Dialogues des corps ou l’érotisme au féminin Du mutisme à la parole transgressive dans Volcaniques. Anthologie du plaisir de Léonora Miano
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir
- Auteur : Abouga (Yvette Marie-Edmée)
- Pages : 21 à 38
- Collection : Rencontres, n° 539
- Série : Francophonies, n° 2
Dialogues des corps
ou l’érotisme au féminin
Du mutisme à la parole transgressive
dans Volcaniques. Anthologie du plaisir de Léonora Miano
Je brûle de toutes les flammes qu’attisent en moi les ardeurs de la chair.
Héloïse, Lettre à Abélard.
Volcaniques. Anthologie du plaisir1 est le titre du recueil de nouvelles dirigé et publié en 2015 par Léonora Miano. D’entrée de jeu, le seuil que constitue le titre entraîne des hypothèses de sens pouvant se formuler assez aisément. Cet ensemble d’apparence homogène, puisque rassemblant des récits autour de la sexualité féminine, se découvre d’une grande complexité. Dans le sens où la sexualité féminine, motif littéraire ayant certes fait l’objet de quelques travaux2 dans les espaces francophones et qui engage des questionnements liés à plusieurs catégories de savoirs – comme les nommait Michel Foucault, en 1976 déjà – demeure toujours un sujet sensible et presque tabou dans les environnements culturels dont sont originaires les auteures du volume. Communément, la sexualité de la 22femme a longtemps fait peur aux hommes pour des raisons que suggère le psychanalyste Jean Cournut, en 2001, dans son ouvrage Pourquoi les hommes ont peur des femmes. À l’image d’un volcan, le sexe féminin ou le « continent noir3 » incarnerait le secret et l’imprévisibilité d’une force éruptive sans fin. La sexualité féminine tenue ainsi pour intense, débordante, inépuisable et incontrôlable, inquiète et demeure étrange. Le volume de Miano obéit donc à une thématique fortement rattachée au corps de la femme dans ses divers accomplissements. Bien plus, le choix d’une anthologie nous paraît être motivé par la volonté d’une mise en regard des diverses stratégies discursives de réappropriation des corps féminins noirs.
Loin d’être exclusivement une démarche esthétique de dévoilement, représenter le corps de la femme noire s’enracine bien plus dans le désir de réexaminer un discours dominant souvent falsifié et réducteur sur ce que seraient ses états et profondeurs. Ainsi, la multiplicité des points de vue dans ce recueil s’accorderait avec l’idée d’éclatement des mises en discours de la sexualité féminine. Des thèmes variés aux prouesses narratives surprenantes, les textes montrent le corps féminin dans toutes ses tensions et ruptures4. Il revêt tantôt des formes sacrées et mystérieuses, tantôt triviales, bruyantes et carnavalesques. Par ailleurs, dans leur diversité, les récits démontrent le caractère transgressif de la parole. Rompre avec l’ordre ancien qui se réduisait au seul regard normatif sur ce corps longtemps contrôlé revient à dire que les femmes noires se chargent désormais d’évaluer leur sexualité. L’intérêt de cette réflexion est d’expliciter comment émergent la conscience de soi, le rapport à soi et le dépassement de soi qui constituent la dynamique du moi sexuel féminin. Notre propos se veut donc une analyse des discours de la femme noire sur sa sexualité. Comment la réappréciation du masculin/féminin par le questionnement du jeu des regards sexuels provoque-t-elle des 23troubles dans le genre5 ? Si la sexualité féminine est porteuse d’injonctions normatives, comment le recueil Volcaniques suggère-t-il une autre économie du corps et des plaisirs ?
