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Classiques Garnier

Ex cathedra

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Revue Bossuet Littérature, culture, religion
    2019, n° 10
    . varia
  • Auteur : Belin (Christian)
  • Pages : 9 à 12
  • Revue : Revue Bossuet
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406097983
  • ISBN : 978-2-406-09798-3
  • ISSN : 2494-5102
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09798-3.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/10/2019
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
9

Ex cathedra…

Léloquence de la chaire,

en ce qui y entre dhumain et du talent de lorateur,

est cachée, connue de peu de personnes

et dune difficile exécution1.

Ces mots de La Bruyère nous rappellent le statut particulier des sermons prononcés en chaire, qui sont dabord destinés à laudition, et non à la lecture, mais qui conservent toujours, en latence, même lorsquils sont imprimés, cette part démotion communiquée à loral. Comment retrouver, dans toute la mesure du possible, la secrète osmose qui relie lauditoire au prédicateur ? Sans doute en restituant les textes de vive voix. Lan dernier, au mois de mai, la parole de Bossuet put retentir en sa cathédrale ; le dernier numéro de la Revue Bossuet sen est fait lécho, et le numéro actuel publie les Actes du colloque qui avait été consacré à léloquence de la chaire épiscopale au xviie siècle. Cette année, le 11 avril, en léglise Saint-Roch, le public parisien put faire à son tour lexpérience de la transmission directe dun discours prononcé en chaire. Ce jour-là, en effet, en soirée, une centaine de personnes était venue écouter le comédien Théophile Choquet, qui déploya tout son talent pour restituer à quelques textes de Bossuet leur dimension proprement physique et charnelle. Ont été ainsi interprétés des extraits du Sermon sur léminente dignité des pauvres dans lÉglise, du Sermon sur la mort et de lOraison funèbre dHenriette-Anne dAngleterre.

Libéré des codes graphiques, le texte oralisé retrouve spontanément son rythme respiratoire et toute lamplitude sonore par laquelle le geste se joint à la parole. Leffet spectaculaire en est indéniable. Bossuet se 10laisse écouter, se fait écouter. Loreille redevient sensible aux moindres inflexions du phrasé, aux moindres nuances de lintonation, mais aussi à ces instants où la voix semble hésiter entre parole et silence. En ces intervalles discrets, moments propices au vagabondage spirituel, le public scrute le regard de lorateur en attendant une autre suite de mots, alors que résonnent encore les fragments dun discours provisoirement suspendu. Sans enflure, et sans vouloir céder au mirage dune reconstitution archéologique qui prétendrait retrouver intacte une déclamation dorigine, Théophile Choquet sefforça plus simplement de livrer au public une parole à létat brut, étonnamment efficace dans ses jeux de persuasion et ses effets théâtraux. Des intermèdes musicaux (essentiellement extraits des œuvres de Guillaume-Gabriel Nivers) venaient ponctuer les moments de déclamation ; ils furent interprétés sur les petites orgues qui jouxtent la chaire baroque du chœur par lorganiste titulaire, Françoise Gangloff, musicienne dune grande sensibilité. Lauditoire était conquis, comme on put dailleurs sen rendre compte à travers les échanges qui suivirent le spectacle. Un constat simposait : Bossuet avait encore quelque chose à dire à nos contemporains, et il le leur disait, en effet, secouant toutes les torpeurs de lesprit. Les trois textes prononcés évoquaient ainsi lindifférence aveugle des riches face à la misère des plus démunis, mais aussi la mystique de la pauvreté ou le renversement chrétien des valeurs, mais encore leffroi ou le questionnement devant la mort, tels que les provoqua, par exemple, à la Cour, au mois de juin 1670, en un choc émotionnel inédit, la disparition soudaine dune princesse au zénith de la gloire.

