![Revue d’histoire de la pensée économique. 2022 – 1, n° 13. varia - Liberal Economists and the “Worker’ Question” in France during the 1840s](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/HpeMS13b.png)
Liberal Economists and the “Worker’ Question” in France during the 1840s From the Glorification of Liberty of Work to the Fight against the “Right to Labour”
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d’histoire de la pensée économique
2022 – 1, n° 13. varia - Author: Potier (Jean-Pierre)
- Pages: 317 to 354
- Journal: Journal of the History of Economic Thought
Les Économistes libÉraux
et la « question ouvriÈre »
en France dans les annÉes 1840
De la glorification de la liberté du travail
au combat contre le « droit au travail »
Jean-Pierre Potier
Université Lumière-Lyon 2
Triangle – UMR CNRS 5206
Quand le travail sera un droit, le travailleur sera associé et il ne se révoltera plus.
Félix Pyat, discours à l’Assemblée constituante, 2 novembre 1848.
Introduction
En France, dans les années 1840, on observe tout d’abord une expansion économique marquée par la formation des premières grandes entreprises industrielles et par le développement des chemins de fer. Mais à partir de 1846, on constate la combinaison d’une crise agricole de subsistances (liée aux mauvaises conditions climatiques) et d’une crise industrielle de surproduction. En 1847, une crise financière apparaît, liée à la spéculation, qui fragilise les grandes entreprises et certaines banques. Le chômage progresse fortement et les salaires reculent dans les manufactures. Le textile, la métallurgie, les mines, le bâtiment et les chemins de fer sont fortement touchés. La conjoncture économique 318restera dégradée jusqu’en 1851. La misère ouvrière est reconnue comme l’une des causes de la chute de la Monarchie de Juillet et de la Révolution de février 1848. La « question ouvrière » en tant que composante principale de la « question sociale » est discutée par de nombreux acteurs (politiques, réformateurs sociaux, économistes) et un large spectre de solutions sont proposées pour la résoudre.
Au début des années 1840, un groupe d’économistes libéraux s’est constitué grâce à la création du Journal des économistes (1841) par l’éditeur Gilbert-Urbain Guillaumin et la fondation de la Société d’économie politique (1842)1. Certains d’entre eux disposent de chaires d’enseignement dans la capitale (Collège de France, Conservatoire des Arts et Métiers, École des Ponts et Chaussées) et une section est à leur disposition à l’Académie des sciences morales et politiques (rétablie par Guizot en 1832). Il est cependant difficile de parler d’une véritable « école libérale » à propos de ces économistes. En effet, aucune figure importante n’émerge dans ce groupe dont plusieurs membres sont des disciples de Jean-Baptiste Say et leurs positionnements sur telle ou telle question théorique ou pratique peuvent diverger notablement. Opposé à la politique commerciale de la Monarchie de Juillet, le « lobby libéral » (Le Van-Lemesle, 2004, chap. iii) se fait connaître de 1846 à 1848 par sa campagne anti-protectionniste dirigée contre l’aristocratie financière et les rentes de monopole2. Ces auteurs souhaitent rappeler que leur science sert non seulement à exposer les conditions de la prospérité publique, mais aussi à maintenir la sécurité de l’ordre social (Breton, 1985, p. 236). Ils dénoncent le caractère utopique des idées et des programmes des réformateurs sociaux et des socialistes et ils se livrent à la critique des disciples de Saint-Simon, Fourier, Cabet, mais aussi de Pierre Leroux, Philippe Buchez et Louis Blanc. Mais la critique va atteindre son paroxysme durant l’année 1848, dans le feu du combat contre le « droit au travail » et les propositions de la Commission du Luxembourg (Démier, 2000, 2002 ; Ferraton, 2007, p. 96-102).
319Il est donc intéressant d’examiner plus précisément comment ces économistes appréhendent la « question ouvrière » durant les années 18403. En dehors des monographies sur tel ou tel auteur, la comparaison des positions respectives des économistes a été peu traitée jusqu’à présent, sauf pour l’année 1848 (Démier, 2000 ; Bouchet, 2006). Sur cette question, nous avons sélectionné dans notre étude huit intervenants de divers horizons qui se sont exprimés, soit à l’occasion de changements dans la législation ouvrière, soit à l’occasion de polémique contre les socialistes, en particulier contre Louis Blanc. On trouve dans ce groupe aussi bien des libéraux modérés que des libéraux les plus extrêmes : Charles Dunoyer (1796-1862)4, Jérôme-Adolphe Blanqui (1798-1854)5, Frédéric Bastiat (1801-1850)6, Léon Faucher (1803-1854)7, Michel Chevalier (1806-1879)8, 320Louis Wolowski (1810-1876)9, Joseph Garnier (1813-1881)10 et Gustave de Molinari (1819-1912)11. Plusieurs de ces économistes – C. Dunoyer, M. Chevalier, A. Blanqui et son beau-frère J. Garnier, L. Faucher et son beau-frère L. Wolowski – soutiennent la politique de François Guizot, véritable chef du gouvernement de 1840 au 24 février 1848, même s’ils sont en désaccord avec sa politique commerciale12. Si C. Dunoyer et G. de Molinari sont farouchement hostiles à la Révolution de 1848 (Dunoyer, 1849 ; Molinari, 1852), certains économistes se rallient à la République avec plus ou moins de conviction, tels qu’A. Blanqui, J. Garnier, L. Wolowski, L. Faucher13 et F. Bastiat. Étant pour la plupart favorables à une réforme du suffrage censitaire en vue de son élargissement14, ils ne sont pas devenus des adeptes inconditionnels du suffrage universel masculin (le corps électoral passe de 200 000 à plus de 9 millions d’inscrits). En effet, au début, ils sont tous inquiets quant à la faible capacité intellectuelle et politique des classes non éduquées et des menaces potentielles sur la propriété de la part de ces classes15, mais leurs craintes seront apaisées 321puisqu’une majorité de notables bourgeois et de républicains modérés sera élue en avril 184816.
Pour analyser plus précisément le positionnement de ces économistes sur la « question ouvrière » et leurs éventuelles divergences de vues, nous examinerons successivement les quatre points suivants. Tout d’abord, nous présenterons leur discours au sujet de la « liberté du travail » dans le cadre de la libre concurrence et sur les coalitions ouvrières. En second lieu, nous aborderons leurs prises de position au sujet de certaines modifications de la législation ouvrière. Ensuite, nous verrons leur traitement de la question de l’association et de l’« organisation du travail ». Enfin, nous examinerons leur critique du « droit au travail », revendication qui apparaît au grand jour entre février et juin 1848.
I. « LibertÉ du travail », libre concurrence
et coalitions ouvriÈres
En France, les économistes libéraux se réclament de la « liberté du travail » en faisant référence à l’édit du 9 février 1776, relatif à la suppression des jurandes et des maîtrises17, dans lequel Turgot défendait le « droit de travailler18 ». Selon eux, le « droit de travailler » consiste dans la liberté du travail, la liberté de l’industrie, à ne pas confondre avec le « droit au travail » dont nous parlerons plus loin auquel ils s’opposent19. La liberté du travail marque la fin de la réglementation administrative, 322des monopoles et elle est une partie intégrante des droits de propriété individuels. Les économistes libéraux sont obsédés par le souci de légitimer la propriété, toujours menacée par l’arbitraire de l’État. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789, article 2) avait présenté la propriété des biens matériels comme un droit naturel, au même titre que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression. La plupart des économistes libéraux se fondent sur cette conception pour défendre les droits de propriété (Sigot, 2010). Selon eux, les droits de propriété ne sont pas une émanation de la loi ; ils existent avant la société et sont naturels : cela implique l’inégalité des conditions et toute tentative de la part de l’État de modifier la répartition de la propriété est dangereuse (voir par exemple, Bastiat, 1848, p. 177-179 ; Chevalier, 1848 b, p. 158 ; Molinari, 1849, p. 42-45). Tout empiètement sur le droit naturel de propriété est aussi une atteinte contre la morale20. Ces économistes repoussent donc les attaques contre la propriété qui viennent des socialistes tels que Pierre-Joseph Proudhon (Qu’est-ce que la propriété ? 1840)21.
La liberté du travail est inconcevable sans le mécanisme de la libre concurrence, qui permet l’égalité dans le travail. Ainsi, le marché du travail doit fonctionner grâce au jeu de l’offre et de la demande impliquant la flexibilité des salaires, sans aucune entrave. Selon Joseph Garnier, « [l]es salaires s’élèvent ou s’abaissent en raison inverse du nombre des ouvriers qui se présentent pour faire le travail, et en raison directe de la quantité de travail disponible » (en italique par J. Garnier, 1848 c, p. 255). Il en découle que les travailleurs ont intérêt à voir s’accroître le capital plus rapidement que leur nombre et Garnier rend hommage à la lucidité de Malthus. Mais de son côté, Louis Wolowski, pour qui la fonction de l’État ne se réduit pas à la préservation des libertés, mais procède comme un « levier », fait remarquer que l’État peut agir (indirectement) à la fois sur la qualité de l’offre de travail par l’instruction et sur la demande de travail par l’essor du crédit et l’extension des voies de communication22.
323Or, ce marché du travail concurrentiel fait l’objet, durant les années 1840, de violentes critiques de la part des réformateurs sociaux et des socialistes. Ainsi, dans Organisation du travail, Louis Blanc explique que la concurrence « est le travail mis en enchères » et il décrit l’attribution d’un emploi par un entrepreneur à l’ouvrier qui offre le plus bas salaire (Blanc, 1845, p. 9). Dans les polémiques, le fonctionnement de la libre concurrence est rendu responsable de l’extension du paupérisme chez les ouvriers.
