Les enjeux juridiques du terme de « conférence » (III, 8)
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2017 – 1, n° 65. varia - Author: Geonget (Stéphan)
- Pages: 49 to 64
- Journal: Bulletin for the International Society of Friends of Montaigne
Les enjeux juridiques du terme
de « conférence » (III, 8)
Il s’agit ici essentiellement de revenir sur l’emploi d’un seul et unique terme, celui de « conférence1 » dont le sens semble tellement obvie (qui ne sait ce qu’est une conférence ?) qu’il ne mérite apparemment pas d’être interrogé dans son contexte d’époque et particulièrement dans le contexte spécialisé qui lui donne un de ses sens essentiels, la langue des juristes du temps, approche dont André Tournon a montré, il y a quelques décennies, la grande pertinence et l’efficacité heuristique sans pareille. Cette méconnaissance conduit parfois à des approximations et à passer à côté d’une dimension importante du texte. Or il nous semble que ce mot de « conférence » est, comme assez souvent chez Montaigne, ce qu’on pourrait appeler un « faux ami ». Conférer, ce n’est pas d’abord, ce n’est pas avant tout un exercice socratique ou un exercice spirituel ou l’art de la conversation (comme cela a pu être dit récemment par un certain professeur au Collège de France2). Non « conférer » c’est en réalité faire un acte juridique assez particulier.
Comme tout cela n’a sans doute rien d’évident nous commencerons par une mise en perspective et par un détour par les lexiques spécialisés du temps et par des questions techniques qui agitent l’époque et qui ont un rapport direct, nous semble-t-il, avec le texte montaignien. Nous en viendrons ensuite dans un second temps à la mise en scène problématique par Montaigne de ce projet de conférence qui préoccupe nombre de ses contemporains et, dans le même temps, à la mise en question par Montaigne de « la volubilité de notre esprit détraqué3 ».
50Qu’est-ce donc que conférer ?
Les juristes lettrés de la fin du xvie siècle, classe sociale à laquelle appartient le magistrat qu’est Montaigne, sont engagés depuis un siècle et demi au moins dans un projet, encouragé par les différents rois de France – que l’on pense notamment à la fameuse ordonnance de Montil-lez-Tours de Charles VII (1454) ou aux encouragements de Louis XI4 – de simplification et de clarification du corpus juridique ; l’on n’ose dire engagés dans un projet de création d’un « droit national » tant celui-ci est encore à la fin du xvie siècle un horizon lointain. Comme on le sait, il faudra attendre 1804 et Napoléon pour qu’un Code civil digne de ce nom soit enfin promulgué dans le pays.
Au xvie siècle ce droit unifié n’existe pas, ce qui n’empêche tout de même pas certains auteurs, contemporains de Montaigne de prétendre mettre en place un véritable « droit civil » français. C’est le cas par exemple du juriste lettré Louis Le Caron, mais en fait de droit national, son travail n’est jamais en définitive que la réalisation d’une « coustume reformee et redigee par escrit de la ville de Paris5 », livre publié en 1582, au moment même où Montaigne republie ses Essais pour la première fois.
Bref, en réalité ce qui fait droit en cette fin de xvie siècle ce sont des droits valables, non sur l’ensemble du territoire national (comme c’est le cas aujourd’hui) mais des règles diverses, contradictoires et tributaires des régions et des ressorts de tel ou tel parlement. Pascal, grand lecteur de Montaigne le dit à sa façon : « plaisante justice qu’une rivière borne » et Montaigne ne force finalement qu’assez peu le trait quand il déclare au début du dernier essai, « De l’expérience » que
51[…] nous avons en France, plus de lois que tout le reste du monde ensemble : et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicurus, ut olim flagitiis sic nunc legibus laboramus […]6.
Le juriste lettré François Hotman, contemporain lui aussi de Montaigne, dit des choses assez semblables à propos de l’état juridique de la France. Le droit de son temps est, à le croire, une masse assez informe de règles contradictoires et il faut être un étudiant un peu fou pour entreprendre de telles études !
Cependant on peut juger par ce discours, si c’est grand felicité aux hommes de maintenant, de consumer la fleur de leur aage en l’estude de ces livres, veu que la plus grand partie d’iceux ou est du tout remplie de desordre & confusion, ou est farcie de contrarietez & antinomies, ou est entachee de fautes & erreurs, ou est revoquee en doute & en dispute par les corrections & changemens qui s’y font ordinairement7.
Il faut sans doute faire sa part à la polémique dans ce propos mais il y a, c’est certain, un vrai désordre normatif dans cette France du xvie siècle.
Regardons plus en détail. Le droit français se fonde alors sur quatre sources essentielles, les ordonnances et édits du roi, les jurisprudences des différents parlements, les coutumes des différentes régions (ou micro-régions) de France et le Corpus juris civilis. Cette compilation du droit romain réalisée par Tribonien sur l’ordre de l’empereur Justinien a un statut assez particulier et n’est en fait que « raison » de droit en France, la loi romaine n’ayant pas cours dans ce royaume. Cela dit, le prestige de cette œuvre est tel qu’on ne peut pas aisément faire l’économie de ses enseignements et tout étudiant en droit commence nécessairement par cet apprentissage, ce que regrette amèrement le juriste François Hotman8 dont je parlais à l’instant. Les trois 52autres sources – les édits, les jurisprudences et les coutumes – sont l’objet d’une attention soutenue de la part des juristes du temps, attention qui vise bien entendu à corriger les corpus (enjeu philologique) mais surtout à simplifier et à homogénéiser les pratiques normatives. Ce qui importe en effet aux juristes du temps – le travail de cette génération finalement – c’est de mettre en évidence une norme unique.
