Book reviews
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d’histoire littéraire de la France
4 – 2020, 120e année, n° 4. varia - Pages: 969 to 1014
- Journal: Journal of French Literary History
ARTIFEX QUIDAM NOMINE NEWTON.
À PROPOS DE LA SEIZIÈME LETTRE PHILOSOPHIQUE DE VOLTAIRE
Gerhardt Stenger1
La xvie Lettre philosophique « Sur l’optique de M. Newton2 » commence par le récit fort abrégé de la révolution scientifique du xviie siècle, la découverte d’un « nouvel univers » qui a renversé l’astronomie antique et bouleversé de fond en comble le monde dans lequel vivait l’humanité jusqu’alors3. Grâce aux observations du ciel effectuées par Galilée, l’homme est passé du monde clos de l’aristotélisme classique à l’univers infini contemplé pour la première fois par le savant pisan à travers sa lunette astronomique. Grâce aux calculs de Kepler – Voltaire pense aux trois lois des mouvements des planètes qui portent aujourd’hui son nom et qui serviront de base pour la construction newtonienne de la théorie des forces centrales –, l’univers est devenu une machine ou horloge dont il est devenu possible de connaître les « ressorts » qui la font mouvoir. Grâce aux découvertes de Harvey et de Claude Perrault, dont les noms ne sont pas cités, la physiologie du vivant a elle aussi été assujettie 954aux lois de la mécanique. Enfin, des instruments comme la machine pneumatique ou le télescope ont rapproché les corps ou leur ont donné « une nouvelle manière d’exister4 ». Mais le « monde nouveau » qui était, comme dit Voltaire, « d’autant plus difficile à connaître qu’on ne se doutait pas même qu’il existât », n’est-ce pas l’idée même d’une réalité connaissable par une science rationnelle qui a fait alors son apparition ? Au sortir du Moyen Âge, ce « temps de la plus stupide barbarie5 », il fallait beaucoup de « témérité », et même de la témérité insensée6 », pour « oser seulement songer qu’on pût deviner par quelles lois les corps célestes se meuvent, et comment la lumière agit » ! Comment ne pas penser ici à l’œuvre posthume de Descartes, Du monde, ou Traité de la lumière, dans lequel le philosophe français prétendait expliquer la nature du monde matériel, les grandes lois qui le gouvernent ainsi que les phénomènes les plus curieux de la terre et du ciel, en particulier ceux de la lumière ? L’explication de la lumière et des couleurs, écrivait Descartes à Mersenne, constitue une clé qui ouvre à l’intelligence de toute la physique, et par conséquent de la nature :
Je vous dirai que je suis maintenant après à démêler le Chaos, pour en faire sortir de la Lumière, qui est l’une des plus hautes et des plus difficiles matières que je puisse jamais entreprendre ; car toute la Physique y est presque comprise7.
Plus hardi – ou plus téméraire – que ses prédécesseurs, Descartes a décidé de rompre les amarres aristotéliciennes et osé « deviner » la « mécanique des ressorts du monde », c’est-à-dire la mécanique céleste et l’action mutuelle entre la lumière et les corps8. Pour couronner cette révolution sans équivalent dans l’histoire de l’humanité, les découvertes de Newton en général et dans le domaine de l’optique en particulier dépasseront, quelques décennies plus tard, « tout ce que la curiosité des hommes pouvait attendre de plus hardi ».
Une fois posé le cadre épistémologique de la nouvelle science – on disait encore souvent philosophie – qui allait triompher au cours du xviie siècle, Voltaire se focalise sur l’opposition entre les principaux antagonistes, Descartes et Newton, développée déjà en détail dans les Lettres XIV et XV. On comprend maintenant que Newton occupe une place à part dans la révolution scientifique, 955il a renversé plutôt qu’il n’a achevé le mécanisme classique adopté sur le continent au xviiie siècle sous la forme d’un cartésianisme rectifié. Comme le disait si bien le vieux Fontenelle en 1731 :
Le système général de Descartes était le système dominant chez la plus grande partie des philosophes, qui ne laissaient pas cependant de bien sentir les difficultés qu’il renferme, lorsque M. Newton ou donna plus de force à ces difficultés, ou en proposa de nouvelles, de sorte que les fondements de tout l’édifice cartésien parurent absolument renversés9.
La « philosophie » de Newton, estime Voltaire, a remplacé le mécanisme pléniste d’inspiration cartésienne par un nouveau mécanisme : les objets sont séparés par du vide ; une force d’attraction les enchaîne pour qu’ils ne se séparent pas ; la lumière blanche est un mélange de rayons colorés et se propage dans le vide. Voltaire ignore bien évidemment les travaux alchimistes du père fondateur de la science moderne qui feront dire à l’économiste britannique John Maynard Keynes que Newton was not the first of the age of reason. He was the last of the magicians (« Newton n’a pas inauguré l’ère de la raison. Il était le dernier des magiciens »)10. Aux yeux de Voltaire, c’est plutôt Descartes qui doit être considéré comme le dernier des magiciens, de ceux qui ont essayé de « deviner » les lois de l’univers en consultant uniquement leur imagination. C’est notamment le cas des tourbillons, que Voltaire soumet à une critique cinglante dans la XVe Lettre11. La belle impartialité dont se prévalait Voltaire au début de la XIVe Lettre était visiblement feinte : alors qu’il n’hésite pas à donner la parole à Newton pour répondre à ses critiques dans la Lettre sur l’attraction12, il imagine Descartes rester muet d’étonnement devant la démolition en règle de son système. Et pourtant, Voltaire n’a pas manqué de féliciter l’auteur de La Dioptrique d’avoir porté l’« esprit de géométrie et d’invention » dans cette branche de la physique « qui devint entre ses mains un art tout nouveau13 ». Descartes et ses successeurs ont mis fin à la vision « naïve » de la lumière et des couleurs telle qu’elle était exposée, par exemple, au début du xive siècle dans Le Banquet de Dante et qui était probablement encore celle du lecteur moyen en 1734 :
L’usage des philosophes est d’appeler « clarté » la lumière en tant qu’elle est dans son principe jaillissant ; de l’appeler « rayon » en tant qu’elle court à travers le milieu, de la source au premier corps où elle est arrêtée ; de l’appeler « splendeur » en tant qu’elle est réfléchie sur un autre endroit qu’elle éclaire14.