L’empire des sens6 ou le surgissement
de l’être féminin des profondeurs du plaisir
Globalement, Volcaniques propose une seule et même thématique : la sexualité féminine. Elle y est décrite en termes de plaisir et d’extase. Le plaisir recherché, fantasmé, vécu sereinement ou péniblement, matérialise le rapport du sujet féminin à son corps. L’exploration et l’explosion des corps sont narrées différemment selon qu’on lit Nathalie Etoke dans « Café noir sans crème » ou Gisèle Pineau dans « Un petit feu sans conséquence ». La métaphore du feu parcourt tous les textes de façon à faire coïncider les mouvements de l’âme avec ceux du corps par le biais de l’incandescence. Dès la préface, Léonora Miano, dans une langue érotisée et sans détours, insiste sur la forme du volcan :
En dépit de sa forme érectile, le volcan est aussi creux. Il peut avoir un ou plusieurs cratères, à travers lesquels ses explosions, diffusant du gaz ou de la lave, font suffoquer le monde, l’embrasent parfois. Se dressant vers le ciel tout en abritant des abîmes. (Miano, 2015, p. 6)
24Miano a-t-elle l’intention, dès la préface, de préparer le lecteur à un ensemble épique sur la sexualité féminine noire ? Tout semble mettre en scène Éros dans un hors-temps qui entraîne irrémédiablement celui qui lit dans des dédales érotiques d’une nouvelle à une autre. Les flammes du désir et de la passion, celles qui incendient les corps sont décrites avec emphase :
Ensuite, j’allais prendre une douche chaude, je laissais l’eau couler dans mon dos, sur mes seins, mon ventre, je pouvais littéralement sentir ma peau érotisée à l’extrême crépiter au contact de chaque goutte. Pas seulement mes seins ou mon sexe, mais mon corps tout entier. (ibid., p. 15)
Qui mieux que la narratrice peut parler de ses propres sensations ? Les termes « chaude » et « crépitement » prolongent la référence au feu. Si tout le corps passé en revue est en braise, ce sont surtout les états de profondeur psychologique et les différentes implications en résultant qui sont prioritairement à analyser. Le motif du feu dans les douze textes est plurifonctionnel. Il porte en lui une dualité complexe. À ce sujet, Gaston Bachelard affirme : « Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires : le bien et le mal. Il brille au Paradis. Il brûle à l’Enfer » (1992, p. 17). Dans le même ordre d’idées, du volcan surgit un feu destructeur mais générateur d’une nouvelle nature. Ainsi, les textes de ce volume posent les corps comme lieux de feu, sources d’orgasmes et états d’extase aux énergies (re)créatrices et libératrices. « Un petit feu sans conséquence » de Gisèle Pineau présente Raymonde, vieille femme malade et internée dans un hôpital. Elle reçoit la visite de sa nièce Sonia. Les confidences qu’elle va faire à cette dernière la révèlent au grand jour. Mariée à Benoît, impuissant avant même leur union, elle vivra des passions amoureuses extraconjugales. Benoît mourra en la remerciant d’être restée fidèle pendant quarante-huit ans. Discours testimonial, le récit de Raymonde assure stratégiquement la transmission des savoirs sur la corporéité féminine dans des contextes patriarcaux :
J’ai pris mon plaisir, comme ça… Toute ma vie, j’ai eu des hommes à mes pieds. Ils fourraient leur tête entre mes jambes et s’occupaient de mon petit feu. Ils me suçotaient avec tellement de bonté et de patience et d’ardeur. Jusqu’à ce que je puisse plus retenir ma joie et que je la laisse se déverser dans leurs bouches. (Miano, 2015, p. 40)
25Le feu engage toute la symbolique de la sexualité féminine. Il désigne d’abord le sexe et ses différentes composantes physiologiques. Métaphoriquement, ce feu obéit à une rhétorique dynamique qui permet d’explorer, à partir de plusieurs prismes, les différentes réalisations de la vie. De l’orgasme comme énergie vitale au lieu par lequel passe la vie, le sexe de la femme regorge de motifs et de significations complexes.
Cette forte charge symbolique sert la mise en scène crue de la sexualité permettant ainsi au lecteur d’unir son regard à celui des narrateurs pour suivre les mouvements des corps. Représenter l’intériorité du corps de la femme noire participe d’un choix esthétique voulu et assumé chez les auteures. Elles représentent les corps dans des scènes érotiques qui libèrent la parole féminine de manière transgressive. Ces corps qui comptent – comme l’écrit Butler – désormais dans leur performativité rendent singulières les histoires vécues en (re)questionnant le genre. Dans la nouvelle intitulée « Diane enchanteresse » d’Élisabeth Tchoungui, la narratrice se livre à des confessions intimes dans une démarche parodique. Son discours transgressif promène le lecteur dans l’intimité de Diane sa « maîtresse ». Par une poésie incandescente, l’orgasme provenant des plaisirs solitaires et de la fusion des deux corps féminins laisse entendre des voix dont les explorations érotiques se distancient radicalement de « l’impératif communautaire d’une libido socialisée » (Etoke, 2010, p. 114).
