La Vénus hottentote Anatomie politique de la fortune d’une dissection (1815-1888)
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir
- Auteur : Bancel (Nicolas)
- Pages : 153 à 175
- Collection : Rencontres, n° 539
- Série : Francophonies, n° 2
La Vénus hottentote
Anatomie politique de la fortune
d’une dissection (1815-1888)
Bien que l’on sache finalement peu de choses sur elle, beaucoup a déjà été dit sur Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote1 ». Les représentations de la Vénus, dans la presse populaire comme dans les représentations savantes reproduisant ou reprenant les gravures scientifiques réalisées à l’occasion de la première étude in vivo de Saartjie Baartman en 1815, réalisée notamment par Georges Cuvier et Henri de Blainville, puis lors de la dissection réalisée par Cuvier la même année, ont fait l’objet de nombreuses analyses2. Devant ces travaux, parfois très renseignés, nous avons choisi de nous attarder sur le moment particulier de la dissection de la Vénus hottentote. Ce choix part de l’hypothèse que le travail de Cuvier, sans être sui generis, dessine une configuration, un moment scientifique marquant à la fois une étape dans l’élaboration scientifique des hiérarchies raciales et plus particulièrement d’une caractérisation de la « race hottentote », tout en informant des rapports établis entre cette hiérarchisation et les traits sexuels prétendument observés chez les Hottentots (parfois étendus aux « races inférieures »), et, pour ce qui nous concerne, chez la Vénus hottentote.
154Le rapport de dissection de Cuvier3 est souvent cité par les auteurs qui se sont penchés sur l’histoire de la Vénus hottentote, mais curieusement, ce sont presque toujours les mêmes quelques citations qui circulent. Or, ce texte, avec celui de Henri de Blainville, est particulièrement riche et il fixe pratiquement, selon notre hypothèse, les discours scientifiques qui seront tenus tout au long du xixe siècle sur la Vénus hottentote, et, à travers elle, sur la « race hottentote ». Mais pour prendre la mesure de ce moment, il est nécessaire de revenir sur la trajectoire de Saartjie Baartman, afin de la situer historiquement et mesurer en quoi son statut subalterne a pu, par hypothèse, influencer les jugements portés sur elle.
La Vénus hottentote, une trajectoire
L’histoire de la Vénus hottentote débute en Afrique du Sud. Elle est née probablement vers 1789, et est placée très jeune dans un orphelinat après que ses parents ont été tués4. D’après Carole Sandrel (2010, p. 111-112), elle est mise en esclavage enfant, avec ses trois frères et ses deux sœurs, auprès d’un fermier Boer, Peter Caezar, qui la baptisa du nom de Saartjie Baartman. En 1807, Saartjie Baartman et ses deux sœurs sont envoyées dans la ferme du frère de leur maître, Hendrick Caezar (ibid., p. 113). Elle aurait été mariée à un Khoïsan (son père appartenant sans 155doute à cette ethnie, sa mère étant Boschimane5), dont elle aurait eu deux enfants, qui disparaissent cependant complètement de ce que l’on connaît de sa vie. Un médecin militaire, Alexander Dunlop, de passage dans la ferme d’Hendrick Caezar, s’intéresse à la conformation physique de Saartjie Baartman, car elle présente des particularités déjà observées chez les femmes hottentotes, à savoir une stéatopygie prononcée (soit une hypertrophie des hanches et des fesses) et une macronymphie (soit des petites lèvres de l’appareil génital très étendues), cette dernière déjà caractérisée par l’expression « tablier hottentot ». Caezar et Dunlop vont dès lors s’associer afin de présenter et exploiter commercialement cet exemplaire exceptionnel de la « race hottentote » pour la distraction du public britannique. Saartjie Baartman embarque pour l’Angleterre en avril 1810 et, après une traversée de plusieurs mois, débarque à Londres en septembre 18106. Dans la capitale britannique, elle est exposée dans une salle de Piccadilly Street – artère où se déploient différents spectacles populaires –, où le public vient contempler l’anatomie de Saartjie Baartman, qui reçoit alors le surnom de « Vénus hottentote » (Crais et Scully, 2009, p. 57).
Les conditions dans lesquelles est présenté Saartjie Baartman entraîne cependant une réaction indignée de l’African Association, stigmatisant à la fois l’obscénité du spectacle et la condition servile de la Vénus, alors que l’Angleterre a aboli en 1807 la traite des esclaves. Saartjie Baartman défend cependant Dunlop, assurant ne pas agir sous la contrainte et, après la présentation d’un contrat très probablement fictionnel, la Cour conclut à un non-lieu. Elle sera baptisée en 1811 dans la cathédrale de Manchester. À partir de ces épisodes successifs, émergent deux interrogations. La première concerne l’appétence du public pour ce spectacle qui rencontre un véritable succès au cours des deux premières années de la présence de Saartjie Baartman sur le sol britannique, comme en témoignent les nombreuses représentations publiées sur celle-ci (cartes à jouer, lithographies, gravures satiriques dans la presse, etc.). Beaucoup a été dit à ce sujet, mais, en l’absence de témoignages, il est bien difficile de connaître précisément les motivations comme les émotions des 156spectateurs. On peut cependant inférer que deux caractéristiques de la Vénus ont provoqué cet engouement. La première est le mélange de « sauvagerie » et d’exotisme qui sont projetés sur elle, à une période où émerge la fascination pour la découverte d’espaces et de populations ignorés ou mal connus des Européens, et où s’affirment parallèlement les travaux scientifiques visant à l’élaboration d’une science des races procédant à leur hiérarchisation7. La seconde est à l’évidence – toute l’iconographie à son sujet le démontre – l’attrait que provoquent ses particularités physiques – stéatopygie et macronymphie –, soit les marques d’une supposée hypersexualisation, encore accentuée par le dévoilement de ses seins en public. Ces deux caractéristiques s’articulent évidemment et le simple fait de pouvoir exhiber une femme pratiquement nue dénote, en soi, le statut inférieur de la Vénus, entre sauvagerie et civilisation, entre humanité et animalité. Ces deux particularités physiologiques provoquent par ailleurs l’intérêt simultané du public et des savants, comme nous le verrons, dans un rapport trouble à l’altérité que nous tenterons d’éclairer. La parenthèse britannique dans la vie de Saartjie Baartman dénote également la difficulté à généraliser quant à l’accueil du spectacle dont elle est la vedette. Certes, il connut le succès, mais provoqua aussi la réaction des abolitionnistes, et l’on retrouve même des gravures qui dénoncent non seulement le traitement inhumain de la Vénus, mais encore le voyeurisme du public.
