Établissement du texte
- Publication type: Book chapter
- Book: Recueil général de moralités d’expression française. Tome III. La Moralité de Bien avisé Mal avisé
- Pages: 15 to 21
- Collection: French Theatre Library, n° 21
Établissement du texte
Versions subsistantes : le manuscrit Rothschild 2797
et l’imprimé Caron-Vérard
La moralité de Bien avisé Mal avisé est conservée dans deux versions sensiblement différentes, exécutées à peu près à la même époque au début du xve siècle. L’une d’elles, la version manuscrite, est de meilleure facture que l’autre, la version imprimée, dont le texte a très souvent souffert d’erreurs de lecture – et donc de copie – ainsi que de remaniements inconsidérés ou simplement ineptes. La présente édition prend donc pour base la version manuscrite, avec recours pour contrôle à la version imprimée lorsque cela a été possible et utile. Dans les pages qui suivent, ces deux témoins sont siglés respectivement I et M, ce qui permet d’abréger commodément, selon le cas, M pour « le manuscrit Rothschild 2797 » aussi bien que « le copiste-rédacteur du manuscrit 2797 » ; et I pour « l’imprimé Le Caron » en tant que texte ou « le copiste-compositeur-rédacteur-remanieur responsable du texte imprimé par Le Caron ». Il convient d’ajouter sur ces deux témoins quelques précisions pertinentes.
1) Manuscrit (unicum) : Bibliothèque Nationale fonds Rothschild 2797. Relié avec deux autres textes moraux, Le Pas de la mort et Le chevalier délibéré, aux armes de la famille de Lalaing à l’intérieur, et, sur la reliure, les armes de Charles de Berlaymont (1510-1578)1. La fabrication du manuscrit a été localisée et datée par Anne-Marie Legaré d’après des indices codicologiques, stylistiques, et héraldiques. En effet, les indices matériels internes – filigranes et armoiries, style et facture
des illustrations – mis en rapport avec des faits extérieurs se rapportant à la biographie du commanditaire et aux habitudes des fabricants, ont permis de cerner de près les circonstances de la production du manuscrit : il a été exécuté en Hainaut avec deux autres qui forment avec lui un groupe homogène, « dans un même atelier et durant une même période, vraisemblablement entre 1487 et 1490 » à la commande du jeune chevalier Charles Ier de Lalaing (1466-1525)2. Les 59 miniatures aquarellées qui ponctuent le texte, « exécutées rapidement mais dénotant de grandes capacités artistiques dans l’ordre de l’invention iconographique3 », servent à mettre en relief les principaux moments de l’action. Yves Le Hir en commentant les illustrations, souligne les conceptions toutes différentes que présentent de Bien avisé Mal avisé les deux versions manuscrite et imprimée4.
2) Imprimé. In-folio à caractères gothiques de 56 feuillets « Imprimé à Paris par Pierre le Caron pour Anthoine Verard, libraire ». Quatre exemplaires connus : Paris B.N., Chantilly, Nantes, Washington. Réimpression photographique par W. Helmich (op. cit.). On s’accorde à dater l’imprimé de Vérard entre 1488 et 1499. Le texte de l’imprimé compte une soixantaine de personnages et 7 625 vers. Celui du manuscrit comporte 67 rôles et 7 174 vers, compte tenu des vers rétablis d’après l’Imprimé et des vers retranchés (lorsque répétés par inadvertance). Les deux versions sont sensiblement différentes, aussi bien au niveau du détail qu’en ce
qui concerne la cohérence de l’ensemble ; on verra dans la section suivante les principales différences des deux versions en ce qui concerne le déroulement de l’action.
Notons que la plus ancienne représentation connue de Bien avisé Mal avisé remonte à 1396. On en connaît trois autres au xve siècle, à Rennes en 1439 en présence de Pierre de Bretagne, et à Nantes en 1455 devant le même Pierre devenu duc de Bretagne (Pierre II, 1450-1457) et la duchesse ; enfin à Laval en 1488. On ne sait dans aucun de ces cas de quelle rédaction il s’agit5.
Analyse de la pièce par épisodes,
dans les deux versions
Long et ardu est le voyage spirituel de Bien avisé, entrepris dans l’innocence naïve et achevé dans l’expérience éprouvée, au long de son ascension, des actes de foi solidifiants et des œuvres de vertu déterminantes pour que son voyage s’achève par le salut de son âme. Dans le réseau des rapports existant entre les deux versions qui subsistent de la pièce, le tableau suivant permet de voir quels épisodes et quels personnages ont été supprimés dans la version imprimée. Les différentes articulations de l’action (épisodes), de dimensions variables – scènes, séquences, tableaux – sont numérotées à gauche. Le tableau analytique synoptique tiendra lieu d’un commentaire détaillé de la pièce6.