Les économistes libéraux vont tout d’abord s’étonner des doutes et des accusations portées contre le « régime de la concurrence ». C’est, par exemple, le cas de Charles Dunoyer, qui s’exprime sur ce point dans les premiers numéros du Journal des économistes. Selon lui, la « liberté du travail » est « calomniée » et les attaques contre la concurrence dissimulent, en réalité, des attaques contre la liberté23. Dunoyer déplore que l’on se propose d’empêcher que le prix du travail soit « soumis au cours du marché », que le travail soit « mis au rabais », sous le prétexte que les hommes auraient le « droit de vivre » et qu’ils devraient en « avoir les moyens » (Dunoyer, 1841, p. 14, repris dans 1845, livre IV, chap. x, tome 1, p. 411-412). Selon lui, le régime industriel améliore le niveau de vie de toutes les catégories de la population grâce à la libre concurrence qui parvient à s’imposer en dépit de certaines restrictions (1845, livre IV, chap. ix, tome 1, p. 404). On ne peut pas lui imputer le paupérisme, dont les causes sont à rechercher plutôt dans les vices des classes laborieuses, dans leurs conduites individuelles irresponsables, plus précisément dans la paresse, l’imprévoyance, le défaut d’économie et l’immoralité, sans oublier « l’abus que leur grossièreté les porte à faire du mariage » ce qui contribue à « la multiplication de ces classes du fait de leur fécondité bestiale », op. cit., chap. x, p. 451) et à la baisse des salaires24. Adolphe Blanqui, Louis Wolowski et Michel Chevalier 324ne défendent pas un tel point de vue. Adolphe Blanqui voit la cause du paupérisme dans la multiplication des grandes manufactures et la soumission des ouvriers aux machines, dans la « concurrence effrénée » sur le territoire national, mais aussi dans l’isolement industriel et commercial, dans le protectionnisme qui ferme les débouchés et favorise les bas salaires (Blanqui, 1849, tome 1, p. 15-20). Selon Louis Wolowski et Michel Chevalier, la cause de la misère, du paupérisme, réside dans l’insuffisance de la production ; il ne s’agit pas d’un problème de répartition des richesses. L’industrialisation, l’accroissement de la production grâce au machinisme (qui peut constituer un mal temporaire aux yeux des travailleurs), la hausse des salaires permettront à long terme de résoudre la question ouvrière25.
Concernant le marché du travail, la question de l’action collective des travailleurs se pose. Si en Angleterre, les Combinations Acts étaient abolis depuis 1824, la loi Le Chapelier qui interdit les coalitions entre les patrons mais surtout entre les travailleurs, restera en vigueur durant la plus grande partie du xixe siècle. L’arsenal juridique contre les coalitions est même renforcé avec la loi du 22 Germinal an XI (12 avril 1803) sur la police des manufactures, puis avec le Code pénal de 1810 (articles 414 et 415). Quand la Révolution de février 1848 éclate, la liberté d’association pour les ouvriers est proclamée, et l’application du dispositif Le Chapelier est suspendue. Mais la loi du 27 novembre 1849 rétablira les dispositions de la loi Le Chapelier et du Code pénal26.
L’action collective des travailleurs interpelle naturellement les économistes libéraux : le gouvernement doit-il autoriser les coalitions et les grèves des ouvriers ? En leur temps, Adam Smith et Jean-Baptiste Say s’étaient prononcés sur cette question délicate27. Les avis des économistes 325libéraux sont très partagés à ce sujet. Un certain nombre d’entre eux soutiennent le point de vue gouvernemental en se prononçant systématiquement contre le droit de coalition. C’est le cas de Charles Dunoyer et de Léon Faucher. Dunoyer affirme au sujet des coalitions d’ouvriers destinées à faire augmenter les salaires :
[C]es entreprises criminelles lorsqu’elles emploient la violence pour les faire réussir, leur sont nuisibles même alors qu’elles sont innocentes, si leur travail est au prix où la concurrence peut naturellement le faire monter (Dunoyer, 1845, livre IV, chap. ix, tome 1, p. 390)28.
En janvier 1849, Léon Faucher, à l’Assemblée constituante, s’oppose à un projet visant à abolir le délit de coalition des ouvriers et des maîtres : « [I]l faut les arrêter [les coalitions] sur le seuil du mal, et il n’y a pas d’autre moyen de les arrêter que de proscrire la coalition en elle-même, en montrant qu’elle entraîne nécessairement des faits de violence ou de fraude » (Faucher, 1849, p. 185-186). L’abolition de ce délit en Angleterre a eu des effets désastreux, selon lui.
En revanche, la plupart des économistes libéraux ne partagent pas ce point de vue. Selon Joseph Garnier, les compagnonnages en usage chez certains ouvriers présentent quelques avantages tels que la discipline, l’organisation de secours et l’obtention de travail, mais ces organisations ont le caractère tyrannique des anciennes corporations. Et finalement,
[U]n des grands inconvénients du compagnonnage, c’est de provoquer les coalitions, les chômages et les grèves, qui ont une action si nuisible sur les profits et les salaires, et qui ruinent à la fois les maîtres et les ouvriers, les ouvriers encore plus que les maîtres (Garnier, 1847-1848, p. 160 ; voir aussi, 1848 c, p. 290).
326Mais, pour autant, Garnier refuse de condamner les coalitions ouvrières, qui parfois peuvent avoir de « bons effets » pour l’élévation des salaires. Selon lui, le Code pénal tolère plus ou moins la coalition des maîtres, mais « traite d’une manière barbare la coalition des ouvriers ». Sa conclusion est sans appel : « il est donc temps d’abolir ces prescriptions, qui ne sont plus de notre temps » et qui empêchent la fixation du salaire par le libre jeu de l’offre et de la demande (Garnier, 1847-1848, p. 160).
Adolphe Blanqui, Louis Wolowski, Michel Chevalier, mais aussi Frédéric Bastiat et Gustave de Molinari se situent dans cette perspective. Ils proclament donc la liberté de coalition et ils ne souhaitent réprimer que ses abus (intimidations et violences). Au cours de la discussion à l’Assemblée législative de la loi du 27 novembre 1849 modifiant les articles 414, 415 et 416 du Code pénal et maintenant le délit de coalition, Frédéric Bastiat déclare le 17 novembre :
[V]ous avouez vous-même que, sous l’empire de votre législation, l’offre et la demande ne sont plus à deux de jeu, puisque la coalition des patrons ne peut pas être saisie ; et c’est évident : deux, trois patrons, déjeunent ensemble, font une coalition, personne n’en sait rien. Celle des ouvriers sera toujours saisie puisqu’elle se fait au grand jour. Puisque les uns échappent à votre loi, et que les autres n’y échappent pas, elle a pour résultat nécessaire de peser sur l’offre et de ne pas peser sur la demande, d’altérer, au moins en tant qu’elle agit, le taux naturel des salaires, et cela d’une manière systématique et permanente (Bastiat, 1849, p. 501).
De son côté, Gustave de Molinari déplore l’inégalité flagrante entre les employeurs et les ouvriers établie par les articles 414 et 415 du Code pénal. En fait, la situation des ouvriers vis-à-vis des entrepreneurs est
[P]arfaitement analogue à celle des marchandes d’oranges vis-à-vis de leurs acheteurs (…). Le travail, en effet, est une denrée essentiellement périssable, en ce sens que le travailleur, dénué de ressources, est exposé à périr dans un bref délai, s’il ne trouve point à placer sa marchandise (souligné par G. de Molinari, 1849, p. 108-110 et p. 117).
Par conséquent, les coalitions sont nécessaires et c’est « commettre un acte de spoliation véritable à l’égard de la masse des travailleurs que de les interdire » (op. cit., p. 120). Et Molinari propose la création 327de véritables Bourses du travail à l’échelle locale, nationale et même internationale (op. cit., p. 121-124)29.
II. L’Épineuse question
de la lÉgislation industrielle
À partir des années 1830, en France, les enquêtes ouvrières révèlent le paupérisme croissant et un débat s’organise sur l’opportunité d’une législation ouvrière, de lois sur les fabriques. De 1834 à 1836, l’Académie des sciences morales et politiques met plusieurs fois au concours le thème suivant : « Déterminer en quoi consiste et par quels moyens se manifeste la misère en divers pays ; rechercher les causes qui la produisent ». En 1837, le mémoire d’Eugène Buret, un disciple de Sismondi, est récompensé et débouche sur la publication de l’ouvrage De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France (1840). Parallèlement, à la demande de l’Académie des sciences morales et politiques, le médecin et hygiéniste Louis-René Villermé (1782-1863) mène son enquête dans les années 1835-1837, et il en tire le célèbre Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie (1840). Son enquête révèle l’existence, dans les manufactures de coton, de durées journalières du travail d’environ 15 h – 15 h 30 et des conditions de travail déplorables pour les enfants. Villermé ne cherche pas à défendre les travailleurs ou leurs enfants ; il est motivé par la lutte contre leur dégénérescence physique et morale. Ce travail va hâter la promulgation des premières dispositions sur la durée du travail dans les manufactures.
En matière de durée du travail, les débats chez les économistes libéraux conduisent à la distinction entre deux problèmes : la durée du travail des enfants et celle des travailleurs adultes.
Concernant le premier problème, le gouvernement de Louis-Philippe fait adopter la loi du 22 mars 1841. Présentée par Charles Dupin à la Chambre des Pairs, cette loi constitue la première brèche dans le droit libéral des contrats. Première loi sociale française du xixe siècle, elle règlemente le travail des enfants dans les manufactures, usines, ateliers 328à moteur mécanique ou à feu continu et dans les fabriques occupant plus de vingt ouvriers (ce qui est rare à l’époque). Elle ne concerne pas l’industrie des métiers (les « ateliers de famille »). Selon les articles 2 et 3 de cette loi, le travail des enfants de moins de 8 ans dans les manufactures est interdit. Le travail de nuit est interdit en dessous de 13 ans. De 8 à 12 ans, la durée du travail quotidienne est limitée à 8 heures. De 12 à 16 ans, la durée du travail quotidienne ne doit pas dépasser 12 heures. Au-delà de 16 ans, l’enfant est considéré comme un adulte et peut donc travailler plus de 12 heures (Guin, 1998). Du côté des économistes qui défendent la position la plus extrême, tels que Charles Dunoyer et Frédéric Bastiat, les lois qui visent à réglementer le travail des enfants ou des femmes sont condamnables. La législation est pire que le mal. On a là une illustration de la thèse de l’« effet pervers » (perversity thesis) dénoncée par Albert O. Hirschman dans The Rhetoric of Reaction (1991).