On ne sait pas grand-chose de la vie de Saartjie Baartman entre le début de l’année 1812 et 1814. Elle est probablement de nouveau exhibée en Angleterre, et peut-être en Hollande, avant d’arriver en France à l’été 1814. Les raisons de son périple demeurent incertaines : lassitude du public britannique ? Poursuite des protestations des abolitionnistes ? Ce que l’on sait, c’est qu’elle voyage alors avec son « impresario » Hendrick Caezar, que l’on retrouve avec elle à Paris. Elle est exhibée rue Neuve-des-Petits-Champs dès le 18 septembre 1814, de « onze heures du matin à neuf heures du soir » (Boëtsch, Blanchard, 2014, p. 208), comme l’indique une réclame du Journal de Paris. Elle est alors sous la coupe d’un nouveau manager, Henri Taylor, qui la cède vraisemblablement au cours du dernier trimestre 1814 à un montreur d’animaux exotiques, Réaux, qui la présentera notamment rue Saint-Honoré, connue pour 157ses spectacles de foires et de monstres. Elle est également exhibée dans certains salons parisiens, comme le note le Journal des dames et des modes du 12 février 1815. Outre que sa popularité en France grandit8, il est possible qu’elle ait été prostituée par son nouvel impresario.
L’histoire pathétique de Saartjie Baartman est devenue le symbole de l’oppression des colonisés, de leur animalisation et de leur avilissement. Elle marque aussi une étape décisive dans l’installation des spectacles ethniques, jusqu’alors réservés à des fractions de l’aristocratie, dans l’espace public, avant que ceux-ci ne se déploient et ne se multiplient, simultanément en Europe et aux États-Unis, à partir du milieu du xixe siècle9. Au-delà du sort subi par Saartjie Baartman et du symbole qu’elle représente désormais – victime d’une double stigmatisation, d’une double humiliation, comme « sauvage » et comme femme –, que sait-on réellement d’elle ? À vrai dire, presque rien. Alors que l’historiographie francophone s’attache désormais, dans le sillage lointain des subaltern studies et des postcolonial studies10, à faire entendre la voix des sans voix, il est bien difficile de faire parler Saartjie Baartman. Qui était-elle ? Que voulait-elle ? Que ressentait-elle ? Que pensait-elle ? Nous n’en savons pratiquement rien, si ce n’est qu’elle défendit son « employeur » lors de son procès à Londres. Aucune source ne subsiste qui pourrait faire parler la Vénus hottentote.
L’émergence d’une « race-frontière »
Dans un tout autre univers, un scientifique, Georges Cuvier, l’un des fondateurs de l’anatomie comparée, pilier de l’univers académique français et international (il est nommé Professeur au Collège de France 158en 1800), s’intéresse aussi aux particularités physiques des Hottentots, et tout spécialement au « tablier hottentot ». Il note ainsi, dès 1805, à propos de celui-ci :
[…] plusieurs voyageurs ont appelé le tablier des hottentotes, et dont quelques autres voyages ont nié l’existence. Il résulte des observations de MM. Peron11 et Lesueur [sic], consignées dans un mémoire lu à l’Institut national, que ce tablier est en effet un appendice distinct des grandes lèvres, de 8 ½ centimètres de longueur dans une femme adulte, adhèrent dans son tiers supérieur, […] en la partie la plus étroite, à la partie supérieure des grandes lèvres au-devant du clitoris, et se divise vers la moitié de la hauteur de la vulve en deux lobes qui, rapprochés l’un de l’autre, couvrent cet orifice. Cet organe accessoire est formé d’une peau molasse, ridée, fort extensible, entièrement dépourvue de poils […]. (Cuvier, 1805, p. 124-125)
Il indique également avoir observé en 1807 un enfant supposément hottentot12. Cuvier n’était donc pas le premier à s’intéresser aux Hottentots. En vérité, les observations et les préjugés sur cette « race » précédaient les avis scientifiques. Selon François-Xavier Fauvelle, les Hottentots représentaient au xviiie siècle, la lie de l’humanité, son plus bas état possible ou, version romantique et plus avenante, de bons sauvages innocents13. La Vénus hottentote s’inscrit donc latéralement dans une configuration scientifique où les taxonomies appliquées aux mondes vivant et inanimé par les encyclopédistes se trouvaient réinvesties dans l’étude de la diversité des « races » humaines par un ensemble d’anthropologues, de médecins, d’anatomistes et de zoologues. Elle représente alors une chance extraordinaire, pour les savants du Muséum, d’obtenir des informations à la source, sans plus se contenter des récits ou des dessins rapportés par les voyageurs, fussent-ils eux-mêmes scientifiques. En 1815, Georges Cuvier et Henri de Blainville obtiennent, pour le Muséum, l’accord de 159Réaux : ils pourront avoir accès à la Vénus et prendre toutes les mesures de son corps, utiles à la science.
Le premier texte à paraître après cette observation (au cours de laquelle, au grand dam des savants, Saartjie Baartman refusa catégoriquement de dévoiler son sexe, laissant le mystère du « tablier hottentot » à peu près intact) fut celui d’Henri de Blainville, qui parut en 1816 dans le Bulletin des sciences par la Société philomathique de Paris14. Dans ce texte, Blainville se proposait d’une part d’élaborer « une comparaison détaillée de cette femme avec la dernière race de l’espèce humaine, ou la race nègre, et la première des singes, ou l’orang-outang » (Blainville, 1816, p. 183), d’autre part de trouver « l’explication la plus complète possible de l’anomalie des organes de la génération » (ibid., p. 183). Ce sont ces deux interrogations qui sont au principe de cette étude comme elles le seront à celle de Cuvier. La distribution hiérarchique entre les races humaines posait en effet la question de l’intervalle qui séparait les races au plus bas de l’échelle de l’humanité des grands anthropoïdes, au premier rang desquels se trouvait l’orang-outang. Et, parmi ces races dites dégénérées, ne pouvait-on en classer certaines parmi les grands singes ?