La toute première étape du processus ne nous concerne pas tellement. Elle commence à la fin du xve siècle, il s’agit de la mise par écrit des coutumes qui, comme on le sait, sont par nature orales (mais comment harmoniser des coutumes orales ?). Cette mise par écrit se poursuit durant tout le xvie siècle et aboutit à rendre encore plus manifeste la diversité des solutions juridiques préconisées, par exemple, dans le Bourbonnais, en Berry ou en Touraine. Vient alors le second temps, celui de l’harmonisation, laborieuse entreprise qui vise à faire converger patiemment les coutumes locales vers une seule coutume (elle-même éclairée par une jurisprudence qui serait enfin unifiée). Cela passe par trois opérations principales : corriger le droit (corrigere), « réduire » les différences (reducere) et réformer les lois et les coutumes (reformare) à partir d’une norme perçue par tous comme plus équitable. Il faut donc « recueillir » les règles existantes, les collationner et réduire cette infinie diversité à un ensemble de règles simples et claires. Louis Le Caron formule ainsi ce vœu au terme de son premier livre des Pandectes :
Pour conclusion seroit grand heur à la France, si toutes les loix, ordonnances, & coustumes, desquelles usent les François tant du pays coustumier que de droit escrit, & celles principalement, qui sont necessaires à la societé humaine, & administration de la justice, estoyent recueillies & reduites en un certain & commun droit par reigles & propositions generales. Car encores que les particularitez des pays, qui ont introduit les diversitez de coustumes ne permettent qu’en tous articles, ils soyent rengez sous une mesme loy : toutesfois elles ne peuvent empescher que le Roy qui est souverain en son Royaume ne face & ordonne pour l’universel d’iceluy, un droict commun & perpetuel : comme les Empereurs Romains auroyent fait en l’Empire, qui contenoit sans comparaison plus de provinces & pays que la France9.
Voilà donc l’œuvre, voilà le projet, faire émerger « un droit commun et perpétuel ». Louis Le Caron n’est pas le seul à penser de la sorte. Comme le note justement l’historienne du droit Anne Rousselet-Pimont, les 53cahiers de doléances des États généraux se font de la même façon « l’écho de l’aspiration générale à un droit unifié et simplifié10 ». C’est en fait comme l’a bien vu René Sève, « l’idée d’une coutume-type obtenue par comparaison et élimination des différences [qui] se dégage peu à peu11 ».
Ce qu’il faut noter c’est que ce désir d’harmonisation des normes rencontre à ce moment-là de l’histoire (ce qui n’est pas surprenant puisqu’il en émane directement) l’émergence de la conscience qu’ont les Français d’appartenir à une seule nation française avec Paris pour capitale. C’est ce dont témoigne notamment l’Oratio de concordia et unione consuetudinum Franciae que publie en 1546 le juriste Charles Dumoulin. Très significativement l’auteur y affirme dans le même temps l’unité du peuple et du territoire français (une seule « Province ») et la très nécessaire mise en conformité des normes :
Sed dico primo, omnem populum Gallicum unum esse populum, & olim unicam fuisse Provinciam, quantumcumque latissimam ut in lib. 1 Comment. Julii Caesaris12.
Le lieu de la réflexion s’est, on le voit, déplacé de la région au pays. Du même coup, la diversité des jugements qui était – relativement – admissible avec une diversité de pays devient inacceptable car, comme le note Charles Dumoulin, la multiplicité et la diversité des normes fait immédiatement surgir pour un même territoire des antinomies insupportables aux juristes ou, pour le dire avec le terme technique de l’époque, de la « perplexitas » (c’est-à-dire dans le langage actuel des antinomies13) :
Neque enim multiplicatione Legum aut Constitut. lites cohibentur, sed magis irritantur, ut notum est, & docuit experientia, & multo minus earum perplexitate ; sed simplicitate, aequitate & claritate Legum14.
54Bref, il est urgent selon lui de procéder à une harmonisation :
Mihi quoque videtur nihil aptius, nihil efficacius ad plures provincias sub eodem imperio retinendas et fovendas, nec fortius nec honestius vinculum quam communio et conformitas eorundem morum legumve utilium et aequabilium15.
Si nous ne sommes qu’un seul peuple, alors il ne nous faut plus qu’un seul droit16.
Le projet d’unification progressive du droit a, comme nous avons l’occasion de le dire, une longue histoire avant Montaigne mais il garde toute son actualité à la fin du xvie siècle. Les entreprises se multiplient pour concilier les édits comme pour simplifier les jurisprudences. Les choses sont assez connues désormais mais nous ne pouvons pas ne pas mentionner le nom de Jean Papon, auteur du premier recueil d’arrêts notables en français des cours souveraines de France17, travail qui vise clairement à faire naître une jurisprudence commune et à l’imposer à tous les parlements, projet qui provoque l’ironie de François Hotman car il met selon lui en réalité au grand jour et exhibe les différences entre les jurisprudences particulières :
Et qui plus est, que non seulement les Parlemens jugent & prononcent arrests tous contraires les uns aux autres, dont aussi l’on void d’assez belles enseignes au recueil qui en est imprimé au grand deshoneur desdits Parlemens […]18.
