Avertissement
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Taux d’intérêt négatifs, le trou noir du capitalisme financier. Essai
- Pages : 11 à 14
- Collection : Bibliothèque de l'économiste, n° 15
Avertissement
Depuis le début des années 1990, j’ai de manière quasi continue livré par écrit des commentaires sur l’évolution des marchés financiers et ses racines macro-économiques. Initialement à orientation très professionnelle (au sein de sociétés d’Asset management telles que Fimagest –« En direct des marchés »), ces commentaires ont peu à peu pris une tournure plus fondamentale en bénéficiant de mon immersion dans la recherche académique. La distanciation croissante avec les contraintes commerciales des « lettres de marché » diffusées par les professionnels de la finance à destination de leur clientèle, au profit de l’élaboration d’une vision personnelle non conformiste, s’est déroulée en trois temps. D’abord dans le cadre du bureau d’étude Technical Future, en partenariat avec Gonzague del Sarte (Commentaires du jour, 1998-2002), puis pour le compte de Sarasin France (Fil Conducteur mensuel : 2004 à 2009) et enfin en tant que directeur de la recherche puis conseiller de La Française (Flashes et Cahiers de la recherche : 2009-2017). Je dois souligner que j’ai bénéficié pendant toutes ces années, de la part des entreprises financières qui m’employaient, d’une totale liberté de pensée et de plume.
Il m’a paru naturel dans un premier temps d’essayer de rassembler l’essentiel de ces écrits, comme un témoignage au fil du temps de l’analyse sans complaisance des évènements économiques et financiers et des alertes qu’elles inspiraient. Une première compilation des textes publiés entre 1998 et 2002 a ainsi été réalisée. Intitulée « Carnets de déroute », en référence au krach de la nouvelle économie, elle a été présentée sans succès à quelques éditeurs, probablement peu convaincus de l’utilité d’une approche à la fois historique et critique de ce qui paraissait alors encore comme un simple accident de parcours. « Rien n’est joué », telle était pourtant la conclusion de ce manuscrit, au plus bas de la crise des « technos », le 14 octobre 2002. Elle exprimait la conviction que cette crise et le rebond à venir n’étaient que les épisodes d’un vaste mouvement en 12cours. Il y aurait donc une suite à ce manuscrit, avec la détermination de tirer parti de cet échec littéraire pour en réussir, cette fois, la diffusion.
C’est donc cette suite qui voit le jour ici. Les évènements financiers qu’elle relate, d’une gravité égale à celle des années 1929-1932, offrent avec l’entrée des taux d’intérêt en territoire négatif, l’opportunité d’une critique radicale du modèle d’accumulation financière qui gouverne le monde depuis le début des années 1980. Phénomène strictement impensable il y a encore cinq ans et présenté dans le monde académique jusqu’à une période très récente comme irréalisable, l’abaissement des taux de rendement sous le zéro prend depuis 2012 la forme d’une avancée irrésistible, à la manière d’une glaciation. Seule réponse à la répétition des crises de marché et à la montée inexorable de l’endettement, cette évolution consacre l’aberration du capitalisme financier, par la négativité de la rémunération de l’épargne et donc du temps. Et ce n’est pas le moindre paradoxe que la disparition de la récompense du temps coïncide en ce début de xxie siècle avec la montée de l’incertitude radicale quant à l’avenir de l’humanité.
Je ne pouvais que saisir cette occasion d’opérer la synthèse des dizaines de textes écrits entre 2004 et 2016, pour montrer que, comme j’en ai l’intuition depuis longtemps, c’est l’hystérie financière elle-même qui in fine provoque son effondrement. Cette prophétie a été parfois très dure à tenir, car elle est de celles qui ne peuvent s’accomplir que sur un temps très long, un temps pouvant comporter des périodes où tout semble s’arranger. En l’espèce, la réactivité de la finance, sa plasticité, sa résilience ont permis à ses thuriféraires de continuer à croire en ses vertus et aux économistes mainstream de persévérer dans leurs erreurs fondamentales.
