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Classiques Garnier

Dialogues des corps ou l’érotisme au féminin Du mutisme à la parole transgressive dans Volcaniques. Anthologie du plaisir de Léonora Miano

  • Publication type: Article from a collective work
  • Collective work: Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir
  • Author: Abouga (Yvette Marie-Edmée)
  • Abstract: Les nouvelles du recueil Volcaniques démontrent le caractère transgressif d’une parole qui se libère lorsque le sujet féminin se charge d’interroger son propre corps. Du déchiffrement de soi émerge l’affirmation d’une individualité comme lieu de pouvoir et de (re)construction identitaire. Sachant que sa sexualité est porteuse d’injonctions normatives, il s’agit de comprendre comment le volume Volcaniques suggère une autre économie du corps et des plaisirs de la femme noire.
  • Pages: 21 to 38
  • Collection: Encounters, n° 539
  • Series: Francophone communities, n° 2
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406127352
  • ISBN: 978-2-406-12735-2
  • ISSN: 2261-1851
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12735-2.p.0021
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 05-18-2022
  • Language: French
  • Keyword: Corps féminin, noir, sexualité, transgression, pouvoir
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Dialogues des corps
ou lérotisme au féminin

Du mutisme à la parole transgressive
dans Volcaniques. Anthologie du plaisir de Léonora Miano

Je brûle de toutes les flammes quattisent en moi les ardeurs de la chair.

Héloïse, Lettre à Abélard.

Volcaniques. Anthologie du plaisir1 est le titre du recueil de nouvelles dirigé et publié en 2015 par Léonora Miano. Dentrée de jeu, le seuil que constitue le titre entraîne des hypothèses de sens pouvant se formuler assez aisément. Cet ensemble dapparence homogène, puisque rassemblant des récits autour de la sexualité féminine, se découvre dune grande complexité. Dans le sens où la sexualité féminine, motif littéraire ayant certes fait lobjet de quelques travaux2 dans les espaces francophones et qui engage des questionnements liés à plusieurs catégories de savoirs – comme les nommait Michel Foucault, en 1976 déjà – demeure toujours un sujet sensible et presque tabou dans les environnements culturels dont sont originaires les auteures du volume. Communément, la sexualité de la 22femme a longtemps fait peur aux hommes pour des raisons que suggère le psychanalyste Jean Cournut, en 2001, dans son ouvrage Pourquoi les hommes ont peur des femmes. À limage dun volcan, le sexe féminin ou le « continent noir3 » incarnerait le secret et limprévisibilité dune force éruptive sans fin. La sexualité féminine tenue ainsi pour intense, débordante, inépuisable et incontrôlable, inquiète et demeure étrange. Le volume de Miano obéit donc à une thématique fortement rattachée au corps de la femme dans ses divers accomplissements. Bien plus, le choix dune anthologie nous paraît être motivé par la volonté dune mise en regard des diverses stratégies discursives de réappropriation des corps féminins noirs.

Loin dêtre exclusivement une démarche esthétique de dévoilement, représenter le corps de la femme noire senracine bien plus dans le désir de réexaminer un discours dominant souvent falsifié et réducteur sur ce que seraient ses états et profondeurs. Ainsi, la multiplicité des points de vue dans ce recueil saccorderait avec lidée déclatement des mises en discours de la sexualité féminine. Des thèmes variés aux prouesses narratives surprenantes, les textes montrent le corps féminin dans toutes ses tensions et ruptures4. Il revêt tantôt des formes sacrées et mystérieuses, tantôt triviales, bruyantes et carnavalesques. Par ailleurs, dans leur diversité, les récits démontrent le caractère transgressif de la parole. Rompre avec lordre ancien qui se réduisait au seul regard normatif sur ce corps longtemps contrôlé revient à dire que les femmes noires se chargent désormais dévaluer leur sexualité. Lintérêt de cette réflexion est dexpliciter comment émergent la conscience de soi, le rapport à soi et le dépassement de soi qui constituent la dynamique du moi sexuel féminin. Notre propos se veut donc une analyse des discours de la femme noire sur sa sexualité. Comment la réappréciation du masculin/féminin par le questionnement du jeu des regards sexuels provoque-t-elle des 23troubles dans le genre5 ? Si la sexualité féminine est porteuse dinjonctions normatives, comment le recueil Volcaniques suggère-t-il une autre économie du corps et des plaisirs ?