Pour répondre à cette première interrogation, Blainville notait que la tête de la Vénus « n’a pas tout-à-fait l’aspect d’une tête de nègre, et qu’il y a plus de rapprochement à faire avec celle de l’orang-outang » (ibid., p. 183) ; il poursuivait en indiquant à propos de la tête :
[elle] semble composée de deux parties, la cavité cérébrale ou le crâne, et la face ou le museau [sic] qui ne se joignent pas dans le profil de manière à former une ligne droite, dont l’inclinaison détermine l’angle facial de Camper [nous reviendrons sur ce point], mais se réunissent l’un à l’autre à la racine du nez, presqu’à angle droit, comme cela se voit d’une manière plus marquée dans le profil de l’orang-outang ; en sorte que le front est droit, presque vertical, et que le reste du profil est concave, comme dans cette espèce de singe. (ibid., p. 183)
Les éléments identifiés par Blainville plaidaient ainsi pour un rapprochement radical de la Vénus avec les singes. Il notait dans la même dynamique « le grand rétrécissement du crâne vers les tempes » et la « diminution de la cavité encéphalique » (ibid., p. 184), indicateurs indubitables d’une taille réduite du cerveau, signe d’une infériorité 160intellectuelle radicale, confirmant la proximité du spécimen observé avec les grands singes. Georges Cuvier, après la mort de Saartjie Baartman le 29 décembre 1815, procéda à la dissection complète de son corps, opportunité là encore exceptionnelle15. La question de savoir si Cuvier disséqua lui-même la Vénus hottentote ou laissa le gros du travail à des préparateurs est secondaire, mais le fait est que la dissection relevait alors de procédures scientifiques, allant « de l’externe à l’interne, de la description générale à l’examen des parties, de leurs corrélations et particularités » (Blanckaert, 2013, p. 20). Ce qui nous apparaît aujourd’hui comme une intrusion inhumaine relevait alors de la clinique. Mais ce sont ici les conclusions tirées par Cuvier de cette expérience qui nous intéressent. Publiées en 1817, elles sont proches de celles de Blainville.
Cuvier caractérise dans un premier temps les mœurs supposées des Boschimans (Cuvier, en suivant Péron, les distingue alors des Hottentots et est convaincu que la Vénus est issue de cette ethnie) :
D’après les observations faites par le général hollandais Jansens, dans une tournée entreprise pendant qu’il étoit gouverneur du Cap, et rapportées en détail dans le voyage de M. Lichtenstein, il paraît bien constant que les êtres presque entièrement sauvages qui infestent certaines parties de la colonie du Cap, et que les Hollandais ont appelés Bosjesmans, ou hommes de buissons, parce qu’ils ont coutume de se faire des espèces de nids dans des touffes de broussailles, proviennent d’une race de l’intérieur de l’Afrique, également distincte des Caffres et des Hottentots, qui n’avoit pas dépassé d’abord la rivière d’Orange, mais qui se sont répandus plus au Sud, attirés par l’appât du butin qu’ils pouvoient faire parmi les troupeaux des colons. (Cuvier, 1817, p. 261)
Il ajoute que « [l]eur unique industrie se réduit à empoisonner leurs flèches, et à fabriquer quelques réseaux pour prendre du poisson. Aussi leur misère est-elle excessive ; ils périssent souvent de faim, et portent toujours dans leur petite taille, dans leurs membres grêles, dans leur horrible maigreur les marques des privations auxquelles leur barbarie et les déserts qu’ils habitent les condamnent » (ibid., p. 263). Cette description peu flatteuse rapproche d’emblée les Boschimans, et donc la Vénus, du monde animal : race « entièrement sauvage », façonnée par une 161« barbarie » intrinsèque, elle est à peine apte à construire des « nids ». L’étude de l’attitude de la Vénus, d’après ses premières observations in vivo et de sa conformation physiologique viennent logiquement confirmer ces premières informations : « Ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de capricieux qui rappeloit ceux du singe. Elle avait surtout une manière de faire saillir ses lèvres tout à fait pareilles à ce que nous avons observé dans l’orang-outang. » (ibid., p. 263) Les comparaisons avec les grands singes s’imposant, Cuvier note plusieurs caractéristiques confirmant cette première impression. Il affirme ainsi :
Ce que notre Boschimanne avoit de plus rebutant, c’étoit la physionomie ; son visage tenoit en partie du nègre […]. [Le] col étoit plus court, plus gros et moins oblique ; ce sont tous là des caractères d’animalité. Les humérus, au contraire, étaient singulièrement grêles et délicats, et ils m’ont offert une particularité assez rare dans l’espèce humaine ; c’est que la lame qui sépare la fossette cubitale antérieure et la postérieure n’étoit pas ossifiée, et qu’il existe un trou à cet endroit, comme dans l’humérus de plusieurs singes, nommément du pongo [orang-outang] de Wurmb […]. (ibid., p. 269-270)
Ces différentes observations physiologiques devaient cependant être confirmées par une étude attentive de la face et du crâne, car la tête donne en effet « des moyens plus sûrs de distinction, parce qu’on l’a mieux étudiée. C’est d’après elle que l’on a toujours classé les nations, et, à cet égard, notre Boschismanne offre aussi des différences très-remarquables et très-singulières » (ibid., p. 270). Cuvier note encore :
Le nègre, comme on sait, a le museau saillant, et la face et le crâne comprimés par les côtés ; le Calmouque a le museau plat et la face élargie. Dans l’un et dans l’autre les os du nez sont plus petits et plus plats que dans l’Européen. Notre Boschismanne a le museau plus saillant encore que le nègre, la face plus élargie que le calmouque, et les os du nez plus plats que l’un et que l’autre. À ce dernier égard, surtout, je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne. (ibid., p. 271)
Cette conformation spécifique, comme le notait Blainville, a pour effet de réduire considérablement le volume du crâne et, par conséquent, les capacités cognitives :
Je trouve aussi que le trou occipital est proportionnellement plus ample que dans les autres têtes humaines. D’après la règle connue de M. Sœmmening, ce seroit encore là un signe d’infériorité. […] Excepté le rapetissement du 162cerveau à sa partie antérieure, qui résulte de la dépression du crâne à cet endroit, je n’ai fait sur les parties molles aucune remarque qui mérite d’être rapportée. (ibid., p. 271)
Les observations de Cuvier trouvent un aboutissement logique dans l’appréciation des capacités créatrices des Boschimans (Hottentots), puisque :
Ce qui est bien constaté dès à présent, et ce qu’il est nécessaire de redire, puisque l’erreur contraire se propage dans les ouvrages les plus nouveaux, c’est que ni ces Gallas ou ces Boschismans, ni aucune race de nègres, n’a donné naissance au peuple célèbre qui a établi la civilisation dans l’antique Égypte, et duquel on peut dire que le monde entier a hérité les principes des lois, des sciences, et peut-être même de la Religion. (ibid., p. 273)
C’est donc bien le biologique et plus particulièrement la conformation du crâne et de la face qui sont à l’origine de la supériorité des civilisations avancées, puisque, concernant les « anciens Égyptiens », « […] ils appartenoient à la même race d’hommes que nous ; qu’ils avoient le crâne et le cerveau aussi volumineux ; qu’en un mot ils ne faisoient pas exception à cette loi cruelle qui semble avoir condamné à une éternelle infériorité les races à crâne déprimé et comprimé. » (ibid., p. 273) Il est évidemment loisible de retourner l’argument, pour constater que toute la démonstration de Cuvier s’origine, et ce malgré l’indiscutable rigueur méthodologique de l’auteur (doté des outils intellectuels de l’époque), dans les préjugés qui déterminent, dès le départ, sa démonstration. Il est d’ailleurs très frappant de constater que face à ces préjugés partagés, la science et la rigueur méthodologique ne sont nullement un frein à leur pérennisation, et même à leur renforcement, puisqu’ils bénéficient, dès lors, de l’aura de la science. On peut même avancer que ces préjugés, sanctifiés par des scientifiques de haute volée, changent ici de nature : ils procèdent désormais d’une démonstration alors quasiment inattaquable de la primauté du biologique qui fixe « pour l’éternité » l’infériorité des « races sauvages ». Ce grand retournement épistémologique, qui s’accomplit depuis le dernier tiers du xixe siècle, trouve dans le texte de Cuvier une éclatante démonstration.
