « forsonnerie29 ». Cette mention liminaire lui permet en outre de renforcer la culpabilité du héros antique. Dans la première partie de son étude, M. Possamaï met en lumière la manière dont l’auteur médiéval rend Narcisse beaucoup plus responsable de son destin que ne l’était le héros antique. Le translateur du xive siècle indique à plusieurs reprises l’orgueil dont fait preuve Narcisse : le lecteur averti comprend alors que ce défaut fera l’objet de la moralisation qui va suivre le récit mythique. Fidèle à son habitude, le clerc prépare déjà la moralisation finale en introduisant dès le début du récit les jalons interprétatifs qui lui serviront ensuite. Cependant ce n’est pas lui qui a inventé l’analogie entre la figure de Narcisse et le péché d’orgueil. Il s’est s’inspiré d’œuvres antérieures qui associent Narcisse à ce défaut.
Le Lai de Narcisse par exemple s’ouvre sur un prologue qui fait l’apologie du sens et de la mesure tout en condamnant l’orgueil dans le domaine amoureux :
Ke tost en poeut avoir damage
Par son orgeul, par son outrage30.
Il s’agit de ne pas être trop « fier31 » et d’écouter celui ou celle qui vous aime. La mésaventure de Narcisse est élevée au rang d’« essample32 » par le narrateur qui cherche à nous mettre en garde contre un tel comportement. Dans la suite du récit, il fait ensuite mention de la haine et du mépris de Narcisse pour les femmes et notamment pour Dané33. 74Il est significatif de constater que le terme d’orgueil n’est repris que lors du pseudo-dialogue de Narcisse avec l’ombre34.
Mais l’association de la figure de Narcisse à l’orgueil trouve ses origines dans les commentaires latins qui proposaient des moralisations du héros antique, comme ceux d’Arnoul d’Orléans ou Jean de Garlande par exemple. Fausto Ghisalberti avait déjà pointé leur influence sur l’auteur de l’Ovide moralisé35.
Toute la moralisation de la fable de Narcisse dans l’Ovide moralisé est centrée autour de la notion d’orgueil. L’auteur l’a préparée en émaillant la fable de références à ce péché. La moralisation s’ouvre de manière classique par une interprétation de type historique36. S’il est assez facile de repérer cette première lecture qui correspond à la célèbre formule « littera gesta docet37 », il est plus difficile de distinguer ensuite les trois 75sens spirituels, l’allégorie, la tropologie et l’anagogie qui s’entrecroisent dans un habile montage38. Cette structure assez complexe dans laquelle les différents éléments se font écho illustre le principe de « saut herméneutique39 » mis en lumière par Gilbert Dahan.
Afin de lier fermement les sens spirituels à la fable qu’il vient de traduire, le clerc en rappelle brièvement les tenants et les aboutissants dans les vers 1859 à 1860. Il évoque la grande beauté de Narcisse et la courte vie à laquelle il était destiné s’il avait le malheur de se voir :
Il se vit, quar il s’orgueilli
Pour sa biauté qui tost failli40.
La conjonction « quar » est une brachylogie qui souligne la démarche allégorique de l’auteur. Elle lie les données de la fable (le fait que Narcisse se voit) et l’interprétation (l’orgueil qu’il en retire). Narcisse est conscient de sa beauté et en tire un sentiment d’auto-satisfaction tel qu’il le conduit à sa perte.
En outre, ces deux vers sont également très importants car ils contiennent en germe tous les thèmes que le clerc va traiter dans les deux parties de sa moralisation. S’il dénonce les orgueilleux, il va également rappeler la fugacité des biens terrestres, ici symbolisée par la beauté. Ces vers sont en quelque sorte programmatiques des sens spirituels que le clerc compte aborder dans la suite de son développement41.
