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Classiques Garnier

Tant de capital, temps de travail ? Conflits, compromis et transactions autour du temps d’emploi Introduction

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Socio-économie du travail
    2019 – 2, n° 6
    . Tant de capital, temps de travail ?
  • Auteurs : Clouet (Hadrien), Grimaud (Pauline), Mias (Arnaud), Pélisse (Jérôme)
  • Résumé : Les temporalités de l’emploi ont été profondément bouleversées et diversifiées ces 20 dernières années sous l’effet notamment de la multiplication des lois dans ce domaine. Elles renouvellent et polarisent de plus en plus les conflits capital-travail. L’introduction à ce dossier revient sur la manière dont les relations salariales sont (re)configurées par les luttes, transactions ou ajustements temporels sur le lieu de travail.
  • Pages : 15 à 26
  • Revue : Socio-économie du travail
  • Thème CLIL : 3319 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités -- Travail, emploi et politiques sociales
  • EAN : 9782406100539
  • ISBN : 978-2-406-10053-9
  • ISSN : 2555-039X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10053-9.p.0015
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 17/02/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Temps d’emploi, capitalisme, conflits, transactions, négociations collectives, qualification, longue durée de travail, frontières temporelles
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Tant de capital, temps de travail ? Conflits, compromis et transactions autour du temps demploi

Introduction

Hadrien Clouet

Sciences Po Paris, Centre de sociologie des organisations (CNRS)

Pauline Grimaud

Sciences Po Paris, Centre de sociologie des organisations (CNRS)

Arnaud Mias

Université Paris Dauphine – PSL – IRISSO (UMR CNRS 7170)

Jérôme Pélisse

Sciences Po Paris, Centre de sociologie des organisations (CNRS)

Près de 20 ans après la première loi Aubry de 1998 incitant à la mise en place des 35 heures, la question du temps de travail salarié constitue toujours un enjeu important, et rares sont les années sans nouvelle législation proposée et votée sur le sujet. « Lassouplissement » puis « lenterrement des 35 heures » (Pélisse, 2008) sont passés par de multiples textes (décret de 2002 ; lois de 2003, 2004, 2005, 2007, 2008, etc.). Ils invitent tous à la production de nouvelles règles dérogatoires 16et négociées dans les branches et les entreprises, en matière dheures supplémentaires, de forfaits-jours pour les cadres ou dusages du compte épargne-temps. Dautres réformes ont modifié le temps de travail prescrit. Ainsi, les temps partiels ont été réglementés en 2013 tandis que le travail dominical et le travail de nuit ont été facilités dans le commerce en 2009 et 2015, à linstar des heures supplémentaires en 2016. De même, les accords de sauvegarde de lemploi autorisent depuis 2013 la réduction des salaires et des durées travaillées.

Si lenjeu du temps de travail contractuel est régulièrement renouvelé, il nest pas nouveau pour autant. Il sinscrit dans un mouvement de plus long terme qui, depuis les ordonnances Auroux de 1982, fait du temps de travail lobjet de négociations à léchelle des branches, de zones géographiques, ou des entreprises. Tout en énonçant une norme temporelle au tournant des années 2000, les pouvoirs publics ont surtout encouragé la négociation des normes au sein des entreprises (Bloch-London, 2000 ; Pélisse, 2004 ; Fridenson et Reynaud, 2004). La loi ne fournit plus quun cadre général mais demeure particulièrement complexe, sinon labyrinthique, en matière de temps de travail salarié. Or les derniers textes, de la loi Macron du 6 août 2015 aux ordonnances Pénicaud du 23 septembre 2017 en passant par la loi Travail du 8 août 2016, ont encore renforcé le caractère à la fois procédural et supplétif de la loi, au détriment de son aspect normatif et substantiel. Le « temps fordien », cest-à-dire lemploi régulier, prévisible et à durée indéterminée, qui saccompagnait aussi dune division du travail domestique, semble en voie de démantèlement (Gavini et Tollet, 1994 ; Pronovost, 1996 ; Bouffartigue et Bouteiller, 2002).