Il va sans dire que dans ce processus le parlement de Paris a une place particulière. Plus éclairé que les modestes parlements de province, plus informé qu’eux de la réalité du droit et sans doute plus inspiré directement par l’équité (qui, comme chacun sait a élu domicile sur les quais 55de la Seine), il jouit d’un statut symbolique de plus en plus nettement supérieur aux parlements comme celui de Grenoble, de Bordeaux ou de Rennes. C’est donc en réalité assez souvent la solution parisienne qui prévaut dans les cas de divergence. En ce qui concerne la coutume, le projet politique est le même, parvenir à terme à une simplification et à une unification des différentes coutumes du royaume.
Or ce processus de collation, de comparaison et de correction des normes prend dans la seconde moitié du xvie siècle un nom particulier, un nom qui n’est pas sans rapport avec le texte aujourd’hui au programme, le nom tout simplement de « conférence ». Conférer en cette fin de xvie siècle, et a fortiori pour un magistrat comme Montaigne, ce n’est pas tant faire se rencontrer des opinions, des avis contradictoires et débattre que procéder au rapprochement des textes juridiques et à leur harmonisation. Parvenir à une belle conférence est ainsi le projet que s’assigne le juriste Pierre Guénois qui publie en 1596 La Conference des coustumes tant generales, que locales et particulieres du royaume de France et en 1607 La Conférence des ordonnances royaux. Ces textes sont repris et deviennent La Grande conférence des ordonnances et edicts royaux, texte augmenté et republié à une dizaine de reprises au xviie siècle. C’est aussi l’ambition du juriste Jean Duret, autre contemporain de Montaigne dont l’Alliance des loix romaines avec le droit francois contenu aux ordonnances des rois, arrests des cours souveraines et coustumes provincialles19 ne propose rien moins que de mener à bien – entreprise de conférence titanesque – la conciliation suprême entre les quatre principales sources de droit :
Madame, Apres que les troubles se sont assez joüé des subjects, et que par la prudence invincible du Roy heureusement regnant ils ont faict retraicte, il m’est advenu de jetter les yeux sur les loix de l’Empire, et leurs interpretes commodes à l’usage François, aux Edicts du Monarque, et aux jugemens souverains, pour sonder s’i j’en pouroy retirer quelques semblables. L’issüe m’a faict oblier les peines employees à la recherche, pour le contentement qu’il y a de se representer les varietez des coustumes : (les unes adjoustans ce que les autres ont oblié, et s’aidant mutuellement d’exposition) : de considerer où le droict Romain a faict quartier : de veoir les ordonnances, censurant les deux à l’occasion : et de s’instruire aux arrests des Cours souveraines (signamment de la Parisienne, autant differente des autres, que le Soleil paroist pardessus les feuz Celestes) qui attretempent d’équité les loix trop severes, et reforment 56la part des coustumes, que les compilateurs peu curieux ou que les mœurs barbares d’alors avoyent laissé glissé, ou volontairement accordé20.
Quelques décennies plus tôt ce même Jean Duret publie en 1574 L’Harmonie et conference des magistrats romains avec les officiers françois, tant laiz que ecclesiastiques (Lyon, B. Rigaud, 1574). Il s’agit là encore de rapprocher les états et les dignités antiques et actuelles pour en faire surgir les convergences. Ce terme de « conférence », relativement récent dans cet emploi au moment où Montaigne écrit son essai, reste dans la langue juridique et traverse les siècles. L’on publie par exemple en 1807 L’esprit des Institutes de l’empereur Justinien conféré avec les principes du Code Napoléon (Paris, Renaudière et Gardery).
Montaigne est bien évidemment au courant de cette actualité éditoriale, qui concerne très directement son métier de magistrat et du sens exact de ce terme. Le mot de « conférence » n’a donc pas prioritairement pour lui le sens philosophique qu’on lui prête spontanément aujourd’hui. Conférer, c’est d’abord rapprocher des articles, des points litigieux (dans le monde du droit mais aussi de la politique) et tomber d’accord sur une interprétation commune. C’est donc un travail tout ce qu’il y a de plus difficile et sérieux, celui qui vise à l’élaboration d’une norme commune ou comme le dit Jean Duret, à une « harmonie ». Conférer c’est en définitive chercher à produire de l’unité.