Les comparaisons avec les singes sont, pour le lecteur d’aujourd’hui, évidemment choquantes. Mais en se déprenant de cet affect, elles permettent d’établir que la Vénus hottentote, et à travers elle les Hottentots 163(les Boschimans pour Cuvier), constituent une « race-frontière », celle qui délimite le grand passage entre humains et grands singes. La hiérarchisation est parfaitement explicite chez Cuvier et Blainville, mais où classer la Vénus hottentote ? En lisant ces deux textes – et bien d’autres qui suivront – il n’est pas facile de répondre. La « race-frontière » des Hottentots a un pied dans les deux mondes. Saartjie Baartman est la figure dominante, pendant tout le xixe siècle, de la volatilité de ce statut. Simultanément, elle stabilise les hiérarchies en cours : fréquemment comparée au « nègre », à son désavantage, la Vénus hottentote, confirme son infériorité par rapport à celui-ci, et celle du « nègre » sur les autres « races ».
Cuvier et Blainville n’élaborent pas leurs conclusions à partir d’une feuille blanche. Depuis la fin du xviiie siècle, la classification des races humaines occupe plusieurs personnalités du monde scientifique européen qui affinent les techniques de mesures des corps, tels Petrus Camper, Friedrich Blumenbach, Louis Daubenton, Samuel Sœmmerring ou Carl Lavater. Il est impossible ici de développer en détail les travaux de ces éminents prédécesseurs ou contemporains de Cuvier et Blainville. Signalons simplement que Carl Lavater est à l’origine d’une technique de reproduction fidèle des profils, qui introduit en particulier certaines mesures de la face et leur reproductibilité sur un grand nombre de sujets. Petrus Camper, cité par Cuvier, est l’inventeur de la mesure de l’angle facial16 : un angle facial très ouvert, tel celui de la statuaire grecque, dénote un haut degré d’intelligence, de puissantes capacités créatrices, indicateurs indubitables de l’appartenance à une civilisation supérieure. Plus l’angle facial se réduit, plus on se rapproche alors de l’animalité (Guédron, 2002, p. 81). Camper applique ces mesures non seulement aux représentant de différents groupes humains, mais aussi aux animaux, jusqu’au loup ou à la bécasse17. Contemporain de Camper, Blumenbach, un anthropologue et physiologiste allemand18, va poursuivre l’étude des crânes et donner naissance à la craniométrie. S’appuyant à la fois sur 164le volume du crâne et sa conformation, il proposa de diviser l’espèce humaine en cinq races : la race caucasienne ou race blanche, la race mongole ou race jaune, la race malaise ou race marron, les nègres ou race noire, les Américains ou race rouge19.
Cuvier est directement influencé par ces théoriciens qui préfigurent l’anthropologie physique (raciale) et l’anthropométrie, mais, en tant que fondateur de l’anatomie comparée, il complexifie les mesures comparatives, ce que fait également Bainville dans son texte. La mesure de l’angle facial autorise Camper, puis Cuvier, à interpréter, dans le cas d’un angle facial de faible amplitude, l’avancement du « museau » (c’est-à-dire des mâchoires) et le recul du front comme les signes incontestables à la fois d’un appauvrissement des capacités cognitives résultant du recul du front et donc du volume du cerveau, et d’un fort développement des capacités olfactives et de mastication. Cuvier à largement documenté cet antagonisme entre avancement des mâchoires et recul des capacités cognitives dans ses Leçons20. La binarité et le tautologisme du raisonnement taxonomique s’expriment pleinement dans le rapport de Cuvier sur la dissection de la Vénus hottentote.
Tablier hottentot et stéatopygie
Si la Vénus hottentote est un instrument privilégié de la construction d’une « race-frontière », elle est aussi sollicitée en raison de ses spécificités physiologiques, et en particulier son fameux « tablier hottentot », qui fascine littéralement les savants. À son grand désarroi, comme nous l’avons vu, Blainville n’avait pu percer son mystère ; Cuvier, grâce à la dissection, met fin au suspense. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, ce sont les conclusions qu’il en tire, notamment en matière 165d’appréciation de la sexualité des Hottentotes. Preuve de l’importance du sujet pour Cuvier, son texte s’ouvre sur la question du tablier :
Il n’est rien de plus célèbre en histoire naturelle que le tablier des Hottentotes, et en même temps il n’est rien qui ait été l’objet de plus nombreuses contestations. Longtemps les uns en ont entièrement nié l’existence ; d’autres ont prétendu que c’étoit une production de l’art et du caprice [c’est-à-dire d’une coutume visant à étirer les petites lèvres] ; et parmi ceux qui l’ont regardé comme une conformation naturelle, il y a eu autant d’opinions que d’auteurs, sur la partie des organes de la femme dont il faisoit le développement. (Cuvier, 1817, p. 260)
La longue description de ce « tablier hottentot », par Cuvier21, l’amène à la conclusion, par hypothèse un peu déceptive, que :
Le voile des Boschismannes n’est pas une de ces particularités d’organisation qui pourroient établir un rapport entre les femmes et les singes ; car ceux-ci, loin d’avoir des nymphes prolongées, les ont en général à peine apparentes, [mais] il n’en est pas de même de ces énormes masses de graisse que les Boschismannes portent sur les fesses […]. Elles offrent une ressemblance frappante avec celles qui surviennent aux femelles des mandrills, des papions, etc. (ibid., p. 268)
À ces particularités physiologiques s’en ajoutent d’autres, notamment les parties du corps liées à la fécondité et à la sexualité, de dimensions tout à fait extraordinaires également, à l’image de « […] l’énorme largeur de ses hanches, qui passoit dix-huit pouces, et par la saillie de ses fesses qui étoit de plus d’un demi-pied » (ibid., p. 263). De même :
Les seins qu’elle avoit coutume de relever et de serrer par le moyen de son vêtement, abandonnés à eux-mêmes, montrèrent leurs grosses masses pendantes, terminées obliquement par une aréole noirâtre, large de plus de quatre pouces, creusée de rides rayonnantes, et vers le milieu de laquelle étoit un mamelon aplati et oblitéré, au point d’être presque invisible. (ibid., p. 264)
166Enfin, Cuvier note à propos de la conformation du bassin que « [t]ous ces caractères rapprochent, mais d’une quantité presque insensible, les négresses et les Boschismannes des femelles des singes » (ibid., p. 269).
