Tant de capital, temps de travail ? Conflits, compromis et transactions autour du temps d’emploi Introduction
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Socio-économie du travail
2019 – 2, n° 6. Tant de capital, temps de travail ? - Auteurs : Clouet (Hadrien), Grimaud (Pauline), Mias (Arnaud), Pélisse (Jérôme)
- Pages : 15 à 26
- Revue : Socio-économie du travail
Tant de capital, temps de travail ? Conflits, compromis et transactions autour du temps d’emploi
Introduction
Hadrien Clouet
Sciences Po Paris, Centre de sociologie des organisations (CNRS)
Pauline Grimaud
Sciences Po Paris, Centre de sociologie des organisations (CNRS)
Arnaud Mias
Université Paris Dauphine – PSL – IRISSO (UMR CNRS 7170)
Jérôme Pélisse
Sciences Po Paris, Centre de sociologie des organisations (CNRS)
Près de 20 ans après la première loi Aubry de 1998 incitant à la mise en place des 35 heures, la question du temps de travail salarié constitue toujours un enjeu important, et rares sont les années sans nouvelle législation proposée et votée sur le sujet. « L’assouplissement » puis « l’enterrement des 35 heures » (Pélisse, 2008) sont passés par de multiples textes (décret de 2002 ; lois de 2003, 2004, 2005, 2007, 2008, etc.). Ils invitent tous à la production de nouvelles règles dérogatoires 16et négociées dans les branches et les entreprises, en matière d’heures supplémentaires, de forfaits-jours pour les cadres ou d’usages du compte épargne-temps. D’autres réformes ont modifié le temps de travail prescrit. Ainsi, les temps partiels ont été réglementés en 2013 tandis que le travail dominical et le travail de nuit ont été facilités dans le commerce en 2009 et 2015, à l’instar des heures supplémentaires en 2016. De même, les accords de sauvegarde de l’emploi autorisent depuis 2013 la réduction des salaires et des durées travaillées.
Si l’enjeu du temps de travail contractuel est régulièrement renouvelé, il n’est pas nouveau pour autant. Il s’inscrit dans un mouvement de plus long terme qui, depuis les ordonnances Auroux de 1982, fait du temps de travail l’objet de négociations à l’échelle des branches, de zones géographiques, ou des entreprises. Tout en énonçant une norme temporelle au tournant des années 2000, les pouvoirs publics ont surtout encouragé la négociation des normes au sein des entreprises (Bloch-London, 2000 ; Pélisse, 2004 ; Fridenson et Reynaud, 2004). La loi ne fournit plus qu’un cadre général mais demeure particulièrement complexe, sinon labyrinthique, en matière de temps de travail salarié. Or les derniers textes, de la loi Macron du 6 août 2015 aux ordonnances Pénicaud du 23 septembre 2017 en passant par la loi Travail du 8 août 2016, ont encore renforcé le caractère à la fois procédural et supplétif de la loi, au détriment de son aspect normatif et substantiel. Le « temps fordien », c’est-à-dire l’emploi régulier, prévisible et à durée indéterminée, qui s’accompagnait aussi d’une division du travail domestique, semble en voie de démantèlement (Gavini et Tollet, 1994 ; Pronovost, 1996 ; Bouffartigue et Bouteiller, 2002).