Selon Dunoyer, qui d’ailleurs refuse toute espèce de législation industrielle,
[Q]uoi, en apparence, de plus légitime et plus simple que de vouloir empêcher qu’on abuse, dans les manufactures, de la faiblesse des femmes, des enfants, et, pour y parvenir, que de régler, suivant l’âge et le sexe, le nombre d’heures que devra durer la journée de travail ? Cependant il n’est pas bien sûr que cette mesure, inspirée par un mouvement si naturel de charité et de philanthropie, fût très favorable aux malheureux en faveur de qui elle aurait été prise. Il faut prendre garde d’abord qu’on ne pourrait guère réduire dans les fabriques les heures de travail pour les enfants et pour les femmes, sans les réduire par cela même pour tous les ouvriers ; car, les enfants et les femmes une fois partis, il serait fort difficile que l’atelier continuât à marcher, et de fait la journée serait finie pour tout le monde (Dunoyer, 1845, livre VIII, chap. iv, tome 2, p. 369).
Dunoyer ajoute qu’en admettant que l’on puisse réduire la durée du travail des enfants et des femmes, pourrait-on contraindre les entrepreneurs à payer les mêmes salaires pour une durée du travail plus courte ? Et dans le cas où les salaires sont réduits en proportion de la réduction de la durée du travail, la situation de la classe ouvrière devrait empirer (op. cit., p. 369).
Frédéric Bastiat condamne lui-aussi la loi de 1841. Selon lui, l’expérience anglaise tend à prouver que ce type de législation chasse les enfants nécessiteux des industries concernées par la loi vers les industries non concernées. De plus,
329[L]’enfant de l’ouvrier qui a une famille raisonnable et qui gagne une journée passable, ne s’atrophie pas à la peine ; et croyez que quand un père et une mère soumettent ce qu’ils ont de plus sacré, leur enfant, à un travail pénible, c’est la faim qui les commande, la faim ou le vice, dont la loi ne fait qu’aggraver les résultats en diminuant le salaire de la famille (Bastiat, 1845 b, p. 13).
Cependant, du côté des libéraux modérés, l’analyse de la loi de 1841 est différente. Selon Louis Wolowski, « [l]a liberté du travail, c’est le grand fleuve industriel dont il s’agit de régler le cours, de prévenir les débordements » d’où la nécessité de lois, de règlements qu’il s’agit de réviser au fur et à mesure de l’évolution des faits économiques (Wolowski, 1844, p. 13-15). Pour Adolphe Blanqui la loi de 1841 est légitime car l’État, ayant la tutelle sur l’enfance,
[D]oit veiller sur elle, protéger sa santé et ses forces, et lui assurer les bienfaits de l’éducation. Les obstacles qu’éprouve la loi sur le travail des enfants seront facilement surmontés ; mais il y a une transition qu’il faut traverser avec modération et prudence. Le gouvernement aurait pu prendre des mesures plus efficaces pour assurer l’exécution de la loi, nommer, par exemple, des inspecteurs salariés ; il aurait pu le faire comme il le fait déjà pour le recouvrement des contributions indirectes. […] si [la loi] n’a pas donné des résultats meilleurs, c’est que le Gouvernement a reculé avec raison devant une surveillance trop active, et une inquisition qui aurait paru trop pénible aux manufacturiers (Blanqui, in : « Discussion entre MM. Blanqui, Passy, Dunoyer, De Beaumont, Franck et Mignet », 1845, p. 200).
Michel Chevalier estime que la loi de 1841 est un progrès indéniable, mais elle reste insuffisante :
[L]a loi de 1841 sur le travail des enfants dans les manufactures est incomplète […]. Elle ne s’occupe pas des ateliers où il y a moins de vingt ouvriers, et elle n’a reçu qu’une sanction dérisoire : elle n’a d’inspecteurs que des hommes de bonne volonté, non salariés, investis d’un mandat passager, et auxquels il répugne de se commettre avec les chefs d’industrie qu’ils trouvent en défaut […]. L’inspection des manufactures devrait être confiée à des fonctionnaires spéciaux, choisis parmi les hommes les plus éclairés, les plus capables d’apprécier toutes les circonstances, afin qu’ils ne fissent pas de mauvaises querelles aux chefs d’industrie (Chevalier, 1848 b, p. 249-250).
Effectivement, la loi de 1841 restera largement non appliquée, car les inspections du travail sont souvent confiées à des notables, à des industriels ou des commerçants retirés des affaires, peu soucieux de dénoncer les abus.
330En août 1845, Léon Faucher présente à l’Académie des sciences morales et politiques un mémoire sur Le travail des enfants dans la Ville de Paris, dans lequel il rend compte de ses visites dans les ateliers et des méthodes utilisées pour contourner la loi. Il plaide pour le recours à des inspecteurs salariés dans les ateliers de plus de 10 ouvriers, le recensement des enfants par les prud’hommes ; concernant les enfants de 8 à 12 ans, il convient de réduire la durée de travail (fixée à 8 heures) pour pourvoir à leur instruction (voir le compte rendu de Louis Villermé, « Revue mensuelle des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques », 1845, p. 70-72).
Une seconde question surgit dans les interventions des économistes libéraux : faut-il réduire la durée du travail des ouvriers adultes ? Seulement durant la Révolution de 1848, une tentative va être faite en ce sens. Le 2 mars 1848, le gouvernement provisoire (constitué le 24 février) considérant « qu’un travail manuel trop prolongé non seulement ruine la santé du travailleur, mais encore, en l’empêchant de cultiver son intelligence, porte atteinte à la dignité de l’homme », décrète que la durée quotidienne du travail passera désormais à Paris à dix heures et en province à onze heures. En pratique, cette durée n’est pas réglementée et si à Paris la journée de travail tournait autour de onze heures, en province, elle pouvait dépassait douze heures et variait selon les saisons. En fait, le décret du gouvernement provisoire introduit une rupture, car il instaure en France pour la première fois, dans toutes les industries, une norme nationale uniforme pour la durée du travail des adultes (Jarrige & Reynaud, 2011, p. 70-72)30. Ce décret, approuvé par la Commission du Luxembourg (cf.infra), est critiqué à l’unanimité par les économistes libéraux. En effet, nous trouvons cette fois dans le même camp Léon Faucher, Adolphe Blanqui, Louis Wolowski (le 30 juin, il propose à l’Assemblée de l’abroger) et aussi Michel Chevalier31. Les raisons de ce rejet varient selon les auteurs.
Léon Faucher explique que l’égalité des heures de travail signifie égalité des salaires et suppression du principe de l’offre et de la 331demande. L’instauration d’une durée du travail réduite et uniforme favorise l’industrie domestique au détriment de la grande industrie. Les manufacturiers seront contraints de procéder à la substitution capital-travail et de réduire l’emploi. Ils auront des difficultés à s’adapter aux fluctuations de la demande et, en phase de prospérité, les ouvriers ne pourront pas travailler plus et obtenir plus de rémunération. Finalement, la concurrence étrangère (anglaise, allemande, belge) sera la grande gagnante (Faucher, 1848 b, p. 177-182). Selon Adolphe Blanqui, il aurait fallu une réduction de la durée du travail « générale et sérieusement obligatoire, pour être efficace ». Or, le décret est arrivé dans une conjoncture économique très dégradée et il a produit « une perturbation profonde dans tous les ateliers » (Blanqui, 1849, tome 2, p. 226-227). Michel Chevalier estime, quant à lui, que la réduction de la durée du travail des adultes ne pourra être envisagée qu’à long terme, quand la production aura fortement augmenté. Selon lui,
[U]n temps viendra assurément où la journée sera sérieusement abrégée, moins encore parce que l’ouvrier sera plus habile et plus attentif, que parce qu’une production plus considérable exigera moins de labeurs. Ce sera lorsque nous aurons amassé beaucoup plus de capital (Chevalier, 1848 b, p. 115-116).
Dans l’immédiat, il faudrait faire respecter en France le repos dominical (op. cit., p. 107-111). Dans la pratique, le décret sur la durée du travail n’aura guère d’application, puisqu’il sera abrogé et remplacé par le décret du 9 septembre 1848 qui porte dans les « manufactures et usines » françaises la durée maximale de travail à douze heures par jour32.
III. La question de l’association
et de l’« organisation du travail » en dÉbat
Rappelons tout d’abord que les économistes libéraux ne sont pas hostiles au principe d’association, mais ils plaident pour des associations libres et volontaires. En 1843 et en 1845, l’Académie des sciences morales et politiques met d’ailleurs au concours la question suivante : « Rechercher 332quelles sont les applications les plus utiles qu’on puisse faire du principe de l’association volontaire et privée au soulagement de la misère ». Joseph Garnier, qui participe à ce concours par un mémoire, estime que les hommes sont associés naturellement en familles, en communes et en nations, nécessaires à l’ordre social ; ils s’associent en producteurs de travail et de richesses sous l’empire de la liberté. L’examen des projets des réformateurs sociaux et des socialistes montre que l’on a cherché à tort dans l’association un remède aux mauvais effets de la concurrence. Personne n’a trouvé de formule générale d’association qui tienne compte de la liberté et de la responsabilité humaine. Le « dévouement » et la « fraternité » ne peuvent être convertis en devoirs et droits dans la loi et les principes d’organisation et de rémunération du travail ne peuvent être déterminés a priori (Garnier, 1846, p. 117)33.
Les économistes libéraux déplorent finalement que les recherches et les enquêtes menées en France sur la situation des travailleurs aient finalement débouché sur les mots d’ordre d’« association » et d’« organisation du travail » ; Louis Blanc est donc l’une de leurs cibles favorites (cf.infra).
Aux yeux de Frédéric Bastiat, si les individus isolés et pourvus de droits naturels décident de s’associer entre eux, cela correspond à un désir de sécurité, d’assurance. Dans les Harmonies économiques, il soutient que la masse des hommes éprouve un « penchant naturel vers la stabilité », aspire à la sécurité, et éprouve une « aversion pour l’incertitude » (Bastiat, 1850 a, p. 382-386). Seule une minorité (les « patrons », les entrepreneurs) aspire à l’incertitude. Les hommes vont donc s’associer contre le risque. Ces associations volontaires peuvent prendre la forme d’assurances, de sociétés de secours mutuels, éventuellement dans l’avenir de caisses de retraites, mais le salariat rentre aussi dans cette catégorie. En effet, le salariat procure une rémunération régulière, hormis les périodes de crises industrielles : il s’agit d’un système d’assurance contre les risques que les capitalistes acceptent de supporter. En revanche, le travail ne peut pas être assuré (op. cit., p. 384).
