Pensées vers Jean Spector Profession traducteur
- Publication type: Book chapter
- Book: Un shtetl suivi de Père et fils
- Pages: 7 to 7
- Collection: Literature, History, Politics, n° 55
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Pensées vers Jean Spector
Profession traducteur
Un traducteur est toujours, avant tout, un amoureux. À qui en douterait, il suffirait de dire quelques mots au sujet de Jean Spector. Peut-être parce qu’il était de l’espèce tardive, entré en traduction à un âge où d’autres croient que la vie ne déviera plus de sa trajectoire, Jean fut un traducteur doublement passionné, capable de ce qui constitue, à nos yeux, la sève de ce travail : la pudeur et la générosité. Emblématique à cet égard, le premier livre qu’il traduisit du yiddish vers le français porte un titre parfait, parfait parce que révélateur du geste et du caractère de Jean : Juifs ordinaires. Ce roman de Yehoshue Perle vit le jour en France en 2015 aux éditions Classiques Garnier, que nous souhaitons remercier ici tout particulièrement. « Ordinaire », donc, tel est le qualificatif choisi par un jeune traducteur septuagénaire pour signer sa première œuvre de passeur, comme pour suggérer que ce qui compte, ce n’est pas le réel en soi, mais l’attention qu’on lui porte. Le regard porté par Jean à une langue (sa langue peut-être), le yiddish, témoigne de la façon discrète et prodigue qu’il avait de voir la grandeur, du moins la grande vie, dans les petites choses. Jean aimait le yiddish comme il aimait la traduction, il aimait la cause et la conséquence, le trait d’union qui les relie, la parenthèse qui digresse, la virgule que personne ne remarque, la note de bas de page que personne ne lit. Tel était Jean : un traducteur, c’est-à-dire un amoureux attentif et attentionné. Il ne pourra pas tenir le Shtetl de Weissenberg dans ses mains, mais nous pouvons garder dans les nôtres, près du cœur, toute la délicatesse et la passion qu’il transmettait chaque jour.
Pierre Stapf