Rédiger un traité sur la médecine des femmes en 1625 Dans le sillage des Essais
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne Montaigne outre-Manche
2022 – 1, n° 74. varia - Auteur : Worth-Stylianou (Valérie)
- Pages : 37 à 53
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
RÉDIGER UN TRAITÉ SUR LA MÉDECINE
DES FEMMES EN 1625
Dans le sillage des Essais
S’adresser à une dame noble, sur le ton d’une conversation légère, pour discuter de la conception et la jeunesse d’un enfant, de l’affection des parents, de la ressemblance entre enfant et père (ou mère) : nous voici devant quelques chapitres parmi les plus célèbres des Essais. Que Montaigne s’adresse à Diane de Foix, comtesse de Gurson (I, 26), à Louise de la Béraudière, Madame d’Étissac (II, 8) ou à Marguerite d’Aure-Gramont, Madame de Duras (II, 37), il sait conjuguer une amabilité courtoise avec son style franc, dynamique, sinueux et où perce à tout bout de champ une ironie légère et irrévérencieuse en parlant de sujets parfois osés1. Certes, il n’est pas seul, vers 1570-1580, à employer la langue vulgaire pour discuter de la conception : citons des livres à grands succès tels que le premier tome des Deux Livres de chirurgie d’Ambroise Paré, paru en 1573, intitulé De la generation de l’homme ou la première partie des Erreurs populaires de Laurent Joubert, issue en 1578 des presses de Simon Millanges, premier éditeur – deux ans plus tard – des Essais2. En tant que chirurgien du roi, d’une part, et chancelier de la Faculté de Médecine de Montpellier, d’autre part, ces deux écrivains ont dû bien peser la portée de leurs écrits, et tandis que Paré choisit sagement comme dédicataire le duc d’Uzès, Joubert frôle le scandale en s’adressant à une princesse, Marguerite de Valois, 38jusqu’à devoir ensuite, dans la réédition de 1579, céder aux préjugés de son époque en lui substituant comme dédicataire le seigneur de Pibrac. Or, si Paré et Joubert ont provoqué un véritable tollé en dévoilant en langue française les mystères de la génération, un simple gentilhomme, qui n’est pas initié au secret médical, est-il à l’abri des détracteurs bien-pensants ? Nous savons que Montaigne se vantera en 1588 : « Je m’ennuye que mes Essais servent les dames de meuble commun seulement, et de meuble de sale : ce chapitre me fera du cabinet : J’ayme leur commerce un peu privé » (III, 5, 889). Mais dans les chapitres des premiers tomes qu’il dédie à ces trois dames, ne s’est-il pas déjà engagé sur ce terrain3 ?
Les livres de médecine en langue vulgaire, et notamment ceux qui traitent de la génération, continuent à se multiplier à l’aube de la Renaissance et du premier xviie siècle, comme nous l’avons montré ailleurs4, mais l’exemple des Essais a-t-il aussi, pour sa part, quelques retombées sur la manière dont on écrit en français sur la médecine ? Au niveau de la littérature, certes, nous pourrions citer certains chapitres des Après-Dinées de Nicolas de Cholières5 ou des Sérées de Guillaume Bouchet6, qui parlent de conceptions, grossesses, naissances, et ceci dans un style bigarré qui n’est pas sans rappeler les Essais. Mais signalons qu’en tant qu’homme de l’art, Bouchet y apporte aussi une culture savante et professionnelle, puisqu’il puise librement dans les livres médicaux tant anciens que contemporains pour alimenter les discussions entre ses protagonistes7. Ce qui est plutôt insolite, en revanche, c’est l’influence incontestable des Essais sur un livre de médecine.
En 1625, Louis de Serres, médecin dauphinois protestant, âgé d’environ trente-sept ans, et agrégé à Lyon, fait paraître chez Antoine Chard 39son Discours de la nature, causes, signes, et curation des empeschemens de la conception, et de la sterilité des femmes8. C’est son deuxième livre, fort différent du premier, qui a paru l’année précédente chez un autre imprimeur lyonnais. Le Grand Dispensaire medicinal : contenant cinq livres des institutions pharmaceutiques. Ensemble trois livres de la matiere médicinale. Avec une pharmacopée, ou antidotaire fort accompli. Le tout premierement composé en latin, & mis en lumiere par le Sieur Jean de Renou, puis traduict de latin en françois, & illustré […] par Mr. Louys de Serres comptait plus de mille pages : dédié à Philibert Sarazin, conseiller et médecin du roi, ce volume était destiné aux pharmaciens9. Le Discours de la nature, en revanche, est dédié à une femme noble qui attend (en vain) l’arrivée d’un petit héritier, Françoise de Bonne-de-Lesdiguières – fils de François de Bonne10, et épouse (en secondes noces) de Charles de Blanchefort sire de Créquy11. Pour mieux plaire à cette grande dame, et à toutes ses lectrices – auxquelles il s’adresse dans son épître liminaire –, de Serres se flatte d’épouser un style « de bas aloy et feminin ». Nous verrons qu’il indique le nom de Montaigne à plusieurs reprises dans ce volume de près de cinq cents pages, qui s’inspire souvent du langage et même de certains arguments des Essais, et notamment du chapitre ii, 37. Le Discours de la nature est resté peu connu ; il ne connaît aucune réédition au xviie siècle, même s’il est cité dans d’autres traités de la médecine des femmes pendant un demi-siècle. Nous proposons de démontrer 40qu’il constitue une source importante pour mieux cerner les enjeux de la réception des Essais au premier xviie siècle12.