Lempire des sens6 ou le surgissement
de lêtre féminin des profondeurs du plaisir

Globalement, Volcaniques propose une seule et même thématique : la sexualité féminine. Elle y est décrite en termes de plaisir et dextase. Le plaisir recherché, fantasmé, vécu sereinement ou péniblement, matérialise le rapport du sujet féminin à son corps. Lexploration et lexplosion des corps sont narrées différemment selon quon lit Nathalie Etoke dans « Café noir sans crème » ou Gisèle Pineau dans « Un petit feu sans conséquence ». La métaphore du feu parcourt tous les textes de façon à faire coïncider les mouvements de lâme avec ceux du corps par le biais de lincandescence. Dès la préface, Léonora Miano, dans une langue érotisée et sans détours, insiste sur la forme du volcan :

En dépit de sa forme érectile, le volcan est aussi creux. Il peut avoir un ou plusieurs cratères, à travers lesquels ses explosions, diffusant du gaz ou de la lave, font suffoquer le monde, lembrasent parfois. Se dressant vers le ciel tout en abritant des abîmes. (Miano, 2015, p. 6)

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Miano a-t-elle lintention, dès la préface, de préparer le lecteur à un ensemble épique sur la sexualité féminine noire ? Tout semble mettre en scène Éros dans un hors-temps qui entraîne irrémédiablement celui qui lit dans des dédales érotiques dune nouvelle à une autre. Les flammes du désir et de la passion, celles qui incendient les corps sont décrites avec emphase :

Ensuite, jallais prendre une douche chaude, je laissais leau couler dans mon dos, sur mes seins, mon ventre, je pouvais littéralement sentir ma peau érotisée à lextrême crépiter au contact de chaque goutte. Pas seulement mes seins ou mon sexe, mais mon corps tout entier. (ibid., p. 15)

Qui mieux que la narratrice peut parler de ses propres sensations ? Les termes « chaude » et « crépitement » prolongent la référence au feu. Si tout le corps passé en revue est en braise, ce sont surtout les états de profondeur psychologique et les différentes implications en résultant qui sont prioritairement à analyser. Le motif du feu dans les douze textes est plurifonctionnel. Il porte en lui une dualité complexe. À ce sujet, Gaston Bachelard affirme : « Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires : le bien et le mal. Il brille au Paradis. Il brûle à lEnfer » (1992, p. 17). Dans le même ordre didées, du volcan surgit un feu destructeur mais générateur dune nouvelle nature. Ainsi, les textes de ce volume posent les corps comme lieux de feu, sources dorgasmes et états dextase aux énergies (re)créatrices et libératrices. « Un petit feu sans conséquence » de Gisèle Pineau présente Raymonde, vieille femme malade et internée dans un hôpital. Elle reçoit la visite de sa nièce Sonia. Les confidences quelle va faire à cette dernière la révèlent au grand jour. Mariée à Benoît, impuissant avant même leur union, elle vivra des passions amoureuses extraconjugales. Benoît mourra en la remerciant dêtre restée fidèle pendant quarante-huit ans. Discours testimonial, le récit de Raymonde assure stratégiquement la transmission des savoirs sur la corporéité féminine dans des contextes patriarcaux :

Jai pris mon plaisir, comme ça… Toute ma vie, jai eu des hommes à mes pieds. Ils fourraient leur tête entre mes jambes et soccupaient de mon petit feu. Ils me suçotaient avec tellement de bonté et de patience et dardeur. Jusquà ce que je puisse plus retenir ma joie et que je la laisse se déverser dans leurs bouches. (Miano, 2015, p. 40)

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Le feu engage toute la symbolique de la sexualité féminine. Il désigne dabord le sexe et ses différentes composantes physiologiques. Métaphoriquement, ce feu obéit à une rhétorique dynamique qui permet dexplorer, à partir de plusieurs prismes, les différentes réalisations de la vie. De lorgasme comme énergie vitale au lieu par lequel passe la vie, le sexe de la femme regorge de motifs et de significations complexes.

Cette forte charge symbolique sert la mise en scène crue de la sexualité permettant ainsi au lecteur dunir son regard à celui des narrateurs pour suivre les mouvements des corps. Représenter lintériorité du corps de la femme noire participe dun choix esthétique voulu et assumé chez les auteures. Elles représentent les corps dans des scènes érotiques qui libèrent la parole féminine de manière transgressive. Ces corps qui comptent – comme lécrit Butler – désormais dans leur performativité rendent singulières les histoires vécues en (re)questionnant le genre. Dans la nouvelle intitulée « Diane enchanteresse » dÉlisabeth Tchoungui, la narratrice se livre à des confessions intimes dans une démarche parodique. Son discours transgressif promène le lecteur dans lintimité de Diane sa « maîtresse ». Par une poésie incandescente, lorgasme provenant des plaisirs solitaires et de la fusion des deux corps féminins laisse entendre des voix dont les explorations érotiques se distancient radicalement de « limpératif communautaire dune libido socialisée » (Etoke, 2010, p. 114).