Selon Michel Chevalier, « [l]’association est un instinct naturel chez l’homme industrieux » (Chevalier, 1848 b, p. 265 et 273) et le travail a toujours été organisé. La notion d’« organisation du travail » doit être pour lui entendue dans un sens très large. En effet, elle ne porte pas seulement sur le travail dans les entreprises et sa rémunération, mais 333elle porte aussi sur un ensemble d’institutions. Parmi ces institutions, on relève les crèches, la salle d’asile, les règlements sur l’apprentissage, la loi de 1841 sur le travail des enfants, le livret ouvrier, les conseils de prudhommes, les caisses d’épargne, les caisses de secours mutuel et de retraites (Chevalier, 1844, p. 504-507 ; 1848a, p. 24-26 ; 1848b, p. 239-242) ; on peut même y ajouter les conseils généraux de l’agriculture, des manufactures et du commerce, les chambres de commerce et les syndicats (patronaux) de diverses industries. Il serait utile de compléter ce dispositif par des sociétés d’ouvriers destinées à l’instruction scientifique (à l’image des Mechanics’ Institutes britanniques) et à plus long terme de mettre en place dans certaines entreprises des systèmes de participation aux bénéfices (1848 b, p. 270, p. 275-286 et p. 480-484). Tous ces moyens constituent l’« organisation du travail » dans le bon sens du terme.
De son côté, Charles Dunoyer, qui combat vivement les associations envisagées par les socialistes qu’il juge non libres et imposées, mise sur les vertus de l’épargne et des caisses d’épargne (1845, livre IV, chap. x, tome 1, p. 418, p. 421, p. 424-426, p. 458-459)34. Louis Wolowski, qui admet « la nécessité d’une organisation du travail conforme aux principes de la Révolution française », conciliant l’ordre et la liberté, souhaite le développement de l’instruction professionnelle, des caisses d’épargne, des sociétés de secours mutuels pour les travailleurs, ainsi que des systèmes de participation aux bénéfices (Wolowski, 1844, p. 15-18 ; voir aussi p. 23-26). Il va même plus loin en affirmant que les assurances relèvent du domaine de l’État et en proposant « la caisse de retraite pour les classes laborieuses, fondée sous la haute direction et sous la garantie de l’État » (op. cit., p. 30).
Aux yeux des économistes libéraux, les sociétés de secours mutuels peuvent malheureusement devenir dans certaines circonstances des sociétés de résistance, tel est le cas à Lyon avec les insurrections des canuts de 1831 et de 1834 (voir à ce sujet Frobert, 2009). Les économistes seront très réticents vis-à-vis des associations ouvrières qui vont se créer durant la Révolution de 1848. Selon Adolphe Blanqui, les « prédications » 334de la Commission du Luxembourg incitent les ouvriers à former des associations pour se soustraire à la « tyrannie du capital ». Mais ces « petites républiques turbulentes » sont impropres à améliorer le sort des ouvriers : en matière d’industrie, les « gouvernements collectifs » ne sauraient remplacer la « responsabilité sérieuse d’un chef intéressé » (Blanqui, 1849, tome 2, p. 238-239).
L’ouvrage de Louis Blanc, Organisation du travail (dont la première édition paraît dans la Revue du progrès en 1839) va soulever en France une intense discussion sur la question de l’association et de l’organisation du travail. L’auteur propose une solution à la « question sociale », une réforme sociale dont le principe est l’« association » (rassemblement d’hommes ayant des espoirs et des intérêts communs), qu’il oppose au principe de l’« individualisme ». L’effet de cette réforme est d’abolir progressivement le prolétariat. Des « ateliers sociaux » seraient créés dans quelques branches les plus importantes de l’économie au moyen d’un budget spécial établi par un « ministère du Travail ». Seuls les ouvriers qui offriraient des garanties de moralité seraient appelés à travailler dans ces ateliers. L’État rédigerait les statuts de ces ateliers et les ferait voter par l’Assemblée nationale. Il serait donc le « législateur » des ateliers sociaux, mais non leur « directeur », car son rôle se bornerait à la surveillance de l’observation des statuts. Le succès et la concurrence de ces ateliers sociaux vis-à-vis du secteur privé conduirait progressivement à l’extension de ce système. Le principe des ateliers sociaux permettrait de concilier le sentiment du devoir et l’intérêt personnel (qui a un caractère collectif), car chaque travailleur participe aux bénéfices35. Concernant les salaires des travailleurs, la position de Louis Blanc est très fluctuante au fil des éditions successives d’Organisation du travail. Il affirme dans un premier temps de 1840 à 1845 que « la différence des salaires serait graduée sur la hiérarchie des fonctions », du moins à titre provisoire, puis en 1847 il plaide pour l’égalité des salaires dans le contexte d’une éducation nouvelle. Mais, le 3 avril 1848, dans un célèbre discours, il 335change de point de vue. Dans le système de l’association, l’égalité des salaires serait désormais seulement transitoire et le nouveau mot d’ordre en matière de justice serait : production selon les facultés, consommation selon les besoins36.
En 1845, Joseph Garnier prend quelques précautions en attaquant Louis Blanc :
[D]’après les explications de M. Louis Blanc, l’État ne serait que régulateur, législateur, protecteur de l’industrie, et non fabricant et producteur universel. Mais comme il protège exclusivement les ateliers sociaux pour détruire l’industrie privée, il arrive forcément au monopole et retombe dans la théorie saint-simonienne malgré lui, au moins quant à la production (Garnier, 1845, p. 425).
Mais la plupart de ses collègues voient dans le programme de Louis Blanc un système qui donne à l’État tous les pouvoirs, qui deviendrait un entrepreneur d’industrie (unique)37 et chargé de pourvoir aux besoins de la consommation privée. C’est le cas, par exemple, des attaques de Michel Chevalier dans le Journal des débats en 184438. Selon lui, si les idées de Louis Blanc sur l’égalité des salaires relèvent du système communiste « classique », son nouveau principe de répartition le classe dans le système communiste « fraternel » ; ce nouveau principe qui introduit une séparation entre les devoirs et les droits mettrait fin à la responsabilité personnelle, à l’intérêt personnel et ferait chuter la production nationale (Chevalier, 1848 b, p. 76-84).
336IV. Contre le « prÉtendu droit au travail »
Indiquons tout d’abord que l’on doit le premier usage de la formule « droit au travail », non pas à Fourier comme on le croit généralement, mais à Babeuf39. Dans la Théorie de l’unité universelle (1841), Charles Fourier40 fait observer :
[L]’Écriture nous dit que Dieu condamna le premier homme et sa postérité à travailler à la sueur de leur front ; mais il ne nous condamna pas à être privés du travail d’où dépend notre subsistance. Nous pouvons donc, en fait de droits de l’homme, inviter la Philosophie et la Civilisation à ne pas nous frustrer de la ressource que Dieu nous a laissée comme pis-aller et châtiment, et à nous garantir au moins le droit au genre de travail auquel nous avons été élevés (Fourier, 1841, p. 178-179).
Cette notion de « droit au travail » sera reprise par son disciple Victor Considerant41, puis par de nombreux auteurs socialistes42. Dans la seconde moitié des années 1840, la question du « droit au travail » fait l’objet de vives querelles. Sur la base de leur conception des droits de propriété, les économistes libéraux vont combattre avec une grande opiniâtreté le « prétendu Droit au travail » (Garnier, 1848 d, p. viii ; voir Bouchet, 2006 et Démier, 2000, 2002). Ils voient aussi dans ce 337mot d’ordre une volonté de rétablir des privilèges qui avaient été abolis par la Révolution française43.
Frédéric Bastiat s’en prend à l’article d’Alphonse de Lamartine, « Du droit au travail et de l’organisation du travail », paru en décembre 1844 dans le journal Le Bien public. Il fait remarquer à l’auteur : « vous proclamez le droit du prolétaire au travail, au salaire, à la subsistance. Et qui jamais a contesté à qui que ce soit le droit de travailler et par conséquent le droit à une juste rémunération ? ». Si la société n’a pas du travail pour tous ses membres, elle ne peut y remédier « en proclamant le droit au travail, en décrétant que l’État prendra sur les capitaux insuffisants de quoi fournir du travail à ceux qui en manquent ». C’est comme si un médecin introduisait dans le bras droit le sang qu’il aurait tiré du bras gauche (Bastiat, 1845a, p. 220)44.
Selon Louis Wolowski, l’État, en favorisant le développement industriel, les voies de communication, le crédit, l’instruction et en adoptant des lois équitables, permet d’éviter aux travailleurs les occasions de réclamer ce prétendu droit au travail. En effet, « proclamer le droit au travail, c’est proclamer l’éternité de la misère45 ».
Léon Faucher, qui s’appuie sur l’argumentation que le juriste Jules-Armand Dufaure a présenté à l’Assemblée nationale, estime que le « droit au travail » crée en même temps un droit et une obligation. On suppose un contrat entre l’individu et la société, représentée par l’État. Selon ce contrat, l’État doit l’existence à chaque individu. Or, en droit, il s’agit d’un contrat non synallagmatique, qui n’engage qu’une des parties. En effet, l’État doit fournir aux individus, à leur demande, les moyens de travailler, mais il ne peut pas les contraindre à travailler pour obtenir leur subsistance habituelle. C’est le « droit au salaire » et même plus, c’est le « droit aux instruments du travail, au capital, au crédit ». Finalement, l’individu est le maître, tandis que la société, ou plutôt l’État est le serviteur et doit nécessairement être 338« entrepreneur de toutes les industries », détenir donc le monopole du travail46.
Dans cette discussion, les économistes libéraux utilisent même les provocations de Pierre-Joseph Proudhon à leur profit. Lors d’une séance du Comité des finances de l’Assemblée, en discutant avec le ministre des Finances Michel Goudchaux, Proudhon lance une célèbre réplique : « Oh ! mon Dieu, monsieur Goudchaux, si vous me passez le droit au travail, je vous cède le droit de propriété ». Joseph Garnier fait observer à ce propos : « M. Proudhon avait raison : si l’on admet le Droit au travail, il faut renoncer au droit de propriété ». En effet, le « droit au travail des uns » est un « droit à la propriété des autres », car pour réunir le capital nécessaire afin de satisfaire mon droit au travail, il faut prélever des impôts, donc prélever sur la propriété des autres (Garnier, 1848 d, Introduction, p. xii-xiii).