Puisque le Discours survient plus de trente ans après la parution des Essais, de Serres n’a pu ignorer certaines critiques qu’ils suscitaient. Les théologiens catholiques du premier xviie siècle, comme Jean-Pierre Camus, se croient obligés de fuir Montaigne pour ses idées hétérodoxes élaborées dans un style trop séduisant13. Mais en est-il de même pour une autre catégorie professionnelle, à savoir les hommes de l’art ? L’ironie, voire l’opprobre, que Montaigne exerce à leur égard dans certains chapitres des Essais ont-ils suffi à les repousser ? Dans une étude récente, Hervé Baudry estime qu’un chapitre de l’histoire de la première réception des Essais reste à écrire, celui qui suivrait « de près les trajectoires de l’antimontaignisme médical14 ». Dans ce but, il passe à la loupe un ouvrage quasi-oublié de 1610, un traité de 144 pages, intitulé L’Excellence, utilité, nécessité et certitude de la médecine, signé par un certain Antoine Martin. Cet ouvrage – publié à Vannes et dont les recherches de Baudry n’ont décelé qu’un seul exemplaire – a connu sans doute une circulation fort restreinte ; il témoigne, néanmoins, d’un certain courant de pensée parmi les hommes de l’art. Les remarques malveillantes de Montaigne dans le chapitre ii, 37 ont dû déplaire à Martin et à bon nombre de ses confrères. Certes, l’auteur des Essais n’a pas cherché à les épargner, ni en avouant « Ceste antipathie, que j’ay à leur art » (II, 37, 802), ni en observant qu’ils « nous font voir qu’ils y considerent plus leur reputation, et par consequent leur profit, que l’interest de leurs patients » (II, 37, 809). Mais Baudry démontre que le véritable crime de Montaigne, aux yeux de Martin, est de viser plus loin que certains praticiens cupides ou cérémonieux. L’auteur des Essais remet en cause l’autorité même sur laquelle s’appuyait la médecine officielle, en voulant substituer au discours universalisant de la tradition aristotélico-galénique sa propre notion de l’expérience, pierre de touche 41fondamentale selon lui, et, qui plus est, accessible à toute personne qui privilégie l’écoute de soi15. Aussi Montaigne fait-il confiance plutôt à ses propres observations qu’aux conseils des hommes de l’art formés par les facultés de médecine. Cependant, pour Martin, médecin conservateur, et catholique zélé – imprégné des discours de la Contre-Réforme – le scepticisme médical ne se laisse pas dissocier de la libre-pensée16. Il s’agit donc de dénier toute légitimité à son adversaire, autant sur le plan des idées que sur celui de l’argumentation17. Nous constaterons que Louis de Serres – protestant, et homme cultivé qui aime citer l’histoire, la mythologie et parfois même la poésie – n’hésite pas, en revanche, à se servir des Essais.
LA MÉDECINE ET LA SOCIABILITÉ FÉMININE :
DE MONTAIGNE À LOUIS DE SERRES
Le traité de Martin, resté sans grand retentissement, n’a pas nui à la fortune des Essais, pas plus que celui de Reulin n’a porté atteinte aux Erreurs populaires de Joubert (ouvrage republié au moins une vingtaine de fois jusqu’en 161018). Il s’agit, dans les deux cas, de censures éphémères, mais qui représentent des courants de pensée sans doute plus largement répandus, car Joubert et Montaigne s’exposent à la critique puisque tous les deux choisissent de s’adresser à des femmes pour aborder des sujets délicats, voire impudiques. Cette stratégie de communication devient chez eux un enjeu primordial. Par exemple, lorsque nous approfondissons les arguments de Montaigne dans II, 37, plusieurs constatations qui concernent les échanges entre les hommes de l’art et leurs patients 42se révèlent particulièrement tranchantes. D’une part, certains médecins ne daignent pas s’adresser à ceux qu’ils soignent, et depuis l’Antiquité, ils écrivent dans une langue inintelligible au vulgaire afin que le secret médical soit réservé aux professionnels (II, 37, 808-810). D’autre part, ils refusent de reconnaître les incertitudes et les débats qui les divisent entre eux (II, 37, 810-813).
Comment remédier à ces maux ? Montaigne fait le choix de s’entretenir lui-même avec sa maladie, ce qui lui apprend plus sur ses crises néphrétiques que ne le ferait un homme de l’art : « J’y ay pratiqué la colique, par la liberalité des ans : leur commerce et longue conversation, ne se passent aysément sans quelque tel fruit. » (II, 37, 796). C’est à partir de ce dialogue avec sa maladie – en scrutant les signes physiques pour les soumettre à son propre jugement – qu’il annonce, en véritable épilogue au chapitre, la dédicace à Madame de Duras19. Le deuxième volume des Essais se clôt donc sur le ton d’une conversation, se plaçant sous le signe d’une sociabilité féminine spontanée, à mille lieues du langage fruste des médecins. De fait, les écrits de Montaigne sont censés permettre à cette amie de reconnaître « ce mesme port, et ce mesme air, que vous avez veu en [ma] conversation » afin qu’elle puisse « me represent[er] à vostre mémoire, au naturel » (II, 37, 823).