956La lumière, invisible par elle-même, rend visibles, par sa présence, les couleurs des corps qui leur appartiennent en propre. En 1604, Kepler écrivait encore : Color igitur rebus inest ipsis realiter, etsi non illustrentur (« Car la couleur existe réellement dans les choses mêmes, même quand elles ne sont pas éclairées »)15. Trente ans plus tard, Descartes fit un grand pas en avant. En séparant les choses de leur couleur, il tenta de formuler, dans La Dioptrique et Les Météores (1637), une théorie mécanique des phénomènes lumineux, cohérente avec son monde. Il compara la propagation du rayon lumineux à une pression exercée par de petites balles qui transmettent la lumière et les couleurs à nos organes sensoriels. La genèse des couleurs dans l’œil et les nerfs de l’observateur résultait, dans ce schéma, des différentes vitesses de rotation axiale des balles : le rouge était produit par les balles qui tournent avec plus de vitesse, et le jaune avec celles qui tendent à tourner avec moins de vitesse16. À l’instar de Jean le Baptiste, Voltaire annonce alors la venue d’un homme qui va renverser toutes ces hypothèses sans fondement expérimental.
Contrairement à la Lettre sur l’attraction, pour laquelle Voltaire a puisé dans au moins trois ouvrages différents, il s’est contenté ici de sa principale source concernant la science de Newton, A View of Sir Isaac Newton’s Philosophy de Henry Pemberton (1728)17. Alors qu’il avait longuement exposé la démarche de Newton qui lui permit de découvrir la loi de l’attraction universelle et les conséquences qui en découlent18, Voltaire est bien plus sobre en ce qui concerne l’optique de Newton, qui avait pourtant déclenché l’enthousiasme parmi les contemporains, y compris les cartésiens. Les rares explications qu’il donne ne peuvent s’adresser qu’à des lecteurs familiers des questions traitées.
I. L’« anatomie » de la lumière. À l’opposé de Descartes qui, aux dires de Voltaire, avait tiré son « roman contradictoire des tourbillons19 » de sa seule imagination, Newton, en bon philosophe expérimental, a pris l’observation comme point de départ de ses découvertes. On se souvient comment Voltaire, avec un sens très sûr de l’anecdote signifiante, avait attaché, dans la Lettre XV, 957la genèse de la théorie de l’attraction à quelques fruits tombant d’un arbre20. Ici c’est un autre objet, le fameux prisme de verre, auquel il attribue une part essentielle dans la découverte, par Newton, de la nature de la lumière. Voici l’amorce de la future image d’Épinal que la postérité retiendra du savant qui (re)créa la lumière – ou plutôt les couleurs – en un geste aussi simple que grandiose :
Newton, avec le seul secours du prisme, a démontré aux yeux que la lumière est un amas de rayons colorés qui, tous ensemble, donnent la couleur blanche. Un seul rayon est divisé par lui en sept rayons, qui viennent tous se placer sur un linge ou sur un papier blanc dans leur ordre, l’un au-dessus de l’autre et à d’inégales distances21.
Newton aurait-il commandé à la lumière ? « Que la lumière se divise, et elle se divisa22 » ? Plus sérieusement, Newton mit d’abord fin à l’idée du sens commun traditionnel selon lequel l’état primitif de la couleur est le blanc et les couleurs des modifications de cette blancheur. Lorsqu’un faisceau de lumière rencontre une surface réfractante, comme celle d’un prisme de verre, les différents rayons qui le composent sont déviés ou réfractés différemment selon leur couleur : le rayon le plus réfracté est le bleu, le moins réfracté est le rouge, celui du jaune occupant une position moyenne. L’expérience du prisme montra que la lumière présente des composants ou rayons distincts, dont chacun est responsable de la propagation d’une couleur déterminée : chaque rayon élémentaire, déclare Voltaire, « porte en soi ce qui fait sa couleur à nos yeux ». Autrement dit, les couleurs ne sont pas créées par la réfraction de la lumière dans le prisme, elles sont dans la lumière elle-même23.
II. La « cause des couleurs dans la nature ». Voltaire aborde alors la question de l’origine des couleurs des corps ou, en termes plus scientifiques, « la disposition des corps à réfléchir les rayons d’un certain ordre, et à absorber tous les autres ». Une surface rouge, par exemple, est une surface qui réfléchit les rayons rouges et absorbe tous les autres, tandis qu’une surface blanche réfléchit en égale mesure tous les composants de la lumière. Selon Newton, 958cette disposition à réfléchir ou à absorber certains rayons dépend de l’épaisseur des surfaces réfringentes, des « petites parties constituantes dont un corps est composé ». On n’en saura pas plus ; le lecteur curieux doit se tourner vers les Éléments de la philosophie de Newton afin de mieux comprendre de quoi il s’agit. Voltaire y explique que Newton a découvert qu’il existait une certaine proportion entre « la force des parties constituantes de tous les corps et les rayons primitifs qui colorent les corps ». Ainsi, « le même corps qui était vert, quand il était un peu épais, est devenu bleu, quand il a été rendu assez mince pour ne réfléchir que les rayons bleus, et pour laisser passer les autres24 ». Mais le savant anglais a fait une autre découverte, plus étonnante encore. Alors qu’on croit communément qu’un rayon lumineux est réfléchi par un corps opaque parce qu’il rebondit contre ses parties solides comme une balle contre un mur, Newton a pu démontrer que la lumière est surtout réfléchie par… le vide : « Newton a appris aux philosophes étonnés que la lumière se réfléchit non des surfaces mêmes, mais sans toucher aux surfaces : qu’elle rejaillit du sein des pores, et enfin du vide même25. » Comment ? Pas plus qu’avant, Voltaire ne fournit d’explication précise, tout au plus se contente-t-il de présenter comme preuve de ce qu’il avance un fait d’observation trouvé dans l’ouvrage de Pemberton26 : « Le papier, qui réfléchit la lumière quand il est sec, la transmet quand il est huilé, parce que l’huile remplissant ses pores les rend beaucoup plus petits. » Voltaire n’a pas voulu ou pu entrer dans les détails fort techniques de l’expérience décrite par Pemberton qui a présidé à la découverte de cet étrange phénomène. Dans les Éléments de la philosophie de Newton27, Voltaire rappellera lapidairement que Newton n’a pas fait de la recherche des causes une part essentielle de la science : « Il s’est contenté des faits, sans rien oser déterminer sur les causes28. »
Voltaire termine la deuxième partie de la Lettre par une autre « merveille » mise en évidence par Newton : celui-ci a « fait voir qu’on n’est point assuré qu’il y ait un pouce cubique de matière solide dans l’univers ». Pourquoi ? L’explication fournie par Voltaire est extrêmement lacunaire : chaque partie des corps « ayant ses pores, et chaque partie de ses parties ayant les siens ». Chaque corps est composé de pores : chaque partie du corps est composée d’autres parties poreuses composées à leur tour de parties poreuses, et ainsi de suite. Il s’ensuit selon Newton que la plus petite quantité de matière peut occuper un espace immense si elle est remplie de pores qui en écartent beaucoup les parties infiniment petites par rapport à elles. Cette observation sur l’extrême 959porosité des corps, et par conséquent la quasi-absence de particules solides dans le monde, est bien sûr tirée de Pemberton. Celui-ci en conclut que « nous ignorons jusqu’ici quelle est la structure réelle des corps29 », ce que Voltaire traduit plus philosophiquement par : « Tant notre esprit est éloigné de concevoir ce que c’est que la matière. » Alors que la Lettre sur l’attraction annonce une nouvelle propriété ou qualité de la matière découverte par Newton30, la Lettre sur l’optique aborde cette question épineuse par un autre biais : les corps matériels ne sont pas composés de particules solides mais de pores apparemment vides. Quelle gifle pour les tenants du mécanisme classique, qui réduisait la matière à une substance étendue en longueur, largeur et profondeur, infiniment divisible et sans vide ! Les découvertes de Newton, nous avertit Voltaire à la fin de la partie des Éléments consacrée à l’optique, doivent « nous rendre extrêmement circonspects dans nos décisions sur la nature et l’essence des choses31 ». Il n’ira pas plus loin : les mésaventures auxquelles l’a exposé la XIIIe Lettre sur Locke lui ont sans doute servi d’exemple.