Le dire érotique est sans conteste au cœur de lesthétique de ce recueil de nouvelles. Parlant des romancières dAfrique francophone, Pierrette Herzberger-Fofana affirme :

[ces] romancières innovent dans la mesure où les scènes damour sont présentées sous toutes leurs facettes. En effet, si le désir sexuel et la jouissance sont passés sous silence dans les œuvres littéraires masculines, les femmes nhésitent pas à décrire cet aspect y compris la masturbation. (Herzberger-Fofana, 2001, p. 321-322)

Les femmes écrivaines font de lusage de leur corps une scène de théâtre où résonnent cumulativement sexualité et érotisme. Dans la nouvelle « Diane enchanteresse », les codes culturels régissant le fonctionnement du corps de la femme se mêlent aux nouvelles pratiques sexuelles et rompent ainsi avec lordre habituel des choses. La sexualité, la procréation et le désir ne font plus quun. Perçu 26dans sa multifonctionnalité, le corps de la femme porte la vie et la transmet. En même temps, avide de nouvelles expériences sexuelles, Diane procure et reçoit du plaisir. Lunivers fictionnel pose lérotisme comme un « constituant fondamental de lêtre féminin qui révèle sa capacité à agir et à sautodéterminer accédant ainsi à une plénitude existentielle » (Etoke, 2010, p. 129). La puissance dagir ou agentivité7, développée par la plupart des personnages féminins dans ce recueil, se manifeste notamment par des discours subversifs contre la culture dominante. La jeune narratrice dans la nouvelle précédemment citée, déclare :

Seigneur, contrairement à cette histoire dÈve sortie de la côte dAdam que vous nous avez servie pour pourrir demblée les rapports entre sexes opposés, notre relation était exempte de toute visée dominatrice. Ni déesse ni maîtresse. Point de verge intrusive, juste quatre seins à nous deux, nos chairs en miroir, sororales, solidaires. (Miano, 2015, p. 78)

Triplement subversif, ce discours désacralise le pouvoir divin, détrône la figure tutélaire masculine dans sa symbolique la plus significative en consacrant lhomosexualité féminine. Cette consécration se légitime dans la parole créatrice pour dire une sexualité dénuée de tout fondement essentialiste. En déconstruisant la catégorie « femme », Judith Butler soutient que le genre est le résultat dune série dactes et daccomplissements quelle nomme performatifs, impliquant le corps et produisant rétrospectivement lillusion dune identité sexuelle cohérente et stable. Radicalement antinaturaliste, elle montre comment les corps sont façonnés par les forces politiques de la matrice hétérosexuelle qui tout à la fois produit et normalise le féminin et le masculin, en suivant une logique binaire et exclusive. La perception que Diane a de sa sexualité crée un trouble dans le genre qui brouille lidentité sexuelle. Ce qui montre par ailleurs limpossible coïncidence du sujet de genre et 27du sujet de sexe. Du point de vue de Butler, Diane échappe à cet ordre traditionnel et essentialiste en rompant avec lhétérosexualité normative.

Dans la nouvelle « Le Dealer » de Hemley Boum, Christine, vingt ans, assume une identité sexuelle très complexe. Personnage à la fois lubrique et débarrassé des préjugés qui lidentifient comme femme noire, issue dun milieu patriarcal, Christine libère toute son énergie libidinale et initie la narratrice, adolescente de quinze ans, aux plaisirs du corps :

Quelques semaines suffirent pour me rendre compte que Christine envisageait le sexe avec une simplicité et une verdeur fascinantes. Jappris par hasard quelle couchait avec son patron, le fils de ce dernier âgé de dix-huit ans et le propriétaire de la petite boutique au bout de notre rue. Elle monnayait gentiment ses faveurs : des espèces, quelques menus cadeaux, au fond ce nétait pas lessentiel. La vérité est que Christine aimait vraiment ça. (ibid., p. 10)

Le portrait de cette libertine dit un corps sans frontière qui se laisse traverser par des pulsions érotiques aux élans transgressifs dans un environnement patriarcal. La sexualité féminine comme savoir rompt par conséquent avec les catégories sociales dans lesquelles elle est prédéterminée. Au sujet de lintérêt de lérotisme dans le processus de subjectivation, la poétesse Audre Lorde suggère :

Lorsque je parle de lérotique, jen parle en tant quassertion, force de vie des femmes ; je parle de cette énergie créative rendue puissante, je parle du savoir et de son utilisation que nous réclamons à présent dans notre langage, notre histoire, nos danses, notre amour, notre travail et nos vies. (Lorde, 2003, p. 58)

Ainsi, la découverte du corps féminin procède doublement dune prise de conscience de ce corps en tant que lieu et source inépuisable de plaisirs érotiques, dun cycle initiatique aux savoirs construisant ce corps social dans ses rapports avec lautre. Les nouvellistes qui adhèrent au projet décriture de Léonora Miano font toutes lexpérience dune prose narrative en tension avec les désirs féminins. Comment rendre compte des chemins sinueux de la sexualité féminine sans tomber dans le cru, lobscène et la surenchère lexicale de descriptions des pratiques sexuelles ? Le corps se libère par la parole. La parole se fait chair en feu. Et cette parole ne se veut nullement restrictive. Odile Cazenave estime que :

[] parler de son corps, de son désir, constitue donc pour la femme écrivain, en particulier africaine, un acte daudace [] les écrivains femmes ont cherché 28à rompre le silence sur toute représentation sexuelle dans la littérature africaine, normative ou non, et à reconquérir un corps qui leur avait été enlevé. (Cazenave, 1996, p. 178)

Laudace dont parle Odile Cazenave se traduit, vingt ans plus tard, par la poésie dans la poésie des corps en extase et léclatement des genres qui sorganise dans un capharnaüm lexical nautorisant plus aucune frontière.