Louis de Serres a beau admirer les Essais, il ne nous propose aucun portrait de lui-même dans son Discours. Mais il puise, en revanche, dans cet art de la conversation qui permet d’entretenir une femme lettrée au sujet de la médecine. En nommant son livre un « discours », il le situe à mi-chemin entre les traités de médecine et la conversation d’un honnête homme. Il reprend, par ailleurs, des termes chers à Montaigne, car les Essais emploient les vocables discours deux centre trente-deux fois, conversation(s) trente fois, et, le synonyme, entretien(s) dix-sept fois. De plus, conversation(s) et entretien(s) figurent surtout dans les chapitres où Montaigne s’adresse à des dames20. Si de Serres emploie le terme discours une vingtaine de fois, nous ne relevons qu’une seule fois chez lui les mots conversation et entretien. Cependant, dans les deux cas, il s’agit de 43la sociabilité féminine, puisque ces vocables désignent la façon de parler de certaines femmes21 et l’échange entre l’auteur et ses lectrices22. Autre point commun entre Montaigne et de Serres : les deux emploient un ton sérieux, respectueux, pour parler aux dames haut placées, faisant ainsi une distinction entre leurs dédicataires et les femmes des couches inférieures à l’égard desquelles ils témoignent – c’est surtout le cas chez Montaigne – d’un mépris ironique23. Pour de Serres, par ailleurs, avec le réalisme d’un homme de l’art qui sert les grandes dames mais aussi les femmes les plus simples, ses conseils seront modifiés selon la condition de la femme, qu’il s’agisse des aliments24 ou du mode d’exercice25. En fin de compte, les deux auteurs n’ignorent pas l’importance – à l’échelle sociale pour Montaigne, dans un contexte professionnel pour de Serres – de se faire apprécier par des dédicataires soigneusement choisies.
La sociabilité féminine exige-t-elle, d’autre part, un langage spécifique ? Montaigne se moquera dans le chapitre iii, 5 des femmes qui ont les oreilles trop chastes (III, 5, 899), mais il sait néanmoins trouver un ton enjoué pour plaire à ses dédicataires. En tant qu’homme de l’art qui a choisi de traiter de la stérilité, de Serres ne peut, pour sa part, se passer de parler franchement de la conception et des rapports sexuels. Pourtant, il s’excuse de sa franchise, dès la préface, adressée « aux dames » :
44Que si jettant les yeux dans ce Discours elles rencontrent en iceluy quelque periode grassement sterile, ou sterilement grasse ; qu’elles sachent qu’il est impossible, selon le dire de Celse, de traicter de la generation, impuissance, et sterilité, tant des hommes que des femmes, sans y mesler quelque mot gras qui serve de saulce à une viande si maigre, et que d’ailleurs les preceptes de la Medecine ne s’accordent pas bien en cest endroict avec telle et si austere honnesteté des paroles, qui seroit requise, et qui doit estre estroictement observée par nos Theologiens.
Après avoir cité au préalable cet auteur ancien fort respecté pour justifier sa démarche, il insiste sur la distinction entre la médecine et la théologie, en espérant devancer les critiques bien-pensants, puisque la médecine est obligée de nommer les choses comme elles sont26. Or, sa façon d’aborder son sujet se divise en deux parties : la discussion théorique (« parler Problematiquement ») et l’analyse médicale, dont les remèdes éventuels (« parler Positivement27 »). C’est surtout dans la seconde partie qu’il est amené à expliquer dans le détail, par exemple, les différentes malformations des organes génitaux des deux sexes, puisque celles-ci sont causes de nombreux cas de stérilité28. Dans la première partie, en revanche, il propose une entrée en matière plus douce :
[cette partie] deuvidera que bien que mal quelques jolies et agreables questions que j’ay forgées sur le present sujet, à fin d’engager insensiblement les Dames dans la lecture de la seconde, laquelle se trouv[era] un peu espineuse et acroamatique en son commencement29.
Pour plaire à ses lectrices, dans cette première partie il évite un langage scabreux, au profit d’un style qui affiche son admiration pour les Essais. Dans un premier temps, nous relèverons les cas où il cite le nom de Montaigne – qu’il appelle par ailleurs « la Montaigne » ou « la Montagne » –, et dans un second temps nous approfondirons les hommages stylistiques plus discrets mais très répandus que le Discours rend aux Essais.
45UN DISCOURS SUR LA MÉDECINE
SUR LES TRACES DES ESSAIS
Ce sont surtout les six premiers chapitres du Discours qui doivent une fière chandelle aux Essais, c’est-à-dire dans les discussions à bâtons rompus sur la nature des femmes et des hommes et sur leurs rapports, notamment dans le contexte du mariage. Autant de sujets qui font la matière de plusieurs chapitres des Essais, et qui trouvent leur place également dans les recueils de Cholières ou de Bouchet. Aussi de Serres se rapproche-t-il de ces écrivains littéraires plutôt que des auteurs de grands traités destinés aux étudiants en médecine – sauf lorsqu’il se permet d’employer parfois des manchettes pour indiquer ses sources. À deux reprises, le nom de Montaigne apparaît. Dans le chapitre ii, où il examine l’idée populaire selon laquelle les belles femmes seraient plus souvent stériles que les laides, c’est le relativisme de Montaigne qui est exposé :
Et un chacun de nous sçait qu’au jugement des hommes mesmes il y a toute autant de sortes de beauté, qu’il y a de diverses et particulieres inclinations, et climats. Car si nous la depeignons blanche, les Indiens le representent noire et basanée, aux levres grosses et enflées, au nez plat et large ; les Persans, au nez aquilin ; les Mexicains au front petit et estroit ; les Italiens veulent qu’elle soit grosse et massive ; les Espagnols, vuidée et estrillée ; et parmy nous encore quelques uns la demandent brune et vigoureuse, et quelques autres blanche, molle et delicate30.
Cependant, la manchette est loin d’être précise : « Voyez les Essais de Michel de la Montagne sur la diversité des beautez feminines ». Certes, de Serres se contente, en général, de notes brèves, et n’indique que rarement un lieu précis. Dans ce cas-ci, le manque de précision nous laisse croire, cependant, qu’il s’adresse à des lectrices (ou des lecteurs) qui, comme lui, connaissent bien les Essais et n’ont pas besoin de guide. De même, dans le chapitre suivant, qui s’intitule « Si les femmes qui ne font que de filles doivent estre appellées steriles ? », le nom de Montaigne figure dans le texte parmi une liste d’auteurs 46qui ont exposé les imperfections des femmes, mais de nouveau sans autre précision31.