Le 25 février 1848, Louis Blanc rédige, sous la pression de la foule qui assiège l’Hôtel de Ville de Paris47, le décret qui sera résumé dans la formule « droit au travail » :
Le Gouvernement provisoire de la République française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice légitime de leur travail (Garnier, 1848 d, p. 431).
Toutefois, comme ses collègues, Louis Blanc est conscient qu’il ne s’agit pas d’une simple revendication économique et que ce droit a une portée beaucoup plus large48. Deux jours plus tard, le 27 février, pour faire face au chômage croissant est publié le décret instituant les Ateliers nationaux, placés sous la tutelle du ministre des Travaux publics, Pierre Marie, qui ne croit pas aux vertus du « droit au travail ». Dirigés par l’ingénieur Émile Thomas et organisés hiérarchiquement, ils sont très éloignés de la conception des « ateliers sociaux » imaginée par Louis 339Blanc ou de toute forme d’association ouvrière et peuvent être comparés aux ateliers de secours qui existaient entre 1789 et 1830 (Hayat, 2014, p. 92, note 2)49. Les chômeurs, plus ou moins occupés, touchent deux francs par jour ; leur nombre approximatif passe de 14 000 le 15 mars à 117 000 le 15 juin50. Cette « mise en pratique » du « droit au travail » sera tournée en dérision par tous les économistes libéraux, tels Adolphe Blanqui, Michel Chevalier et Léon Faucher. Selon Blanqui,
[N]ulle mesure révolutionnaire n’a été plus funeste aux intérêts de l’industrie et à la moralité des classes ouvrières. Ces ateliers ouverts à l’indiscipline sont devenus le refuge de tous les perturbateurs et de tous les oisifs accourus à Paris, comme vers la métropole du culte nouveau. Ils ont servi de place de sûreté à tous les ouvriers mécontents de leurs maîtres, ou disposés à leur faire subir des conditions léonines (Blanqui, 1849, tome 1, p. 25).
Frédéric Bastiat résumera la question à sa manière :
En 1848, le Droit au travail se montra un moment sous deux faces. Cela suffit pour le ruiner dans l’opinion publique. L’une de ces faces s’appelait : Atelier national. L’autre : Quarante-cinq centimes (1850 c, p. 390)51.
La proposition de Louis Blanc, appuyée par une pétition lancée par le journal de Victor Considerant, La Démocratie pacifique, visant à créer un « ministère du Progrès » ou du travail afin d’assurer « l’organisation du travail » (suite au décret du 25 février) est refusée par la majorité des membres du gouvernement provisoire. En revanche, ce gouvernement autorise la création d’une Commission du gouvernement pour les travailleurs (ou Commission du Luxembourg, puisqu’elle siège dans l’ancienne Chambre des Pairs) dès le 28 février « pour s’occuper 340[du] sort » des travailleurs, dont le président sera Louis Blanc et le vice-président l’ouvrier Albert (Gribaudi & Riot-Sarcey, 2009, p. 90-94 ; Hayat, 2014, p. 89-96). Dès le 3 mars, Louis Blanc entend préciser la mission de ces « États généraux du peuple », « qui est d’étudier toutes les questions relatives au travail, d’en préparer la solution dans un projet qui sera soumis à l’Assemblée nationale, et, provisoirement, d’entendre les demandes les plus urgentes des travailleurs, et de faire droit à celles qui seront reconnues justes » (Blanc, 1849, p. 3-4)52. Constituée à partir du 20 mars de dix délégués élus par les ouvriers et de dix délégués élus par les patrons de différentes industries parisiennes, la commission s’est adjointe un « comité des capacités », formé d’intellectuels d’horizons les plus divers appelés à examiner certaines questions. Louis Wolowski, Charles Dupont-White, Frédéric Le Play, Victor Considerant, Jean Reynaud font partie de ce comité (Frobert, 2017, p. 111). Cependant, la commission n’a ni budget, ni pouvoir exécutif, ni même un rôle consultatif. En pratique, elle discute des questions relatives à la durée du travail, au marchandage, à la fixation des salaires et elle va mettre en place un système de conciliation des intérêts entre les patrons et les ouvriers, dans un contexte de multiplication des grèves (Bruand, 2005, p. 116-118 ; Hayat, 2014, p. 141-155). Avec l’aide de François Vidal (secrétaire de la commission) et de Constantin Pecqueur, Louis Blanc tente d’initier la création d’ateliers sociaux et d’associations coopératives de production et de consommation53.
Dans un premier temps, en février 1848, les économistes libéraux croient que le gouvernement provisoire, malgré les erreurs des premiers jours, serait susceptible de mettre en œuvre une politique commerciale libérale et qu’il ne cèdera pas aux revendications socialistes. Ainsi, Joseph Garnier estime que ce gouvernement « a fait acte de sagesse […] en créant le paratonnerre de la Commission permanente du Luxembourg » (Garnier, 1848 a, p. 336). Mais en avril, les affrontements se multiplient au Luxembourg, par exemple, entre Louis Wolowski et Louis Blanc. 341Les économistes, regroupés à la fin mars dans le « Club de la liberté du travail » autour de Charles Coquelin, Alcide Fonteyraud et Joseph Garnier, s’opposent à la politique gouvernementale. Les libéraux extrêmes (Garnier, 1848 b ; Clément, 1848) et modérés (Blanqui, 1849 ; Chevalier, 1848 a et 1848 b) attaquent avec la même violence le « droit au travail » et les projets socialistes d’« organisation du travail » et ils demandent la dissolution des ateliers nationaux54. Michel Chevalier, Léon Faucher et d’autres économistes vont d’ailleurs mettre en place des conférences du soir, rue Montesquieu, pour un auditoire d’ouvriers afin de combattre les doctrines socialistes55. Gustave de Molinari, quant à lui, lance en juin-juillet le journal Jacques Bonhomme pour tenter de rallier les ouvriers aux idées libérales, mais cette publication doit cesser au bout de quatre numéros56. En mai, le député Louis Wolowski fait partie du « comité du travail » de l’Assemblée constituante, destiné à procéder à « une enquête sur la situation des travailleurs industriels et agricoles » et il se prononce contre le « droit au travail » (Bouchet, 2006, p. 605).
Le 16 mai (après la manifestation de la veille qui envahit l’assemblée), la commission du Luxembourg est dissoute, Louis Blanc est menacé de poursuites judiciaires. L’alliance des conservateurs et des républicains modérés contre les socialistes est scellée. Une commission de constitution est créée les 17 et 18 mai, comprenant 18 membres. Sur la question du « droit au travail », la position de cette commission va évoluer au cours du temps. Juste avant l’insurrection de juin, le « droit au travail » est plus ou moins admis, à condition de ne pas comporter une réorganisation de la société. Il apparaît dans le premier projet de Constitution déposé le 19 juin 1848 (article 7). En riposte à la fermeture, le 21 juin, des Ateliers nationaux, les travailleurs se révoltent, mais l’insurrection est brutalement réprimée par le général Eugène Cavaignac, qui a reçu les pleins 342pouvoirs de l’Assemblée. Après l’insurrection de juin, la commission de constitution rejette le « droit au travail ». Dans le second projet de Constitution (29 août), il n’apparaît plus. En effet, Armand Marrast, le rapporteur de la commission, affirme qu’il s’agit d’une « formule équivoque et périlleuse57 ». L’article 13 du chapitre ii proclame la garantie de la liberté du travail et de l’industrie, mais précise que la société doit favoriser le travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, les institutions de prévoyance et de crédit, mais aussi par l’établissement par l’État, les départements et les communes de travaux publics pour occuper la population au chômage. En outre, la société doit l’assistance aux personnes sans ressources58. Par ailleurs, le Préambule (article VIII), modifié sur la proposition de Jules-Armand Dufaure59, indique :
[La République] doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler60.
Le « droit à l’existence » est clairement plus restrictif que le « droit au travail », mais non assimilable au recours traditionnel à la charité publique ou privée. Aux yeux de Louis Wolowski,
[L]’Assemblée nationale a bien fait de repousser une fraude qui aboutit au néant, ou qui recèle des tempêtes. Elle a bien fait de proclamer un devoir social, dans la limite des ressources de l’État, au lieu d’un droit individuel, dont la revendication téméraire conduisait forcément à la destruction de l’ordre social, ou à un mensonge61.
Frédéric Bastiat juge ainsi l’article 13 cité plus haut : « Comme mesure temporaire, dans un temps de crise, pendant un hiver rigoureux, cette intervention du contribuable peut avoir de bons effets. Elle agit dans le même sens que les assurances […]. Comme mesure permanente, générale, 343systématique, ce n’est autre chose qu’une mystification ruineuse » (1850 c, p. 355-356). En effet, elle correspondrait à une véritable spoliation des classes riches au profit des classes pauvres.
D’après Léon Faucher, « [l]e droit au travail a été foudroyé du haut de la tribune », mais malheureusement par l’article VIII du Préambule de la constitution, un « droit à l’existence » se trouve substitué au « droit au travail », ce qui donne gain de cause aux socialistes qui visent à modifier la distribution des fortunes. Cela conduira infailliblement à terme à la démoralisation des individus et à la ruine de l’État62. Joseph Garnier va dans le même sens en affirmant que « le droit à l’assistance n’est autre chose que le droit au travail et […] la proclamation de ce droit engage la société dans des difficultés, dans des impossibilités tout à fait semblables à celles qui dérivent du droit au travail ». Et « celui à qui l’assistance est due, peut sommer la société et le gouvernement qui la représente de lui donner cette assistance. Or, comment payer cette assistance due ? Par l’impôt : et l’impôt, encore une fois, est-ce autre chose que la propriété ? » (Garnier, 1848d, Le droit au travail à l’Assemblée nationale, p. xvii). Ainsi, pour Garnier, le droit à l’assistance (dont le droit au travail n’est que la répétition en d’autres termes), signifie droit à la propriété d’autrui. Cela conduit à un système analogue à celui de la loi sur les pauvres en Angleterre qui a produit « la multiplication des pauvres, l’imprévoyance des populations, leur démoralisation, et finalement la baisse des salaires, le pauvre faisant entrer en ligne de compte le revenu assuré qu’il touche au bureau de charité » (op. cit., p. xvii-xviii).