III. La réfrangibilité. Suivant toujours l’exposé de Pemberton, Voltaire revient à l’expérience du prisme pour expliquer l’arrangement des rayons de couleur à inégales distances après leur réfraction32. À chaque couleur correspond un certain degré de « réfrangibilité ». Cette propriété de la lumière à se réfracter s’expliquerait, selon Newton, par la gravitation et la vitesse des corpuscules dont le rayon lumineux serait composé : quand les corpuscules de lumière s’approchent de la surface de séparation entre l’air et le verre, ils sont attirés perpendiculairement à cette surface, ce qui a pour effet de dévier leur trajectoire. Les différences de vitesse expliqueraient pourquoi les corpuscules associés au rouge sont moins déviés que ceux associés au violet33. Voltaire présente la réfrangibilité comme une propriété inconnue de la lumière 960découverte par Newton et conclut que « le même pouvoir cause la réflexion et la réfraction de la lumière ». Lequel ? À la fin de la partie des Éléments de la philosophie de Newton consacrée à l’optique, Voltaire déclare sans ambages qu’il s’agit de l’attraction :
Avant de passer à l’autre partie de la philosophie, souvenons-nous, que la théorie de la lumière a quelque chose de commun avec la théorie de l’univers dans laquelle nous allons entrer. Cette théorie est, qu’il y a une espèce d’attraction marquée entre les corps et la lumière, comme nous en allons observer une entre tous les globes de notre univers34.
IV. L’action de la lumière sur les corps. Arrivé à ce point de la démonstration, tout lecteur non scientifique et normalement constitué commence à fatiguer, mais Voltaire n’en a cure. Il a même gardé le meilleur pour la fin : « Tant de merveilles, avertit-il triomphalement, ne sont que le commencement de ses découvertes. » Si l’on a le courage de se plonger dans la suite, on s’aperçoit vite que l’auteur semble fatiguer lui aussi, car ces nouvelles merveilles sont à peine détaillées, et ce qu’il en dit est incompréhensible. Pour masquer l’indigence du contenu, Voltaire ponctue sa présentation par des formules qui ne souffrent aucune contradiction et suggèrent une démonstration sans faille : Newton « a trouvé le secret », il a « osé calculer », et enfin : « De toutes ces combinaisons il trouve en quelle proportion la lumière agit sur les corps et les corps agissent sur elle. » Cette action de la lumière sur les corps n’est guère plus détaillée dans les Éléments de la philosophie de Newton, où la page qui y est consacrée disparaîtra d’ailleurs complètement à partir de l’édition de 175635. Voltaire était visiblement mal à l’aise avec le sujet ; en revanche, il termine la Lettre par un long passage sur le télescope à réflexion conçu et construit par Newton, car la théorie newtonienne de la lumière avait une conséquence tout à fait pratique sur la construction des lunettes.