C’est le chapitre v qui est de loin le plus montaignien. Il n’est donc pas étonnant que le nom de Montaigne y paraisse à trois reprises, à commencer par la manchette qui accompagne la première phrase :
Ceux qui ont dit que les biens et les maux sont consubstantiels à nostre vie, et se partagent esgalement en icelle, comme la nuict et le jour ; me semblent avoir naïvement et brievement expliqué la misere de la vie humaine, en laquelle à toute heure
L’espine suit la rose, et ceux qui sont contens
Ne le sont pas long temps.
Manchette : « Voyez Seneque, et la Montaigne sur ce sujet32 ».
Notons que le texte du Discours emprunte à Montaigne le mot « consubstantiel » que tout lecteur des Essais reconnaîtra d’emblée33. Quant aux deux autres cas où de Serres nomme Montaigne, c’est afin de souligner la ressemblance entre ses propres idées et celles de Montaigne :
Et l’autre [doctrine] est puisée de l’ancienne doctrine des Stoïques, et confirmée par la Montaigne, disant que les enfans sont au nombre des choses qui ne sont point desirables de soy34.
et
Qui me fait croire que ce que dit la Montaigne des jeunes enfans est tres-veritable, à sçavoir que la monstre de leurs inclinations et si tendre en bas aage, et si obscure, et les promesses si incertaine et fausses, qu’il est mal aisé d’y establir aucun solide jugement35.
47Pourquoi ces trois références au cours d’un seul chapitre du Discours ? Est-ce parce que son sujet – « Que les femmes vrayment steriles sont en quelque façon bien-heureuses en leur malheur » – s’avère franchement inattendu, voire paradoxal dans un traité qui vise à remédier à la stérilité ? Certes, de Serres cherche à consoler les femmes qui n’arrivent pas à donner vie à un enfant, mais père lui-même en 1625 d’au moins deux enfants, il ne se fait pas d’illusions sur les contrariétés de la vie familiale36 ! Partage-t-il également l’indifférence de Montaigne quant aux enfants qui meurent en bas âge37 ? Même s’il reconnaît, en tant que médecin, la réalité de la mortalité périnatale et infantile38, il semble plus compatissant devant le premier élan maternel, surtout chez celles qui auraient attendu pendant longtemps une naissance fort souhaitée. Bref, de Serres se montre capable de suivre la pensée de Montaigne jusqu’à un certain point, sans toutefois s’y asservir.
Cet éclectisme est évident également au niveau des emprunts linguistiques et stylistiques, qui foisonnent dans la première partie du Discours. Nous avons l’impression de nous retrouver en présence d’un lecteur passionné des Essais, qui y puise surtout des expressions et des images qui lui conviennent, et qui se laisse inspirer, plus largement, par le style familier qui attirait Camus tout en le mettant en garde. Tout lecteur de Montaigne reconnaîtra, par exemple, l’emprunt du mot gibier dans des phrases telles : « la sterilité est le vray gibier des femmes39 » ou « cela estant plustost du gibier d’un Courtisan que d’un Medecin40 ». Comment ne pas penser à « L’Histoire c’est mon gibier en matiere de livres » (I, 26, 150), parmi les huit occurrences du mot dans les Essais ? De même, certaines images que nous retrouvons chez de Serres nous laissent 48flairer les Essais, comme l’allusion au cheval échappé pour dépeindre l’état d’âme d’un mari dépité de la naissance de filles successives41, ce qui fait penser à l’esprit trop oisif de Montaigne « faisant le cheval eschappé » (I, 8, 55). Par ailleurs, l’image qu’emploie Montaigne dans ce même chapitre pour comparer ses idées déréglées à une môle – « Et comme nous voyons que les femmes produisent bien toutes seules, des amas et pieces de chair informes » (I, 8, 54) – fournit une comparaison toute montaignienne à de Serres lorsqu’il est amené à parler des môles hydatiformes dans le contexte de la stérilité médicale : « toute mole (laquelle selon Galien, n’est autre chose qu’une chair oisive […]42) ». Certes, Montaigne et de Serres ont pu chacun trouver la comparaison dans la même source ancienne (Galien), mais il nous semble fort probable que de Serres pensait également à cette image célèbre des Essais. Ou, mot plus particulier, grotesques (ou « crotesques »), que Montaigne n’emploie que deux fois, dans le même chapitre (I, 28), pour définir les rapports entre ses Essais et les Sonnets de La Boëtie43 : de nouveau, de Serres lui emprunte non seulement le mot mais le contexte même :
Or cette extravagance de jugemens est aujourd’huy si familiere, voire j’ose dire quasi comme naturelle à plusieurs tant hommes que femmes, mais encore plus à celles-cy, que je ne pense pas que les grotesques des peintres y fassent rien44.
On pourrait presque affirmer qu’il faudrait connaître les Essais afin de comprendre certains chapitres du Discours. Ou bien pour les apprécier en tant que lectrice « suffisante », qui lit tantôt Montaigne, tantôt un livre sur la médecine des femmes… Il serait fastidieux de dépouiller ici tous les « emprunts » éventuels aux Essais au niveau des mots ou des images. En revanche, nous proposons d’aller plus loin, en sondant l’influence de Montaigne sur le style du Discours au-delà des simples emprunts textuels. De Serres s’éloigne du style médical non pas – comme 49c’est le cas dans les Erreurs populaires de Joubert – en frôlant le scandale, mais en rédigeant un discours plutôt familier, souvent humoristique, qui ressemble à une conversation sur le vif. Les images abondent, telles la comparaison des femmes qui enchaînent des grossesses comme les « soufflets des Marechaux, c’est à dire, aussi tost vuides que pleines, aussi tost pleines que vuides45 », ou en annonçant sa riposte à une objection de la façon suivante : « je respons, qu’il m’est aussi facile de les culbuter par raisons naturelles comme par authoritez sacrées46 ». Dans le sillage des Essais, de Serres s’astreint à marier l’argumentation abstraite à un langage très concret, apte à plaire à ses lectrices. Mais n’est-ce que le style des Essais auquel de Serres est redevable ? Y puise-t-il parfois aussi son argumentation ?