Polémiquant contre un célèbre discours d’Adolphe Thiers à l’Assemblée constituante (13 septembre 1848), admiré par les économistes libéraux, Louis Blanc réfugié à Londres depuis août), ne partage évidemment pas ces points de vue :
[A]dmettre le droit à l’assistance et nier le droit au travail, c’est reconnaître à l’homme le droit de vivre improductivement, quand on ne lui reconnaît pas celui de vivre productivement ; c’est consacrer son existence comme charge, quand on refuse de la consacrer comme emploi, ce qui est d’une remarquable absurdité (Blanc, 1848, p. 78-79).
344La situation politique à partir de juin 1848 et l’élection le 10 décembre de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République apporte aux économistes libéraux un soulagement ; Michel Chevalier récupère sa chaire au Collège de France, Léon Faucher devient ministre des Travaux publics, puis de l’Intérieur et Hippolyte Passy, ministre des Finances. Mais ce soulagement sera de courte durée, car leurs rapports avec le pouvoir en place se dégraderont avec le coup d’État du 2 décembre 1851, qui permet à Louis-Napoléon Bonaparte de devenir Empereur.
Conclusion
Nous avons vu que durant les années 1840 les économistes libéraux français étaient partagés sur la question du droit de coalition pour les ouvriers, mais aussi sur la question de la limitation de la durée du travail des enfants. En revanche, ils sont unis pour refuser la limitation de la durée du travail des adultes, pour combattre le système des « ateliers sociaux » de Louis Blanc et le « droit au travail », en particulier durant et après la Révolution de 1848. Ils sont favorables à l’association libre. En effet, ils plaident pour la formation d’associations volontaires telles que les sociétés de secours mutuels, les caisses d’épargne, voire les caisses de retraites. Les plus modérés d’entre eux ne repoussent pas la notion d’« organisation du travail » à condition qu’elle désigne un ensemble d’institutions telles que la législation ouvrière et les initiatives destinées à promouvoir l’instruction professionnelle et l’épargne des travailleurs. Selon la plupart des économistes, les causes de la Révolution de février 1848 sont à chercher non seulement dans les erreurs politiques de Louis-Philippe et du gouvernement Guizot, dans la crise économique et financière, mais aussi dans la propagation des idées socialistes. Entre 1845 et 1848, dans leurs écrits, le discours contre le socialisme se radicalise même. En 1846, Joseph Garnier prétendait que l’économie politique, « science des amis intelligents de l’humanité », visait à « l’amélioration de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre » (allusion explicite à l’école saint-simonienne) et qu’elle :
[A] toujours été socialiste, dans le sens favorable que l’on attache à ce mot ; car elle s’est toujours proposé d’entretenir le plus grand nombre d’hommes 345et de leur procurer la plus grande somme d’aisance ; car elle s’est toujours préoccupée des besoins physiques, intellectuels et moraux des masses (Garnier, 1846, p. 125).
En 1848, le discours a changé et Joseph Garnier s’attache à opposer radicalement économie politique et socialisme quelles que soient ses variantes (voir Garnier, 1848 d, p. viii-xv). D’après Léon Faucher,
[L]e socialisme ressemble à ces épidémies qui épargnent les tempéraments robustes et qui ne frappent que les constitutions délabrées. C’est à la faveur des époques calamiteuses qu’il s’infiltre dans les esprits63.
« Le socialisme, c’est la peste », rappelle-il (Faucher, 1848b, p. 183-184) ; selon lui, ce n’est pas par hasard si le socialisme frappe dans les grandes villes. Or, l’enseignement des saines notions de l’économie politique permet de contrer l’influence pernicieuse des socialistes. Selon Michel Chevalier, les ravages des doctrines en 1848 auraient pu être évités si l’enseignement de l’économie politique avait été enseignée en France depuis une vingtaine d’années, en particulier dans les écoles de droit et les facultés des lettres (Chevalier, 1848 b, p. 418). En effet, « l’économie politique est exactement aux doctrines socialistes ce que la science chimique de nos jours est aux théories désordonnées des alchimistes » (Chevalier, 1849, p. 25)64. Léon Faucher souligne que « [l]e socialisme a été vaincu dans les rues, il reste à le dompter par la controverse. Ce que la force a commencé, la raison doit l’achever » (Faucher, 1848, p. 12-13). L’heure de la réaction a donc sonné.
Le 16 juillet 1848, le général Eugène Cavaignac, président du Conseil, convoque Charles Dupin, président de l’Académie des sciences morales et politiques pour lui demander que l’Académie participe au rétablissement de l’« ordre moral » et à l’éducation de l’opinion publique en rédigeant des écrits populaires destinés à inculquer le respect de la loi et de la propriété. Flattée de cette confiance, l’Académie des sciences morales et 346politiques répond sur-le-champ au général Cavaignac qu’elle a constitué une commission qui permettra à ses différentes sections de défendre les « grands principes sociaux65 ». Le 12 août, elle décide de publier sur un rythme périodique une série de « petits traités » concernant l’« ordre social » (voir Leterrier, 1995, p. 315-322). Dans cette collection de douze « petits traités66 » qui paraissent en 1848 et 1849, on trouve pour la section de philosophie l’ouvrage de Victor Cousin, Justice et charité, pour la section de morale celui de Louis Villermé, Des associations ouvrières, pour la section de droit celui de Charles Dupin, Bien-être et concorde des classes du peuple français, pour la section d’économie ceux d’Hippolyte Passy, Des causes de l’inégalité des richesses et d’Adolphe Blanqui, Des classes ouvrières en France, pendant l’année 1848 (en deux parties)67. Dans la section d’histoire figure l’ouvrage d’Adolphe Thiers, De la propriété, en deux parties dont la première est publiée sous les auspices de l’« Association pour la défense du travail national68 ». Ces « petits traités » sont vendus à bas prix pour les rendre accessibles à un grand nombre de lecteurs69. L’Académie des sciences morales et politiques poursuivra son action en proposant en 1853 comme sujet du prix Félix Beaujour la rédaction d’un « Manuel de morale et d’économie politique à l’usage des classes ouvrières ». Aucun candidat ne remporte le prix, mais en 1857, le prix 347de 10 000 francs est attribué au mémoire de Jean-Jacques Rapet, déjà remarqué au précédent concours70. Cette tâche d’assainissement des esprits sera poursuivie par les économistes libéraux durant la seconde moitié du xixe siècle. Le « droit au travail » sera régulièrement combattu, non seulement dans des brochures, mais aussi dans les cours, les manuels d’économie politique et dans les dictionnaires généraux ou spécialisés71.
348Appendice
Quelques événements importants de l’année 1848
23 février : manifestation pour le droit au travail ;
25 février : décret du gouvernement provisoire accordant le droit au travail ;
27 février : décret de création des Ateliers nationaux ;
28 février : création de la Commission du gouvernement pour les travailleurs, dite « Commission du Luxembourg » ;
2 mars : décret de réduction de la durée du travail et d’abolition du marchandage ;
23 avril : élections législatives : victoire des modérés et des conservateurs à l’Assemblée constituante ;
13 mai : dissolution de la Commission du Luxembourg ;
17 mai : création de la commission de constitution ;
19 juin : dépôt du premier projet de constitution ;
21 juin : décret de dissolution des Ateliers nationaux ;
22-26 juin : insurrection et répression ;
29 août : nouveau projet de constitution ;
4 novembre : entrée en vigueur de la constitution de la IIe République.
10 décembre : élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République.
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1 Voir Laurent & Marco, 1996 ; Le Van-Lemesle, 2004, p. 102-112.
2 1846 est l’année de la suppression des « Corn Laws » en Grande-Bretagne. Sur la campagne libre-échangiste en France, voir D. Todd, 2008, chap. 16. Notons que les libéraux au plan politique, tels qu’Adolphe Thiers, rejettent le libre-échange et tiennent un discours nationaliste et anglophobe.
3 Durant ces années, la notion d’« ouvrier » renvoie à des situations très diverses : paysans-artisans, paysans-ouvriers, ouvriers à domicile, ouvriers de métier qualifiés, prolétaires d’usine (très minoritaires).
4 Sous la Restauration, C. Dunoyer publie avec C. Comte des journaux libéraux (Le Censeur, puis Le Censeur européen) que la répression contre la presse fera disparaître. De 1824 à 1826, il enseigne « morale et économie politique » à l’Athénée royal. Rallié à la Monarchie de Juillet, il exerce les fonctions de préfet (1832-1837). En 1838, il devient membre du Conseil d’État, dont il démissionne après le coup d’État du 2 décembre 1851. C. Dunoyer a publié De la liberté du travail (1845). Sur C. Dunoyer, voir Augello, 1979 et Pénin, 1991.
5 Professeur d’histoire et d’économie industrielle à l’École spéciale de commerce et d’industrie de Paris, à partir de 1825, A. Blanqui (dit « l’aîné ») est le successeur de J.-B. Say à la chaire d’économie industrielle du Conservatoire des Arts et Métiers à partir de 1833 et le premier rédacteur en chef du Journal des économistes (1841-1842). De 1846 à 1848, il est député de la Gironde (majorité conservatrice). Sur A. Blanqui, voir Arena, 1991.
6 Conseiller général des Landes et juge de paix à partir de 1831, F. Bastiat est l’auteur des Sophismes économiques (1845) et des Harmonies économiques (1850). Il crée avec ses amis en août 1846 l’« Association pour la liberté de échanges », et fonde le journal le Libre-Échange. Il est député des Landes à l’Assemblée constituante d’avril 1848 à mai 1849 (chez les Républicains modérés rassemblés autour du général Cavaignac) ; il est réélu en mai 1849 à l’Assemblée législative. Sur F. Bastiat, voir Baslé & Gélédan, 1991.
7 Député de la Marne (centre gauche) en 1846-1848 et d’avril 1848 à mai 1849), L. Faucher devient après l’élection à la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, ministre des Travaux publics, puis ministre de l’Intérieur (1848-1849) ; hostile au coup d’État du 2 décembre, il se retire de la vie politique. Parmi ses ouvrages, on peut citer Du droit au travail (1848).