76Il faut évoquer ici les commentaires antérieurs qui ont certainement servi de point d’appui à la réflexion du clerc du xive siècle. Dans les Allegoriae super Ovidii Metamorphosin, composées dans la deuxième moitié du xiie siècle, Arnoul d’Orléans propose une lecture morale des fables des Métamorphoses. Il reprend les épisodes mythologiques de manière assez concise en ne conservant que les éléments importants à la manière d’un mythographe. C’est ainsi qu’il évoque la figure de Narcisse par sa caractéristique principale, sa beauté, qui est à l’origine du tragique enchaînement des événements : « Narcisus puer admodum pulcher multis placuit, et Echo42 ». Le commentateur retrace ensuite en deux phrases, consacrées chacune à l’un des personnages, le mythe tout entier :
Quam quia contempsit, ea pre dolore latens mutata est in lapidem. Ipse postea videns umbram, sui captus amore, quis umbram obtinere non potuit, deficit pre dolore adeo quod in florem mutatus fuit43.
Son intérêt se porte moins sur les détails du récit mythique que sur l’interprétation qu’il désire en donner. Nulle trace de description, ni l’ombre d’un dialogue ou d’un monologue, aucune digression sur la méprise de Narcisse qui a pris son reflet pour quelqu’un d’autre : Arnoul d’Orléans ne donne que l’essentiel du mythe. Il évoque rapidement les deux métamorphoses qu’il assortit d’une brève explication. Il parvient cependant habilement à rapprocher Narcisse et Écho, qui semblaient si éloignés l’un de l’autre, par la répétition de l’expression « pre dolore ». Ils éprouvent tous deux une douleur similaire qui les conduit à leur perte et à leur métamorphose finale. Arnoul d’Orléans retrace ainsi en deux phrases l’épisode mythologique consacré à Narcisse.
Il poursuit son récit en offrant deux interprétations du mythe, l’une d’ordre moral et l’autre d’ordre physique. Il unit étroitement ses interprétations au résumé du mythe qu’il vient de faire par deux moyens. 77D’une part, il reprend l’ordre dans lequel les personnages étaient apparus. Il s’occupe de l’interprétation morale d’abord du personnage de Narcisse, puis de celui d’Écho avant de développer l’explication physique de leurs métamorphoses respectives. D’autre part, il met en place une série d’échos entre les deux parties du texte à l’aide de la répétition des verbes : « placere » et « contemnere ». L’amour et le mépris sont les deux clefs de voûte du mythe sur lesquelles repose le dévoilement du sens profond de la fable. Arnoul d’Orléans lève le voile sur les significations portées par Narcisse, Écho ou encore leurs métamorphoses.
C’est ainsi qu’Arnoul d’Orléans condamne le défaut d’arrogance. La syntaxe latine lui permet de mettre côte à côte au cœur de la proposition principale Narcisse et son défaut : « Re vera per Narcissum arroganciam accipere possumus44 ». Narcisse est l’arrogance personnifiée comme le soulignent encore les effets sonores qui unissent les noms du jeune homme et de cette attitude méprisante et agressive. Avec le terme « arrogantia », Arnoul d’Orléans se situe peut-être plus du côté de la morale sociale, mais ce défaut constitue tout de même un premier éloignement de Dieu.
Arnoul d’Orléans poursuit le dévoilement de la fable en faisant d’Écho la bonne renommée. Malgré l’amour que la renommée porte à l’arrogant, elle ne peut rien dire de bon sur lui. L’arrogant par ailleurs la méprise complètement, la bonne renommée perd ainsi sa raison d’être. Arnoul d’Orléans donne ici à l’écho un sens figuré. C’est de l’attitude d’un individu que dépend la teneur des bruits répandus sur lui. L’écho, selon qu’il est renom ou rumeur, dévoile, en bien ou en mal, les penchants ou les traits de caractère d’une personne. Arnoul d’Orléans suit un mouvement identique en révélant le sens caché des fables ovidiennes.