Le dire érotique est sans conteste au cœur de l’esthétique de ce recueil de nouvelles. Parlant des romancières d’Afrique francophone, Pierrette Herzberger-Fofana affirme :
[ces] romancières innovent dans la mesure où les scènes d’amour sont présentées sous toutes leurs facettes. En effet, si le désir sexuel et la jouissance sont passés sous silence dans les œuvres littéraires masculines, les femmes n’hésitent pas à décrire cet aspect y compris la masturbation. (Herzberger-Fofana, 2001, p. 321-322)
Les femmes écrivaines font de l’usage de leur corps une scène de théâtre où résonnent cumulativement sexualité et érotisme. Dans la nouvelle « Diane enchanteresse », les codes culturels régissant le fonctionnement du corps de la femme se mêlent aux nouvelles pratiques sexuelles et rompent ainsi avec l’ordre habituel des choses. La sexualité, la procréation et le désir ne font plus qu’un. Perçu 26dans sa multifonctionnalité, le corps de la femme porte la vie et la transmet. En même temps, avide de nouvelles expériences sexuelles, Diane procure et reçoit du plaisir. L’univers fictionnel pose l’érotisme comme un « constituant fondamental de l’être féminin qui révèle sa capacité à agir et à s’autodéterminer accédant ainsi à une plénitude existentielle » (Etoke, 2010, p. 129). La puissance d’agir ou agentivité7, développée par la plupart des personnages féminins dans ce recueil, se manifeste notamment par des discours subversifs contre la culture dominante. La jeune narratrice dans la nouvelle précédemment citée, déclare :
Seigneur, contrairement à cette histoire d’Ève sortie de la côte d’Adam que vous nous avez servie pour pourrir d’emblée les rapports entre sexes opposés, notre relation était exempte de toute visée dominatrice. Ni déesse ni maîtresse. Point de verge intrusive, juste quatre seins à nous deux, nos chairs en miroir, sororales, solidaires. (Miano, 2015, p. 78)
Triplement subversif, ce discours désacralise le pouvoir divin, détrône la figure tutélaire masculine dans sa symbolique la plus significative en consacrant l’homosexualité féminine. Cette consécration se légitime dans la parole créatrice pour dire une sexualité dénuée de tout fondement essentialiste. En déconstruisant la catégorie « femme », Judith Butler soutient que le genre est le résultat d’une série d’actes et d’accomplissements qu’elle nomme performatifs, impliquant le corps et produisant rétrospectivement l’illusion d’une identité sexuelle cohérente et stable. Radicalement antinaturaliste, elle montre comment les corps sont façonnés par les forces politiques de la matrice hétérosexuelle qui tout à la fois produit et normalise le féminin et le masculin, en suivant une logique binaire et exclusive. La perception que Diane a de sa sexualité crée un trouble dans le genre qui brouille l’identité sexuelle. Ce qui montre par ailleurs l’impossible coïncidence du sujet de genre et 27du sujet de sexe. Du point de vue de Butler, Diane échappe à cet ordre traditionnel et essentialiste en rompant avec l’hétérosexualité normative.
Dans la nouvelle « Le Dealer » de Hemley Boum, Christine, vingt ans, assume une identité sexuelle très complexe. Personnage à la fois lubrique et débarrassé des préjugés qui l’identifient comme femme noire, issue d’un milieu patriarcal, Christine libère toute son énergie libidinale et initie la narratrice, adolescente de quinze ans, aux plaisirs du corps :
Quelques semaines suffirent pour me rendre compte que Christine envisageait le sexe avec une simplicité et une verdeur fascinantes. J’appris par hasard qu’elle couchait avec son patron, le fils de ce dernier âgé de dix-huit ans et le propriétaire de la petite boutique au bout de notre rue. Elle monnayait gentiment ses faveurs : des espèces, quelques menus cadeaux, au fond ce n’était pas l’essentiel. La vérité est que Christine aimait vraiment ça. (ibid., p. 10)
Le portrait de cette libertine dit un corps sans frontière qui se laisse traverser par des pulsions érotiques aux élans transgressifs dans un environnement patriarcal. La sexualité féminine comme savoir rompt par conséquent avec les catégories sociales dans lesquelles elle est prédéterminée. Au sujet de l’intérêt de l’érotisme dans le processus de subjectivation, la poétesse Audre Lorde suggère :
Lorsque je parle de l’érotique, j’en parle en tant qu’assertion, force de vie des femmes ; je parle de cette énergie créative rendue puissante, je parle du savoir et de son utilisation que nous réclamons à présent dans notre langage, notre histoire, nos danses, notre amour, notre travail et nos vies. (Lorde, 2003, p. 58)
Ainsi, la découverte du corps féminin procède doublement d’une prise de conscience de ce corps en tant que lieu et source inépuisable de plaisirs érotiques, d’un cycle initiatique aux savoirs construisant ce corps social dans ses rapports avec l’autre. Les nouvellistes qui adhèrent au projet d’écriture de Léonora Miano font toutes l’expérience d’une prose narrative en tension avec les désirs féminins. Comment rendre compte des chemins sinueux de la sexualité féminine sans tomber dans le cru, l’obscène et la surenchère lexicale de descriptions des pratiques sexuelles ? Le corps se libère par la parole. La parole se fait chair en feu. Et cette parole ne se veut nullement restrictive. Odile Cazenave estime que :
[…] parler de son corps, de son désir, constitue donc pour la femme écrivain, en particulier africaine, un acte d’audace […] les écrivains femmes ont cherché 28à rompre le silence sur toute représentation sexuelle dans la littérature africaine, normative ou non, et à reconquérir un corps qui leur avait été enlevé. (Cazenave, 1996, p. 178)
L’audace dont parle Odile Cazenave se traduit, vingt ans plus tard, par la poésie dans la poésie des corps en extase et l’éclatement des genres qui s’organise dans un capharnaüm lexical n’autorisant plus aucune frontière.