Dès lors, le temps d’emploi – plus que le seul temps de travail – devient un objet autour duquel se polarisent de plus en plus les conflits capital-travail. Par l’expression « temps d’emploi », nous entendons circonscrire la partie du temps de travail qui est accomplie sous statut social d’emploi. À titre d’exemple, le travail domestique recouvre un temps de travail qui ne relève pas du temps d’emploi. À l’inverse, les pauses méridiennes, la période chômée dans le cadre du chômage partiel tout comme certaines séquences de formation continue impliquent un temps d’emploi qui ne comprend pas obligatoirement du temps de travail. Plus largement, il existe depuis longtemps des pratiques non professionnelles dans le temps d’emploi censé être productif (téléphone, lecture, usage 17personnel des outils professionnels – voir Bozon et Lemel, 1990) et, à l’opposé, des pratiques professionnelles hors du temps d’emploi qui sont étudiées sous l’angle de la porosité ou de l’envahissement des temps privés ou familiaux par le travail. Il est aussi possible que la relation salariale ne soit pas explicitement reconnue comme de l’emploi, lorsque ce dernier s’inscrit dans un processus de qualification professionnelle tel que les stages ou des activités de réinsertion. Au-delà de ces cas-limites, le temps de travail est généralement un temps d’emploi. S’intéresser à celui-ci invite à interroger les conditions temporelles de travail au prisme de la relation salariale. Autrement dit, comment le rapport capital-travail – entendu ici comme un rapport social, lorsqu’un individu travaille une durée contractuelle au service d’un agent propriétaire du produit du travail – structure le temps d’emploi et les droits des salariés qui lui sont associés en termes de rémunération, de repos ou de conditions de travail ? Le temps d’emploi est ainsi traversé par des rapports de coopération et d’antagonisme entre capital et travail, que ce dossier entend explorer plus particulièrement.
Alors que l’économie esclavagiste reposait sur le dégagement de temps libre pour les citoyens affranchis (Meillassoux, 1986) et l’économie féodale sur l’appropriation de certains jours de travail par les seigneurs ou les propriétaires, l’élargissement du domaine des marchandises et l’extension du salariat révolutionnèrent les conflits autour du temps (Marx, 1993 [1867]). La généralisation du rapport salarial conduit les individus à isoler, mesurer et évaluer un temps travaillé par rapport à un temps non-travaillé (Bourdieu, 1963). Plus généralement, elle associe le rapport au passé, au présent et à l’avenir à des relations de production marchandes (Bihr, 2005). Elle provoque une hausse initiale du temps d’emploi durant la Révolution industrielle (Voth, 2000), suivie d’une réduction au début du xxe siècle, irrégulière et hétérogène dans les différents pays.
Présentes dès le Moyen-Âge dans certaines manufactures (Maitte, 2011), les temporalités d’emploi deviennent un enjeu majeur des négociations industrielles, de la Révolution industrielle jusqu’aux années 1930 (Roussel, 2014). Si le consensus fordien d’après-guerre a partiellement homogénéisé les cadres temporels et diminué la centralité de ce conflit, au profit de pratiques qui ont souvent reposé sur un compromis plus ou moins tacite fondé sur de longues durées hebdomadaires, les conflits 18repartent de plus belle dans les années 1970. Surtout, les branches et les entreprises retrouvent, à partir des années 1980, une position centrale comme espace de production de normes, en même temps que se développent des référentiels négociatoires pluriels (Thoemmes et Terssac, 1997) alimentant les divisions syndicales durant la décennie. À la question de la durée s’ajoute en outre l’intensité historiquement variable du travail (Hatzfeld, 2004), l’ensemble de ces enjeux étant instrumentés par des « garde-temps » et des instruments de mesure plus ou moins controversés (Landes, 1987 ; Lojkine et Malétras, 2002 ; Gadéa et Lallement, 2004).
La métrique des temps se trouve au principe des institutions du capitalisme et de leur contestation (Thompson, 2004). En effet, le salariat et les diverses formes d’emploi qui se déploient dans son halo (portage salarial, intérim, auto-entreprenariat, stage, apprentissage, etc.) reposent sur la vente du temps de travail. Mais la marchandisation du temps est potentiellement l’objet de contestations, tant sur le prix d’achat que sur ce qui peut être ou non vendu (Silver, 2003 ; Lee, 2007). Les conflits s’organisent notamment, mais pas exclusivement, autour du rapport entre le temps de travail payé et le temps de travail accompli pour un propriétaire de moyens de production ou un locataire de la force de travail. Les limites naturelles, morales ou historiques du temps d’emploi sont déterminées par des affrontements sociaux ou des négociations. Tout comme le temps de travail au long de la vie (Naville 1972), la journée de travail dépend à la fois des limitations physiques des travailleurs, des lois, des conventions coutumières et des rapports de force idéologiques (Nyland, 1986). Elle se cristallise essentiellement dans l’emploi, en tant que médiation la plus courante des transactions capital-travail. Mais la journée de travail n’est pas qu’une question de durée ou d’amplitude horaire : avec l’intensification des rythmes de travail, certains auteurs ont pu pointer un allongement du temps de travail effectif dans le temps d’emploi, à rémunération constante (Basso, 2003).