Dès lors, le temps demploi – plus que le seul temps de travail – devient un objet autour duquel se polarisent de plus en plus les conflits capital-travail. Par lexpression « temps demploi », nous entendons circonscrire la partie du temps de travail qui est accomplie sous statut social demploi. À titre dexemple, le travail domestique recouvre un temps de travail qui ne relève pas du temps demploi. À linverse, les pauses méridiennes, la période chômée dans le cadre du chômage partiel tout comme certaines séquences de formation continue impliquent un temps demploi qui ne comprend pas obligatoirement du temps de travail. Plus largement, il existe depuis longtemps des pratiques non professionnelles dans le temps demploi censé être productif (téléphone, lecture, usage 17personnel des outils professionnels – voir Bozon et Lemel, 1990) et, à lopposé, des pratiques professionnelles hors du temps demploi qui sont étudiées sous langle de la porosité ou de lenvahissement des temps privés ou familiaux par le travail. Il est aussi possible que la relation salariale ne soit pas explicitement reconnue comme de lemploi, lorsque ce dernier sinscrit dans un processus de qualification professionnelle tel que les stages ou des activités de réinsertion. Au-delà de ces cas-limites, le temps de travail est généralement un temps demploi. Sintéresser à celui-ci invite à interroger les conditions temporelles de travail au prisme de la relation salariale. Autrement dit, comment le rapport capital-travail – entendu ici comme un rapport social, lorsquun individu travaille une durée contractuelle au service dun agent propriétaire du produit du travail – structure le temps demploi et les droits des salariés qui lui sont associés en termes de rémunération, de repos ou de conditions de travail ? Le temps demploi est ainsi traversé par des rapports de coopération et dantagonisme entre capital et travail, que ce dossier entend explorer plus particulièrement.

Alors que léconomie esclavagiste reposait sur le dégagement de temps libre pour les citoyens affranchis (Meillassoux, 1986) et léconomie féodale sur lappropriation de certains jours de travail par les seigneurs ou les propriétaires, lélargissement du domaine des marchandises et lextension du salariat révolutionnèrent les conflits autour du temps (Marx, 1993 [1867]). La généralisation du rapport salarial conduit les individus à isoler, mesurer et évaluer un temps travaillé par rapport à un temps non-travaillé (Bourdieu, 1963). Plus généralement, elle associe le rapport au passé, au présent et à lavenir à des relations de production marchandes (Bihr, 2005). Elle provoque une hausse initiale du temps demploi durant la Révolution industrielle (Voth, 2000), suivie dune réduction au début du xxe siècle, irrégulière et hétérogène dans les différents pays.

Présentes dès le Moyen-Âge dans certaines manufactures (Maitte, 2011), les temporalités demploi deviennent un enjeu majeur des négociations industrielles, de la Révolution industrielle jusquaux années 1930 (Roussel, 2014). Si le consensus fordien daprès-guerre a partiellement homogénéisé les cadres temporels et diminué la centralité de ce conflit, au profit de pratiques qui ont souvent reposé sur un compromis plus ou moins tacite fondé sur de longues durées hebdomadaires, les conflits 18repartent de plus belle dans les années 1970. Surtout, les branches et les entreprises retrouvent, à partir des années 1980, une position centrale comme espace de production de normes, en même temps que se développent des référentiels négociatoires pluriels (Thoemmes et Terssac, 1997) alimentant les divisions syndicales durant la décennie. À la question de la durée sajoute en outre lintensité historiquement variable du travail (Hatzfeld, 2004), lensemble de ces enjeux étant instrumentés par des « garde-temps » et des instruments de mesure plus ou moins controversés (Landes, 1987 ; Lojkine et Malétras, 2002 ; Gadéa et Lallement, 2004).