FORGER « QUELQUES JOLIES ET AGRÉABLES QUESTIONS » :
OÙ S’ARRÊTENT LES RESSEMBLANCES
ENTRE LE DISCOURS ET LES ESSAIS ?
La formule « question-réponse » a longtemps été utilisée dans la médecine, surtout pour les catéchismes des bonnes réponses que doivent fournir, au jour de leur examen, les étudiants en médecine ou en chirurgie, ou les sages-femmes apprenties. Chaque question devrait amener une réponse apprise par cœur, plutôt que d’entamer un vrai dialogue. De Serres a-t-il donc choisi de forger de « jolies et agréables questions » comme outil pédagogique, qui permettent de faire « avaler la pilule » aux lectrices à qui il s’adresse ? Ou voudrait-il suivre Montaigne jusqu’au bout en les obligeant à remettre en question, voire parfois à bouleverser les idées reçues ? Autrement dit, en tant qu’homme de l’art a-t-il voulu se libérer du carcan de la doctrine médicale ?
Dans le Discours de la Nature, nous constatons une distinction entre la première partie, où de Serres aborde des questions de société, et la seconde partie qui traite de la médecine à proprement parler. Bien qu’il se permette des digressions et des à-côtés un brin montaigniens tout 50au long de l’œuvre, il n’oublie jamais le but annoncé dans le titre de chaque chapitre, et préfère construire, au contraire, une argumentation solidement charpentée47. Avancer sans se hâter, certes, mais il ne faut ni s’égarer, ni abuser de la patience des lectrices – crainte qui revient de façon presque obsessionnelle dans la seconde partie48. Dans les premiers chapitres, il peut déclarer son irrésolution devant des questions controversées, comme celle que propose le titre du chapitre vi « Si les femmes steriles sont plus luxurieuses que celles qui font des enfans ». Ayant examiné les arguments des deux côtés, il adopte une position neutre, dans le but (peu courageux ?) d’éviter les foudres des critiques49. Mais nous ne sommes aucunement en présence d’un libre-penseur, attitude dangereuse évoquée en filigrane, peut-être, par le scepticisme médical de Montaigne50. Antoine Martin a bien compris que Montaigne fait valoir plutôt l’expérience individuelle, vécue, qu’il préfère à la doctrine médicale – sclérosée, confuse, bref trop universalisante, à son avis. En bon protestant, de Serres se fie toujours, en revanche, à la bonté divine ; ne pas trancher une question de société, somme toute peu importante, est un luxe qui sied bien à la sociabilité féminine. Mais lorsqu’il s’agit de débats médicaux – sujet auquel Montaigne réserve ses remarques les plus désobligeantes – de Serres se doit de parler en tant que praticien. Parfois, il se trouve du même côté de la barrière que l’auteur des 51Essais : c’est le cas pour la discussion de la ressemblance des enfants aux pères (et aux mères), sujet annoncé dès le titre du chapitre ii, 37 des Essais, et que de Serres reprend en traitant des femmes qui ne font que des filles51. Ceci ne l’amène pas, pourtant, à remettre en cause tout un système épistémologique.
Lecteur attentif des Essais, et notamment du chapitre ii, 37, quel rôle de Serres accorde-t-il donc à l’expérience ? La réponse est nuancée, car si le Discours laisse à l’expérience une place assez généreuse, il faudra néanmoins que l’autorité médicale l’accompagne. En ce qui concerne la saignée, nous retrouvons ainsi en binôme avec « l’expérience journaliere » les autorités anciennes et modernes, tels Galien et Mercado52. Pour de Serres, il n’y a rien d’étonnant à ce que les médecins anciens et modernes se soient laissés instruire par l’expérience53. Mais les patients peuvent-ils en faire autant, voire se connaissent-ils mieux – comme le prétend Montaigne – que ne le fait leur médecin ordinaire ? Selon de Serres, c’est à ce dernier que la femme doit toujours se référer ; il ne songe nullement à briser les rapports tissés en bonne et due forme entre médecins et patients. Et bien qu’il permette à ses lectrices de voir les deux côtés de certains débats médicaux – comme le lien très disputé entre la stérilité et les « fleurs blanches », où d’ailleurs l’expérience fait de nouveau son entrée pour étayer la thèse privilégiée par de Serres54 – il veut, avant tout, que les hommes de l’art sachent se débattre sans saper la confiance des patients :
À ces causes il faut que nous interpretions amiablement les opinions contraires des uns et des autres, à fin que la verité soit en evidence, et qu’on ne croye pas desormais que la Medecine soit une science pleine d’altercations et contradictions frivoles, et que les difficultez qui se rencontrent en icelle soyent 52de mesme nature que le nœud Gordien qu’Alexandre coupa avec son espée, ne le pouvant pas desnoüer55.
Est-ce là une réponse voilée aux accusations proférées par Montaigne dans II, 3756 ?
Comme homme de l’art, de Serres ne manque pas de donner ses propres conseils et remèdes qu’il juge fort utiles si une femme n’arrive pas à faire un enfant aussitôt qu’elle l’aurait voulu. Dans la seconde partie du Discours, il emploie par ailleurs une gamme de locutions pour donner des recommandations, ou même des ordres : « nous sommes d’advis de57… », « je leur donne pour advis58 », « il ne sera pas hors de propose qu’elles59 », ou, tout simplement, « qu’elles60… ». Nous nous souvenons que Montaigne reprochait aux médecins d’ajouter ou d’ôter toujours quelque chose aux recettes de leurs rivaux : de Serres n’aurait pas échappé à la critique dans ses chapitres xiv et xv, où il fait part de tous ses ingrédients préférés. Mais sans doute les lectrices ne lui en auraient-elles pas tenu rancune si ceux-ci accomplissaient leur but.