Si Cuvier décrit en détail d’autres parties du corps de la Vénus, la focalisation sur ses organes génitaux – il exhibe ceux-ci conservés dans une préparation aux membres de l’Académie, lors sa communication orale – et sur les autres parties du corps liées à la sexualité, ou plutôt à l’érotisme, interroge. Certes, il n’en tire pas de conclusions définitives et très développées mais note cependant, à propos des Hottentots (Boschimans) que « [c]eux même qui restés hors des limites de la colonie, sont exposés à moins de dangers, ne forment point de corps de peuple, ne connoissent ni gouvernement ni propriétés, ne se rassemblent qu’en familles, et seulement quand l’amour les y excite » (ibid., p. 261). Ce passage éclaire la projection sur la Vénus hottentote d’une représentation d’une sexualité « sauvage » hors de tout contrôle, excédant les normes de pudeur et de bienséance qui caractérisent les « nations civilisées », permettant d’entrevoir un tableau où la sexualité est entièrement guidée par l’instinct et la pulsion animale. Ce propos est à relier à ceux, déjà évoqués, concernant l’angle facial et l’avancée des mâchoires, au détriment de la largeur du front. Comme le note Martial Guédron, cette projection de l’appareil masticatoire (lèvres, mâchoires, dents) renvoie au primat du digestif, du pulsionnel et du sexuel, voire à la violence, là où, à l’inverse, la large étendue du front indiquait, chez les peuples civilisés, les capacités cognitives et les capacités créatrices. De même que pour la caractérisation de l’infériorité raciale de la Vénus hottentote, il est frappant de constater que les conclusions de Cuvier et de Blainville rejoignent les préjugés du temps, ceux sur lesquels, précisément, l’exhibition de la Vénus était fondée. Le tablier hottentot (bien que de nature humaine) et les autres spécificités corporelles de Saartjie Baartman déterminent son hypersexualisation, constituant l’un des éléments essentiels de son classement comme « race-frontière », aux limites de l’humain.
167Fig. 1 – La Vénus hottentote : Sara, femme de Race hottentote morte à Paris…
Estampe non datée réalisée par le marchand Aaron Martinet (1762-1841)
« rue du Coq, Paris », à partir d’une gravure d’Allais inspirée d’un tableau
de Berré peint en 1815. © Bibliothèque nationale de France. Arsenal. EST-223.
La postérité d’un modèle
François-Xavier Fauvelle-Aymar est l’auteur d’une remarquable contribution (1999) dans laquelle il procède à l’examen minutieux de la postérité tout au long du xixe siècle des interrogations autour de la Vénus hottentote chez les anthropologues physiques, aussi bien en France qu’en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou en Allemagne. Il note la focalisation de ces études sur d’une part la place qu’occupent les Hottentots (ou Boschimans, selon qu’on accepte ou non qu’il s’agit d’un sous-groupe de la « race » hottentote) entre le genre humain et les grands singes, à l’aide de mesures de plus en plus précises sur des éléments des corps encore peu explorés (cheveux, cerveau, etc.), mais à partir d’observations très limitées (rarement sur des êtres vivants, et beaucoup plus sur des squelettes ou des cadavres) ; et d’autre part sur les organes génitaux des femmes de cette « race » (l’un des enjeux, déjà présent chez Péron, étant de déterminer si ce trait, voir cet organe, supposément unique, permet de distinguer les Hottentots de tous les autres groupes humains). Nous retrouvons donc tout au long du xixe siècle, les questions que s’étaient posées initialement Cuvier et Blainville. L’observation et la dissection de Saartjie Baartman consituent donc bien un moment-clé de l’appréhension de la « race » hottentote. On observe aussi une forte circulation/recyclage de ces textes tout au long de ce xixe siècle, même si à l’évidence ils circulent beaucoup plus facilement dans l’espace national qu’international.
Nous avons choisi de demeurer en France, d’où ont émergé ces discours scientifiques fondateurs sur le statut de la « race hottentote » à travers l’étude de Saartjie Baartman. Peu de temps après les travaux de Cuvier, Julien-Joseph Virey, éminent anthropologue, publiait une synthèse dans le Nouveau Dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts. Ainsi, après une description très détaillée et reprenant l’essentiel du travail de Cuvier, Virey note que le volume du tablier hottentot contribue aux « passions furieuses qui s’allument chez ces êtres […]. [Et] contribuent sans doute à diminuer encore les facultés morales et intellectuelles des peuples de ces régions. » (Blanckaert, 2013, p. 195-196) Virey, lancé, ajoute que les Hottentots « rivalisent même dans leurs 169excès avec l’impudente brutalité des singes et d’autres animaux lascifs. W. Ten Rhyne dit que les hottentots voient leurs femmes par derrière. » (ibid., p. 197) Sans pratiquement aucun autre matériau que le travail de Cuvier sur la Vénus hottentote, Virey extrapole encore un peu plus avant sur les prétendues mœurs sexuelles des Hottentots, entièrement gouvernées par les passions lascives, la brutalité et l’instinct, les rapprochant toujours un peu plus des singes.