La métrique des temps se trouve au principe des institutions du capitalisme et de leur contestation (Thompson, 2004). En effet, le salariat et les diverses formes demploi qui se déploient dans son halo (portage salarial, intérim, auto-entreprenariat, stage, apprentissage, etc.) reposent sur la vente du temps de travail. Mais la marchandisation du temps est potentiellement lobjet de contestations, tant sur le prix dachat que sur ce qui peut être ou non vendu (Silver, 2003 ; Lee, 2007). Les conflits sorganisent notamment, mais pas exclusivement, autour du rapport entre le temps de travail payé et le temps de travail accompli pour un propriétaire de moyens de production ou un locataire de la force de travail. Les limites naturelles, morales ou historiques du temps demploi sont déterminées par des affrontements sociaux ou des négociations. Tout comme le temps de travail au long de la vie (Naville 1972), la journée de travail dépend à la fois des limitations physiques des travailleurs, des lois, des conventions coutumières et des rapports de force idéologiques (Nyland, 1986). Elle se cristallise essentiellement dans lemploi, en tant que médiation la plus courante des transactions capital-travail. Mais la journée de travail nest pas quune question de durée ou damplitude horaire : avec lintensification des rythmes de travail, certains auteurs ont pu pointer un allongement du temps de travail effectif dans le temps demploi, à rémunération constante (Basso, 2003).

Le temps demploi est ainsi une formule générique pour décrire une réalité multidimensionnelle. Afin de lapprocher de manière fine, nous distinguons la durée, les horaires et les rythmes qui constituent trois aspects particuliers et autonomes des temporalités (Grossin, 1996), ce que dautres ont repris en évoquant les temps du, de et au travail (Maruani 2000 ; Lallement, 2003). Déplier les différents volets du temps demploi nest pas contradictoire avec une analyse attentive à la combinaison et 19à la substituabilité de ces différentes dimensions temporelles. Cest ainsi par exemple que François-Xavier Devetter recourt à la notion de disponibilité temporelle, afin de tenir liées la durée de lemploi, la localisation des horaires et leur prévisibilité (Devetter, 2001). Tout contrat de travail, comme tout accord collectif ou pratique professionnelle, engage un rapport singulier à chacune de ces dimensions, et tous sinscrivent dans une lutte pour le prix des temporalités.

Les horaires qualifient la structure du temps, en définissant la répartition de la durée demploi sur la journée, la semaine ou lannée. Ils ne constituent pas seulement une frontière entre le travail et le non-travail mais déterminent la place, sinon le prix ou la valeur, du travail dans la vie des individus, leur possible articulation avec dautres temps sociaux (Maruani, 1989 ; Georges et alii, 2009) et le contenu même du travail (Toupin, 2006). Les horaires dits « asociaux » au sens dEurostat, ou atypiques, qui relèvent aussi bien du travail nocturne que du travail le week-end, ont progressé ces 30 dernières années, ainsi que la variabilité et limprévisibilité des horaires de travail.

Les rythmes de lemploi sont ainsi au cœur de lemprise croissante des temps des marchés, que ces derniers se déploient au détriment ou en combinaison avec les temps des machines (Thoemmes, 2000). Linjonction à répondre de plus en plus rapidement à la demande des clients contribue aussi à rendre plus flexibles les rythmes de travail et participe à son intensification observée depuis le milieu des années 1980 (Gollac et Volkoff, 1996 ; Gollac et Volkoff, 2014). Cette évolution a été dautant plus encouragée que lusage croissant des nouvelles technologies de linformation et de la communication supprime certaines frontières spatiotemporelles entre lintérieur et lextérieur des entreprises, tout en augmentant la distance géographique potentielle entre létablissement et le lieu où seffectue le travail (incitant au télétravail, développant les capacités de connexion contraintes ou non). Dans le secteur des services, la « taylorisation des services » a redistribué les horaires demploi pour les concentrer sur des plages horaires de productivité prévisible (Amiech, 2005).

Ce dossier propose darticuler ces différentes pratiques temporelles avec les dynamiques du capitalisme contemporain et les environnements concurrentiels, organisationnels, économiques et juridiques dans lesquels elles se déploient. Comment lévolution des temps demploi est-elle 20traversée par des conflits capital-travail ? Comment les attentes respectives des employeurs et des travailleurs, les luttes et les transactions autour du temps demploi reconfigurent-elles la relation salariale ? Les articles réunis proposent des éléments de réponse, réunis en trois ensembles.