53JE NE DIS LES AUTRES…
Nous pensons avoir clairement établi l’importance des Essais comme source – ou parfois inspiration – du Discours. Sans prétendre avoir affaire à un ouvrage qui puisse rivaliser avec les Erreurs populaires, nous croyons que de Serres mérite d’être mieux connu en tant qu’auteur médical qui participait au courant de la sociabilité féminine. D’autre part, en approfondissant son Discours, nous sommes en mesure d’apprécier un nouvel élément du riche paysage de la réception des Essais au premier xviie siècle. De Serres n’a partagé ni la crainte d’un Camus de se laisser séduire par le style, ni la colère d’un Martin à l’égard de l’antimédicalisme de Montaigne. Conforté dans sa propre foi protestante, il puise librement dans les Essais les qualités stylistiques, une certaine approche qu’il admire, mais sans aucune trace d’un scepticisme philosophique ou médical qui puisse s’avérer dangereux. S’il déploie une connaissance approfondie du chapitre ii, 37, cela ne l’oblige pas, non plus, à suivre jusqu’au bout le fil de la pensée de Montaigne. Somme toute, le Discours témoigne d’une lecture des Essais beaucoup plus approfondie qu’on l’aurait soupçonné, et qui se prête au dessein d’un homme de l’art soucieux de se faire lire par des femmes (ou faudrait-il dire par des « dames » ?) lettrées. De Serres dit Montaigne surtout afin de plaire à ses lectrices. Dommage que même cette lecture – si en fait elle s’est accomplie – n’ait pas permis à la dédicataire du Discours de mettre au monde un petit héritier…
Valérie Worth-Stylianou
Trinity College, Oxford
1 Nous citons les Essais dans l’édition établie par Jean Balsamo, Michel Magnien et Catherine Magnien-Simonin, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 2007.
2 Sur les ouvrages de Paré et de Joubert, voir notre livre Les Traités d’obstétrique en langue française au seuil de la modernité. Des Divers travaulx d’Euchaire Rösslin (1536) à l’Apologie de Louyse Bourgeois sage-femme (1627), Genève, Droz, 2007, p. 135-140, 187-233. Pour une analyse de la stratégie éditoriale de Millanges, qui favorise les auteurs débutants en langue vulgaire, voir George Hoffmann, « Millanges, Simon » dans Philippe Desan (dir.), Dictionnaire Montaigne, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 1232-1236.
3 Nous laissons de côté le chapitre i, 29, dédié également à une femme (Diane d’Andoins, comtesse de Grammont), puisqu’il s’agit de la dédicace de l’œuvre d’autrui (les Sonnets de La Boëtie), ainsi que II, 12, adressée à une princesse sans nom (peut-être Marguerite de Valois).
4 V. Worth-Stylianou, Les Traités d’obstétrique…, op. cit., p. 21-54.
5 Œuvres du seigneur de Cholières, vol. II, Les Après-Dinées, Paris, Jean Richer, 1587.
6 Les Sérées, éd. C.-E. Roybet, vol. I-VI, Genève, Slatkine Reprints, 1969.
7 Voir A. Janier, « Les sources des Serées de G. Bouchet », dans Lionello Sozzi (dir.), La Nouvelle française à la Renaissance, Paris, Éditions Slatkine, 1981, p. 557-586 ; idem, « Les Serées (1584-1597-1598) du libraire-imprimeur poitevin. Guillaume Bouchet (1514-1594) », doctorat d’État, Paris IV, 1995 (thèse inédite).
8 Nous préparons une édition critique de ce texte. Pour les renseignements biographiques sur Louis de Serres (c. 1588-1656), voir la notice à https://www.huguenots-france.org/france/lyon/lyon17/ix53n0.htm [consultée le 23 août 2021].
9 La première édition en 1624 paraît chez Pierre Rigaud. L’ouvrage connaît au moins deux rééditions à Lyon (en 1626 et 1637).
10 François de Bonne, seigneur de Lesdiguières et du Glaizil (1543-1626), est un des grands militaires et chefs du parti protestant de la fin du xvie et début du xviie siècle. Il est nommé gouverneur de Grenoble (1591), conseiller d’État (1595), lieutenant général en Dauphiné (1597), puis maréchal de France (1609). Promu duc de Lesdiguières et pair de France en 1611, à la suite de sa conversion publique au catholicisme en 1622, il devient connétable de France et chevalier de l’ordre du Saint Esprit.
11 Charles de Blanchefort (1571-1636) épouse Françoise en 1623, trois ans après le décès de sa première femme, sœur aînée de Françoise. Ce mariage lui permet de conserver le droit au titre du duc de Lesdiguières et de le transmettre ensuite à son fils aîné (né de ses premières noces). Le mariage entre Françoise et Charles est donc une affaire de famille ; cependant, cette femme de 19 ans et l’époux de plus de 50 ans semblent avoir vécu assez mal ensemble, poursuivant chacun de son côté d’autres amitiés, ce qui explique peut-être l’absence de progéniture – même si de Serres n’y fait pas allusion !
12 Le travail de pionnier d’Olivier Millet, La Première Réception des Essais de Montaigne (1580-1640), Paris, Champion, 1995, ne cite pas le Discours de Louis de Serres.
13 Voir O. Millet, Première Réception…, op. cit., p. 18-22, et Mathilde Bombart, « La Parole et le Livre. Camus orateur et auteur selon le “Jugement des Essais de Michel de Montaigne” et la Conférence académique », xviie Siècle, no 251, 2011-2, p. 279-285.