Corps féminin : identités sexuelles,
idéologies et valeurs
La réflexion autour des dialogues des corps dans Volcaniques s’organise en termes de représentation de la sexualité dans ses usages, des dynamiques de pouvoir qui produisent les identités sexuelles et de la programmation narrative des corps sans frontières. Le recueil dirigé par Miano exige plusieurs niveaux de lecture. Dès la première nouvelle, le lecteur est confronté à une forte hétérogénéité des références littéraires érotiques qui participent de l’initiation sexuelle de la jeune narratrice. En plus des récits de Christine, les livres que propose Yao à la narratrice construisent son rapport à son propre corps :
L’ouvrage Madam’ de Xaviera Hollander était l’histoire autobiographique d’une jeune femme de bonne famille devenue call-girl, puis tenancière d’une sorte de bordel de luxe dans le New York des années soixante […]. De fait, les gros mots ainsi que les situations scabreuses décrites par l’auteure me troublèrent moins que l’extraordinaire jubilation avec laquelle cette femme vivait et décrivait son existence immorale, en tout cas eu égard aux principes qui régissaient ma propre vie. (Miano, 2015, p. 13)
Le corps féminin, contrôlé socialement, se pose en objet d’étude de nombreuses réflexions auxquelles prend part désormais le sujet féminin. Yao, son fournisseur en littérature licencieuse dispose d’une bibliothèque riche en ouvrages érotiques :
[…] Histoire de Juliette, ou les prospérités du vice, Histoire d’O, Tropique du Cancer, L’Amant de Lady Chatterley à des lectures plus triviales, avec une prédilection 29pour la série Dix histoires classées X par Gérard de Villiers ou pour des confidences intimes d’hommes ou de femmes dont toute l’existence semblait dédiée au sexe. Sade, Cléland, D. H. Lawrence, Henry Miller… (ibid., p. 14)
La libération de l’imaginaire de la narratrice s’accompagne de celle de son corps dont elle fait par ailleurs la découverte. Elle transgresse les interdits sociaux en s’adonnant à des lectures puis à des pratiques qui façonnent en elle de nouvelles identités sexuelles. Son corps devient ainsi le lieu de désacralisation des valeurs qui jusqu’ici l’avaient culturellement construite :
Lecture après lecture, les nœuds coulants de la culpabilité, d’une éducation bien-pensante s’effilochaient au contact répété des histoires que je lisais et de la jouissance qu’elles me procuraient. Les mots firent de moi une spécialiste de ma propre sensualité, je découvrais sans arrêt de nouveaux chemins de félicité. Je commençais à connaître mon corps, si j’ose dire, sur le bout des doigts. J’appris à le conduire sur le mode réceptif nécessaire, à le toucher avec tendresse et désir […] je considérais mon corps avec émerveillement, gratitude. (ibid., p. 17)
L’initiation à son propre corps passe par son éloge, matérialisé par une poétique de l’érotisme. La plénitude à laquelle le sujet féminin parvient résulte de la réconciliation qui s’opère entre le corps psychique et le corps physique. Parallèlement à cela, le dire érotique démythifie la sexualité en nommant tout ce qui était tabou et en déconstruisant les savoirs culturellement admis sur la sexualité. Développée durant la seconde moitié du xxe siècle, l’approche féministe est une variante de l’approche socio-culturelle qui considère la sexualité comme le reflet des rapports inégaux entre hommes et femmes. Ces réflexions féministes s’inspirent des travaux de sociologues et d’anthropologues et elles s’organisent autour des notions telles que les rôles et les identités attribués culturellement selon le sexe. L’historien Louis Georges Tin, à la suite de Michel Foucault, développe l’idée selon laquelle l’hétérosexualité, loin d’être un fait de nature est bien un fait de culture8. Ceci dit, dans une démarche féministe, d’autres pratiques sexuelles sont mises en scène dans Volcaniques, dans l’optique de dissoudre les hiérarchies et de révolutionner la pensée sexuelle. Parlant de l’usage des corps des femmes, Françoise Héritier affirme que les oppositions sexuelles, marquées du sceau du 30masculin et du féminin, sont hiérarchisées car les valeurs portées par l’un des pôles (le masculin) sont considérées comme supérieures à celles portées par l’autre. Elle précise aussi que :
La valence différentielle des sexes et la domination masculine sont fondées sur l’appropriation par le genre masculin du pouvoir de fécondité du genre féminin et ipso facto sur la jouissance de la sexualité des femmes, puisque l’une ne va pas sans l’autre, avec comme corollaire le plaisir qui naît de l’acte sexuel. (ibid., p. 287)