Les difficultés
On se doute que pour Montaigne, un tel projet présente quelques sérieuses difficultés et que ce souhait de clarification, de simplification et d’harmonisation du droit français, tout sympathique qu’il est, a quelque chose d’un peu naïf. Montaigne le dit d’ailleurs sans ambages dans un passage du chapitre 13. Il le fait en utilisant précisément en 1588 ce terme de « conférence », terme qu’il traduit par celui de « ressemblance », moins immédiatement reconnaissable, sur l’Exemplaire de Bordeaux. C’est d’ailleurs un usage assez constant chez lui que de 57chercher un équivalent aux termes trop techniques (de la même façon il traduit le plus souvent par « embrouilleure » le terme de « perplexité »). Sans doute ces termes « artistes », comme dirait Montaigne, c’est-à-dire employés avec un sens particulier par un corps de métier quelconque, sentent-ils un peu trop à son goût leur école ou plutôt, en l’occurrence, leur parlement) :
Mais la vérité est chose si grande, que nous ne devons dédaigner aucune entremise qui nous y conduise. La raison a tant de formes que nous ne savons à laquelle nous prendre. L’expérience n’en a pas moins. La conséquence que nous voulons tirer de la [1588 : conférence] [EB : ressemblance] des événements est mal sûre, d’autant qu’ils sont toujours dissemblables21.
Conférer des singuliers, rapprocher par exemple des lois ou des coutumes entre elles, voire des coutumes avec des jurisprudences c’est prendre un risque énorme, celui qu’explicite précisément tout l’essai 13. C’est croire avec une présomption vraiment insupportable, que l’on peut brider par des règles générales la « variation des exemples22 » et la multiplication infinie des occurrences. Quelle prodigieuse naïveté !
C’est aussi bien souvent, en s’échauffant dans la discussion, chercher à faire prévaloir une solution, tout simplement parce que c’est la sienne et qu’on souhaite tout bonnement avoir raison pour le plaisir vain de triompher dans le débat23. Pour cela, l’on est prêt à tout, même à fausser la vérité :
[Q]uiconque croit quelque chose, estime que c’est ouvrage de charité, de la persuader à un autre : Et pour ce faire, ne craint point d’ajouter de son invention, autant qu’il voit être nécessaire en son conte, pour suppléer à la résistance et au défaut qu’il pense être en la conception d’autrui24.
Montaigne lui-même se reconnaît sujet à ce mal :
58Moi-même qui fais singulière conscience de mentir : et qui ne me soucie guère de donner créance et autorité à ce que je dis : m’aperçois toutefois aux propos que j’ai en main, qu’étant échauffé ou par la résistance d’un autre, ou par la propre chaleur de la narration, je grossis et enfle mon sujet par voix, mouvements, vigueur, et force de paroles, encore par extension et amplification, non sans intérêt de la vérité naïve25.
L’expérience quotidienne l’apprend à chacun, nous avons tendance à faire corps avec notre discours, à nous « embesogner » au point de chercher à le défendre comme s’il s’agissait de nous-même :
On exaspère le mal par la jalousie du débat : Nous voyons, des propos communs, que ce que j’aurai dit sans soin, si on vient à me le contester, je m’en formalise, je l’épouse : Beaucoup plus ce à quoi j’aurais intérêt26.
Somme toute, ce que produit la conférence c’est moins un accord progressif que l’exhibition de plus en plus manifeste de ce qu’elle cherche à résoudre, c’est-à-dire des divergences :
L’un va en orient, l’autre en occident. Ils perdent le principal, et l’écartent dans la presse des incidents. Au bout d’une heure de tempête, ils ne savent ce qu’ils cherchent : l’un est bas, l’autre haut, l’autre côtier27.
Et quand bien même on ferait fi de ce que l’expérience nous enseigne, la norme juridique finalement retenue et mise en avant au terme du travail de conférence est-elle vraiment la meilleure ? Quand on compare deux coutumes, deux édits ou deux jurisprudences, quand on les met côte à côte afin de les harmoniser, qui croit vraiment, questionne Montaigne, qu’on choisit à la lumière de la plus pure équité, la plus juste des deux ? Sur ce point, le décalage est considérable avec ce qu’écrivent les juristes lettrés contemporains, aussi bien d’ailleurs le catholique Louis Le Caron que le protestant François Hotman. Qu’on juge de la différence qui existe entre les propos de ces deux lettrés et ceux de Montaigne (que nous citerons ensuite). Louis Le Caron affirme ainsi pour sa part :
Ceste raison a meu souvent les Commissaires deputez par le Roy à la reduction & reformation des coustumes, de corriger & reformer par l’advis des estats du pays, ou de la plus-grand part d’iceux, plusieurs articles des vieilles 59coustumes, qui sembloyent estre plus-tost introduicts par erreurs & vaines opinions, que par raison28.
François Hotman ne croit pas autre chose. Il préconise tout comme Louis Le Caron et comme beaucoup d’autres d’ailleurs la mise en place d’une « conférence » des règles juridiques, conférence qui tirerait partie des meilleurs principes du Corpus juris civilis, des règles des livres saints mais aussi et surtout de cette si belle équité naturelle, à laquelle tous les hommes du monde
tant de ceux qui furent devant Moyse, que ceux qui sont venus par apres, & viendront encores apres nous, ont esté, sont & seront par droit de nature assujettis29.
Par la pratique de la conférence, il doit être selon lui facile de parvenir enfin à un texte bref, clair et sans perplexités, bref à un texte entièrement homogène et univoque :
[A]pres une telle conference & rapport il s’ensuivroit que les deputez dresseroient un ou deux beaux volumes en langage vulgaire & intelligible, tant du droit public, qui concerne les affaires d’Estat & de la Couronne, que de toutes les parties du droit des particuliers […]30.