V. Le télescope à réflexion. On savait depuis longtemps que les lunettes astronomiques comme celles de Galilée, constituées de lentilles, étaient sujettes à un défaut de focalisation de l’image appelée aberration sphérique. Pour réduire ce défaut, on utilisait des lentilles dont la courbure était la plus faible possible, ce qui augmentait la distance focale et obligeait à construire des lunettes plus longues. En essayant de remédier à ce défaut, Newton découvrit que les lentilles présentaient un autre défaut, l’aberration chromatique ou achromatisme, un effet qui intervient dans la réfraction mais non dans la réflexion. C’est ainsi qu’il lui vint à l’esprit de construire une lunette sans lentilles : un télescope à réflexion, où les rayons lumineux provenant de l’extérieur sont recueillis par un miroir parabolique concave. Celui-ci les réfléchit, en les focalisant, sur un petit miroir plan, qui renvoie l’image vers un oculaire monté 961perpendiculairement à l’axe du télescope. Ce télescope à réflexion était aussi un témoignage de l’extraordinaire habileté technique de Newton, qui avait poli soigneusement le miroir après l’avoir fondu dans un alliage conçu par lui-même pour l’occasion. La conception et la construction de ce télescope lui permirent d’obtenir, en 1669, la chaire lucasienne à Cambridge et d’être élu, en 1671, à la Royal Society. « Cette nouvelle sorte de lunette, commente Voltaire à la fin de la Lettre, est très difficile à faire, et n’est pas d’un usage bien aisé ; mais on dit en Angleterre qu’un télescope de réflexion de cinq pieds fait le même effet qu’une lunette d’approche de cent pieds36. »
Gustave Lanson a naguère montré que la remarque de la dernière phrase sur la longueur respective de la traditionnelle lunette astronomique et du télescope inventé par Newton provenait d’une des nombreuses notes critiques de la traduction anglaise de l’Éloge de Newton de Fontenelle publiée dans The Present State of the Republick of Letters de janvier 1728. En revanche, il n’a pas réussi à découvrir où Voltaire a puisé ses informations sur les inconvénients du nouveau télescope. Il les a dénichées dans l’ouvrage très technique d’un savant prémontré, le bavarois Johann Zahn (1641-1707), publié à Würzburg en trois tomes en 1685-1686 sous le titre Oculus artificialis teledioptricus sive Telescopium, ex abditis rerum naturalium et artificialium principiis protractum nova methodo, eaque solida explicatum ac comprimis e triplici fundamento physico seu naturali, mathematico dioptrico et mechanico, seu practico stabilitum. On y lit à la p. 152 du tome III au sujet du télescope de Newton : Verum tam in constructione quam in usu talis alicujus Tubi Anglicani aliqua hic occurrunt, quae praxi multum obsistere videntur (« Mais certains problèmes apparaissent tant lors de la construction que dans le maniement de cette lunette anglaise, qui semblent faire un grand obstacle à son utilisation »)37. La preuve ? Dans le même ouvrage se trouve, une page plus haut, ce syntagme latin qui a tant frappé Voltaire et dont Lanson ignorait également la provenance : Anglus quidam artifex Newtonus nomine, « Un certain artisan anglais du nom de Newton ». Il est vrai qu’il apparaît seulement cinq ans plus tard dans une première addition à la XVIe Lettre, mais il va prendre de plus en plus d’importance dans les éditions ultérieures38. L’avait-il gardé en réserve ou a-t-il relu l’ouvrage du savant bavarois à l’occasion de la préparation des Éléments de la philosophie de Newton ? On ne sait39. Toujours est-il que Voltaire remplace, dans la nouvelle version de 1739, la dernière phrase 962de la première édition, qui ajoute une note négative à la fin de la Lettre, par les lignes suivantes :
Il était encore peu connu en Europe quand il fit cette découverte. J’ai vu un petit livre composé environ ce temps-là dans lequel, en parlant du télescope de Newton, on le prend pour un lunetier : Artifex quidam Anglus nomine Newton. La renommée l’a bien vengé depuis.
Dans cette nouvelle fin de la XVIe Lettre, Voltaire observe avec étonnement que la renommée de Newton, déjà bien établie en Angleterre grâce à son télescope et ses recherches sur la lumière publiées en 1672 et 1675, n’était pas encore parvenue au reste de l’Europe, où le jeune savant anglais était effectivement encore un quasi inconnu au moment où Zahn publia son ouvrage40. Celui-ci était cependant loin de traiter l’« artisan » en question avec irrespect ou condescendance, comme pourrait le faire croire la formule latine citée par Voltaire. En effet, l’auteur précisait que Newton a montré un premier prototype de son télescope à la Royal Society, puis un deuxième prototype au roi d’Angleterre. Mais d’où tenait-il ses informations ? Il les a tirées ex Gallico libello Bruxellis edito, « d’un livre publié à Bruxelles » qu’un ami lui avait offert quelques années plus tôt. Il s’agit, sans aucun doute possible, des Mémoires concernant les arts et les sciences publiés par Jean-Baptiste Denis (ou Denys) à Bruxelles en 167241 et qui contiennent, à la date du 1er mars, une longue « Description d’une petite lunette par le moyen de laquelle on voit les objets éloignés aussi distinctement qu’on peut faire avec les plus grands télescopes, inventée par Monsieur Newton professeur de mathématiques dans l’université de Cambridge, et communiquée à l’auteur de ces Mémoires42 ». Si la gravure du télescope de Newton reproduite dans l’Oculus artificialis teledioptricus est bien plus détaillée que celle des Mémoires, Zahn a lu trop vite l’article de Denis. Non seulement il a transformé le vénérable professeur de l’université de Cambridge en « un certain artisan anglais », il lui a également attribué la conception d’un autre télescope, celui dont il est question dans les Mémoires à la date du 25 avril. Or ce télescope-là n’est pas de Newton mais de Laurent Cassegrain, et sa description a été communiquée à l’auteur des Mémoires par 963un certain M. de Bercé de Chartres, qui prétend l’avoir reçue de l’inventeur lui-même. Ce télescope à miroir secondaire convexe est « presque semblable », dit-il, à celui de Newton, auquel il est antérieur, et même « plus spirituel43 ». Le sieur de Bercé ne se doutait pas alors qu’il « piétin[ait] les plates-bandes d’une grande vedette montante de la science44 », qui démolira la solution de Cassegrain dans une réponse publiée le 20 mai dans les Philosophical Transactions. Désormais, plus personne ne confondra Newton avec un simple lunetier.
Revenons à Voltaire. À partir de 1739, l’artifex quidam reviendra dans chaque nouvelle version de la XVIe Lettre, et Voltaire se la rappellera encore quarante ans plus tard :
Je me souviens que lorsque Newton, au commencement du siècle, nous montra comment la lumière est faite, ce que personne n’avait encore vu depuis la création du monde, quelques-uns de nos mathématiciens voulurent faire ses expériences, et les manquèrent ; de là on jugea qu’un certain ouvrier nommé Newton, artifex quidam nomine Newton, s’était trompé45.
La formule reste (quasiment) la même, mais sa signification change selon le contexte, ou plus précisément elle imprime son cachet à chaque nouveau contexte. En 1739, elle se situe dans le prolongement du débat autour de la gloire des grands hommes lancé au début de la XIIe Lettre philosophique : à la question qui était le plus grand, de César, d’Alexandre le Grand, de Tamerlan ou de Cromwell, quelqu’un répondit que « c’était Newton sans contredit ». « Cet homme avait raison », commente Voltaire, ajoutant : « C’est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font des esclaves par la violence, c’est à celui qui connaît l’univers, non à ceux qui le défigurent, que nous devons nos respects46. » Voltaire n’a certainement pas oublié que lui aussi connaissait encore fort mal le grand savant qui fut enterré à Westminster « comme un roi qui aurait fait du bien à ses sujets47 ». Alors qu’il avait fait trois découvertes dont une seule, aux dires de Diderot, aurait suffi à l’immortaliser48, Newton était encore un inconnu sur le continent au moment de son décès : artifex quidam, un certain ouvrier… Mais en 1739, les temps ont changé, et Voltaire peut se flatter d’avoir contribué à la renommée 964dont Newton commence à jouir sur le continent49. Après l’expédition en Laponie (1736-1737), la question de la figure de la Terre est réglée à l’avantage de l’Anglais50. L’Académie des sciences commence à bouger et l’attraction finit par s’imposer à ses plus ardents adversaires. Rien ne reste de la science de Descartes, écrivait Voltaire à Maupertuis en 1739 : « On proscrit tous ses dogmes en détail, et cependant on se dit encore cartésien51. » Le lunetier a gagné la partie : « La renommée l’a bien vengé » !