La Société des Amis de Bossuet remercie chaleureusement la paroisse Saint-Roch (paroisse des artistes) pour avoir mis à sa disposition cette magnifique église du xviie siècle où jadis transita la dépouille funèbre de Bossuet, et où se confondent, pêle-mêle, les cendres de Corneille et de … Diderot ! Nous voulons remercier en particulier Arnaud du Moulin de Labarthète, diacre permanent, pour son aide précieuse, son dévouement et son sens de laccueil. Il serait souhaitable que dautres récitals du même genre, mais aussi éventuellement sous dautres formes (avec plusieurs intervenants et des accompagnements musicaux différents) puissent être organisés, à Saint-Roch ou dans dautres lieux. Habitée par un imaginaire spirituel puissamment suggestif, la voix de Bossuet, jaillie ex cathedra, touche le public daujourdhui, lassé des recettes toutes 11faites dune communication marchandisée qui ne fabrique que du slogan ou du prêt-à-penser. Bossuet en effet ne communique pas ; il parle tout simplement. La mise en scène de ses discours, ou plutôt lincarnation de sa parole, et en dehors même de tout faste déclamatoire, révèle une confiance inébranlable dans les forces secrètes du verbe.

La Revue alterne, dune année sur lautre, la publication des Actes du colloque organisé tous les deux ans par la Société des Amis de Bossuet avec la publication dun numéro thématique. Lan prochain, en 2020, ce numéro portera sur Bossuet et lItalie, sujet inédit, mais qui dores et déjà se révèle riche en surprises. On y abordera la question de la lecture par Bossuet dauteurs spirituels italiens, mais on y examinera aussi la diffusion de ses œuvres en terre italienne, à partir des textes français ou de leur traduction, ainsi que létendue de son influence sur certains écrivains italiens, depuis le xviie siècle jusquà la période contemporaine. On songe par exemple à Leopardi.

Un autre événement marquera lannée 2020, un colloque organisé conjointement par lassociation des Amis de Bossuet et lInstitut de Recherches sur lAge classique et les Lumières (IRCL, UMR 5186 du CNRS) situé à lUniversité Paul Valéry de Montpellier. Ce colloque aura lieu à Montpellier, les 14-16 mai 2020 et sintitulera Lécriture dun jésuite : Pierre Le Moyne (1602-1671). Régent au collège de Clermont en 1638, et accueilli dans la maison professe des jésuites de la rue Saint-Antoine dans les années 1650, Le Moyne a laissé une œuvre considérable, en vers comme en prose, qui traite des questions les plus variées (religieuses, morales, sociales, littéraires, politiques, philosophiques…). Représentant emblématique de ce quHenri Bremond appelait « lhumanisme dévot », Le Moyne se retrouve au centre de tous les débats littéraires et spirituels, entre 1640 et 1670, alors quil fréquentait lHôtel de Rambouillet mais aussi lAcadémie du président Lamoignon. Personnage complexe et assez insaisissable, poète doué dun grand talent, Le Moyne fut aussi, et peut-être surtout, un pionnier de liconologie, un véritable penseur de limage et des images. Il polémiqua avec Antoine Arnauld à propos de la Théologie morale des jésuites et contribua, au moment de la querelle des Provinciales, à la rédaction des Réponses faites aux Lettres écrites par Louis de Montalte. Guez de Balzac louait, dans une lettre à Chapelain, en 1639, sa « hardiesse desprit » et sa « magnifique expression ». Pascal, en revanche, clouera le jésuite au pilori en stigmatisant, dans les Provinciales, 12ses « bouffonneries impies ». Le Moyne ne laissait personne indifférent ; ses écrits restent cependant mal connus et trop souvent réduits à quelques stéréotypes, malgré un important travail de réédition (Anne Mantero, Richard Maber) et de réévaluation (Anne-Élisabeth Spica) accompli au cours des deux dernières décennies. Le colloque de Montpellier, qui sera le premier consacré à Le Moyne, contribuera, nous lespérons, à dissiper quelques malentendus tenaces et à mieux comprendre les enjeux dune œuvre véritablement située au croisement de toutes les questions esthétiques et spirituelles de son époque.

Christian Belin

1 La Bruyère, Caractères, XV, 26.