MANUSCRIT |
IMPRIMÉ |
|
Prologue (abrégé dans M) (79r) I. BIEN AVISé SUR LE CHEMIN DES VERTUS |
1-166 |
|
1 |
Bien avisé s’adresse à Mal avisé (80r), à qui il conseille de l’accompagner à la recherche de Bonne fin. |
167-248 |
2 |
Ils rencontrent Franche volenté (81v), puis Mal avisé s’étant endormi Bien avisé continue tout seul dans le chemin des vertus, rencontrant d’abord Raison (87r). |
249-514 |
3 |
Raison l’amène à Foy (88v), qui lui donne une lanterne pour l’aider dans sa quête. |
582-749 |
4 |
Il parvient à Contricion (92r), auprès de qui interviennent Enfermeté et le Varlet de contricion (96v), et, dans l’Imprimé, Le pauvre, avant d’arriver à |
750- 946- 976-1315 |
5 |
Humilité, dont la portière Confession lui ouvre l’huis (104v). |
1316-1450 |
II. MAL AVISé SUR LE CHEMIN DES VICES |
||
1 |
Mal avisé sorti du sommeil s’adresse à Franche volenté (107v) et ne tarde pas à choisir quant à lui un autre chemin. |
1451-1482 |
2 |
Il s’en va en effet droit à Tendresse (108v), puis à |
1483-1584 |
3 |
Oyseuse (110r), |
1585-1754 |
4 |
Rébellion (113r) et |
1755-1999 |
5 |
Folie (117r), |
2000-2050 |
qui le présente à Hoquelerie (Escroquerie) en la compagnie de laquelle ils s’en vont tous à la taverne de Houllerie (Débauche) (119r). |
2051-2057 |
|
6 |
Scène de taverne, abrégée dans l’Imprimé, où Mal avisé fait la connaissance de Lécherie suivie de Frilis « parisien », crieur de pâtisseries (119v). Dans une partie de dés avec Hoquelerie et Folie, Mal avisé perd tout, et se fait rouer de coups. |
2058-2460 personnages omis dans I |
III. BIEN AVISé MONTE PLUS HAUT |
||
1 |
On rejoint Bien avisé resté auprès de Confession et Humilité (129v) |
2461-3109 |
2 |
Scène de polémique contre les écorcheurs. Arrive Avarice avec sa fille Malice (140r) et son frère Apétit (142r). Avarice confie à son amie Fausse doctrine ses Trois écoliers (Gloutonnie, Ire, Paresse) pour qu’elle les élève en « l’École de toulette ». |
------------ Cette scène manque dans I ------------ |
3 |
Bien avisé prend congé de Confession (145v), reprend son chemin et trouve Occupation (147r) qui après une bonne leçon de morale l’envoie vers |
3110-3328 |
4 |
Pénitance (151r) qui lui explique qu’avant d’avoir affaire à elle il doit passer par |
3329-3560 |
5 |
Satisfaction. Bien avisé étonné de la voir toute nue s’entend expliquer que lui aussi doit se dépouiller à fond. Il rencontre ensuite |
3441-3560 |
6 |
Le pauvre et Aumône (156v) lequel se cache voulant éviter Vainegloire (157v) ; puis Bien avisé s’en va à Jeûne (161v) et enfin à Oraison (Prière) (164r) |
3561- 3634- 3788- 3930- |
IV. MAL AVISé DESCEND PLUS BAS |
||
1 |
Éjecté de la taverne, Mal avisé rejoint Désespérance (168v) qui l’amène à |
4122- |
2 |
Pauvreté (Indigence), puis à |
4186- |
3 |
Male meschance (169v) et Larcin (171v) ; |
4259. Les vices rejoignent Mal avisé (4370ss) |
4 |
Larcin emmène Mal avisé à Male fin (175r) après être passé par Honte (175r). |
4465 Désespérance et Honte mènent Mal avisé devant Fortune, alors que Bien avisé « se lève de son oroison » (4592) |
5 |
La tête coupée par Male Fin, L’âme de mal avisé est emportée en enfer par Les diables (178r). |
6519 didascalie |
V. BIEN AVISé PARVIENT à HONNEUR |
||
Ainsi que dans la séquence précédente, le matériau de cette scène a été découpé et redistribué différemment dans les deux versions : |
||
1 |
Bien avisé parvient auprès de Patience (179r) |
4812 |
2 |
qui l’envoie chez ses sœurs : |
|
Abstinence (182r) |
4639 |
|
Chasteté (183r) |
4605 |
|
Prudence (184r) |
4972 |
|
Obédience (187v) |
4682 |
|
et Diligence (188v) |
4738 |
|
3 |
et cette dernière l’amène enfin à Honneur (190v) |
5321-5484 7199-7244 |
VI. FORTUNE ET SA ROUE : REFLETS SOCIAUX |
||
1 |
Bien avisé arrive auprès de Fortune qui s’adresse « au public en général » (195v) en montrant le sort qu’elle réserve à ceux qui veulent le pouvoir : Regno, Regnabo, Regnavi, et Sine Regno (198r). |
5485ss 5610-6394 |
2 |
Fausse doctrine arrive avec ses Trois écoliers pillards (209v) ; surgit alors Réformation qui les livre tous à Fortune (214v) pour qu’elle les terrasse. |
cette scène comme la précédente sur la « Réforme » manque |
3 |
Regnavi et Sine Regno vont à Confession guidés par Bien avisé, alors que Fortune dépêche son héraut Oras Dame (218r), qui de par Fortune et secondée de Réformation, admoneste les mal-avisés (les « escoliers » de Fausse doctrine provisoirement montés en haut de la Roue) de descendre et de se rendre. Se joignent à eux Folie, Hoquelerie (219r), Houllerie et Malmeschance (220r) pour conduire les mal avisés à Male fin. |