L’animalisation de la « race hottentote » ne pouvait s’arrêter en si bon chemin. Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, dans le Dictionnaire classique d’histoire naturelle en fait une description saisissante : « La plus différente de l’espèce Japétique par l’aspect et les caractères anatomiques, celle-ci [la “race hottentote”] fait le passage du genre Homme au genre orang [Orang-Outang] et aux Singes. Comme dans les Macaques, à ce que nous assure Lichtenstein, les os du nez y sont réunis dans une seule lame écailleuse […]. » (Bory, 1822-1830, p. 325) Poursuivant, il affirme que « la figure du Hottentot […] est bien différente et hideuse d’animalité : les lèvres, lividement colorées, s’y avancent en un véritable grouin contre lequel s’aplatissent, se confondent, pour ainsi dire, de vrais naseaux ou narines qui s’ouvrent presque longitudinalement de la façon la plus étrange. » (ibid., p. 325-326) La Vénus hottentote devient alors la figure paradigmatique de toutes les femmes hottentotes22 :
Les Femmes, plus hideuses encore que leurs maris, […] ont des mamelles pendantes comme des besaces […]. À ces difformités beaucoup d’entre elles en joignent de plus étrange encore […].
[À propos du tablier hottentot :] Dans une sorte de monstruosité, des écrivains trouvèrent une perfection qui plaçait la pudeur dans la conformation même des demi-brutes de l’Afrique méridionale […]. Cuvier a trouvé la solution, en disséquant cette Femme du Cap renommée pour son affreuse laideur, et qu’on montra aux Parisiens sous le nom de Vénus hottentote [sic]. (ibid., p. 327-328)
Le plus frappant dans les appréciations de Virey, puis de Bory de Saint-Vincent, réside dans le glissement d’un jugement possiblement renseigné par l’anatomie comparée – la proximité de la Vénus avec les singes – au dévoilement d’une subjectivité qui ne s’embarrasse plus aucunement des apparences de la science : l’animalisation des Hottentots 170s’inscrit ainsi dans le registre d’une répulsion esthétique, que l’on décèle déjà dans le travail de Cuvier, et avant lui, dans les récits des voyageurs23. Bory de Saint-Vincent, dans son petit ouvrage Essai zoologique sur le genre humain, résume de manière frappante cette articulation :
De toutes les espèces humaines, la plus voisine du second genre de Bimanes par les formes, […] les Hottentots sont, pour leur bonheur, tellement bruts, paresseux et stupides qu’on a renoncé à les réduire en esclavage. À peine peuvent-ils former un raisonnement, et leur langage, aussi stérile que leurs idées, se réduit à une sorte de gloussement qui n’a presque plus rien de semblable à notre voix. D’une malpropreté révoltante qui les rend infects, toujours frottés de suif ou arrosés de leur propre urine, se faisant des ornements de boyaux d’Animaux qu’ils laissent se dessécher en bracelets ou en bandelette sur leur peau huileuse […] se nourrissant de racines sauvages ou de panses d’Animaux et d’entrailles qu’ils ne lavent même pas, passent leur vie assoupis ou accroupis et fumant. (Bory, 1827, p. 123-125)
Ces descriptions et appréciations sont reprises dans plusieurs travaux, notamment ceux d’Antoine Desmoulins24, puis ceux de Pierre Gratiolet25, puis plus tardivement de Raphaël Blanchard26, disant assez la circularité des énoncés dans un espace scientifique où le renouvellement de l’empirie est extrêmement faible. De fait, c’est bien toujours le texte de Cuvier – et beaucoup plus accessoirement celui de Blainville, pour des raisons qui tiennent très probablement à la plus grande renommée du premier, le texte de Blainville étant de fait beaucoup plus détaillé que celui de Cuvier – qui fait toujours référence, soixante ans plus tard. Nous nous attardons ici sur la contribution de Paul Topinard, membre éminent 171de la Société d’anthropologie de Paris, qui synthétise la constance de ces références, tout en en accentuant les conclusions. En 1877, il signale dans son ouvrage L’Anthropologie que le tablier hottentot et la stéatopygie sont des caractères distinguant cette « race » de toutes les autres, mais aussi du singe, puisque Topinard, reprenant là aussi les conclusions de Cuvier, affirme que les seules études disponibles indiquent que chez le gorille, les petites lèvres sont pratiquement invisibles. Il ajoute, en amplifiant encore les conclusions de Cuvier :
[…] jusqu’ici nous avions rencontré bien des caractères opposés dans les groupes humains, mais peu d’aussi saisissants. […]. Mais de l’Européen au Boschiman, la démarcation que tracent ces deux caractères [le tablier hottentot et la stéatopygie] est au point de vue morphologique encore plus profond : autant qu’entre chacun des anthropoïdes, qu’entre le chien et le loup, la chèvre et la brebis. (Topinard, 1877, p. 375-376)
Cette proximité avec les singes est renforcée par « [p]lusieurs traits de leurs squelettes [qui] ont aussi attiré l’attention, tels que la soudure des os propres du nez en un seul, l’effacement de la ligne âpre du fémur comme chez les singes » (ibid., p. 376) ; c’est ainsi que « [d]e la côte d’Aden chez les Somalis, à l’embouchure de l’Ogobaï, à l’ouest, on retrouverait donc des races du type boschiman, le plus inférieur de la famille humaine. La vérité a échappée à Cuvier : ce type [la Hottentote, et donc le “type hottentot”] est le plus animal connu et diminue la distance qui sépare actuellement l’Européen de l’anthropoïde » (ibid., p. 508-509).
Nous retrouvons de même chez Maury la répulsion que lui inspire l’apparence des Hottentots :
[Ils] se distinguent par leur petite taille, leur peau d’un jaune sale, leur physionomie repoussante. […] Les femmes, surtout en vieillissant, prennent un aspect repoussant, à raison de la flacidité de leurs mamelles et de l’abondance de graisse qui recouvre la partie postérieure de leur corps. L’appareil génital extérieur affecte chez ces femmes une disposition anatomique désignée sous le nom de tablier. (Maury, 1891, p. 443-445)
La « race-frontière » esquissée dès le début du xixe, trouve ainsi une consécration dans la dernière partie du siècle27. L’ultime contribution 172de Topinard se situe après l’observation d’un zoo humain présenté au Jardin zoologique d’acclimatation en 1888 qui, depuis 1877, s’est fait une spécialité de produire des spectacles ethniques28. Paul Topinard confirme alors les observations précédentes, tout en indiquant l’impossibilité de trouver une homogénéité raciale aux « Hottentots » – question pendante depuis le début du xixe siècle et l’observation et la dissection de Saartjie Baartman29 –, peuple composite au sein duquel les Buschmen seraient la race la plus ancienne et la plus inférieure30. Les travaux initiaux de Cuvier et Blainville et leurs appréciations dévalorisantes ont donc connu une postérité remarquable tout au long du xixe siècle. De nombreux auteurs les reprennent, en surenchérissant fréquemment sur le caractère « hideux » des Hottentots, leur imbécilité, leur paresse, leurs mœurs grossières, leur sexualité instinctive. Un véritable bréviaire de la dégradation, dont la Vénus hottentote a été à la fois l’origine et le catalyseur.