En 1742, Voltaire revient à son texte pour une nouvelle édition. Il supprime les trois derniers paragraphes consacrés au télescope et les remplace par une nouvelle fin, qui ne sera toutefois pas reprise dans les versions ultérieures. Entre-temps, il a été attaqué par le cartésien Jean Banières dans son Examen et réfutation des Éléments de la philosophie de Newton de M. de Voltaire avec une dissertation sur la réflexion et la réfraction de la lumière (Paris, 1739). Celui-ci lui a « fait un crime […] d’avoir enseigné des vérités découvertes en Angleterre » et est même allé jusqu’à prétendre que « c’est être mauvais Français, que de n’être pas cartésien52 ». La renommée de Newton est désormais acquise, mais un patriotisme étroit et borné rejette les découvertes du savant anglais pour des raisons mesquines de fierté nationale. L’invention du télescope à réflexion passe désormais à l’arrière-plan. Ce qui est en cause, c’est la gloire de Newton, que certains refusent toujours de reconnaître :
Quand Newton, l’an 1675, eut fait, redoublé, constaté ses expériences d’optique, un Italien, indigné que de telles découvertes eussent été faites chez des Anglo-Saxons, et chez des hérétiques, écrivait qu’il était honteux de recevoir la loi d’un Anglais. C’est dommage que l’Inquisition ne s’en soit mêlée ; mais depuis l’aventure de Galilée, ce tribunal n’ose plus juger les physiciens.
Ce grand homme fut longtemps combattu ou ignoré. Il existe un livre dans lequel on le prend pour un lunetier. L’auteur, en parlant du télescope de réflexion que Newton a inventé, s’exprime ainsi : artifex quidam nomine Newton. Un certain ouvrier nommé Newton. La renommée l’a bien vengé depuis.
La renommée, mais pas la gloire, du moins en France53. La gloire, dira Voltaire en 1757, c’est « la réputation jointe à l’estime ; elle est au comble, quand l’admiration s’y joint54 ». Lui-même, selon les témoignages laissés par 965Condorcet, La Harpe et Ducis, était assoiffé de gloire tout au long de sa vie55. Or le grand homme, et en particulier le « philosophe », est au-dessus des nationalités ; la République des Lettres ne reconnaît que des talents et des vertus. « Est-ce parce qu’on est né en France, demande Voltaire, qu’on rougit de recevoir la vérité des mains d’un Anglais ? Ce sentiment serait bien indigne d’un philosophe56. » Voltaire craint que l’odium philosophicum se joigne à l’odium theologicum, cette passion de sinistre mémoire qui, selon le mot de Bayle, « trouve des hérésies partout où elle souhaite en trouver57 ». Point de nouvelle guerre de religion entre cartésiens et newtoniens ! s’exclame Voltaire. La vérité est une, elle est scientifique et mathématique, et elle transcende les frontières, religieuses autant que philosophiques : « Il ne s’agit ici que d’expériences et de calculs et non de chefs de partis58. »
En 1751, la formule latine change à nouveau de signification, car le contexte dans lequel elle s’insère n’est plus du tout le même. Dans la nouvelle version de la XVIe Lettre, Voltaire ajoute un long passage après la fin de 1739, dont voici le début (nous reprenons d’abord la dernière phrase de l’addition de 1739) :
J’ai vu un petit livre composé environ ce temps-là dans lequel, en parlant du télescope de Newton, on le prend pour un lunetier : Artifex quidam Anglus nomine Newton. La postérité l’a bien vengé depuis.
De tous ceux qui ont un peu vécu avec Monsieur le cardinal de Polignac, il n’y a personne qui ne lui ait entendu dire que Newton était péripatéticien, et que ses rayons colorifiques, et surtout son attraction, sentaient beaucoup l’athéisme. […] Quand on considère que Newton, Locke, Clarke, Leibniz auraient été persécutés en France, emprisonnés à Rome, brûlés à Lisbonne, que faut-il penser de la raison humaine ? […] On a souvent demandé pourquoi ceux que leur ministère engage à être savants et indulgents ont été si souvent ignorants et impitoyables. Ils ont été ignorants parce qu’ils avaient longtemps étudié, et ils ont été cruels parce qu’ils sentaient que leurs mauvaises études étaient l’objet du mépris des sages.
L’affrontement entre les philosophes et leurs adversaires a commencé. Newton est mort depuis longtemps et la « postérité » – qui est plus universelle et durable que la renommée – l’a définitivement vengé… sauf auprès des « ignorants », que Voltaire vient de brocarder dans les premiers chapitres de Zadig. Ceux-ci sont loin de confondre Newton avec un lunetier, mais, pétris de préjugés, ils lui intentent un procès en athéisme à l’instar des « superstitieux » évoqués dans la XIIIe Lettre philosophique, qui reprochaient à Locke de vouloir renverser la religion59. Voltaire se souvient des attaques dont il a été lui-même l’objet, et il sait que le combat va être rude. Au moment où paraît le Discours 966préliminaire de son ami d’Alembert, il ne s’agit plus de défendre Descartes contre Newton ni la France contre l’Angleterre, mais la nouvelle philosophie, dont les hérauts s’appellent Newton, Locke, Clarke et Leibniz. Voltaire sait que la partie qui s’engage est loin d’être gagnée, et l’histoire lui donnera raison.