Dans Volcaniques, les savoirs aux sources du corps féminin s’inscrivent dans une logique de rupture et de renouvellement de la pensée sexuelle. Des plaisirs solitaires au lesbianisme et aux autres pratiques, le lecteur parcourt les représentations de la sexualité dans ses usages les plus divers, produisant ainsi de nouvelles figurations sexuelles. À la suite des ébats avec la jeune femme qu’elle emploie à domicile, Diane se livre à une réflexion sur les possibilités infinies de la sexualité féminine :
Qu’est-ce qu’on fiche encore avec ces poissards ? On n’a même plus besoin d’eux pour nous reproduire, avec les congelés de sperme. Marre de leurs bites qu’ils prennent pour des totems. Elle s’était soudain drapée dans le couvre-lit en bazin or pour déclamer, rieuse exaltée : qu’on la leur coupe ! Ô pénis, ton absence m’envahit ! (Miano, 2015, p. 77)
Diane se métamorphose en poétesse lyrique et dans un chant de liberté, proclame la mort de l’organe reproducteur. Son discours, dans toute sa dimension subversive, signe la fin d’un règne, augmente et démultiplie le sentiment de l’existence du sujet féminin. Conséquemment, l’éclatement du discours se lit dans la déconstruction du corps féminin. La nouvelle « Diane l’enchanteresse » pose le corps féminin comme un système sémiotique sur lequel se fonde une rhétorique blasphématoire. À cela s’ajoute le branle-bas corporel qui structure l’ensemble des textes en rendant compte d’une sexualité carnavalesque. Ainsi, le texte s’inscrit dans une logique de renversement des figures idéologiques :
Mon clitoris est mon talisman. Je le caresse tel un chapelet dans une dernière prière. Je m’administre mon extrême onction. Les kamikazes islamiques croient que dix mille vierges les attendent au paradis. Je rêve plutôt à dix mille femmes rompues à l’exercice du plaisir qui m’accueilleront dans les hourras et me prodigueront jouissance éternelle. Amen. (ibid., p. 79)
31L’inscription de ce passage au registre carnavalesque justifie une esthétique de détournement des idéologies religieuses et de détrônement des figures tutélaires. Le sujet féminin est tourné vers lui-même. L’instance narrative insiste sur la pratique du plaisir solitaire. Les registres se brouillent dans l’entremêlement d’un imaginaire en feu. Mais au-delà de cette description qui ne laisse aucun doute sur l’intention du dire lesbien, on peut s’interroger sur le peu d’études critiques sur l’homosexualité féminine dans le cadre des littératures francophones. La plupart des auteures ayant répondu au projet Volcaniques viennent des pays qui considèrent l’homosexualité comme un délit et donc passible d’une peine d’emprisonnement. Les textes témoignent d’une violation théorique de ce code social et dans ce contexte d’écriture, le désir lesbien et l’omniprésence du fantasme homosexuel, comme motifs littéraires, suggèrent une esthétique libérée de toutes sortes d’entraves.
Avec les travaux de Michel Foucault, la sexualité s’est constituée en véritable objet de connaissance et de pouvoir. Moins que les pratiques sexuelles, ce sont les discours modernes sur la sexualité que Foucault s’attache à décrire dans le premier tome de son Histoire de la sexualité9 et il démontre que depuis le xviie siècle les discours sur le sexe ne sont que le produit d’un dispositif disciplinaire. La société européenne distingue, depuis ce temps, ce qui relève du normal – la sexualité hétérosexuelle à des fins reproductives – et du pathologique. Les sexualités jugées hérétiques sont spécifiées et évaluées. Ainsi se constitue une biopolitique, terme désignant l’exercice d’un pouvoir sur la vie biologique des individus. À l’échelle microscopique, le pouvoir discipline le corps. De même, dans les sociétés africaines, les dispositifs de contrôle des corps féminins sont présents. De l’excision aux mariages forcés, des lois patriarcales régissent le fonctionnement des structures familiales et sociétales. Qu’elles soient africaines ou antillaises, les autrices ayant pris part à ce projet d’écriture appartiennent pour la plupart à ces sociétés. Elles sont au nombre de douze10, des Afropéennes ou Afrodescendantes, qui ont en partage l’Afrique et les valeurs qui les situent à l’intersection de plusieurs continents. Elles 32sont éprises de liberté et du besoin de réinventer le féminin. Elles vivent le plus souvent hors d’Afrique mais restent attachées à la terre de leurs origines. C’est ce qui leur octroie certainement une liberté de ton dans le traitement de ce sujet.