Corps féminin : identités sexuelles,
idéologies et valeurs

La réflexion autour des dialogues des corps dans Volcaniques sorganise en termes de représentation de la sexualité dans ses usages, des dynamiques de pouvoir qui produisent les identités sexuelles et de la programmation narrative des corps sans frontières. Le recueil dirigé par Miano exige plusieurs niveaux de lecture. Dès la première nouvelle, le lecteur est confronté à une forte hétérogénéité des références littéraires érotiques qui participent de linitiation sexuelle de la jeune narratrice. En plus des récits de Christine, les livres que propose Yao à la narratrice construisent son rapport à son propre corps :

Louvrage Madam de Xaviera Hollander était lhistoire autobiographique dune jeune femme de bonne famille devenue call-girl, puis tenancière dune sorte de bordel de luxe dans le New York des années soixante []. De fait, les gros mots ainsi que les situations scabreuses décrites par lauteure me troublèrent moins que lextraordinaire jubilation avec laquelle cette femme vivait et décrivait son existence immorale, en tout cas eu égard aux principes qui régissaient ma propre vie. (Miano, 2015, p. 13)

Le corps féminin, contrôlé socialement, se pose en objet détude de nombreuses réflexions auxquelles prend part désormais le sujet féminin. Yao, son fournisseur en littérature licencieuse dispose dune bibliothèque riche en ouvrages érotiques :

[] Histoire de Juliette, ou les prospérités du vice, Histoire dO, Tropique du Cancer, LAmant de Lady Chatterley à des lectures plus triviales, avec une prédilection 29pour la série Dix histoires classées X par Gérard de Villiers ou pour des confidences intimes dhommes ou de femmes dont toute lexistence semblait dédiée au sexe. Sade, Cléland, D. H. Lawrence, Henry Miller… (ibid., p. 14)

La libération de limaginaire de la narratrice saccompagne de celle de son corps dont elle fait par ailleurs la découverte. Elle transgresse les interdits sociaux en sadonnant à des lectures puis à des pratiques qui façonnent en elle de nouvelles identités sexuelles. Son corps devient ainsi le lieu de désacralisation des valeurs qui jusquici lavaient culturellement construite :

Lecture après lecture, les nœuds coulants de la culpabilité, dune éducation bien-pensante seffilochaient au contact répété des histoires que je lisais et de la jouissance quelles me procuraient. Les mots firent de moi une spécialiste de ma propre sensualité, je découvrais sans arrêt de nouveaux chemins de félicité. Je commençais à connaître mon corps, si jose dire, sur le bout des doigts. Jappris à le conduire sur le mode réceptif nécessaire, à le toucher avec tendresse et désir [] je considérais mon corps avec émerveillement, gratitude. (ibid., p. 17)

Linitiation à son propre corps passe par son éloge, matérialisé par une poétique de lérotisme. La plénitude à laquelle le sujet féminin parvient résulte de la réconciliation qui sopère entre le corps psychique et le corps physique. Parallèlement à cela, le dire érotique démythifie la sexualité en nommant tout ce qui était tabou et en déconstruisant les savoirs culturellement admis sur la sexualité. Développée durant la seconde moitié du xxe siècle, lapproche féministe est une variante de lapproche socio-culturelle qui considère la sexualité comme le reflet des rapports inégaux entre hommes et femmes. Ces réflexions féministes sinspirent des travaux de sociologues et danthropologues et elles sorganisent autour des notions telles que les rôles et les identités attribués culturellement selon le sexe. Lhistorien Louis Georges Tin, à la suite de Michel Foucault, développe lidée selon laquelle lhétérosexualité, loin dêtre un fait de nature est bien un fait de culture8. Ceci dit, dans une démarche féministe, dautres pratiques sexuelles sont mises en scène dans Volcaniques, dans loptique de dissoudre les hiérarchies et de révolutionner la pensée sexuelle. Parlant de lusage des corps des femmes, Françoise Héritier affirme que les oppositions sexuelles, marquées du sceau du 30masculin et du féminin, sont hiérarchisées car les valeurs portées par lun des pôles (le masculin) sont considérées comme supérieures à celles portées par lautre. Elle précise aussi que :

La valence différentielle des sexes et la domination masculine sont fondées sur lappropriation par le genre masculin du pouvoir de fécondité du genre féminin et ipso facto sur la jouissance de la sexualité des femmes, puisque lune ne va pas sans lautre, avec comme corollaire le plaisir qui naît de lacte sexuel. (ibid., p. 287)