En 1756, alors qu’il vient de s’installer aux Délices, Voltaire modifie les lettres sur Newton une dernière fois, et de façon radicale. Il remplace les XVe, XVIe et le début de la XVIIe Lettre par un court morceau intitulé sobrement « De Newton », qui réduit la version originale de 1734 à environ un sixième. Toute la partie scientifique est supprimée. Face au triomphe du newtonianisme en France, Voltaire estime probablement que ses explications ne font plus le poids60. Le début du morceau renoue avec la VIIe Lettre : Newton, rapporte Voltaire, s’est risqué dans l’hérésie arienne, allant jusqu’au rejet de la doctrine trinitaire, mais il n’était pas socinien comme beaucoup d’autres savants en Europe (c’est Voltaire qui le dit) ; plusieurs d’entre eux, affirme-t-il, « réduisent leur système au pur déisme, accommodé avec la morale du Christ ». Les recherches chronologiques de Newton, qui occupaient en 1734 l’essentiel de la XVIIe Lettre, sont remplacées par un commentaire sur sa traduction de l’Apocalypse, que Voltaire met désormais au même plan que sa métaphysique, à moins que ce ne soit l’inverse. Car c’est seulement lorsqu’il travaillait « les yeux ouverts à ses mathématiques », déclare-t-il, que « sa vue porta aux bornes du monde ». Voltaire a commencé à prendre ses distances avec la « métaphysique » de Newton, attitude qui s’accentuera dans les années qui vont suivre61. Les trois découvertes de Newton sont ramassées dans un court paragraphe, puis Voltaire passe à l’invention du télescope à réflexion, à laquelle il accorde deux fois plus de place qu’au calcul infinitésimal, à l’attraction et à la lumière. C’est ici que nous trouvons la formule de Zahn, devenu jésuite entre-temps, pour la dernière fois :
Ce fut à l’occasion de son nouveau télescope qu’un jésuite allemand prit Newton pour un ouvrier, pour un faiseur de lunettes : artifex quidam nomine Newton, dit-il dans un petit livre. La postérité l’a bien vengé depuis. On lui faisait en France plus d’injustice, on le prenait pour un faiseur d’expériences qui s’était trompé ; et parce que Mariotte se servit de mauvais prismes, on rejeta les découvertes de Newton.
Maintenant que la pomme et le prisme ont disparu, ce qui reste, c’est l’ouvrier Newton, le faiseur de lunettes, artifex quidam. Erreur somme toute légère, excusable par la renommée encore inexistante du savant anglais sur le continent au moment où le prémontré allemand publia son « petit livre » – un in-quarto de 181 pages tout de même. L’injustice commise par les Français à l’encontre de Newton est bien plus grave. Un faiseur de lunettes exerce un 967métier honorable et difficile, tandis qu’un faiseur d’expériences – le mot faiseur, rappelle le Dictionnaire de l’Académie, quand il ne désigne pas quelqu’un qui « fait quelque ouvrage », se dit ordinairement par mépris – est tout juste un amateur peu digne de confiance, surtout quand il se trompe. Dans les Éléments de la philosophie de Newton, Voltaire rappelait cruellement la résistance des cartésiens français à la réfrangibilité de la lumière découverte par Newton62 : même quand elle fut prouvée par d’autres expériences, « le préjugé a subsisté encore au point, que […] on nie hardiment ces mêmes expériences, que cependant on fait dans toute l’Europe63 ». Puis, après s’être rendu à l’évidence, on a « chicané » sur les mots réfrangibilité et attraction employés par Newton ; pour couronner le tout, on a reproché à sa physique de réintroduire l’aristotélisme et, insulte suprême quand on connaît les profondes convictions religieuses du savant, de conduire à l’athéisme64. Ces reproches sont réitérés avec force dans le morceau sur Newton de 1756 : Voltaire y reprend le passage sur le cardinal de Polignac et les inquisiteurs de l’addition de 1751, puis termine le chapitre par une pirouette : ce n’est pas son mérite qui a contribué à la renommée de Newton, mais les charmes de sa nièce, Mme Conduitt : « Elle plut beaucoup au grand-trésorier Halifax. Le calcul infinitésimal et la gravitation ne lui auraient servi de rien sans une jolie nièce. »
Alors que Voltaire a consacré, dans la première version de 1734, pas moins de trois lettres aux grandes découvertes de Newton, mentionnant comme en passant son invention du télescope à réflexion, cette invention acquiert de plus en plus d’importance dans les versions ultérieures grâce à l’immortelle formule d’un prémontré bavarois : Anglus artifex quidam nomine Newton. De 1739 à 1756, ce syntagme latin revient avec insistance, mais la signification symbolique dont il est chargé change selon le contexte. Témoin éclatant en 1739 des caprices de la renommée, il symbolisera par la suite l’antagonisme entre un pays ouvert à la nouveauté et un pays figé dans ses certitudes, le nationalisme borné des scientifiques français incapables de reconnaître la vérité, et enfin la lutte qui s’annonce entre les philosophes des Lumières et leurs adversaires. Voltaire avait le don de repérer et d’exploiter le détail qui fait mouche : après la pomme et le prisme, l’artifex quidam de Zahn s’est taillé une place de choix dans l’imaginaire scientifique voltairien.
1. Université de Nantes.
2. L’optique, comme chacun sait, désigne l’étude des propriétés et du comportement de la lumière. Nous citons les Lettres philosophiques d’après notre édition : Lettres philosophiques, suivies des Derniers écrits sur Dieu, Paris, Flammarion, « GF », 2006 (ci-après LP). La XVIe Lettre et les modifications que Voltaire y a apportées après 1734 s’y trouvent p. 166-172 et 292-295. Les Éléments de la philosophie de Newton sont cités d’après l’édition de R.L. Walter et W.H. Barber parue au tome 15 des Œuvres complètes de Voltaire (Oxford, Voltaire Foundation, 1968-2020 ; ci-après OC). Ils seront désormais désignés par le sigle ÉPN. Les références aux lettres de Voltaire renvoient à l’édition Th. Besterman de la Correspondance, t. 83-135 de cette édition ; la lettre D (definitive edition) est suivie du numéro que porte la lettre citée. Nous avons partout modernisé l’orthographe des citations.
3. Voir LP, p. 166. En 1739, Voltaire développera quelque peu ce récit dans les paragraphes introductoires qu’il mettra en tête de la XVe Lettre (LP, p. 163-165).
4. Inventée par von Guericke et perfectionnée par Boyle, la machine pneumatique ou pompe à air a permis de mieux connaître la pesanteur des corps. Grâce à cette machine vidée d’une grande partie de son air, rapporte Voltaire, on a pu démontrer « qu’il faut qu’il y ait une force qui fasse descendre les corps vers le centre de la Terre, c’est-à-dire, qui leur donne la pesanteur, et que cette force doit agir en raison de la masse des corps » (ÉPN, p. 412), ce qui réduisit à néant le vide et les tourbillons cartésiens. Voltaire possédait lui-même une machine pneumatique avec laquelle il a refait l’expérience du prisme newtonienne (voir ibid., p. 286-287).
