[Introduction de la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Romans de la Terreur. L’invention d’un imaginaire (1793-1874)
- Pages : 273 à 274
- Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 112
- Série : Le Siècle de l’histoire, n° 3
Lorsqu’ils évoquent la Terreur, les romans des dernières années impériales privilégient un discours et un mode de narration obliques. De ce point de vue, la période impériale n’est pas homogène, et l’on peut noter, sans prétendre épuiser toute la complexité du phénomène, que le déclin des représentations « frontales » de la Terreur (autrement dit, la diminution, voire l’absence de romans faisant de la Terreur le cadre contextuel de leur intrigue) coïncide peu ou prou avec le rétablissement de la censure en 1810. L’emporte alors une politique de surveillance et de contrôle qui oblige à davantage de prudence et à l’adoption de stratégies scripturaires détournées.
La chute de l’Empire et la restauration des Bourbons après l’épisode des Cent-Jours ouvrent une nouvelle période, que nous avons placée sous le signe de la mémoire. La plupart des romanciers de la Terreur, à quelques exceptions près comme Mme de Duras, Ballanche ou encore Nodier, n’ont pas vécu les événements de la Révolution. Leur curiosité pour la Terreur est d’autant plus vive qu’elle soulève, pour cette génération née à la fin du xviiie siècle ou au début du siècle suivant, un problème d’identité. Les romans du temps se font l’écho de cette nécessaire transmission mémorielle en mettant en scène la figure du témoin vieillissant de la Révolution. Mais la période est aussi marquée par la diffusion des nombreux mémoires, qui font entendre la voix des derniers témoins et nourrissent la vogue exceptionnelle des romans historiques. Dans ce contexte, la Terreur ne tarde pas à s’imposer comme un sujet privilégié. Le roman cherche sa place dans ce champ de concurrence mémorielle et tâche d’affirmer sa singularité par rapport à d’autres formes de discours concurrents, tout en nouant un dialogue constant avec la littérature mémoriale et l’historiographie, qui connaît un renouveau sans précédent.
Les clivages politiques qui s’exacerbent pendant toute la période de la Restauration sont à l’origine d’une crise mémorielle qui divise partisans et adversaires de la Révolution. La Terreur continue bien souvent, dans les deux cas, à fonctionner à la manière d’un repoussoir idéologique et politique – même si un tournant mémoriel s’esquisse déjà, sous l’influence d’une nouvelle génération d’historiens comme Thiers et Mignet. Dans l’immédiat, les libéraux qui défendent la mémoire et les acquis de la Révolution s’attachent le plus souvent à distinguer les principes de 1789 de la « dictature jacobine » des années 1793-1794. Décrivant la postérité 274du jacobinisme au xixe siècle, Michel Vovelle considère les années 1800-1830 comme une « traversée du désert1 » et montre que la jeune génération libérale « qui cherche sa voie dans les premières années de la Restauration ne manie qu’avec une prudence mêlée de scrupules l’épithète jacobine dont on [la] gratifie », refusant « d’assumer la responsabilité d’un passé qui fait l’objet d’une méditation obstinée sur le souvenir de la Terreur2 ». L’historien souscrit au jugement de Gaston Martin sur la période qui va de 1800 aux lendemains de la Restauration : « Les derniers Jacobins plus ou moins confondus avec les derniers montagnards sont l’objet de la même exécration inquiète3. » Il faut attendre 1830 et les lendemains de la Révolution de Juillet pour qu’apparaissent des mémoires partisanes de l’an II, qui marquent un véritable tournant dans la gestion mémorielle de la Terreur. Nul hasard, bien sûr, à ce que ces tentatives de réhabilitation, qui s’attirent les foudres d’adversaires horrifiés, émergent aux lendemains de 1830, qui a fait resurgir le spectre de la Terreur.
Cette deuxième période, qui va de 1816 à 1847, à l’aube d’une nouvelle révolution, représente près de 30 % du corpus principal. C’est aux lendemains de 1830 que se concentrent la majorité des romans de la Terreur, après les Trois Glorieuses qui ont donné aux années 1793-1794 une nouvelle actualité. Les romans parus sous la Restauration, d’abord, célèbrent souvent le nouveau pouvoir et assument une fonction commémorative à l’égard des victimes de la Terreur, quand ils ne figurent pas, comme chez Ballanche et Balzac, qui évoquent la question du régicide, une logique expiatoire. Les années 1830 se distinguent quant à elles par un dialogue sans précédent entre le romancier et l’historien, et le genre romanesque, dont la forme est parfois hybride, joue son rôle dans la constitution d’une légende (contre-)révolutionnaire où la Terreur a sa place, qu’il s’agisse de la légende girondine de la Révolution (Nodier) ou d’une légende articulée autour d’une seule figure, comme celle d’André Chénier (Vigny). Quoi qu’il en soit, les romans de la Terreur, dans ces années-là, sont bien des romans au-passé plus-que-présent, dans lesquels l’interrogation sur le passé se double d’un questionnement lancinant sur le présent : à cet égard, la réflexion sur l’unité et la division de la nation apparaît bien comme une ligne essentielle, qui traverse souterrainement les romans du temps.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11771-1
- EAN : 9782406117711
- ISSN : 2258-4943
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11771-1.p.0273
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/08/2021
- Langue : Français