Une fois les équivalences allégoriques établies pour Narcisse et Écho, Arnoul d’Orléans se penche sur leurs métamorphoses. Il prend le contrepied de ce qui deviendra l’ordre habituel dans lequel un commentateur livre ses interprétations. Au lieu de commencer par l’explication la plus simple, historique ou physique, et d’approfondir ensuite l’analyse sur le plan de l’allégorie chrétienne, Arnoul d’Orléans préfère suivre l’ordre du récit. Il commence d’abord par interpréter ce que représentent les deux protagonistes dans la perspective d’une morale sociale. L’interprétation physique n’arrive qu’à la fin en même temps que 78les métamorphoses en pierre et en fleur. Le commentateur renoue avec la dimension étiologique du mythe d’Écho en donnant une définition brève et claire du phénomène physique correspondant. Mais il n’en va peut-être pas de même pour Narcisse. Arnoul d’Orléans propose d’expliquer la métamorphose en fleur par la rapidité avec laquelle Narcisse est mort. Il dépérit aussi vite qu’une fleur fane. Néanmoins la caractérisation de la fleur comme une chose inutile permet de rejoindre l’allégorie première. En effet, l’évanescence de la floraison évoque parfaitement la situation vide de sens dans laquelle est plongé Narcisse. L’arrogance l’a poussé à mettre son « excellenciam » au-dessus de tout. Cette posture de mépris des autres et de repli sur ses propres qualités l’a conduit à sa perte. Qu’y a-t-il de plus fugitif ou de plus inaccessible que son propre reflet ? À force de se contempler au miroir des eaux, Narcisse a fini par devenir lui-même évanescent.
L’allusion à la fleur et notamment à sa floraison rapide se retrouve quelque temps plus tard chez Jean de Garlande. Ce dernier résume tout le poème ovidien dans les 520 vers de ses Integumenta Ovidii, composés dans le second quart du xiiie siècle. Il a l’habileté de condenser dans deux distiques tous les questionnements soulevés par la mésaventure du jeune homme captivé par son reflet :
Narcisus puer est cupidus quem gloria rerum
Fallit que florent que uelut umbra fluunt.
Dicitur in siluis Echo regnare quod illic
Aer inclusus uerba referre solet45.
Le clerc va droit au but et ne se perd pas en détails superflus. Il entrelace savamment les différents motifs du mythe. C’est ainsi qu’il évoque la métamorphose en fleur et l’amour de Narcisse pour son reflet sans en parler directement. Les termes « florent », « umbra » et « fluunt » évoquent le passage et la fugacité de tout ce qui nous entoure. Néanmoins, il ne 79fait aucun doute qu’il s’agit d’allusions claires à la transformation en fleur du jeune homme, qui finalement fleurit comme le reste des choses et finit par disparaître aussi rapidement que son reflet. Le verbe « fluere » par ailleurs est une évocation directe de la source dans laquelle Narcisse aperçoit son reflet. Les sonorités rappellent également l’élément aquatique avec les assonances en [f] et [l] et l’allitération en [u]. Le vers semble couler et entraîner Narcisse à sa perte dans les eaux trompeuses de la source. La condensation extrême du propos lui confère de la force. Jean de Garlande cherche à dévoiler la vérité des vers ovidiens à travers des distiques, aisés à mémoriser, aux allures formulaires, qui contiennent un bref commentaire moralisant.
En outre, il a recours aux termes qui évoquent les motifs principaux du mythe pour finalement dire autre chose sur le mythe antique. Jean de Garlande offre à voir en quelque sorte une allégorie en action grâce aux effets poétiques. Il s’inscrit dans la lignée d’Alexandre Neckam avec la référence à la gloria rerum46, sans néanmoins reprendre les traditions antérieures qui font d’Écho la bonne renommée. À propos de la nymphe, il avance seulement une explication physique du phénomène sans le relier à l’interprétation morale donnée au mythe de Narcisse.
Arnoul d’Orléans et Jean de Garlande proposent une lecture morale du mythe antique en lui conférant une dimension parénétique. Ils cherchent à atteindre leurs lecteurs pour les mettre en garde contre le comportement du jeune homme.
Ces deux commentaires ont connu un grand succès comme en atteste leur diffusion dans toute la Romania. D’ailleurs, ces deux œuvres ont rapidement été accolées l’une à l’autre dans les mêmes manuscrits, comme le rappellent Cristina Noacco et Jean-Marie Fritz à propos de la diffusion de ces commentaires47. Il ne fait guère de doute que l’auteur de l’Ovide moralisé avait dû en prendre connaissance – ne serait-ce que dans les marges de son manuscrit des Métamorphoses – et s’en était inspiré pour élaborer la moralisation de la fable de Narcisse.
