Ex cathedra…
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Bossuet Littérature, culture, religion
2019, n° 10. varia - Auteur : Belin (Christian)
- Pages : 9 à 12
- Revue : Revue Bossuet
Ex cathedra…
L’éloquence de la chaire,
en ce qui y entre d’humain et du talent de l’orateur,
est cachée, connue de peu de personnes
et d’une difficile exécution1.
Ces mots de La Bruyère nous rappellent le statut particulier des sermons prononcés en chaire, qui sont d’abord destinés à l’audition, et non à la lecture, mais qui conservent toujours, en latence, même lorsqu’ils sont imprimés, cette part d’émotion communiquée à l’oral. Comment retrouver, dans toute la mesure du possible, la secrète osmose qui relie l’auditoire au prédicateur ? Sans doute en restituant les textes de vive voix. L’an dernier, au mois de mai, la parole de Bossuet put retentir en sa cathédrale ; le dernier numéro de la Revue Bossuet s’en est fait l’écho, et le numéro actuel publie les Actes du colloque qui avait été consacré à l’éloquence de la chaire épiscopale au xviie siècle. Cette année, le 11 avril, en l’église Saint-Roch, le public parisien put faire à son tour l’expérience de la transmission directe d’un discours prononcé en chaire. Ce jour-là, en effet, en soirée, une centaine de personnes était venue écouter le comédien Théophile Choquet, qui déploya tout son talent pour restituer à quelques textes de Bossuet leur dimension proprement physique et charnelle. Ont été ainsi interprétés des extraits du Sermon sur l’éminente dignité des pauvres dans l’Église, du Sermon sur la mort et de l’Oraison funèbre d’Henriette-Anne d’Angleterre.
Libéré des codes graphiques, le texte oralisé retrouve spontanément son rythme respiratoire et toute l’amplitude sonore par laquelle le geste se joint à la parole. L’effet spectaculaire en est indéniable. Bossuet se 10laisse écouter, se fait écouter. L’oreille redevient sensible aux moindres inflexions du phrasé, aux moindres nuances de l’intonation, mais aussi à ces instants où la voix semble hésiter entre parole et silence. En ces intervalles discrets, moments propices au vagabondage spirituel, le public scrute le regard de l’orateur en attendant une autre suite de mots, alors que résonnent encore les fragments d’un discours provisoirement suspendu. Sans enflure, et sans vouloir céder au mirage d’une reconstitution archéologique qui prétendrait retrouver intacte une déclamation d’origine, Théophile Choquet s’efforça plus simplement de livrer au public une parole à l’état brut, étonnamment efficace dans ses jeux de persuasion et ses effets théâtraux. Des intermèdes musicaux (essentiellement extraits des œuvres de Guillaume-Gabriel Nivers) venaient ponctuer les moments de déclamation ; ils furent interprétés sur les petites orgues qui jouxtent la chaire baroque du chœur par l’organiste titulaire, Françoise Gangloff, musicienne d’une grande sensibilité. L’auditoire était conquis, comme on put d’ailleurs s’en rendre compte à travers les échanges qui suivirent le spectacle. Un constat s’imposait : Bossuet avait encore quelque chose à dire à nos contemporains, et il le leur disait, en effet, secouant toutes les torpeurs de l’esprit. Les trois textes prononcés évoquaient ainsi l’indifférence aveugle des riches face à la misère des plus démunis, mais aussi la mystique de la pauvreté ou le renversement chrétien des valeurs, mais encore l’effroi ou le questionnement devant la mort, tels que les provoqua, par exemple, à la Cour, au mois de juin 1670, en un choc émotionnel inédit, la disparition soudaine d’une princesse au zénith de la gloire.