14 « Réflexion sur la notion d’expérience. Un censeur méconnu de Montaigne, le médecin Antoine Martin », dans Violaine Giacomotto-Charra et Myriam Marrache-Gouraud (dir.), La Science prise aux mots. Enquête sur le lexique scientifique de la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 171-190.
15 Voir Dominique Brancher, « Médecins-Médecine », dans P. Desan (dir.), Dictionnaire Montaigne, op. cit., p. 1193-1199.
16 H. Baudry, « Réflexion sur la notion d’expérience », art. cité, p. 174.
17 Voir la riposte acerbe de Dominique Reulin à l’égard des Erreurs populaires (Contredicts aux erreurs populeres de L. Joubert, Montauban, Loïs Rabier, 1580). Reulin et Joubert sont tous les deux hommes de l’art, mais Reulin – catholique fervent – reproche surtout à son confrère protestant de révéler les secrets de la médecine au grand public, en langue vulgaire, et qui plus est, d’encourager un manque de respect envers les hommes de l’art en exposant des controverses qui devraient rester l’apanage des facultés de médecine.
18 V. Worth-Stylianou, Les Traités d’obstétrique…, op. cit., p. 193.
19 Cathleen Bauschatz et Philippe Desan signalent qu’il s’agit de la seule épître, et celle-ci est « bien distincte du reste du texte dans l’édition Millanges de 1580 », « Femmes » dans P. Desan (dir.), Dictionnaire Montaigne, op. cit., p. 732.
20 Conversation(s) figure dans I, 26, II, 8, et II, 37 ; entretien(s) dans II, 8, II, 37 (ainsi que dans III, 5 où il est question du langage employé par hommes et femmes pour parler de la sexualité).
21 « et les [femmes] blanches [peuvent estre] au contraire hargneuses, mal basties, et impertinentes en leur conversation particuliere », L. de Serres, Discours de la nature, op. cit., p. 47.
22 « à celle fin que les Dames trouvent en lisant ce livre quelque chose digne de leur entretien » ibid., p. 133.
23 Sur l’attitude (très discutée) de Montaigne envers les femmes, voir Mary McKinley, « Montaigne on Women » dans P. Desan (dir.), The Oxford Handbook of Montaigne, Oxford, OUP, 2016, p. 583-599. Soulignons, d’autre part, la distinction que fait Jean Balsamo entre « dames » et « femmes » : « C’est bien aux dames que Montaigne s’adresse dans son livre. Rien de moins caché que cette double relation, parler des femmes, s’adresser aux dames », J. Balsamo, La Parole de Montaigne. Littérature et humanisme civil dans les Essais, Turin, Rosenberg et Sellier, 2019, p. 113. J. Balsamo offre une appréciation du statut social de chaque dédicataire féminine, dont il juge que le « prestige éclaire par réfraction le livre de Montaigne » (ibid., p. 121).
24 « Mais nous voulons premierement alleguer les plus communs et experimentez [aliments et remèdes], puis nous parlerons de ceux qui ne sont que pour les grandes et illustres Dames, lesquels sont autant chers et rares comme efficacieux », L. de Serres, Discours de la nature, op. cit., p. 475.
25 « Et qu’elles prennent la promenade lente et douce pour exercice ordinaire. Ou si elles sont de la qualité requise, qu’elles se fassent porter ou en carrosse, ou en littiere, à fin de ne s’eschauffer pas d’avantage en marchant », ibid., p. 335.
26 Cf. la controverse autour des Erreurs populaires de Joubert. Voir Dominique Brancher, Équivoques de la pudeur. Fabrique d’une passion à la Renaissance, Genève, Droz, 2015, p. 301-328.
27 L. de Serres, Discours de la nature, op. cit., p. 2.
28 Ibid., chapitre ix.
29 Ibid., p. 2.
30 Ibid., p. 46.
31 « Or la haine que telles gens leur portent, ne provient pas tant de leur inclination naturelle, (car qui est celuy qui voulust haïr un autre soy-mesme ?) que d’une certaine mauvaise imitation, et instruction, laquelle ils ont puisée par traditive dans les escrits de ceux qui ont autres fois estalé toutes leurs imperfections sur le theatre du monde, entre lesquels nous pouvons mettre Socrate, Platon, Aristote, Diogene, la Montaigne, André Tiraqueau Jurisconsulte celebre, qui les a serieusement deschiffrées en son livre des loix du Mariage, et du droict des / [53] maris : et encore plus un certain Poëte moderne sans nom, qui nous a laissé des Sizains comme un abbregé et un epitome de toutes les injures et maledictions (Maranatha) qui se peuvent excogiter à l’encontre d’icelle », ibid., p. 52-53.
32 Ibid., p. 119.
33 « Je n’ay pas plus faict mon livre, que mon livre m’a faict. Livre consubstantiel à son autheur : D’une occupation propre : Membre de ma vie » (II, 18, 703).
34 L. de Serres, Discours de la nature, op. cit., p. 122.
35 Ibid., p. 129.
36 « que s’ils viennent en aage de consistence, soit qu’ils ayent passé par la ferule, ou non, ce ne sont que garnemens, vray maistres, ains tyrans de leurs desirs, vrays enfans perdus, et monstres de Nature, vrays aspics qui bouchent l’oreille à tout bon advertissement, et qui mordent, voire tuent à toute heure ceux qui les ont eslevez, par leur vie malheureuse et desordonnée », ibid., p. 128-129.
37 « J’ay, de ma part le goust estrangement mousse à ces propensions, qui sont produites en nous sans l’ordonnance et entremise de nostre jugement. Comme, sur ce subject, duquel je parle, je ne puis recevoir cette passion, dequoy on embrasse les enfans à peine encore naiz, n’ayants ny mouvement en l’ame, ny forme recognoissable au corps, par où ils se puissent rendre aimables : et ne les ay pas souffert volontiers nourrir près de moy » (II, 8, 426).