80En effet, le premier sens spirituel que développe le clerc du xive siècle concerne la fragilité de la condition humaine. En témoigne l’énumération des maux qui touchent les êtres humains : mort, maladie et vieillesse ou encore toutes sortes d’adversités qui n’épargnent ni la beauté ni la prospérité d’un homme. Pourtant ce dernier s’accroche aux biens terrestres malgré leur volatilité. Afin d’apporter du poids à son propos, le clerc fait deux références à la Bible. Il convoque d’abord les anges qui tombèrent du Paradis à cause de leur orgueil puis il cite « li Psalmistres » au sujet de la fragilité de la « florete ». On voit ici que notre auteur écrit à la manière d’un prédicateur, par associations d’idées et de mots. La rapidité avec laquelle cette fleur flétrit fait écho à celle qu’évoquent les commentaires d’Arnoul d’Orléans et de Jean de Garlande. Après avoir mentionné l’orgueil des anges, il passe à celui de Narcisse dont il évoque la mort et la métamorphose en fleur qui lui permet alors de rappeler le Psaume 89 à propos de la fragilité de la condition humaine. Cette double référence aux Écritures ainsi que le présent de l’indicatif et les tournures généralisantes suggèrent qu’il s’agit ici de la leçon du « quid agas ». Le clerc enseigne ici aux lecteurs la parole divine sur la vanité des biens terrestres et sur l’inutilité de s’y attacher. C’est ainsi que dans la maxime du vers 1874 : « orgeulz desconfit home et fame », l’auteur passe à un singulier collectif afin d’englober tout le monde dans la conclusion de ce premier temps de la moralisation. Il qualifie de « fol et non sachent » tous ceux qui se laissent prendre au piège de la beauté des biens terrestres en oubliant leur évanescence. Le clerc introduit ainsi un nouveau motif qui sera central dans le deuxième moment de sa moralisation, à savoir la folie d’un tel comportement. Il faut être fou en effet pour préférer jouir d’un bien terrestre qui ne dure guère plutôt que d’espérer connaître une joie éternelle en Dieu.
Dans les derniers vers, le clerc aborde les fins dernières avec le sens anagogique. Il y a bien une leçon à retirer de la fable mythologique et notre auteur se charge de la faire « entendre » à ceux qui veulent bien lui prêter leur attention. Comme dans le premier temps, le clerc scande son propos par une énumération : ici il s’agit des comportements préjudiciables de tous les hommes qu’incarne Narcisse, « les folz musors de sens voidiez », « les orgueilleus », « les sorcuidiez », qui finissent tous « en folie et en forsenage » à cause du « faulz miroirs de cest monde » qui les a abusés. L’auteur met en place un jeu d’échos entre la fable et 81la moralisation avec la reprise des motifs de la « forsenerie », de la soif au bord de la fontaine qui se mue peu à peu en miroir. C’est ainsi que les thèmes de la folie et de l’illusion gagnent en importance dans ce dernier temps de la moralisation. La fontaine s’est métamorphosée en « mireoirs perillous / Ou se mirent li orgueillous ». L’auteur passe alors de la dénonciation de la vaine gloire à celle de la tromperie. L’individu pétri d’orgueil est retenu par tout ce dont il peut retirer avantage, beauté ou richesse, malgré la vanité de tels biens. Dans un deuxième temps, le clerc explique que l’orgueilleux se trompe en réalité de chemin, il commet une grave erreur qui va le conduire à la damnation. Il est trompé par « la fontaine decevable » qui n’est qu’un « falible mireoir » où se reflète seulement une « ombre fainte et muable », « faulse ombre » dont l’orgueilleux se repaît. Ce dernier a la folie de croire que c’est là que réside le vrai bien, il en oublie Dieu, s’en éloigne. C’est ainsi que le clerc prend ici le rôle du prédicateur en tenant pour « fol » et « esperdu » celui qui, au lieu de chercher la « pardurable gloire », reste pris dans les rets d’une « faulse ombre transitoire ». Or il s’agit de la définition même du péché d’orgueil, le mépris de la volonté divine qui conduit à un éloignement complet de Dieu. L’être humain ne s’occupe plus du tout de son salut et risque la damnation éternelle de son âme s’il persévère dans un tel comportement orgueilleux.