La Société des Amis de Bossuet remercie chaleureusement la paroisse Saint-Roch (paroisse des artistes) pour avoir mis à sa disposition cette magnifique église du xviie siècle où jadis transita la dépouille funèbre de Bossuet, et où se confondent, pêle-mêle, les cendres de Corneille et de … Diderot ! Nous voulons remercier en particulier Arnaud du Moulin de Labarthète, diacre permanent, pour son aide précieuse, son dévouement et son sens de l’accueil. Il serait souhaitable que d’autres récitals du même genre, mais aussi éventuellement sous d’autres formes (avec plusieurs intervenants et des accompagnements musicaux différents) puissent être organisés, à Saint-Roch ou dans d’autres lieux. Habitée par un imaginaire spirituel puissamment suggestif, la voix de Bossuet, jaillie ex cathedra, touche le public d’aujourd’hui, lassé des recettes toutes 11faites d’une communication marchandisée qui ne fabrique que du slogan ou du prêt-à-penser. Bossuet en effet ne communique pas ; il parle tout simplement. La mise en scène de ses discours, ou plutôt l’incarnation de sa parole, et en dehors même de tout faste déclamatoire, révèle une confiance inébranlable dans les forces secrètes du verbe.
La Revue alterne, d’une année sur l’autre, la publication des Actes du colloque organisé tous les deux ans par la Société des Amis de Bossuet avec la publication d’un numéro thématique. L’an prochain, en 2020, ce numéro portera sur Bossuet et l’Italie, sujet inédit, mais qui d’ores et déjà se révèle riche en surprises. On y abordera la question de la lecture par Bossuet d’auteurs spirituels italiens, mais on y examinera aussi la diffusion de ses œuvres en terre italienne, à partir des textes français ou de leur traduction, ainsi que l’étendue de son influence sur certains écrivains italiens, depuis le xviie siècle jusqu’à la période contemporaine. On songe par exemple à Leopardi.
Un autre événement marquera l’année 2020, un colloque organisé conjointement par l’association des Amis de Bossuet et l’Institut de Recherches sur l’Age classique et les Lumières (IRCL, UMR 5186 du CNRS) situé à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Ce colloque aura lieu à Montpellier, les 14-16 mai 2020 et s’intitulera L’écriture d’un jésuite : Pierre Le Moyne (1602-1671). Régent au collège de Clermont en 1638, et accueilli dans la maison professe des jésuites de la rue Saint-Antoine dans les années 1650, Le Moyne a laissé une œuvre considérable, en vers comme en prose, qui traite des questions les plus variées (religieuses, morales, sociales, littéraires, politiques, philosophiques…). Représentant emblématique de ce qu’Henri Bremond appelait « l’humanisme dévot », Le Moyne se retrouve au centre de tous les débats littéraires et spirituels, entre 1640 et 1670, alors qu’il fréquentait l’Hôtel de Rambouillet mais aussi l’Académie du président Lamoignon. Personnage complexe et assez insaisissable, poète doué d’un grand talent, Le Moyne fut aussi, et peut-être surtout, un pionnier de l’iconologie, un véritable penseur de l’image et des images. Il polémiqua avec Antoine Arnauld à propos de la Théologie morale des jésuites et contribua, au moment de la querelle des Provinciales, à la rédaction des Réponses faites aux Lettres écrites par Louis de Montalte. Guez de Balzac louait, dans une lettre à Chapelain, en 1639, sa « hardiesse d’esprit » et sa « magnifique expression ». Pascal, en revanche, clouera le jésuite au pilori en stigmatisant, dans les Provinciales, 12ses « bouffonneries impies ». Le Moyne ne laissait personne indifférent ; ses écrits restent cependant mal connus et trop souvent réduits à quelques stéréotypes, malgré un important travail de réédition (Anne Mantero, Richard Maber) et de réévaluation (Anne-Élisabeth Spica) accompli au cours des deux dernières décennies. Le colloque de Montpellier, qui sera le premier consacré à Le Moyne, contribuera, nous l’espérons, à dissiper quelques malentendus tenaces et à mieux comprendre les enjeux d’une œuvre véritablement située au croisement de toutes les questions esthétiques et spirituelles de son époque.
Christian Belin
1 La Bruyère, Caractères, XV, 26.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-09798-3
- EAN : 9782406097983
- ISSN : 2494-5102
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09798-3.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 29/10/2019
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français