Pour parvenir à ce superbe résultat (deux livres pour remplacer des bibliothèques entières, c’est tout de même assez formidable31), il suffit selon 60François Hotman de nommer des hommes compétents, honnêtes et vertueux (comme lui peut-être ?) qui en se réunissant formeraient une commission ad hoc. Voilà le souhait qu’il formule explicitement dans les dernières pages de son livre et qu’il adresse tout particulièrement à Michel de L’Hospital :
[I]l seroit fort aisé (ce me semble) & principalement en ce tems qu’il a pleu à Dieu nous prester un Solon en nostre France, qui est ce grand Michel de l’Hospital, d’assembler un nombre de Jurisconsultes, ensemble quelques hommes d’Estat, & autant des plus notables Advocats & Praticiens de ce Royaume, & à iceux donner charge […]32.
Il va sans dire que pour Montaigne, rien de tel n’est envisageable. Tenir ce discours est même d’une prodigieuse naïveté. Ce qui dans la réalité des faits, dans la pratique concrète des conférences, c’est-à-dire dans la pratique concrète de ces commissions d’harmonisation décide finalement de la meilleure solution juridique, ce n’est pas du tout l’équité – sur laquelle d’ailleurs les hommes ne parviennent pas à se mettre d’accord – c’est bien plus simplement le rapport de force du moment, et en réalité le poids dans l’institution du juriste grave qui la profère ou, pire encore, la proximité plus ou moins grande que ce juriste entretient avec les puissants du moment33. Ce n’est pas donc pas du tout celui qui a la meilleure solution juridique qui l’emporte ni celui qu’inspirent les pensées les plus équitables. C’est bien plutôt celui qui a le rang le plus élevé, celui qui porte l’hermine la plus blanche ou la robe la plus rouge. Montaigne écrit :
Comme en la conférence : la gravité, la robe et la fortune, de celui qui parle, donne souvent crédit à des propos vains et ineptes : il n’est pas à présumer, qu’un monsieur, si suivi, si redouté, n’ait au-dedans quelque suffisance autre que populaire, et qu’un homme à qui on donne tant de commissions, et de charges, si dédaigneux et si morguant, ne soit plus habile que cet autre, qui 61le salue de si loin, et que personne n’emploie. Non seulement les mots, mais aussi les grimaces, de ces gens-là, se considèrent et mettent en compte : chacun s’appliquant à y donner quelque belle et solide interprétation34.
Gravité, robe et fortune, voilà en définitive ce qui compte quand on confère les règles entre elles. Si telle solution juridique prévaut finalement, c’est bien parce que celui qui la propose est « commissaire du roi » et qu’il est par le fait même juriste « grave », c’est-à-dire, selon l’étymologie, juriste de poids35.
Et si par malheur un juriste de moindre reconnaissance en arrive à vouloir vraiment débattre avec celui qui a le prestige d’une place enviable, si le groupe de ceux qui confèrent entreprend alors un examen attentif et honnête des textes, bref si l’exercice intellectuel a vraiment lieu alors le pot aux roses apparaît bien vite. Ces « messieurs » si nobles, si altiers et si fiers sont alors des hommes, aussi vains et aussi ineptes que les autres et dont la morgue et l’arrogance sociale fait en réalité toute la compétence juridique. La conférence n’est en fait donc qu’un marché de dupes, une mise en scène qui ne trompe que les sots :
S’ils se rabaissent à la conférence commune et qu’on leur présente autre chose qu’approbation et révérence, ils vous assomment de l’autorité de leur expérience : ils ont ouï, ils ont vu, ils ont fait, vous êtes accablés d’exemples36.
Une fois rendus au statut commun ces hommes paraissent ce qu’ils sont en réalité :
62Est-ce lui, fait-on ? n’y savait-il autre chose quand il y était ? Les Princes se contentent-ils de si peu ? nous étions vraiment en bonnes mains37.
Cela n’empêche évidemment pas que dans l’idéal, il faudrait disposer d’un droit meilleur. Montaigne est d’ailleurs tout prêt à concéder que l’esprit humain, tout « détraqué » qu’il est, a produit et produit chaque jour en fait de normes des monstruosités innombrables. Que de coutumes iniques dans n’importe quelle province de France ! Il le dit avec force, par exemple, dans « De la vanité » :
La nécessité compose les hommes et les assemble. Cette couture fortuite se forme après en lois. Car il en a été d’aussi farouches qu’aucune opinion humaine puisse enfanter, qui toutefois ont maintenu leurs corps, avec autant de santé et longueur de vie, que celles de Platon et Aristote sauraient faire38.
En revanche l’idée qu’on puisse parvenir à une véritable réformation (par le moyen de la conférence ou par un autre quelconque) lui semble être, je crois, une pure illusion. Comme l’avait bien noté Jean-Yves Pouilloux, sans penser au sens juridique du terme, la conférence ne parvient jamais à produire chez Montaigne l’unité escomptée. Elle sert bien plutôt – ce qui n’est certes pas un mince résultat mais qui n’est tout de même pas du tout le résultat attendu – à établir le registre des désaccords :
[La technique de la conference] ne vise pas à réfuter des thèses mais elle se borne plutôt à enregistrer (je raconte, je recite) des perplexités, à conserver la trace d’une méditation (la chasse, et non la prise)39.