L’auteur de l’Ovide moralisé propose une lecture morale qui dénonce les différents aspects du comportement orgueilleux de Narcisse, en condamnant tour à tour la vaine gloire puis le mépris de Dieu et de ses commandements. Cet approfondissement de la réflexion illustre la manière dont le clerc travaillait et l’objectif qu’il poursuivait. Le péché d’orgueil condamné ici fait partie d’un dispositif beaucoup plus large qui dépasse la fable de Narcisse et englobe tout le livre III. L’unité du livre III se fait en effet autour du thème de « l’imitation de Jésus Christ », comme l’explique Jean-Yves Tilliette qui a étudié de près ce dispositif complexe48.
82L’auteur de l’Ovide moralisé entreprend un travail d’envergure quand il s’attache à traduire les Métamorphoses d’Ovide et à en livrer les allégorèses. Il s’inscrit dans une tradition plus ancienne dont il s’inspire pour composer une œuvre originale. Les contaminations des œuvres des xiie et xiiie siècles, de langues latine et romane, avec celle du xive siècle sont le témoin de la diffusion de ces œuvres, de leur réception et de leur influence dans la lecture du poème ovidien. La fascination qu’exerçait Ovide sur les médiévaux transparaît dans ces jeux de reprises et d’échos qu’entretiennent entre elles les œuvres médiévales et qui créent un nouveau réseau de sens autour de l’œuvre antique.
Magali Romaggi
Université Lumière-Lyon 2
Ciham-UMR 5648
1 Ovide moralisé. Poème du commencement du quatorzième siècle, éd. C. De Boer, Amsterdam, 1915-1938, 5 vol. La légende de Narcisse et Écho et leurs moralisations se trouvent dans le t. I, livre III, v. 1292-1964.
2 Dans la récente édition de l’Ovide moralisé issue du travail de l’équipe Ovide en français, les conclusions de C. De Boer à propos du contexte de composition de l’œuvre (dans l’entourage de Jeanne de Bourgogne, en franco-bourguignon) ont été revues. Il en résulte ainsi « plus d’incertitudes que de certitudes » sur le milieu et l’auteur de ce vaste poème (p. 192). Voir les chapitres VI d’O. Collet (notamment p. 166-168) et VIII de R. Traschler (p. 188) de l’introduction de la nouvelle édition, Ovide Moralisé. Livre I. Tome I, éd. critique C. Baker et al., Paris, Société des anciens textes français, 2018.
3 M. Possamaï-Pérez, « L’Ovide moralisé, monument de l’âge gothique », Ovide métamorphosé. Les lecteurs médiévaux d’Ovide, éd. L. Harf-Lancner, L. Mathey-Maille et M. Szkilnik, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2009, p. 123-137, plus particulièrement p. 125 : « La “translation” réalise donc d’abord un transfert linguistique, formel (une traduction) avant d’opérer un transfert sémantique, la lecture allégorique (ou allégorèse) ».
4 Pour un état de la question, voir I. Salvo García, « Introduction aux sources de l’Ovide moralisé », Ovide Moralisé. Livre I. Tome I, éd. Baker et al., p. 193-210.
5 Ovide moralisé, éd. De Boer, t. I, livre I, v. 42-46.
6 Ovide moralisé, v. 15-17 : « Pour ce me plaist que je comans / Traire de latin en romans / Les fables de l’ancien temps / […] Selon ce qu’Ovides les baille ».
7 Ovide moralisé, v. 18 : « S’en dirai ce que je entens ».
8 H. de Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’écriture, Paris, Desclée de Brouwer, 1993 ; G. Dahan, Lire la Bible au Moyen Âge. Essais d’herméneutique médiévale, Genève, Droz, 2009. G. Dahan rappelle que le schéma des quatre sens de l’Écriture est adopté au début du xiiie siècle (p. 209). Cependant cette théorie est remise en question dès le xiiie siècle. Sans la contester entièrement, les auteurs en ont cependant une pratique plus souple. Ainsi les commentaires « suivent plutôt un plan bi-partite : litteraliter, mystice, ou tri-partite, litteraliter, moraliter, mystice » (p. 219). G. Dahan décrit ensuite le principe du « saut herméneutique » au moment du passage de « la lettre » à « l’esprit » (p. 233-242).