Pour une nouvelle éthique sexuelle
Un projet subversif
Comment le nouveau sujet féminin francophone se représente-t-il sexuellement ? Comment les sexualités dites « alternatives », associées à la problématique du genre participent-elles des métamorphoses identitaires féminines en vue d’une nouvelle éthique sexuelle ? En 1975, Gayle Rubin publie « Le Marché aux femmes. “Économie politique” du sexe et système de sexe/genre11 », texte désormais considéré comme fondateur des champs de la théorie féministe et des études de genre. Rubin y explique la subordination sociale des femmes aux hommes par « les variations infinies et la monotone similitude qu’elle revêt à travers les cultures et à travers l’histoire. » (Rubin, 2019, p. 12). Dans leur préface au volume Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, David M. Halperin et Rostom Mesli montrent que la chercheuse a construit sa perspective féministe en s’appuyant sur les travaux de Claude Lévi-Strauss, donc en observant les structures élémentaires de parenté qui produisent des asymétries de genre dans la mesure où elles imposent la circulation des femmes entre les hommes, à travers l’institution du mariage qui lie les familles et les unités de parenté. Cette pratique est motivée par le tabou de l’inceste et signifie l’exogamie. Elle interdit la consommation sexuelle des femmes à l’intérieur des familles et exige que les femmes soient échangées. Dans un autre article, « Penser le sexe » (ibid., p. 135), paru dix ans plus tard, Rubin reconsidère l’idée selon laquelle le féminisme est, ou doit être, le lieu privilégié de l’élaboration 33d’une théorie de la sexualité. Bien que le genre et le sexe soient liés, ils forment le fondement de deux aires différentes d’interaction sociale. Elle considère qu’il faut en faire l’étude de façon autonome, ce qui va favoriser le développement et la consolidation des études gays et lesbiennes, permettant le fondement de la queer theory.
Dans l’anthologie Surveiller et jouir, Rubin propose les éléments d’un cadre descriptif et conceptuel pour penser le sexe et ses enjeux politiques. Son intention est de constituer une base de réflexion libératrice de l’approche sexuelle à partir de sa « théorie radicale de la politique de la sexualité » (ibid., p. 9) selon laquelle :
[…] ce qui, dans nos sociétés, passe pour la morale sexuelle dissimule l’opération sous-jacente d’un système illégitime de stratification sexuelle que l’on accepte sans l’interroger ; cette morale sexuelle recouvre une façon d’organiser la vie sexuelle en fonction d’une hiérarchie de privilèges et de prestige qui veut que certaines formes de comportement sexuel […] soient approuvées et promues […] tandis que les autres, aussi bien que les personnes qui les pratiquent, sont considérées comme problématiques, mauvaises […] et vouées à l’élimination au nom de l’hygiène morale et sociale. (Rubin, 2019, p. 10)
En d’autres termes, il s’agit d’une théorie sexuelle qui dénoncerait l’injustice érotique et l’oppression sexuelle. Presque toutes les cultures traitent le sexe avec suspicion. Dans les pays francophones dont sont originaires les narratrices de Volcaniques, certaines pratiques sexuelles sont présumées coupables et les comportements érotiques, observés dans le recueil, anormaux. Les contextes sociaux dans lesquels évoluent certains personnages apprécient les actes sexuels selon un système hiérarchique de valeur sexuelle. Par exemple, la narratrice de « Rayon Hommes » de Fabienne Kanor, issue de la grande bourgeoisie camerounaise, se livre à toutes sortes de mises en scène sexuelles. Adepte de jeux érotiques, elle simule des rôles en offrant ostensiblement son corps à plusieurs inconnus lors d’un de ses séjours en France. Cette approche d’une sexualité généreuse rompt bien évidemment avec celle que préconise le cadre conjugal, reproductif et traditionnel. Pourquoi ne s’adonne-t-elle pas aux mêmes jeux libertins dans son pays d’origine ? Le choix de l’espace modifie ainsi les représentations de la sexualité par les auteures. Dans cette nouvelle de Kanor, le système hiérarchique traditionnel de valeurs sexuelles est transgressé par les choix de l’héroïne. Concernant cette catégorisation de valeurs, Rubin élabore une figue qui matérialise 34« la hiérarchie sexuelle : le cercle vertueux et les limites extérieures » (ibid., p. 160). L’interprétation qu’elle en fait suggère une sexualité « normale » et naturelle lorsqu’elle est hétérosexuelle, conjugale, monogame, procréatrice et non pécuniaire. Les limites extérieures à cette sexualité se résumeraient en sexualité mauvaise, anormale, contre-nature et maudite : homosexuelle, hors mariage, à partenaires multiples, non procréatrice, commerciale, seule ou en groupe, sans lendemain, en public, trans-générationnelle, avec pornographie, avec des objets, sadomasochiste. Les programmes narratifs des personnages du recueil répondent presque tous à ces catégories sexuelles. Par conséquent, les récits les situent dans le champ de la transgression et de la marginalité.