Le temps d’emploi est ainsi une formule générique pour décrire une réalité multidimensionnelle. Afin de l’approcher de manière fine, nous distinguons la durée, les horaires et les rythmes qui constituent trois aspects particuliers et autonomes des temporalités (Grossin, 1996), ce que d’autres ont repris en évoquant les temps du, de et au travail (Maruani 2000 ; Lallement, 2003). Déplier les différents volets du temps d’emploi n’est pas contradictoire avec une analyse attentive à la combinaison et 19à la substituabilité de ces différentes dimensions temporelles. C’est ainsi par exemple que François-Xavier Devetter recourt à la notion de disponibilité temporelle, afin de tenir liées la durée de l’emploi, la localisation des horaires et leur prévisibilité (Devetter, 2001). Tout contrat de travail, comme tout accord collectif ou pratique professionnelle, engage un rapport singulier à chacune de ces dimensions, et tous s’inscrivent dans une lutte pour le prix des temporalités.
Les horaires qualifient la structure du temps, en définissant la répartition de la durée d’emploi sur la journée, la semaine ou l’année. Ils ne constituent pas seulement une frontière entre le travail et le non-travail mais déterminent la place, sinon le prix ou la valeur, du travail dans la vie des individus, leur possible articulation avec d’autres temps sociaux (Maruani, 1989 ; Georges et alii, 2009) et le contenu même du travail (Toupin, 2006). Les horaires dits « asociaux » au sens d’Eurostat, ou atypiques, qui relèvent aussi bien du travail nocturne que du travail le week-end, ont progressé ces 30 dernières années, ainsi que la variabilité et l’imprévisibilité des horaires de travail.
Les rythmes de l’emploi sont ainsi au cœur de l’emprise croissante des temps des marchés, que ces derniers se déploient au détriment ou en combinaison avec les temps des machines (Thoemmes, 2000). L’injonction à répondre de plus en plus rapidement à la demande des clients contribue aussi à rendre plus flexibles les rythmes de travail et participe à son intensification observée depuis le milieu des années 1980 (Gollac et Volkoff, 1996 ; Gollac et Volkoff, 2014). Cette évolution a été d’autant plus encouragée que l’usage croissant des nouvelles technologies de l’information et de la communication supprime certaines frontières spatiotemporelles entre l’intérieur et l’extérieur des entreprises, tout en augmentant la distance géographique potentielle entre l’établissement et le lieu où s’effectue le travail (incitant au télétravail, développant les capacités de connexion contraintes ou non). Dans le secteur des services, la « taylorisation des services » a redistribué les horaires d’emploi pour les concentrer sur des plages horaires de productivité prévisible (Amiech, 2005).
Ce dossier propose d’articuler ces différentes pratiques temporelles avec les dynamiques du capitalisme contemporain et les environnements concurrentiels, organisationnels, économiques et juridiques dans lesquels elles se déploient. Comment l’évolution des temps d’emploi est-elle 20traversée par des conflits capital-travail ? Comment les attentes respectives des employeurs et des travailleurs, les luttes et les transactions autour du temps d’emploi reconfigurent-elles la relation salariale ? Les articles réunis proposent des éléments de réponse, réunis en trois ensembles.