9 Pyrame et Thisbé, Narcisse, Philomena. Trois contes du xiie siècle français imités d’Ovide, éd. et trad. E. Baumgartner, Paris, Gallimard, 2000. J’ai travaillé de manière très précise sur trois versions différentes du mythe de Pyrame et Thisbé afin de comprendre les liens qui unissaient l’Antiquité au Moyen Âge ainsi que l’évolution des interprétations au cours de l’époque médiévale elle-même : voir M. Romaggi, La réception d’un mythe antique au Moyen Âge : Pyrame et Thisbé. Étude comparative des Métamorphoses d’Ovide, du Lai du xiie siècle et de l’Ovide moralisé, mémoire de Master 2, Université Lumière-Lyon2, 2010, sous la direction de M. Possamaï.
10 M. Possamaï-Pérez, « La faute de Narcisse », Réception et représentation de l’Antiquité, Bien dire et bien aprandre, 24, 2006, p. 81-97, ici p. 86-90.
11 Possamaï-Pérez, « La faute de Narcisse », p. 87-89.
12 Ibid. M. Possamaï relève l’amplification inspirée de la lyrique courtoise ou encore la description de la fontaine qui doivent beaucoup au Roman de la Rose.
13 Ovide moralisé, t. I, livre III, v. 1317-1319.
14 Ovide, Les Métamorphoses, livre III, v. 349 : « Longtemps ce mot de l’augure parut vain » (Ovide, Les Métamorphoses, éd. et trad. G. Lafaye, Paris, Les Belles Lettres, 1969, t. I, p. 80).
15 Lai de Narcisse, v. 54-56.
16 Ovide, Les Métamorphoses, III, v. 420 : « Étendu sur le sol, il contemple ses yeux, deux astres ».
17 Lai de Narcisse, v. 71-72.
18 Ovide moralisé, v. 1600-1601.
19 Ovide, Les Métamorphoses, III, v. 421 : « Spectat […] / Et dignos Baccho, dignes et Apolline crines […] », « il contemple […] sa chevelure digne de Bacchus et non moins digne d’Apollon ».
20 E. Faral, Les arts poétiques du xiie et du xiiie siècles. Recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, Paris, 1924, p. 68-70.
21 Lai de Narcisse, v. 95-96.
22 Ovide moralisé, v. 1602-1603.
23 Ovide, Les Métamorphoses, III, v. 459-460 : « Quand je te souris, tu me souris. Souvent même j’ai vu couler tes pleurs, quand je pleurais. Tu réponds à mes signes en inclinant la tête […] ».
24 Ovide moralisé, v. 1711-1715.
25 Lai de Narcisse, v. 713-718.
26 Ovide moralisé, v. 1320-1325.
27 Ovide, Les Métamorphoses, III, v. 349-350 : « […] il [le mot du devin] fut justifié par l’événement, par la réalité, par le genre de mort de Narcisse et par son étrange délire. »
28 Ovide, Les Métamorphoses, III, v. 334 : « Sed (fuit in tenera tam dura superbia forma) », « mais sa beauté encore tendre, cachait un orgueil si dur […] ».