Trois articles interrogent spécifiquement les conséquences de nouveaux régimes temporels dans certaines configurations salariales, notamment les luttes ou les transactions quils suscitent. Changements de rythmes, extension des horaires de travail au week-end ou à la nuit, modification des durées journalières et hebdomadaires de lemploi… Ces mutations du temps participent à redéfinir la division du travail entre les salariés, les rapports de force au sein des entreprises et même lidentité des métiers. Dans le cas des facteurs, étudiés par Paul Bouffartigue et Jacques Bouteiller, les changements dans le temps de travail prennent principalement la forme du passage dun horaire en matinée à un horaire plus tardif avec coupure méridienne. Si ces changements provoquent un fort mécontentement et de nombreux conflits, cest quils matérialisent et symbolisent une mutation plus vaste du travail, du métier, et finalement du groupe professionnel. Pour beaucoup, il sagit dune dégradation multiforme du métier. Les principaux piliers qui en fondaient lintérêt et lattractivité se trouvent fragilisés. Larticle de Pauline Grimaud porte sur lextension actuelle des négociations autour du travail dominical qui sobserve à travers la forte croissance du nombre daccords signés dans les entreprises sur cette question dans un nombre varié de secteurs. À partir de létude détaillée de ces accords, une typologie des régimes demploi dominical est proposée selon le type et le niveau des contreparties négociées. La logique dérogatoire qui structure les négociations du travail dominical impose des régulations différenciées entre les entreprises mais aussi au sein même des établissements entre les salariés, renouvelant ainsi la fragmentation du salariat. Larticle de Juan Sebastian Carbonell porte sur les deux « accords de compétitivité » signés en 2013 et en 2016 à PSA-Mulhouse. Ces accords modifient, entre autres, lorganisation du temps de travail des salariés, dans le but de rétablir les marges de profit des entreprises et de les rendre plus compétitives. J. S. Carbonell montre que cette nouvelle organisation du temps de travail renforce la flexibilité du temps de travail, quotidien et annuel, et la disponibilité temporelle des ouvriers. Face à ces transformations, si des possibilités darrangements individuels demeurent, 21elles restent très dépendantes des propriétés sociales des ouvriers et de leur position dans lorganisation productive.

Deux autres articles analysent de près les enjeux dune prescription temporelle particulièrement forte – les longues durées de travail – pour certaines catégories de salariés, en général les plus qualifiés, et ceux qui se situent justement hors du salariat, les indépendants. La contribution de Simon Paye porte sur la spécificité du temps demploi des indépendants qui connaissent, bien plus souvent que les salariés, des horaires extensifs. Or, ce clivage entre salariés et indépendants revêt un caractère systématique et résiste à la prise en compte des effets de composition de ces deux populations ainsi quà léclatement des grands statuts demploi en professions et en statuts détaillés. Si la logique de métier constitue un élément déterminant pour saisir une partie de ces écarts, la nature des activités nexplique pas à elle seule les longues durées de travail puisquau sein de chacune des professions, les différenciations temporelles entre indépendants et salariés restent importantes. Il existe toutefois des situations hybrides : les cadres au forfait jour ont par exemple le statut de salariés sans la réglementation horaire associée et sont plus proches, pour ce qui est de leur pratique horaire, des professions libérales. Lanalyse comparative de Maëlezig Bigi porte justement sur les normes de disponibilité temporelle dune partie de ces salariés qualifiés, les ingénieurs, en France et en Finlande. En France, ces normes se traduisent ces dernières années par une augmentation de leur temps de travail, facilitée par une faible comptabilisation horaire, de fait, ou de droit dans le cas des forfaits-jours, qui permet daccroître, sans rémunération associée, le surtravail. Lautrice souligne que cette hausse implique des conséquences différenciées pour les femmes et les hommes, positionnant les temporalités sur le terrain de légalité professionnelle. En effet, la norme des très longues durées de travail nest pas sans susciter des formes de résistance et de conflictualité parmi les enquêtés, qui sy rapportent de manière hétérogène. La comparaison avec des ingénieurs finlandais, dont le temps de travail hebdomadaire atteint très rarement 48h, donne un exemple dorganisation du travail où, même pour des salariés hautement qualifiés, le décompte des heures de travail est un critère de fixation des objectifs de production et sert doutil de régulation collective de la charge de travail. Au niveau individuel, cela permet une plus grande maîtrise de la disponibilité temporelle accordée au travail 22ainsi quune modulation de la charge de travail tout au long de la vie, favorable à lappropriation des temporalités sociales.