8 Polytechnicien et appartenant à l’école saint-simonienne entre 1830 et 1832, M. Chevalier se rallie à la Monarchie de Juillet grâce à l’aide d’A. Thiers et devient conseiller d’État (1838). À partir de 1841, il est le successeur de Pellegrino Rossi à la chaire d’économie politique du Collège de France ; il est l’auteur des Lettres sur l’organisation du travail, ou Études sur les principales causes de la misère et sur les moyens proposés pour y remédier (1848), publiées antérieurement dans le Journal des débats. Favorable au coup d’État du 2 décembre, il deviendra conseiller économique de Napoléon III, qui le fera sénateur en 1869. Sur M. Chevalier, voir Breton, 1991 et Steiner, 1998.
9 D’origine polonaise, L. Wolowski est le fondateur de la Revue de législation et de jurisprudence et il enseigne depuis 1839 à la chaire de législation industrielle du Conservatoire des Arts et Métiers ; il est député de la Seine à l’Assemblée constituante d’avril 1848 à mai 1849. Retiré de la vie politique après le coup d’État du 2 décembre, il n’y reviendra qu’à la chute de l’Empire. Sur L. Wolowski, voir Lutfalla, 1991.
10 Professeur d’économie politique à l’Athénée royal (1842-1844) puis à l’École des Ponts et Chaussées à partir de 1846, J. Garnier fonde en 1844 l’Annuaire de l’économie politique et de la statistique, devient rédacteur en chef du Journal des économistes de 1845 à 1881 (sauf entre 1856 et 1865). En 1848, il publie le recueil intitulé Le droit au travail à l’Assemblée Nationale. Sur J. Garnier, voir Arena, 1991.
11 D’origine belge, G. de Molinari anime avec Bastiat l’« Association pour la liberté des échanges ». En juin-juillet 1848, avec ses amis libéraux, il fait paraître le journal Jacques Bonhomme. Il publie Les soirées de la Rue Saint Lazare. Entretiens sur les lois économiques et défense de la propriété (1849). Après le coup d’État du 2 décembre, il enseigne l’économie politique à Bruxelles et à Anvers. Revenu en France, il entre à la rédaction du Journal des débats. À partir de 1881, il est rédacteur en chef du Journal des économistes.
12 Guizot s’est félicité de l’échec du traité d’union douanière avec la Belgique en 1842.
13 Juste après la répression de l’insurrection de juin, L. Faucher dira : « Je n’ai jamais aimé la république, je la défends et je la sers par nécessité. Sous tous les gouvernements le pays reste le pays » (lettre du 30 juin 1848 à Henry Reeve, in : Faucher, 1867, p. 224).
14 Le cens, fixé à 200 F excluait les classes populaires et la petite bourgeoisie (Gribaudi & Riot-Sarcey, 2009, p. 18).
15 Selon Bastiat, le suffrage universel masculin (qui frappe d’incapacité les femmes et les enfants) ouvre la porte à la « spoliation universelle », mais légale. Il permet aux classes déshéritées de mettre en place des prélèvements à leur profit au détriment des autres classes (1850 b, p. 347-350). Voir aussi l’analyse rétrospective sur le suffrage universel développée par G. de Molinari (1873, p. 35-41).
16 La loi du 31 mai 1850 qui n’accorde le droit de vote qu’à la condition de résider plus de trois ans dans une commune permettra d’exclure près de 3 millions de travailleurs dans les grandes villes.
17 Cet édit restera lettre morte et la suppression effective des jurandes et des maîtrises sera décidée durant la Révolution française avec la loi d’Allarde, adoptée par la Constituante, les 2-17 mars 1791, rapidement complétée par la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1791 (Potier, 1989, p. 235-254).
18 Selon Turgot, « Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit à travailler la propriété de tout homme et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes » ([1776] 1913, p. 242).
19 L. Wolowski, 1844, p. 11 ; J. Garnier, 1848 d, Introduction, Le droit au travail à l’Assemblée nationale, p. ix-xi ; « Opinions inédites de M. Léon Faucher », in : op. cit., p. 344 ; L. Faucher, 1848 a, p. 29.
20 Les économistes libéraux prétendent que leur science est une auxiliaire de la morale, par exemple en valorisant les vertus de l’épargne et l’utilité des caisses d’épargne pour les travailleurs.
21 Notons qu’A. Blanqui, par une intervention auprès du garde des Sceaux, permettra à l’auteur d’échapper aux poursuites judiciaires au moment de la parution de ce mémoire (Breton, 1985, p. 241).
22 « Opinions inédites de M. L. Wolowski », in : J. Garnier, 1848 d, Le droit au travail à l’Assemblée nationale, p. 363.
23 Selon C. Dunoyer, « après avoir travaillé deux mille ans à l’émancipation du travail, dans l’intérêt même des classes laborieuses, on découvrirait aujourd’hui que l’humanité a fait fausse route », que la liberté appauvrirait, dégraderait ces classes (1841, p. 15, repris dans 1845, livre IV, chap. x, tome 1, p. 411). Sur les arguments de Dunoyer, voir aussi Augello, 1979, p. 83-99.
24 Aux yeux de C. Dunoyer, il ne faut pas se donner comme objectif l’éradication de la misère, car elle est utile au bon fonctionnement de l’ordre social : « Il est bon qu’il y ait dans la société des lieux inférieurs où soient exposées à tomber les familles qui se conduisent mal, et d’où elles ne puissent se relever qu’à force de se bien conduire. La misère est ce redoutable enfer. C’est un abîme inévitable, placé à côté des fous, des dissipateurs, des débauchés, de toutes les espèces d’hommes vicieux, pour les contenir, s’il est possible, pour les recevoir et les châtier s’ils n’ont pas su se contenir […] elle [la misère] offre un salutaire spectacle à toute la partie demeurée saine des classes les moins heureuses ; elle est faite pour les remplir d’un salutaire effroi […] ; elle leur rend possibles et même faciles la patience, la modération, le courage, l’économie, et cette autre contrainte, la plus nécessaire de toutes, qu’elles ont à se faire pour limiter leur fécondité » (1841, p. 136-137, repris dans 1845, livre IV, chap. x, tome 1, p. 457-458).
25 L. Wolowski, 1847, p. 255 ; M. Chevalier, 1848 b, p. 12-13, p. 162-163, p. 300, p. 423.
26 En France, la situation change notablement grâce à la loi du 25 mai 1864, qui légalise les grèves sous certaines conditions, puis avec la loi du 21 mars 1884 qui légalise les syndicats professionnels.
27 Dans la Richesse des nations, A. Smith regrette que la loi autorise ou n’interdise pas les coalitions des maîtres pour réduire les salaires, tandis qu’elle interdit les coalitions défensives et offensives des ouvriers ([1776] 1976, Livre I, chap. viii, vol. 1, p. 83-85). Si J.-B. Say déplore les « combinaisons coupables des maîtres » pour baisser les salaires, il ne cautionne pas pour autant celles des ouvriers qui lui paraissent « tout aussi préjudiciables » ([1815-1826] 2020, p. 73 et p. 141-142). Selon lui, le gouvernement doit protéger les ouvriers contre la « collusion » des entrepreneurs et protéger ces derniers contre les « complots » des ouvriers ([1803-1841] 2006, Livre 2, chap. vii, tome 2, p. 744).
28 En 1837, C. Dunoyer faisait refuser le prix de morale au meilleur candidat au concours relatif aux classes dangereuses de l’Académie des sciences morales et politiques, H. A. Frégier, et lui octroyait une gratification financière à condition qu’il modifie des passages dans son chapitre sur la rémunération du travail sur les coalitions ouvrières, car « dangereux dans l’application » (Mémoires de l’Académie royale des sciences morales et politiques, tome II, 2e série, 1839, p. 152).
29 Voir aussi Dockès, 2009, p. 1238-1240.
30 Le même décret abolit le marchandage, c’est-à-dire l’embauche d’ouvriers à la journée par des sous-entrepreneurs. Ce système d’exploitation des travailleurs existe notamment dans l’industrie du bâtiment.
31 Ces économistes défendent le marchandage, en particulier Gustave de Molinari qui y voit un bon moyen d’adéquation entre l’offre et la demande de travail (voir sur cet aspect Dockès, 2009, p. 1239).
32 Le décret du 17 mai 1851 autorise le recours aux heures supplémentaires dans l’industrie.
33 Voir aussi sur ce point Ferraton, 2007, p. 100.
34 Selon Dunoyer, « l’organisation du travail n’est qu’un non-sens ridicule » et « les ouvrages dont cette théorie fait tous les frais ne méritent pas l’honneur d’une discussion académique » (intervention, in : « Discussion entre MM. Blanqui, Passy, Dunoyer, De Beaumont, Franck et Mignet », 1845, p. 196).
35 En plaidant pour le remplacement progressif d’un régime fondé sur l’individualisme par un régime fondé sur l’association, L. Blanc ne prétend pas remettre en cause la thèse selon laquelle le droit de propriété est un droit naturel : « [C]’est précisément parce que le droit de propriété est inhérent à la nature humaine, que tous ceux qui appartiennent à la nature humaine sont appelés à jouir des avantages du droit de propriété. Il ne s’agit pas de le nier, au détriment de quelques-uns ; il s’agit de le confirmer, au profit de tous » (Blanc, 1848, p. 14-15).
36 Selon Louis Blanc, « que chacun produise selon son aptitude et ses forces, que chacun consomme selon ses besoins » (Discours à la commission du Luxembourg, reproduit dans Le Moniteur du 3 avril 1848).
37 Selon Louis Reybaud, qui dénie toute originalité à L. Blanc, « [l]’atelier privé disparaît ainsi devant l’atelier administratif ; le gouvernement se convertit en manufacture » (Reybaud, 1849, tome 2, p. xii).
38 Louis Blanc répond à Michel Chevalier dans le même journal le 17 février 1845. Cet échange est republié par lui dans la 5e édition d’Organisation du travail (1847). Chevalier réplique à nouveau dans les Lettres sur l’organisation du travail (1848 b, p. 46 et suiv.).