29 Possamaï, « La faute de Narcisse », p. 83.
30 Lai de Narcisse, v. 23-24.
31 Lai de Narcisse, v. 22 : « Ne ne soit pas vers li trop fiere ».
32 Lai de Narcisse, v. 35-36 : « Narcisus, qui fu mors d’amer, / Nous doit essample demostrer. »
33 Lai de Narcisse, v. 120 : « Dames en canbres fuit et het. ».
34 Dans les vers 240-241 du Lai de Narcisse, la « biauté » de Narcisse contraste avec le fait qu’il n’ait pas de « bonté ». Les deux termes sont à la rime car ils vont traditionnellement de pair. En effet, depuis l’Antiquité, la beauté de l’âme transparaît à travers la beauté physique. Mais ce n’est pas le cas de Narcisse. Dané relève aussi cette contradiction, voir v. 252-253, v. 565 et v. 570-571. Le narrateur juge le jeune homme incapable de prendre en pitié la jeune fille en pleurs (v. 512-522 : le tableau pathétique de Dané désespérée, dans le froid, les pieds en sang est pourtant saisissant) : « Nule pités ne l’en est prise. / Dix ! si duer cuer et si felon ! » (v. 528-529). Mais ce n’est que dans la scène du reflet que le terme d’orgueil apparaît enfin dans la bouche de Narcisse lui-même qui parle à l’ombre : voir v. 689-691 (« Tu ne dois pas estre trop fiere : / Viens ça ! Que trais tu ariere ? / Por qu’est orgelleuse vers moi ? ») ou encore v. 711 (« U ce li vient de grant orgueil »). Sans le savoir, Narcisse reproche au reflet son propre comportement.
35 Arnoul d’Orléans, Allegoriae super Ovidii Metamorphosin, éd. F. Ghisalberti, Arnolfo d’Orléans. Un cultore di Ovidio nel secolo xiii, Milano, Hoepli, 1932. F. Ghisalberti remarque que « l’Ovide moralisé, prendendo come sempre, al modo dei glossatori, dall’uno e dall’ altro, compone un’ampia moralità », p. 50, « L’Ovide moralisé, en empruntant comme toujours, à la manière des glossateurs, à l’un et à l’autre, compose une vaste moralisation », traduction personnelle. Il précise néanmoins que l’anonyme du xive siècle est plus proche d’Arnoul d’Orléans. Voir I. Salvo García, « Les sources de l’Ovide moralisé I : types et traitement », Le Moyen Âge, 124, 2018, p. 307-336 ; M. Possamaï-Pérez, « La légende thébaine dans l’Ovide moralisé : un exemple de contamination des sources », Ce est li fruis selonc la letre. Mélanges offerts à Charles Méla, éd. O. Collet, Y. Foehr-Janssens et S. Messerli, Paris, Champion, 2002, p. 527-545 et « L’Ovide moralisé, une traduction dissidente des Métamorphoses d’Ovide ? », Allégorie et symbole. Voies de dissidence ? De l’Antiquité à la Renaissance, éd. A. Rollet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p. 269-280.
36 La moralisation s’étend des vers 1847 à 1853 de l’Ovide moralisé. L’auteur conserve la dimension étiologique, présente dès l’Antiquité, en expliquant que la fontaine aurait donné son nom à la fleur et à une ville qui aurait été érigée à l’endroit où la source coulait. Le clerc oppose ainsi deux temporalités avec le parallélisme et le chiasme des expressions « ore est » et « fu jadis », v. 1851-1852.
37 H. de Lubac, Exégèse médiévale : l’auteur rappelle le distique dans l’introduction p. 23.
38 Il est néanmoins possible de déceler les différentes étapes de l’interprétation en analysant les temps verbaux et le lexique. La présence du présent de l’indicatif signale la lecture « tropologique » à partir du vers 1861 jusqu’au vers 1874. Puis le passage au passé simple de l’indicatif annonce le rappel typologique (v. 1875-1880). Les différentes strates interprétatives semblent imbriquées comme en témoigne le retour à la fable avec la mention de Narcisse et de sa métamorphose en fleur (v. 1877 et v. 1886-1889). Le retour du présent ensuite marque une généralisation morale (v. 1890-1902) puis le clerc renoue avec une lecture tropologique – le poète du xive siècle crée un écho avec Le Roman de la Rose par la reprise d’expressions comme « li mireoirs perillous » (v. 1952) ou encore « la fontaine decevable » (v. 1933) – qui se termine sur des vers plus anagogiques (v. 1956-1964.)