Dans la nouvelle « Taberi River » de Gilda Gonfier, Léto s’adonne à une sexualité que Rubin pourrait situer dans les limites extérieures du cercle vertueux de ce qu’elle nomme la hiérarchie sexuelle. La jeune femme soumet son corps à la domination masculine : « Un jour où dans l’affolement des sens elle avait voulu s’échapper de la caresse, il l’avait maintenue sur le lit, son bras sur sa gorge lui interdisant tout mouvement » (Miano, 2015, p. 102). La narratrice donne plus de précisions : « La règle était que lui seul décidait de son plaisir. Il l’avait laissée tout l’après-midi, les mains attachées devant elle, allongée sur le ventre » (ibid.). Elle poursuit dans la même veine : « Léto aimait qu’il la domine. Elle lui avait confié son corps et sa jouissance. Elle s’en était remise totalement à lui, soumise, nue, de jour comme de nuit, offerte. C’est ainsi qu’ils avaient passé une semaine à Mango Cottage, Citrus Creek, Dominique » (ibid.). L’expression du pouvoir sur le corps féminin emprunte peut-être les voies de la violence mais il s’agit d’une domination partagée, fondée sur des représentations sexuelles communes. Le sujet féminin dans la nouvelle « Ta bouche sur mon épaule » de Marie Dô se livre à son amant : « Tu veux ma capitulation, me désires livrée à toi toute entière […]. Je dois te donner la preuve irréfutable de mon aliénation » (ibid.). Volcaniques réinterroge Éros. Le dévoilement progressif de plusieurs figurations sexuelles dans le recueil ouvre des voies de réflexion qui subvertissent l’essentialisme sexuel qui régit les rapports sociaux dans les différentes nouvelles. Des personnages iconoclastes aux dires érotiques qui privilégient des programmes narratifs subversifs, le projet d’écriture que dirige Miano se propose de libérer le plaisir féminin, devenu motif littéraire qui structure ainsi la trame narrative de l’ensemble du recueil.
35En reconnaissant l’émergence de nouvelles individualités sexuelles, Judith Butler a montré que loin de désigner des identités figées, le genre est toujours multiple et incertain. Et que cette déstabilisante instabilité peut être une réjouissance, source de performativité morale, sociale, politique et érotique. Dans son ouvrage traduit en 2006, profondément théorique et politique, elle rejette l’idée de deux genres et donc de deux sexes définis par des attributs immuables et universels. Dans la préface du recueil, Miano en fait une esquisse métaphorique fort prometteuse de significations :
En dépit de sa forme érectile, le volcan est aussi creux. Il peut avoir un ou plusieurs cratères, à travers lesquels ses explosions, diffusent du gaz ou de la lave, font suffoquer le monde, l’embrasent parfois. Se dressant vers le ciel tout en abritant des abîmes, il a un côté androgyne, ce qui ouvrait d’infinies possibilités créatives. (ibid., p. 6)
Ce procédé de langage, par une substitution analogique, fait du sexe féminin un volcan en suggérant des qualités qui leur seraient communes. L’extrait est porteur de nombreuses possibilités d’interprétation relatives à la sexualité et au genre que l’anthologie déploie de multiples façons. À la suite de Judith Butler, il devient possible de reconnaître que les corps sexués permettent toutes sortes de genres, eux-mêmes renvoyant à des sexualités multiples. Ce caractère ambigu du genre révèle l’illusion de l’identité sexuelle et libère le sujet de toute obligation de conformité. Autrement dit, on peut être né de genre masculin, se sentir de genre féminin et être hétérosexuel. Cette subversion de l’intérieur déconstruit les normes dominantes par le foisonnement des minorités dérangeantes. Cela se vérifie dans la nouvelle « Nez d’aigle, dents d’ivoire » de Gaël Octavia, où Frédérique se regarde dans un miroir qui lui renvoie son « allure androgyne » (ibid., p. 88). La narratrice précise encore :
Frédérique effleure les deux bourgeons de sa poitrine, plus bruns que le reste de sa peau mais dont le relief peine à poindre. Elle pince sa taille peu marquée, ses cuisses maigres. Ses sourcils épais sont en broussaille. Ses cheveux crépus, emmêlés, pendent en mèches inégales sur ses épaules. Elle pourrait tout aussi bien être un jeune garçon aux traits fins fasciné par Bob Marley. (ibid., p. 86)
Le caractère androgyne de Frédérique sème le trouble dans le genre en introduisant une dissonance dans l’ensemble gémellaire qu’elle forme 36avec Sarah, car cette dernière, contrairement à sa sœur, présente toutes les caractéristiques du féminin. Au-delà de cette différence qui n’est qu’apparente, Frédérique fait pleinement l’expérience de ses désirs les plus intimes en multipliant les conquêtes avec les garçons et les filles jusqu’à ce que quinze ans plus tard, elle se fixe dans une relation de couple hétérosexuelle.
La diversité des voix narratives dans Volcaniques amplifie la puissance de la parole libératrice. Le sujet féminin se démultiplie en s’élançant dans un dire érotique dénué de tout euphémisme. Dans ce contexte, la mise en récit des plaisirs féminins réactualise les théories relatives au genre et à la sexualité, mettant en avant des personnages qui transgressent les interdits liés aux normes sexuelles. L’impudeur langagière et ses effets renforcent une esthétique audacieuse chez ces auteures francophones qui s’attaquent aux édifices idéologiques bâtis autour de la sexualité féminine. Ainsi, la rhétorique déployée participe de la construction d’une nouvelle éthique sexuelle qui transforme l’être féminin. Les représentations de la parole font écho à celles de la sexualité ouverte et libérée de toute entrave.