Dans Volcaniques, les savoirs aux sources du corps féminin sinscrivent dans une logique de rupture et de renouvellement de la pensée sexuelle. Des plaisirs solitaires au lesbianisme et aux autres pratiques, le lecteur parcourt les représentations de la sexualité dans ses usages les plus divers, produisant ainsi de nouvelles figurations sexuelles. À la suite des ébats avec la jeune femme quelle emploie à domicile, Diane se livre à une réflexion sur les possibilités infinies de la sexualité féminine :

Quest-ce quon fiche encore avec ces poissards ? On na même plus besoin deux pour nous reproduire, avec les congelés de sperme. Marre de leurs bites quils prennent pour des totems. Elle sétait soudain drapée dans le couvre-lit en bazin or pour déclamer, rieuse exaltée : quon la leur coupe ! Ô pénis, ton absence menvahit ! (Miano, 2015, p. 77)

Diane se métamorphose en poétesse lyrique et dans un chant de liberté, proclame la mort de lorgane reproducteur. Son discours, dans toute sa dimension subversive, signe la fin dun règne, augmente et démultiplie le sentiment de lexistence du sujet féminin. Conséquemment, léclatement du discours se lit dans la déconstruction du corps féminin. La nouvelle « Diane lenchanteresse » pose le corps féminin comme un système sémiotique sur lequel se fonde une rhétorique blasphématoire. À cela sajoute le branle-bas corporel qui structure lensemble des textes en rendant compte dune sexualité carnavalesque. Ainsi, le texte sinscrit dans une logique de renversement des figures idéologiques :

Mon clitoris est mon talisman. Je le caresse tel un chapelet dans une dernière prière. Je madministre mon extrême onction. Les kamikazes islamiques croient que dix mille vierges les attendent au paradis. Je rêve plutôt à dix mille femmes rompues à lexercice du plaisir qui maccueilleront dans les hourras et me prodigueront jouissance éternelle. Amen. (ibid., p. 79)

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Linscription de ce passage au registre carnavalesque justifie une esthétique de détournement des idéologies religieuses et de détrônement des figures tutélaires. Le sujet féminin est tourné vers lui-même. Linstance narrative insiste sur la pratique du plaisir solitaire. Les registres se brouillent dans lentremêlement dun imaginaire en feu. Mais au-delà de cette description qui ne laisse aucun doute sur lintention du dire lesbien, on peut sinterroger sur le peu détudes critiques sur lhomosexualité féminine dans le cadre des littératures francophones. La plupart des auteures ayant répondu au projet Volcaniques viennent des pays qui considèrent lhomosexualité comme un délit et donc passible dune peine demprisonnement. Les textes témoignent dune violation théorique de ce code social et dans ce contexte décriture, le désir lesbien et lomniprésence du fantasme homosexuel, comme motifs littéraires, suggèrent une esthétique libérée de toutes sortes dentraves.

Avec les travaux de Michel Foucault, la sexualité sest constituée en véritable objet de connaissance et de pouvoir. Moins que les pratiques sexuelles, ce sont les discours modernes sur la sexualité que Foucault sattache à décrire dans le premier tome de son Histoire de la sexualité9 et il démontre que depuis le xviie siècle les discours sur le sexe ne sont que le produit dun dispositif disciplinaire. La société européenne distingue, depuis ce temps, ce qui relève du normal – la sexualité hétérosexuelle à des fins reproductives – et du pathologique. Les sexualités jugées hérétiques sont spécifiées et évaluées. Ainsi se constitue une biopolitique, terme désignant lexercice dun pouvoir sur la vie biologique des individus. À léchelle microscopique, le pouvoir discipline le corps. De même, dans les sociétés africaines, les dispositifs de contrôle des corps féminins sont présents. De lexcision aux mariages forcés, des lois patriarcales régissent le fonctionnement des structures familiales et sociétales. Quelles soient africaines ou antillaises, les autrices ayant pris part à ce projet décriture appartiennent pour la plupart à ces sociétés. Elles sont au nombre de douze10, des Afropéennes ou Afrodescendantes, qui ont en partage lAfrique et les valeurs qui les situent à lintersection de plusieurs continents. Elles 32sont éprises de liberté et du besoin de réinventer le féminin. Elles vivent le plus souvent hors dAfrique mais restent attachées à la terre de leurs origines. Cest ce qui leur octroie certainement une liberté de ton dans le traitement de ce sujet.