Le titre de l’essai a donc quelque chose de profondément ironique. L’art de conférer c’est précisément l’art de ne pas parvenir à la conférence, c’est-à-dire à cette unité et à cette résolution finale.
Cela est impossible d’abord parce qu’il ne s’agit évidemment pas de construire un édifice juridique neuf mais de faire avec des hommes déjà formés et déjà accoutumés à un système quelconque :
Telle peinture de police serait de mise en un nouveau monde, mais nous prenons les hommes obligés déjà, et formés à certaines coutumes. Nous ne les 63engendrons pas comme Pyrrha ou comme Cadmus. Par quelque moyen que nous ayons loi de les redresser, et ranger de nouveau, nous ne pouvons guère les tordre de leur pli accoutumé, que nous ne rompons tout. On demandait à Solon, s’il avait établi les meilleures lois qu’il avait pu aux Athéniens : Oui, bien, répondit-il, de celles qu’ils eussent reçues40.
Le « nous » de cette citation englobe aussi le magistrat qu’est Montaigne. La coutume est mauvaise, la jurisprudence de tel ressort est injuste mais « nous » n’avons pas les moyens de les corriger. Détordre le pli « accoutumé », c’est-à-dire celui que la coutume a fait naître, est bien au-delà de nos capacités. Ne pas tenir compte de cela et réformer au nom de l’équité c’est prendre le risque énorme de mettre en péril l’édifice tout entier. D’où ce magnifique passage du chapitre 13 :
Or les lois se maintiennent en crédit, non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont lois. C’est le fondement mystique de leur autorité. Elles n’en ont point d’autre. Qui bien leur sert. Elles sont souvent faites par des sots. Plus souvent par des gens qui en haine d’équalité ont faute d’équité. Mais toujours par des hommes : auteurs vains et irrésolus. Il n’est rien si lourdement fautier que les lois, ni si ordinairement. Quiconque leur obéit, parce qu’elles sont justes, ne leur obéit pas justement par où il doit. Les nôtres françaises prêtent aucunement la main, par leur dérèglement et déformité, au désordre et corruption qui se voit en leur dispensation, et exécution41.
Ainsi considérée la législation positive n’est plus qu’un système de régulation. Elle ne dit pas ce qui est juste même si elle y prétend peut-être par le simple fait qu’elle existe et même si elle le prétend certainement aux yeux des naïfs.
Au lieu d’essayer de mettre en place un système juridique complet et homogène – par exemple par cette folle entreprise qu’est la pratique de la conférence – mieux vaudrait sans doute agir plus rondement et faire comme ces peuples rustiques des montagnes (paronomase d’ailleurs du nom de Montaigne) eux qui jugent sur l’instant, sans aucun souci des exemples passés et sans le stupide espoir de faire ensuite jurisprudence :
En voilà, qui pour tous juges, emploient en leurs causes le premier passant, qui voyage le long de leurs montagnes : Et ces autres, élisent le jour du marché, quelqu’un d’entre eux, qui sur-le-champ décide tous leurs procès. 64Quel danger y aurait-il, que les plus sages vidassent ainsi les nôtres, selon les occurrences, et à l’œil : sans obligation d’exemple et de conséquence. À chaque pied son soulier42.
Voilà qui pourrait être d’ailleurs une bonne définition de l’essai, une pesée (exagium) provisoire qui à un instant donné indique ce qui semble être le juste, sans garantie pourtant ni sans prétention surtout de passer en norme universelle.
Conférer dans l’espoir vain de parvenir à une vérité tout aussi unique que définitive est au mieux une illusion, au pire une mascarade destinée à imposer son pouvoir. Les Essais sont la manifestation constante, dans leurs contradictions mêmes, de la vanité de ce projet. « Moi asteure et moi tantôt sommes bien deux. Mais quand meilleur, je n’en puis rien dire. Il ferait beau être vieil si nous ne marchions que vers l’amendement43 ». Cela signifie-t-il que la conférence soit une chose à fuir ? Pas du tout, bien au contraire : « Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conférence. J’en trouve l’usage plus doux que d’aucune autre action de notre vie44 ». Cela signifie simplement qu’elle ne doit pas parvenir à cette harmonie finale que souhaitent les juristes contemporains de Montaigne. L’unisson est même chose à fuir : « Et l’unisson, est qualité du tout ennuyeuse en la conférence45 ».
Pourquoi Montaigne s’en prend-il ainsi avec une telle détermination à la justice de son temps ? La raison nous semble simple, il s’agit pour lui d’un paradigme. Si le processus de décision judiciaire attire particulièrement l’attention de Montaigne c’est qu’il est comme un champ privilégié d’analyse des échecs, des failles et des ratés des processus de décision : « Considérez la forme de cette justice qui nous régit. C’est un vrai témoignage de l’humaine imbécillité46 ».
Stéphan Geonget
Université François-Rabelais de Tours
1 L’on ne s’explique pas que l’enquête lexicologique menée par Éric Pesty (« Conférer à la fin du xvie siècle », Bulletin de la Société des Amis de Montaigne, no 17-18, 2000, p. 109-120) puisse passer à côté du sens technique que nous expliquons dans cet article.