Trois articles interrogent spécifiquement les conséquences de nouveaux régimes temporels dans certaines configurations salariales, notamment les luttes ou les transactions qu’ils suscitent. Changements de rythmes, extension des horaires de travail au week-end ou à la nuit, modification des durées journalières et hebdomadaires de l’emploi… Ces mutations du temps participent à redéfinir la division du travail entre les salariés, les rapports de force au sein des entreprises et même l’identité des métiers. Dans le cas des facteurs, étudiés par Paul Bouffartigue et Jacques Bouteiller, les changements dans le temps de travail prennent principalement la forme du passage d’un horaire en matinée à un horaire plus tardif avec coupure méridienne. Si ces changements provoquent un fort mécontentement et de nombreux conflits, c’est qu’ils matérialisent et symbolisent une mutation plus vaste du travail, du métier, et finalement du groupe professionnel. Pour beaucoup, il s’agit d’une dégradation multiforme du métier. Les principaux piliers qui en fondaient l’intérêt et l’attractivité se trouvent fragilisés. L’article de Pauline Grimaud porte sur l’extension actuelle des négociations autour du travail dominical qui s’observe à travers la forte croissance du nombre d’accords signés dans les entreprises sur cette question dans un nombre varié de secteurs. À partir de l’étude détaillée de ces accords, une typologie des régimes d’emploi dominical est proposée selon le type et le niveau des contreparties négociées. La logique dérogatoire qui structure les négociations du travail dominical impose des régulations différenciées entre les entreprises mais aussi au sein même des établissements entre les salariés, renouvelant ainsi la fragmentation du salariat. L’article de Juan Sebastian Carbonell porte sur les deux « accords de compétitivité » signés en 2013 et en 2016 à PSA-Mulhouse. Ces accords modifient, entre autres, l’organisation du temps de travail des salariés, dans le but de rétablir les marges de profit des entreprises et de les rendre plus compétitives. J. S. Carbonell montre que cette nouvelle organisation du temps de travail renforce la flexibilité du temps de travail, quotidien et annuel, et la disponibilité temporelle des ouvriers. Face à ces transformations, si des possibilités d’arrangements individuels demeurent, 21elles restent très dépendantes des propriétés sociales des ouvriers et de leur position dans l’organisation productive.
Deux autres articles analysent de près les enjeux d’une prescription temporelle particulièrement forte – les longues durées de travail – pour certaines catégories de salariés, en général les plus qualifiés, et ceux qui se situent justement hors du salariat, les indépendants. La contribution de Simon Paye porte sur la spécificité du temps d’emploi des indépendants qui connaissent, bien plus souvent que les salariés, des horaires extensifs. Or, ce clivage entre salariés et indépendants revêt un caractère systématique et résiste à la prise en compte des effets de composition de ces deux populations ainsi qu’à l’éclatement des grands statuts d’emploi en professions et en statuts détaillés. Si la logique de métier constitue un élément déterminant pour saisir une partie de ces écarts, la nature des activités n’explique pas à elle seule les longues durées de travail puisqu’au sein de chacune des professions, les différenciations temporelles entre indépendants et salariés restent importantes. Il existe toutefois des situations hybrides : les cadres au forfait jour ont par exemple le statut de salariés sans la réglementation horaire associée et sont plus proches, pour ce qui est de leur pratique horaire, des professions libérales. L’analyse comparative de Maëlezig Bigi porte justement sur les normes de disponibilité temporelle d’une partie de ces salariés qualifiés, les ingénieurs, en France et en Finlande. En France, ces normes se traduisent ces dernières années par une augmentation de leur temps de travail, facilitée par une faible comptabilisation horaire, de fait, ou de droit dans le cas des forfaits-jours, qui permet d’accroître, sans rémunération associée, le surtravail. L’autrice souligne que cette hausse implique des conséquences différenciées pour les femmes et les hommes, positionnant les temporalités sur le terrain de l’égalité professionnelle. En effet, la norme des très longues durées de travail n’est pas sans susciter des formes de résistance et de conflictualité parmi les enquêtés, qui s’y rapportent de manière hétérogène. La comparaison avec des ingénieurs finlandais, dont le temps de travail hebdomadaire atteint très rarement 48h, donne un exemple d’organisation du travail où, même pour des salariés hautement qualifiés, le décompte des heures de travail est un critère de fixation des objectifs de production et sert d’outil de régulation collective de la charge de travail. Au niveau individuel, cela permet une plus grande maîtrise de la disponibilité temporelle accordée au travail 22ainsi qu’une modulation de la charge de travail tout au long de la vie, favorable à l’appropriation des temporalités sociales.