Pour une nouvelle éthique sexuelle

Un projet subversif

Comment le nouveau sujet féminin francophone se représente-t-il sexuellement ? Comment les sexualités dites « alternatives », associées à la problématique du genre participent-elles des métamorphoses identitaires féminines en vue dune nouvelle éthique sexuelle ? En 1975, Gayle Rubin publie « Le Marché aux femmes. “Économie politique” du sexe et système de sexe/genre11 », texte désormais considéré comme fondateur des champs de la théorie féministe et des études de genre. Rubin y explique la subordination sociale des femmes aux hommes par « les variations infinies et la monotone similitude quelle revêt à travers les cultures et à travers lhistoire. » (Rubin, 2019, p. 12). Dans leur préface au volume Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, David M. Halperin et Rostom Mesli montrent que la chercheuse a construit sa perspective féministe en sappuyant sur les travaux de Claude Lévi-Strauss, donc en observant les structures élémentaires de parenté qui produisent des asymétries de genre dans la mesure où elles imposent la circulation des femmes entre les hommes, à travers linstitution du mariage qui lie les familles et les unités de parenté. Cette pratique est motivée par le tabou de linceste et signifie lexogamie. Elle interdit la consommation sexuelle des femmes à lintérieur des familles et exige que les femmes soient échangées. Dans un autre article, « Penser le sexe » (ibid., p. 135), paru dix ans plus tard, Rubin reconsidère lidée selon laquelle le féminisme est, ou doit être, le lieu privilégié de lélaboration 33dune théorie de la sexualité. Bien que le genre et le sexe soient liés, ils forment le fondement de deux aires différentes dinteraction sociale. Elle considère quil faut en faire létude de façon autonome, ce qui va favoriser le développement et la consolidation des études gays et lesbiennes, permettant le fondement de la queer theory.

Dans lanthologie Surveiller et jouir, Rubin propose les éléments dun cadre descriptif et conceptuel pour penser le sexe et ses enjeux politiques. Son intention est de constituer une base de réflexion libératrice de lapproche sexuelle à partir de sa « théorie radicale de la politique de la sexualité » (ibid., p. 9) selon laquelle :

[] ce qui, dans nos sociétés, passe pour la morale sexuelle dissimule lopération sous-jacente dun système illégitime de stratification sexuelle que lon accepte sans linterroger ; cette morale sexuelle recouvre une façon dorganiser la vie sexuelle en fonction dune hiérarchie de privilèges et de prestige qui veut que certaines formes de comportement sexuel [] soient approuvées et promues [] tandis que les autres, aussi bien que les personnes qui les pratiquent, sont considérées comme problématiques, mauvaises [] et vouées à lélimination au nom de lhygiène morale et sociale. (Rubin, 2019, p. 10)

En dautres termes, il sagit dune théorie sexuelle qui dénoncerait linjustice érotique et loppression sexuelle. Presque toutes les cultures traitent le sexe avec suspicion. Dans les pays francophones dont sont originaires les narratrices de Volcaniques, certaines pratiques sexuelles sont présumées coupables et les comportements érotiques, observés dans le recueil, anormaux. Les contextes sociaux dans lesquels évoluent certains personnages apprécient les actes sexuels selon un système hiérarchique de valeur sexuelle. Par exemple, la narratrice de « Rayon Hommes » de Fabienne Kanor, issue de la grande bourgeoisie camerounaise, se livre à toutes sortes de mises en scène sexuelles. Adepte de jeux érotiques, elle simule des rôles en offrant ostensiblement son corps à plusieurs inconnus lors dun de ses séjours en France. Cette approche dune sexualité généreuse rompt bien évidemment avec celle que préconise le cadre conjugal, reproductif et traditionnel. Pourquoi ne sadonne-t-elle pas aux mêmes jeux libertins dans son pays dorigine ? Le choix de lespace modifie ainsi les représentations de la sexualité par les auteures. Dans cette nouvelle de Kanor, le système hiérarchique traditionnel de valeurs sexuelles est transgressé par les choix de lhéroïne. Concernant cette catégorisation de valeurs, Rubin élabore une figue qui matérialise 34« la hiérarchie sexuelle : le cercle vertueux et les limites extérieures » (ibid., p. 160). Linterprétation quelle en fait suggère une sexualité « normale » et naturelle lorsquelle est hétérosexuelle, conjugale, monogame, procréatrice et non pécuniaire. Les limites extérieures à cette sexualité se résumeraient en sexualité mauvaise, anormale, contre-nature et maudite : homosexuelle, hors mariage, à partenaires multiples, non procréatrice, commerciale, seule ou en groupe, sans lendemain, en public, trans-générationnelle, avec pornographie, avec des objets, sadomasochiste. Les programmes narratifs des personnages du recueil répondent presque tous à ces catégories sexuelles. Par conséquent, les récits les situent dans le champ de la transgression et de la marginalité.