Que nous apprend la destinée post-mortem de la Vénus hottentote ? D’abord que les préjugés sur cette « race » préexistaient aux études savantes publiées en France. Cuvier, en appliquant avec rigueur la méthodologie et les préceptes de l’anatomie comparée, avant même de commencer l’observation puis la dissection de Saartjie Baartman, savait inconsciemment les conclusions auxquelles son étude devait le mener : prouver à travers les spécificités biologiques de la Vénus et la comparaison avec les grands singes, l’infériorité des Hottentots/Boschimans. À partir de ce « constat », les portes étaient grandes ouvertes à l’interprétation, les auteurs multipliant les jugements les plus radicalement racistes, marqués au sceau d’une subjectivité débridée, sur l’intelligence, les mœurs et la sexualité de Saartjie Baartman. Les stéréotypes à son sujet – et par extension au sujet de tous les Hottentots – ne procèdent pas d’une transmission de la sphère académique vers la culture populaire. Ils circulent dialectiquement d’un champ à l’autre, modifiés au passage par leur sanctification savante. La pauvreté des recherches raciologiques, qui 173ne disposent pratiquement pas de spécimens à étudier (le corps moulé de Saartjie Baartman, neuf parties de son corps conservées dans des préparations, et, au cours du xixe siècle, quelques autres corps ou squelettes) autorise toutes les outrances. Darwin lui-même spécula, en originant sa réflexion sur le cas des Boschimans, sur l’inévitable disparition des « races inférieures », bientôt submergées et anéanties par les Européens dans la dynamique évolutionniste de la concurrence entre les « races31 ».
Symbole d’une « race-frontière », ayant fasciné par ses caractéristiques morphologiques et sexuelles sur lesquelles se focalisèrent les savants, la Vénus hottentote marque à n’en point douter tout autant l’expression d’un européocentrisme racialiste scientifisé que celle de la domination masculine. À travers ces études savantes se dessinent nettement l’inclinaison à une pure prétention à la puissance. Nous revenons à notre question de départ : l’absence de Saartjie Baartman. Qui était-elle ? Que voulait-elle ? Que ressentait-elle ? Que pensait-elle ? Avec les discours racialistes qui furent énoncés sur elle, c’est le second abysse auquel nous sommes confrontés. Il n’est pas possible de faire parler la Vénus hottentote, elle est une forme sur laquelle sont projetés des contenus, comme en témoigne le déchaînement raciste et misogyne dont elle fut l’objet.
Nicolas Bancel
Université de Lausanne
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1 Voir en particulier : Claude Blanckaert, La Vénus hottentote entre Barnum et Muséum, Muséum d’histoire naturelle, Paris, 2013 ; Deborah Willis (éd.), Black Venus. They Called her « Hottentot », Philadelphie, Temple University Press, 2010 ; Clifton Crais, Pamela Scully, Sara Baartman and the Hottentot Venus. A Ghost Story and a Biography, Princeton, Princeton University Press, 2009 ; Carole Sandrel, Vénus et hottentote, Paris, Perrin, 2010 ; Nicolas Bancel et als., Zoos humains, Paris, La Découverte, 2002 ; Gérard Badou, L’Énigme de la Vénus Hottentote, Paris, Jean-Claude Lattès, 2000.
2 Pour une approche globale, voir Sander L. Gilman, « Black Bodies, White Bodies : Toward an Iconography of Female Sexuality in Late Nineteenth-Century Art, Medicine, and Literature », Willis, 2010, p. 204-242.
3 Georges Cuvier, « Extraits d’observations faites sur le cadavre d’une femme connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus Hottentote », Mémoire du Muséum d’histoire naturelle, t. 3, 1817, p. 259-274.
4 À notre connaissance, on ne sait rien des circonstances de la mort de ses parents. Furent-ils tués par des colons hollandais ou anglais, dont plusieurs textes rapportent, sur la foi de récits de voyageurs, que les Hottentots étaient chassés comme du gibier ? Mais ces mêmes auteurs rapportent que les autres ethnies africaines procédaient de la même manière… Voir Cuvier, 1817, et des auteurs postérieurs tels L. F. Alfred Maury (La Terre et l’Homme. Aperçu historique de géologie, de géographie et d’ethnologie générales, Hachette, Paris, 1891, 5e éd., en particulier le chapitre « Géographie des races humaines ») ou Paul Topinard (L’Anthropologie, C. Reinwald et Cie, Paris, 1877, p. 508 sq.). Par ailleurs il existe un flou sur l’appartenance de Saartjie Baartman à la « race hottentote », ces mêmes auteurs, mais également Julien-Joseph Virey, s’interrogeant sur l’étendue de la « race hottentote » et l’appartenance à cette « race » des Boschimans, « Homme », Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts, Derville, Paris, t. 15, cité par Claude Blanckaert, « Voyages naturalistes en Hottentotie au dix-neuvième siècle », Blanckaert, 2013, p. 195-196.
5 Voir : Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, « De la Vénus hottentote aux formes abouties de l’exhibition ethnographique et coloniale, les étapes d’un long processus (1810-1840) », Blanckaert, 2013, p. 35-63.
6 Voir : Clifton Crais et Pamela Scully, 2009, p. 55-59.
7 À ce propos : Nicolas Bancel, Thomas David, Dominic Thomas, L’Invention de la race, Paris, La Découverte, 2014.
8 Gilles Boëtsch et Pascal Blanchard (Bancel et als., 2014) signalent que s’ouvre au même moment une mercerie nommée « La Vénus hottentote », et qu’en octobre 1814 un vaudeville intitulé La Vénus hottentote est joué à Paris.
9 À ce propos : Nicolas Bancel, « Et la race devint spectacle. Généalogies du zoo humain en Europe et aux États-Unis (1842-1913) », Bancel et als., 2014, p. 315-331.