Les économistes mainstream sont ceux qui croient à la rationalité universelle de l’homo économicus, à « la main invisible » du marché – la maximisation du profit de chacun conduit à l’optimisation du bien-être général – et à ses capacités auto-régulatrices, à l’immuabilité du cycle et à la théorie du ruissellement (l’enrichissement des plus riches ruisselle vers les plus démunis). Symétriquement, ils ne croient pas au caractère systémique des crises, qui s’expliquent uniquement selon eux par des inconduites (les subprimes) ou des erreurs (la politique monétaire américaine en 1929, celle du Japon au début des années 1990) pas plus qu’à l’instabilité financière. Mais aujourd’hui, c’est bien l’instabilité financière chronique qui a conduit l’économie mondiale dans une impasse, un véritable trou noir, dont les taux négatifs sont le révélateur incontestable.
13J’ai exercé une activité d’enseignement et de recherche pendant trente ans par passion, en complément d’une vie professionnelle qui m’a en général plutôt comblé. Il n’y a donc, dans les critiques parfois virulentes que j’adresse à la science économique et à son courant dominant, aucune sorte de revanche personnelle. Quant aux « économistes de marché », ils sont contraints par l’ambigüité de leur mission, qui est à la fois d’éclairer – les opérateurs – et de rassurer-les clients et prospects. Le « track record » de leurs pronostics est, pour la plupart d’entre eux et pour cette raison, d’une pauvreté sur laquelle il n’est pas nécessaire de s’attarder.
Le Trou noir
Le livre de Jacques Sapir (2005), « Les trous noirs de la science économique », fait partie de ceux qui m’ont permis de comprendre en quoi la théorie de l’équilibre général (TEG) était erronée. Le terme trou noir correspondait chez lui, me semble-t-il, à l’idée de lacune, en l’occurrence à l’incapacité d’introduire le temps et la monnaie dans cette théorie. Dans le présent ouvrage, je me réfère plutôt à la définition du trou noir en astrophysique. Un trou noir est un objet céleste si compact que l’intensité de son champ gravitationnel empêche toute forme de matière ou de rayonnement – comme la lumière – de s’en échapper. Le trou noir que j’évoque est le trou déflationniste, matérialisé par les taux d’intérêt négatifs, dans lequel l’économie occidentale a plongé et dont elle ne peut plus ressortir, ce qui met directement les Banques centrales en grand danger.
Effet Iatrogène
Le terme iatrogène qualifie une prescription thérapeutique censée améliorer l’état général qui produit une détérioration de cet état. Ce terme médical paraît tout à fait approprié pour qualifier nombre d’innovations 14financières (comme les options complexes ou la titrisation) et plus encore les thérapies monétaristes appliquées aux économies occidentales depuis une vingtaine d’années.
Statistiques et graphiques
Beaucoup de statistiques et de graphiques présentés dans ce livre traitent des États-Unis. Il n’y a aucun atlantisme caché derrière cela, seulement l’aubaine d’une grande disponibilité de données sur longues périodes. Celles-ci ne sont de plus altérées par aucun élément de rupture structurelle, à l’inverse de l’Europe où les rétropolations antérieures à l’euro sont biaisées par les dévaluations qui ont jalonné l’histoire des monnaies européennes. En second lieu les États-Unis sont à la fois le pays-phare du capitalisme financier et celui où les inégalités sont les plus manifestes, donc celui où la démonstration sera la plus convaincante et en tous cas totalement affranchie des polémiques spécifiques à propos d’un éventuel « mal français ». Sauf mention particulière les graphiques ont été composés sur Excel à partir des données sources mentionnées.
J’ai essayé autant que possible d’éviter d’employer le vocabulaire du « globish » financier mondial. Dans certains cas toutefois, l’absence de traduction aisée où le caractère vraiment commun du mot issu du jargon m’ont conduit à le conserver. Ces mots et leur définition/traduction figurent dans le glossaire à la fin de l’ouvrage.
Je remercie Jacques Léonard, Roland Pérez et Henri Zimnovitch, qui m’ont accueilli dans l’Université et permis de confronter mon expérience professionnelle avec le savoir académique (et réciproquement) ainsi que quelques chroniqueurs exemplaires par leur rigueur et leur indestructible indépendance, parfois au détriment de leur carrière, tel Stephen Roach, ancien chief economist de Morgan Stanley.
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-07244-7
- EAN : 9782406072447
- ISSN : 2261-0979
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07244-7.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 06/10/2017
- Langue : Français