Dans la nouvelle « Taberi River » de Gilda Gonfier, Léto sadonne à une sexualité que Rubin pourrait situer dans les limites extérieures du cercle vertueux de ce quelle nomme la hiérarchie sexuelle. La jeune femme soumet son corps à la domination masculine : « Un jour où dans laffolement des sens elle avait voulu séchapper de la caresse, il lavait maintenue sur le lit, son bras sur sa gorge lui interdisant tout mouvement » (Miano, 2015, p. 102). La narratrice donne plus de précisions : « La règle était que lui seul décidait de son plaisir. Il lavait laissée tout laprès-midi, les mains attachées devant elle, allongée sur le ventre » (ibid.). Elle poursuit dans la même veine : « Léto aimait quil la domine. Elle lui avait confié son corps et sa jouissance. Elle sen était remise totalement à lui, soumise, nue, de jour comme de nuit, offerte. Cest ainsi quils avaient passé une semaine à Mango Cottage, Citrus Creek, Dominique » (ibid.). Lexpression du pouvoir sur le corps féminin emprunte peut-être les voies de la violence mais il sagit dune domination partagée, fondée sur des représentations sexuelles communes. Le sujet féminin dans la nouvelle « Ta bouche sur mon épaule » de Marie Dô se livre à son amant : « Tu veux ma capitulation, me désires livrée à toi toute entière []. Je dois te donner la preuve irréfutable de mon aliénation » (ibid.). Volcaniques réinterroge Éros. Le dévoilement progressif de plusieurs figurations sexuelles dans le recueil ouvre des voies de réflexion qui subvertissent lessentialisme sexuel qui régit les rapports sociaux dans les différentes nouvelles. Des personnages iconoclastes aux dires érotiques qui privilégient des programmes narratifs subversifs, le projet décriture que dirige Miano se propose de libérer le plaisir féminin, devenu motif littéraire qui structure ainsi la trame narrative de lensemble du recueil.

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En reconnaissant lémergence de nouvelles individualités sexuelles, Judith Butler a montré que loin de désigner des identités figées, le genre est toujours multiple et incertain. Et que cette déstabilisante instabilité peut être une réjouissance, source de performativité morale, sociale, politique et érotique. Dans son ouvrage traduit en 2006, profondément théorique et politique, elle rejette lidée de deux genres et donc de deux sexes définis par des attributs immuables et universels. Dans la préface du recueil, Miano en fait une esquisse métaphorique fort prometteuse de significations :

En dépit de sa forme érectile, le volcan est aussi creux. Il peut avoir un ou plusieurs cratères, à travers lesquels ses explosions, diffusent du gaz ou de la lave, font suffoquer le monde, lembrasent parfois. Se dressant vers le ciel tout en abritant des abîmes, il a un côté androgyne, ce qui ouvrait dinfinies possibilités créatives. (ibid., p. 6)

Ce procédé de langage, par une substitution analogique, fait du sexe féminin un volcan en suggérant des qualités qui leur seraient communes. Lextrait est porteur de nombreuses possibilités dinterprétation relatives à la sexualité et au genre que lanthologie déploie de multiples façons. À la suite de Judith Butler, il devient possible de reconnaître que les corps sexués permettent toutes sortes de genres, eux-mêmes renvoyant à des sexualités multiples. Ce caractère ambigu du genre révèle lillusion de lidentité sexuelle et libère le sujet de toute obligation de conformité. Autrement dit, on peut être né de genre masculin, se sentir de genre féminin et être hétérosexuel. Cette subversion de lintérieur déconstruit les normes dominantes par le foisonnement des minorités dérangeantes. Cela se vérifie dans la nouvelle « Nez daigle, dents divoire » de Gaël Octavia, où Frédérique se regarde dans un miroir qui lui renvoie son « allure androgyne » (ibid., p. 88). La narratrice précise encore :

Frédérique effleure les deux bourgeons de sa poitrine, plus bruns que le reste de sa peau mais dont le relief peine à poindre. Elle pince sa taille peu marquée, ses cuisses maigres. Ses sourcils épais sont en broussaille. Ses cheveux crépus, emmêlés, pendent en mèches inégales sur ses épaules. Elle pourrait tout aussi bien être un jeune garçon aux traits fins fasciné par Bob Marley. (ibid., p. 86)

Le caractère androgyne de Frédérique sème le trouble dans le genre en introduisant une dissonance dans lensemble gémellaire quelle forme 36avec Sarah, car cette dernière, contrairement à sa sœur, présente toutes les caractéristiques du féminin. Au-delà de cette différence qui nest quapparente, Frédérique fait pleinement lexpérience de ses désirs les plus intimes en multipliant les conquêtes avec les garçons et les filles jusquà ce que quinze ans plus tard, elle se fixe dans une relation de couple hétérosexuelle.

La diversité des voix narratives dans Volcaniques amplifie la puissance de la parole libératrice. Le sujet féminin se démultiplie en sélançant dans un dire érotique dénué de tout euphémisme. Dans ce contexte, la mise en récit des plaisirs féminins réactualise les théories relatives au genre et à la sexualité, mettant en avant des personnages qui transgressent les interdits liés aux normes sexuelles. Limpudeur langagière et ses effets renforcent une esthétique audacieuse chez ces auteures francophones qui sattaquent aux édifices idéologiques bâtis autour de la sexualité féminine. Ainsi, la rhétorique déployée participe de la construction dune nouvelle éthique sexuelle qui transforme lêtre féminin. Les représentations de la parole font écho à celles de la sexualité ouverte et libérée de toute entrave.