2 Antoine Compagnon, Un été avec Montaigne, Paris, Édition des Équateurs, 2013, « De l’art de conférer ».
3 Essais, III, 11, 357. L’édition de référence est l’édition au programme de l’Agrégation (éd. Emmanuel Naya, Delphine Réguig et Alexandre Tarrête, Paris, Gallimard, Folio Classique, 2009).
4 Voir l’article essentiel de Jacques Krynen sur le site des Cahiers des Recherches Médiévales, « Entre science juridique et dirigisme : le glas médiéval de la coutume », 7, 2000, mis en ligne le 3 janvier 2007. URL : http://crm.revues.org//index892.html. Consulté le 1er novembre 2016.
5 Le droit civil ou coustume reformee et redigee par escrit de la ville, Prevosté, & Vicomté de Paris, avec les annotations de L. Charondas Le Caron, Jurisconsulte Parisien, & un Avant-propos au Senat, & peuple Parisien, Paris, Pierre L’Huillier, 1582. Sur cet important auteur voir Stéphan Geonget, « Le mariage de l’Estude du Droict avec les Lettres humaines », l’œuvre de Louis Le Caron Charondas, Genève, Droz (à venir).
6 Essais, III, 13, 403.
7 François Hotman, Antitribonian ou discours d’un grand et renomme Jurisconsulte de nostre temps sur l’estude des loix, fait par l’advis de feu Monsieur de l’Hospital Chancelier de France en l’an 1567 (Paris, Jeremie Perier, 1603), Saint-Étienne, Université de Saint-Étienne, 1980, « Images et témoins de l’âge classique », no 9, p. 126.
8 « Que l’on lise maintenant les coustumiers de France, pour entendre combien il y a de convergence entre leur doctrine & celle de Justinian : & que l’on juge la dessus combien la jeunesse Françoise est obligee a ceux qui leur font employer leur tems en l’estude des choses, ou il nya aucun proffit ni usage pour la vie humaine, & (comme Justinian les appelle) en vieilles fables. Car c’est autant comme si les prestres & moines de maintenant enseignoient à leurs novices la façon de dancer es processions solemnelles, par ce que les prestres Saliens de Rome avoient coustume de faire », op. cit., p. 31.
9 Louis Le Caron, Pandectes, 1, Lyon, Veyrat, 1593, p. 400.
10 Anne Rousselet-Pimont, Le Chancelier et la loi au xvie siècle d’après l’œuvre d’Antoine Duprat, de Guillaume Poyet et de Michel de l’Hospital, Paris, De Boccard, 2005, « Romanité et modernité du droit », p. 330.
11 René Sève, « Le discours juridique dans la première moitié du xviie siècle » dans L’État baroque. Regards sur la pensée politique de la France du premier xviie siècle (1610-1652), dir. Henry Méchoulan, Paris, Vrin, 1985, « Histoire des idées et des doctrines », 540, p. 129.
12 Charles Dumoulin, Oratio de concordia et unione consuetudinum Franciae, Opera, Paris, Osmont, 1681, II, p. 691. « Mais je dis d’abord que l’ensemble du peuple de France est un seul peuple et que jadis elle a été une seule Province extrêmement vaste comme le dit César au premier livre de la guerre des Gaules ». Nous traduisons.
13 Voir à ce propos Stéphan Geonget, La Notion de perplexité à la Renaissance, Genève, Droz, 2006.
14 « Et en effet les conflits ne sont pas empêchés par la multiplication des lois ou des constitutions, mais au contraire provoqués, comme cela est connu et comme l’enseigne l’expérience. Et c’est bien moins la perplexité de ces lois que leur simplicité, leur équité et leur clarté qui les rend impossibles », ibid.
15 « Mais je ne vois rien de plus adapté ni plus efficace pour retenir différentes provinces sous la même autorité et les encourager à la suivre, ni de lien plus fort et plus honorable que la communauté et la conformité de mœurs semblables et de lois utiles et équitables », ibid.
16 Voir à ce propos Albert Rigaudière, « Un rêve royal français : l’unification du droit » dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, no 4, 2004, p. 1553-1567 et notamment p. 1562.
17 Voir à ce propos notre « Montaigne et Jean Papon. L’“arrêt notable”, une tradition sabordée par Montaigne », Bulletin de la Société Internationale des Amis de Montaigne, Paris, Champion, 2009, no 50, p. 23-40.
18 François Hotman, op. cit., p. 149.
19 Jean Duret, Alliance des loix romaines avec le droit francois contenu aux ordonnances des rois, arrests des cours souveraines et coustumes provincialles, Paris, [A. L’Angelier], 1600.
20 Op. cit., préface.
21 Essais, III, 13, 402.
22 Essais, III, 13, 404.
23 Comme le note justement François Roussel : « si l’art de conférer a bien à voir avec la conversation ordinaire, c’est moins pour célébrer le plaisir des échanges parlés – même s’ils échauffent davantage que la lecture – que pour évaluer la manière dont chacun s’accroche à son propre discours avec plus ou moins d’opiniâtreté, de suffisance ou de discernement », Montaigne. Le magistrat sans juridiction, Paris, Michalon, 2006, p. 101. L’auteur est d’ailleurs sur la piste du sens technique que nous explicitons ici quand il note judicieusement dans cette même page : « Conférer, dans la langue du xvie siècle, ne veut pas seulement dire converser, dialoguer, discuter, mais aussi comparer, mettre en regard ».