Enfin, deux articles invitent plus spécifiquement à questionner la qualification du temps d’emploi. En particulier, certains temps d’emploi ne sont pas reconnus comme du temps de travail effectif et sont accomplis comme un don ou un temps qui ne compte pas. Charles Bosvieux-Onyekwelu étudie ainsi les activités dites « pro bono » développées par les multinationales du droit, c’est-à-dire les services juridiques rendus gratuitement par les avocats exerçant dans ces structures. Il les analyse au regard tant de la marchandisation du droit que des transformations contemporaines du capitalisme et de la relation salariale. Sous un statut d’emploi hybride, à mi-chemin entre salariat et profession libérale, ces avocats pratiquent le pro bono comme une forme d’engagement qui redonne un sens éthique à leur savoir-faire juridique. Cette activité relève ainsi d’une stratégie de distinction et repose sur un processus de transformation du travail gratuit en travail monétisé, ainsi que sur l’idée que le profit peut être complété par une plus-value morale. De leur côté, François-Xavier Devetter, Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant décrivent la réduction du travail au temps dit « productif » dans le secteur de l’aide à domicile. En tentant de transposer des cadres d’emploi à la fois industriels et masculins dans le secteur de l’aide à domicile, les prestataires (publics ou privés, lucratifs ou non lucratifs) et les régulateurs (État et départements principalement) de ce secteur incitent à l’identification d’une partie du temps de travail des aides à domicile qui serait productif, consacré à des tâches objectivables et quantifiables. Seul ce temps dit productif est considéré comme du temps d’emploi, c’est-à-dire financé (au moins partiellement) par les pouvoirs publics (État et départements), dans le cadre de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) et de la tarification des services d’aide à domicile. L’article montre que non seulement le découpage du temps de travail entre un temps qui serait « productif » et un temps qui ne le serait pas, favorise une stratégie publique et privée générale de baisse du coût du travail, mais au-delà, contribue à modifier en profondeur le contenu du travail et du service d’aide à domicile, cette transformation nourrissant les rapports sociaux de sexe, au détriment de la reconnaissance du travail et des qualifications des femmes sur le marché de l’emploi.
23Ce dossier fait ainsi ressortir trois caractéristiques des conflits et compromis autour du temps d’emploi. Les conflits analysés dans les articles donnent d’abord à voir les points d’achoppement particulièrement vifs entre le capital et le travail ces dernières années, qu’il s’agisse de la négociation d’une plus grande flexibilisation du travail, de l’extension des durées du travail pour ceux qui échappent aux formes les plus régulées du salariat, ou de la caractérisation de ce qui est rentable et monnayable pour l’employeur. Les articles rassemblés dans ce dossier soulignent ensuite le caractère crucial des frontières du temps d’emploi (en termes de durée, d’horaire, de travail dit productif…) qui participent à sa définition et sa qualification. Le temps d’emploi joue enfin un rôle essentiel pour déterminer non seulement la disponibilité temporelle des salariés mais également pour construire l’identité des professions et même permettre des stratégies de distinction.
Au final, ce dossier montre à quel point la question du temps continue à structurer nos rapports sociaux, via les relations de coordination et d’opposition entre « travail » (ou plutôt emploi) et « capital » (ou plutôt leurs propriétaires et ayant-droits). La production économique capitaliste est une question de mesure et de contrôle des temporalités d’autrui. Elle apparaît en permanence associée, tout en étant irréductible, à la rémunération, en tant que grandeurs souvent rapportées les unes aux autres par les différents acteurs du rapport salarial. Loin de s’effacer derrière les nouvelles technologies, l’entrepreneuriat de soi ou les transformations organisationnelles en cours, le temps d’emploi constitue toujours la clé de voûte d’un système capitaliste dont les contradictions s’aiguisent dans le monde du travail.
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- Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
- ISBN : 978-2-406-10053-9
- EAN : 9782406100539
- ISSN : 2555-039X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10053-9.p.0015
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/02/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Temps d’emploi, capitalisme, conflits, transactions, négociations collectives, qualification, longue durée de travail, frontières temporelles