Aller au contenu

Classiques Garnier

[Introduction de la deuxième partie]

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Romans de la Terreur. L’invention d’un imaginaire (1793-1874)
  • Pages : 273 à 274
  • Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 112
  • Série : Le Siècle de l’histoire, n° 3
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406117711
  • ISBN : 978-2-406-11771-1
  • ISSN : 2258-4943
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11771-1.p.0273
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 25/08/2021
  • Langue : Français
273

Lorsquils évoquent la Terreur, les romans des dernières années impériales privilégient un discours et un mode de narration obliques. De ce point de vue, la période impériale nest pas homogène, et lon peut noter, sans prétendre épuiser toute la complexité du phénomène, que le déclin des représentations « frontales » de la Terreur (autrement dit, la diminution, voire labsence de romans faisant de la Terreur le cadre contextuel de leur intrigue) coïncide peu ou prou avec le rétablissement de la censure en 1810. Lemporte alors une politique de surveillance et de contrôle qui oblige à davantage de prudence et à ladoption de stratégies scripturaires détournées.

La chute de lEmpire et la restauration des Bourbons après lépisode des Cent-Jours ouvrent une nouvelle période, que nous avons placée sous le signe de la mémoire. La plupart des romanciers de la Terreur, à quelques exceptions près comme Mme de Duras, Ballanche ou encore Nodier, nont pas vécu les événements de la Révolution. Leur curiosité pour la Terreur est dautant plus vive quelle soulève, pour cette génération née à la fin du xviiie siècle ou au début du siècle suivant, un problème didentité. Les romans du temps se font lécho de cette nécessaire transmission mémorielle en mettant en scène la figure du témoin vieillissant de la Révolution. Mais la période est aussi marquée par la diffusion des nombreux mémoires, qui font entendre la voix des derniers témoins et nourrissent la vogue exceptionnelle des romans historiques. Dans ce contexte, la Terreur ne tarde pas à simposer comme un sujet privilégié. Le roman cherche sa place dans ce champ de concurrence mémorielle et tâche daffirmer sa singularité par rapport à dautres formes de discours concurrents, tout en nouant un dialogue constant avec la littérature mémoriale et lhistoriographie, qui connaît un renouveau sans précédent.

Les clivages politiques qui sexacerbent pendant toute la période de la Restauration sont à lorigine dune crise mémorielle qui divise partisans et adversaires de la Révolution. La Terreur continue bien souvent, dans les deux cas, à fonctionner à la manière dun repoussoir idéologique et politique – même si un tournant mémoriel sesquisse déjà, sous linfluence dune nouvelle génération dhistoriens comme Thiers et Mignet. Dans limmédiat, les libéraux qui défendent la mémoire et les acquis de la Révolution sattachent le plus souvent à distinguer les principes de 1789 de la « dictature jacobine » des années 1793-1794. Décrivant la postérité 274du jacobinisme au xixe siècle, Michel Vovelle considère les années 1800-1830 comme une « traversée du désert1 » et montre que la jeune génération libérale « qui cherche sa voie dans les premières années de la Restauration ne manie quavec une prudence mêlée de scrupules lépithète jacobine dont on [la] gratifie », refusant « dassumer la responsabilité dun passé qui fait lobjet dune méditation obstinée sur le souvenir de la Terreur2 ». Lhistorien souscrit au jugement de Gaston Martin sur la période qui va de 1800 aux lendemains de la Restauration : « Les derniers Jacobins plus ou moins confondus avec les derniers montagnards sont lobjet de la même exécration inquiète3. » Il faut attendre 1830 et les lendemains de la Révolution de Juillet pour quapparaissent des mémoires partisanes de lan II, qui marquent un véritable tournant dans la gestion mémorielle de la Terreur. Nul hasard, bien sûr, à ce que ces tentatives de réhabilitation, qui sattirent les foudres dadversaires horrifiés, émergent aux lendemains de 1830, qui a fait resurgir le spectre de la Terreur.

Cette deuxième période, qui va de 1816 à 1847, à laube dune nouvelle révolution, représente près de 30 % du corpus principal. Cest aux lendemains de 1830 que se concentrent la majorité des romans de la Terreur, après les Trois Glorieuses qui ont donné aux années 1793-1794 une nouvelle actualité. Les romans parus sous la Restauration, dabord, célèbrent souvent le nouveau pouvoir et assument une fonction commémorative à légard des victimes de la Terreur, quand ils ne figurent pas, comme chez Ballanche et Balzac, qui évoquent la question du régicide, une logique expiatoire. Les années 1830 se distinguent quant à elles par un dialogue sans précédent entre le romancier et lhistorien, et le genre romanesque, dont la forme est parfois hybride, joue son rôle dans la constitution dune légende (contre-)révolutionnaire où la Terreur a sa place, quil sagisse de la légende girondine de la Révolution (Nodier) ou dune légende articulée autour dune seule figure, comme celle dAndré Chénier (Vigny). Quoi quil en soit, les romans de la Terreur, dans ces années-là, sont bien des romans au-passé plus-que-présent, dans lesquels linterrogation sur le passé se double dun questionnement lancinant sur le présent : à cet égard, la réflexion sur lunité et la division de la nation apparaît bien comme une ligne essentielle, qui traverse souterrainement les romans du temps.

1 M. Vovelle, Les Jacobins. De Robespierre à Chevènement, Paris, La Découverte, 2001, p. 106-111.

2 Ibid., p. 109.

3 G. Martin, Les Jacobins, Paris, PUF, 1949, p. 98.