Enfin, deux articles invitent plus spécifiquement à questionner la qualification du temps demploi. En particulier, certains temps demploi ne sont pas reconnus comme du temps de travail effectif et sont accomplis comme un don ou un temps qui ne compte pas. Charles Bosvieux-Onyekwelu étudie ainsi les activités dites « pro bono » développées par les multinationales du droit, cest-à-dire les services juridiques rendus gratuitement par les avocats exerçant dans ces structures. Il les analyse au regard tant de la marchandisation du droit que des transformations contemporaines du capitalisme et de la relation salariale. Sous un statut demploi hybride, à mi-chemin entre salariat et profession libérale, ces avocats pratiquent le pro bono comme une forme dengagement qui redonne un sens éthique à leur savoir-faire juridique. Cette activité relève ainsi dune stratégie de distinction et repose sur un processus de transformation du travail gratuit en travail monétisé, ainsi que sur lidée que le profit peut être complété par une plus-value morale. De leur côté, François-Xavier Devetter, Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant décrivent la réduction du travail au temps dit « productif » dans le secteur de laide à domicile. En tentant de transposer des cadres demploi à la fois industriels et masculins dans le secteur de laide à domicile, les prestataires (publics ou privés, lucratifs ou non lucratifs) et les régulateurs (État et départements principalement) de ce secteur incitent à lidentification dune partie du temps de travail des aides à domicile qui serait productif, consacré à des tâches objectivables et quantifiables. Seul ce temps dit productif est considéré comme du temps demploi, cest-à-dire financé (au moins partiellement) par les pouvoirs publics (État et départements), dans le cadre de lAPA (allocation personnalisée dautonomie) et de la tarification des services daide à domicile. Larticle montre que non seulement le découpage du temps de travail entre un temps qui serait « productif » et un temps qui ne le serait pas, favorise une stratégie publique et privée générale de baisse du coût du travail, mais au-delà, contribue à modifier en profondeur le contenu du travail et du service daide à domicile, cette transformation nourrissant les rapports sociaux de sexe, au détriment de la reconnaissance du travail et des qualifications des femmes sur le marché de lemploi.

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Ce dossier fait ainsi ressortir trois caractéristiques des conflits et compromis autour du temps demploi. Les conflits analysés dans les articles donnent dabord à voir les points dachoppement particulièrement vifs entre le capital et le travail ces dernières années, quil sagisse de la négociation dune plus grande flexibilisation du travail, de lextension des durées du travail pour ceux qui échappent aux formes les plus régulées du salariat, ou de la caractérisation de ce qui est rentable et monnayable pour lemployeur. Les articles rassemblés dans ce dossier soulignent ensuite le caractère crucial des frontières du temps demploi (en termes de durée, dhoraire, de travail dit productif…) qui participent à sa définition et sa qualification. Le temps demploi joue enfin un rôle essentiel pour déterminer non seulement la disponibilité temporelle des salariés mais également pour construire lidentité des professions et même permettre des stratégies de distinction.

Au final, ce dossier montre à quel point la question du temps continue à structurer nos rapports sociaux, via les relations de coordination et dopposition entre « travail » (ou plutôt emploi) et « capital » (ou plutôt leurs propriétaires et ayant-droits). La production économique capitaliste est une question de mesure et de contrôle des temporalités dautrui. Elle apparaît en permanence associée, tout en étant irréductible, à la rémunération, en tant que grandeurs souvent rapportées les unes aux autres par les différents acteurs du rapport salarial. Loin de seffacer derrière les nouvelles technologies, lentrepreneuriat de soi ou les transformations organisationnelles en cours, le temps demploi constitue toujours la clé de voûte dun système capitaliste dont les contradictions saiguisent dans le monde du travail.

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