39 Dahan, Lire la Bible au Moyen Âge, p. 435 sq.
40 Ovide moralisé, v. 1859-1860.
41 Cristina Noacco, « L’orgueil et la métamorphose dans l’Ovide moralisé : enjeux narratifs, poétiques et pédagogiques », Nouvelles études sur l’Ovide moralisé, éd. M. Possamaï-Pérez, Paris, Champion, 2009, p. 99-119, voir p. 100-101. D’après C. Noacco, Narcisse représente tous ceux qui sont trop attachés aux biens terrestres. Elle écrit ainsi : « Afin de réprouver la faute d’attachement aux biens terriens, l’auteur anonyme exploite la portée narrative des métamorphoses ovidiennes en fleur en soulignant la caractéristique principale de la création : la caducité. La métamorphose végétale, châtiment du comportement de Narcisse et de Clythie, est donc synonyme de la nature éphémère de tout bien terrestre : “vanité des vanités, tout est vanité” ». Tout comme Clythie, le jeune homme incarne le premier stade d’actualisation de l’orgueil.
42 Arnoul d’Orléans, Allegoriae super Ovidii Metamorphosin, p. 209 : « Narcisse, un jeune garçon d’une beauté parfaite, suscita l’amour de nombreux soupirants dont celui d’Écho » (traduction personnelle).
43 Ibid. : « Et parce qu’il la méprisa, elle alla se cacher à cause de son chagrin et fut changée en pierre. Quant à lui, après avoir vu son reflet dont il fut rendu captif par l’amour qu’il avait conçu pour lui-même, comme il ne pouvait pas posséder son reflet, il s’abandonna au chagrin jusqu’à être métamorphosé en fleur » (traduction personnelle).
44 Ibid. : « Il est vrai qu’à travers Narcisse nous pouvons entendre l’arrogance » (traduction personnelle).
45 Jean de Garlande, Integumenta Ovidii, poemetto inedito del secolo xiii, éd. F. Ghisalberti, Messina-Milano, Giuseppe Principato, 1933, p. 49, v. 163-166 : « Narcisse est un jeune homme plein de désir que déçoit la gloire des choses qui fleurissent car elles disparaissent comme une ombre. On dit qu’Écho règne dans la forêt car l’air qui y est contenu a l’habitude de rapporter les paroles », traduction de Ch. Lucken, « L’Écho du poème (“ki sert de recorder che d’autres dist”) », Par la vue et par l’ouïe. Littérature du Moyen Âge et de la Renaissance, éd. M. Jourde et M. Gally, Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions, 1999, p. 25-58, ici p. 36.
46 Alexandre Neckam, De Naturis rerum libri duo et De laudibus divinae sapientiae, éd. Th. Wright, Londres, 1863. Voir De Naturis rerum libri duo, I, 20, p. 67 : « Per Narcissum enim inanis designatur gloria, quae umbra sui ipsius fallitur », « Par Narcisse en effet on désigne la vaine gloire par laquelle il a été trompé par l’intermédiaire de sa propre ombre » (traduction personnelle).
47 C. Noacco et J.-M. Fritz, « Lire Ovide au xiiie siècle : Arnoul d’Orléans, commentateur des Métamorphoses », Anabases, 29, 2019, p. 199-214.
48 J.-Y. Tilliette, « L’Écriture et sa métaphore. Remarques sur l’Ovide moralisé », Ensi firent li ancessor. Mélanges de philologie médiévale offerts à Marc-René Jung, éd. L. Rossi, Ch. Jacob-Hugon et U. Bähler, Torino, Edizioni dell’Orso, 1996, vol. II, p. 543-558. J.-Y. Tilliette reprend la voie tracée par M.-R. Jung. Les différentes fables et moralisations du livre III sont étroitement liées par un réseau lexical dense où reviennent toujours les mêmes motifs : l’orgueil, la gloire, la fontaine. Le « message religieux » – J.-Y. Tilliette reprend ici les termes de Marc-René Jung – « est le centre de gravité de l’Ovide moralisé », il existe une réelle « solidarité entre les fables et les allégories », qui n’a rien d’artificiel.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11996-8
- EAN : 9782406119968
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11996-8.p.0067
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/07/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Lai de Narcisse, Arnoul d’Orléans, Jean de Garlande, traduction, moralisation