38 L. de Serres, Discours de la nature, op. cit., p. 126.
39 Ibid., p. 11.
40 Ibid., p. 16.
41 « Certes il ne se faut pas estonner si la plus-part des maris à qui naissent beaucoup de filles, et point d’enfans masles, font des chevaux eschappez durant quelques jours apres l’accouchement de leurs femmes », ibid., p. 60.
42 Ibid., p. 260.
43 « Considérant la conduite de la besongne d’un peintre que j’ay, il m’a pris envie de l’ensuivre. Il choisit le plus bel endroit et milieu de chaque paroy, pour y loger un tableau élabouré de toute sa suffisance ; et, le vuide tout autour, il le remplit de crotesques : qui sont peintures fantasques, n’ayans grace qu’en la varieté et estrangeté. Que sont-ce icy aussi à la verité que crotesques et corps monstrueux » (I, 28, 189).
44 L. de Serres, Discours de la nature, op. cit., p. 121.
45 Ibid., p. 258.
46 Ibid., p. 63.
47 Par exemple, dans le chapitre ii, il cite les arguments principaux de ceux qui croient que les belles femmes sont plus souvent stériles avant d’y répondre systématiquement : « Or maintenant c’est à nous à contreluitter et abattre les argumens prealleguez […] Et premierement respondans au premier […] Venons à leur seconde raison […] Pour leur troisiesme raison […] La quatriesme raison qu’ils advancent […] Finalement nous respondons à leur dernier argument … », ibid., p. 29-45.
48 « Plusieurs autres autheurs alleguent encore beaucoup d’autres causes, mais nous ne les voulons pas recenser pour le present, à fin de couper court » (ibid., p. 391) ou « de la curation et remedes desquelles nous avons amplement discouru au chapitre precedent ; de sorte que ce seroit importunément abuser de la patience des Dames, de redire si souvent une mesme chose » (ibid., p. 401).
49 « Quant à moy, pour la decision de cette question, je suis resolu de la laisser quasi comme indecise et indefinie, et me tenir neutre et indifferent entre l’un et l’autre parti : de peur que me faisant cognoistre passionné, ou pour l’un ou pour l’autre, il ne m’en arrive autant de mal qu’il en arriva jadis à Tiresias le divin, ou qu’à Paris Alexandre, qui pour avoir adjugé la pomme d’or à la Deesse Venus, au mespris des deux autres, qui estoyent en sa compagnie, il entraina quant et foy la ruine de sa maison, de son païs, et quasi de toute l’Asie », ibid., p. 141-142.
50 Sur les liens entre les incertitudes médicales qui sont évoquées à côté du scepticisme théologique dans l’« Apologie de Raymond Sebond », voir D. Brancher, dans P. Desan (dir.), Dictionnaire Montaigne, op. cit., p. 1195-1197.
51 L. de Serres, Discours de la nature, op. cit., p. 65-68. C’est, d’ailleurs, le cas pour la femme de Montaigne, qui avait donné naissance à six filles (dont Montaigne inscrit les dates de naissance dans son Beuther).
52 « Car Galien, et l’experience journaliere, veulent qu’on ouvre la veine aux personnes jeunes et oppilées (si les forces y sont) encore qu’il y aye en elles peu de plenitude », L. de Serres, Discours de la Nature, op. cit., p. 314. Et « Joint que l’experience journaliere nous apprend (outre l’authorité des plus doctes, et notamment de Mercado) que la saignée n’est pas moins utile à telles femmes pour la retention et maturité de leur fruict », ibid., p. 415.
53 « voila pourquoy nos Autheurs, tant vieux que modernes, ont esté contraints de recourir à l’experience, comme estant la maistresse des choses, et la plus asseurée guide pour nous conduire à la vraye cognoissance [des marques des maladies] », ibid., p. 284.
54 Ibid., p. 246-253.
55 Ibid., p. 246-247.
56 Notamment à l’égard de l’observation suivante : « Car il advient de cette faute, que leur irresolution, la foiblesse de leurs argumens, divinations et fondements, l’aspreté de leurs contestations, pleines de haine, de jalousie, et de consideration particuliere, venants à estre descouvertes à un chacun, il faut estre merveilleusement aveugle, si on ne se sent bien hazardé entre leurs mains. » (II, 37, 809)
57 « Quant aux premiers [remedes internes], nous sommes d’advis de leur communiquer la description d’une excellente opiate », L. de Serres, Discours de la nature, op. cit., p. 320.
58 « Quant à leurs exercices, je leur donne pour advis qu’elles ayent à se garder de tous ceux qui sont violens », ibid., p. 335.
59 « Il ne sera pas aussi hors de propos qu’elles se fassent oindre la region des reins et des lombes, avec le liniment suyvant, qui est amiable et mediocrement refrigeratif », ibid., p. 344.
60 « Qu’elles soyent vestues à la legere, proportionnément toutesfois, et suyvant la saison ; que leurs robbes ne soyent point serrées, et estroittes, à fin de n’empescher l’accroissement du ventre. Qu’elles fassent treves avec leurs marys, de cause que la guerre ne soit cause des troubles. Qu’elles evitent toute occasion de vomir et de toussir ; et si leurs moys coulent par trop (ce qui arrive le plus souvent ou par plenitude, ou par irritation d’humeurs) qu’elles appellent leurs medecins, à fin qu’ils pourvoyent selon l’occurrence. Item qu’elles fuyent toute frayeur, crainte, pleurs, fascheries, tristesses, cholere, et autres telles affections de l’ame », ibid., p. 413.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12975-2
- EAN : 9782406129752
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12975-2.p.0037
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/03/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : médecine, femmes, conversation, Joubert, De Serres