5. XIIe Lettre philosophique (LP, p. 127). En 1756, Voltaire précisera : « de la barbarie scolastique ».
6. C’est la leçon de l’édition de Londres qui est à la base de toutes les éditions ultérieures.
7. Lettre du 23 décembre 1630, dans Œuvres philosophiques, éd. F. Alquié, Paris, Bordas, « Classiques Garnier », 1988, t. I, p. 287.
8. Le traité Du monde, qui contient une attaque en règle, sans réel équivalent dans le reste du corps cartésien, contre les concepts centraux de la physique scolastique, fut abandonné en 1633 suite à la condamnation de Galilée, Descartes préférant « vivre en repos » (Lettre à Mersenne d’avril 1634, dans Œuvres philosophiques, op. cit., t. I, p. 495).
9. Fontenelle, « Sur la résistance de l’éther au mouvement des corps », dans Histoire de l’Académie royale des sciences. Année 1731, Amsterdam, P. Mortier, 1735, p. 92.
10. J.M. Keynes, « Newton, the man », dans Royal Society Newton Tercentenary Celebrations 15-19 July 1946, Cambridge University Press, 1947, p. 27.
11. Voir LP, p. 152-153.
12. Voir LP, p. 161-163.
13. Lettre XIV, LP, p. 150.
14. Dante, Œuvres complètes. Tr. fr. A. Pézard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 417 (III, 14). Cette conception remonte à Aristote, De l’âme, 418a-419b (II, 7).
15.. J. Kepler, Ad Vitellionem Paralipomena, Francfort, 1604, p. 32.
16.. Cette théorie des couleurs, exposée dans le Discours VIII des Météores, est assez fidèlement résumée par Voltaire dans les Éléments de la philosophie de Newton : « Si vous demandez aux philosophes ce qui produit les couleurs, Descartes vous répondra que les globules de ses éléments sont déterminés à tournoyer sur eux-mêmes outre leur tendance au mouvement en ligne droite, et que ce sont les différents tournoiements qui font les différents couleurs » (ÉPN, p. 349).
17. La traduction française parut en 1755 sous le titre Éléments de la philosophie newtonienne. Pour la commodité du lecteur, nous citons l’ouvrage de Pemberton d’après cette version. Voltaire suit pas à pas les chapitres i à iv de la IIe partie, de la décomposition de la lumière jusqu’au télescope à réflexion.
18. Voir notre article « Quand Voltaire expliquait l’attraction newtonienne aux Français (à propos de la quinzième Lettre philosophique) », Revue Voltaire, 13, 2013, p. 167-181.
19. Réponse à toutes les objections principales qu’on a faites en France contre la philosophie de Newton (1739), ÉPN, p. 735.
20. Voir LP, p. 155. On sait que Voltaire a été le premier à faire connaître en Europe cette célèbre anecdote qu’il tenait de la nièce même de Newton, Mme Conduitt.
21. Il s’agit en réalité d’une série d’expériences qualifiée d’experimentum crucis, car elles étaient destinées à trancher de manière décisive entre des théories concurrentes sur la nature de la lumière. L’« expérience cruciale » consistait à arranger deux prismes de manière que seul l’un des rayons colorés produits par la première réfraction soit réfracté une deuxième fois. Le récit de cette découverte, rédigé par Newton dans sa célèbre lettre à Henry Oldenburg présentée à la Royal Society le 8 février 1672 et publiée le 19 dans les Philosophical Transactions, constitue le véritable texte fondateur de la théorie newtonienne de la lumière et des couleurs et restera, jusqu’à la publication de L’Optique en 1704, le seul exposé complet de sa pensée. Voltaire le résuma au chapitre x de la deuxième partie des Éléments de la philosophie de Newton (ÉPN, p. 353-361).
22. Dans la version de 1756, Voltaire écrira sans plaisanter : « Il a dit : “Que la lumière soit connue”, et elle l’a été. »
23. Dans les Éléments de la philosophie de Newton, Voltaire précise que les couleurs ne sont pas dans les rayons mais qu’elles sont rubrifiques ou jaunifiques, « c’est-à-dire excitant la sensation de rouge, de jaune » (ÉPN, p. 358).
24. ÉPN, p. 378 et 377.
25. XVIe Lettre philosophique, édition de 1739.
26. Voir Henry Pemberton, Éléments de la philosophie newtonienne, Amsterdam et Leipzig, 1755, p. 415-416.
27. ÉPN, p. 379-383. À partir de l’édition de 1756, la dernière partie de la démonstration assez laborieuse de Voltaire disparaît tout simplement.
28. ÉPN, p. 384-385.
29. Op. cit., p. 432. On lit dans l’original anglais : Though what is the real structure of bodies we yet know not (Henry Pemberton, A View of Sir Isaac Newton’s Philosophy, Londres, 1728 p. 356). L’origine de cette remarque se trouve dans L’Optique de Newton (II, III, 9).
30. Voir LP, p. 161 (« qualité inhérente ») et 162 (« nouvelle propriété »). Dans sa réponse aux critiques de Banières, Voltaire se défendra en 1739 contre l’accusation d’avoir fait de la force de gravitation une propriété essentielle de la matière : « L’auteur des Éléments a dit à la vérité avec tous les bons philosophes, que la pesanteur, la tendance vers un centre, la gravitation est une qualité de toute la matière connue, laquelle lui est donnée de Dieu, et qui lui est inhérente ; le terme d’inhérent est bien éloigné de signifier essentiel, il signifie ce qui est attaché, comme adhésion signifie ce qui est attaché extérieurement ; l’essence d’une chose est la propriété, sans laquelle on ne peut la concevoir, mais on peut très bien concevoir la matière sans pesanteur. » (Réponse à toutes les objections principales qu’on a faites en France contre la philosophie de Newton, OC, t. 15, p. 739).
31. ÉPN, p. 395.
32. La réfraction est la courbure du rayon de lumière qui passe d’un milieu transparent à un autre, par exemple de l’air au verre (prisme).
33. Voir aussi les Éléments de la philosophie de Newton, ÉPN, p. 550-551 (éd. de 1738) et 359-360 (éd. de 1741). Signalons en passant que premièrement, Voltaire ne tient pas compte de l’hypothèse de la nature ondulatoire de la lumière proposée par Huygens, et deuxièmement que la théorie des couleurs acceptée aujourd’hui ne conçoit pas la lumière blanche comme un mélange de rayons de couleurs différentes. Voir Michel Blay, Lumières sur les couleurs. Le regard du physicien, Paris, Ellipses, « L’Esprit des sciences », 2001.