Yvette Marie-Edmée Abouga
Université de Yaoundé
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1 Ce titre en convoque un autre publié en 2006 par Drocella Mwisha Rwanika, Sexualité volcanique, Paris, L’Harmattan, 2006. Il s’agit d’un essai qui comprend cinq chapitres respectivement consacrés à : la sexualité féminine dans un rapport hétérosexuel, l’homosexualité féminine, l’inceste, la sexualité féminine pendant le troisième âge et la non-érotisation du corps féminin. Notre propos ne compare pas les deux volumes.
2 Voir : Nathalie Etoke, L’Écriture du corps féminin dans la littérature de l’Afrique francophone au sud du Sahara, Paris, L’Harmattan, 2010 ; Flora Amabiamina et Bernard Nankeu, Discours et sexe dans les littératures francophones d’Afrique. Vers un changement des mentalités ? Paris, L’Harmattan, 2018 ; Amidou Sanogo (dir.), La Sexualité et ses tabous dans les fictions francophones, Les Cahiers du GRELCEF, no 11, mai 2019 ; Amidou Sanogo et Hafida Bencherif, Dire et lire l’érotisme dans les productions culturelles francophones, Western University London (Ontario), Canada, 2020.
3 Voir : Sigmund Freud, La Question de l’analyse profane, Œuvres complètes, t. xviii, Paris, PUF, 2002, p. 5-92. En 1926, Freud compare la sexualité de la femme à un continent noir, formule empruntée à J. R. Stanley, explorateur des forêts impénétrables noires et hostiles de l’Afrique.
4 Une douzaine d’auteures ayant en commun des origines africaines ont pris part à ce projet : Léonora Miano, Hemley Boum, Fabienne Kanor, Élisabeth Tchoungui, Gisèle Pineau, Nafissatou Dia Diouf, Axelle Jah Njiké, Nathalie Etoke, Gilda Gonfier, Gaël Octavia, Silex et Marie Dô. Cette multitude de narratrices illustre la diversité des points de vue sur la sexualité féminine noire.
5 Nous nous référons à Françoise Hériter, Masculin/Féminin. Dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob, 2012 et à Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité (préf. Éric Fassin, trad. Cynthia Kraus), Paris, La Découverte/Poche, 2006.
6 Le film de Nagisa Oshima est inspiré d’un fait divers. Au milieu des années 1930, à Tokyo, Abe Sada, ancienne prostituée, devient domestique dans une maison bourgeoise. Son patron Kichizo est irrésistiblement attiré par elle. Ils vont vivre une escalade érotique. Leur amour est une célébration initiatique et une recherche de l’extase. Repoussant les limites, l’amant demande à sa compagne de l’étrangler pendant l’acte sexuel. Le film est censuré à sa sortie en 1976. Désir féminin, sexualité non dissimulée, érotisme magnifié, antimilitarisme, ce film est à considérer comme une expression de la dissidence sexuelle d’Abe Sada et de son amant Kichizo. Abe, comme figure insurrectionnelle se dresse contre les valeurs culturelles archaïques du Japon impérial. Le but d’Oshima est de lever le tabou de la représentation non simulée des rapports sexuels à l’écran.
7 La notion d’agency est centrale dans les travaux de Judith Butler. Elle désigne la capacité à faire quelque chose avec ce qu’on fait de moi. C’est-à-dire le fait qu’en tant que sujet, je suis constitué par des rapports de pouvoir dont je dépends mais sur lesquels j’ai la possibilité parfois d’agir. Autrement dit, l’agency est la capacité à pouvoir déjouer et renverser ces rapports de pouvoir qui s’exercent sur le sujet, sans l’extraire de ces rapports. Judith Butler utilise ce paradigme dans son ouvrage Le Pouvoir des mots. Politique du performatif (trad. Charlotte Nordmann avec la collab. de Jérôme Vidal, Amsterdam, Paris, 2004) lorsqu’elle analyse les discours haineux et injurieux qui ne supprimeraient pas, selon elle, la capacité d’agir du sujet.
8 Voir : Louis Georges Tin, L’Invention de la culture hétérosexuelle, Paris, Autrement, 2008.
9 Michel Foucault, Histoire de la sexualité. La Volonté de savoir, 1976. Ce premier tome est suivi de deux volumes publiés en 1984 : L’Usage des plaisirs et Le Souci de soi.
10 Voir notre note 4 avec les noms des auteures.
11 Première anthropologue féministe à avoir employé le mot gender dans un essai, Rubin est depuis de nombreuses années une figure essentielle des études féministes et des études gaies et lesbiennes. La publication en 1975 de son article « Le Marché aux femmes » fait d’elle une figure incontournable du féminisme de la deuxième vague. Cet article constitue le chapitre 1 du recueil Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, Paris, Epel, 2019.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12735-2
- EAN : 9782406127352
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12735-2.p.0021
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 18/05/2022
- Langue : Français
- Mots-clés : Corps féminin, noir, sexualité, transgression, pouvoir