10 Sur le sujet : Jacques Pouchepadass, « Les subaltern studies ou la critique postcoloniale de la modernité », L’Homme, no 156, octobre-décembre 2000, p. 161-185 ; Jacques Pouchepadass, « Que reste-t-il des subaltern studies ? », Critique internationale, no 24, 2004, p. 67-79 ; Nicolas Bancel, Le Postcolonialisme, Paris, PUF, 2020.
11 François Péron était le naturaliste embarqué dans l’« expédition de découvertes aux terres australes », entre 1800 et 1804, sous l’égide de l’Académie des Sciences. Il fut l’un des principaux observateurs, avec Levaillant, des particularités physiques des Hottentots (ou Boschimans), et particulièrement du « tablier hottentot », au tournant du xixe siècle (Fauvelle, 1999, p. 434).
12 « Nous avons vu cet enfant à Paris en 1807. Il étoit d’une très-petite taille pour son âge, et autant que nous pouvons nous le rappeler, il ressembloit à beaucoup d’égards à la femme qui fait le sujet de nos observations actuelles. Il paroît que celle-ci avoit été amenée au Cap par quelque hasard semblable, et à peu près au même âge que ce petit garçon. » (Cuvier, 1817, p. 262)
13 Voir : Fauvelle, 1999, p. 433.
14 Comme le signale Blanckaert (2013, p. 421), le mémoire fut lu dès le 18 mars 1815 en séance de l’association.
15 Cuvier indique ainsi : « Des squelettes entiers seraient infiniment précieux. Croirait-on qu’on n’a encore, dans aucun ouvrage, la comparaison détaillée du squelette du Nègre et celui du Blanc ? », Georges Cuvier, « Notes instructives sur les recherches à faire relativement aux différences anatomiques des diverses races d’homme », cité par Copans et Jamin, 1978, p. 176.
16 L’angle facial est calculé à partir de deux lignes, la première allant du trou de l’oreille à la mâchoire supérieure, l’autre partant du front jusqu’à la mâchoire supérieure.
17 Voir : Claude Blanckaert, « Les vicissitudes de l’angle facial et les débuts de la craniométrie (1765-1875) », Revue de Synthèse, no 3-4, 1987, p. 417-453.
18 Voir : Claude Blanckaert, « Un fil d’Ariane dans le labyrinthe des origines… Langues, races et classification ethnologique au xixe siècle », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2007, no 17, p. 137-171, et Francesco Panese, « La fabrique du “Nègre” au cap du xixe siècle : Petrus Camper, Johann Friedrich Blumenbach et Julien-Joseph Virey », Bancel et als., 2014, p. 59-73.
19 Blumenbach fut au départ partisan de la théorie de Buffon de la « dégénération » de l’espèce humaine (monogéniste donc, contrairement à nombre de ses contemporains, tel l’anatomiste Samuel Thomas Soemerring), puis admit que certaines différences phénotypiques pouvaient devenir irréversibles.
20 Comme le signale Claude Blanckaert (2013, p. 21).
21 « En effet, le tablier n’est point comme il l’a prétendu un organe particulier. […] Les grandes lèvres peu prononcées interceptoient un ovale de 4 pouces de longueur. De l’angle supérieur descendoit entre elles une proéminence demi-cylindrique d’environ 18 lignes de longueur sur 6 lignes d’épaisseur, dont l’extrémité inférieure s’élargit, se bifurque, et se prolonge comme en deux pétales charnus ridés, de deux pouces et demi de longueur sur environ un pouce de largeur. […] En y regardant de plus près, on s’aperçoit que chacun de ces deux lobes a à sa face antérieure, tout près de son bord interne, un sillon plus marqué que ses autres rides, qui monte en devenant plus profond jusqu’au-dessus de leur bifurcation. » (Cuvier, 1817, p. 266-267).
22 Ce à quoi se refusait Cuvier, inférant qu’il était impossible de conclure à des généralités à partir d’un seul spécimen.
23 La question de l’appréciation esthétique dans les procédures de taxinomie et de hiérarchisation des « races » est importante, et ne peut être traitée ici. On se souviendra cependant que Camper utilise comme référent de perfection l’angle facial des statues grecques. Sur cette question de l’importance de l’appréciation esthétique, on se référera aux travaux de Guédron, 2009 et 2014.
24 Antoine Desmoulins, Histoire naturelle des races humaines du Nord-Est de l’Europe, de l’Asie Boréale et Orientale et de l’Afrique Australe, Paris, Méquignon-Marvis, 1826.
25 Qui le premier s’intéresse aux conformations comparées des cerveaux humains et simiesques, pour conclure que ceux des Hottentots (dénommés ici Boschimans) se rapprochent de celui du singe, éclairant l’infériorité de ces derniers. Pierre Gratiolet, Mémoire sur les plis cérébraux de l’homme et des primates, Paris, Arthus Bertrand, 1854.
26 Raphaël Blanchard, « Sur le tablier et la stéatopygie des femmes boschimanes », Bulletin de la société zoologique de France, vol. 8, 1883, cité par Delphine Peiretti-Courtis, « Les médecins et le sexe des Noir.e.s », Gilles Boëtsch et als, Sexualités, identités et corps colonisés, Paris, CNRS éditions, 2019, p. 269-280.
27 Topinard corrigera à la marge ses conclusions définitives sur l’infériorité des Hottentots, après avoir observés six d’entre eux, issus d’un spectacle présenté aux Folies-Bergères, mais sans remettre en question la hiérarchie des races et leur position aux derniers échelons de celles-ci. Voir : Paul Topinard, « Présentation de quatre Boshimans vivants par M. Topinard », Bulletin de la Société d’Anthropologie, t. 9, 1886, p. 530-566.
28 Voir l’introduction à : Bancel et als., Zoos humains, 2002.
29 François-Xavier Fauvelle montre bien que ces recherches, au plan international, finissent par condamner le terme même de « Hottentot », la « race » étant indéfinissable, composée de multiples apports (Fauvelle, 1999, p. 434).
30 Voir : Paul Topinard, « La stéatopygie des Hottentotes au jardin d’acclimatation », Revue d’anthropologie, no 4, 1889, p. 194-199.
31 Charles Darwin, The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex, London, J. Murray, t. 1 et 2, 1871.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12735-2
- EAN : 9782406127352
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12735-2.p.0153
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 18/05/2022
- Langue : Français
- Mots-clés : Vénus hottentote, anthropologie raciale, racisme, spectacles ethniques, Cuvier