34. ÉPN, p. 394.
35. Voir ÉPN, p. 381-385.
36. Voltaire écrit de et non à réflexion.
37. Le titre du tome III a légèrement changé : Pro practice construendo et elaborando Oculo artificiali teledioptrico, sive Telescopio, fundamentum III practico-mechanicum. Toutes nos citations proviennent des pages 151-152. Ce volume a fait l’objet d’un compte rendu circonstancié dans la Bibliothèque universelle et historique du mois de décembre 1686 (p. 411-423).
38. Rappelons à cette occasion que Voltaire a révisé et complété le texte original des Lettres philosophiques en 1739, 1742, 1746, 1748, 1751, 1752 et 1756. Voir notre édition, p. 69-70.
39. Il n’est pas impossible que Voltaire ait consulté l’ouvrage de Zahn, l’un des pionniers de la lanterne magique, lorsqu’il divertissait à Cirey Mme Du Châtelet et leurs invités en improvisant des contes à l’aide de marionnettes ou d’une lanterne magique, au point de s’y brûler la main un soir. Voir la lettre de Madame de Graffigny à Devaux du 11 décembre 1738 (D1681).
40. On sait que Newton a refusé tout contact avec le monde scientifique après avoir essuyé les critiques de Hooke et de Huygens. Ce n’est qu’en 1687, un an après la parution de l’Oculus artificialis teledioptricus de Zahn, qu’il consentit à publier les Principes mathématiques de la philosophie naturelle.
41. En 1672, les Mémoires de Denis, l’un des inventeurs de la transfusion du sang, font directement concurrence au Journal des savants qui languissait alors sous la direction de l’abbé Gallois. Voir J. Sgard (dir.), Dictionnaire des journaux 1600-1789, Paris, Universitas, 1991, notice 1177.
42. Mémoires concernant les arts et les sciences présentés à Monseigneur le Dauphin, Bruxelles, Henry Fricx, 1672, p. 75-85. Le volume publié à Bruxelles est une contrefaçon de l’édition parisienne éditée par Frédéric Léonard. Une autre version de la « Description » fut publiée simultanément par le Journal des savants dans son numéro du 29 février.
43. Mémoires concernant les arts et les sciences, op. cit., p. 210.
44. A. Baranne et F. Launay, « Cassegrain : un célèbre inconnu de l’astronomie instrumentale », Journal of Optics, 28, 1997, no 4, p. 160. M. de Bercé était le pseudonyme de l’ami de Cassegrain, Claude Estienne (1640-1723), chanoine de la cathédrale de Chartres et prieur de Bercé. Nous remercions Françoise Launay pour cette information.
45. Lettre à Jean Devaines du 30 mars 1776 (D20037). Voltaire télescope deux événements. L’Optique de Newton parut en 1704, mais l’expérience du prisme fut refaite sans succès par Edme Mariotte peu de temps après sa publication en 1672.
46. LP, p. 124.
47. XIVe Lettre philosophique, LP, p. 147. Voltaire a sans doute entendu parler de Newton vers 1724 dans l’entourage de Bolingbroke. Voir Paolo Casini, « Briarée en miniature : Voltaire et Newton », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 179, 1979, p. 65-66.
48. Essai sur les règnes de Claude et de Néron, dans Œuvres complètes, éd. Dieckmann-Varloot, t. XXV, Paris, Hermann, 1986, p. 185 (I, 102).
49. Après la publication des Éléments de la philosophie de Newton, Voltaire écrivit non sans fierté à Thieriot le 23 juin 1738 : « Je suis après tout le premier en France qui ai débrouillé ces matières, et j’ose dire le premier en Europe car ‘s Gravesande n’a parlé qu’aux mathématiciens et Pemberton a obscurci souvent Newton » (D1531).
50. « À Paris, vous vous figurez la Terre faite comme un melon ; à Londres, elle est aplatie des deux côtés », écrivait Voltaire dans la XIVe Lettre (LP, p. 146).
51. Lettre de M. de Voltaire à M. de Maupertuis, sur les Éléments de la philosophie de Newton, ÉPN, p. 699 (D1622).
52. Réponse à toutes les objections, ÉPN, p. 733.
53. En Angleterre, la gloire fut acquise à Newton dès son vivant, comme en témoigne l’épitaphe latin gravé sur son tombeau et traduit par Voltaire dans ses carnets : « La gloire du genre humain » (OC, t. 86, p. 510).
54. Article Gloire, glorieux, glorieusement, glorifier de l’Encyclopédie, OC, t. 33, p. 124 (l’article parut au t. VII, p. 716).
55. Voir J.R. Iverson, « La gloire humanisée ? Voltaire et son siècle », Histoire, économie et société, 20, 2001, no 2, p. 217.
56. Éléments de la philosophie de Newton, ÉPN, p. 359.
57. Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Amsterdam, Leyde, La Haye et Utrecht, 1740, t. I, p. 421 (art. Baius, rem. C). Dans la lettre à Maupertuis de 1739, Voltaire se refusait encore à croire que l’odium philosophicum puisse jamais passer en proverbe. Voir ÉPN, p. 718.
58. Réponse à toutes les objections, ÉPN, p. 734.
59. Voir LP, p. 133 et 139-140.
60. Il s’en explique dans un N.B. : « On a retranché les chapitres qui regardaient l’attraction et la lumière ; on les retrouve dans le tome de la Philosophie, qui est leur véritable place. » (Collection complète des œuvres de M. de Voltaire, [Genève, Cramer,] 1756, t. IV, p. 185).
61. Nous nous permettons de renvoyer à l’introduction à notre édition des Lettres philosophiques, LP, p. 50-57.
62. La réalité est bien sûr moins simple : l’expérience du prisme, simple dans son principe, était délicate à réaliser dans les conditions où elle fut d’abord faite. Cette difficulté explique les controverses auxquelles elle a donné lieu pendant une cinquantaine d’années, en France mais aussi en Angleterre et en Italie. Voir L. Verlet, La Malle de Newton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1993, chap. ii à iv.
63. ÉPN, p. 357.
64. Voir ÉPN, p. 358-359.
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- ISBN: 978-2-406-11066-8
- EAN: 9782406110668
- ISSN: 2105-2689
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11066-8.p.0201
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-02-2020
- Periodicity: Quarterly
- Language: French