[Épigraphe]
- Publication type: Book chapter
- Book: Œuvres. Tome V. La Première Maîtresse
- Pages: 41 to 42
- Collection: Nineteenth-Century Library, n° 100
Si tu as en toi l’une de ces forces suprêmes, Génie, Orgueil, Vertu, qui triomphent de tout, et accomplissent fatalement leurs destinées,
Sois l’amant de cent femmes ou l’époux d’une seule, n’importe, aucun danger : tu es le mage auquel obéit l’enfer.
Si tu un brave homme, pareil aux autres braves gens, sans grandeur ni bassesse, sans bons ni mauvais rêves, modéré, paisible, satisfait d’être ainsi,
Fais la noce, marie-toi, engendre, et veuf, remarie-toi, à moins que ta servante ne soit jeune et grasse ; tu mourras honoré et honorable, pleuré des tiens.
Mais si tu es l’un de ces êtres intermédiaires, n’ayant ni le suprême génie ni le sens commun, ni le serein orgueil, ni l’acceptation béate de l’infériorité, ni la parfaite vertu ni l’honnêteté banale ; si tu es l’un de ces artistes modernes, incertains, tourmentés, bizarres, qui peuvent s’élever, qui peuvent tomber, dépendants des circonstances,
Redoute la femme.
Car la femme est la cause la plus active des énervements de la volonté, des déviations de la pensée, des abandonnements de la conscience, des vraies fonctions non remplies, du but non atteint, et, finalement, du mécontentement de soi-même, qui est la pire des angoisses.
Et, entre tous les baisers, crains le Premier Baiser,
Car voici ce qui est arrivé, mille ans après sa mort, au roi Psamétik1. Des violateurs de sépultures le tirèrent, momie, hors de sa gaine rompue, dans le sable, sous la lune ; et, à cause des 42puissants aromates, le corps ne s’était point dissous ; partout intact2, hors en un point du cou, qui était une plaie grouillante de vers, et d’où sortait une petite flamme de pourriture. les sacrilèges crurent qu’il avait été mal embaumé, qu’on avait négligé de momifier cette partie du cadavre. Mais non, c’était que, là, dans le cou, le roi Psamétik, vivant, jeune, encore ignorant des caresses de la femme, avait été baisé par une courtisane appelée Rhodope3, qui était venue de Grèce, et qui riait.
Quoi ! Vivrai-je seul et chaste ? Chaste, efforce-toi de l’être ; sois seul, du moins, ou indifférent, – ce qui est presque la même chose, – si tu veux te développer, selon ton devoir, dans le sens normal de tes facultés.
Mais la solitude ou l’indifférence, c’est l’Ennui ?
Crois-tu donc que la joie existe ? D’ailleurs, choisis4.
1 Psammétique est la transcription courante de ce nom ayant appartenu à trois rois égyptiens de la XXVIe dynastie (viie et vie siècles avant notre ère).
2 Partout il était intact (V).
3 Rhodope la courtisane est l’héroïne d’une comédie posthume de Banville, Ésope (1893).
4 Dans Le Voltaire, on peut lire à la ligne suivante : « (L’Ecclésiaste commenté.) » Dans ce prologue, Mendès fait mine d’emprunter le ton du texte biblique, dans lequel on ne retrouve pourtant aucune diatribe contre les femmes. Comme à son habitude, il se joue des références.