39 En effet, dans le manuscrit « Lueurs philosophiques » (1790-1791), Gracchus Babeuf indique que les individus sans propriété ont « le droit imprescriptible à des moyens quelconques d’assurer leur propre conservation […]. Ils ont donc un droit incontestable au travail, et c’est un devoir de l’humanité et de prudence de la part des propriétaires que de leur en faire jouir » (Goblot, 2003, p. 109-110).
40 Charles Fourier utilise déjà la notion de « droit au travail » dans un manuscrit de 1806 : « Quelle est l’impuissance de nos pactes sociaux pour fournir aux pauvres une subsistance décente et proportionnée à son éducation, pour lui garantir le premier des droits naturels, le droit au travail » (Beecher, 1993, p. 234-235).
41 V. Considerant, Théorie du droit de propriété et du droit au travail, 1839, 2e éd., 1848. Notons que l’expression « droit au travail » n’apparaît pas dans les différentes éditions d’Organisation du travail de L. Blanc.
42 Dans Les Luttes de classes en France. 1848 à 1850, le jugement de Marx sur le « droit au travail » est sans appel : « Le droit au travail est au sens bourgeois une absurdité, un vœu pieu et misérable, mais derrière le droit au travail il y a le pouvoir sur le capital, derrière le pouvoir sur le capital l’appropriation des moyens de production, leur soumission à la classe ouvrière associée, donc l’abolition du salariat, du capital et de leurs rapports mutuels » (1850, p. 270-271).
43 Voir par exemple, J. Garnier, 1848 d, Le droit au travail à l’Assemblée nationale, Introduction, p. x-xi.
44 Curieusement, dans son cours d’économie politique au Collège de France en 1842-1843, M. Chevalier affirmait : « Les plans de travaux publics que le gouvernement ou les autorités locales tiennent toujours préparés, lui donnent [au travailleur] de l’emploi pendant les temps de crise, lorsque l’industrie privée lui en refuse ; et ainsi l’exercice du droit au travail [sic], droit sacré et imprescriptible, lui est maintenu » (1844, p. 506).
45 « Opinions inédites de M. L. Wolowski », in : Garnier, 1848 d, op. cit., p. 359-361.
46 « Opinions inédites de M. Léon Faucher », in : Garnier, 1848 d, Le droit au travail à l’Assemblée nationale, p. 344-345 et p. 351 ; L. Faucher, 1848 a, p. 29-31 ; « Droit au travail », 1852, p. 612.
47 Sur la restitution exacte de cet événement, voir Diatkine, 2016, p. 55-58.
48 Dans ses Pages d’histoire de la Révolution de février 1848 (1850, p. 31), L. Blanc déclare : « En rédigeant ce décret, je n’ignorais pas jusqu’à quel point il engageait le gouvernement ; je savais à merveille qu’il n’était applicable qu’au moyen d’une réforme sociale ayant l’association pour principe, et pour effet l’abolition du prolétariat. Mais, à mes yeux, c’était là justement la valeur du décret ».
49 Dans Les Luttes de classes en France. 1848 à 1850, Karl Marx les définit comme des « workhouses anglais à l’air libre » (1850, p. 254).
50 À cette date, L. Faucher y voit une « armée révolutionnaire » aux portes de Paris (lettre du 18 juin 1848 à Henry Reeve, in : Faucher, 1867, p. 221). L. Blanc rappelle qu’il n’a joué aucun rôle dans la mise en place des Ateliers nationaux, qui rassemblent des ouvriers de toutes les professions pour les condamner « à un travail uniforme, stérile, étranger à leurs habitudes » et « à leur payer pour ce travail stérile un salaire qui n’était qu’une aumône déguisée » (Blanc, 1848, p. 81-82 et 95 [lettre au rédacteur du Times]).
51 Pour faire face aux difficultés de trésorerie, le 16 mars, le Gouvernement provisoire décrète l’augmentation des quatre contributions directes, si bien que pour 1 F versé en 1847, on doit désormais verser 1, 45 F. Cet impôt dit des « 45 centimes » souleva le mécontentement notamment dans les campagnes.
52 Selon C. Dunoyer, la mission de cette commission « fut précisément d’amener, sous le nom d’organisation du travail, la dislocation de tout l’ordre économique de la société » (Dunoyer, 1849, p. 114).
53 Plus de 200 associations de production naissent, surtout à Paris et dans les grandes villes de province. Un programme général de réformes, rédigé par C. Pecqueur et F. Vidal, daté du 26 avril 1848, est publié sous le titre « Exposé général » dans Le Moniteur universel (27 avril, 2, 3 et 6 mai 1848), repris dans L. Blanc, 1849, p. 78-144.
54 Au même moment, les économistes libéraux subissent une attaque en règle avec le décret du 7 avril 1848 du ministre de l’Instruction publique, Hippolyte Carnot, qui supprime la chaire d’économie politique du Collège de France (occupée par Michel Chevalier depuis 1840) au profit de plusieurs chaires d’économie générale et de statistique, le Collège étant destiné à accueillir une École d’Administration. Selon Jean Reynaud, la « véritable économie politique » est la « science de la politique et de l’administration » (Le Van-Lemesle, 2004, p. 117). Ce projet ne verra pas le jour et la chaire du Collège de France sera rétablie par le décret du 14 septembre 1848.
55 Voir Leroy-Beaulieu, 1891, p. 413.
56 Ces numéros sont disponibles sur le site internet de l’Institut Coppet : https//www.institutcoppet.org/tag/jacques-bonhomme/ (consulté le 04/06/2021).
57 Le Moniteur universel, 31 août 1848.
58 J. Godechot, éd., Les Constitutions de la France depuis 1789, Paris : Garnier-Flammarion, 1970, p. 265-266.
59 Voir Bouchet, 2007, p. 102, p. 107 et p. 110-111.
60 Op. cit., p. 264-265. Sur ces différentes rédactions, voir Démier, 2002, p. 170-172.
61 « Opinions inédites de M. L. Wolowski », in : Garnier, 1848 d, Le droit au travail à l’Assemblée nationale, p. 360. Il se félicite (p. 364) de l’article 13 de la Constitution.
62 « Opinions inédites de M. Léon Faucher », in : Garnier, 1848 d, Le droit au travail à l’Assemblée nationale, p. 335 ; L. Faucher, 1848 a, p. 13 et p. 42-43.
63 « Opinions inédites de M. Léon Faucher », in : Garnier, 1848 d, Le droit au travail à l’Assemblée nationale, p. 330. L. Faucher, 1848 a, p. 4.
64 A. Blanqui estime que se fait sentir en France « l’urgente nécessité d’un grand système d’enseignement moral pour les classes ouvrières ; hélas ! et même pour les classes moyennes de la société. Si les vérités élémentaires de l’ordre moral et politique avaient été plus répandues dans notre pays, ce n’est pas dans des feuilles subversives que les populations apprendraient aujourd’hui quelles sont les vraies relations du capital et du travail, et sur quelles bases fondamentales le principe de la propriété repose » (1849, tome 2, p. 206-207).
65 Lettre à E. Cavaignac, président du conseil, in : Mémoires de l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France, tome VII, Petits traités, Paris : Firmin Didot, 1850, p. 5.
66 Cette collection est aussi publiée intégralement dans les Mémoires de l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France, tome VII, cit.
67 Notons que cet ouvrage, résultat d’une enquête sur le terrain dans les grands centres ouvriers à la demande de l’Académie, au contenu trop réaliste, vaudra à son auteur l’hostilité des milieux industriels protectionnistes, puis de ses collègues libéraux.
68 L’« Association pour la défense du travail national » est lancée en 1846 par les manufacturiers protectionnistes, autour d’Antoine Odier et Auguste Mimerel pour contrer l’action de l’« Association pour la liberté des échanges » (voir D. Todd, 2008, chap. 17). Certains économistes libéraux feront observer que Thiers prétend se faire le champion de la propriété tout en soutenant par ailleurs le protectionnisme, donc la « spoliation légale ».
69 Le contenu des « Petits traités » sera raillé dans les journaux ouvriers et aussi par l’écrivain socialiste Eugène Sue dans Le berger de Kravan. Seconde partie. Entretiens démocratiques et socialistes sur les petits livres de Messieurs de l’Académie des sciences morales et politiques et sur les prochaines élections (Paris : Librairie sociétaire, 1849). Celui-ci s’indigne même : « Comment, M. Thiers et ses complices, ces honnêtes ! ces modérés ! comme ils s’appellent, ces suppôts d’un prétendu ordre, qui n’est que désordre, anarchie, vol, misère, fourberie, prostitution, ruine et désespoir ! comment, ces gens ont l’impudence d’accuser les républicains socialistes de prêcher aux pauvres la guerre contre les riches ! (en italique par E. S., op. cit., p. 44-45).
70 J.-J. Rapet, Manuel de morale et d’économie politique à l’usage des classes ouvrières, Paris : Guillaumin 1858. – Dans la préface de son mémoire, l’auteur précise que son travail s’adresse au peuple qui se méfie des « livres écrits spécialement pour lui ». Pour faire passer ses idées, il développe un récit sous forme d’entretiens qui se situent dans un village pauvre. Dans ce village, un homme éclairé s’installe, donne l’exemple à tous et assure la prospérité. Une disette survient et déclenche des désordres, mais le bienfaiteur pourra reprendre son œuvre. L’auteur a préféré choisir un aléa climatique et le situer en 1846, plutôt que de faire intervenir la Révolution de 1848 pour ne pas aborder un « terrain brûlant » et gagner ainsi la confiance des lecteurs (voir Duc de Broglie, 1857, p. 173-178).
71 Il suffit de lire, par exemple, l’article « Droit au travail » (1852), rédigé par Léon Faucher pour le Dictionnaire de l’économie politique dirigé par Charles Coquelin et par Gilbert-Urbain Guillaumin. L’article « Droit au travail », non signé, du Nouveau dictionnaire d’économie politique, sous la direction de Léon Say et de Joseph Chailley (1891-1892) est inspiré par la même préoccupation.
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-13254-7
- EAN: 9782406132547
- ISSN: 2495-8670
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-13254-7.p.0317
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-01-2022
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Liberalism, liberty of work, industrial legislation, organization of labour, right to labour, workers’ associations, socialism, Revolution of 1848.