24 Essais, III, 11, 350.
25 Ibid.
26 Essais, III, 4, 72.
27 Essais, III, 8, 208.
28 Louis le Caron, Pandectes, op. cit., p. 394. Voir par exemple : Coutumes generales des pays et duche de Berry, tant de ville & septaine de Bourges, que des autres villes & lieux dudict pays & duche […], Paris, Jean Dallier, 1552. En 1539 Pierre Lizet, premier président, et Pierre Mathe, conseiller du roi, reçoivent des lettres patentes « pour faire la preuve & verification desdictes coustumes, & oster toute ambiguité & difficulté d’icelles, & aussi toute matiere de procés provenans bien souvent de l’incertitude de la preuve desdictes coustumes », p. 81.
29 Op. cit., p. 153.
30 Op. cit., p. 154. Nous soulignons.
31 Voir à nouveau Charles Dumoulin : « Et in summa, pro multis diffusissimis plurium variantissimarum, contrarium, nonnunquam obscurarum, iniquarum, ineptarum, mancarum Consuetudinum libris, litibus quidem ferendis et propagandis, lucrisque et cavillis Pragmaticorum idoneis, brevissimus, candidissimus, expeditissimus et absolutissimus libellus haberetur, juri communi et æquitati naturali consonantissimus, publicæ et singulorum omnium utilitati accommodatissimus […] ». « Et enfin, à la place d’ouvrages nombreux et très dispersés sur des coutumes très diverses, contradictoires, parfois obscures, injustes, inappropriées, défectueuses, livres qui sont bons pour susciter et faire durer des procès et pour alimenter les profits et les balivernes des Pragmatiques, on disposerait d’un petit livre très bref, d’une très grande limpidité, extrêmement facile et très complet, parfaitement en accord avec le droit commun et l’équité naturelle, tout à fait approprié à l’utilité publique et à celle de tous les individus », nous traduisons.
32 Op. cit., p. 153.
33 Sans sombrer dans le biographisme, il nous semble que l’on peut raisonnablement faire l’hypothèse d’une expérience réellement vécue par Montaigne de ce « rapport de force », hypothèse qui est d’ailleurs aussi au fondement des analyses d’André Tournon : « De tels problèmes, arrivés par la nécessité de trancher sur chaque cas, et la possibilité permanente de juger en équité, devaient faire éprouver pratiquement à Montaigne ce qu’il y a d’aléatoire dans les sentences humaines et aussi lui faire déceler, comme une des causes profondes des crises de son époque, les confuses discordes des docteurs qui avaient pour tâche, en principe de dire et d’interpréter le droit, ou la vérité », Montaigne. La glose et l’essai, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1983, p. 198.
34 III, 8, 215. Nous soulignons.
35 Cela vaut d’ailleurs aussi bien au tribunal qu’à l’école. Dans les deux cas, la conférence se règle à coup de dignités : « Ayez un maître ès arts, conférez avec lui, que ne nous fait-il sentir cette excellence artificielle, et ne ravit les femmes, et les ignorants comme nous sommes, par l’admiration de la fermeté de ses raisons, de la beauté de son ordre : que ne nous domine-il et persuade comme il veut ? Un homme si avantageux en matière, et en conduite, pourquoi mêle-il à son escrime les injures, l’indiscrétion et la rage ? Qu’il ôte son chaperon, sa robe, et son latin, qu’il ne batte pas nos oreilles d’Aristote tout pur et tout cru, vous le prendrez pour l’un d’entre nous, ou pis », III, 8, 209.
36 III, 8, 215. Voir aussi : « À ceux pareillement, qui nous régissent et commandent, qui tiennent le monde en leur main, ce n’est pas assez d’avoir un entendement commun, de pouvoir ce que nous pouvons : ils sont bien loin au-dessous de nous, s’ils ne sont bien loin au-dessus. Comme ils promettent plus, ils doivent aussi plus : et pourtant leur est le silence, non seulement contenance de respect et de ménage : car Mégabysus étant allé voir Appelles en son ouvroir, fut longtemps sans mot dire, et puis commença à discourir de ses ouvrages, dont il reçut cette rude réprimande. Tandis que tu as gardé silence, tu semblais quelque grande chose, à cause de tes chaînes et de ta pompe : mais maintenant qu’on t’a ouï parler, il n’est pas jusques aux garçons de ma boutique qui ne te méprisent. […] À combien de sottes âmes en mon temps, a servi une mine froide et taciturne, de titre de prudence et de capacité », III, 8, 217.
37 III, 8, 221.
38 III, 9, 251.
39 Jean-Yves Pouilloux, Montaigne, L’éveil de la pensée, Paris, Champion, 1995, « Études montaignistes », p. 142.
40 III, 9, 251.
41 III, 13, 413.
42 III, 13, 404.
43 III, 9, 261.
44 III, 8, 202.
45 III, 8, 203.
46 III, 13, 410.
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- ISBN: 978-2-406-06907-2
- EAN: 9782406069072
- ISSN: 2261-897X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06907-2.p.0049
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-02-2017
- Periodicity: Biannual
- Language: French