6377 manque dans I Mal avisé accompagné de sespérence se rend auprès de Honte (6395-6456) |
4 |
Male fin coupe la tête à tous les malfaiteurs (221r). |
6457-6519 |
VII. ENFER (DIABLERIE) |
||
Démon, Satan (221r), Léviathan (222r), Bélial, Lucifer se présentent, se caractérisent, puis s’adressent aux âmes des damnés – vices et malfaiteurs : Tendresse, Oysance, Rébellion, Folie, Houllerie, Hocquelerie, Désespérance d’une part, et, d’autre part, dans M, Avarice, Faulse doctrine et ses Trois écoliers (Gloutonnerie, Ire et Paresse) ainsi que Regno et Regnabo. |
6520-7117 |
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VIII. PARADIS |
||
1 |
Bien avisé et ses compagnons Regnavi et Sine Regno vont à Pénitance (228r)… |
à Esperance et à Confession dans I |
2 |
alors que viennent clore la pièce les discours finals de La mort (229r), de Dieu, parlant à ses anges Gabriel et Raphael (229v), et les discours de ces derniers s’adressant aux Vertus « Humilité, Prudence, Pacience et les autres » (230r). |
7118-7198 à Michel, Gabriel, Raphael, et Uriel dans I (7422-7625) |
Bonne fin « recoit l’âme de Bien avisé et de ses compagnons » (231r) |
7199-7244 7245-7421 |
1 Émile Picot et Paul Lacombe, Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. le baron James de Rotschild, Paris, Morgand, 1884-1929, t. IV, p. 99.
2 Anne-Marie Legaré, « Un exemplaire hainuyer du Chevalier délibéré aux armes de Lalaing », Publications du Centre européen d’études bourguignonnes (xive-xvie siècle), 43, 2003, p. 187. Une étude menée par Laurent Brunel assisté de M.-Th. Gousset de la BnF (site Richelieu) propose, selon les filigranes du papier utilisé pour la copie manuscrite, une datation plus récente, entre 1504-1513. Stéphanie Le Briz-Orgeur, « La truie, ses pourceaux… et le cochon dans la Moralité de Bien avisé Mal avisé », Le Moyen Français, 55-56, 2004-2005, p. 221, note 12.
3 A.-M. Legaré, op. cit., p. 183.
4 « L’édition offre un texte tout prêt pour un metteur en scène. … Le MS au contraire nous présente un texte prévu pour une lecture solitaire et la joie immédiate des yeux. … L’auteur des illustrations a poursuivi un dessein original : nous obliger à rêver avec lui en des espaces clos ou largement déployés sur une nature familière … Si les tréteaux n’autorisent que des déplacements mesurés, la page d’un livre ne connaît aucune frontière ; quelle chance pour illustrer une aventure et ses moments essentiels, dans le bien ou le mal ! Plus qu’un délassement esthétique, il faut y voir une façon expressive d’exalter une signifiance. … L’édition de Vérard, par la richesse de ses annotations, nous met en mesure de comprendre historiquement cette Moralité ; elle a même tenté un compromis grâce à ses propres illustrations. Mais comment ne pas être séduit par la fraîcheur des évocations offertes par le MS Rothschild ? Le drame devient ici source de poésie ». Op. cit., p. 404-405.
5 L. Petit de Julleville, Répertoire, p. 39-40, 325, 329 ; G. R. Runnalls, « Un extrait des comptes de la ville de Nantes » d’après E. Destranges, Le Théâtre à Nantes depuis ses origines jusqu’à nos jours (1430-1823), Paris, 1902. Jean Babelon, « La Moralité de Bien Advisé & Mal Advisé …, » Positions des thèses, École Nationale des Chartes, 1910, p. 15.
6 Pour de brefs commentaires des principaux épisodes, nous renvoyons à une étude de la thématique et de la structure de Bien avisé Mal avisé par Stéphanie Le Briz-Orgeur, où s’éclairent mutuellement théologie et théâtralité : « Éclairer la foi : le cas de la Moralité de Bien advisé, Mal advisé », in Littérature et révélation au Moyen Âge, I, Visible, invisible, textes réunis par Jean-Pierre Bordier, Univ. Paris X – Nanterre, Littérales, 40, 2007, p. 95-115. À partir d’une analyse de la symbolique de la lanterne de Foy (I,3 supra), S. Le Briz-Orgeur développe dans des pages riches et concises un bref commentaire du long voyage du protagoniste.
- CLIL theme: 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN: 978-2-8124-3220-0
- EAN: 9782812432200
- ISSN: 2261-575X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3220-0.p.0015
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-29-2014
- Language: French