Yvette Marie-Edmée Abouga

Université de Yaoundé

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1 Ce titre en convoque un autre publié en 2006 par Drocella Mwisha Rwanika, Sexualité volcanique, Paris, LHarmattan, 2006. Il sagit dun essai qui comprend cinq chapitres respectivement consacrés à : la sexualité féminine dans un rapport hétérosexuel, lhomosexualité féminine, linceste, la sexualité féminine pendant le troisième âge et la non-érotisation du corps féminin. Notre propos ne compare pas les deux volumes.

2 Voir : Nathalie Etoke, LÉcriture du corps féminin dans la littérature de lAfrique francophone au sud du Sahara, Paris, LHarmattan, 2010 ; Flora Amabiamina et Bernard Nankeu, Discours et sexe dans les littératures francophones dAfrique. Vers un changement des mentalités ? Paris, LHarmattan, 2018 ; Amidou Sanogo (dir.), La Sexualité et ses tabous dans les fictions francophones, Les Cahiers du GRELCEF, no 11, mai 2019 ; Amidou Sanogo et Hafida Bencherif, Dire et lire lérotisme dans les productions culturelles francophones, Western University London (Ontario), Canada, 2020.

3 Voir : Sigmund Freud, La Question de lanalyse profane, Œuvres complètes, t. xviii, Paris, PUF, 2002, p. 5-92. En 1926, Freud compare la sexualité de la femme à un continent noir, formule empruntée à J. R. Stanley, explorateur des forêts impénétrables noires et hostiles de lAfrique.

4 Une douzaine dauteures ayant en commun des origines africaines ont pris part à ce projet : Léonora Miano, Hemley Boum, Fabienne Kanor, Élisabeth Tchoungui, Gisèle Pineau, Nafissatou Dia Diouf, Axelle Jah Njiké, Nathalie Etoke, Gilda Gonfier, Gaël Octavia, Silex et Marie Dô. Cette multitude de narratrices illustre la diversité des points de vue sur la sexualité féminine noire.

5 Nous nous référons à Françoise Hériter, Masculin/Féminin. Dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob, 2012 et à Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de lidentité (préf. Éric Fassin, trad. Cynthia Kraus), Paris, La Découverte/Poche, 2006.

6 Le film de Nagisa Oshima est inspiré dun fait divers. Au milieu des années 1930, à Tokyo, Abe Sada, ancienne prostituée, devient domestique dans une maison bourgeoise. Son patron Kichizo est irrésistiblement attiré par elle. Ils vont vivre une escalade érotique. Leur amour est une célébration initiatique et une recherche de lextase. Repoussant les limites, lamant demande à sa compagne de létrangler pendant lacte sexuel. Le film est censuré à sa sortie en 1976. Désir féminin, sexualité non dissimulée, érotisme magnifié, antimilitarisme, ce film est à considérer comme une expression de la dissidence sexuelle dAbe Sada et de son amant Kichizo. Abe, comme figure insurrectionnelle se dresse contre les valeurs culturelles archaïques du Japon impérial. Le but dOshima est de lever le tabou de la représentation non simulée des rapports sexuels à lécran.

7 La notion dagency est centrale dans les travaux de Judith Butler. Elle désigne la capacité à faire quelque chose avec ce quon fait de moi. Cest-à-dire le fait quen tant que sujet, je suis constitué par des rapports de pouvoir dont je dépends mais sur lesquels jai la possibilité parfois dagir. Autrement dit, lagency est la capacité à pouvoir déjouer et renverser ces rapports de pouvoir qui sexercent sur le sujet, sans lextraire de ces rapports. Judith Butler utilise ce paradigme dans son ouvrage Le Pouvoir des mots. Politique du performatif (trad. Charlotte Nordmann avec la collab. de Jérôme Vidal, Amsterdam, Paris, 2004) lorsquelle analyse les discours haineux et injurieux qui ne supprimeraient pas, selon elle, la capacité dagir du sujet.

8 Voir : Louis Georges Tin, LInvention de la culture hétérosexuelle, Paris, Autrement, 2008.

9 Michel Foucault, Histoire de la sexualité. La Volonté de savoir, 1976. Ce premier tome est suivi de deux volumes publiés en 1984 : LUsage des plaisirs et Le Souci de soi.

10 Voir notre note 4 avec les noms des auteures.

11 Première anthropologue féministe à avoir employé le mot gender dans un essai, Rubin est depuis de nombreuses années une figure essentielle des études féministes et des études gaies et lesbiennes. La publication en 1975 de son article « Le Marché aux femmes » fait delle une figure incontournable du féminisme de la deuxième vague. Cet article constitue le chapitre 1 du recueil Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, Paris, Epel, 2019.